Emanuel Proweller Proweller, Toujours 18/81/18
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Emanuel Proweller Proweller, toujours 18/81/18 Galerie Convergences 2018 1 ATELIE R R E E L M L E A N W U O E R L P 2 Proweller, toujours 18/81/18 Galerie Convergences 2018 3 PROWELLER, PEINTRE INVISIBLE Depuis que l’art vivant a déployé ses sicaires, contempteurs à six coups ou ses admirateurs dociles, il est un fait acquis que tout artiste doit disposer de son propre ADN, une personnalité suffisamment éloquente pour qu’on le range dans telle ou telle catégorie, comme les poissons du chalutier juste pêchés, tirés du filet, accueillis dans tel ou tel casier de couleurs différentes. Poissons brillants, acidulés, poissons remuants, petits ou gros : avec quelle maille, dans quelle catégorie les placer ? Les chalands aiment les étals rutilants embellis d’une ordonnance cohérente. Cela rassure, particulièrement dans les salles de musées. Emanuel Proweller, malgré sa modestie, est devenu un gros poisson, cela bien après sa disparition en 1981. On chercherait vainement quelle marée l’a porté jusqu’à nous. Son univers entre collorisme franc et mezzo et avec volumes découpés à vif, entre informel et réel, reste étrange. Les subtils ajustements, les conjonctions de domaines antagonistes composent un environnement à part, avec un agrégat de sens, avec des interstices, des passages secrets. Comme un cluster, une physique délicate. Comme beaucoup – et le silence assourdissant de quelques dizaines d’années concernant Proweller en témoigne – c’est un peintre que nous avons peu ou mal regardé. Comme si son côté mouton à cinq pattes ne pouvait satisfaire la raison esthétique, rassurer les clans. Cachez cette disruption – locution à la coule – que je ne saurais voir… Emanuel Proweller comme le dit Gaëlle Rageot-Deshayes, sonne comme un malentendu fondamental : « …sous des dehors de séduction facile, il résiste et s’avère, mis à l’épreuve, d’une redoutable complexité » (1). Plutôt qu’en marge, borderline certainement, cet art progresse par les bords, comme les débordements des plantes vertes fuyant le pot, par-dessous par-dessus, avec une élégance, des contours et une vivacité exceptionnels. Rien de violent à cela, que les reliefs ordinaires, d’une vie qui ne l’est pas 4 Passage. 1956. Gouache sur papier – 25 x 22 cm. 5 moins, la vie d’atelier du peintre, en banlieue, à Paris ou en Ardèche. Les sujets de Proweller, des images pauvres si on cherche la grande Culture, en proviennent tous comme si de rien n’était. Réglons la mire. D’abord Proweller paraît tellement voyant, gênant par son originalité, pas dans le moule, que finalement il en devint invisible chez ses contemporains. Son expérience fera le reste. De toute évidence, Emanuel Proweller relève d’un mystère, d’un monde clos analogue à celui des Ron Kitaj, des Gérard Gasiorowski, des Jorge Camacho, des François Lunven, des André Raffray, des Richard Lindner, qui, bien que fort différents, ont toutefois ce « je ne sais quoi » de singularité irréductible et troublante. Campant dans leur propre production comme des célibataires endurcis, ces peintres posent à leur manière le problème de la narration. Ils sont isolés. Depuis quelques années des auteurs et des commissaires convaincus ont mis en avant Proweller : Robert Bonaccorci, Gaëlle Rageot-Deshayes, Jean-Louis Pradel, Patrick Le Nouëne, Pierre Brana, Alain Matarasso et bien entendu Valérie Grais. Emanuel Proweller est maintenant un artiste que l’on croise, un de ceux qui comptent : les musées l’ont adopté. Comme Maryan, avec qui il partage une existence erratique d’exilé, camp d’extermination en moins, il est devenu presque familier. Les lignes de la reconnaissance ont légèrement bougé et la solitude de l’artiste est rompue… Somptueux outsider, pourquoi pas ? Quand Proweller arrive à Paris, à la fin des années 40, critiques et artistes s’écharpent à propos de définitions ou d’écoles de peinture. Le milieu est vivant, la bagarre invasive. L’Art Concret et le Salon des Réalités Nouvelles triomphent et c’est d’abord ainsi qu’est regardée la production de Proweller : dans la lignée du néo-plasticisme, du purisme (Mondrian, Ozenfant et sa science des objets inanimés, Malevitch pour son minimalisme radical), de l’abstraction géométrique militante (Gorin, Dewasne, Herbin, beaucoup d’autres…). Les huiles de Proweller sont alors 6 Trident. 