La Jeunesse Comme Enjeu Politique Au Cinéma États-Unien Contemporain
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Université de Montréal La jeunesse comme enjeu politique au cinéma états-unien contemporain : pour une polis audiovisuelle par Olivier Tremblay Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques Faculté d’arts et sciences Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maîtrise en études cinématographiques 31 août 2015 © Olivier Tremblay, 2015 Résumé Cette recherche s’intéresse aux propriétés politiques du médium audiovisuel, et plus spécifiquement de la pratique cinématographique, devant un problème concret : la marginalisation de la jeunesse dans la société américaine contemporaine, symptomatique d’une perte d’espoir en l’avenir. Guidé par la théorie politique de Hannah Arendt, l’argumentaire consiste d’abord en deux analyses filmiques : une première de Kids (1995), réalisé par Larry Clark, porte sur l’invisibilité sociale de la jeunesse et la faculté du médium audiovisuel à confronter le spectateur. La seconde se penche sur le pouvoir systématisé auquel sont soumis les jeunes dans une institution scolaire bureaucratique, tel qu’il est mis en scène dans Elephant (2003) de Gus Van Sant, et interroge la capacité du médium à susciter la pensée chez le spectateur. Dans un troisième temps, une réflexion plus globale sur la situation actuelle de la culture cinématographique au sein du domaine audiovisuel dominé par le divertissement de masse explore la possibilité d’une polis audiovisuelle. Cette troisième et dernière partie reprend les thèmes soulevés dans les précédentes dans une perspective politique basée directement sur la pensée d’Arendt : ils donnent lieu aux questions de l’apparaître et de la durabilité du monde, qui sont les principales fonction de la polis, ainsi qu’à la question du rôle du spectateur. Mots clés : cinéma contemporain, conflit intergénérationnel, médium audiovisuel, polis, Kids, Elephant, jeunesse au cinéma, cinéma et politique, Hannah Arendt ii Abstract This research is about the political properties of the audiovisual media, focusing on cinema as a specific practice, in front of a concrete problem: marginalized youth in contemporary American society, which is symptomatic of a loss of hope for the future. Guided by Hannah Arendt’s political theory, the arguments start with two film analyses: a first one of Larry Clark’s Kids (1995) concerns the social invisibility of youth, and audiovisual media’s faculty to confront the spectator. The second one takes a look at the systematized power to which youths are submitted in a bureaucratic educational establishment, as it is featured in Gus Van Sant’s Elephant (2003), and examines media’s capacity to bring the viewer to think. Third and last, a more overall reflection on the current situation of film culture within the audiovisual field dominated by mass entertainment explores the possibility of an audiovisual polis. This last part pursues the themes discussed in the two former ones in a politic perspective, directly based on Arendt’s thoughts: they lead to considerations on appearance and durability of the world, which are the main functions of the polis, as well as considerations on the spectator’s role. Key words : contemporary cinema, conflict between generations, audiovisual media, polis, Kids, Elephant, youth in cinema, cinema and politics, Hannah Arendt iii Table des matières Introduction ....................................................................................................................... 1 Chapitre I. Kids : confronter l’invisible ........................................................................ 15 1.1. Le monde secret des kids ....................................................................................... 17 1.2. « Fucking » ............................................................................................................ 26 1.3. Visages adolescents ............................................................................................... 40 Chapitre II. Elephant : penser l’impensable ................................................................ 49 2.1. Une jeunesse déconnectée du monde ..................................................................... 51 2.2. Le milieu scolaire ................................................................................................... 59 2.3. Penser à travers la violence .................................................................................... 73 Chapitre III. Le médium audiovisuel : réinventer le politique ................................... 83 3.1. De la culture au divertissement .............................................................................. 85 3.2. La polis audiovisuelle ............................................................................................ 