École des Hautes Études en Sciences Sociales Centre de Recherches Historiques- GGT-Terres

Université de São Paulo Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines Département de géographie Programme de Troisième Cycle en Géographie Humaine

Pierre Monbeig et la formation de la géographie brésilienne Une science dans le contexte du capitalisme tardif (1925-1957) : érosion des valeurs littéraires, tentation de l’action et systématisation de la méthode

Thèse de doctorat Larissa Alves de Lira

Directeurs de thèse : Professeur Manoel Fernandes de Sousa Neto (USP) Professeur Marie-Vic Ozouf-Marignier (EHESS)

Thèse de doctorat développée au cours du Programme de Troisième Cycle en Géographie Humaine de l’Université de São Paulo (USP) sous la direction du professeur Manoel Fernandes de Sousa Neto et du Centre de Recherches Historiques de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) sous la direction du professeur Marie- Vic Ozouf-Marignier, dans le cadre d’un accord de double diplôme entre l’USP et l’EHESS, avec le financement de la Fondation d’Aide à la Recherche de l’Etat de São Paulo, FAPESP, au Brésil et à l’étranger, pour l’obtention du titre de Docteur.

Version résumée en français

São Paulo, , 2016 Je remercie mes deux directeurs de recherche. Manoel Fernandes de Sousa Neto, de l’USP qui, grâce à sa familiarité avec mon travail et avec mon parcours de formation, a contribué à la réalisation de cette thèse sur les plans intellectuel, matériel et affectif. Mon maître et ami, merci. Marie-Vic Ozouf-Marignier, de l’EHESS, pour sa générosité et sa gentillesse, pour ses nombreuses relectures et ses conseils qui n’ont jamais manqué de réorganiser ma réflexion et qui m’ont permis d’améliorer mon style. Je remercie aussi Marie-Claire Robic, de l’équipe EHGO, pour son dévouement, sa lecture toujours attentive de mes écrits, et ses conseils très avisés.

A mes grands-parents : Antonio et Maria ; João et Aliete.

Un Albert Demangeon nostalgique résuma en trois phases ce qu’il nommait ‘les bienfaits de la géographie’ : la géographie localise, la géographie décrit, la géographie compare. Ces trois phases sont aussi les trois phases de la méthode géographique. A l’aide d’une bonne cartographie, déjà en préparation, et des appareils statistiques et historiques, qui doivent être améliorés et mis à la commode disposition de qui les utilise, la première phase, celle de la localisation, pourra être terminée. Avec un personnel soigneusement formé, la seconde phase, déjà commencée, sera continuée. La troisième phase, celle des conclusions, ne pourra s’ouvrir qu’à ce moment. C’est ce qui, tout permet de le croire, viendra dans un futur proche : l’ère du développement de la géographie au Brésil. (MONBEIG, 1949, p. 492).

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Résumé Cette thèse a pour objectif d’analyser l’émergence d’une école brésilienne de Géographie, dont les bases ont été posées par le géographe français Pierre Monbeig. Ses années de formation à la Sorbonne, les années vécues au Brésil, jusqu’aux années où il a publié ses principales contributions sur ce pays (1925-1957), délimitent la période du processus de formation de la géographie brésilienne sous sa direction, vue comme un parcours à la fois matériel et symbolique. Une géohistoire des savoirs, qui prend pour axes d’analyse les sphères des lenteurs, de la circulation et des ruptures, est la méthode qui a été employée pour appréhender une trajectoire touchée par les mouvements profonds de la constitution des sciences, ainsi que les conjonctures qui éclipsent les tendances de la première moitié du XXème siècle. Ces mouvements de longue durée sont l’érosion des valeurs littéraires qui ont dominé les sciences françaises à la fin du XIXème siècle ; la tentation de l’action et de l’engagement qui mobilisent de plus en plus les sciences ; et une progressive explicitation des méthodes scientifiques. Face à la conjoncture et aux déterminismes spécifiques au Brésil, à la formation de l’État national, à la crise des oligarchies et à l’avancée du capitalisme tardif, les réponses sont singulières, et les transformations que la géographie de Pierre Monbeig va subir dans cet espace sont à la fois institutionnelles, théoriques et temporellement spécifiques. Ainsi, Monbeig élabore des raisonnements qui sont influencés par la compréhension des processus géographiques de la modernisation, par la logique spatiale de sous-développement des territoires, et indirectement par une théorie géographique adaptée aux conditions du capitalisme brésilien que nous appelons géohistoire du capitalisme périphérique. Enfin, il faudra souligner que de telles contributions épistémologiques, si elles ne se sont pas annoncées comme en rupture avec les héritages de la géographie française constituent un apport pour les sciences humaines à partir la géographie développée au Brésil, apport peu reconnu dans les débats historiographiques. Mots-clés : Pierre Monbeig, géohistoire des savoirs, formation de la géographie brésilienne, capitalisme tardif, géohistoire du capitalisme périphérique, lecture géographique du sous- développement.

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Resumo Esta tese tem como objetivo investigar a emergência de uma escola brasileira de Geografia cujas bases foram lançadas pelo geógrafo francês Pierre Monbeig. Seus anos de formação na Sorbonne, os anos em que viveu no Brasil, até os anos em que publicou suas principais contribuições sobre este país (1925-1957) demarcam o período do processo de formação da geografia brasileira sob sua liderança, visto como um percurso ao mesmo tempo material e simbólico. Uma geo-história dos saberes, que tem como eixos de análise as esferas das lentidões, da circulação e das rupturas, foi o método mobilizado para apreender uma trajetória que é atingida por movimentos profundos da constituição das ciências, bem como em conjunturas de eclipsam as longas tendências na primeira metade do século XX. Tais movimentos de longa duração são aqui caracterizados como a erosão dos valores literários, que dominaram as ciências francesas em fins do século XIX; a tentação à ação e ao engajamento, numa forma tendencial que caminha para uma crescente aplicação das ciências; e uma progressiva explicitação dos métodos científicos. Face à conjuntura e a determinismos específicos do Brasil, da formação do Estado nacional, da crise das oligarquias e do avanço do capitalismo tardio, as respostas a estas tendências, de uma ciência em contexto de recuperação de suas heranças, mas também de deslocamento, são singulares, e as transformações que a geografia de Pierre Monbeig vai sofrer nesse espaço são institucional, teórica e temporalmente específicas. Assim Monbeig elabora raciocínios que, sem negar as heranças e as tensões latentes, estão permeados por resultados diretos em torno da compreensão dos processos geográficos da modernização e da lógica espacial de subdesenvolvimento dos territórios em processo de colonização, e, indiretos, em torno de uma teoria geográfica adaptada às condições do capitalismo brasileiro, que nós denominados como géo-histórica do capitalismo periférico, com base em raciocínios sistêmicos. Por fim, será necessário ressaltar que tais contribuições epistemológicas, se não se anunciaram como uma ruptura às heranças da vertente da geografia francesa que ele adota, constituem, para as ciências humanas, uma fortuna crítica da Geografia desenvolvida no Brasil, pouco reconhecida nos debates historiográficos. Palavras chaves: Pierre Monbeig, géo-história dos saberes, formação da geografia brasileira, capitalismo tardio, géo-história do capitalismo periférico, leitura geográfica do subdesenvolvimento.

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Abstract This thesis aims at investigating the emergence of a Brazilian school of Geography whose foundation was built by the French geographer Pierre Monbeig. His years studying at Sorbonne, his yeas spent in Brazil, and even the year in which he published his first contributions on this country (1925-1957) define the period in which Brazilian geography came to be, under his leadership; this was, at the same time, a material and a symbolic process. This research used a geohistory of knowledge that analyses the spheres of slowness, circulation, and ruptures to study a trajectory that is influenced by deep movements of the constitution of the sciences, as well as circumstances of the sciences that eclipse the long-lasting tendencies in the first half of the twentieth century. These long-lasting movements are characterized here as: erosion of literary values, which dominated French sciences in the end of the nineteenth century; temptation to action and engagement, in the form of a tendency towards a growing application of sciences; and a progressive clarification of the scientific method. In face of the situation and of Brazil- specific determinisms, the formation of the national State, the crises of oligarchies, and the advancement of late capitalism, the answers of a science in context of recovering its inheritances, but also of displacement, to these trends are singular and the transformations that Pierre Monbeig's geography goes through in this space are institutional, theoretical and temporally specific to that time. Thereby, Monbeig elaborates reasonings that, without denying latent heritage and tension, are direct results of understanding geographical processes of modernization and of the spacial logic of underdevelopment in territories in process of colonization, and by indirect results of a geographical theory adapted to the conditions of Brazilian capitalism, which we denominate a geohistory of the peripheral capitalism based on systemic reasoning. Finally, it is important to point out that these epistemological contributions were not announced as a break with the French geography the author adopts; they constitute, to the humanities, a critical source of information for Geography as it was developed in Brazil, which gets little recognition in historiographic debates. Keywords: Pierre Monbeig, geohistory of knowledge, formation of Brazilian geography, late capitalism, geohistory of peripheral capitalism, geographical reading of underdevelopment.

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Photo 1: Pierre Monbeig. Source: CAPH.

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Sommaire

Introduction 9

Chapitre 1: Pierre Monbeig et les séductions d’une jeune science : engagements et 22 transitions de la Géographie (1925-1929)

Chapitre 2: Un géographe face à la mondialisation : les problèmes globaux d’une 50 géographie en quête de reconnaissance internationale (1930-1935)

Chapitre 3: Les plans de Pierre Monbeig pour le Brésil : les racines françaises dans 71 l’organisation de la géographie brésilienne (1935-1940)

Chapitre 4: Le projet de recherche sur les franges pionnières et leurs espaces de 87 référence (1935-1940) : une première « redéfinition » du Brésil

Chapitre 5: Comment un jeune professeur français acquiert-il de la légitimité au 98 Brésil ? (1937-1946)

Chapitre 6: Le Brésil et les propositions méthodologiques de Pierre Monbeig 122 (1940-1957) : une géohistoire du capitalisme périphérique et une lecture géographique du sous-développement

Chapitre 7: La résistance des valeurs littéraires dans le cadre d’une approche 140 idiographique de l’avancée du capitalisme au Brésil (1938- 1953)

Considérations finales 155

Sources sélectionnées pour ce résumé 158

Bibliographie sélectionnée pour ce résumé 159

Annexes 172

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Tables 183

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Introduction

La transformation que la pensée géographique française subit au Brésil est une question récurrente pour ceux qui veulent comprendre la formation de la géographie brésilienne. C’est justifié, car la géographie universitaire développée au Brésil a eu pour principal pionnier un géographe français envoyé dans ce pays, dans le cadre d’une mission universitaire, un an après la fondation de l’Université de São Paulo en 1934. Ce scientifique, Pierre Monbeig (1908-1987), s’est formé dans les cours des géographes renommés de la Sorbonne, Albert Demangeon (1872-1940) et (1873-1955), disciples directs de Vidal de la Blache (1845-1918), et est arrivé au Brésil encore très jeune, à 27 ans. Cette thèse retrace le processus de constitution de la géographie brésilienne dans sa relation avec la géographie française, entamée lors de la première moitié d’un long XXème siècle, dans le contexte d’une histoire intellectuelle de circulation des savoirs à l’intérieur de l’espace Atlantique.

Ainsi, nous nous efforçons d’analyser la création d’une école de géographie brésilienne. Nous considérons qu’une géohistoire intellectuelle mêlant les mouvements profonds et superficiels qui constituent la science, comme les ruptures et circulations, peut contribuer à une meilleure compréhension du processus d’échanges intellectuels à l’échelle du monde. Notre présupposé est que les idées scientifiques sont formées au sein des déterminismes géographiques, historiques et sociologiques, avec des résistances et des lenteurs structurelles comme des phases dynamiques. La perspective de la circulation globale rend possible les raisonnements comparés. La géohistoire est une méthode et une philosophie de l’histoire.

La thèse soutenu ici est que le géographe français Pierre Monbeig a posé les bases d’une consolidation postérieure d’une école brésilienne de géographie et que ce processus a été à la fois matériel et intellectuel. La participation de Monbeig à des institutions récemment créées a permis l’intégration de cette école à la géographie internationale. Mais la consolidation d’une école de géographie brésilienne n’a pas eu lieu avant 1956. La constitution de la méthode géographique pertinente pour le territoire brésilien a été un processus historique, traversé par de progressives acquisitions matérielles. Il y a ainsi un moment de consolidation de la géographie brésilienne dans le cadre du long XXème siècle influencé par les caractéristiques particulières et spatiales du Brésil. Le Brésil est un espace scientifique spécifique au sein de la communauté internationale.

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A partir de cette idée, la formation de la géographie brésilienne doit être vue comme une réponse particulière aux tensions anciennes qui touchent l’ensemble des sciences. La géographie brésilienne a surgi à l’intérieur du processus d’érosion des valeurs littéraires, sur la voie d’une science plus planificatrice et plus consciente de sa méthode. Appuyés sur une géohistoire, nous cherchons à démontrer que l’activité de Pierre Monbeig dans la formation de la géographie brésilienne est connectée aux mouvements et tendances d’une science mondialisée, dans une alliance avec la France, mais participant parallèlement aux débats mondiaux. La construction intellectuelle et matérielle de la géographie au Brésil n’a pas débuté dans une tour d’ivoire et sa formation ne peut être vue que comme partiellement indépendante vis-à-vis d’une science mondiale.

Les historiens de la géographie sont divisés sur la question des temporalités de la modification de la pensée française par sa rencontre avec l’espace brésilien. La compréhension des emprunts dans cet espace d’échanges est controversée. Certains soulignent une rupture de la pensée géographique à laquelle Pierre Monbeig s’est formé, et qui aurait émergé sous sa plume après être arrivé sous les tropiques.

Monbeig, doté d’une grande intelligence et d’une grande mobilité intellectuelle, a cherché à adapter toute sa pensée au Brésil, où il devrait agir et former de nouveaux cadres.(...) En étudiant notre pays, il abandonne pratiquement l’utilisation de catégories très chères à Vidal de La Blache, comme le "genre de vie" et utilise l’expression classes sociales, puisque les groupes humains, dans une société comme celle de São Paulo dans la première moitié du XXème siècle, qu’il a étudiée, étaient organisés en classes sociales et non en genres de vie. (ANDRADE, 1994, p.79)

Par ailleurs, il y a ceux qui atténuent le discours de la rupture : « Souvenons-nous que Monbeig est un disciple légitime de l’École Française de Géographie. Il est vidalien, et en tant que tel, il cherchera toujours à voir comment et de quelle façon les groupes humains vont interagir avec leur milieu naturel. » (DANTAS, 2005, p.66). Ces débats ne concernent pas seulement le Brésil. Ils éclairent la façon dont la géographie française s’est constituée hors de France. Il s’agit d’inclure la possible formation de ces écoles dans le même espace Atlantique, au moyen d’échanges, de déplacements de pratiques et de concepts. C’est une manière de s’emparer de cette dynamique de formation, dans une trame tissée dans la circulation et avec une analyse à plusieurs échelles des hiérarchies mondiales et des jeux de pouvoir entre les différentes communautés scientifiques.

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- Méthodologie

La géohistoire peut contribuer à l’explicitation du processus de constitution des savoirs. La raison en est qu’elle résume les apports d’une géographie empirique à l’échelle du monde (BRAUDEL, 2002 [1949]). La géohistoire situe la circulation au cœur de ses analyses ; elle les combine à une conception dialectique des temps historiques, basée sur l’idée de longue durée, des conjonctures et des événements (BRAUDEL, 1992). Dans cette thèse, la trajectoire de Monbeig sera confrontée à d’autres mouvements longs ou conjoncturels de la science française et mondiale. C’est à travers cette articulation que nous pouvons construire une longue durée du processus de constitution des savoirs. La trajectoire de Monbeig, atteinte par les aspects de la constitution d’un champ historique, spatial et de terrain, est touchée par des mouvements de longue durée.

- Déterminismes et longues durées

Le vide, l’immensité et l’ouverture des frontières sont les caractéristiques de l’espace brésilien qui conditionnent les thématiques, les jeux de négociation et d’adaptation des théories de la géographie française au contexte brésilien. La compréhension du pays, avec de telles contraintes, semble avoir été un objectif pour Monbeig. Dans une perspective géohistorique, il conviendrait de se demander sur quoi sont fondées les rythmes de transformation de ce champ scientifique. Outre les déterminismes brésiliens, trois résistances influent sur l’œuvre de Monbeig.

Nous avons, en premier lieu, un conflit interne à la culture scientifique française. À partir de la fin du XIXème siècle, apparait un antagonisme d’une part entre le développement de formulations théoriques venues du regard porté par les sciences naturelles sur la réalité (et qui ont pris leurs origines dans les rénovations des sciences allemandes) et d’autre part le poids de la tradition littéraire française. Ce conflit devient toujours plus explicite au cours de l’institutionnalisation des sciences sociales en France, à la fin du XIXème siècle (LEPENIES, 1996).

Explication et description, systématisations et narrations, universalité et particularité, sont les différentes facettes de cette tension, qui ont été à plusieurs reprises les principales invitées dans les débats des historiens de la géographie. Des valeurs scientifiques structurent de telles divisions : de la part des scientifiques influencés par la rénovation des sciences naturelles, nous avons une « obsession pour la méthode », pour des « questions de classification », une « terminologie précise », un « enseignement

11 spécialisé », un « gain en précision et en objectivité », une « doctrine », une « conscience méthodologique » (LEPENIES, 1996). De la part de ceux qui s’appuient sur l’irréductibilité de la réalité, notamment les hommes de lettres, nous relevons la croyance dans des valeurs d’ « illusion du dogmatisme », d’importance de l’ « esprit français », de la « brillante rhétorique », de « sensibilité linguistique », de « style ». Ce rapport de forces fait partie de la longue tradition de la culture scientifique française (LEPENIES, 1996).

La tension entre les formes d’écriture logiques et littéraires a pleinement concerné la géographie (ROBIC, 1991, p.53). Cette dualité s’explique par la position qu’elle occupait au moment de son institutionnalisation. Elle était divisée entre le succès auprès du public que les pratiques géographiques antérieures avaient suscité (par exemple, la géographie d’Élisée Reclus), une insertion universitaire davantage liée à une discipline littéraire (l’histoire) – en opposition à la philosophie, qui a plus soutenu la sociologie – et les pratiques qui suscitaient un goût pour l’exploration, pour l’intérêt colonial et pour la planification de ces zones (ROBIC, 1991, p.54). Ceci a conformé une « épistémologie du mixte, ou mieux de l’entre-deux, du passage » (ROBIC, 1991, p.54). L’expression « description raisonnée » condense cette « stratégie de recherche » (ROBIC, 1991, p.55), où sont incorporées l’explication et la description que le terme « géo-graphie », appelait, étymologiquement, à valoriser (ROBIC, 1991, p.55). Ainsi, la géographie s’est située entre l’ « empirisme » et le « constructivisme », la « description pure » et l’ « explication » (ROBIC, 1991, p.57). Avec une faible inclinaison épistémologique, le paradigme s’est définit comme « méthode critique » (ROBIC, 1991, p.59). Vidal de la Blache tente d’établir la géographie comme une espèce de passage entre « le monde de l’expérience et celui de la raison scientifique » (ROBIC, 1991, p.59). Néanmoins, les pratiques des géographes n’étaient pas non plus exemptes d’un certain goût pour la généralisation, une application systématique d’une méthode, puisqu’elles s’interposaient entre la science et le public, entre l’expérience et l’explication, en ajustant dans cette zone du sensible l’intégration d’un raisonnement plus abstrait sur l’ensemble de la Terre (ROBIC, 1991, p.65).

Toutefois, et en général, les sciences se distancient de plus en plus de la littérature et des valeurs qu’elle véhicule et le canon du savoir migre peu à peu vers une plus grande systématisation du discours et de l’usage appliqué de la méthode (LEPENIES, 1996, p.13). Les sciences qui se veulent mondiales s’essaient à la construction d’un système d’équivalences. Le mouvement d’objectivation au travers de la circulation est aussi un

12 mouvement qui tend à la systématisation de l’enseignement et de l’usage de la méthode. Mais le mouvement n’est ni linéaire ni irréversible (LEPENIES, 1996, p.13).

Une seconde zone de conflit de longue durée s’étend de façon particulièrement importante pour les études mixtes entre les sciences naturelles et les sociétés. Il s’agit de l’opposition entre le caractère pratique, utilitaire et engagé, qui tend à une division de l’expertise en spécialisations et techniques, et l’étude totale, désintéressée, vue d’en haut, qui ne se mêle pas aux demandes du politique. Le XXème siècle a été marqué par la fin des utopies, par la technicité des savoirs et par la favorisation d’une culture d’experts (DOSSE, 2013).

Mais le développement excessif de cette conception a mené à l’effondrement de tout un projet humain global et à une propension à la domination de la société par des experts qui se soustraient au contrôle démocratique grâce au monopole de l’information, ce qui a également pris des proportions excessives. La technique a créé beaucoup de mal- être. De cette façon, il y a eu une tension, avec également des avancées et des reculs, entre un projet désintéressé ou planificateur, global ou fragmenté, totalitaire ou démocratique, en fonction des gains et des reculs de ces deux perspectives. Nous verrons que Pierre Monbeig se positionne aussi au sein de ce conflit.

Marie-Claire Robic nommera ce pragmatisme croissant des géographes « tentation de l’action » (ROBIC, 1996b). Elle nous aide à définir les différentes situations dans lesquelles les géographes se sont engagés. Ainsi, une première forme d’engagement des géographes peut être vue comme un premier acte d’éloignement de cette science désintéressée. Mais étant la plus ancienne, c’est aussi la mieux adaptée aux valeurs littéraires. Il s’agit d’une discipline qui véhicule les valeurs nationales : « ancrée dans le système scolaire, la géographie savante se reproduit dans ses grandes lignes » (ROBIC, 1996b, p.28). Une science tournée vers l’enseignement s’apparente déjà à une forme d’ « engagement » (ROBIC, 1996b, p.37). Cette situation cède la place à une autre, après la Première Guerre mondiale, qui a inauguré un « nouveau champ de pratiques » (ROBIC, 1996b, p.30), basée sur la promulgation de la loi Cornudet, « qui rend obligatoire la confection de plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension des villes » (ROBIC, 1996b, p. 30) et sur la création de l’Institut d’Histoire, de Géographie et d’Economie Urbaines de la ville de Paris, à la fin de l’année 1916. Un troisième type de pratique, développée après la Première Guerre mondiale, était celle de quelques géographes, tant du côté des syndicats que de celui des patrons, dans l’intention de 13 travailler en faveur d’une « expansion économique » (ROBIC, 1996b, p.35). L’année 1935 marque un nouveau virage : « une évolution sensible de la recherche universitaire (...) lorsque se développe un ensemble d’institutions de recherche (...) para-universitaires tournées vers les problèmes contemporaines » (ROBIC, 1996b, p. 40), comme, par exemple, la fondation Rockefeller et la création du Conseil universitaire de la recherche sociale au sein de l’Université de Paris (ROBIC, 1996b, p.40). Au sein de ce Conseil était actif Albert Demangeon (le premier directeur de thèse de Pierre Monbeig) qui a dirigé «les trois grandes enquêtes sur l’espace rural français (…) » (ROBIC, 1996b, p. 40). Il était profondément impliqué dans la recherche de solutions pour la sortie de la crise agricole qui s’est installée après la crise de 1929 (ROBIC, 1996b, p.41). Cette action commence à changer le statut épistémologique de la géographie car Demangeon conçoit une pratique scientifique basée sur une « enquête systématique » (ROBIC, 1996b, p.41). Ce type de pratique accompagne la conception d’une géographie utile à l’expansion économique des nations. En même temps, l’usage d’une méthode systématique commence à éroder les narrations et les descriptions. Enfin, dans la période qui nous intéresse et qui incorpore la trajectoire de Monbeig jusqu’en 19571, un nouveau temps aura pour effet de grandes transformations épistémologiques. Sous le gouvernement de Vichy, l’idée d’une planification territoriale se concrétise finalement (ROBIC, 1996b, p.43). En 1941, est créée la Délégation Générale à l’Equipement National (DGEN) ainsi que le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (ROBIC, 1996b, p.43). Des expressions comme « organisation de l’espace », « action d’aménagement », « géographie active », « géographie appliquée » prennent plus d’importance. André Cholley, qui sera le directeur de thèse de Monbeig, après la mort de Demangeon, est le personnage-clé de ce virage :

Le Guide de l’étudiant en géographie publié en 1942 par Cholley est une excellent révélateur des tensions nouvelles qui agitent la géographie dans cette décennie. Or, sans être systématisés, ses propos sapent par plusieurs côtés la géographie annaliste. Le Guide recèle un ensemble de positions que remettent en cause le paradigme en orientant fermement la géographie vers une discipline anthropocentrique, c’est-à-dire vers une science finalisée par les perspectives d’une organisation de la planète au profit de l’homme [c’est nous qui soulignons] (ROBIC, 1996b, p. 45)

1 L’année 1925 correspond à l’entrée de Pierre Monbeig à la Sorbonne. En 1946 il revient du Brésil. Jusqu’en 1957, il va condenser ses principales oeuvres et articles sur le Brésil. Un peu après cette date, il commencera à s’intéresser à l’Amazonie et à l’Amérique Latine. 14

Pourquoi cette tendance à mettre l’homme au centre de la production de l’espace a-t-elle fragilisé, de notre point de vue, le statut mixte de la géographie et son ancienne tendance au style littéraire ? Nous avons vu à quel point le style littéraire s’appuyait sur le particulier. La nature était, pour ces géographes, une source de réalités irréductibles. Par contre, l’homme comme acteur économique détenteur du capital, et comme acteur politique est moins influencé par les conditions du milieu. Il développe une pratique systématique et mondiale dans un contexte de standardisation des paysages.

Cholley prône donc une finalisation de la discipline, qui, dans ses conséquences extrêmes, rompt avec les ambiguïtés de la géographie vidalienne, brise le dualisme géographie physique-géographie humaine qui a été institué au début du siècle dans les Annales de Géographie, et retrouve curieusement la position d’un M. Dubois, partisan, contre le doublet géographie humaine-géographie physique, d’une ‘géographie’ sans épithète. La crise du paradigme vidalien se traduit alors par l’adoption de la position adverse (ROBIC, 1996b, p. 46).

Pierre Monbeig subit-il les effets progressifs de ce long mouvement qui amène à une crise du paradigme vidalien ? C’est une question à laquelle il nous incombe aussi de répondre au long de cette thèse, si nous nous préoccupons des durées. Robic met en lumière des « modèles d’exploration des relations entre les sociétés et leur environnement » (ROBIC, 2001b, p. 86) qui sont contemporains et en compétition sur la période qui nous intéresse. Le troisième mouvement de longue durée est l’explicitation d’un paradigme méthodologique. Les deux premiers paradigmes auxquels Robic apporte un éclairage sont encore des paradigmes vidaliens. Le troisième peut se défaire de cet épithète. Ils ont tous été élaborés à la fin de la première moitié du XXème siècle. D’abord, « le modèle du ‘pays’ où l’on restitue avant tout l’ingéniosité infinie de l’homme et des sociétés, dans une version idiographique de la démarche géographique, celle qui restitue la diversité des adaptations hommes-milieu » (ROBIC, 2001b, pp. 86-87), qui était diffusé parmi les vidaliens « orthodoxes », entre les décennies 1910 et 1930. Deuxièmement, un autre modèle, qui a marqué les premiers textes de Jean Brunhes (1910), mais qui perd de l’importance au fil de sa carrière : « l’autre, proche de la méthode expérimentale qui le fascine [Brunhes], qui vise à généraliser des relations hommes- milieu à partir de cas-témoins » (ROBIC, 2001b, p.87). Le troisième paradigme est vu par Robic dans les études d’Etienne Julliard comme antithèse du modèle des vallées isolées :

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Antithèse du val, le Carrefour: un lieu interconnecté, mouvant, en relation horizontale avec tous les autres lieux du monde formant l’espace géographique, se substituerait au lieu aux relations verticales de la géographie classique, qui manifeste le rapport nature- culture au sein du milieu géographique (…) Il repense aussi le concept de ‘milieu’ : il invalide la causalité naturelle, en soulignant combien le milieu géographique est ‘artificiel’. (…) Ce faisant, de manière quelque peu prométhéenne, Julliard met l’homme aux commandes, renversant la solution de J. Brunhes et, avec elle, le déterminisme environnementaliste qui hante les consciences de ses contemporains, tel Le Lannou (ROBIC, 2001b, p. 89).

Ainsi, un troisième mouvement de profondeur représente la façon dont l’héritage de Vidal de la Blache passe par des processus de systématisation, avec des postures orthodoxes ou hétérodoxes, ou allant même jusqu’au refus de cet héritage vidalien. Ces trois éléments de longue durée s’articulent de façon complémentaire dans le but de comprendre le type de science qui se forme petit à petit tout au long du XXème siècle, dans la longue durée, dans les conjonctures, dans les trajectoires individuelles et dans la circulation des discours, des pratiques et des artefacts scientifiques. Le passage d’une posture littéraire à une posture modélisatrice, avec des gradations, d’une science désintéressée aux différentes formes d’engagement pratique, avec des avancées et des reculs, d’un paradigme vidalien à sa rupture, peut exprimer la manière dont les intellectuels comprennent les nouvelles réalités qu’ils cherchent à étudier.

- Conjonctures et trajectoires

En ce qui concerne les conjonctures, il faut comprendre qu’elles accélèrent les processus et révèlent les fissures des tensions de longue durée, favorisant les ruptures. La conjoncture principale a trait à la diffusion et au rayonnement de la géographie française au Brésil avec l’émergence de groupes d’intellectuels brésiliens. Ils s’unissent pour contribuer aux processus de rénovation de la science et de formation d’une école. Mais il y a une tension entre la volonté d’autonomie de ces groupes et leur intégration dans les projets de l’État qui mène à une science plus aménagiste, cela dans le contexte du capitalisme tardif. Mello définit le capitalisme tardif comme un moment (tardif) dans lequel le capitalisme trouve en terres latino-américaines les conditions de sa reproduction (MELLO, 1991, p.31).

(...) la dernière décennie du XIXème siècle et les trois premières du XXème siècle peuvent être vues comme une époque de redéfinition de l’identité nationale (...). Une redéfinition réglée, il est vrai, par la pensée d’une partie infime de la population. Le ‘regard vers

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l’intérieur’ de ce groupe a impliqué, néanmoins, la critique envers une société structurée autour des relations sociales esclavagistes, c’est-à-dire, le rejet du passé-présent, ce qui défiait l’élaboration d’une rationalité qui établisse les propositions de valorisation nationale. Il a également impliqué le ‘regard vers l’extérieur’, l’adoption d’une ‘raison classificatrice’ qui établit, dans le même temps, l’appartenance du Brésil à l’ensemble des nations ‘progressistes’, terme qui désignait à l’époque les pays industrialisés et leurs différences par rapport à ces mêmes nations. C’est ceci qui a servi de porte d’entrée aux idéologies scientifiques qui ont dominé la scène intellectuelle de l’époque, dans le sens de l’établissement d’une ligne de séparation entre le Brésil colonial et le Brésil ‘moderne’. (MACHADO, 2012, p.310).