1955. Huile sur carton – 38 x 46 cm. 7 1949. Crayon de couleur gras sur papier – 8,5 x 8,5 cm. 8 1954. Crayon de couleur sur papier quadrillé – 13,5 x 21 cm. 1954. Crayon de couleur sur papier quadrillé – 13,5 x 21 cm. 9 géométriques : rectangles, triangles, ronds sur un plan unique, compositions presque plates. Les pastilles de couleur rappelleront les œuvres du Picabia ultime, ce joueur invétéré dans la peinture même. On pourrait dire que tous deux ne rechignent pas aux fioritures Les compostions de 1960, les Fenêtres notamment, sont des assemblages asymétriques, à base d’aplats taillés à l’oblique, avec des couleurs assourdies du rose, du jaune paille, du vert sapin, de l’orange. Jean-Louis Pradel fait remarquer, à propos de Proweller son vif intérêt pour Giotto, pour son bleu de ciel identique à celui de la robe de la Vierge, d’un gesso, presque maigre, plutôt léger (2). Palette en retenue, pour l’efficacité par contrastes. Pourtant, à y regarder de plus près, la peinture primitive de Proweller guigne, involontairement sans doute, les toiles des derniers surréalistes, tels Camacho ou Hérold. On peut y déchiffrer certaines formes organiques ou mécanomorphes flottant à la surface de rectangles monochromes (Fontaine, 1954 ou Trident, 1955) Est bien malin celui qui peut définir, ordonner, trier en somme toutes les productions des peintres dans les années 50 à Paris. Il est étonnant de voir qu’Emanuel Proweller a exposé en 1949 au sein de la galerie Denise René, lors d’une collective « Espaces Nouveaux » aux côtés d’artistes hors des sentiers battus ou reconnus comme Le Corbusier, Hans Arp, Alexander Calder ou Alberto Magnelli. En 1951, se tient sa première exposition personnelle à la galerie Colette Allendy qui fut une pionnière, comme Lydia Conti qui montra Pierre Soulages et Hans Hartung notamment. Les critiques qui parlent alors de lui ont donc la plume alerte et quelque peu indécise, du fait de ce fameux malentendu abstraction/ figuration : Suzanne Terrand dit en 1955 : « Proweller : l’unité de son talent semble acquise. C’est si l’on peut dire, un cubiste qui serrait rond ». Mon dieu ! Gabrièle Buffet-Picabia précise quant à elle dès 1953 dans Art d’aujourd’hui « Son espace, c’est la toile elle-même sur laquelle il va disposer avec l’alliance d’un hasard voulu les formes ce son choix (cubes, triangles ou demi-lunes etc.). Il les traitera suivant toutes les règles de l’optique picturale, mais non comme des sujets figurés géométriques ». (3) 10 1955. Aqurelle sur papier – 39 x 28 cm. 11 C’est le télescopage fatal ou plutôt l’osmose de deux mondes, celui de la théorie abstraite en odeur de sainteté et celui des objets, des gens, des animaux, des arbres, des maisons, des paysages… banals et vrais. C’est la greffe sur des fondations orthodoxes d’une perspective fantaisiste, pour ne pas dire impossible, d’une profondeur chromatique toute à leur dévotion. On a pu parler de style naïf pour Proweller, mais c’est méconnaître la multiplicité de ce que ce terme recouvre depuis Wilhelm Uhde jusqu’à Anatole Jakovsky (4). La candeur est périphérique pour un tel peintre, moins passionnante que sa vision du réel, soit-il tordu, réinterprété, réduit à sa plus simple expression. La peinture de Proweller tranche dans la vraie vie, comme avant lui Matisse dans la couleur. C’est désormais du côté du réel qu’on regarde sa peinture, bien qu’il n’ait jamais exposé avec les peintres des Mythologies quotidiennes en 1964. On lui proposera bien une place pour l’accrochage de la seconde édition, en 1977, mais l’affaire paraît définitivement pliée. Les artistes de la figuration narrative mènent leur propre barque, ne font plus bloc. Ces artistes avaient une vision sociétale et politique aigüe de leur peinture, éreintant comme le firent Gilles Aillaud, Antonio Recalcati, Marcel Duchamp, et Eduardo Arroyo l’icône des artistes contemporains (5). Emanuel Proweller ne revendique rien, même si on sait qu’il aime l’art moderne, les grands classiques, les peintures de ses amis. C’est un homme très cultivé. Le pop’art ne l’intéresse pas vraiment : il y voit comme tant d’autres une dénonciation fictive de la société de consommation, l’adoration du veau d’or. Trop littéral pour lui. Il ne s’embarque pas là-dedans, ses objets ne témoignant pas de la modernité à tout prix. Le passage au réel de Proweller se fait au naturel qui, s’il n’a pas la charge vénéneuse, la provocation d’un Philip Guston ou d’un Jean Hélion, va tout de même le mettre en quarantaine : « L’idée abstraite tant bien que mal revêtue de formes, on passe à la société à cause de toutes sortes d’évangélismes et l’on chute dans la systématisation formelle » affirme-t-il en 1972 (6). Pour lui la peinture est une quadrature du cercle, 12 Fenêtre blancs, bleu, orange. 1960. Huile sur toile – 55 x 46 cm. 13 Fenêtre bleu, orange, noir. 1960. Huile sur toile – 55 x 46 cm. 14 Fenêtre bleu, jaune, vert. 1960. Huile sur toile – 46 x 38 cm. 15 un casse-tête entre la réception du public, avec une culture a minima, et la volonté du peintre de bien faire, de fournir un contenu cohérent, directement accessible. Il ne glose pas sur les avant-gardes ni les théories, celles des « critiques évangélistes », mais s’adonne à ce qui peut faire sujet, en le dépouillant bien entendu, comme une perception élémentaire et intelligible.