PIERRE MARTEL ET LES ALPES DE LUMIÈRE Karine-Larissa Karine-Larissa BASSET Basset
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PIERRE MARTEL ET LES ALPES DE LUMIÈRE Karine-Larissa Karine-Larissa BASSET Basset En 1953, quelques compagnons, conduits par l’abbé Pierre Martel, fondent à Simiane-La-Rotonde le mouvement Alpes de Lumière pour la renaissance du Haut Pays provençal entre Ventoux, Lure, Luberon et Durance. Durant plus de trente ans, Karine-Larissa BASSET Pierre Martel déploie sa personnalité charismatique pour faire naître et reconnaître la valeur de ce territoire auquel le mouve- ment donne son nom, auprès de ses anciens habitants comme de ses nouveaux usagers. Retracée notamment à partir des archives privées de Pierre Martel, l’histoire d’Alpes de Lumière nous montre l’invention d’un terri- Pierre Martel toire placé d’abord sous le signe de l’éducation populaire et du christianisme social ; puis, après la rupture de 1968, sous celui de l’environnement et du patrimoine. Au terme de ce riche itinéraire, et le mouvement la création au début des années 1980 du Conservatoire ethno- logique de Haute-Provence (ancien prieuré de Salagon) apparaît Alpes de Lumière comme l’aboutissement de cette utopie de territoire, où le rêve prophétique d’un homme s’est adossé à une vision collec tive d’un L’invention d’un territoire (1953-1983) autre devenir. arine-Larissa Basset est historienne et ethnologue. Spécialiste K des récits de territoires dans la France contemporaine, elle mène actuellement des recherches sur l’invention des espaces pro- tégés en Europe. Elle est l’auteur du Légendaire Sarrasin en France, paru aux éditions du Musée dauphinois en 2006. ET LE MOUVEMENT ALPES DE LUMIÈRE PIERRE MARTEL éditions de l’aube éditeur engagé 22 € 9 7 8 2 7 5 2 6 0 5 8 6 3 Alpes de Lumière : © de couverture Photographie 1478-MARTEL et les Alpes de lumi1 1 18/05/09 13:18:59 Pierre Martel et le mouvement Alpes de Lumière La collection Monde en cours est dirigée par Jean Viard Karine-Larissa Basset assisté de Hugues Nancy Pierre Martel et le mouvement Alpes de Lumière L’invention d’un territoire (1953-1983) © Éditions de l’Aube et Les Alpes de Lumière, 2009 www.aube.lu n° 158 de la Revue Les Alpes de Lumière ISSN 0182-4643 ISBN 978-2-7526-0586-3 éditions de l’aube Introduction Du même auteur : La Société soft, Denoël, 1985 Le Pouvoir des villes, l’Aube, 2008 Le mouvement Alpes de Lumière, déclaré association loi 1901, fut fondé en 1953, dans le département des Basses-Alpes, par un prêtre tout juste trentenaire, Pierre Martel, entouré de quelques compagnons. Installée au cœur de la ville de Forcalquier, l’asso- ciation Alpes de Lumière « pour la protection et la valorisation du patrimoine en Haute-Provence » existe toujours. Celui qui fut son principal animateur durant plus de trente ans est décédé en 2001, en laissant de cette aventure au long cours un précieux témoignage, sous la forme d’un riche fonds d’archives. À la veille du cinquantenaire de l’association, ses animateurs, désireux de retrouver le sens d’une expérience nourrie, ont entrepris de clas- ser ce fonds1 et ont demandé à une historienne d’en analyser en Remerciements 2 Je remercie vivement pour la confiance qu’ils m’ont accordée dans leurs témoignages : partie le contenu. Le présent ouvrage est le fruit de ce travail . Marc et Odette Albouy, Philippe Barret, Guy Barruol, Geneviève Bousquet, Pierre Il tente de nouer ensemble les fils d’une trajectoire individuelle Coste, Marc Dumas, Maurice et Misette Gueymard, Jean-Marie Léouffre, André hors norme, d’une action collective et d’un contexte histori- Lombard, Claude Martel, Jean Mascaux, Jacques Mougel, Danielle Musset, ainsi que que large, afin de jeter un éclairage singulier sur ce mouvement Christiane Carle et Nicole Massel, dans nos nombreuses discussions informelles. Je remercie plus généralement l’association Alpes de Lumière, qui m’a offert qui voulut, en quelque sorte, « faire territoire ». À une portion l’opportunité de cette recherche et les conditions matérielles pour la réaliser. Mes des Alpes-de-Haute-Provence, située entre Lure, Luberon, remerciements vont notamment à Jean-Claude Bouvier, président d’Alpes de Lumière, Ventoux et Durance, il a d’ailleurs donné son nom, les « Alpes de et Claude Martel, épouse de Pierre, pour la confiance qu’ils m’ont accordée et l’entière liberté dont j’ai bénéficié pour écrire ce livre. Lumière », ainsi désignées dans certains ouvrages de géographie 3 Qu’il me soit permis également de remercier Christiane Carle, qui m’a accueillie une et guides touristiques . Que l’identité de ce territoire ait été large- année durant au sein de l’équipe associative, Laetitia Nicolas, pour m’avoir aiguillée ment tribu taire du désir d’un homme et d’un moment historique, dans le dédale des archives de Pierre Martel, et Nicole Massel, pour son accueil c’est ce que nous allons essayer de montrer dans ces pages. chaleureux à Lincel. Merci encore à Pierre Coste pour nos échanges toujours stimulants et sa gentillesse. Ce texte doit évidemment beaucoup à ses relecteurs attentifs : Guy Barruol, Jean- Claude Bouvier, Marc Dumas, Claude Martel. Mes remerciements vont ici spécia- lement à Jean-Noël Pelen, qui a suivi toutes les étapes de cet ouvrage et encouragé, une fois encore, son auteur, à en aboutir la réalisation. 