L’œuvre et les pratiques de Monbeig subissent l’influence du contexte de la formation de l’État brésilien, de la formation d’un mouvement de consolidation de l’identité nationale du Brésil, qui commence à s’intensifier dans les années 1920 et 1930, de l’impact que le capitalisme tardif va avoir dans ces territoires et de l’urgence de la participation d’une élite lettrée aux discours sur la modernisation.

De tels débats n’avaient pas lieu dans un vide géographique. Ils étaient alimentés par la subite expansion des voies de communication et par la croissance urbaine, provoquant des questions concrètes et pratiques de gestion qui exigeaient de nouvelles idées et savoirs. La construction de voies de chemin de fer, l’introduction de la navigation régulière de bateaux à moteur, l’amélioration des communications avec l’Europe via la construction de câbles télégraphiques sous-marins, les travaux de modernisation des ports, des ponts, des canaux, indiquent l’intensification des relations avec le marché international et le début de la réorganisation interne du territoire. (MACHADO, 2012, p.311).

Dans un contexte de capitalisme tardif, l’histoire de la géographie brésilienne laisse entrevoir comment ce champ de connaissances, en contact avec la réalité concrète, a contribué à accélérer la formation de l’État avant celle de la nation, « inversant le lien traditionnellement noué entre l’identité et le territoire dans le monde moderne » (MORAES, 2009, p.24). Généralement, les liens entre Nation-Territoire-Etat, apparus après la Révolution Française, ne se sont pas reproduits dans les pays coloniaux, mais se sont construits à l’inverse : État-Territoire-Nation. Au Brésil, le monde intellectuel a collaboré à la construction de la nation et de l’État (MORAES, 2009).

Toutes ces conjonctures amènent Pierre Monbeig à des prises de décision face aux tensions de longue durée. Au Brésil, la transformation des paysages mobilise les ressources littéraires, mais la nécessité de contribuer à la formation de l’État appelle à une

17 plus grande systématisation méthodologique. D’autre part, les difficultés du Brésil éveillent chez les intellectuels la tentation de l’action, et certains d’entre eux n’ont pas évité les formes pratiques d’engagement. Une science aux solutions particulières prend forme sous les tropiques.

- Organisation de la thèse et sources

Les tensions de la longue durée, les conjonctures et les trajectoires parcourent tout ce travail de thèse. Les analyses sont faites à trois niveaux et nous visons à les articuler à tout moment. Cependant, la temporalité qui guide l’organisation et le découpage de la thèse est la trajectoire de Monbeig. Dans le premier chapitre, intitulé, Pierre Monbeig et les séductions d’une jeune science : engagements et transitions de la Géographie (1925- 1929) nous discutons de la formation universitaire de Pierre Monbeig, des raisons qui l’ont amené à choisir la géographie, et de la manière dont de tels choix reflètent ses positionnements face aux tensions de longue durée. Le deuxième chapitre Un géographe face à la mondialisation : les problèmes globaux d’une géographie en quête de reconnaissance internationale (1930-1935) aborde la façon dont ses études doctorales sur l’Espagne sont déjà insérées dans la compréhension des processus de modernisation capitaliste des territoires et de rayonnement de la géographie française. Le chapitre trois Les plans de Pierre Monbeig pour le Brésil : les racines françaises dans l’organisation de la géographie brésilienne (1935-1940) montre que la construction d’une méthodologie déterminée par les caractéristiques de l’espace brésilien reposait sur l’organisation institutionnelle de la géographie et que, en ce sens, les stratégies institutionnelles aussi sont circulantes et relatives à des lents processus historiques. Le chapitre 4 Le projet de recherche sur les franges pionnières et leurs espaces de référence (1935-1940) : une première « redéfinition » du Brésil cherche à comprendre comment Pierre Monbeig a formulé ses problématiques de recherche en harmonie totale avec le processus d’actualisation des méthodes dans des problématiques mondiales et comparées. Le cinquième chapitre, intitulé Comment un jeune professeur français acquiert-il de la légitimité au Brésil ? (1937-1946) discute du processus de construction de l’autorité de Pierre Monbeig au sein de la géographie brésilienne et de la façon dont il ébauche une compréhension de la formation de l’identité et de l’autonomie de l’école brésilienne de géographie en donnant des réponses spécifiques au développement des tendances de longue durée, en particulier celle qui concerne la normativité croissante de la méthode et des doctrines. Enfin, le chapitre 6 Le Brésil et les propositions méthodologiques de Pierre

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Monbeig (1940-1957) : une géohistoire du capitalisme périphérique et une lecture géographique du sous-développement et le chapitre 7 La résistance des valeurs littéraires dans le cadre d’une approche idiographique de l’avancée du capitalisme au Brésil (1938- 1953) touchent, en premier lieu, aux ruptures par rapport à la méthode, en contact avec le terrain brésilien et ses principaux fruits, notamment l’élaboration de raisonnements systémiques qui soutiennent une interprétation géographique du sous-développement. À ce moment-là, nous notons un recul des stratégies épistémologiques face à la résistance des descriptions littéraires.

Nous avons commencé par une collecte d’abord peu sélective de tous les types de sources, primaires ou secondaires. La définition progressive de la problématique de la thèse, à l’aide de la bibliographie secondaire, a permis la sélection de l’ensemble des sources puis son dépouillement. Néanmoins, la maîtrise de la manipulation des sources n’est pas simple, surtout quand elles abondent. Nous avons passé un certain temps à les sélectionner et les intégrer autour d’une problématique théorique. La thématique de la contribution de Pierre Monbeig au formatage disciplinaire de la géographie brésilienne a été induite par la vaste collecte des matériaux et par la façon dont ils pouvaient être au mieux employés. La rédaction n’a pas vu de différenciation entre les sources primaires et secondaires. Toutes ont été articulées en fonction de notre argumentation.

Nous avons effectué nos recherches dans le Fonds Pierre Monbeig, situé dans l’Institut d’Etudes Brésiliennes (IEB), dans la bibliothèque du Centre de Recherche sur les Politiques Publiques de l’Université de São Paulo, dans les archives de l’actuelle administration de la Faculté de Philosophie de l’USP, dans les archives de l’administration centrale de la Sorbonne, dans les archives du Fonds Fernand Braudel de l’Institut de France, au Collège de France, dans les archives personnelles de la famille de Pierre Monbeig, dans les archives diplomatiques du Ministère des Affaires Étrangères français, dans les archives périodiques de la Bibliothèque Mário de Andrade, dans les archives de l’Association des Géographes Brésiliens, dans le Fonds Caio Prado Jr, également situé à l’IEB, dans le Centre de Soutien à la Recherche en Histoire, dans les annuaires, les bulletins, les journaux et revues de l’époque, entre autres.

- Un géographe français sous les tropiques

Avant d’entrer dans le développement de notre démonstration, il convient d’ébaucher une rapide présentation biographique de Pierre Monbeig. Le futur géographe

19 est né à Marissel en 1908, dans la banlieue de Beauvais, dans le département de l’Oise, en France (CLOUT, 2013, p.54). Après des études primaires et secondaires, il obtient en 1928 son diplôme d’études supérieures (CLOUT, 2013, p.55). Il est reçu à l’agrégation à l’âge de 21 ans (CLOUT, 2013, p.56), et, immédiatement, Albert Demangeon l’incite à débuter une thèse de géographie humaine sur les Iles Baléares (CLOUT, 2013, p.56) qu’il débutera puis abandonnera. En 1930 et 1931, Monbeig fréquente la Casa de Velázquez, en Espagne. En 1935, il est invité par Henri Hauser et George Dumas à donner des cours de géographie et d’histoire au Brésil, dans l’Université de São Paulo, récemment fondée. Monbeig rentre du Brésil en 1946 et défend sa thèse principale, « Pionniers et Planteurs de São Paulo » en 1950, obtenant le titre de docteur à la Sorbonne. Cette même année, il exerce déjà la fonction de professeur de géographie coloniale à l’Université de Strasbourg, quand il devient professeur titulaire de cette discipline dans cette même université (ANDRADE, 1994, p.75). De retour à Paris en 1952, il prend en charge la chaire de géographie économique au Conservatoire National des Arts et Métiers, où il enseignera pendant 9 ans. C’est alors, en 1961, qu’il est nommé professeur de géographie humaine à la Sorbonne (ANDRADE, 1994, p.75), fonction qu’il cumule avec celle de directeur de l’Institut des Hautes Études de l'Amérique Latine (ANDRADE, 1994, pp.75- 76).

La géographie française comme la géographie brésilienne est passée, dans les premières décennies du XXème siècle, par des transformations épistémologiques liées aux évènements de la période. La Révolution de 1917, l’ascension du fascisme, la Première Guerre mondiale, la crise de 1929, la fin des empires, la Seconde Guerre mondiale ont corroboré la perception de Hobsbawm selon laquelle il s’agissait d’un siècle qui avançait de catastrophe en catastrophe. (HOBSBAWM, 1995, p.16). Mais c’était un monde qui avançait aussi pour trouver des solutions d’ordre global, et dans lequel se développait des liens de solidarité entre des peuples qui ne croyaient presque plus aux solutions faciles : « pour la première fois dans l’histoire, l’Age d’Or avait créé une économie mondiale unique (...) » (HOBSBAWM, 1995, p.19). La solidarité économique a permis la construction d’une science toujours plus universelle (HOBSBAWM, 1995, p.506).

Pour cette raison, le XXème siècle est un siècle qui va faire disparaître beaucoup d’éléments traditionnels de la géographie. La géographie brésilienne participe à ce mouvement ce qui rompt avec l’idée commune de la géographie comme science tournée vers l’intérieur (MACHADO, 2012). La géographie brésilienne acquiert un caractère de

20 plus de plus spécifique mais participe aussi aux mouvements de rupture et consolidation d’une économie mondiale, ainsi que d’un ordre scientifique mondial.

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Chapitre 1 Pierre Monbeig et les séductions d’une jeune science : engagements et transitions de la géographie (1925-1929)

L’objectif de ce chapitre est de résoudre les énigmes en rapport avec le point de départ de la trajectoire de la formation de Pierre Monbeig, comprendre comment cette trajectoire révèle les tensions de la géographie, et comprendre pourquoi ce jeune étudiant, tout juste sorti du lycée, avec peu ou presque pas de culture académique, à l’esprit ouvert, engagé et attentif aux changements qui agitaient le début du XXème siècle, a choisi l’histoire et la géographie (à l’époque enseignées ensemble) comme domaine de prédilection de ses études, dans le contexte de sa formation à la Sorbonne entre 19252 et 1928.

Enfin, il nous incombera d’analyser les appropriations méthodologiques essentielles de cette période formatrice vécue par Monbeig en termes de conflits et de tensions de longue durée qui influent sur la géographie française : la tendance à la systématisation croissante de l’enseignement et de l’application d’une méthode, l’érosion du style littéraire ou sa résistance, la tendance à la constitution d’un nouveau champ de pratiques planificatrices, la mobilisation plus ou moins explicite d’un paradigme vidalien systématisé, les relations de causalité qui sont l’expression de l’usage de la méthode.

Les études de géographie ne jouissaient pas d’un grand prestige au sein des études littéraires pour l’intelligentsia française (MEYNIER, 1969). Son volume horaire à la Sorbonne ne s’élevait qu’à un quart de celui des études historiques, et professeurs et étudiants faisaient face à des défis théoriques de consolidation de la discipline et de sa méthode (MEYNIER, 1969). Paulo Cesar da Costa Gomes, géographe brésilien, définit la période comme une atmosphère de formation « extrêmement formaliste et rigide » (GOMES, 2006, p.223). Comment une situation pareille aurait pu séduire des jeunes étudiants ?

2 Il y a une incertitude sur la date exacte de l’entrée de Pierre Monbeig à la Sorbonne. Certains auteurs disent 1924, d’autres 1925. Nous optons pour 1925 car c’est le plus logique en fonction de la date de l’obtention de son diplôme. 22

1- L’impact de la Première Guerre mondiale : l’aggiornamento de la géographie et l’occupation des postes d’enseignement par la « génération du feu »

Durant la Première Guerre mondiale, les géographes universitaires prennent plus d’espace dans les médias, agissant en experts et répondant aux questions qui émergent dans l’opinion publique (GINSBURGER, 2010, p.708). Bien que la science française soit relativement timide dans ce mouvement de constitution d’une expertise, la guerre a transformé le rôle des géographes dans la société, et par conséquent, le quotidien de tous ceux qui s’insèrent dans ce domaine à partir de ce moment-là.

Selon Ginsburger (2010), les géographes actifs dans le contexte de la guerre deviendront des chercheurs et des penseurs engagés, connaisseurs de nouveaux terrains qui apparaissaient comme des laboratoires de géographie politique tout juste découverts, « contribuant à changer, plus ou moins profondément, la nature même de la discipline » (GINSBURGER, 2010, p.912). Le bilan des transformations de la discipline géographique dans la période postérieure à la Première Guerre mondiale est assez vaste :

découverte de nouveaux paysages par le tourisme forcé des années de guerre, retour d’un dynamisme séduisant avec l’installation de nouveaux maîtres influents, actualité de la géographie comme discipline reine d’une période marquée par des problématiques brûlantes de changement frontaliers et de tensions géopolitiques ? Toujours est-il que la guerre (…) fournit, en faisant naître de nouvelles problématiques, le terreau du développement d’une sorte de ‘génération du feu’ dans la géographie française comme allemande [c’est nous qui soulignons] (GINSBURGER, 2010, pp.819- 820).

Cette génération va contribuer à la rénovation du discours politique, promouvoir une véritable inflation des postes de professeurs universitaires et secondaires et va aider à rénover la discipline à partir de problématiques plus engagées sur les problèmes du monde (GINSBURGER, 2010, p.795). Et, bien qu’ils aient déjà incorporé une grande partie des bienfaits du modèle scientifique allemand, ils participaient d’un mouvement de retour à l’exaltation du génie français.

Un personnage qui a aussi été mobilisé pendant la guerre, à l’âge de 36 ans, Fernand Maurette, aura un fort impact sur l’attraction que la géographie exercera sur Pierre Monbeig. Maurette non seulement contribuera à l’effort de guerre, mais sa spécialisation dans le champ de la géographie économique le posera en expert important

23 dans les milieux gouvernementaux français (CARRUPT, 2015, p.73). Son œuvre sera utilisée par Monbeig dans ses premiers cours à l’Université de São Paulo, en 1936, ce qui nous amène à penser que le contact avec l’œuvre de cet intellectuel s’était produit lors de ses études universitaires, ou même avant.

Les phénomènes économiques modernes sont les processus les plus actifs d’une certaine homogénéisation du monde, motif pour lequel leur entrée dans le discours géographique devient un principe de rénovation épistémologique. C’est également pour cette raison que le dernier des paradigmes, selon par les mots d’Etienne Julliard, place l’homme au centre des relations géographiques. Ainsi a eu lieu, après la Première Guerre mondiale, une rénovation des thématiques géographiques et des champs d’expérience vécus par ces géographes autour de la géographie économique. Ceci a eu lieu tant dans les universités que dans les lycées, un peu avant que Monbeig ne soit admis à la Sorbonne. Quel est l’impact de ces changements sur l’enseignement et sur la méthodologie de la géographie ?

2- La géographie enseignée dans les lycées de l’époque des études secondaires de Pierre Monbeig : une géographie patriotique ?

Un autre élément qui peut être à l’origine de l’attraction exercée par la géographie et l’histoire sur un Pierre Monbeig encore en cours d’études secondaires, est les effets de l’action d’Albert Demangeon dans les milieux de l’éducation secondaire. A partir de 1899, le futur professeur de Monbeig à la Sorbonne joue un rôle actif dans la revue pédagogique Le Volume (WOLFF, 2005, p.149). Demangeon sera responsable de la divulgation d’une conception de la discipline patriotique et engagée.

Dans ses articles spécifiquement géographiques (il produira aussi des articles pour les professeurs d’histoire), ce qui ressort est justement l’effort de reformuler la pédagogie de l’enseignement : « Albert Demangeon insiste plus qu’en histoire sur les questions pédagogiques. Deux idées reviennent fréquemment: d’abord la géographie est une discipline de réflexion et d’éducation, et accessoirement de mémoire.» (WOLFF, 2005, p.163). Il faut ajouter que, outre la critique de la pédagogie de la mémorisation, il insiste sur le rôle d’enseignement concret et pittoresque que peut avoir la géographie (WOLFF, 2005, p.165). Il donne aussi la primauté au discours déterministe (WOLFF, 2005, p.169), en privilégiant l’échelle régionale, qui allait unifier toutes les branches de la géographie

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(physique, humaine et économique) mais en même temps il insiste sur la puissance transformatrice de l’action humaine sur son milieu naturel. (WOLFF, 2005).

En effet, Albert Demangeon a contribué à la diffusion, parmi les professeurs, d’une version actualisée de l’enseignement géographique, dans ses aspects pédagogiques et politiques : « le souci du pittoresque ne doit pas faire oublier des préoccupations plus élevées. L’enfant qui sera citoyen demain ne peut ignorer les grands faits économiques, les grandes découvertes qui changent la face du monde» (DEMANGEON cité par WOLFF, 2005, p.166). La géographie de Demangeon se veut sensible à la compréhension de la standardisation du monde sur le plan économique.

Les documents primaires nous aident également à dessiner le cadre des transformations de la période. Deux principales réformes scolaires marquent l’enseignement secondaire du début du XXème siècle : une en 1902 et l’autre en 1925. Ainsi, à l’époque où Pierre Monbeig fréquente l’enseignement secondaire, probablement entre 1918 et 1924, les programmes en vigueur sont ceux de 1902.

En 1905, le ministère de l’Instruction Publique publie une circulaire qui complète la réforme de 1902. Selon le document officiel, les changements suggérés visent à considérer la demande élaborée directement par les professeurs pour aborder plus en profondeur le thème des principales puissances mondiales : « cette décision répond au voeu émis par les professeur d’histoire de nos lycées et collèges » (B.A., nº 1684 et 1689, t. LXXVIII, p.713. Circulaire du 28 juillet 1904, complétée par l’arrêté du 28 juillet 1905).

L’approche géopolitique des intérêts de l’État français devient progressivement plus économique. Il est à noter que le thème de la « colonisation » (au sens de mise en valeur) apparait déjà, à cette époque, comme un sujet d’importance majeure dans les études sur le Brésil : « République Argentine et Brésil : géographie physique et économique ; développement de la colonisation » (B.A., nº 1684 et 1689, t. LXXVIII, p.713. Circulaire du 28 juillet 1904, complétée par l’arrêté du 28 juillet 1905).

Un document important est produit en 1925 sous le titre Instructions Relatives à l’Enseignement de l’Histoire et de la Géographie. Le troisième thème, dénommé « La Géographie moderne », ébauche la justification suivante : « Peu de sciences ont sans doute fait plus de progrès à notre époque que la géographie. C’est seulement depuis environ un demi-siècle qu’elle a pris vraiment conscience de son objet et déterminé

25 la méthode (…) » [c’est nous qui soulignons] (Instructions relatives à l’enseignement de l’histoire et de la géographie).

Comme nous le voyons, l’adhésion à une géographie tournée vers les intérêts géopolitiques français devient toujours plus économique, plus planificatrice et plus consciente de sa méthode. La géographie de l’enseignement secondaire français est une discipline qui s’oriente vers les intérêts politiques de l’État, ce qui pèsera aussi dans les choix de Monbeig.

3- Les origines et les influences familiales : un esprit engagé en phase avec les évolutions de la géographie

Le choix de la géographie et de l’histoire ne s’est pas fait exclusivement par affinités théoriques. Les postures politiques et l’origine sociale se reflètent également dans les positions occupées dans le domaine (BOURDIEU, 1976). Pierre Monbeig était d’origine modeste. Fils de professeurs, sa mère le poussait à suivre une licence d’anglais, tandis que son père l’encourageait à choisir l’histoire. Après avoir reçu son enseignement primaire à la maison, il suit des études secondaires d’abord au Lycée Montaigne puis au Lycée Louis-le-Grand, deux lycées réputés de Paris. La question financière a compté dans son choix, l’amenant à faire passer en priorité la stabilité que lui apporterait la carrière de professeur, et à suivre la profession de ses parents (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p.27-28).

Ses origines modestes et son souci des questions sociales ont orienté Pierre Monbeig vers l’histoire et plus encore vers la géographie. Il s’agissait d’une discipline dotée d’un recrutement plus démocratique, sans l’exigence du latin, ce qui rendait possible une plus grande diversité des origines sociales et une évolution de carrière moins exigeante (CHARLE, 1994).

Je crois que c’est dû essentiellement au fait que si l’on s’oriente vers la géographie, et surtout vers la géographie économique et humaine, quand on est jeune, c’est presque toujours parce qu’on est attiré par certaines préoccupations de type social. Et on se trouve renforcé dans ses convictions par le fait même qu’on a commencé à faire de la géographie. Je suis toujours très étonné de découvrir des collègues qui font de la géographie humaine et qui sont réactionnaires : je ne le comprends pas. Le recrutement des étudiants de géographie a toujours été plus démocratique que celui des autres disciplines, particulièrement que celui des économistes, et même que celui des historiens. Peut-être il faudrait chercher du côté de Saint-Cloud et de la licence sans latin. Mais même autrefois,

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même lorsque j’étais étudiant, je crois que les étudiants qui préféraient la géographie à l’histoire étaient généralement d’une origine plus modeste et généralement d’opinion politique beaucoup plus marquée vers la gauche que vers la droite. Je crois que de par leurs origines, de par leur famille, de par la vie de leurs parents, tantes, cousins, de par toutes leurs attaches, ils étaient beaucoup plus près du travail manuel. » [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG In BATAILLON, 1991, p. 33).

C’est à l’université que Pierre Monbeig a connu sa future épouse, étudiante en histoire, Juliette Janet. Les relations de Monbeig, en particulier celles engagées après cette rencontre, indiquent une proximité avec des intellectuels littéraires et scientifiques importants de son époque, alors que sa propre famille le rapprochait plus des milieux modestes.

Figure 1 : Famille Monbeig

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Figure 2 : Famille Janet

En attente de permis de diffusion

Photo 2. Les parents de Pierre Monbeig, lui et son frère. Source : archives de Marianne Hano Monbeig.

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En attente de permis de diffusion

Photo 3. Pierre Monbeig enfant. Source: Archives de Marianne Hano Monbeig.

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4- L’admission à l’université et les différentes dynamiques institutionnelles de l’enseignement d’histoire et géographie : début d’une forme de distanciation vis-à-vis des disciplines littéraires

A cette même période, en 1925, Pierre Monbeig est admis à la Sorbonne en histoire et géographie. Jusqu’alors, la matière géographique était considérée comme une science auxiliaire de l’histoire. Néanmoins, au vu de la différence de structure organisatrice des deux disciplines, il devient clair que la géographie prépare, depuis la fondation de l’Institut de Géographie de la Sorbonne, en 1925, son autonomie. En passant par un processus de consolidation de ses structures institutionnelles et par une actualisation de son corpus de savoirs, la géographie se tourne plus que jamais vers une approche des problèmes contemporains. Un des thèmes d’intérêt majeur des professeurs et étudiants était, selon Robic, le processus d’émergence des grandes villes (ROBIC, 1996b). Contrairement à l’histoire, la géographie développe une culture d’explication de la modernité.

Cette nouvelle proposition institutionnelle et méthodologique a permis, en réalité, une tentative d’inversion des forces en jeu. D’une science auxiliaire, la géographie commence alors à représenter une branche de connaissances qui pourrait englober les principales méthodes de l’histoire, promouvant une espèce de complémentarité entre les questions historiques et contemporaines, entre les archives et le travail de terrain, entre la méthode historique et la capacité d’observation. D’après un collègue de Monbeig, Pierre George :

La géographie m’assurait cette complémentarité puisqu’à l’époque il fallait utiliser les archives et faire pour une part un travail d’historien, et l’associer à une observation à la fois des phénomènes de longue durée que sont les réalités naturelles et des phénomènes de courte durée que sont les réalité sociales. Il m’est apparu tout naturel, sans tourner les dos à l’histoire, de devenir géographe. (GEORGE in BATAILLON, 1981, p. 124)

En contrepartie, le contexte intellectuel des cours d’histoire de la Sorbonne est celui d’une crise du métier d’historien. L’organisation du cours d’histoire n’a pas subi de grandes altérations depuis 1898 et ses méthodes étaient plutôt dépassées (CHARLE, 1994). Les restructurations universitaires de cette discipline se limitaient, depuis le

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XIXème siècle, à l’intensification des processus d’évaluations et à l’augmentation du nombre d’étudiants (GÉRARD, 1983, p.81).

D’autre part, la fondation de l’Institut de Géographie en 1925 permet à ses directeurs de s’appuyer sur des modèles récemment réformés (nous pensons ici à l’exemple que peut nous fournir l’Université de Strasbourg, qui était passée par d’importantes réformes après la domination allemande). Ainsi, l’Institut de Géographie se situe à un croisement des modèles institutionnels allemand et français, qui sont l’expression des méthodes les plus avancées des différentes façons de faire de la science. Comment l’organisation de l’Institut révèle-t-elle à la fois d’importants changements et des tensions résistantes ?

En regroupant des intellectuels dont les trajectoires diffèrent, le modèle de l’institut permettait et stimulait le travail en commun (FRIEDMAN, 1996, p.97). De plus, les cours étaient conçus sous forme de séminaires, s’assimilant aux travaux collectifs des laboratoires où se partagent les expériences d’acteurs dont les dialogues déconstruisent une conception rigide de la hiérarchie académique. Les travaux pratiques étaient privilégiés aux cours magistraux. La Faculté de Lettres est aussi conçue comme un centre d’enseignement des langues modernes au détriment de celui des langues antiques ou orientales (FRIEDMAN, 1996, p.96).

De même, l’organisation des bâtiments et du matériel révélait une nouvelle stratégie de développement de la science française : la réunion d’œuvres provenant de divers pays contribuait à l’amplification des zones d’influence de cette géographie. Elle augmentait toujours plus sa possibilité de construire un discours sur le monde, par la réunion d’informations sur ses différentes parties. Les discours qui réunissent ces considérations sont en vogue à partir du surgissement des grandes crises mondiales. Ainsi, ils font partie des discours sur la modernité.

Dans la version complète de la thèse, nous présentons quelques données sur la rénovation pédagogique, institutionnelle et matérielle amenée par l’inauguration de l’Institut de Géographie. Les géographes qui mèneront ce mouvement de modernisation de la géographie sur les plans théorique, matériel et institutionnel sont justement ceux qui seront les professeurs de Pierre Monbeig à la Sorbonne. Emmanuel de Martonne et Albert Demangeon aussi contribueront fortement à la construction de l’Institut.

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A l’occasion d’un échange universitaire en Allemagne en tant que boursier, Emmanuel de Martonne, le directeur de l’Institut de Géographie à la période où Pierre Monbeig le fréquente, avait assimilé des pratiques de recherche qui seront dans le futur intégrées au contexte de rénovation institutionnelle, mais aussi scientifique, sans négliger le fait que la tradition littéraire française reste indispensable, tout en subissant déjà des adaptations toujours plus significatives en raison de l’incorporation du modèle allemand.

On le voit, par ce souci du côté pratique, l’enseignement géographique allemand tend à donner aux étudiants non seulement des idées, des principes généraux, mais surtout des moyens de travail, des instruments de recherche scientifique personnelle. C’est un enseignement tourné peut-être moins vers le passé que vers l’avenir, moins préoccupé de ce qui est acquis que de ce qui reste à acquérir. On veut préparer les élèves non seulement au raisonnement géographique, mais encore et surtout à la recherche des faits qui servent de base á ce raisonnement. On en veut faire des praticiens plutôt que des méthodologues. – Ces tendances sont particulièrement marquées dans l’école de Vienne et comme elles sont à peu près l’opposé des tendances de notre enseignement, on comprend quel peut être l’intérêt pour le jeune géographe français. Prédisposé par son éducation littéraire et philosophique à envisager les choses de haut, à s’attacher aux idées plus qu’aux faits d’où elles sortent, aux grands liens de cause et effet qui enchainent les phénomènes géographiques plutôt qu’à ces phénomènes eux-mêmes, il y apprendra le goût de la recherche minutieuse, et les moyens pratiques d’élargir le champ de son expérience, ce qui est par suite élargir le champ de ses idées. Il pourra réunir les avantages de deux genres d’esprit et d’enseignement tout différents, et qui se complètent pour ainsi dire (DE MARTONNE, 1898, p. 259).

Par cette citation, il est évident que Emmanuel de Martonne conçoit la géographie française comme étant à mi-chemin entre les études pratiques et les grandes constructions théoriques. Les théories devaient être élaborées avec rigueur empirique, narrées avec expressivité littéraire et une vue « d’en haut ». Alors que le modèle d’enseignement allemand est un modèle basé sur la systématisation de l’usage et de l’enseignement d’une méthodologie, et de sa prompte application dans la réalité. L’ouverture au modèle allemand, tout comme un relatif éloignement de l’histoire, non sans le maintien de l’ « esprit français », apparaissait comme prestigieuse et signalait l’internationalisation et la modernisation de l’enseignement universitaire de géographie, ce qui peut avoir contribué à l’attraction de Monbeig pour cette discipline. L’Institut de Géographie a adopté l’articulation de ces deux modèles de science différents et est devenu un lieu préparé à accueillir une science moderne. Il reproduira ainsi la stratégie du mixte épistémologique entre le vernaculaire et le scientifique, entre le désintéressé et le pratique,

32 mais déjà avec des tendances qui trahissait un éloignement des formes littéraires. Après la Première Guerre mondiale, l’Institut cherche à amalgamer ces deux modèles dans un discours d’autonomie par rapport aux pratiques d’enseignement en France.

5- Les stratégies de reproduction du savoir. L’Institut de Géographie et l’esprit de groupe des disciples de Vidal de la Blache

Cependant, les évolutions vers l’application, la planification et la conscience méthodologique ne se produisent d’un seul coup et la géographie française conserve son originalité paradigmatique. Cette originalité participe sans doute de l’esprit de cohésion du groupe des vidaliens. La nouvelle structure qu’est l’Institut, le développement de cours pratiques, l’inauguration de bâtiment renforcent cette cohésion de la communauté géographique dans une atmosphère enthousiaste (BROC, 1983, p.247).

L’Institut de Géographie était un lieu essentiel de formation et représentait une victoire importante de la conception méthodologique des disciples directs de Vidal de la Blache. En effet, il existait des controverses théoriques dans le contexte d’institutionnalisation de la géographie. Le projet alternatif était celui de Marcel Dubois, qui avait même proposé la création d’un laboratoire à la Sorbonne sous sa direction, et qui occupait une des plus anciennes chaires en tant que successeur de l’historien A. Himly. Il ne donnait pas la priorité à un enseignement associé aux sciences naturelles, au contraire des vidaliens (ROBIC, 2001a).