96 3.3. Le jugement du spectateur ................................................................................... 106 Conclusion ..................................................................................................................... 118 Bibliographie .................................................................................................................. 123 Filmographie ................................................................................................................... 129 iv Remerciements Je remercie chaleureusement ma directrice de recherche Silvestra Mariniello pour son enthousiasme envers mon projet, son soutient, sa confiance, sa générosité, et surtout pour m'avoir transmis son espoir en la technique audiovisuelle qui donna sens à ce travail, et m'avoir convaincu de l'importance de telles recherches. Merci à mes parents qui m'ont toujours soutenu dans mes projets malgré ma malhabileté hors du commun à les expliquer, qui m'ont encouragé à faire ce que j'aime et le faire de mon mieux. Merci à toute ma famille de qui je n'ai reçu qu'encouragements et pensées positives. Merci à mon amoureux Charles d'avoir enduré les fluctuations de mon humeur au fil des angoisses et des doutes. v Le miracle de la liberté consiste dans ce pouvoir- commencer, lequel à son tour consiste dans le fait que chaque homme, dans la mesure où par sa naissance il est arrivé dans un monde qui lui préexistait et qui perdurera après lui, est en lui- même un nouveau commencement. Hannah Arendt (1995, p. 71) Introduction De James Dean aux starlettes de Spring Breakers (2012), la jeunesse peuple le cinéma américain, génération après génération, figure toujours fascinante mais inquiétante à la fois. Le « jeune » n’appartient pas tout à fait au même monde que moi; il l’habite mais en porte un autre en lui, imprévisible, un monde à venir où mes repères actuels ne vaudront peut-être plus. Un film sur la jeunesse me fascine et m’inquiète à la manière d’un film d’anticipation : j’y découvre un monde qui est le mien mais qui ne l’est plus vraiment. Un film sur la jeunesse est aussi comme un film historique. De sa naissance à son entrée dans l’âge adulte, chaque être humain ne revit-il pas en accéléré la civilisation de l’Homme? Le jeune est d’une époque pour moi passée, où aucune place ne m’était définitivement assignée, où le monde ne semblait pas encore s’être fixé autour de moi, où je n’avais pas encore intégré ses règles comme les miennes. La jeunesse m’inspire l’espoir d’un avenir meilleur et en même temps l’angoisse de voir mes repères céder peu à peu, laisser place à de nouveaux qui m’échappent. Les adolescents raffolent d’une musique qu’il m’apparaît presque hérétique de nommer ainsi. Je ne saisis pas leurs goûts vestimentaires, leur humour, ils emploient des termes qui me sont étrangers. La jeunesse trouble l’imaginaire; le cinéma peine à la saisir et la place sans cesse au cœur de récits où la violence surgit dans la vie quotidienne, et met soudainement en crise un monde qui paraissait pourtant banal. C’est l’échange de coups de feu entre Plato et les policiers à la fin de Rebel without a cause (1955), l’escapade meurtrière de Kit et Holly dans Badlands (1973). C’est le suicide collectif des sœurs Lisbon dans The Virgin Suicides (1999), le meurtre de Bobby Kent par ses « amis » dans Bully (2001), l’inexplicable fusillade dans Elephant (2003), les jeunes vacancières devenues mercenaires dans Spring Breakers. Une liste exhaustive serait interminable. Au fil des décennies, la présence de la jeunesse à l’écran a fréquemment coïncidé avec la rupture d’un équilibre paisible et l’irruption de la violence. Il apparaît essentiel de se pencher sur cette présence trouble. De jeunes personnages sont mis en scène depuis les débuts du cinéma américain, campés alors par Lillian Gish, ou Mary Pickford. Ce n’est toutefois qu’au lendemain de la 1 Seconde Guerre Mondiale que la jeunesse apparaît véritablement comme un groupe social distinct, une force culturelle et économique émergente dont il faut désormais tenir compte (Osgerby 2008). On taxe les teenagers de délinquance et l’on déplore la bassesse de leur culture – la musique rock and roll fait peu d’adeptes chez les adultes à l’époque – mais ils forment aussi un nouveau marché enthousiasmant à l’aube de ce qu’on appellera la société de consommation. « By the late 1950s the scope and scale of the American youth market seemed spectacular » (ibid., p. 33). Dans cette période effervescente, Hollywood donne naissance à celui qui devient dès lors la figure mythique de la jeunesse : James Dean. James Dean est un modèle, mais ce modèle est lui-même l’expression typique (à la fois moyenne et pure) de l’adolescence en général, de l’adolescence américaine en particulier. […] Menton sur la poitrine, sourire inattendu,