5 Diagnostics comment, dans ce contexte extrêmement difficile et complexe de l’héritage de la guerre, se sont négociées les diverses expériences Renaître fédérées autour du thème commun de la Reconstruction, de la Renaissance ; à partir de quelles notions, de quelles idées, de quelles La création du mouvement Alpes de Lumière, huit ans seu- pratiques, l’on a pu reconstruire un récit collectif viable, porteur lement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, intervient d’énergie et de promesses, à un moment où tout était à refaire. dans un contexte où, encore traumatisées par le souvenir de la défaite de 1940, toutes les énergies sont tendues vers la néces- Nos pays abandonnés sité de « redresser la France » sortie exsangue de la guerre, de la Le vaste effort de reconstruction (matérielle et morale) de la replacer à son plus haut rang de grande puissance, de participer France est, en 1953, déjà engagé. Les structures administratives se à sa modernisation économique, à sa rénovation sociale, voire à réorganisent progressivement, tout en cherchant des relais et des sa régénération morale. Un véritable récit collectif, partagé par interlocuteurs pour organiser la planification, grand mot d’ordre toutes les catégories sociales, s’est élaboré autour du thème de la de ces années. « Renaissance ». L’historien René Rémond a bien évoqué cette Cependant, les déséquilibres économiques et sociaux entre les volonté commune et inébranlable de rénovation : différentes régions du territoire français, déjà dénoncés par certains « Cette résolution survivra à toutes les vicissitudes ; elle ne se laissera dans les années trente, restent patents. Malgré le succès rencontré pas affaiblir par le découragement et la morosité. Elle continuera bien par les thèses de Jean-François Gravier publiées en 1947 sous le au-delà de l’année 1945 à animer les esprits et à susciter les énergies, titre Le Désert français, les idées de rééquilibrage et d’aménage- jusqu’à ce que l’expansion soutenue par une croissance continue à partir de 1953-1954, puis la continuité de la volonté politique assurée par des ment général du territoire, défendues au sein du gouvernement institutions stables à partir de 1958 prennent le relais de la volonté de depuis 1948 par Eugène Claudius-Petit, ont du mal à s’imposer renouveau » [Rémond, 2000 : 539-540]. dans la classe politique et l’opinion publique [Pouvreau : 2003]. Grâce à un énergique travail de communication, les idées et les Pourtant, le mot magique de « Renaissance » succède à ceux de outils imaginés par le ministre commencent seulement à se diffu- « Révolution » et de « Renouveau », mots d’ordre des années 1930 ser en 1950. Dès lors, la Haute-Provence bénéficie des premières et 1940. Derrière la volonté de rupture, se profile aussi une indé- mesures concrètes ; la vallée de la Durance est, avec le Bas-Rhône- niable continuité, qui n’a pas échappé aux acteurs de l’histoire : « Les Languedoc, l’une des deux « régions pilotes » créées par le com- ambiguïtés de Vichy, reconnaît Pierre Martel en 1993, ont permis 4 missariat général au Plan et le ministère de la Reconstruction pour une prise de conscience . » Il y a dans cette affirmation la recon- expérimenter un travail conjoint d’aménagement du territoire5. naissance d’une vérité enfouie dans le grand brouillage des valeurs, Mais voilà : si les « bas pays » commencent à être pris en charge, des idées et des référents, qui a culminé entre 1940 et 1944 dans aux yeux de beaucoup les « hauts pays », les « montagnards » le programme de « Révolution nationale ». Il est donc nécessaire demeurent ignorés, négligés, en marge des investissements éco- d’examiner cette continuité, pour comprendre à la fois le diagnos- nomiques et de la manne touristique : des laissés-pour-compte de tic posé par Pierre Martel et ses compagnons et les réponses que la modernité. Tel est le constat dressé en 1953 par l’abbé Martel, ceux-ci ont tenté d’apporter, par le biais d’un mouvement associatif pour justifier la prise en charge, par une association de personnes à vocation régionale. A contrario, cette expérience singulière per- privées, de cet arrière-pays bas-alpin que l’on nommera désor- met de répondre à une question historique tout à fait intéressante : mais les « Alpes de lumière » : 6 7 « Ces “Alpes de Lumière”, il nous appartiendra, dans le cadre du mouve- Peut-être la revendication régionaliste se déporte-t-elle sur le ment qui maintenant porte son nom, de les défendre et de les promou- territoire parce qu’elle ne peut plus se dire sur l’identité cultu- voir.