En développant la « géographie coloniale » pour laquelle il était nommé en Sorbonne, M. Dubois divergea cependant par rapport à ses camarades normaliens restés proches de Vidal de la Blache, les , B. Auerbach, puis Emmanuel de Marronne (…). La divergence concernait leur projet, orienté pour l'un vers une discipline de l'action et pour les autres vers une science plus contemplative (Robic, 1998 ; Soubeyran, 1998). L’un de leurs différends concerna les relations avec les sciences naturelles: Dubois se refusa à une alliance étroite avec les sciences naturelles et, surtout, au primat de la géologie. (ROBIC, 2001a, p. 83).

Olivier Soubeyran montre à quel point la géographie coloniale de Marcel Dubois se distingue du point de vue paradigmatique de la géographie vidalienne. La pratique planificatrice et la liberté d’action de l’homme sont au centre de cette controverse :

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L’article [sur ‘La Dombes’, de Lucien Gallois] cristallise en une dizaine de pages, ce qui deviendra exemplaire de la pensée géographique française : le parti pris géologique, l’enchaînement déterministe, linéaire, abouti, nécessaire, d’une relation entre l’homme et le sol. Une approche où les découpages de l’espace qui sont produits par l’histoire et la politique dénaturent ce que la nature avait uni. Une vision non-planificatrice, qui se veut haute et désintéressée, où l’on décrit ce qui est par rapport à ce qui a été, où les actes d’aménagement et d’ingénierie récents réparent essentiellement les erreurs du passé pour retrouver l’harmonie que nous dictait la division naturelle. (SOUBEYRAN, 1997, p. 115).

Avec les citations de Robic et Soubeyran, nous observons que la centralité de l’action humaine articulait les paradigmes géographiques de différentes manières. Une géographie plus strictement humaine était moins contemplative et plus inclinée à l’action. C’était surtout avec le naturalisme qu’était privilégié le discours littéraire. Mais nous pouvons nuancer la posture des professeurs vidaliens. Ils développent des approches méthodologiques, ne refusent pas les orientations pratiques de la discipline et ne s’interdisent pas d’aborder des questions coloniales (CLERC, inédit).

De plus, un saut qualitatif de la production intellectuelle de la période est rendu possible grâce à la centralisation des structures institutionnelles. Selon Emmanuel de Martonne (le deuxième directeur de l’Institut après Lucien Gallois), « cette interprétation délicate suppose non seulement des connaissances variées, mais une méthode. Et c’est évidemment dans un centre universitaire que cette méthode peut être mieux définie, conservé par la tradition, perfectionnée et développée» (DE MARTONNE, 1927, p.407).

Ainsi, l’Institut représentait également un élément d’autonomie et de stabilité de la pensée géographique française, dans la mesure où il garantissait la transformation et la transmission de la méthode. Les stratégies épistémologiques se mêlent, mais tendent à l’érosion de l’influence des Lettres et à la transparence des procédures.

6- L’enseignement universitaire de géographie à la Sorbonne aborde les problèmes du monde contemporain

Dans l’enseignement de géographie, un premier cycle d’études durait de deux à trois ans et prodiguait la connaissance de notions géographiques dites « fondamentales » : un enseignement de géographie physique générale administré par Emmanuel de Martonne, et un cours de géographie économique (de deux ans) dirigé par Albert Demangeon. Le cours était complété par des « exercices pratiques » et fournissait, à la

34 fin, un certificat de « géographie générale » et un autre de « géographie économique » (DE MARTONNE, 1927, pp.407-408).

Les termes utilisés illustrent bien ce qui touche à la conception de la géographie de l’époque. La partie physique était orientée vers l’initiation aux fondamentaux de la discipline. La partie humaine, elle, s’orientait visiblement vers l’économie. Meynier parle de la primauté de la géographie physique dans la formation des étudiants, une branche de la géographie qui alimentait le discours naturaliste et littéraire (MEYNIER in BATAILLON, 1981, p.130-131). Les études de géographie physique étaient suivies, comme par une conséquence naturelle, par les études de géographie humaine. Dans cette autre branche de l’enseignement, le témoignage de l’étudiant Pierre Vilar atteste de la manière dont le processus de rénovation institutionnelle a été accompagné de l’actualisation méthodologique qui tournait autour des défis de compréhension des problèmes contemporains :

Mais il faut bien dire que jusqu’alors les grandes questions dont nous devinions, plus ou moins confusément, qu’elles domineraient notre siècle, ne nous étaient guère posées qu’à travers les leçons de nos maîtres géographes : démographie, migrations, colonisations, pôles de développement industriels et urbains, transformations des modes de production agricole, progrès de l’énergétique et, plus proches encore de l’histoire vivante que nous sentions palpiter, crises du monde britannique, avenir des grands espaces américains, éveil des masses d’Asie, naissance des plans soviétiques (VILAR, 1962, p. 12).

Après la période d’initiation aux fondamentaux, les étudiants de géographie étaient dirigés vers le cours de géographie régionale, qui comprenait des études sur la France. Ensuite, l’approfondissement des études géographiques s’orientait vers une partie de l’Europe et, enfin, culminait dans de grandes extensions extra-européennes (DE MARTONNE, 1927, pp.407-408). Le cours n’était pas, ceci dit, de caractère encyclopédique, ni localement restreint. De par sa structure, c’était par-dessus tout la méthodologie qui primait.

L’analyse de la période de formation de Pierre Monbeig à l’Institut de Géographie de la Sorbonne au sein du cours d’histoire et de géographie ne change pas fondamentalement la périodisation du développement de la discipline dans l’entre-deux- guerres tracée par Robic, mais aide à la nuancer : « les potentiels de rénovation de la discipline contenus par la période des années quarante et les aspirations à un aggiornamento exprimées alors de façon multiforme sont sans commune mesure avec ce

35 qui précède” (ROBIC, 1996b, p.27). L’organisation de l’Institut de Géographie et l’enseignement qui y est dispensé paraissent anticiper cette conjoncture de rénovation, dans la mesure où l’Institut a contribué à accélérer la vague d’actualisation de l’attitude scientifique des géographes et la professionnalisation de la géographie, offrant de nouvelles possibilités d’activités et une attraction renouvelée pour cette discipline.

7- Les excursions : attribut essentiel d’une méthode géographique encore invisible, ainsi que d’une vie sociale motivante

Les excursions jouent un rôle essentiel dans la formation des géographes et dans l’attraction de certains étudiants pour ce cours. Surtout en multipliant les exercices typiquement géographiques, elles font entrer les étudiants dans le sujet sans qu’une discussion épistémologique ne soit nécessaire. Ainsi, les excursions contribuent à l’invisibilité du paradigme : « cette invisibilité du paradigme serait particulièrement effective probablement dans cette discipline du premier 20e siècle dont on connaît la faible ‘appétence’ pour l’introspection épistémologique. » (ROBIC, 2006c, p.153).

Cette invisibilité a longtemps été la marque de la géographie française et, bien qu’elle ait essuyé de sévères critiques de la part de certains géographes contemporains, elle appuie alors l’argument de la flexibilité de la méthodologie adoptée par les professeurs de géographie. Puisque cette invisibilité du paradigme était reproduite en priorité par la géographie physique, ne mènerait-elle pas au renforcement du statut descriptif de la géographie ?

(...) une formation à la discipline qui s’opère en général non par la formulation de règles, dans un discours explicite et autonomisé, mais plutôt par l’instigation à la pratique d’exercices codifiés, progressivement complexifiés, au travers desquels l’étudiant est conduit à partager le paradigme de la communauté scientifique qu’il rejoint. Cette formation par imprégnation produit l’invisibilité du paradigme pour ses pratiquants (ROBIC, 2006c, p. 153).

Et cette invisibilité méthodologique est signalée par Monbeig lorsque qu’il se remémore et évalue de telles expériences :

Les excursions de géographie n’étaient jamais exclusivement de géographie humaine, même faites par Demangeon, car, dans ce temps-là, un géographe humain pouvait encore faire de la géographie physique sans dire trop de bêtises. Elles consistaient surtout dans des visites d’exploitations agricoles, en des analyses de paysages ruraux, sur le terrain, en visites d’usines. Demangeon posait des questions pour essayer de nous entraîner un petit

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peu à l’art de la question. C’était essentiellement ça. Ni Demangeon, ni de Martonne ne se préoccupaient d’initier leurs étudiants à la recherche. Le goût venait tout seul, et on n’était pas du tout poussé par les patrons. Mais quand on allait les voir pour préparer le Diplôme, c’était autre chose ; là, ils nous prenaient en main (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p. 28).

D’autres étudiants de l’époque, comme Julien Gracq, soulignent aussi l’invisibilité méthodologique d’une science jeune, encore ouverte aux influences d’autres disciplines et à l’emprunt de modèles. Tous les inconvénients d’une production intellectuelle flexible pour les uns3 lançaient de stimulants défis pour les autres :

Quand je pense à mes années d’étudiant, je me réjouis de la chance qui me fit choisir une discipline toute jeune, et presque à l’état naissant, comme l’était alors la géographie, cependant que tant de mes camarades s’engageaient dans l’ornière sans imprévu et sans horizons de l’épigraphie latine ou de l’archéologie grecque. Le fondateur, Vidal de la Blache, était mort depuis douze ans à peine. De Martonne, son gendre et successeur, et Demangeon étaient en plein exercice ; en fait, la géographie moderne, sortie du néant depuis une quarantaine d’années à peine, avait l’âge à peu près de la psychanalyse et de la sociologie. Nulle part le cordon ombilical, n’était coupé ; di côté de la géologie, du côté de l’histoire, du côté de l’économie, de la météorologie, de l’agronomie, des sciences politiques même, elle s’alimentait toujours librement. (GRACQ, 1992, p. 149)

De cette façon, les excursions sont la marque d’une méthodologie qui valorise le concret, et dont le faible niveau d’abstraction est caractérisée par des expressions telles que « description explicative », « vue raisonnée », « savoir regarder » (ROBIC, 1996a, pp.358-359) qui s’intègrent subtilement au discours vernaculaire. Dans une tentative d’esquiver les simplifications, mais tout en préservant ses rares avantages, on peut conclure que le travail de terrain était la pierre angulaire de la géographie physique. Il alimentait les descriptions et les recours à l’expressivité littéraire. C’est dans une telle occasion que pourrait se trouver le cœur de la reproduction des valeurs littéraires. Les excursions renvoient à un des plus chers héritages de Vidal de la Blache (ROBIC, 1996a, p.362).

3 Malgré les séductions de cette jeune science, quelques étudiants se sont acheminés vers une critique philosophique de fond. C’est le cas de Pierre Vilar. Il relate l’impression selon laquelle les facteurs naturels perdaient progressivement leur importance pour décrire les processus sociaux : “Dès 1931, à l’occasion du Congrès International de Géographie, je fus amené à montrer comment, tout à l’opposé de ce qu’avaient trop rapidement avancé quelques géographes, les débuts de l’utilisation hydroélectrique des fleuves espagnols apparaissaient presque comme un défi aux suggestions naturelles. Ce n’était pas le potentiel hydroélectrique pyrénéen qui avait déterminé, pour le noyau industriel catalan, l’élan du XXe siècle : c’est l’existence du noyau industriel catalan qui avait décidé – et presque dans des conditions d’improvisation, lors des pénuries énergétique des années 1914-1917- de la contruction des grandes centrales. (…) En un mot, tout ramenait à l’histoire. » (VILAR, 1962, p. 14). 37

D’autre part, les excursions jouent un rôle peut-être encore plus séduisant : le contact social avec les collègues ! Pierre Monbeig ne se dispense pas du contact avec ses « camarades », des réunions et des échanges d’expériences dans des environnements libérés des pressions académiques et de la concurrence entre collègues lors des recherches d’archives (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p.27).

C’était à la rencontre de deux modèles scientifiques que se transforme la géographie française dans le contexte plus large de l’environnement intellectuel français. D’un côté avec la tendance au style littéraire, nous avons une période marquée par l’invisibilité de la méthode, par sa flexibilité, par le rôle primordial de la géographie physique dans l’initiation aux fondamentaux, par des pratiques contemplatives, mais toujours plus liée aux intérêts interventionnistes de l’Etat, par le goût pour le travail de terrain et du concret.

Du côté de la science, il y a un engagement dans les problèmes humains qui sont au cœur du monde et d’une géographie humaine naissante, une impulsion vers l’action, une rénovation des thématiques, une rénovation des méthodes d’enseignement avec une plus grande systématisation et une rénovation institutionnelle inspirée du modèle allemand. C’est le contexte initial de la période de formation de Pierre Monbeig à la Sorbonne.

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Photo 4. Pierre Monbeig et ses collèges devant l’Institut de Géographie. Photo trouvée par Denis Wolff dans les archives d’Albert Demangeon.

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Photo 5. Professeurs et étudiants à l’occasion d’un travail de terrain. Pierre Monbeig est la premier étudiant à partir de la gauche. Photo trouvée par Denis Wolff dans les archives d’Albert Demangeon.

8- Une initiation à l’ « invisible » et l’apologie du caractère pratique de ces études. La géographie humaine à l’avant-garde des transitions ?

Avec une faible appétence méthodologique, de Martonne explicite la méthode en négatif : la géographie n’aspire pas à l’établissement d’une limite fixe avec les autres sciences. De même, elle ne revendique pas un partage précis de la réalité concrète qui séparerait les domaines de géographie des autres. Elle ne s’emploie pas non plus à approfondir l’enseignement de modèles et de concepts qui apportant une vision aprioriste de la réalité : « vouloir définir une science par des principes posés a priori, vouloir assigner des limites exactes à son champ d’investigation, est une entreprise toujours téméraire» (DE MARTONNE, 1925, p.3). L’expression qui s’employait de façon récurrente était « principes de méthode ».

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Ainsi, du point de vue de l’enseignement de la méthode, la géographie, avec la formulation de « principes », s’oriente en partie vers une délimitation de frontières avec d’autres disciplines, en partie aussi vers l’adoption de modèles et d’une myriade de concepts, sans abandonner pour autant sa langue vernaculaire, sans renoncer non plus à la compréhension de la totalité. Les valeurs littéraires n’ont pas été délaissées malgré de nouvelles formes de rationalisation.

Du côté de la géographie humaine, la prédominance du facteur humain fait pencher la balance épistémologique vers l’action. La contribution d’Albert Demangeon au Livret d’Étudiant (1926) explique que les disciplines traditionnellement enseignées sont en partie à l’origine de la défaite de 1870-1871. Un débat public serait né autour de l’actualisation des programmes, de la suppression de l’enseignement des langues mortes, comme le grec et le latin, et de l’inclusion de disciplines orientée vers une culture générale contemporaine. La géographie serait une proposition intéressante pour rompre avec les études classiques :

C’était pousser bien loin l’ardeur de la lutte et vouloir détruire des disciplines sans lesquelles on ne conçoit guère de vraie culture. Mais la tendance était significative : il s’agissait de renoncer à l’étude exclusive du passé et de se tourner davantage vers le monde moderne (DEMANGEON, 1926, p. 378).

Les disciplines « modernes » sont celles qui tournent autour de connaissances orientées vers la résolution pratique des problèmes contemporains. Selon ce géographe, tant l’objet que l’attitude scientifique du géographe sont les fruits d’une conception « moderne » du monde, c’est-à-dire qu’ils donnent lieu à une perception rétrospective des problèmes qui affectent la Terre : « c’est à la fois pas son objet et par sa méthode que la géographie peut jouer dans l’enseignement le rôle d’une forte culture » [c’est nous qui soulignons] (DEMANGEON, 1926, p.379).

En effet, selon Demangeon, le mode de production de savoir systématisé sous forme de principes généraux doit sa formulation à une observation du monde contemporain : «par sa méthode propre de localisation, de description et de comparaison, elle fait surgir une source originale de travail spirituel » [c’est nous qui soulignons] (DEMANGEON, 1926, p.379). Après la Première Guerre mondiale, la solidarité entre les parties du monde produit un regard rétrospectif sur les formes d’interaction. C’est une définition qui se démarque clairement de la prise de pouvoir des phénomènes humains dans le remodelage des paysages. Demangeon parle de culture

41 matérielle mondiale, de l’imposition de l’unité du monde par les conquêtes de la civilisation et de l’isolement des sociétés battu en brèche. Comme cela s’est vu dans l’exemple de l’ancienne géographie coloniale, c’est l’autonomisation de la géographie humaine qui tend à désarticuler la stratégie du mixte :

Pénétrant dans le cerveau des jeunes gens, cette discipline y entretient des notions sans lesquelles on peut dire qu’il n’existe pas d’esprit cultivé. Pratiquement, matériellement, la notion de l’unité du globe s’impose à nous. Le développement et la vulgarisation de certaines conquêtes de la civilisation ont fait du monde une vaste société où personne ne peut ni travailler, ni agir, ni penser, ni vivre isolément. Jadis, chaque pays se suffisait à lui-même ; c’étaient seulement quelques produits de luxe qui s’échangeaient. Aujourd’hui nous transportons d’un hémisphère à l’autre les objets élémentaires (…). [c’est nous qui soulignons] (DEMANGEON, 1926, p. 385-386).

Demangeon conçoit que, depuis la Première Guerre mondiale, les flux et les échanges présents sont source d’un plus grand dynamisme que les héritages et permanences du passé (d’où l’importance des principes de localisation, connexion, extension, comparaison et causalité) et renforce l’intégration mondiale : « nous savons aussi que, si nous [les professeurs] leur enseignons [aux élèves] ces faits, nous fortifions en eux cette notion du présent, de l’actuel, inséparable de la notion de mouvement, d’action » [c’est nous qui soulignons] (DEMANGEON, 1926, p.386). Il commence donc à tendre vers une géographie de l’action, séparée des postures contemplatives du naturalisme et du style littéraire.

9- La géographie apportait de nouvelles propositions historiques à la Sorbonne. Henri Hauser, l’histoire économique et l’action de l’homme sur son milieu

Pierre Monbeig attribue son orientation aux idées de l’historien Henri Hauser : « Je vous ai déjà cité le nom d’Henri Hauser avec qui ma femme avait fait son Diplôme (...). » (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p.30). L’attirance de Henri Hauser pour la géographie a influencé Monbeig. En effet pour Hauser, la géographie était pratique et permettait d’éclairer les questions du monde contemporain. Quand Henri Hauser arrive à la Sorbonne comme professeur d’histoire, son bagage géographique n’est pas méconnu.

En ce qui concerne son engagement, Henri Hauser n’a jamais caché son attirance pour les idées de Karl Marx, il a donné une visibilité historique aux ouvriers, fréquemment oubliés du courant historiographique dominant, il s’est fait le fidèle

42 propagateur des valeurs de la Troisième République et, entre 1916 et 1919, il est le conseiller actif d’Etienne Clémentel, ministre du Commerce et de l’Industrie (DAVIS, 2006). Quant à ses relations avec la géographie, outre la production de divers manuels de géographie pour l’enseignement secondaire et une proposition interdisciplinaire avec l’article La géographie humaine et l’histoire économique (1906), il a même occupé des postes de professeur de cette discipline (GERBOD, 2006, p.35). Cette valorisation de l’action humaine surgie des affinités avec le marxisme peut avoir aidé, de la même façon, à affaiblir les valeurs littéraires de la discipline.

10- Les appropriations méthodologiques de Pierre Monbeig à partir de son travail sur les effets de la métropolisation parisienne (1929)

Toutefois, le mouvement d’érosion des valeurs littéraires et celui du renforcement de l’intervention pratique et de l’explicitation méthodologique n’est pas sans nuance pour Monbeig. Même sous l’influence de Demangeon et de Hauser, il ne se désintéresse pas des valeurs des ressources littéraires, alors qu’il est encore étudiant. C’est cette mixité épistémologique qui l’attirait. Comment la stratégie de l’association du discours vernaculaire au discours scientifique va-t-elle se manifester dans son premier travail ?

Pour son travail final présenté à la Sorbonne, Pierre Monbeig se consacre aux effets de la métropolisation parisienne dans les pays d’Yvelines. Au-delà de l’effort de reconstruction d’après-guerre, le contexte d’intervention dans les questions urbaines oriente aussi des carrières (ROBIC, 1996b).

Le choix de la question métropolitaine se trouve au croisement des attraits pour des approches pratiques et d’une sensibilité aux débats épistémologiques de l’époque. L’étude des pays était l’expression des accommodations personnelles et collectives face aux anciennes et nouvelles traditions de la science française qui alimentaient la géographie. Et son étude tourne autour du débat sur l’échelle et le découpage régionaux appropriés pour mener à bien les études géographiques (OZOUF-MARIGNIER, ROBIC, 2008).

Occupant une chaire de géographie et de topographie à la Sorbonne depuis 1904, titularisé professeur en 1909, et nommé directeur de l’Institut de Géographie en 1927, Lucien Gallois a fait prendre connaissance à la communauté de géographes de l’existence

43 de plus de juxtapositions que de divergences entre l’unité physique des pays et les nomenclatures vernaculaires. Il révèle ainsi l’existence de régions géographiques unifiées par la géologie, l’économie et l’identité. D’autre part, un tel débat dévoile une certaine conception de la science (OZOUF- MARIGNIER, ROBIC, 2008) :

(...) Lucien Gallois n’a pas moins participé à plusieurs des ‘batailles’ par lesquelles la géographie s’est imposé selon les traits constitutifs de l’école française de géographie. Il s’est engagé d’abord dans les débats du Congrès international de géographie de Paris en 1889, pour défendre une géographie structurellement mixte, pourrait-on dire. En effet, le camps des normaliens y a fait bloc contre une coalition de pédagogues et de militaires défenseurs d’un enseignement de la géographie locale, fondé sur l’étude de la carte d’état- major et sur un déterminisme géologique strict. Cette posture mixte s’exprime dans les voeux que Dupuy, Camena d’Almeida, Gallois et le président de séance, Vidal de la Blache, ont contribué à faire voter par la commission pédagogique : pour une géographie combinant la connaissance locale avec une vue générale du monde, qui soit inscrite en facultés des lettres mais qui entretienne des relations ‘organiques’ avec les divers savoirs naturalistes, qui maintienne un contact étroit avec l’histoire en restant dans le giron de l’agrégation d’histoire et de géographie plutôt que de constituer une agrégation spécialisée. [c’est nous qui soulignons] (OZOUF- MARIGNIER, ROBIC, 2008, p.xviii, xix)

Pierre Monbeig utilise la méthode dessinée par Gallois, ce qui l’a inscrit dans une stratégie tour à tour vernaculaire et scientifique. Intégrant l’idée de l’invisibilité du paradigme et de son processus de découverte, Monbeig n’écrit aucun préambule méthodologique pour ce travail final. S’y ajoute le fait que l’attachement de la géographie au travail de terrain et aux archives est lié d’une certaine façon à la conception naturaliste annoncée par Lucien Gallois. D’un autre côté, dans le sillage d’Albert Demangeon, l’histoire s’organise surtout de manière rétrospective et dans une tendance à la compréhension des problèmes contemporains.

Il a recours à une rétrospective temporelle pour affirmer que les Yvelines perdent progressivement leur « personnalité » pour devenir une « banlieue » de Paris (MONBEIG, 1929, p.390). La problématique de l’article de Pierre Monbeig sur la métropolisation parisienne repose ainsi surtout sur les effets de la modernisation des espaces, avec une description du passage de situations archaïques à des situations modernes. En d’autres termes, Monbeig observe le phénomène d’adaptation de l’homme à la terre dans la longue durée, qui débouche sur le phénomène de circulation moderne.

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Dans ce mouvement, il valorise les principes d’extension et d’unité en délaissant quelque peu le principe de causalité.

Un changement d’ensemble des anciennes caractéristiques des Yvelines au profit d’une concentration démographique et économique parisienne implique une transformation paysagère basée sur la lutte contre l’isolement relatif et créée une nouvelle dépendance régionale. La spécificité de ces altérations est qu’elles surviennent dans le cadre d’un « recentrage » à l’échelle d’un réseau de circulation international.

Mais, d’autre part, Pierre Monbeig continue de donner la primauté aux contraintes naturelles dans le développement de la nouvelle région économique. De cette façon, quand il décrit la transition de cette région, deux types de causes sont mobilisées : les conditions naturelles et l’ouverture croissante de la région à la vie de relations, à travers de la densification du réseau des transports. Cet enchainement de causes implique l’adoption de deux modèles causaux linéaires explicités dans les figures 3 et 4.

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Figure 3. Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1929), situation 1.- vie traditionnelle. Source : Monbeig, 1929. Org : Lira, 2016.

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Figure 4. Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1929), situation 2- stimulus de la modernité. Source : Monbeig, 1929. Org : Lira, 2016.

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Les premières études ne placent pas Pierre Monbeig dans le camp du raisonnement purement idiographique. Pour nous, cet état transitoire est une singularité de la période : si, d’un côté, la rencontre de la « personnalité » régionale se place comme un objectif pour Monbeig, de l’autre, une posture « comparatiste » est adoptée par des géographes de l’époque. Albert Demangeon, selon Robic, a été l’instigateur de la construction de questionnaires qui puissent guider les travaux de terrain (ROBIC, 1996a, p.382) ce qui, selon la même auteure, marquait, chez ce géographe, une orientation comparatiste de la géographie. Ainsi, pour Orain et Robic, Albert Demangeon et Emmanuel de Martonne, professeurs de Monbeig, adoptent un style moins subjectif, plus analytique, plus réaliste et relativement réductionniste par rapport aux critères de décodification du paysage, en se concentrant, par exemple, sur la géomorphologie (ORAIN, 2000, ROBIC, 2003, 2006) et l’économie.

Une posture épistémologique qui mélange les caractéristiques idiographiques et nomothétiques, entre l’utilisation des ressources de la littérature, du naturalisme, mais aussi de l’économie, et qui se matérialise par l’adoption d’un embryon de synthèse entre un paradigme naturel et économique, reflète les nouvelles problématiques de la géographie humaine et s’insère dans l’effort de construction, à ce moment, d’une généralité de ses conclusions et d’un modèle économique géohistorique. Une anticipation de ce qui serait le processus d’actualisation de la géographie pour les questions économiques contemporaines, ajoutée à l’invisibilité de la discussion méthodologique, participe des expériences formatrices de Monbeig.

Marie-Vic Ozouf-Marignier soutient que les « mauvais pays », c’est-à-dire les régions telles que les marécages, les forêts, les zones arides, etc., formaient un « terrain » privilégié des géographes qui tentaient de mettre à l’épreuve la question de l’adaptation de l’homme à son milieu : « les mauvais pays révèlent un gradient maximal entre les deux pôles de la relation homme-nature: contrainte ou déterminisme naturel d’une part, liberté humaine et aménagement de l’espace de l’autre. » (OZOUF-MARIGNIER, 2000b, p.73).

Dans cette dualité, différentes postures font ressortir les profondeurs des tensions épistémologiques de la géographie: un premier groupe de géographes (comme Gallouédec, A. Reinaud, C. Vallaux) constate un « progrès inexorable » et le déterminisme naturel est « radicalement invalidé par l’initiative humaine » (OZOUF- MARIGNIER, 2000b, p.80). Un second groupe (comme A. Vacher, E. Chantriot, A.

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Demangeon), plus proche du cercle restreint de Vidal, conclut par un « possibilisme relatif » et souligne, quelques fois, « les handicaps irréductibles du milieu » même si les formes de civilisation et de culture redonnent confiance en l’intervention humaine. (OZOUF-MARIGNIER, 2000b, p.81). Pierre Monbeig se lie au courant de réflexions du second groupe pour qui le déterminisme naturel cohabite dans une relative autonomie par rapport aux formes d’intervention humaine, mélangeant alors les valeurs du paradigme littéraire et du paradigme scientifique.

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Chapitre 2 Un géographe face à la mondialisation : les problèmes globaux d’une géographie en quête de reconnaissance internationale (1930-1935)

Le but de ce chapitre consiste à comprendre comment le jeune étudiant Pierre Monbeig, récemment diplômé de licence et reçu à l’agrégation4 d’histoire et géographie, s’est décidé pour le parcours de recherche en géographie humaine sur l’Espagne, contribuant ainsi à un mouvement d’internationalisation de la géographie française. Notre hypothèse est que l’expansion des thématiques de recherche vers des espaces étrangers à la France s’inscrit dans le mouvement global d’un groupe de chercheurs soucieux d’ouverture internationale.

Après la crise de 1929, la méthodologie vidalienne se heurte aux phénomènes de la mondialisation. Quel est l’impact de ce contexte sur le travail de Monbeig et de sa génération ? Une telle problématique implique quelques débats. Connue comme celle des monographies régionales françaises, la période des années trente a marqué la mémoire des géographes notamment au Brésil. Est-ce que les géographes vidaliens privilégient l’échelle régionale, sont loin du contexte politique, tournent le dos au processus de mondialisation qui s’installe après la Première Guerre mondiale et seraient opposés à la mobilisation sociale ?

L’analyse des études de Monbeig et des personnages impliqués dans ce contexte contribue à déconstruire ce mythe, comme l’a montré Jean-Baptiste Arrault : « Le mythe (géographique) auquel notre propre recherche se confronte tiendrait à l’idée que les géographes français du premier XXe siècle n’ont pas su ou pas pu témoigner des transformations du monde, enkystés qu’ils étaient dans sa dissection régionale, et surtout dans celle de la France. » (ARRAULT, 2007, p.63) C’est un autre scénario qui se dessine. Le même auteur ébauche les principales caractéristiques de la conscience de l’interdépendance globale qui marque cette période, à partir de laquelle il définit le concept de mondialisation « comme un processus de mise en relation et surtout de mise

4 Pierre Monbeig obtient l’agrégation en 1929, un moment qu’il n’oubliera jamais car, outre la rencontrre de sa femme, il y a gagné des amitiés durables (BURGEL, 1991, p. 43). 50 en dépendance des parties du monde entre elles, comme une dynamique de rupture d'isolement » (ARRAULT, 2007, p. 493-494).

La mondialisation est évoquée de deux manières : la première, l’expansion des relations économiques à travers le globe, renvoyant à une standardisation des processus économiques stimulés par le commerce extérieur. En ce sens, la mondialisation est un processus d’avancée et de modernisation des relations capitalistes dans les territoires. La seconde est celle de l’interdépendance que cette économie toujours plus internationalisée génère entre les pays qui y participent, elle rompt avec le paradigme géographique qui cherche à décrire des situations de façon isolée, attribut d’une géographie influencée par le naturalisme.

Les études sur la mondialisation alimentent des pratiques géographiques qui s’éloignent de plus en plus du style littéraire, renforcent la tendance à l’action et dévoilent la méthode qui était jusque-là invisible. D’autre part, l’élaboration de discours sur les phénomènes globaux donne une impulsion à la recherche française dans sa quête de plus grande visibilité sur la scène scientifique internationale. En ce sens, l’articulation de la géographie avec une diplomatie culturelle naissante peut être vue comme une possibilité de révéler un nouvel horizon historique qui traverserait la géographie vidalienne et par lequel son activité internationale serait mise en lumière.

1- Les tensions politiques en l’Espagne et l’adhésion à une idéologie socialiste : regard sur les problèmes et solutions globales

Le texte de Pierre Monbeig sur « La Réforme Agraire en Espagne » a d’abord été publié en 1933 dans les Annales d’Histoire économique et sociale. Ce jeune chercheur est également engagé dans des réflexions pratiques sur l’économie et la question de l’urbanisme, réflexions qui poussent les géographes à l’action (ROBIC, 1996b). Même assise sur une posture critique, l’idéologie socialiste, qu’il allait adopter, ne renforcerait- elle pas les présupposés de l’uniformisation du monde par la civilisation ? Cet engagement vers l’action éloigne les géographes du style littéraire.

L’attachement de Pierre Monbeig aux questions contemporaines et aux influences du contexte politique est indubitable. Selon Ferras, les agitations politiques en Espagne ont eu un rôle majeur dans ses choix (FERRAS, 1991, p.68). Le principal problème

51 espagnol, existant depuis des temps lointains, consistait, à ses yeux, en l’absence de démocratisation de l’accès à la terre : « nous voudrions, en utilisant les études fragmentaire publiées dans les années dernières de parte et d’autre des Pyrénées, essayer de dégager les causes du problème agraire, d’en distinguer les divers aspects et d’indiquer les remèdes qui sont actuellement mis en oeuvre. » (MONBEIG, 1991a, p.75).

La position idéologique de Monbeig ne va pas jusqu’à souhaiter l’abolition de la propriété, mais il salue l’intervention collective et le contrôle étatique, qu’il appelle « un socialisme de droite, pour reprendre les termes de notre topographie parlementaire, un socialisme réformiste » (MONBEIG, 1991a, p.79). Il défend ce socialisme contre les critiques venant de droite et de gauche, en mettant en avant son adhésion à la doctrine, à l’horizon stratégique et au projet (MONBEIG, 199la, p.79).

Et ce n’est pas seulement la situation rurale qui l’intéresse. Les entreprises hydrauliques, dans un ancien pays d’irrigation, commencent également à modifier le paysage urbain et industriel de l’Espagne (MONBEIG, 1930). En 1930, Pierre Monbeig publie l’article « Les transformations économiques dans les ‘Huertas’ et la région entre Alicante et Murcie », dans les Annales de Géographie. L’alimentation en eau de ces régions est le fruit d’une politique étatique.

Ce qui ressort de ces articles, c’est la constatation d’une action politique organisée, que ce soit à travers les syndicats agraires ou via l’Etat, qui provoque un changement sans précédent de la géographie du pays. Les nouvelles zones de colonisation, aux conditions naturelles défavorisées, dépendent davantage du progrès technique et de l’intervention étatique. De tels espaces ont besoin de grands investissements en capital plus qu’en main- d’œuvre, ce qui a pour conséquence la libération de bras pour l’industrie. A ce moment là, Pierre Monbeig choisit un domaine de recherche : les espaces de mise en valeur, où le grand investissement technique devient nécessaire et révèle plus clairement la prééminence de l’action politique dans la conduite des mécanismes de modernisation.

52

2- La géographie après la crise de 1929 et la nécessité de contribuer au rétablissement de l’économie mondiale : la France à la tête des pays latins

La répétition des préoccupations géographiques autour des différents espaces qui passent par des processus de modernisation, est le signe que la France et l’Espagne ont une approche géographique commune dirigée vers l’élaboration des premières généralisations. L’engagement intellectuel et politique de Monbeig guide sa représentation de l’Espagne sous le filtre des intérêts de l’État français, bien qu’ancrée dans des propositions politiques aux tonalités socialistes. Il définit également l’objet de sa recherche en fonction des intérêts économiques de la France. L’état actuel des migrations espagnoles, publié en 1931, est un exemple de cet engagement.

C’est justement la question démographique qui est à l’ordre du jour en France, et ce sont justement les migrations espagnoles qui intéressent ce jeune et novice spécialiste. La question démographique française occupe le centre de la scène dans ces stratégies géopolitiques. Après la guerre, comment inaugurer un nouveau cycle d’expansion économique avec une faible croissance de la population ? C’est la question que se posent les Français (FOHLEN, 1985, p.81).

L’approche de Monbeig plaide pour une influence française sur un espace plus vaste que l’hexagone, dans le contexte de l’après Première Guerre mondiale et de la crise de 1929. En réalité, les processus de construction de points de vue théoriques globaux, de compréhension de la mondialisation, n’échappent pas aux hégémonies et aux rapports de force.

3- La participation de Pierre Monbeig et de la géographie française à la politique culturelle de la France dans la décennie 1930 : une géographie à la hauteur du contrôle de ses aires d’influence

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un impérialisme stricto sensu, la diplomatie culturelle française s’attache aux intérêts économiques et choisit le monde latin comme aire d’influence. Les initiatives d’expansion culturelle sont antérieures à la Troisième République, avec la fondation de l’École française d’Athènes, en 1846 puis celle de

53 l’École de Rome (1873) et de l’École de Madrid (1928) (GRAN-AYMERRICH, GRAN- AYMERICH, 1992, p.175). Pierre Monbeig entrera à l’École de Madrid en 1930, dans la perspective de perfectionner son espagnol et comme soutien institutionnel à ses activités de terrain.

À la Casa Velázquez, Pierre Monbeig se compose un cercle d’amis hispanistes, géographes, artistes et historiens. Parmi eux, Pierre Vilar, qui après des études de géographie se réorientera vers l’histoire pour sa thèse. L’accueil par l’institution permettait des travaux de terrain et des voyages collectifs (DELAUNAY, 1994, p.256).

Les artistes sont les plus nombreux dans la promotion de 1930, dont certains deviendront des pièces maîtresses des relations franco-espagnoles, comme Enrique Igual Ruiz et José Martinez del Cid (Casa de Velázquez, 2006, p.41.). L’effectif des chercheurs oscille entre sept et huit tous les ans, selon la Memoria gráfica 1928-2008 de la Casa de Velázquez. Outre Pierre Monbeig, la promotion 1930 compte l’archéologue Raymond Thouvenot, les historiens Pierre Vilar et Maurice Lombard, et des spécialistes en littérature, comme Charles-Vincent Aubrun (Casa de Velázquez, 2006, p.41).

Une photographie est prise à l’occasion de la présentation des travaux des étudiants de 1930 aux autorités françaises et espagnoles. La légende de la photo révèle la présence de personnalités au sein du groupe des pensionnaires. De gauche à droite, nous voyons : P. Paris, P. Monbeig, J. Sauboa, comte de las Infantas, P. Hannaux, consul général de France, M. Legendre, M. Corbin, ambassadeur de France, M. Benlliure, critique d’art, Mlle Cardona, Dr. Hutet, M. Leroux, M. del Cid, A. Chassemiche, M. et Mme Cheval, G. Caprotti (Casa de Velázquez, 2006, p.43).

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Photo 6. Les élèves de la promotion de 1930 de la Casa de Velázquez. Source : Casa de Velázquez, 2006, p.43 (promotion de 1930).

Cette présentation des travaux des pensionnaires aux diplomates, qui se produit chaque année, resserre les liens entre les étudiants et les personnalités du monde universitaire et diplomatique et comporte un discours officiel d’éloge de l’unité du monde latin. La relation entre jeunes étudiants et autorités espagnoles et françaises, comme avec le consul P. Hannaux, peut avoir contribué à la création d’un réseau de chercheurs liés à la mission de diffusion de la culture française dans le monde. La géographie française participe aux efforts diplomatiques accomplis pour donner l’image d’un pays à la hauteur de son ambition internationale.

4- Le rôle de de Martonne, de l’Union Géographique Internationale et du Congrès international de Paris de 1931 dans l’internationalisation de la géographie française

De fait, Emmanuel de Martonne, professeur de Monbeig, a agi comme un « tisseur de réseaux internationaux » de la géographie française, que ce soit à travers des instituts

55 comme l’Institut d’études hispaniques, ou par d’autres organisations. Ses missions en Allemagne (1898), aux États-Unis (1917) et en Roumanie (1922) marquent un virage de la géographie française : «certes les géographes français peuvent apprendre des méthodes d'enseignement de la géographie en Amérique, mais ce qui est nouveau, c'est que les géographes français peuvent, selon la formule de de Martonne, rendre des services. » (DELFOSSE, 2001, pp.191-192)

De Martonne met en place des conférences de popularisation de la géographie à la radio et dans des revues (DELFOSSE, 2001, p.194). Il est également membre de l’Association française pour l'Avancement des sciences et de l'Académie des sciences où il développe une double stratégie : garantir la place de la géographie au sein des disciplines scientifiques et élargir l’espace des géographes de métier par rapport aux anciens « sages », érudits et amateurs (DELFOSSE, 2001, p.196). Ainsi, le mouvement de « modernisation » des disciplines s’amplifie, en particulier avec la géographie physique, discipline de prédilection de de Martonne.

Quand Emmanuel de Martonne devient secrétaire général de l’Union Géographique Internationale, après le congrès de Paris de 1931, il entreprend une stratégie d’internationalisation qui ne néglige pas les aires latines (DE MARTONNE, 1934, p.277). Ainsi, le choix de Pierre Monbeig pour l’Espagne ne s’est pas fait seulement à partir de l’enchantement que le paysage espagnol exerçait sur lui, des intérêts économiques que la France avait envers l’Espagne, ou de la stimulation de la diplomatie culturelle. Les travaux de Monbeig sont en phase avec le développement de la géographie française et participent à la construction de généralisations géographiques à l’échelle internationale. Ces questions scientifiques sont aussi un enjeu de pouvoir avec des formes d’annexion territoriales au sein du champ scientifique.

Selon Robic, les congrès de l’UGI sont

pour la géographie (…), depuis un siècle et demi (le premier congrès international s'est tenu à Anvers en 1871) l'un des hauts lieux sinon de la production, du moins de la négociation, de la standardisation, de la circulation, parfois de la contestation - finalement de la coproduction de savoirs géographiques [c’est nous qui soulignons] (ROBIC, 2013).

La standardisation de certaines méthodes, réalisées dans un contexte de confrontation, devient progressivement plus explicite. Les congrès avaient une vocation

56 normative et homogénéisatrice des espaces de recherche, visant à établir un « un langage unique de la géographie, [et] créer un système unifié d'équivalences permettant à tous de traduire la donnée locale de la même manière, de se créer, en somme, un espace de travail homogène ». (ROBIC, 2013) C’est un contexte qui tend toujours plus vers une systématisation disciplinaire à l’échelle mondiale.

La réalisation de ces deux moments prouve que les parties prenantes visent à produire un certain consensus. Le congrès constitue donc l'un de ces « centres de concentration» puis de « dispersion» des savoirs vers d'autres savants, des informateurs, le public, et aussi les Etats. Disant par la formulation des questions ce qui est bon et utile, tranchant par des résolutions ou des motions, comme dans un congrès politique, il homogénéise des intérêts et des savoirs de provenance diverse » [c’est nous qui soulignons] (ROBIC, 2013).

Mais la lecture des résolutions des congrès permet de nuancer le niveau d’homogénéisation des méthodes. La géographie française ne met pas encore en place des modèles rigoureusement formulés, mais fait circuler des questions, enquêtes, résolutions. La géographie française de la période vise à la construction de modèles, mais, pour ceci, elle a besoin d’évoluer encore. Jusque-là, elle valorise les systèmes d’équivalence, les traductions et les espaces d’homogénéisation, mais n’élabore pas de modèles prêts à l’application sur différents territoires. En ce qui concerne les travaux de géographie humaine, Lucien Gallois semble conscient de la nécessité de développer des recherches vers des « pays neufs ».

Il paraît indispensable que ces enquêtes soient dirigées. C’est, semble-t-il, des discussions des Congrès que la lumière peut surtout se dégager. En particulier, des communications faites à Paris, il résulte que l’étude de l’habitat rural, comme celle de beaucoup d’autres questions, doit être poursuivie dans les pays neufs et les colonies [c’est nous qui soulignons] (GALLOIS, 1931, p. 584).

Pierre Denis, un géographe vidalien, fait figure de pionnier dans l’étude d’un pays neuf au sein de la géographie française. En 1907, il fut le bénéficiaire d’une bourse d’Albert Kahn pour faire le tour du monde et qui lui a permis de parcourir le Brésil (VELUT, 2009, p.198). Dans la conclusion de son livre sur l’Amérique du Sud dans la Géographie Universelle, au sujet de l’ « unité brésilienne », Pierre Denis a formulé, en 1927, l’idée de l’importance de la colonisation des terres comme élément d’unification du territoire brésilien (DENIS, 1927, p.98). Dans ce contexte, les études sur l’Espagne, une métropole coloniale, étaient une étape nécessaire.

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5- La Géographie Universelle, ses ambitions et sa réception dans la communauté de géographes

Selon Marie-Claire Robic et al (2006a), l’Atlas Général, publié entre 1891 et 1894, en trente planches, et les premiers volumes de la Géographie Universelle, qui apparaissent sur le marché éditorial à partir de 1927, représentent de grandes réalisations de l’école française de géographie. Dans ces ouvrages, une interprétation de la science géographique sur le « panorama de l’histoire et de la géographie mondiales » (ROBIC et all, 2006a, p.148) témoigne d’une grande ambition.

Outre la réaffirmation de l’héritage de Vidal de la Blache, la Géographie Universelle répond par cette initiative à une demande du marché éditorial français, avide de ce genre d’ouvrages depuis la fin du XIXème siècle (ROBIC et all, 2006a, p.152). Le deuxième aiguillon pour la production de géographies universelles, et selon nous le plus important, était la manière avec laquelle était réaffirmée un bouleversement du monde (ROBIC et all, 2006a) et la façon dont la géographie française accompagnait ces progrès.

Toujours dans ces mêmes perspectives, une telle entreprise éditoriale faisait émerger chez les géographes le « désir de faire rayonner cette capacité en dehors de leur communauté » (ROBIC et all, 2006a, p.154). Ainsi, la collection de la Géographie Universelle de Vidal de la Blache et de Lucien Gallois, dont le premier volume était lancé en 1927, donnait un signal clair à la communauté géographique de l’ambition globale de la géographie française.

6- L’ouverture de la géographie universitaire française sur le monde : une vocation internationaliste

Les spécialistes de géographie humaine formulaient déjà des projets pour la compréhension du global mais pas encore des doctrines, des enquêtes mais pas encore des modèles. Qu’en est-il de Pierre Monbeig et ses collègues pour ce qui concerne les études sur l’Espagne ? Étaient-ils des pionniers ou conservaient-ils des pratiques traditionnelles ? Les réponses à ces questions peuvent contribuer à une meilleure compréhension de leur insertion dans un nouveau contexte.

A partir des difficultés que Pierre Monbeig rencontre sur le terrain et dans le traitement de la bibliographie géographique et cartographique espagnole (FERRAS,

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1991, p.68), on voit une attitude plutôt pionnière. Mais à la période où Monbeig se consacre à la production de sa thèse, quelle est la proportion de ce type de travaux sur les espaces étrangers par rapport aux monographies régionales françaises ? Dans la période qui va de 1920 aux années 1940, les monographies étrangères sont un peu en-deçà des monographies métropolitaines - 24 contre 35- (ce qui est déjà beaucoup !) et, si nous observons ce qui se passe plus tard, les monographies étrangères finissent par dépasser celles des régions françaises (CLOUT, 2011).

Non-Metropolitan monographs Metropolitan monographs

Period 1893-1913 1920- 1945- 1905-1917 1922- 1946- 1942 1969 1945 1966

Number 13 24 63 10 35 55

completed Tableau 1. Source: CLOUT, 2011.

C’est à l’époque où les 24 thèses non métropolitaines sont produites, que Monbeig s’engage dans son étude de l’Espagne. Il ne parait pas ici être un pionnier. C’est au Brésil que l’absence de littérature scientifique et de recherches va le projeter dans un autre monde. Comment développera-t-il son projet dans ce nouvel environnement ? C’est avec cette curiosité que nous allons entamer le prochain chapitre. Mais revenons au thème espagnol. Il est encore source de controverses.

7- Deux visions des Baléares. Les conséquences méthodologiques du contexte de confrontation. Les îles espagnoles comme terrain de controverse sur le rôle des phénomènes globaux

Monbeig fait le choix de développer une thèse sur les îles Baléares. Cette recherche n’est pas sans effet sur les connaissances établies à ce sujet dans le champ géographique français. Quels étaient les personnages et sources qui représentaient la connaissance française et espagnole sur le sujet dans les années 1930 ? Robert Ferras parle d’un vide de discours et de sources (FERRAS, 1991, p.69). Il n’y avait que Jean Brunhes qui apportait une contribution significative du point de vue de la géographie française (FERRAS, 1991, p.69).

59

Lors de la période formatrice de Pierre Monbeig, cet important représentant de la géographie française venait de décéder, après avoir développé des travaux sur l’Espagne. En 1902, Jean Brunhes avait consacré sa thèse à la Péninsule Ibérique (en plus de l’Afrique du Nord) dans laquelle il s’emploie à étudier les huertas espagnoles, comme le fera Pierre Monbeig dans son article sur Alicante et la Murcie. En outre, Brunhes publie, en 1911, un travail de géographie humaine sur les îles Baléares, un thème qui marque sa carrière et renforce sa préférence pour la thématique des îles (ROBIC, 1986).

L’opinion de Pierre Monbeig sur une des plus grandes contributions méthodologiques de Jean Brunhes est plus que réservée. Elle est exposée à l’occasion de la leçon inaugurale de géographie humaine à l’Université de São Paulo (prononcée en 1935) : « les deux gros volumes de Jean Brunhes sont loin de satisfaire complètement les spécialistes et ont été écrits avec l’intention de révéler aux milieux cultivés l’existence d’une science alors nouvelle (...) » [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1940a, p.9).

Nous avons déjà observé qu’Albert Demangeon et Henri Hauser ont eu un rôle important dans la formation de Pierre Monbeig. Au moment de la thèse, apparait un autre personnage qui va également prodiguer de précieux conseils au jeune géographe, mais aussi faire des critiques mordantes à Jean Brunhes : Lucien Febvre. Cet historien, ami d’Albert Demangeon, a acquis une autorité considérable auprès des géographes de l’époque.

Le livre de Febvre, La Terre et l’évolution humaine, publié en 1922, est devenu une référence incontournable des géographes français. Dans cet ouvrage, il y a un passage sur les îles, où il discute d’une notable controverse méthodologique dans laquelle était impliquée Jean Brunhes et ses critiques. Il s’agissait de savoir si de tels espaces constituaient une unité fermée ou ouverte aux influences de l’étranger. Nous retrouvons le thème de la mondialisation.

De telles réflexions ont probablement suscité l’intérêt de Monbeig. Or, ces extraits sont assez critiques par rapport à la contribution de Jean Brunhes. La première polémique concerne la supposée « fermeture » des îles aux impulsions externes : « Un géographe

[Jean Brunhes], naguère, l’a pensé » (FEBVRE, 1970). Lucien Febvre est amené à

60 considérer l’existence d’une « illusion méthodologique » chez Brunhes (FEBVRE, 1970, p. 223).

Ces considérations permettent de montrer que le thème des îles est au centre d’une polémique méthodologique qui va marquer les années 1920. Lucien Febvre approfondit cette critique et cherche l’origine logique de ces illusions. Pour lui, la compréhension de l’insularité comme étant limitée par des frontières maritimes dérive d’une influence directe des conceptions biologiques et du naturalisme : « cette idée, les voyageurs mêmes qui mettaient en lumière les caractéristiques biologiques de la flore et surtout de la faune insulaires, la suggéraient tout naturellement aux géographes » (FEBVRE, 1970, p.226).

Nous avons d’un côté une vision de fond naturaliste, à laquelle Brunhes se range, et comme alternative, une vision économique, mieux assortie aux futures perspectives adoptées par Albert Demangeon, et défendues par Febvre : « les économistes montrèrent comment les bordures insulaires se prêtaient tout particulièrement à la vie maritime et au commerce. » (FEBVRE, 1970, p.226) De telles querelles débouchent sur une controverse méthodologique. Ce qui est en jeu est l’utilisation d’un important principe de Vidal de la Blache, le principe d’unité de la terre, dans lequel les conditions d’isolement et de circulation s’équilibrent dans la composition d’une unité régionale, ainsi que les liens de la géographie humaine avec le naturalisme ou l’économie.

Pierre Monbeig cherche à se démarquer de l’héritage de Brunhes et à s’engager dans la consolidation de la discipline géographique sous la direction de nouveaux porte- paroles : Albert Demangeon, Lucien Febvre, et Emmanuel de Martonne.

Confirmant nos hypothèses antérieures, le caractère social ou non de la géographie humaine anime les débats des années 1920. Lucien Febvre prend parti contre le naturalisme. Il prend position contre Ratzel et, finalement contre Jean Brunhes. Febvre est conscient qu’à ses choix correspondent des conceptions méthodologiques particulières: il s’emploie à souligner le caractère illusoire de l’établissement de lois géographiques, le faible pouvoir de l’instrument de la comparaison dans le cadre d’un système ouvert (assorti à un espace construit par l’action économique de l’homme) et enfin, il vante la capacité de l’homme à circuler entre les espaces et échapper à un déterminisme étroit : « ce serait, comme tant de généralisateurs intrépides de l’école ratzélienne ou néo-ratzélienne, méconnaître cette grande loi constante et universelle : l’homme [est un] voyage[ur] » (FEBVRE, 1970, p.245).

61

Comme nous le soulignons, les tenants de la géographie humaine tentent, à ce moment-là, de construire leurs propres méthodes, et utilisent pour cela tous les outils à leur disposition. Pierre Monbeig n’est pas en première ligne de cette bataille mais il s’associe à ses leaders. A cette constatation de l’importance de l’approche d’Albert Demangeon pour Monbeig, ajoutons que Paul Claval voit avec Demangeon un plus grand effort de systématisation méthodologique (CLAVAL, 1984, p.67).

Proche de Demangeon, Lucien Febvre critique chez Brunhes le fait qu’il s’inspire du naturalisme et d’une géographie organisée autour de causes et de lois, « pareillement il existe des lois générales de concordance entre les conditions naturelles et les cultures » (BRUNHES, 1902, p.2), avec des espaces bornés d’expérimentation : « nous bornerons rigoureusement notre étude pour avoir le droit de pousser plus loin notre analyse » (BRUNHES, 1902, pp.8-9), ce qui confère de l’importance à la comparaison. C’est contre tout cela que s’insurge Lucien Febvre. Ainsi, parallèlement aux principes systématisés par Vidal de la Blache et valorisés par Demangeon, comme celui de l’unité et de l’extension, le penchant naturaliste va valoriser les principes de causalité et de comparaison. Il s’agit de différentes lectures des héritages de Vidal de la Blache.

Nous appuyons ici l’argument de Marie-Claire Robic, car il y a pour elle une division au sein de la géographie humaine à ce moment-là : « les protagonistes de ce partage entre une voie naturaliste et une voie humaine sont Brunhes et de Martonne » (ROBIC, 2006c, p.164). Pierre Monbeig se positionne aussi par son choix d’aborder le thème des Baléares à contrepied de ce qu’avait écrit Jean Brunhes. La comparaison des travaux de Jean Brunhes et de Pierre Monbeig sur les îles Baléares aide à éclaircir ces prises de position épistémologiques. Albert Demangeon et Lucien Febvre, et plus tard, Pierre Monbeig, prennent parti pour une reformulation de l’héritage de Vidal de la Blache plus influencée par l’économie, l’ouverture et des processus de modernisation.

Le point de départ est la fermeture de l’île pour Jean Brunhes. Elle s’exprime avec la distribution de sa production interne tournée plus vers l’alimentation de sa population que vers l’exportation (BRUNHES, 1911, p.179). Il n’ignore pas que la vie insulaire est toujours plus ouverte vers l’étranger, mais presque tout son propos laisse cet aspect de côté et privilégie les conditions de vie insulaires (BRUNHES, 1911, p.179).

La relation à l’étranger est présentée comme unidirectionnelle. Il parle d’une exportation de la production, mais n’aborde pas ce que la vie de relations a pu apporter à

62 la dynamique interne des îles. Ainsi, il profite de l’étude des Baléares pour souligner presque exclusivement une dynamique interne et archaïque de la vie en Méditerranée (BRUNHES, 1911, p.181).

Pour Brunhes, les îles de la Méditerranée expriment la possibilité d’observer des caractères spécifiques. « Les pêcheurs de Majorque pêchent le thon et la langouste, mais ils sont bien à un aussi intense degré des caboteurs et des convoyeurs; ils constituent, par là, une autre des ces survivances essentielles de la vie méditerranéenne.» (BRUNHES, 1911, p.184) Son raisonnement pose à nouveau les caractéristiques de l’isolement.

Débutant son article de 1930, « Les transformations économiques dans les ‘huertas’ et la région entre Alicante et Murcie » par une note initiale, Monbeig fait référence à l’œuvre de Jean Brunhes, mais pour souligner, à l’inverse, que : « L’activité particulière des huertas d’Alicante, Elche, Orihuela, Murcie est un fait bien connu; aussi voulons-nous seulement y indiquer les tendances nouvelles de l’agriculture et de l’industrie.” [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1930, p.597) En outre, le premier sujet, à propos de l’irrigation, touche une fois de plus aux mêmes thèmes que ceux abordés par Brunhes mais avec un dispositif théorique différent.

Monbeig s’intéresse à l’insertion des îles dans le monde contemporain. Contrairement à Jean Brunhes, il ne considère pas les îles comme un laboratoire d’étude de caractères distinctifs. Un espace de flux, intégré à un ensemble économique plus vaste, dit l’illusion de l’unité naturelle. Vu sous cet angle, le titre de l’article « Vie de relations et spécialisation agricole. Les Baléares au XVIIIème siècle » [c’est nous qui soulignons] nous paraît explicite (MONBEIG, 1932a, p.538).

La mise en avant de l’interconnexion de l’île avec des espaces plus vastes est tellement importante pour Pierre Monbeig qu’il annonce qu’une histoire géographique a pour base les flux et les relations horizontales et que les processus économiques des Baléares ont pour origine fondamentale la relation avec l’étranger. Situer l’origine des processus géographiques locaux à l’étranger (depuis le XVIIIème siècle !) est un raisonnement tellement différent des observations de Jean Brunhes que nous avons souvent l’impression qu’il s’agit de deux îles différentes. En outre, nous avons la confirmation que la géographie de Monbeig est, en réalité, une géohistoire dans la lignée des travaux de Vidal de la Blache.

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La problématique centrale de Pierre Monbeig dans cette nouvelle étape de la recherche est identique à celle qu’il propose pour la métropolisation parisienne : elle consiste à comprendre comment les facteurs naturels singuliers s’associent aux dynamiques économiques de la circulation globale. Dans cet esprit, il dilue les frontières insulaires dans une région économique plus vaste, se plaçant dans les pas du groupe intellectuel qu’il a rejoint.

8- La géographie humaine des Iles Baléares : la valorisation du processus de mondialisation et la répétition des formes de mise en valeur de nouvelles terres. Une géohistoire face à la mondialisation

Dans ce nouveau temps, Pierre Monbeig va articuler des facteurs régionaux économiques externes à la base de l’explication d’une situation régionale, et son raisonnement conduit à une construction cyclique et systémique5 (voir figures 3 et 4). Sur ce sujet, nous avons un autre exemple clair de la manière dont l’avancée du capitalisme et des relations économiques globales ont eu un impact sur la méthodologie de la géographie. Pierre Monbeig applique deux types de raisonnement aux différentes situations des îles Baléares : un raisonnement dans un système fermé avec pour base d’explication les facteurs physiques et des relations causales simples ; un seconde raisonnement pour lequel la formation de l’espace régional est stimulée par des facteurs externes, dans un système ouvert, dont la base originelle est l’action économique de l’homme et dont la structuration est cyclique.

5 En nous appuyant sur les travaux de Daniel Loi, nous concluons que le raisonnement systémique s’organise autour d’équilibres et de déséquilibres à l’intérieur de systèmes cycliques. Si un des côtés du système est altéré, l’autre est aussi. 64

Entrave aux communications s

Figure 5 Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1932) - situation historique I. Conception: LIRA 2016.

65

Sécurité revenue

Défrichement Barbaresques des alentours cessèrent de Minorque Dessèchement des d’être parties basses redoutables marécageuses

Flotte anglaise Épierrement des champs Gouvernement anglais

Constructions des murs Augmentation de la population Introduction de nouvelles Protection cultures des arbres Exportation vers l’Italie Étendue cultivable Construction accrue. Protection de d’une route Augmentation la création des rendements. Fondations Travail facilité. de villes

Règlements du commerce

Figure 6 Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1932) - situation historique II. Conception: LIRA 2016.

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Cependant, il existe également une structure systémique, ou synthétique: « C’est le type de structure [type 2] dont on parle beaucoup, auquel on aspire, mais qu’on ne pratique pas, qu’on ne peut pas pratiquer » (LOI, 1982, p. 20). Dans les annexes, nous reproduisons les structures causales dans ses schémas représentatifs. En parlant de la même structure synthétique:

c’est en général à ce type de structure que les géographes pensent quand ils se voient comme les spécialistes des combinaisons, des connexions, du complexe, de la synthèse, dans une géographie qui est ‘réseau des liens’. La conception organiciste de la Terre, l’idée de totalité, d’unité terrestre, centrale chez Vidal, renforcent leur conviction et les entraînent dans la même direction (LOI, 1982, p. 20).

(…) [les] structures de type II de nature non causale (…) [sont] fort peu représentées dans la géographie classique au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Cela fait ressurgir néanmoins cette sorte d’incompatibilité entre espace et temps, plus généralement entre synchronie et diachronie, qui interdit une fusion profonde des deux et oblige à montrer une évolution compliquée sous la forme d’une succession de complexes à des époques différentes » (LOI, 1982, p. 21-22).

Cette conclusion renforce notre argument : le déterminisme naturel fait appel à une méthode scientifique antérieure à l’actualisation des paradigmes scientifiques. Il évoque des relations de cause à effet, une tendance diachronique, des situations fermées dans lesquelles l’homme est plus passif qu’actif. Une géographie humaine dirigée par de nouveaux leaders, qui prend plus au sérieux les effets de l’action humaine, va se développer.

Vidal de la Blache avait déjà compris les logiques différentes de ces deux systèmes causaux, l’isolement d’un côté, la modernisation de l’autre : « Il insiste sur la discontinuité entre le principe local lié au sol et le principe de dépendance horizontale qui gouverne l’échange économique et l’organisation politique» (OZOUF-MARIGNIER, ROBIC, 1995, p.4). Les hommes qui sont liés au milieu établissent des relations causales simples ou multiples entre leur culture et la terre. Les hommes qui s’intègrent à la modernisation ont une fonction économique, et sont insérés dans le processus de mondialisation, leurs relations géographiques se détachent du déterminisme du milieu, sont cycliques et avec plus de pouvoir d’action. Dans l’environnement économique, il n’y a pas de genre de vie simple mais des associations liées aux fonctions économiques. Cette

67 complexification du concept était déjà apparue dans les travaux de Monbeig sur la métropolisation parisienne.

Traiter des genres de vie suggère la narration et des descriptions de situations spécifiques. Avec l’avancée de la mise en valeur, sous l’impulsion du capitalisme, traiter de la modernité permet des approches systémiques. On note alors que le paradigme de la géographie évolue au fur et à mesure de l’avancée du capitalisme dans la civilisation moderne occidentale. Mais on ne voit pas encore ici un quelconque effacement d’une des tendances de ce pendule épistémologique. Marie-Vic Ozouf-Marignier soutient l’idée que les relations horizontales dans le traitement géographique des « mauvais pays » se consolident dans les années 1920, ce qui place ainsi Pierre Monbeig en accord avec son contexte scientifique (OZOUF-MARIGINER, 2000b, p.83). Avec une double approche du concept de genre de vie, une première qui privilégie l’isolement et une autre qui privilégie les relations horizontales, l’héritage de Vidal de la Blache n’est pas absent du travail de Monbeig, et s’ajoute à la contribution de Demangeon pour l’analyse des problèmes contemporains.

9- La lecture géographique d’Albert Demangeon de l’économie internationale et du marché mondial

De quelle façon les facteurs économiques se placent-ils au centre de la vie des hommes ? Cette question traverse l’œuvre d’Albert Demangeon dans la période de 1920 à 1934. Les analyses de Demangeon sur l’économie internationale vont influencer Monbeig sur quatre points principaux : l’unité globale des pays insérés dans les processus de mondialisation ; la topographie des relations de l’homme avec son milieu et de l’homme comme promoteur de nouvelles relations économiques ; la dynamique géographique des crises capitalistes ; et une conception de la temporalité fondée sur la demande des marchés mondiaux en contradction possible avec le rythme de production saisonnier.

Premièrement, en utilisant un type de système géographique ouvert sur l’environnement des états et des marchés, il prend pour unité de base la planète. La fin de l’hégémonie de l’Europe à partir de la guerre transparait dans son incapacité de coloniser de nouvelles parties du monde, à partir de son affaiblissement démographique et de ses ressources (DEMANGEON, 1975 [1920]). Ensuite, du point de vue des nouvelles

68 conditions économiques mondiales, Demangeon commence à considérer la manière dont les conditions naturelles exercent encore une influence sur les conditions économiques, concluant par la mobilisation d’un type de raisonnement topographique, dont l’utilisation est explicitée dans le texte qu’il écrit en 1927. En effet, il fonde une topographie des déterminations géographiques : « Seul l’examen des influences qui peuvent déterminer les formes de l’habitat nous permettra de les décrire et de les classer. On peut ranger ces influences en trois grands groupes: 1º influence des conditions naturelles; 2º influence des conditions sociales; 3º influence de l’économie agricole » (DEMANGEON, 1927a, p.9). Un autre aspect des analyses de Demangeon qui aura un impact sur les futurs travaux de Monbeig est la lecture géographique des crises capitalistes.

Quand il analyse la nouvelle conjoncture imposée par la crise de 1929, Albert Demangeon prend un recul qui éclaire le rôle que l’agriculture continue à jouer dans le cadre de l’économie internationale, et donc le rôle persistant des conditions naturelles sur la vie des hommes (DEMANGEON, 1929, p.98). C’est par l’agriculture que le déterminisme persiste à agir sur les facteurs économiques. Le cœur de la conjoncture de crise vécue dans les années 1930 s’explique essentiellement par le décalage entre les rendements de la production agricole et ceux de la production industrielle. Le niveau de vie des paysans n’accompagne pas le rythme de production industrielle : « elle [la machine] ne dépend pas des caprices du climat; elles ne connaît ni les années de soleil ni les années de pluie. La machine fonctionne et rend par la seule volonté de celui qui la dirige ; son travail n’est limité que par les possibilités d’énergie et de matière première » (DEMANGEON, 1932, p.113). Cette dernière libère des « contraintes du milieu » et, régie par la logique du profit, débouche sur des phases de surproduction.

Un dernier aspect de l’œuvre de Demangeon qui a eu et aura un impact sur les travaux futurs de Monbeig, et qui entraine de profondes transformations méthodologiques de la discipline géographique dans le contexte de la mondialisation et de l’internationalisation, consiste en la formulation, dans le cadre de la géographie, de la temporalité du marché mondial : le marché mondial annule les effets de la saisonnalité, il impose au monde un rythme de production frénétique, sans respect pour le rythme de la production matérielle, ce qui a des effets désastreux sur les politiques de protection de l’environnement. En réalité, c’est Pierre Monbeig, sous la direction de Demangeon, qui exprime cela, dans un article publié en 1934 sous le titre « Les importations de fruits frais en Grande-Bretagne ». 69

Ainsi les oranges espagnoles parviennent de novembre à juin, soutenues jusqu'en avril par les envois de Palestine; à partir de mars apparaissent les oranges brésiliennes ct Sud- africaines, qui durent jusqu'à l'automne. Les arrivages de prunes s'étendent sur toute l'année, avec un maximum en octobre et novembre. Nous avons déjà signalé l'avantage qu'assure aux États-Unis la possibilité d'expédier des poires vers les Iles Britanniques de janvier à décembre; cependant leurs envois sont complétés de mars à septembre par ceux d'Australie et, de juillet à octobre, par ceux de Belgique et d'Italie. L'hémisphère boréal avec l'Espagne fournit les raisins d'été, et l'hémisphère austral avec l'Afrique du Sud ceux d'hiver. Enfin, tous les pays se succèdent pour les expéditions de prunes: de janvier à avril, l'Afrique du Sud; à partir de mai commencent les arrivages d'Europe: ceux des pays méditerranéens jusqu'en octobre, ceux de Belgique jusqu'en novembre; les prunes américaines apparaissent de juin à octobre, et finalement les prunes à confiture arrivent d'Allemagne et de Tchécoslovaquie de mai à novembre. Ainsi tous les pays du monde rivalisent et, souvent, par l'habileté de leurs agriculteurs et la technique loyale de leurs commerçants, échappent au rythme des saisons. (MONBEIG, 1934, pp. 95-96)

Cette caractéristique du marché mondial a eu un important impact sur l’organisation économique de l’Espagne dans le passé et à cette époque. Cependant, l’Espagne possède un long passé. Bien qu’inscrite dans des zones semi-périphériques de l’économie-monde atlantique du XXème siècle, elle oppose une résistance à son homogénéisation commerciale complète. Les paysans permettent que la population de leur environnement continue à vivre essentiellement des échanges naturels et internes, ce qui contrarie le fonctionnement du système capitaliste. Cette adaptation permanente des capitalistes impose des déplacements sur les territoires et devait se produire dans les pays neufs, en périphérie. C’est en découvrant cette nuance que Monbeig commence à s’acheminer vers sa future compréhension du Brésil.

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Chapitre 3 Les projets de Pierre Monbeig au Brésil : les racines françaises dans l’organisation de la géographie brésilienne (1935-1940)

Dans ce chapitre, notre propos est de reconstituer les premiers projets de Monbeig au Brésil. En tant que professeur universitaire, il s’est fixé quelques objectifs. Comment ces projets ont-ils contribué à l’organisation de la géographie brésilienne ? – tâche que les professeurs français étaient appelés à entreprendre6. Nous partons du principe que l’élaboration postérieure d’une méthode géographique de norme globale, mais dans les jalons de l’espace brésilien, est un processus historique. Si nous souhaitons établir un point de départ à l’autonomisation de la géographie brésilienne, celui-ci ne peut se produire avant 1940.

Les institutions, groupes, associations, revues, sont les bases nécessaires à la fondation de la géographie brésilienne. Selon Albert Demangeon, les étapes de la méthode géographique sont au nombre de trois : localiser, décrire, comparer (MONBEIG, 1949, p.492). Une bonne cartographie est primordiale pour compléter les efforts de localisation, et les institutions spécifiques sont sollicitées à cette fin ; pour réunir un fichier de descriptions de tout le territoire, un groupe de chercheurs travaillant selon les mêmes paramètres est également indispensable. Afin de comparer les travaux et produire des synthèses, un abondant matériel sera réuni. La construction de la méthode va de pair avec la construction et l’effort d’organisation de la géographie brésilienne. La réunion des structures organisatrices qui contribuent à la formation de la géographie brésilienne

6 Les professeurs français étaient appelés à construire une culture humaniste nationale. Le sociologue Florestan Fernandes, élève admis à la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres en 1941, décrit l’état de la culture brésilienne dans les années 1920 et 1930, tandis que le professeur titulaire Eduardo de Oliveira França, élève de géographie et d’histoire admis à la FFCL (Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres) en 1935, mentionne le rôle essentiel des professeurs français : « Maintenant, pour rester dans la perspective des années 1920 et 1930. Je pense qu’il y a un peu de fantaisie dans la reconstruction du passé. Nous avons tendance à grandir notre littérature, notre philosophie, notre science. D’ailleurs, le Professeur Antônio Cândido dans son grand livre dit que nous avons une littérature pauvre, que nous devons aimer et valoriser. Toute notre culture est pauvre. Et nous devons apprendre à donner du sens à cette culture pauvre. » (FERNANDES, 1975, p.21). « Nous étions engagés dans un programme de rénovation et de création d’une histoire et d’une géographie dans les normes de ce qui se professait à l’extérieur. Sans conflits, sans retards. (...) Les professeurs étrangers étaient d’une extraordinaire compréhension. Ils avaient – je parle de ceux avec que j’ai connus quand j’étais étudiant – l’idée nette qu’ils avaient une mission. Et ils remplissaient parfaitement cette mission ». (FRANÇA In FREITAS, 1993, pp.183-184). 71 est un processus historique concomitant ou préliminaire à l’émergence d’une pensée spécifique.

1- Venir au Brésil et changer de sujet de thèse

Les circonstances dans lesquelles Pierre Monbeig a décidé de venir au Brésil sont assez curieuses. Après avoir passé deux ans en Espagne, puis avoir intégré le corps professoral d’un lycée de Caen, Pierre Monbeig reçoit une invitation inhabituelle pour venir au Brésil sur recommandation d’Henri Hauser et de son beau-père, Pierre Janet, à Georges Dumas. Ces trois derniers étaient déjà allés au Brésil. La proposition est reçue par Monbeig comme une aventure, une immersion dans un pays inconnu qui devrait d’abord durer six mois. Il interrompt momentanément sa thèse sur les Baléares pour accepter une invitation séduisante, celle de connaitre l’autre côté de l’Atlantique. Il embarque bien que sa femme soit enceinte – elle accoucherait quelques semaines plus tard – et accepte d’être professeur d’histoire alors qu’il se reconnait déjà comme géographe ! Mais son projet est de retourner en Espagne pour continuer sa thèse (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p.29).

Quand il arrive au Brésil, il découvre que ses informations étaient erronées : la proposition, en réalité, était de rester trois ans ! Mais il accepte à nouveau le défi, alléguant un second motif : les cours en tant que professeur universitaire seraient bien payées. De cette façon, alors qu’il se heurte au manque de financement de la recherche en France, il pourrait financer ses travaux de terrain à partir de ses économies constituées au Brésil (MONBEIG in LAPOUGE, 1984).

Pierre Monbeig arrive au Brésil le 3 mars 1935, selon la documentation des archives diplomatiques (Archives diplomatiques France – La Courneuve, boîte 443/1. Informations sur la mission universitaire de São Paulo [3 Mars – 20 Avril 1938]). Tout de suite après, certains des membres de cette « mission française » (Monbeig et Maugüe, arrivés le même jour), signent leurs contrats. Ils sont immédiatement lancés dans le milieu social duquel ils feront partie. Un dîner organisé par l’élite de São Paulo en hommage à l’ « amitié franco-brésilienne » a lieu le 6 avril 1935. Un événement où les personnalités brésiliennes recevaient les nouveaux professeurs et se montraient intéressés par leurs sujets : une réunion « suivi[e] de conversations sur des sujets intéressants particulièrement la France. Cette rencontre aura lieu tous les quinze jours et sera l’occasion d’entretien sur

72 des sujets d’actualité.» (Archives diplomatiques France – La Courneuve, boîte 443/1. Informations sur la mission universitaire de São Paulo [3 Mars – 20 Avril 1938]).

Ce n’est pas le milieu intellectuel brésilien qui a motivé le changement du thème de sa thèse. Le besoin de se réorienter commence avec le début de la guerre civile espagnole. Les premiers mouvements rebelles ont eu lieu les 17 et 18 juillet 1936. De fait, « (…) en 1936 s’est déclenchée la Guerre Civile Espagnole, ce qui a mis fin à ma thèse sur les Baléares.» (MONBEIG in BATAILLON, 1991, p.29). Mais il existait d’autres motifs à sa réorientation : son attachement au Brésil. « (...) En outre, j’étais subjugué par le Brésil, sans aucun doute – alors c’est sur lui que j’ai fait ma thèse » (MONBEIG in LAPOUGE, 1984).

2- Renforcer l’influence française au Brésil

La participation des élèves et des professeurs de l’Institut de Géographie de la Sorbonne à la construction de l’École des Hautes Études de Madrid, s’établit dans la longue durée de l’action française en Méditerranée, tout comme dans la politique d’ouverture vers des marchés extérieurs après la crise de 1929. Avec le Brésil et l’Amérique Latine cette politique extérieure se confirme et s’approfondit, mais avec de nouvelles structures institutionnelles.

En effet, les intellectuels maintiennent un contact étroit avec la diplomatie. Les négociations pour la fondation de l’Université de São Paulo se font au plus haut niveau, et les professeurs français deviendront des agents de l’action culturelle. Pierre Monbeig lui-même en vient à défendre les intérêts de la diplomatie. Dans une lettre envoyée en février 1938 au ministre des affaires étrangères et du développement international, Pierre Monbeig fait allusion aux difficultés rencontrées à l’occasion de la signature d’un nouveau contrat, alléguant cependant que « à quelques semaines de la reprise des cours, étant donné l’intérêt de continuer l’oeuvre de propagande française au Brésil, il ne m’est pas possible de refuser ce projet de contrat. » (Archives diplomatiques France – La Courneuve, boîte 443/1). Mais même au cœur d’un contexte de propagande, Monbeig assume pleinement un devoir patriotique envers les Brésiliens. D’après Petitjean :

La création de l’USP a coïncidé avec l’émergence d’un sentiment national au Brésil, explique Monbeig dans un entretien en 1981, un peu comme ce qui s’est passé en Europe à la fin du XIXème siècle. Cette découverte de la nationalité implique un grand intérêt pour les racines de la société brésilienne, racines historiques, géographiques et sociologiques. Le phénomène se

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rapproche du rôle joué par Michelet dans son Histoire de France. Venus dans les années 1930, à un moment où les Brésiliens se préoccupent un peu plus d’eux-mêmes à cause de la crise économique, les professeurs étrangers, animés par un désir de recherche sur le Brésil, contribuent ici à São Paulo, à une espèce de découverte et de prise de conscience de la réalité. (PETITJEAN, 1996a, p.303)

Monbeig se considère comme investi d’une mission scientifique à propos de la découverte des paysages nationaux. Cette lecture rapprochait le Brésil, selon lui, d’une conjoncture de découverte des paysages et narrations historiques des lettrés, historiens et géographes de la fin du XIXème siècle. Il y a, à partir de l’initiative de Monbeig, non seulement une structure de stabilité qui donnait du poids à la circulation de la pensée française, mais aussi un attachement aux stratégies des lettrés, au moment où il voulait toucher le cœur des jeunes dans le processus d’institutionnalisation de la géographie du Brésil.

La vaste documentation présentée par Suppo (2002), ainsi que d’autres documents que nous avons recueillis en complément, pointent l’importance du syncrétisme d’intérêts entre la diplomatie, les professeurs et l’élite de São Paulo, ainsi que la similarité de la conjoncture entre le Brésil et la France. Le projet d’insérer le Brésil dans un réseau de recherches internationales a participé à son ancrage dans le système théorique et institutionnel français avec l’appui des élites paulistes. À propos de Pierre Monbeig, il est clair que, dans les premières années d’installation de la mission française, il n’y avait pas de conflit d’intérêts avec cette élite. Plus tard, Pierre Monbeig adopte une posture plus à gauche par rapport aux projets qu’il était appelé à entreprendre. Il s’emploie à défendre l’influence française au Brésil et, en même temps, à enseigner aux Brésiliens à observer, et aimer, leurs paysages : « J’adorais aider les jeunes à découvrir leur propre pays, qu’ils connaissaient peu. Je leur apprenais à voir leurs propres paysages, ce qui était émouvant » (MONBEIG in LAPOUGE, 1984).

La mission française accélérait le processus de compréhension des identités brésiliennes. Dans ce vaste pays, miné par des retards culturels, rien n’est facile à construire. Si le processus civilisateur n’était pas amorcé à plein régime, la construction des représentations collectives ne permettrait pas l’entrée du Brésil dans l’avant-garde de la modernité. L’attachement de Monbeig au Brésil était traversé du sentiment de faire découvrir aux Brésiliens leur propre pays. Pour lui, la géographie française de l’époque était suffisamment souple pour s’adapter à la lecture concrète des aspects de la réalité

74 brésilienne. Dans le cas des relations entre le Brésil et la France, il ne parait pas y avoir de contradiction, à ce moment-là, entre la circulation globale des apports français, leur diffusion et la découverte des réalités locales.

3- Développer l’enseignement et la recherche au Brésil dans des conditions de travail jugées adéquates

Les trajectoires des jeunes professeurs français au Brésil, leur degré d’attachement au pays, leurs stratégies dans la construction d’une carrière universitaire qui avait pour perspective le retour en France, permettent de distinguer la manière dont chacun s’est impliqué dans l’enseignement et dans les tâches organisationnelles de la science brésilienne. Lévi-Strauss rappelle que, au Brésil, semblaient être en jeu les éléments d’une carrière universitaire postérieure (MASSI, 1981).

C’est dans ce contexte que sont discutées les conditions de travail des professeurs français. Pour les professeurs, de meilleures conditions de travail sont justifiées par leur statut d’intellectuels français en mission ainsi que par ce que serait leur situation s’ils étaient restés en France. Pierre Monbeig lui-même emploie l’argument de la carrière pour revendiquer un meilleur salaire dans la lettre qu’il envoie à Jean Marx, le responsable du Service des Œuvres Françaises à l’Étranger (SOFE), le 14 mai 1937 :

Je ne vous cacherai pas davantage le découragement que j’ai eu après avoir pris connaissance de la lettre adressée à M. Arbousse-Bastide. Je ne peux m’empêcher de comparer l’échelle des traitements avec le tableau d’ancienneté. Alors que mon traitement n’est pas plus élevé que celui de mes collègues agrégés deux ou trois promotions après moi, la différence d’un an entre l’agrégation d’Arbousse-Bastide (1928) et la mienne (1929), se solde par une différence de traitement de mille francs par mois. Je ne comprends pas la raison de cette classification (…) anomalie d’autant plus grande que, vous ne l’ignorez pas l’avancement sur Paris est plus rapide en histoire qu’en philosophie ; les meilleurs de mes camarades d’agrégation sont à Paris depuis un an et même deux ans ; j’ai le droit de penser que si j’étais resté en France je n’aurais pas été plus malchanceux qu’eux, et, dans ce cas, parmi tous les professeurs de notre mission, sauf Braudel, dont la situation est toute à fait à part, je serais le bénéficiaire du meilleur traitement. (Archives diplomatiques France – La Courneuve, boîte 443/1. Lettre de Pierre Monbeig à J. Marx, São Paulo, 14 mai 1937)

Cette lettre révèle aussi que Pierre Monbeig n’accepte pas qu’une hiérarchie entre les professeurs français soit établie au Brésil. Un autre conflit impliquant les Français touche à la figure du chef de la mission : un groupe formé de Pierre Monbeig, Claude Lévi-Strauss et Fernand Braudel n’accepte pas la titularisation d’Arbousse-Bastide

75 comme chef et exige que les décisions de la mission soient prises de façon collégiale. Monbeig constate :

L’un d’entre eux aimait à s’autoproclamer ‘chef de la mission’ et nous ne voulions de chef en aucune manière. Néanmoins, il y avait aussi des affinités. J’ai beaucoup aimé Lévi-Strauss, qui s’intéressait à tout, mais surtout à la géologie et à la géographie. Et ensuite, Braudel, un des historiens qui avait compris qu’on ne fait pas de bonne histoire sans de solides informations géographiques. (MONBEIG in LAPOUGE, 1984).

Derrière ce débat, se trouve également posée la question de l’autonomie scientifique des professeurs quant au choix de leurs sujets, question capitale pour les orientations de la science brésilienne. A ce propos, l’année 1936 est agitée quand Arbousse-Bastide accuse Lévi-Strauss de donner des cours d’ethnographie au lieu du cours de sociologie, pour lequel il était engagé (SUPPO, 2002, p.181-182). Antonio Almeida Prado, le directeur de la Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres (FFCL), considère même que Lévi-Strauss rompt son contrat. Ce cas démontre qu’il y avait peu de marge de manœuvre pour les virages théoriques radicaux. L’autonomie avait ses limites. Selon Lévi-Strauss, « on m'avait fait venir pour perpétuer l'influence française, et la tradition Comte-Durkheim d’une part. Et j'arrivais, conquis, à ce moment, par une ethnologie d'inspiration anglo-saxonne. Cela m'a créé de sérieuses difficultés » (LÉVI-STRAUSS cité SUPPO, 2002, p.182).

Mais le cas de Lévi-Strauss fait émerger encore d’autres problèmes : en arrivant à São Paulo, au lieu de se mêler à la haute société, il préfère d’autres relations et la compagnie de Mario de Andrade, Sergio Millet, Rubens Borba de Moraes et Paulo Duarte, du département de la culture de la ville de São Paulo, et entretient peu de relations avec Júlio de Mesquita (SUPPO, 2002, p.183). Pierre Monbeig est plus stratège. Il n’est pas plus attiré par la haute société, mais il fait exception pour Júlio de Mesquita, qu’il considère comme un “ange gardien” (PETITJEAN, 1996a, p.300-301).

La posture de Lévi-Strauss, soutenue par Monbeig, part de l’idée que la diplomatie conduite par Georges Dumas est une erreur tactique. Plus importants qu’une alliance avec la bourgeoisie raffinée, mais décadente, que l’université prisait comme une distraction, seraient les étudiants qui cherchaient une ascension sociale par les études et deviendraient une élite émergente (SUPPO, 2002). Pour Lévi-Strauss, selon les paroles de Suppo, « le SOFE [Service des Œuvres Françaises à l’Étranger] a exclusivement privilégié la formation des élites urbaines au détriment des masses populaires car il n’a pas compris

76 que le XXème siècle est un siècle de masses et d’opinion publique » (SUPPO, 2002, p.384- 385).

Les directeurs de la FFCL avaient un problème avec la continuité de l’enseignement. Elle n’était pas assurée entre la première et la deuxième année faute de public. Ils ont donc décidé de distribuer des bourses d’études (PETITJEAN, 1996a). Antônio Cândido donne une version détaillée des faits :

Au tout début de la Faculté, en 1934, 1935, peu d’étudiants se sont inscrits et beaucoup ont abandonné le cursus. Quand est arrivée l’année suivante, il n’y avait presque plus d’étudiants. Alors, Júlio de Mesquita Fils a dit au Professeur Fernando de Azevedo, qui me l’a rapporté : ‘Vous voyez, nos efforts n’ont servi à rien, São Paulo n’est pas à la hauteur de nos espérances, personne ne s’est inscrit, personne ne s’intéresse, cette Faculté va fermer, faute d’étudiants’. Alors, Fernando de Azevedo, qui était directeur de l’Institut de l’Éducation, a eu une idée géniale, répondant plus ou moins ainsi à Júlio de Mesquita Fils : ‘Si vous obtenez un décret, je vous remplis la Faculté d’étudiants capables. Comment ? En commissionnant les enseignants de primaire avec leurs salaires. Je prends les jeunes enseignants de primaire qui évoluent dans les groupes scolaires, dans les écoles rurales, les meilleurs d’entre eux, ce qui ont eu de bonnes notes, et je les commissionne à la Faculté en tant qu’étudiants. Ils recevront leur salaire, non pour être professeurs, mais étudiants‘. (CÂNDIDO in FREITA, 1993, p.41)

Pour achever ce tableau dans lequel apparaissent les vicissitudes de l’organisation d’une science brésilienne sous la direction des Français, et dans des conditions de travail qu’ils considèrent appropriées à leur action dans le pays, il faudra rappeler qu’à partir de 1938, l’enseignement critique et ouvert des professeurs français commence à subir les attaques constantes du directeur de la FFCL, Alexandre Correia. Il attend des professeurs un enseignement aussi impersonnel que possible (SUPPO, 2002, p.204). Les professeurs réagissent : aucune concession à un enseignement qui ne serait pas personnel. Ils reçoivent le soutien des étudiants (Archives diplomatiques France – La Courneuve - boîte 444 - série D, carton 170, dossier 9, Informations sur la mission universitaire de Sao Paulo [juillet, sept 1938]).

4- Contribuer à l’organisation de la Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres

Les professeurs français étaient appelés à contribuer à l’organisation des cursus supérieurs de la récemment fondée Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres (FFCL) de l’Université de São Paulo (USP). Projet de l’élite de São Paulo, la diplomatie

77 française a trouvé une façon de concilier sa proposition universitaire et les objectifs des Brésiliens. Une figure-clé joue le rôle d’organisateur de la fondation de l’USP : le journaliste Júlio de Mesquita Fils, successeur de son père à la tête du journal O Estado de São Paulo. Se référant à la déroute sur le champ de bataille de la Révolution Constitutionnaliste de 1932 par les forces du gouvernement fédéral, Júlio de Mesquita fait une association directe entre cette lutte politique et la fondation de l’USP, un champ de bataille parfaitement compris par les jeunes Français :

Nous sortions d’une crise extrêmement grave, qui nous avait coûté le sang généreux de milliers de jeunes et l’autonomie de l’Etat. Vaincus par les armes, nous savions parfaitement que seules la science et la persévérance dans l’effort nous rendraient l’hégémonie dont nous avions joui durant de longues décennies au sein de la fédération. Paulistes jusqu’à la moelle, nous hériterons de notre ascendance bandeirante le goût des plans audacieux et la patience nécessaire à l’exécution des grandes entreprises [c’est nous soulignons] (MESQUITA, 1969 cité par LIMONGI, 1988, p.8).

Le témoignage de Júlio de Mesquita Fils révèle une conception de l’Université et de l’enseignement proche des objectifs politiques. Pour lui, l’État de São Paulo avait perdu la guerre à cause d’un problème de culture, entre autres facteurs, évidemment. Or, la France était déjà passée par ce genre de diagnostic à l’occasion de la défaite de Sedan, et Júlio de Mesquita Fils croit se trouver dans une conjoncture similaire. Cette vision de l’élite pauliste est en accord avec celle des Français, ce qui contribue à justifier l’influence française sur le système universitaire brésilien :

Au sortir de la Révolution de 1932, nous avions l’impression très nette que le destin venait de placer São Paulo dans une position identique à celle de l’Allemagne après Iéna, du Japon le jour qui a suivi le bombardement de ses ports par l’escadrille états-unienne, et de la France après Sedan. (...) Quatre ans de contact étroit avec les milieux où évoluaient les figures de proue des deux factions en lutte nous ont donné la conviction que le problème brésilien était, avant toute chose, un problème de culture. D’où la fondation de notre université et, par conséquent, la création de la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres (FFCL). (MESQUITA FILS cité par SCHWARTZMAN, 1979, p.193-194).

Dans ce contexte, l’Université de São Paulo a été conçue dans le lieu de formation d’intellectuels « désintéressés », formés aux sciences pures, qui peuvent contribuer au développement du pays par un regard « technique » avec une vision éminemment scientifique et démocratique (LIMONGI, 1988). Il s’agit d’une vision de l’enseignement plutôt orientée vers les intérêts démocratiques des Paulistes contre l’État centralisateur

78 qui a émergé de la Révolution de 1930 et qui, en plus de repousser la constitutionnalisation du pays, menaçait l’autonomie des États.

Georges Dumas participe à l’organisation d’un enseignement au Brésil avec le projet de fondation d’une Faculté d’Éducation qui aurait dû s’appeler Faculté de Philosophie, des Lettres et de l’Education, mais qui n’a jamais vu le jour (LIMONGI, 1988, p.85-86). Le modèle français se développe au sein de la Faculté de Philosophie qui est considérée comme l’axe structurant de l’Université. En s’appuyant sur leurs visites répétées à l’Institut Franco-Brésilien de Haute Culture, les intellectuels français défendaient leur modèle. Paul Fauconnet est le principal acteur d’une conférence, dans laquelle il affirme que :

J’ai été le témoin à São Paulo d’une magnifique Faculté de Médecine, d’une notable Faculté de Droit et d’une Ecole Polytechnique de renommée universelle. Je n’ai pas vu, en revanche, d’enseignement supérieur de philosophie, de littérature ou de langues. Eh bien, messieurs, sans organes capables de fournir cet enseignement, on ne peut pas parler d’université. (...) Et comme j’ai vu que c’est le domaine des lettres qui fait le plus défaut, je répète qu’il faudra s’occuper d’une faculté de philosophie, des sciences et des lettres, ou d’un organe similaire. (FAUCONNET cité par LIMONGI, 1988, p.116-117)

Paulo Duarte, un des organisateurs de l’Université, confirme l’inspiration presque totale sur le modèle français. Avant la Commission des onze (celle des 11 intellectuels qui ont écrit le projet de loi de la création de l’USP), toute l’organisation avait été réalisée par Júlio de Mesquita Fils, Armando de Salles Oliveira et Paulo Duarte (SCHWARTZMAN, 1979, p.201). Duarte avait ensuite été exclu de la Commission des onze qui élaborerait le décret de fondation de l’Université. Il attribue lui-même son exclusion à sa position de gauche (SCHWARTZMAN, 1979, p.203). Mais, en tant que participant actif aux premières études, son témoignage est éclairant :

Nous avons choisi – et ceci d’un commun accord – deux paradigmes, disons, pour l’Université. En premier lieu, la formation de Julinho comme la mienne sont des formations françaises. Mais nous n’avons pas souhaité nous restreindre à notre formation française. Nous avons choisi la Sorbonne, évidemment, pour étudier une université structurée de façon scientifique. Et nous avons choisi, également, l’université anglaise, avec Cambridge. Nous avons fait chercher toutes les informations possibles sur ces universités. Mais, en réalité, l’organisation française était supérieure à l’anglaise. (...) Et nous pouvons dire que notre organisation suit à 80% le modèle français. (...). L’Université française avait pour cellule- mère la Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres. Certaines étaient plus avancées dans leur enseignement. Ils ont alors séparé la Faculté de Philosophie et des Lettres d’un côté,

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et la Faculté des Sciences de l’autre. C’était déjà comme ça en France. Mais nous n’avions pas les conditions de faire deux facultés : celle de philosophie d’un côté, celle de sciences de l’autre. Nous avons alors fait la Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres, tel que c’était en France anciennement. Autour de cette faculté, gravitaient les autres. (...) La structure anglaise, je ne m’en souviens pas bien. Mais je me rappelle de quelque chose : une partie des sciences était déjà complètement en-dehors de la Faculté de Philosophie, en Angleterre. Les sciences les plus avancées, comme par exemple la biologie. Ils avaient déjà l’Institut de Biologie. D’ailleurs, il y avait des instituts en France aussi, en-dehors de l’Université. Ils n’étaient que des auxiliaires de l’Université. (DUARTE cité par SCHWARTZMAN, 1979, p.197-198)

« L’Université de São Paulo a été créée par l’action de Armando de Salles Oliveira, le 25 janvier 1934 » (WITTER, 1984, p.23). La vocation de l’enseignement que préconise l’élite pauliste, confrontée à ses réelles tâches pratiques, divise les professeurs entre une conception d’une science « désintéressée » ou d’une science tournée vers des buts pratiques. Le fait est que certains professeurs français avaient une posture encore plus engagée que ce qu’attendait l’élite pauliste, et ils ont fait en sorte que l’élévation du débat culturel avec la mise à niveau des étudiants sur tout ce qu’il y avait de nouveau du point de vue scientifique, ait également des répercussions parmi les étudiants des classes les plus populaires.

Ainsi, dans la pratique, quelques professeurs français ont renoncé en partie à leurs principes démocratiques, libéraux et élitistes, autour d’une conception de la science basée sur la philosophie, pour s’adapter à un public d’étudiants d’origine populaire, fils d’immigrants travailleurs, engagés dans la construction sociale d’un Brésil naissant, en développant un enseignement utilitaire et pratique. Le profil d’étudiants issus des élites et leurs motivations universitaires a été motif de critique de la part de Fernand Braudel et de Pierre Monbeig qui préféraient se tourner vers les étudiants qui voyaient dans la science un objectif pratique (BRAUDEL cité par LIMONGI, 1988, p.188).

Pierre Monbeig cherche à former des géographes plus actifs, participant à la conduite de tâches citoyennes au Brésil, issus de classes inférieures, engagés dans une situation de travailleurs. Pour lui, il est hors de question de former des géographes imperméables aux questions politiques :

Sans attendre de statut définitif, c’est évidemment dans cette direction qu’il faut orienter notre enseignement. Préparer des générations de professeurs, plus que de spécialistes érudits remuant de confuses théories, et s’occuper en même temps de discerner, parmi les futurs

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enseignants, ceux qui seront capables de réaliser des travaux scientifiques, d’effectuer des recherches personnelles. Or, ceci n’est pas possible actuellement, parce que les programmes ne le permettent pas et parce que les élèves n’ont pas la formation nécessaire : les uns sont excessivement scolaires, les autres excessivement pompeux (MONBEIG cité par LIMONGI, 1988, pp.228-230).

Parmi les principes directeurs de l’Université et de la Faculté de Philosophie, Pierre Monbeig rejette, d’une certaine façon, le projet d’une science totalement désintéressée : « Il devient nécessaire de donner aux études de la Faculté une finalité pratique (...) » (MONBEIG, 1937, p.114) en donnant la préférence à une méthode pédagogique tournée vers les étudiants aux faibles revenus et pour qui la géographie aurait un intérêt pratique (MONBEIG, 1937, p.120). Mais malgré des conditions souvent difficiles, il ne renonce pas aux principes directeurs généraux de la géographie. Comme celui de la Sorbonne, ce cursus de géographie cherchait à initier les étudiants à la connaissance des diverses régions du globe, pour leur permettre de faire des comparaisons (MONBEIG, 1937, p.116).

A partir des programmes, nous observons que Pierre Monbeig organise ses cours de géographie de façon relativement similaire à ce qui se pratique à la Sorbonne. Dans un premier temps, le cours de géographie physique parait précéder celui de géographie humaine. Pierre Monbeig n’oublie pas d’introduire ce qu’il appelle les « lois générales de la géographie » (FACULTE DE PHILOSOPHIE, DES SCIENCES ET DES LETTRES, 1937): « (...) par l’enseignement de la Faculté, les jeunes acquièrent la connaissance des lois de la géographie ; ils en viennent à connaitre les particularités de chaque pays, car il serait vain de prétendre étudier son propre pays sans pouvoir faire de comparaisons suggestives » (MONBEIG, 1940q, p.276).

Le cursus est organisé en cours magistraux, travaux pratiques, excursions et séminaires, exactement comme à la Sorbonne. Au-delà des enseignements, la recherche a été une étape essentielle pour nouer des liens entre Pierre Monbeig et le Brésil. Un de ses élèves, Pasquale Petrone, qui deviendra professeur du Département de Géographie de l’USP, relate comment la pratique de la recherche s’est révélée essentielle à la formation du département (PETRONE, 1994, p.3). Selon Nilo Bernardes, la pratique de la recherche entreprise par Monbeig au Brésil a eu comme résultat la formation d’un corps de géographes, une étape essentielle à la formation d’une école brésilienne de géographie (BERNARDES, 1982, p.521-522).

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Enfin, il faudra souligner que les professeurs français participent à l’organisation de l’enseignement universitaire au Brésil en stimulant les donations et les achats de livres de leur pays d’origine. L’acquisition de livres a généré beaucoup de mouvement, et les évocations de tels achats et de donations sont récurrentes dans les archives. Le projet n’était pas simplement de diffuser la culture française, mais de permettre aux étudiants d’accéder à la bibliographie indiquée par les professeurs. Monbeig lui-même souligne que sa bibliographie se restreint à ce qui est disponible.

5- Établir les points de départ de l’enseignement et de la recherche des étudiants : stimuler la lecture des classiques de la géographie et la confection de monographies régionales brésiliennes. L’enseignement d’une méthodologie

À son arrivée au Brésil en février 1935, le géographe français prononce sa leçon inaugurale du cursus de géographie humaine de l’Université de São Paulo. Dans ce cours, la tradition géographique française est présentée : définition de la géographie, de ses principes et de sa méthode. Des travaux sont demandés aux étudiants : il est primordial de lire les livres de grands géographes, en particulier Vidal de la Blache, pour comprendre quel est l’objet de la géographie et sa place au sein des sciences (MONBEIG, 1940a, p.11).

Ensuite, en exposant la façon dont les géographes doivent observer la réalité, il a recours aux principes géographiques systématisés par Emmanuel de Martonne. La synthèse de la définition de de Martonne est précise et fidèle : la géographie localise (principe de la localisation et de l’extension), explique la distribution des phénomènes (principe de l’extension et principe cartographique) et cherche les rapports de ces phénomènes entre eux (principe de causalité) ce qui débouche sur la géographie générale et la géographie comparée (MONBEIG, 1940a, p.16).

Les principes géographiques sont présentés avec des pratiques et exercices qui se basent sur la valorisation du concret. Ils s’ancrent dans le travail de terrain, dans la description de paysages : « Ceci m’amène à une observation essentielle, à savoir que le champ d’études du géographe est le paysage. » (MONBEIG, 1940a, p.13), et dans une conception qui intègre le passé et le présent : « Il lui incombe d’étudier des faits très divers et il n’est pas rare de s’enfoncer très loin dans le passé » (MONBEIG, 1940a, p.13). Enfin,

82 l’importance de représenter les phénomènes spatiaux sur une carte (MONBEIG, 1940a, p.14) est exposée :

A ce sujet, je préfère ouvrir le traité de de Martonne pour lire cette définition, que j’estime excellente ‘La géographie traite de la répartition des phénomènes physiques, biologiques et humains à la surface du globe, de sa cause et des rapports entre les phénomènes’. De Martonne ajoute : ‘Elle (la géographie) n’a pas seulement un caractère essentiellement scientifique et philosophique, mais aussi descriptif et réaliste, qui fait son originalité’. Chaque terme se trouve, dans ces lignes, soigneusement pensé. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1940b, p.11)

Dans sa référence à de Martonne, il y a une synthèse brillante de la façon dont la géographie française a repensé son paradigme en associant des finalités « scientifiques et philosophiques » à des pratiques « descripti[ves] et réalistes ». La généralisation scientifique et philosophique est articulée aux valeurs descriptives, réalistes et littéraires sans nier un développement méthodologique et un engagement pratique. Tout cela apparait dans le texte de cette leçon inaugurale.

Un document daté de 1940, préservé à l’IEB (Institut d’Études Brésilien) et non publié, pointe la préoccupation de Monbeig pour l’élaboration, à ce moment-là, d’un manuel pour la réalisation de monographies régionales (MONBEIG, fonds Pierre Monbeig, L’étude régionale en Géographie Humaine. Boîte 6, doc 1. 1940). Dans ce document, malgré l’ambition de décrire des paysages singuliers, nous voyons Monbeig adopter une posture plus méthodologique.

6- Donner une continuité aux activités de l’Association des Géographes Brésiliens (AGB)

La fondation de l’Association des Géographes Brésiliens par Pierre Deffontaines, en 1934, constitue un patrimoine des plus importants légués par ce géographe à la discipline au Brésil. Monbeig, accompagné de compagnons de la science brésilienne, donnera continuité au travail de l’association. L’AGB deviendra un organe de consolidation du mouvement d’organisation et de rénovation de la géographie brésilienne. Elle fait également partie d’un ensemble de structures calqué sur le modèle français (DELFOSSE, 1998). En assumant la présidence de l’association en 1935, Pierre Monbeig mobilise des références françaises pour la réalisation des tâches de l’association brésilienne :

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Les regroupements européens se sont constitués ainsi ; si l’on feuillette la liste des membres de l’Association des Géographes Français, on n’y trouve pas seulement des professeurs de géographie, mais aussi des officiers, des agronomes, des colons, des directeurs d’importants services publics, des hommes d’affaires et des secrétaires de Chambres de Commerce. L’Association accueille des étudiants déjà expérimentés : par l’enseignement de la Faculté, les jeunes acquièrent la connaissance des lois générales de la géographie ; ils apprennent les particularités de chaque pays, car il serait vain de prétendre étudier son propre pays sans pouvoir faire de comparaisons suggestives (MONBEIG, 1940q, p.276).

Il est indubitable que le développement de l’AGB est une condition majeure de la constitution en tant qu’école du groupe de géographes. Tout comme l’AGF, l’AGB renforçait l’approfondissement de la discipline, une homogénéisation des méthodes et la formation d’esprits sur une base commune. Selon les termes de Monbeig, « plus tard, sont apparus de plus en plus de bons géographes. Nous avions créé l’association des géographes brésiliens (...)” » (MONBEIG in LAPOUGE, 1984). L’AGB se consacrerait de préférence à une acclimatation des géographes français à la réalité brésilienne et à l’éducation des géographes brésiliens aux méthodes françaises. C’est ainsi qu’elle intègre et stimule l’organisation de la géographie au Brésil et contribue à créer un corps de géographes qui partagent les mêmes méthodes. Les monographies régionales que l’AGB allaient encourager étaient à la rencontre des intérêts des géographes français et brésiliens. Selon Monbeig :

(…) une série de monographies des activités humaines actuelles permet de ne rien ignorer des ressources économiques du pays ; les origines, les conditions naturelles, les difficultés économiques et les réelles importances des diverses branches de l’agriculture, du commerce et de l’industrie sont étudiées avec soin et les travaux géographiques finissent par constituer une véritable ‘somme’, qui réunit valeur scientifique et utilité nationale (...). C’est l’objectif que vise l’Association des Géographes Brésiliens. (MONBEIG, 1940q, p.276).

Dans ce mouvement de rénovation, l’organisation de la bibliothèque avec des références nationales et étrangères – bibliothèque qui encore aujourd’hui est un des plus grands patrimoines de périodiques géographiques du Brésil – s’est constituée de la même façon. La bibliothèque est un lieu d’approches critiques. Une lettre du secrétaire de l’AGB d’alors, Caio Prado Jr, au directeur de la Faculté de Philosophie de l’époque, Eurípedes Simões de Paula, manifeste en premier lieu l’esprit pionnier qui régnait dans les cercles des fondateurs de l’entité, dans le contexte de constitution de la géographie brésilienne. Elle exprime en outre combien la critique du matériel géographique était stratégique pour le mouvement de remodelage de la culture géographique brésilienne (CAPH, Projet

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Mémoire de la FFCL/FFLCH-USP, Archives personnelles d’Eurípedes Simões de Paula, boite 27, doc 2390 [lettre de Caio Prado Jr à Eurípedes- directeur de la FFCL sur l’AGB])

L’AGB s’est munie, en outre, d’une publication trimestrielle intitulée Geografia, parue régulièrement entre 1935 et 1936, et ensuite remplacée par le Bulletin de l’Association des Géographes Brésiliens, publié en 1940 par la Revue Brésilienne de Géographie (liée à l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique), puis de façon autonome.

7- Contribuer à l’organisation du Conseil National de Géographie (CNG) et de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)

Si les géographes paulistes possédaient leur structure, la capitale brésilienne, à cette époque, était également le siège d’une autre structure : le Conseil National de Géographie dans lequel la participation des Français était toute aussi importante. Selon Pierre Monbeig, le CNG était une entité « administrative », tandis que l’AGB était une entité « scientifique » : « Ainsi, en 1938, le Conseil National a admis l’Association des Géographes Brésiliens parmi ses membres » (MONBEIG, 1940i, p.282).

Le CNG comptait le soutien de Pierre Monbeig et des Français. Emmanuel de Martonne aurait posé la constitution du CNG comme condition à l’admission du Brésil dans l’Union Géographique Internationale (PENHA, 1993, p.74). Le CNG aurait aussi eu une autre importance pour Monbeig : une telle entité aurait été le moyen de l’inclusion de la recherche géographique à l’Institut National de Statistique (INE). Le recensement de 1940 était préparé par l’entité depuis 1938. Ce recensement aura un énorme impact sur la recherche de doctorat de Monbeig. Le processus d’élaboration de cette enquête nationale peut d’une certaine façon expliquer qu’il n’ait commencé à rédiger sa thèse de doctorat que dans les années 1940.

Le processus d’incorporation du Brésil aux réseaux mondiaux était essentiel. Une lettre de Pierre Deffontaines envoyée au ministre en 1936 l’invite à entrer dans l’Union Géographique Internationale via le CNG (SANTOS, 2014). Directeur de la Revue Géographique à partir de 1936, Pierre Monbeig se positionne aussi, en 1936, pour l’inclusion du Brésil aux réseaux géographiques internationaux. Ce mouvement qui comprend la création du CNG est assez significatif de ce qui était en jeu dans la venue

85 des géographes français au Brésil : la formation de la géographie brésilienne sous cette direction impliquait l’insertion du Brésil dans un réseau de recherches mondialisées. A la réunion de l’AGB du 19 octobre 1936, Pierre Monbeig expose les démarches réalisées auprès du ministre des affaires étrangères, dans le but de faire entrer le Brésil dans l’UGI. Le comité éditorial relate les arguments exposés par Pierre Monbeig :

Considérant la nécessité pour toute sorte de discipline scientifique de nous tenir au courant des travaux internationaux, prenant en compte l’intérêt que présentent les enquêtes réalisées dans tous les pays par l’Union Géographique dans plus de trente États, l’Association des Géographes Brésiliens, souhaitant voir le Brésil occuper sa place dans le mouvement scientifique mondial, exprime le vœu que le Conseil National de Géographie donne son adhésion à l’Union Géographique Internationale et, pour la rapide réalisation de ce souhait, donne son entière confiance à l’action du Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères. (AGB, 1936, p.67).

À partir de ce moment, le travail de Monbeig est appuyé sur des statistiques et une cartographie de norme internationale. Il avait donc toutes les raisons de soutenir la consolidation du CNG (MONBEIG, 1940i. p.277-278). La standardisation des méthodes n’est pas seulement une tendance de la géographie française. Les sciences dans leur ensemble sont en transformation.

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Chapitre 4 Le projet de recherche sur les franges pionnières et leurs espaces de référence (1935-1940) : une première « redéfinition » du Brésil

L’objectif de ce chapitre est de chercher à savoir si les efforts d’organisation de la géographie brésilienne ont permis de consolider, avant 1940 (quand Pierre Monbeig publie son premier livre sur le Brésil), un environnement de recherche qui facilite la réalisation de travaux en phase avec ce qui se produisait en France. En ce sens, nous souhaiterions vérifier si les premiers questionnements de Monbeig sur les franges pionnières – nés au contact du terrain brésilien – s’associaient, sans ruptures, aux enseignements d’une géographie humaine telle qu’il les tenait de ses maitres (n’oublions pas que la mort de Demangeon date de 1940, donc cinq ans après l’arrivée de Pierre Monbeig au Brésil et deux ans après le Congrès international d’Amsterdam).

Nous souhaitons comprendre comment Pierre Monbeig a construit son objet de recherche au Brésil – en termes de questions, concepts et références – et en fonction de quelles approches méthodologiques de la géographie humaine ; comprendre aussi s’il mobilise la description littéraire et s’il prend en compte les usages possibles des savoirs produits. Le Brésil était un espace inexploré par la recherche que ce soit en géographie humaine, en sociologie, ou même en histoire. C’est une question de recherche de savoir comment des recherches régionales pouvaient être conduites au Brésil.

1- Le constat des lacunes de la géographie brésilienne fait par Monbeig

Quelle est la relation des intellectuels français avec les références scientifiques brésiliennes ? Dans le cas des sciences sociales, Lima soutient que les Français tendaient à faire table rase de ce qui existait au Brésil (LIMA, 2013). Néanmoins, l’auteure est amenée à nuancer son propos en fonction des périodes avec « une discontinuité absolue entre la formulation d’arguments sociologiques dans la période antérieure à 1930 et ceux qui viennent à se définir postérieurement, avec l’institutionnalisation universitaire des sciences sociales. » (LIMA, 2013, p.55) Pierre Monbeig est interviwé à ce sujet:

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Giles Lapouge - Dans quel état se trouvait la géographie du Brésil à votre arrivée ? Pierre Monbeig- Presque inexistante. Bon, il y avait l’influence de Deffontaines, mais elle n’avait qu’un an. Et, bien sûr, il y avait un excellent géographe à Rio, Carlos Delgado de Carvalho. Il avait été soldat de l’armée française et avait suivi des cours de sciences politiques. Il a publié un livre remarquable sur la géographie du Brésil méridional. Mais, à part ces rares exceptions, plutôt insatisfaisante. (...). (MONBEIG in LAPOUGE, 1984).

Pierre Monbeig ne passait pas sous silence ce qui existait au Brésil, mais il adopte une posture critique dans son dialogue avec cette historiographie. Dans un chapitre de 1949 qui vise à contribuer au Manuel Bibliographique Brésilien, notre auteur fait un bilan de la littérature étrangère et brésilienne au sujet du Brésil, sur la longue durée7.

Si, d’un côté, il se voit comme un participant d’un mouvement animé par des intellectuels brésiliens à la recherche des racines du Brésil, de l’autre, Pierre Monbeig tend à considérer tout ce qui existe avant son arrivée comme « matière première » d’une géographie humaine brésilienne encore inexistante : « les thèmes classiques de la géographie humaine n’avaient pas encore été abordés, ou, en tout cas, avaient à peine été ébauchés, et pas toujours par des géographes. » (MONBEIG, 1949, p.488)

Quelle était la part qui incombait à la géographie humaine ? Sans aucun doute, elle avait bénéficié des voyages des ethnographes, mais les recherches sur les populations indigènes et, plus récemment, sur les populations noires, touchent à peine une petite partie de la masse du peuple brésilien ; les données géographiques sont ici considérées sous un angle particulier et ces publications viennent augmenter la matière première des études géographiques, sans former elles-mêmes une telle étude. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1949, p.479).

Partant de la critique (ou parfois le silence) qu’il esquisse envers cette littérature, nous comprenons plus clairement le projet qu’il ébauchait pour construire une géographie brésilienne avec ses spécificités institutionnelles, ainsi que théoriques. Le premier groupe d’auteurs passés sous silence par Monbeig est celui des géographes sociaux et les « anthropogéographes » brésiliens, notamment Silvio Romero, Roquette Pinto et Oliveira Viana. Un deuxième groupe de penseurs liés à la géographie ne mérite pas mieux que le silence de Monbeig, à part Delgado de Carvalho : celui des géopolitiques. Elyseo de Carvalho, Everardo Backeuser, Carlos Delgado de Carvalho, Mário Travassos et Francisco de Paula Cidade sont connus à cette époque (MIYAMOTO, 1981, pp.48-49), mais ils ne apparaissent pas dans les écrits de Monbeig. Ils représentent les premiers écrits

7 Bien qu’un tel texte soit hors de la périodisation de ce chapitre, il n’est pas difficile de conclure que ce bilan commence à se constituer dès son arrivée, même s’il est publié plus tard. 88 brésiliens dans le domaine de la géopoltique. L’influence de Ratzel dans ce cercle est manifeste. Pierre Monbeig a aussi été critique vis-à-vis de l’état embryonnaire dans lequel se trouvait la cartographie du pays (MONBEIG, 1949, pp.473-474).

Si Delgado de Carvalho était celui que Monbeig reconnaissait comme le plus pertinent dans le champ de la pensée brésilienne, il a tout de suite compris que le vivier des chercheurs était insuffisant et qu’une « géographie française » pouvait être développée en terres brésiliennes. Il existait, par exemple, des différences significatives par rapport à la géographie défendue par Monbeig en ce qui concerne, justement, la relation avec le travail de terrain, même avec des géographes de formation française : « Delgado n’a pas participé à la phase réellement significative de la légitimation du géographe par le travail de terrain, à partir de la moitié des années 1930 » (BARROS, 2008, p.327). La position de Monbeig face au champ scientifique brésilien est sans équivoque: pour lui la géographie humaine brésilienne n’existe pas avant son arrivée.

Pour Monbeig l’ « anthropogéographie » et la géopolitique brésiliennes ont un retard théorique important et sont trop liées aux intérêts de l’État alors que lui-même est sensible aux intérêts de classe. Nous verrons ensuite comment Pierre Monbeig a contruit ses questions de recherche à divers échelles.

2- La Méditerranée comme espace de référence

La question de l’articulation de la géographie générale avec la géographie régionale était au cœur de la tradition française tout comme la variation des échelles et les possibilités de comparaison. Le géographe agissait comme un révélateur de la diversité des paysages du monde. Le travail de terrain et la découverte des paysages mobilisaient des valeurs littéraires. C’est dans l’évocation des paysages lointains et distants que Monbeig réaffirme l’unité sensible de la géographie pour la lecture du monde. Monbeig a formulé des questions dans son projet de recherche à diverses échelles. Dans ce résumé, nous allons présenter ces questions sans entrer dans les détails de ses formulations.

Tableau 2. Les questions de Pierre Monbeig à l’échelle globale

Echelle Questions sur le Brésil

Globale Est-ce que les sociétés des pays neufs auront la capacité de construire une « civilisation » rapidement ?

Est-il possible de développer rapidement une civilisation sous les tropiques ?

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Comment s’articulent les impulsions globales avec les impulsions locales ?

Les colonisations de terres en Méditerranée et dans les zones pionnières suivent-elles le même type d’évolution ?

Quelles sont les spécificités du capitalisme tardif ?

Org : LIRA, 2016. 3- Le soutien à une théorie générale de la colonisation et le congrès d’Amsterdam de 1938

Pierre Monbeig se laisse guider par une théorie géohistorique de la colonisation associée aux processus économiques contemporains.

Géographes et économistes sont amenés à constater que les groupes humains, en s’appropriant une région et en la valorisant, l’atteignent entière et de façon uniforme, même les terres les plus ingrates. La première phase de la conquête agricole serait marquée par le mépris complet de ses avantages géographiques : je rappellerai en quelques mots que les premiers sols cultivés dans l’Etat de São Paulo à la période coloniale sont considérés comme étant les plus médiocres. Ensuite viendrait la véritable adaptation aux conditions géographiques : le paysage rural se nuance ; chaque avantage du relief, du climat, du sol est utilisé dans la mesure du possible. Seulement alors peut-on parler de la domination de la nature par l’homme, puisque la meilleure manière peut-être de dominer, est d’adapter. Dans les vieilles terres des bords de la Méditerranée, le phénomène apparait clairement, mais je dois dire, et pas seulement en guise de conclusion d’une conférence, que je l’ai parfaitement compris dans mes voyages dans les nouvelles campagnes de l’intérieur brésilien. (MONBEIG, 1940h, p.261-262)

On distingue, en théorie, deux formes spatiales de colonisation qui alternent et se combinent. Premièrement, il y a un mouvement extensif horizontal qui se forme dans des espaces ouverts. Il est indifférent aux caractéristiques du milieu ; c’est un mouvement de colonisation économique. L’autre mouvement est intensif; ses dynamiques sont verticales. Il est formé dans des espaces fermés ou gênés par les caractéristiques du milieu. C’est un mouvement de colonisation « naturelle » (les termes « économiques » et « naturelles » sont de Demangeon). Ces dynamiques se combinent de manière complexe. Le mouvement extensif est stimulé par des facteurs économiques. Le mouvement intensif est stimulé par les facteurs naturels. L’ordre et l’importance de ces facteurs varient en fonction des espaces dans lesquels ces mouvements sont observés.

Ainsi, il apparait que Pierre Monbeig adopte un modèle de progrès géohistorique et économique. Monbeig mobilise déjà une théorie générale de la colonisation avec un modèle géographique de la colonisation dans lequel prédomine une évolution naturelle

90 ou une évolution économique. Cette théorie générale de la colonisation peut s’appliquer aux franges pionnières. Ce qui caractérise sa diffusion dans ce type d’espace, c’est qu’elle commence par des mouvements extensifs.

Les organisateurs du congrès international de Géographie d’Amsterdam de 1938 ont prévu une section intitulée « géographie coloniale ». Cette section traitait essentiellement des tropiques, « associant tropiques et colonisations » (ROBIC, 2013). Lors de ce congrès, on voit que le modèle décrit ci-dessus ne circule pas encore explicitement mais qu’il est sous-entendu. Les organisateurs du congrès posent trois questions aux participants :

1. Possibilités de colonisation par la race blanche dans la zone tropicale. 2. Le rapport entre la densité de population et le mode d’utilisation (ou exploitation) du sol dans le régions coloniales. 3. L’industrialisation en tant que condition indispensable au maintien du niveau de la prospérité dans le régions tropicales à population dense (ROBIC, 2013,).

En termes plus généraux, les questions articulent trois éléments essentiels du modèle de Monbeig : peuplement, valorisation agricole et industrialisation. L’ordre dans lequel ces questions sont exprimées suggère aussi un raisonnement évolutif. En outre, par la formulation de la dernière question, le congrès mentionne une étape qui n’est pas toujours présente : l’industrialisation. De cette façon, il n’y a pas seulement un modèle sous-entendu qui circule déjà dans le monde, mais aussi la nécessité de l’intervention des hommes pour ce qui concerne les pays neufs afin de guider le développement.

La géographie des tropiques, du point de vue de la communauté internationale, est une géographie de la colonisation. Quelles seront les implications sur le statut épistémologique de la géographie française, alors que nous avons vu qu’une partie de sa légitimité a été acquise par la marginalisation de la géographie coloniale ? Mais ces fissures n’apparaissent pas encore dans l’œuvre de Monbeig. Ce qui apparait à ce moment-là, c’est la formulation de ces questions, qui ont pour base une théorie générale de la colonisation.

4- Genre de vie, mobilité et marché dans les franges pionnières : une étude comparée à l’échelle régionale. Pierre Monbeig contre le capitalisme mondial

Toujours dans le cadre régional, surgiront des questionnements élaborés sur la base de raisonnements comparatifs. Cependant, ces élaborations commencent par la

91 cartographie des genres de vie (densité, conditions de mobilité, occupation du lieu, etc.). Si la porte d’entrée de la problématisation est le genre de vie, l’importance du travail de terrain, plus que du travail théorique se confirme.

Mais quels sont les liens avec les autres concepts vidaliens en contexte de colonisation ? Le genre de vie a un effet majeur sur la formation de densité. Celle-ci est décisive dans la lutte de l’homme pour dominer la nature. Selon la façon dont le milieu induit une spécialisation en fonction du genre de vie, la densité peut varier considérablement. C’est Preston James qui le mentionne en parlant du Brésil:

We return, then, to our problem: why are there so few people in Brazil? The answer is not to be found only in those areas where concentrated settlement scallops the eastern border of the country. The answer must also be sought on the regions beyond. Perhaps the persistence of the tradition of collecting the fruit without planting the tree is, itself, a reflection of large area, of which so great a part is sertão. For more than centuries the Brazilian have been struggling to break the sequence of cause and effect. (JAMES, 1950, p. 376)

Dans son observation des paysages brésiliens, Pierre Monbeig inaugure deux types de relations du genre de vie avec d’autres concepts géographiques : le premier avec la densité et l’autre avec la propriété et le marché (à la suite d’Albert Demangeon). Ayant esquissé ces relations dans un raisonnement scalaire et comparatif, il élabore ses questions. Une fois que le territoire brésilien a été mis en valeur de manière capitaliste, le problème de l’expansion des genres de vie, cher à Vidal de la Blache, intègre nécessairement des aspects économiques.

Dans le cas du Minas Gerais, par exemple, Pierre Monbeig décrit la situation géographique d’une région intermédiaire entre le sertão et les fazendas paulistes. Il associe les caractéristiques des genres de vie qui ont influencé la vie du sertão avec les fonctions économiques des propriétaires et des travailleurs. Il mentionne les relations entre la rusticité des habitants et la modernisation économique. S’appuyant sur la caractérisation du genre de vie, Pierre Monbeig propose une approche qui décrit la migration progressive d’une vie traditionnelle à une vie plus déterminée par la modernisation économique.

Au Minas Gerais, les types humains traditionnels se présentent comme un mélange entre le paysan et l’ouvrier, influencés par le genre de vie agriculteur et cueilleur. Le Sud de Bahia, lui, est le domaine des colons et des prolétaires agricoles nomades ;

92 tandis que dans l’État de São Paulo, à côté des pionniers et planteurs (agriculteurs itinérants orientés vers la production du commerce), on trouve des ouvriers et des patrons. Enfin, Goiânia et le Paraná sont dans la zone d’influence de São Paulo avec des caractéristiques voisines en termes de types humains. L’Amazonie n’est pas objet de réflexions dans ces premières études, en raison de son caractère inexploré à l’époque.

Transition entre le sertão et le monde moderne, l’étude des genres de vie de l’Etat de Minas Gerais va révéler trois types de systèmes économiques qui cohabitent au Brésil : une dimension commandée par la vie traditionnelle (isolement), une dimension commandée par un marché local (une sorte d’évolution naturelle) et une dimension commandée par le marché international (processus économiques).

Au Minas Gerais, et en l’absence de voies de communication adéquates, il n’y a pas de rendement ni de marché local alors que ce sont des facteurs qui commencent à paraître essentiels à Monbeig. À la suite de Demangeon, Monbeig fait un lien entre le genre de vie et le marché, en se basant sur l’articulation entre la vie archaïque et la modernisation. Les genres de vie fixes forment des marchés locaux, génèrent un rendement interne, ont de meilleures conditions d’investissement dans le réseau de communication et échappent aux règlementations du marché mondial. Monbeig esquisse déjà une critique du rôle des entreprises internationales du Brésil.

Croyant en la capacité technique disponible localement pour vaincre des obstacles, Monbeig estime que c’est la spéculation qui freine le développement de vastes zones tropicales, comme celle des compagnies minières mondiales qui attendent des conditions du marché plus avantageuses pour détourner les capitaux du territoire. Elles profitent des conditions peu évoluées des genres de vie. Pierre Monbeig est un géographe de la modernisation capitaliste des territoires tropicaux et il insère l’observation du genre de vie dans sa réflexion sur les fonctions économiques.

Tableau 3. Les questions élaborées par Pierre Monbeig au sujet des franges pionnières à l’échelle régionale

Échelle Questions sur le Brésil

Nationale/régionale Quels sont les genres de vie qui influencent la population dans différentes régions ?

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Quelle est la dynamique géographique de la modernisation capitaliste brésilienne ? Comment s’approprie-t-elle les techniques des genres de vie dans chaque région brésilienne ?

Comment São Paulo et le nord du Paraná ont-ils réussi à établir la petite propriété, s’approchant ainsi de l’organisation spatiale des pays du centre ?

Que s’est-il passé dans cette partie du Brésil ?

Le processus de formation du marché intérieur pourra-t-il s’étendre à d’autres régions du Brésil ?

Cela sera-t-il suffisant pour développer le reste du territoire brésilien ?

Org : LIRA, 2016.

5- Le rôle de la section de géographie et d’histoire de l’USP et de l’AGB dans la formulation d’une problématique des franges pionnières à l’échelle locale. La prise en compte par Monbeig des références géographiques brésilienne et française

Quand Pierre Monbeig arrive au Brésil, il trouve un « mouvement géographique » lancé par Pierre Deffontaines, qui était présent à São Paulo depuis la fondation de l’USP en 1934 et jusqu’en 1935. La précédente étude de Deffontaines sur les zones et paysages paulistes, celle de Caio Prado Jr sur la taille de la propriété et celle de Luiz Flores de Moraes Rego, sur les conditions pédologiques, toutes animées par les discussions au sein de l’AGB, ont facilité le travail de Monbeig et orienté son choix de l’Ouest de l’État de São Paulo et du Nord du Paraná comme thème de thèse : « La tentative de classification et de délimitation des régions naturelles de l’État de São Paulo, présentée par le Professeur Deffontaines dans le dernier numéro de Geografia est, réellement, une invitation au travail. » (MONBEIG, 1935, p.221)

De façon générale, L’État de São Paulo est divisé, pour Deffontaines, entre une région traditionnelle à l’Est et de régions dynamiques à l’Ouest qui se démarquent pour des raisons économiques mais s’appuient aussi sur des différences physiques. Dans la région Sud-Est, se mélangent divers terrains cristallins récents, plutôt accidentés ; dans la région Nord-Ouest, ce sont les terrains sédimentaires relativement monotones qui prédominent (DEFFONTAINES, 1935). D’un point de vue physique, on peut dire que la région à l’Ouest est insérée dans une dépression périphérique permienne, aux roches sédimentaires (DEFFONTAINES, 1935, p.147). La ville de Campinas, à l’Ouest, a été la première « bouche du sertão » par où a commencé le peuplement de l’intérieur

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(DEFFONTAINES, 1935). Cette région est marquée par une caractéristique physique essentielle avec des formations dibasiques et basaltiques d’activité éruptive dont la décomposition donne une terre violette hautement fertile (DEFFONTAINES, 1935).

On observe donc que les facteurs physiques, principalement les géomorphologiques et pédologiques, sont une des causes de l’avancée de la zone pionnière. S’ajoute à la contribution de Pierre Deffontaines sur les zones et paysages de l’Etat de São Paulo un second article qui sera une contribution fondamentale pour les travaux de Pierre Monbeig, intitulé « Considérations préliminaires sur la genèse et la distribution des sols dans l’Etat de São Paulo », de Luiz Flores de Moraes Rego (REGO, 1935).

Parallèlement, l’historien Caio Prado Jr a été important pour ce qui touche à l’étude de la taille de la propriété foncière à São Paulo et au Brésil, notamment dans l’article qu’il a publié dans la Revue Géographique. De telles informations sont essentielles pour un géographe comme Monbeig qui s’intéresse à la géographie économique, suivant l’exemple d’Albert Demangeon. L’historien démontre que la petite propriété est clairement dominante dans un seul district de São Paulo (PRADO JR., 1935).

Le cadre naturel que trouve Pierre Monbeig dans l’État de São Paulo induit également des raisonnements comparatifs. Il s’interroge sur la marche du progrès et ses liens avec les conditions naturelles. Dans une conférence prononcée au siège de l’Association des Géographes Brésiliens en 1940, il affirme que :

la situation climatique du plateau pauliste (placé dans une zone en contact avec trois masses atmosphériques : celle de l’Atlantique, celle du centre et celle du sud) parait favoriser l’apparition de plusieurs types de paysages ruraux et expliquer la tendance à la polyculture ; le climat aurait plus d’influence que le sol et le relief, rapprochant notre situation de celle des régions tempérées. [c’est nous qui soulignons] (Association des Géographes Brésiliens, 1941).

L’histoire démographique et économique de l’État de São Paulo, ainsi que les données géomorphologiques, climatiques, pédologiques, et de structure foncière, prises dans leur ensemble, amènent Pierre Monbeig à un problème de recherche : la qualité des sols expliquerait-elle la mobilité de peuplement de l’Est vers l’Ouest ? Les crises ne seraient-elles pas aussi impliquées dans ce mouvement ? Quels sont les facteurs géographiques qui poussent São Paulo à conquérir l’intérieur ? Pourquoi le processus

95 connaît-il une nouvelle phase après la crise de 1929 ? Quelle est l’importance du capital national dans la révolution des paysages ?

Tableau 4. Les questions de Monbeig sur les franges pionnières à l’échelle locale

Échelle Questions sur le Brésil

Questions locales La qualité des sols expliquerait-elle le mouvement vers l’Ouest de São Paulo ?

D’un autre côté, les crises ne joueraient-elles pas un rôle ?

Quels sont les autres facteurs géographiques qui déclenchent la conquête de l’intérieur ? Pourquoi l’avancée de la frange pionnière du Nord du Paraná prend-elle de nouvelles caractéristiques après la crise de 1929 ?

Quelle est l’importance du capital national dans la construction des paysages paulistes ? Comment la logique pédologique s’articule-t-elle avec la logique économique ?

Org. : LIRA, 2016. 6- L’annonce de la nouvelle problématique de thèse de Pierre Monbeig

Ce scénario complexe implique des questionnements issus de comparaisons entre différents espaces de référence, incorporant de la littérature brésilienne et étrangère et s’appuyant sur des théories comme sur le travail de terrain. L’hypothèse formulée par Pierre Monbeig est que la zone pionnière de São Paulo est une zone de colonisation de transition du capitalisme international vers le capitalisme national, transition qui aurait lieu au moment exact où il l’observe : « Le peuplement du Nord du Paraná [est] encore en cours de gestation (...) » (MONBEIG, 1935, p.223).

L’étude de la zone pionnière pauliste révèle que les processus colonisateurs sont différents de ceux qu’il a observé en Europe. Dans cette région, la colonisation n’a pas été confrontée aux résistances héritées. Il s’agit donc d’un espace dans lequel le processus capitaliste d’avancée des terres est observé sans contraintes. C’est ce processus qu’il souhaite étudier. Le Brésil est vu comme un laboratoire de l’expansion capitaliste à l’échelle régionale.

Il existe la tentation, parfois, de considérer l’effort rudimentaire du caboclo comme une lointaine esquisse de la véritable colonisation, voire très lointaine pour dire la vérité ; en particulier au Nord du Paraná, on ne voit pas l’héritage transmis aux pionniers par les caboclos. La colonisation moderne doit tout créer. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1935, p.223).

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Pour Pierre Monbeig, le processus de croissance de la région de São Paulo culmine avec le développement de la petite propriété qui efface les héritages des économies antérieures et construit de nouvelles dynamiques géographiques. L’habitat aggloméré se disperse, le paysage se transforme profondément, la propriété se divise, les types économiques, les tailles de propriétés et les habitats se mélangent (MONBEIG, 1941c, p.184).

Pierre Monbeig possède, dorénavant, toutes les ressources pour comprendre que la naissance de la petite propriété dans le Nord du Paraná est un symptôme de rupture de la zone pionnière d’avec le contexte économique international : « quand on parle de zone ‘pionnière’, il ne faut pas perdre de vue que c’est une zone de polyculture : trait distinctif de la colonisation actuelle du siècle dernier ou du début du XXème siècle » (MONBEIG, 1935, p. 226). Ceci posé, il s’agit d’un processus historique qui, par des chemins tortueux, débouche sur des scénarios civilisationnels déjà observés en terres européennes. Dans une vision assez optimiste, on peut dire que le capitalisme national est aussi constructeur de civilisation. Commence à se révéler un intellectuel qui est peut-être en train de passer de convictions socialistes à des convictions socio-démocrates.

Le mouvement d’avancée de la mise en valeur ne se produit jamais par la seule stimulation globale ou locale, mais reçoit l’impulsion de ces deux logiques, dont les forces sont altérés par les crises économiques (d’échelle globale) et pédologiques (d’échelle locale).

Pour Monbeig, le capitalisme n’est pas indépendant des déterminismes environnementaux (MONBEIG, 1935, p.229). Cette constatation est de la plus haute importance pour comprendre la manière dont Monbeig se positionne au sein de la géographie française. Même quand l’homme est aux commandes des processus – des hommes qui détiennent donc le pouvoir politique et le capital – les conditions physiques comptent et l’organisation des espaces n’est pas totalement rationnelle économiquement. Selon Monbeig, l’évolution de la frange pionnière pauliste continue à dépendre de certaines conditions physiques ; il le prouve en montrant la sensibilité de cette frange pionnière aux crises pédologiques.

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Chapitre 5 Comment un jeune professeur français acquiert-il de la légitimité au Brésil ? (1937-1946)

En 1940, une polémique émerge en session plénière du 9ème Congrès Brésilien de Géographie organisé par la Société de Géographie à Florianópolis. Au moment de l’approbation des motions, une proposition est faite pour séparer l’enseignement de géographie de celui d’histoire. La proposition vient d’un des jeunes géographes de Rio de Janeiro et cause des remous. Pierre Monbeig ne manquera pas de réagir.

A l’heure du vote, il demande la parole : « Monsieur le Président, il me semble qu’une des motions présentées par la Commission, et sur laquelle j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer quelques critiques, décide avec une excessive précipitation quelque chose d’assez important – le lien entre l’enseignement de géographie et d’histoire dans les cursus d’enseignement supérieur au Brésil » (Annales du 9ème Congrès Brésilien de Géographie, 1941, pp.131-133). Le président du congrès, le Ministre Bernardino José de Sousa, accepte de renvoyer la motion à l’examen, mais quelques participants sont contrariés. Jorge Zarur, l’auteur de la motion, se manifeste :

(...) il me faut rappeler que la Commission a discuté et rediscuté le sujet. Le sujet a été amplement débattu au sein de notre Commission, qui est arrivée en retard à la session plénière, précisément parce qu’elle a appelé le Professeur Pierre Monbeig pour entendre son opinion. Le Professeur Pierre Monbeig a exprimé son point de vue et le sujet a été, pour la deuxième fois, soumis au vote. La motion, dont je suis l’auteur, a été jugée à nouveau digne d’approbation, et c’est la raison pour laquelle je suis ici pour la défendre (Annales du 9ème Congrès Brésilien de Géographie, 1941, pp.131-133).

Mais le ministre ne souhaite pas s’opposer à Monbeig : « avec tout le respect qui vous est dû, je vous demanderais d’accéder à la demande de l’honorable Professeur Pierre Monbeig, dans le sens que la Commission réexamine le sujet. Il s’agit d’une sollicitation extrêmement délicate du Président de la 4ème Commission8, qui, j’en suis sûr, sera examinée avec grand soin. » Comme on le voit, Pierre Monbeig fait valoir son poids dans la géographie brésilienne pour faire obstruction à une motion deux fois discutée dans une des commissions du congrès. La posture de Monbeig est celle de quelqu’un qui, au Brésil,

8 Dans ce congrès, Pierre Monbeig est le président de la commission de géographie humaine. 98 a accumulé un capital symbolique pour exercer un pouvoir. Au-delà de la conviction qui est la sienne d’une nécessaire association entre l’histoire et la géographie, la demande de Monbeig souligne la valeur qu’il accorde à la dimension littéraire de la géographie.

Dans ce chapitre, notre objectif est de reconstituer à partir de sa trajectoire, la manière dont Pierre Monbeig a fondé son autorité sur le processus d’émergence d’une géographie brésilienne. Comment un jeune géographe français a-t-il réussi à diriger un mouvement géographique et une campagne pour diffuser la « géographie moderne » au Brésil ? Le contexte n’était pas facile. Lui et Lévi-Strauss aimaient à rappeler qu’ils étaient venus très jeunes dans ce pays, que leurs élèves étaient même plus vieux qu’eux et qu’ils subissaient des attaques politiques de tous côtés les accusant notamment de n’avoir que de faibles compétences. Monbeig dit que ces attaques ne le dérangeaient pas, mais elles reviennent toujours dans ses récits :

Assez d’années se sont écoulées pour qu’il me soit permis d’évoquer les critiques qui, à São Paulo, accueillirent les professeurs étrangers, les Français peut-être plus [que] les autres. A travers nous, les critiques visaient la politique universitaire du Gouvernement de São Paulo. A l’équipe française, on reprochait sa jeunesse qui permettait de douter de ses capacités. Contre Julio de Mesquita, on dressait l’accusation de livrer la Faculté aux étrangers. » (MONBEIG [1984], in THÉRY, DROULERS, 1991, p. 230)

S’il existait déjà des tensions dans le champ géographique, il y avait dans le champ intellectuel brésilien beaucoup de conflits et de pièges tendus autour de la Faculté (FFCL) et, par conséquent, envers les jeunes étrangers qui peuplaient ses chaires. Le champ scientifique au Brésil est un espace de croisement entre diverses écoles, avec d’innombrables récits produits sur l’histoire du Brésil et mobilisant des intellectuels comme des politiques. Le géographe Jorge Zarur, protagoniste de l’altercation du 9ème Congrès, par exemple, avait été formé aux États-Unis et en tirait une légitimité car ce courant « américain » était puissant et valorisé.

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1- L’adaptation de la géographie française au contexte de formation de l’État brésilien : l’orientation précoce, au Brésil, des études régionales vers les demandes du développement et de la croissance économique

Pierre Monbeig a toujours pratiqué une géographie connectée aux problèmes du monde contemporain. Avant son expérience brésilienne, il était déjà sensible à ce type de pratiques géographiques. Mais au Brésil, son engagement s’est approfondi. Son discours géographique a pris des connotations politiques, bien que se limitant toujours à des propositions favorables aux intérêts de la nation.

Au Brésil, le contexte de formation de l’État brésilien après la Révolution de 1930 conduit à des propositions planificatrices. Celles-ci anticipent sur ce qui se passera en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Les effets de l’insertion de Pierre Monbeig dans le contexte national brésilien ont déjà été notés par Nogueira (2013) et par Dantas (2005). Ce dernier remarque qu’ « en étant au Brésil, Monbeig prend conscience des défis qui se posent à la Géographie plus tôt que s’il était resté en Europe. Il est sensible à l’exigence de développement qui se présente au Brésil de l’État Nouveau » [c’est nous qui soulignons] (DANTAS, 2005, p.18).

L’État Nouveau (Estado Novo) est une réorganisation de l’État brésilien, inauguré par le coup d’Etat de 1937. Bien qu’il persécute les communistes, Getúlio Vargas était aussi un anti-libéral. En 1937, tout de suite après le coup d’état, Vargas déclare immédiatement que son objectif majeur est de combattre les inégalités régionales au Brésil pour promouvoir le développement national à travers l’action d’un État fort (PENHA, 1993, p.52). Comme l’avait noté Monbeig, une des formes centrales de la politique économique du gouvernement Vargas était la création d’un marché interne capable de diminuer les inégalités régionales (NOGUEIRA, 2013, p.57-58).

Les idées de Monbeig résonneront avec les directives économiques de l’État Nouveau. Pour Pierre Monbeig, la création d’un marché interne fort était en accord avec la diminution des inégalités de la société, au bénéfice du travailleur. Un autre point fait coïncider les idées de Monbeig et la politique de développement territorial du gouvernement Vargas, c’est l’encouragement de construction de routes comme moyen de réduire les inégalités régionales (NOGUEIRA, 2013, p.53).

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À côté de la création des conseils planificateurs, Vargas proclame la mission centrale de son programme de gouvernement : la Marche vers l’Ouest. La marche vers l’Ouest serait soutenue par la création de la Fondation Brésil Central, un organe approuvé en 1943, qui se destinait à planifier la colonisation des hautes régions des fleuves Araguaia, Xingu ainsi que les zones du Brésil central et occidental (PENHA, 1993, p.61). Ainsi, l’agenda de recherche de Monbeig, dans l’environnement du territoire pauliste et dans le cadre d’une stratégie régionale, était en accord avec les objectifs de la politique économique et géographique du gouvernement Vargas. La reconnaissance de Monbeig et de l’AGB vis-à-vis de la politique de l’État Nouveau est exprimée avec force. Le 1er septembre 1942, Pierre Monbeig envoie le télégramme suivant à Vargas :

São Paulo, 1er septembre 1942. Monsieur le Président Getúlio Vargas Palais Catete Rio

Nous avons l’honneur d’informer Votre Excellence que l’Association Géographes Brésiliens siège S. Paulo délibéré unanimité exprimer illimitée solidarité patriotique attitude assumée gouvernement Votre Excellence attente ordres pour pouvoir rendre service défense du Brésil. Salutations respectueuses

Pierre Monbeig président Aroldo de Azevedo secrétaire Salvio Almeida Azevedo trésorier (Archives de l’AGB-SP)

Getúlio Vargas prend la peine de répondre à ce télégramme et d’afficher son soutien.

Les propositions de Monbeig vont pencher davantage vers la macro-politique économique que vers l’organisation d’une action planificatrice des espaces régionaux. Lui-même estime qu’il s’agit d’une attitude novatrice. Il nomme ce mouvement planificateur international qui inclut le Brésil, « néo-régionalisme », évoquant évidemment les apports de la géographie française. En outre, il ne croit guère à la possibilité d’une organisation rationnelle des espaces, mais plutôt à des formes d’adaptation des aménagements aux spécificités régionales. C’est la conception d’Henri Hauser qui a utilisé l’œuvre de Vidal de la Blache pour penser une nouvelle régionalisation après la Première Guerre mondiale en France.

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Robic montre qu’après les années 1920, les géographes français s’intéressent aux débats sur la réorganisation régionale. Les conceptions de Monbeig issues de son expérience brésilienne ne semblent pas en décalage avec ce qui se passe en France : « Le livre de Y–M Goblet sur La formation des régions se détache par des avancées conceptuelles sur les notions de ‘réseau’ et de ‘complexe’ et par ses distinctions typologiques entre ‘régions’ d’économie traditionnelle et ‘zones’ d’économie modernes extraverties (…) » (ROBIC, 1996b, p.43).

Le livre de Goblet est édité en 1942, donc la même année que les principales réflexions de Monbeig sur l’impact du capitalisme en terres brésiliennes durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, bien que l’expérience brésilienne de Monbeig ait anticipé et renforcé un discours pratique au cœur de son attitude scientifique, il faut noter qu’ici encore, il n’abandonne pas ses bases formatrices. Il adapte son discours à la conjoncture de la formation de l’État Nouveau, à celui de la communauté scientifique française et celui de ses collègues de travail de la FFCL.

2- Une posture politique critique sur le développement du capitalisme au Brésil

À la Faculté de philosophie, venaient majoritairement les fils d’immigrants et les boursiers (LIMONGI, 1988). C’est-à-dire, une bourgeoisie naissante et une partie de la classe prolétaire salariée. Dans les Facultés de droit et de médecine, les places étaient en majeure partie occupées par les enfants des élites traditionnelles (LIMONGI, 1988). Dans le contexte de la FFCL, il y avait une forte demande pour présenter des résultats pratiques, conquérir de l’autorité, comme pour propager les idées de gauche qui y déjà bien implantées.

Le défi personnel de Pierre Monbeig consistait à reformuler ses conceptions géographiques et ses approches sous forme de monographies régionales au sein d’une critique du capitalisme rentier, en accord avec ses convictions idéologiques, celles de l’Etat populaire brésilien et de ses collègues, et sur ce qu’il comprenait comme les intérêts de la nation, au travers d’un modèle de développement qui deviendra urgent au Brésil. La géographie pratiquée en France pouvait être associée à une posture critique, sociale et humaniste, et avec une politique de développement du pays. Ce qui répondait ainsi à une demande intellectuelle militante qui émergeait au Brésil.

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Monbeig adopte une posture qui prend le contre-pied du modèle impérialiste d’organisation des espaces, puisque pour lui, ce modèle mènerait à une standardisation extrême des ressources végétales et à une destruction des sols tropicaux. Pour lui, la production de monographies régionales pourrait conduire au développement national en révélant nombre d’autres possibilités du milieu.

La grande exploitation est, du point de vue géographique, une forme d’exploitation destructive des richesses naturelles ; elle est spéculative et prédatrice, principalement quand elle n’est pas limitée par le manque d’espace. C’est le cas de la culture du coton dans le Sud des États- Unis, c’était et est toujours le cas de la culture du café au Brésil. Nous pouvons résumer le propos : il y a eu déséquilibre entre les hommes et les terres. Il incombe aux hommes de mener à bien le réajustement. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1944a, p.21).

Son appréciation critique du modèle capitaliste rentier et spéculatif est explicitée dans une recension de l’ouvrage du géographe américain Carl Sauer, publié en 1942 en portugais. Selon Monbeig, ce sont les géographes français qui ont fait la preuve que la conquête du sol par l’homme est extrêmement ancienne (ne remontrait-elle pas au néolithique ?) – et qu’elle est créatrice d’une spécialisation croissante du milieu physique et géographique grâce aux genres de vie. Au long de l’histoire, l’homme a géré l’utilisation des ressources naturelles grâce à une grande variété de compétences et de formes de mise en valeur (MONBEIG, 1942a).

Mais avec l’agriculture commerciale, tout est très différent. En homogénéisant de vastes zones, de nombreuses espèces végétales sont éliminées dans les pays neuf comme le Brésil. L’intégration, sans résistances, du Brésil à un nouveau capitalisme international a des effets, non seulement sur le paysage, mais aussi sur la développement durable. On distingue déjà une conception de politique environnementale.

La terre arable s’épuise par la culture réitérée de la même plante chaque année, et si elle est laissée, sans couche protectrice, au travail lent et obstiné des pluies, des vents, de l’alternance des températures. Système de culture tourné vers le commerce spéculatif d’un produit de base, présent dans tous les jeunes pays, tandis que dans le vieux monde une harmonieuse combinaison extrêmement ancienne fait se compléter l’élevage et la culture, de telle sorte que le sol ne connaisse pas cette dangereuse nudité durant les saisons de violentes pluies ou de sécheresse. En Europe et dans certaines régions du Nord-Est des États-Unis, l’agriculture a adopté un système qui économise le sol, et l’économie rurale conserve toujours quelques traits d’une économie domestique prévoyante et prudente. Là, le capital naturel reste intact ; il se reforme sans disparaître grâce à l’alternance des cultures et à la combinaison culture- élevage, alors que dans les jeunes pays la terre arable disparait, ne laissant que la roche nue et

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inutile. D’un côté, une économie et une technique conservatrices ; de l’autre, une technique brutale, issue de l’économie capitaliste. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1942a, p.82).

Pierre Monbeig critique l’impérialisme, mais pas le capitalisme national ou domestique. L’intégration du Brésil au marché international l’inquiète car elle ne prend pas en compte les rythmes de la vie matérielle, saisonnière et régionale. Comprendre notamment ces rythmes justifie à ses yeux la réalisation de monographies régionales. Les monographies régionales apporteraient des informations sur d’autres possibilités de mise en valeur du milieu que celles proposées dans le cadre du capitalisme international. Elles seraient en même temps les auxiliaires du projet étatique du développement du Brésil.

3 - Construire des alliances dans divers contextes politiques : Pierre Monbeig, un libéral ?

Pierre Monbeig a construit un vaste réseau de relations. Il a maintenu ses contacts avec l’élite pauliste démocratique mais n’a eu de cesse de répondre aux demandes de développement varguistes. Il a préservé son indépendance, en conversant avec Vargas, les Paulistes, les Français et les communistes (nous pensons ici à Caio Prado Jr).

En ce sens, nous croyons que Nogueira a conclu un peu précipitamment que les relations personnelles de Monbeig pourraient avoir déterminé une position politique et économique d’ordre libéral (NOGUEIRA, 2013, p.140). Nous ne pensons pas que ces types de relations constituent des preuves irréfutables, car Monbeig tente maintenir le dialogue sur plusieurs fronts.

Il fréquentait diverses communautés de la société pauliste. Le 20 mars 1937, il sera annoncé comme participant à un hommage à Julio de Mesquita Fils. L’annonce de cet hommage nous rappelle que l’action du journaliste avait aussi de fortes connotations politiques. (O Estado de São Paulo, 20 mars 1937, p.7). D’un autre côté, Pierre Monbeig participe en 1946 à un hommage à Paulo Duarte, qui revenait d’exil. Cet intellectuel, militant de gauche, responsable de la venue de Lévi-Strauss à l’Université de São Paulo et membre originel du groupe qui discutait de la formulation du projet de l’USP, a eu des différends avec Júlio de Mesquita Fils (O Estado de São Paulo, 22 février 1946, p.2).

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4- Pierre Monbeig, la section d’histoire et de géographie de l’USP, l’AGB et la presse. Construire une légitimité et un public pour la géographie

Pierre Monbeig est parvenu à fédérer au Brésil un public toujours plus vaste reconnaissant la légitimité de la géographie. Les dialogues cordiaux noués par Monbeig dans de nombreuses directions, avec des personnes de diverses tendances politiques, élargissait le public intéressé par la géographie. Dans la version complète de la thèse, sont présentés plusieurs diagrammes sur les personnes que Pierre Monbeig est parvenu à rapprocher du domaine de la géographie, via l’USP, l’AGB, ses relations personnelles, la presse, etc (ici, ces diagrammes sont présentés dans les annexes). Dans ces conditions, il n’était pas simple pour Monbeig de maintenir son autonomie et de conserver un discours engagé détaché des intérêts partisans. Il s’exerçait une sorte de tutelle.

Ce cercle d’amateurs de savoirs géographiques est élargi grâce aux entrées qu’à Monbeig dans la presse pauliste, spécialement dans le journal O Estado de São Paulo, où il comptait comme allié le journaliste Julio de Mesquita Fils. Il arrivait même à Júlio de Mesquita Fils de voyager en compagnie de Pierre Monbeig et de son épouse. Il était fréquent que le journal relaie les activités de l’Université de São Paulo et notamment celles de Monbeig. Il faut dire que le caractère engagé de cette géographie et la volonté de participer aux explications des problèmes contemporains pouvaient intéresser la presse. Le 28 juillet 1935 est annoncée une conférence de Monbeig intitulée « Problèmes géographiques du monde moderne ».

Tout de suite après la diffusion d’une information sur une excursion de terrain à Bahia le 6 juin 1936, le journal relaie un autre voyage le 27 juin de la même année, cette fois pour le Minas Gerais. La direction du journal accordait au géographe et à ses travaux une grande importance.

En outre, Pierre Monbeig cherchait également à diffuser la méthodologie de la géographie française avec un travail de terrain et la production de concepts. En informant sur de telles activités, il se réaffirmait comme le détenteur d’un discours légitime sur la géographie de l’État de São Paulo et sur le Brésil. Rappelons que le journal O Estado de São Paulo possédait aussi une circulation nationale (O Estado de São Paulo, 6 juin 1936, p.6).

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5- Le charisme, les amitiés et le réseau de relations

Il faut en outre signaler que la constitution d’un public pour la géographie s’enrichissait également des relations personnelles de Pierre Monbeig. Il s’est tissé un réseau d’amis (SALGUEIRO, 2006c, p.206). Pierre Monbeig a à la fois admiré les paysages brésiliens et vécu des expériences ; il s’est fait des amis et s’est diverti avec eux. Il a contribué à développer des échanges, il a stimulé la critique, combattu le dogmatisme, encouragé le goût pour la science, la réflexion et les espaces collectifs de solidarité scientifique et d’apprentissage mutuel.

Dans les travaux de terrain sous le ciel tropical, le « partage d’imprévus climatiques » et des « préoccupations à propos des pannes automobiles sur les vieilles routes de l’intérieur » sont motifs de souvenirs amusants (vus de loin !) dans la mémoire de Pierre Monbeig. Il n’était pas le seul à être nostalgique, Lévi-Strauss écrit ses « Saudades do Brasil » (LÉVI-STRAUSS, 1994).

Cette sympathie mutuelle a été renforcée par un désir commun de réaliser des recherches sur le Brésil. A l’occasion de ces travaux, la distance entre la chaire magistrale et les bancs des amphithéâtres était totalement abolie. Nous vivions alors une espèce d’initiation réciproque quant aux choses et aux personnes du Brésil. (...) Ainsi, en dépit de la présence de tous ces étrangers, la Faculté de Philosophie, des Sciences et des Lettres de l’USP est devenue un des plus actifs centres d’études brésiliennes et de formation de propagateurs. [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG In O Estado de São Paulo, 28 janvier 1979, p.178).

En effet, des liens fraternels se sont établis sans préjugés ou distinctions de classe. Il avait des facilités à partager des affections. Il avait aussi le goût de la distraction, de la vie mondaine de la nuit pauliste. Il était sensible aux espaces de sociabilité qui se développent hors des salles de classe et qui génèrent des liens affectifs. Mais selon d’autres témoignages, il semble qu’il maintenait distance et autorité dans la salle de classe. Certains étudiants craignaient de lui adresser la parole dans les couloirs de la FFCL.

6- Les conceptions et pratiques de l’enseignement de Pierre Monbeig

Pierre Monbeig est responsable de la mise en place d’un véritable programme d’enseignement. Il a eu la liberté de penser une partie de sa structure et ses principaux

106 objectifs. Il a associé une conception de l’enseignement qui fournisse aux étudiants une formation cohérente en termes de méthodes (mais surtout tournée vers les chercheurs) et le rayonnement de cette géographie dans d’autres couches sociales (comme parmi les professeurs de l’enseignement secondaire). En premier lieu, l’enseignement géographique universitaire ambitionnait la formation du citoyen. Deuxièmement, il visait à la formation à de techniques spécialisées qui seraient développées au cours de doctorats pensés pour ceux qui feraient preuve de leurs qualités (surtout pour la recherche) durant la licence. Sa conception d’un enseignement intimement lié à la recherche est une nouveauté pour l’époque.

Cette compréhension humaniste et civique de l’enseignement l’éloignait en partie des conceptions appliquées de la géographie au profit d’une formation large commune à tous les étudiants. Ainsi, le professeur de géographie du secondaire aurait acquis les mêmes méthodes que ceux qui se tournent vers l’aménagement ou la recherche. Il s’inspirait encore une fois d’Albert Demangeon. Pour tous les deux, « la géographie est une des formes de l’humanisme moderne » (MONBEIG, 1957e, p.29).

C’est sur ces bases, dans les cours de géographie présentés par Monbeig à la FFCL, que se formait une école géographique pauliste, sûre de ses origines et de des méthodes. Monbeig a aussi contribué à la consolidation de la chaire de Géographie du Brésil de l’USP participant ainsi à la nationalisation progressive du programme de Géographie de l’Université. C’est ce courant pauliste qui se propageait ensuite dans d’autres universités brésiliennes. Monbeig avait planifié cela. Ses plans consistaient à unifier l’école brésilienne autour de l’école française, et, plus tard, pauliste (MONBEIG, 1944b, p.346).

C’est Monbeig qui conçoit la planification stratégique de la formation des étudiants de Géographie de la FFCL. Selon ses mots, il faudrait avoir un enseignement orienté vers la « cohérence » et l’ « homogénéité des méthodes ». C’est sous sa direction et avec les professeurs venant de France que le plan de formation est engagé mais rapidement ont suivi des professeurs nationaux qui sortaient tous de la FFCL. Ceci nous amène à nous questionner sur l’emprise éventuellement excessive de l’autorité française dans le processus de formation pédagogique.

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7- Les manuels de Pierre Monbeig et les premières innovations méthodologiques

La construction de l’autorité dépendait de l’organisation d’espaces concrets de recherche, et aussi d’espaces symboliques. Parallèlement à son projet de relever les défis stratégiques de la géographie universitaire et d’organiser une structure de niveau international, Monbeig s’est également consacré à la production de manuels pour combler le manque d’ouvrages spécialisés en portugais. Pour ce type d’ouvrages, le géographe français fait un effort didactique en dévoilant les méthodes utilisées et en adaptant les concepts français à la réalité brésilienne. Avec cet effort d’adaptation, il fournit un gage à ses interlocuteurs et renforce son autorité sur le champ universitaire brésilien. La géographie développée au Brésil prend au fur et à mesure plus de consistance méthodologique avec une approche théorique adaptée à la compréhension du Brésil.

Parmi les ouvrages de vulgarisation produits par Pierre Monbeig, trois sont des manuels importants publiés dans des réseaux différents. L’Étude géographique des villes engagée depuis la fin des années 1930 (si nous comparons les publications avec les brouillons et documents) ; un petit manuel d’excursions produit comme annexe à un article de Delgado de Carvalho dans la Revista de Geografia ; et une collection intitulée Région et Géographie publiée en vingt articles dans le journal O Correio Paulistano, entre 1944 et 1945.

On retrouve dans ces manuels des points forts de la géographie française : son rapport avec l’histoire, la description du paysage (à travers son manuel d’excursions), l’unité régionale (manuel des monographies régionales) et les réseaux urbains (étude géographique des villes). Ils forment un tout mais un tout déjà adapté aux déterminismes du Brésil :

Ce que nous devons créditer à Monbeig, en toute justice, c’est que c’est lui qui a élaboré le premier travail méthodologique et didactique sur le sujet au Brésil (le besoin naissant, peut- être, de son activité pédagogique dans un pays sans aucune tradition académique en géographie, réunissant en un seul texte des propositions analytiques issues de plusieurs sources). (ABREU, 2006, p.135)

Sur ce point, Abreu renforce l’interprétation selon laquelle l’attitude de Monbeig anticipe la tendance au développement systématique d’une méthodologie avant même qu’elle soit développée en France.

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Du point de vue théorique, et prenant en compte les déterminismes brésiliens, il y a une hiérarchisation des contraintes, avec à la base le milieu physique et le milieu géographique (construit par les genres de vie), et, en haut, l’organisation du réseau urbain, comme nous l’observons dans les écrits de Demangeon au sujet du marché mondial. Au Brésil, ce niveau qui se matérialise avec les réseaux de villes prend encore plus d’importance puisque les processus capitalistes sont premiers par aux rapport évolutions locales (processus naturel).

Cette intégration des études urbaines dans les cadres régionaux rompait avec un supposé dualisme entre le Brésil rural et urbain, ou le Brésil archaïque et moderne, et elle avait beaucoup de conséquences sur le débat historiographique. Peixoto note, par exemple, que « la compréhension de l’espace et des dynamiques urbaines pour Monbeig est inséparable de l’examen des paysages ruraux » (PEIXOTO, 2008, p.93) et n’échappe pas non plus à la compréhension historique. L’avancée et l’exode de la zone pionnière nourrissait et donnait une impulsion à la métropole urbaine, dans un mouvement d’action et de réaction réciproques établissant :

(…) la complémentarité entre le développement de la ville tentaculaire et le développement des marges pionnières, la ville étant le produit des conditions géographiques locales et régionales, le fruit de l'organisation régionale. (…) Un réseau urbain se met en place, structuré par les lignes de chemin de fer, les migrants affluent vers les villes pionnières où l'ont offre des lots à bon marché. Pierre Monbeig, avec l'exemple de Marilia (…), analysa de façon précise l'origine et les modalités de la croissance des villes de la frange pionnière dont le dynamisme répercute celui de la capitales (DROULERS, 1991b, p. 114).

La façon dont la zone pionnière se connecte à la métropole donnera la possibilité à Monbeig de développer une conception géographique totalement basée sur des structures causales visant à comprendre des processus synchroniques, ce qui, selon Daniel Loi (1982), était quelque chose de rare dans la géographie classique. Sur ce plan et dans ce contexte spécifique, la géographie développée au Brésil proposait de nouveaux outils. Un pays aux frontières ouvertes, où le capitalisme tardif est en pleine marche, ne pouvait être compris en dehors des formes de causalité synchronique, du principe de comparaison, de l’unité de la terre et de l’extension.

Ainsi, sans ignorer le déterminisme géographique, Monbeig envisage des relations spécifiques au sein de la géographie humaine qui devient toujours plus autonome par

109 rapport à la géographie physique et à ses déterminismes naturels. Cependant, bien que les descriptions des paysages semblent diminuer, les particularités du milieu physique continuent à se reproduire dans le raisonnement de Monbeig.

Le principe général qui orientait la question des évolutions urbaines en tant que sous-champ des études régionales était son articulation avec le milieu physique et géographique: « (...) la ville serait une scène de plus pour l’exposition de la supériorité de la ‘volonté humaine’ sur le joug environnemental. Il incombait au géographe de démontrer cette vérité. » (ABREU, 2006, pp.129-130) Cette interprétation est basée sur les paroles de Monbeig, quand il dit que « pour lui [le géographe], la ville est une forme d’acte de possession de la terre par un groupe humain » (MONBEIG, [1941] 1957a, p.34).

En effet, ce n’est absolument pas seulement le jeu du hasard qui a fait que ce soit exactement dans un certain point de la terre qu’est née et s’est développée une agglomération urbaine ; et l’organisme urbain, dans sa forme et sa fonction, n’a pu se développer qu’en profitant de certains éléments naturels (nous formulons ainsi pour employer la terminologie courante) ; ou, au contraire, il a fallu surmonter les obstacles posés par la nature mais que la technique, mise en action et d’une certaine façon stimulée par les nécessités économiques, a finalement réduits. (MONBEIG, [1941] 1957a, p.35).

La technique réduit les effets des obstacles géographiques, mais ne les abolit pas. Avec cette citation, nous voyons que Pierre Monbeig commencer à réarticuler le milieu géographique et le milieu naturel qui, jusqu’à ses travaux espagnols, lui apparaissaient comme des ordres logiques parallèles.

Partant de cette triple prémisse, sur les ponctuelles et étroites relations avec la nature, le dépassement des obstacles et la prise de pouvoir de l’homme sur la nature, les premiers éléments de cette étude débouchent sur la compréhension du rapport entre situation, site, densité et distribution des populations : « Il faudra étudier, alors, non seulement les éléments du cadre naturel, mais aussi la masse humaine, son volume, sa composition, sa localisation dans le passé et dans le présent. » (MONBEIG, [1941] 1957a, pp.35-36) Il s’intéresse à l’étude de la ville dans son environnement, sa situation:

L’étude de la situation d’une ville consiste à considérer cette ville dans l’ensemble régional dont elle fait partie, que cet ensemble ait une véritable unité naturelle, ou au contraire, résulter du contraste entre régions naturellement opposées (MONBEIG, [1941] 1957a, p.39).

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Site et situation sont intimement liés. Mais cette dernière est déterminante par rapport au premier. Ceci a des conséquences méthodologiques importantes. C’est une originalité des travaux de Monbeig qui est basée sur ses études brésiliennes. Maurício de Abreu rappelle que selon la méthodologie de la géographie urbaine définie Blanchard, « régnait de façon imposante le concept de site, avec la notion de position occupant un niveau subsidiaire » (ABREU, 2006, p.130). Mais le Brésil est un espace ouvert, c’est un de ses déterminants essentiels. Et c’est dans ce cadre que Pierre Monbeig met en place, à partir des déterminations de l’espace brésilien, une importante inversion méthodologique même si pour Abreu cette originalité est à relativiser : « le schéma présenté par Monbeig n’avait rien d’original, vu que les monographies urbaines étaient élaborées en France depuis près de quarante ans et suivaient presque le même modèle, déjà systématisé, d’ailleurs, par Blanchard (1922) » (ABREU, 2006, p.135).

Monbeig déclare qu’il faut différencier la formation et la progression de la ville (MONBEIG, [1941] 1957a, pp.35) : « Pour cela, il convient en premier lieu d’analyser l’’évolution de l’espace’ : les étapes, non plus seulement de sa formation, mais aussi de sa progression, du rythme et des circonstances de ces étapes » (MONBEIG, [1941] 1957a, p.45). Les éléments de formation souvent n’ont pas les mêmes causes et conséquences que les éléments de progression. Mais ce sont les éléments de progression qui sont réellement importants dans le processus de modernisation du territoire brésilien.

Ainsi, l’étude de la situation parait déterminante par rapport à celle du site. Une question revient toujours : « Quelles relations, alors, la ville entretient-elle avec les régions dépendantes (parfois distantes) et comment se déroulent-elles ? » (MONBEIG, [1941] 1957a, p.61) Et la situation évolue au long de l’histoire : un changement dans le réseau de relations et la ville se réorganise. Ainsi, il faut subordonner les critères d’analyse internes à la ville, à une étude situationnelle et dynamique, et à l’intérieur d’un processus historique (MONBEIG, [1941] 1957a, p.48).

Pour Abreu, l’étude de Monbeig a eu de fortes répercussions sur la géographie au Brésil. Ces publications ont eu un rôle directeur sur une série de travaux présentés au Congrès de Florianópolis en 1940 (ABREU, 2006, p.133). Ce congrès a consacré l’existence d’une école pauliste de géographie, à la tête de la géographie brésilienne.

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8- L’impact de l’enseignement de Monbeig sur la production intellectuelle de ses étudiants de licence : la systématisation pédagogique d’une méthode et la première modélisation du cycle régional et urbain du Brésil

Les congrès de géographie, en particulier celui réalisé à Florianópolis en 1940, ont consolidé le groupe des « Paulistes », qui a présenté une contribution collective, articulée autour de la géographie urbaine de l’intérieur de l’État. Nous avons déjà vu comment, à la Faculté de philosophie, Pierre Monbeig a mené un mouvement de consolidation du groupe pauliste. Les Paulistes commençaient à figurer parmi la communauté des géographes comme une école spécifique, organisée autour de quelques idées, de maitres et de disciples. Mais, la production géographique des étudiants de Monbeig renforce l’impression d’une attitude normative de ce dernier quand c’est l’enseignement de la méthode géographique française au Brésil qui est en jeu. Aziz Ab’Saber, un étudiant de Monbeig qui deviendra plus tard un grand géographe physicien au Brésil, parle d’une « nouvelle science » avec une formation scientifique rigide qui a aidé à consolider la position dominante d’un groupe dirigé par Monbeig :

[Au Congrès de Florianópolis] (...) le groupe pauliste, sous la direction de Pierre Monbeig, a eu une action scientifique inégalée, se faisant le héraut de la nouvelle science et condamnant avec due sévérité l’action des faux prophètes qui, sans posséder la formation nécessaire ni la vocation scientifique, ont voulu se hausser en position de leaders. À Florianópolis, les paulistes ont fait le premier pas en direction de la géographie urbaine moderne et ont mené, au moyen d’exemples suggestifs, une bonne propagande de la géographie de terrain [c’est nous qui soulignons] (AZIZ Ab’SABER, 1960, p.75).

Ab’Saber mentionne la volonté qu’avait Monbeig de contrôler les travaux des géographes traditionnels. Le congrès s’est révélé un moment stratégique pour le mouvement géographique brésilien sous la direction de Monbeig : « Il faut créer un état d’esprit favorable à la géographie, ce qui pourra se faire grâce aux travaux du 9ème Congrès Brésilien de Géographie et de ceux du Conseil National de Géographie. Il est indispensable de tirer de ces deux organisations tous les éléments possibles pour la propagande de la géographie moderne » [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1944b, pp.346-347, p.353). Cette volonté exprimait le caractère militant du jeune Monbeig dans le milieu intellectuel brésilien. C’est à travers ce mouvement et avec une symbolique pionnière qu’il renforce sa condition de maitre français sous les tropiques.

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Les travaux des étudiants de Monbeig portent sur des cas urbains choisis comme exemplaires d’un modèle de la construction de l’espace géographique brésilien au long de l’évolution historique, de la capitale vers les franges pionnières. Ils dessinent un cycle urbain situé dans des cadres régionaux. Il s’agit donc d’études de cas que l’on peut considérer comme des étapes vers des propositions théoriques qui, nous n’hésitons pas à le dire ici, dépassent le domaine des franges pionnières.

Le groupe de recherche formé par Monbeig étudiait le processus de modernisation du territoire brésilien dans différentes régions ; bien que se limitant aux cas paulistes, il révélait les diverses étapes du processus de modernisation avec divers acteurs impliqués dans ce processus et divers systèmes économiques (tel que le primitif, le traditionnel, le pionnier, ceux de monoculture et de polyculture) qui s’interpénétraient sur le territoire. En réalité, la propre thèse de Pierre Monbeig n’est qu’une partie d’une recherche collective. L’objet de Monbeig n’est pas délimité par l’État de São Paulo ou par le Nord du Paraná, mais par l’espace de la modernisation en territoire brésilien.

Dans les annales du 9ème congrès, les travaux des étudiants sont présentées comme un travail collectif sous la direction de Monbeig : « (...) elles étaient, dans leur majorité, rédigées sous notre direction par des étudiants de la Faculté » (MONBEIG, 1941b, p.546) et caractérisées comme un ensemble de « monographies urbaines ». En soulignant que les études les plus démonstratives obéissent à une logique de proximité de la capitale, il révèle l’importance de suivre pas à pas la progression de l’écoumène dans une vaste zone régionale. Mais dans cette version résumée, nous n’allons pas présenter en détail les études des étudiants de Monbeig

La diversité caractérisait ces études urbaines : les villes florissaient et entraient en décadence à des époques différentes, et appartenaient à des régions naturelles diverses. Pourtant, un modèle de croissance et de décadence de chaque ville et de la région qui s’y rattache et qu’elle commande peut être identifié. A quoi est due cette répétition ? Ce sont des villes qui sont toutes née de l’impulsion colonisatrice, elles sont commandées par des phénomènes éminemment économiques après l’avancée de la route du fer et du café. Elles sont les fruits de la mise en valeur de l’espace par des forces économiques qui viennent à commander ses rapports avec le sertão. De nouveau, l’action humaine se pose comme organisatrice de l’ « homogénéisation » régionale. Cela va peser en faveur de développements théoriques en géographie humaine ; l’étude de ces situations voisines

113 peut mener aux modèles. L’idée de cycle urbain est un des premiers modèles développés par Monbeig.

Selon lui, le facteur de fondation de la ville est un fait du passé. L’impulsion modernisatrice valorise quelques carrefours (villes) au détriment des autres en fonction de leur situation. Avec l’arrivée du chemin de fer, l’essor de certaines villes, bien situées, est considérable, tandis que celles restées à l’écart vieillissent. Dans ces conditions, la ville « bouche du sertão » devient un lieu stratégique entre la partie de l’espace industrialisé et le sertão. Ce type de ville sert d’espace d’approvisionnement, de marché vers lequel convergent les produits du sertão, zone encore non atteinte par le chemin de fer, et les zones qui produisent des marchandises manufacturées.

Au début, l’habitat révèle la faiblesse du peuplement : le tissu urbain « est lâche », les rues sont mal construites, les quartiers mal ordonnés, les maisons construites avec des matériaux temporaires. Dans une phase plus avancée, l’observateur constate une planification urbaine, le développement de maisons de briques, de petites industries de transformations des produits des zones rurales et l’essor de la fonction administrative. Ce type de ville compte sur la main-d’œuvre du sertão.

Les premières récoltes que la ville reçoit sont distribuées et exportées par voie ferrée, et elles sont souvent exceptionnelles, mais rapidement la terre s’épuise. Les pionniers, les propriétaires terriens et les fermiers ne peuvent garder espoir de prospérer qu’en avançant vers de nouvelles terres. Les entrepreneurs capitalistes, avec l’appui des autorités administratives territoriales anticipent et commencent à organiser la nouvelle bouche du sertão : missions scientifiques, spéculations, tarification de la terre, plans de chemin de fer. Quand il y a déplacement du front pionnier, la ville perd sa condition d’entrepôt commercial et, selon les termes de Monbeig, amorce alors sa période potentiellement critique.

Mais si la ville réussit à se renforcer en développant une nouvelle fonction urbaine, elle a plus de chances de survie : industries, écoles, places bancaires peuvent aider à la reconversion. Les migrations peuvent s’acheminer vers les nouvelles zones pionnières ou vers les régions industrielles situées à l’arrière, plus proches de la capitale. Dans la nouvelle zone pionnière, recommence un nouveau cycle. Dans les villes, il se met en place un cycle de croissance et d’industrialisation.

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La ville industrielle se développe après le moment pionnier. Autour de cette ville se construisent des quartiers ou des bourgs pour la production de légumes pour le marché local. Ce qui nous amène à conclure que le problème de la construction du marché local au Brésil se pose après un long cycle de développement régional : le travailleur va se fixer à la terre à l’arrière-garde du processus, après l’exploitation de sa classe dans la zone pionnière, et pas à l’avant-garde, ce qui selon nous, retarde le processus de développement. Il s’agit d’un cycle géographique de l’exploitation.

9- La division du travail entre Pierre Monbeig et ses étudiants de thèse

L’étude des thèses de doctorat des étudiants dirigés par Pierre Monbeig entre 1935 et 1946 confirme que les franges pionnières ne sont qu’une des zones du domaine géographique brésilien étudiées sous la direction du géographe français et de ses disciples de l’Université de São Paulo. Ces personnes ont partagé l’espace ce qui les a amenés, selon nous, à la formation d’une école. L’Etat de São Paulo et ses zones d’influence ont été les principales cibles des études, étant perçus comme un vaste espace en cours de modernisation.

Nous considérons que, jusqu’en 1946, la géographie française dominait de manière exclusive les échanges et les innovations théoriques de la géographie produite au Brésil. En ce sens les innovations méthodologiques d’une possible tradition brésilienne n’étaient qu’une adaptation de la méthode développée en France, une méthode certes adaptée à la compréhension des contraintes brésiliennes et d’un espace continental en cours de mise en valeur. Ceci confirme que jusqu’en 1946 nous serions plus en présence d’un champ intégré de discours que d’une indépendance théorique. Cette unification des deux champs se remarque dans la géographie des conférences prononcées par Monbeig, presque toutes entre le Brésil et la France.

Tableau 5 : Conférences de Pierre Monbeig (1935-1953)

Titre Localisation Date

Le coronel de cacao: un type original de fazendeiro São Paulo 05/06/1936

Paysages de France Sans indication de lieu 1939

São Paulo. Les problèmes d’un pays tropical Paris 1949

São Paulo. Les problèmes d’un pays tropical Lyon 1950

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Sobre aglomerações urbanas Sans indication de lieu 1950

L’essor urbain dans les pays neufs Leopoldville 23/10/1950

Paysages et problèmes de l’A.E.F. Lisbonne 12/02/1952

Questions d’agriculture tropicale Lisbonne 14/02/1952

Base de données : IEB- Institut d’Etudes Brésiliennes, Fonds Pierre Monbeig. Organisation : Lira, Larissa Alves de, 2014. Les thèses rédigées et soutenues entre 1935 et 1946, période pendant laquelle Pierre Monbeig se trouvait encore au Brésil, sont au nombre de quatre : « Santos et la Géographie Humaine du littoral pauliste » de Maria da Conceição Vicente de Carvalho (1944), « Étude sur le climat du bassin de São Paulo » d’Ary França (1945), « Étude géographique des contreforts occidentaux de la Mantiqueira » de João Dias da Silveira (1946) et « Sitios et sitiantes de l’Etat de São Paulo »9 de Nice Lecoq Müller, soutenue en 1946 et publiée en 1951. A l’exception de la thèse d’Ary França, qui se singularise par le traitement exclusif du climat de São Paulo et ses alentours, les autres thèses dirigées par Pierre Monbeig ont quelques points communs.

En premier lieu, elles relatent différents moments du processus de modernisation de régions du territoire pauliste : avec le littoral, étudié par Vicente de Carvalho, il y a la première zone d’avancée des relations économiques, bien que pas encore sous la dépendance du café, tout comme la première zone de décadence ; ensuite, il y a les contreforts occidentaux de la Mantiqueira, proches de la Vallée du Paraíba, la première zone caféière aux frontières de l’Etat de Rio de Janeiro, du Minas Gerais et de l’Etat de São Paulo, étudiée par Silveira; seulement alors entre en scène le travail de Pierre Monbeig lui-même sur l’avancée du café dans les franges pionnières entre la fin du XIXème siècle et les années 1940 ; enfin, s’insère la thèse de Nice Lecocq Müller, sur les sitios et les sitiantes que l’auteure présente comme éparpillés dans tout le territoire de São Paulo et qui représentent le processus de colonisation de l’État après les principales crises du café.

Deuxièmement, ces thèses trouvent une unité dans la représentation de différents types humains qui dominent dans le processus géographique qui se développe dans ces zones : Vicente de Carvalho met l’accent sur l’étude du caiçara, ancien caboclo du littoral; João Dias da Silveira comprend que c’est le caipira qui précède le café dans cette

9 Ces mots sont difficiles à traduire en français. Les sitiantes sont de petits agriculteurs tandis que les sitios sont leurs petites fermes. 116 zone des contreforts qui va devenir mixte ; Pierre Monbeig caractérise, comme nous le savons bien, les grands propriétaires et les pionniers de l’Ouest pauliste et Nice Lecoq Müller nous parle des « fermiers » (sitiantes).

Chacun de ces acteurs est représentatif du niveau de modernisation, de résistance ou de décadence postérieure de ces territoires. Ce sont des études du processus de modernisation qui se concentrent, encore une fois, sur la transition du modèle des genres de vie vers des types humains définis par leur intégration économique. Tous les travaux convergent vers la même question : pourquoi l’Ouest pauliste devient-il la scène de l’avancée de la caféiculture au détriment des autres zones ? Quels sont donc les critères spatiaux de l’avancée du capitalisme au Brésil ?

Au vu des descriptions de Carvalho, on note que, à partir du littoral, quatre types de systèmes économiques se sont succédés au Brésil : une économie fermée (que Carvalho ne présente pas), une économie coloniale, une économie de monoculture caféière et une économie moderne. L’économie fermée ou traditionnelle est pauvre, déterminée par les conditions géographiques et par le tropicalisme. L’économie coloniale s’appuie sur la pauvreté en exploitant les populations. L’économie caféière est une monoculture. Enfin, l’économie moderne rompt le monopole agro-exportateur et, bien que réglée sur l’exploitation du travailleur, s’accompagne d’un meilleur développement de populations intégrées dans un système économique libéré des contraintes du milieu tropical (CARVALHO, 1944).

La mise en évidence de ces systèmes économiques successifs au Brésil est une des principales conclusions de la thèse de Carvalho. L’économie coloniale se caractérise par l’exportation d’un unique produit et l’importation de produits manufacturés. Dans l’économie de la monoculture caféière, apparait une augmentation du trafic d’exportation ainsi que du volume des articles importés. Dans l’économie moderne, le rendement interne se stabilise et les importations se maintiennent à un niveau élevé. Tous ces systèmes peuvent être observés dans le paysage, à travers le régime agraire, les types de plantation et par la disposition des nœuds routiers.

L’économie traditionnelle sera elle étudiée par un autre thésard, João Dias da Silveira. Cette thèse a la problématique suivante : pourquoi l’avancée du café s’est-elle produite dans l’Ouest pauliste au détriment des autres régions ?

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Dans les deux systèmes économiques, de l’économie traditionnelle et de la modernisation caféière, se trouvent des sous-systèmes qui s’interpénètrent à leurs marges: « l’endroit préféré est toujours une pente, mais à proximité de plaines cultivées. Se répètent ici les phénomènes observés à l’origine des noyaux primitifs de la zone caféière » (SILVEIRA, 1946, p.112). À travers ce travail d’un étudiant de Monbeig, nous parvenons à comprendre comment des processus apparemment contradictoires se propagent différemment dans l’espace géographique (et sont parfois complementaires) et nous nommons ce phénomène ajustement géographique de logiques opposées. Ces logiques évolutives opposées participent de la compréhension géographique de Monbeig et de ses étudiants.

La thèse de Silveira conclut à l’avantage des systèmes archaïques de polyculture bien qu’ils représentent des caractéristiques économiques avec des ouvertures plutôt diverses sur le commerce extérieur. Les sites primitifs sont mieux protégés des crises de l’économie mondiale, exactement comme l’avait formulé Albert Demangeon (SILVEIRA, 1946, p.99).

Monbeig et ses élèves ont compris le processus de colonisation du territoire brésilien par le capital dans ses temporalités et ses conditions géographiques. Chaque moment de la colonisation comprend un territoire, un ajustement spatial spécifique, un système économique, une période et un acteur socialement représentatif. Il s’agit de comprendre, collectivement, l’espace brésilien et son insertion dans l’économie mondiale avec les outils de la géographie française. Ce groupe orienté par les mêmes objectifs et utilisant les mêmes méthodes annonce la formation d’une école.

10- Le rôle de Pierre Monbeig dans la nationalisation de la géographie pauliste

Le collectif de géographes qui se réunissaient à l’AGB prenait soin d’élargir son aire d’influence. Pour commencer, ils avaient eu l’audace de fonder une association dite nationale en dehors de la capitale du Brésil (ANTUNES, 2008), divergeant d’avec un discours regionaliste de la formation de la géographie brésilienne. Les activités de la section de Rio de Janeiro étaient débattues dans les sections « nationales », localisées à l’USP. D’importants géographes rendaient visite à l’AGB nationale et faisaient fructifier les échanges d’idées entre ces deux importants noyaux, l’un local et l’autre national (IUMATTI, SEABRA, HEIDEMANN, 2008, p.95- 96). Pierre Monbeig a travaillé

118 personnellement à l’expansion de l’AGB et à l’organisation des différents noyaux. Son premier récit aborde l’organisation des relations entre l’école pauliste et l’école carioca. Mais il participait également aux inaugurations des sections de l’intérieur de l’Etat de São Paulo, comme le noyau d’Amparo (O Estado de São Paulo, 27 septembre 1938, p.7).

Tous les commentateurs ayant vécu ce moment, sont unanimes quant à la date de 1945 comme jalon de la nationalisation de l’AGB et de la « diffusion de la géographie moderne » qu’elle entraîne pour employer les termes de l’époque. (MONTEIRO, 1980, pp.13-15).

Pourquoi 1945 ? A partir de cette date, les directeurs de l’AGB réforment ses statuts pour incorporer de nouveaux groupes. C’est Monbeig qui dirigera le processus de nationalisation de l’association (cf. NOGUEIRA, 2013, p.98). Ceci est attesté par les documents. Un brouillon des nouveaux statuts, trouvé dans les archives de l’AGB, présente une série d’annotations et de retouches à la main, en plus d’une petite note, en français, dans l’en-tête, de la calligraphie de Monbeig, qui dit : « discuté et approuvé à São Paulo 4 et 5 juin 1945 » (Archives internes de l’AGB).

11- Quelques impacts postérieurs à l’influence de la géographie française au Brésil : la formation d’une école avant 1956 ?

L’examen du Manuel bibliographique d’études brésiliennes (MONBEIG, 1949), démontre que la géographie humaine est le domaine qui a eu la croissance la plus spectaculaire au Brésil. Elle est passée de la condition de quasi inexistence avant 1916 jusqu’à une position dominante (MONBEIG, 1949).

Il est connu que Pierre Monbeig est un des principaux leaders du processus de stimulation de travaux de géographie humaine et qu’il a contribué à une explosion assez significative des travaux de cette branche de la géographie. En effet, à la fin des années 1940, ce manuel recense plus de cinquante travaux de géographie humaine publiés au Brésil, contre à peine une dizaine de travaux de géomorphologie et une autre dizaine de biogéographie (MONBEIG, 1949). L’importance de la production brésilienne en géographie humaine est visible également dans la prédominance de cette branche dans la part des travaux brésiliens dans les congrès internationaux de l’UGI (KISH, 1979).

Selon Marie-Claire Robic, l’élection du Brésil comme lieu d’organisation du congrès international en 1956 légitimait les géographes brésiliens puisque la communauté

119 internationale acceptait d’être guidée, dans ses recherches et excursions, par ces nouveaux entrants dans le réseau universel de la géographie : « la pratique d’excursions sous la direction des géographes du pays suppose le partage du regard sur un espace et un échange confiant de diagnostics. » (ROBIC, 2013, p.19-20)

Il est important de rappeler la temporalité des processus. L’insertion du Brésil dans les réseaux et la production de modèles théoriques dans le pays paraissent s’être produites antérieurement à l’universalisation des approches théoriques de la géographie française. Le travail de Monbeig a été essentiel dans ce processus d’élaboration d’une théorie de la colonisation, en la reliant au genre de vie et en comprenant les processus spatiaux des forces en jeu dans la colonisation. Le Brésil représente un espace symbolique différent de la représentation des régions tempérées (ROBIC, 2013). Il représente un espace de colonisation du capitalisme tardif, où la force d’action de l’homme face à la nature est sollicitée dans toute son ampleur. Est-ce que cela peut conduire à influer sur la géographie française ?

D’une part, l’incorporation du Brésil et de toute une géographie tropicale dans le champ de la géographie française, peut être vue comme une stimulation pour actualiser non seulement ses méthodes – débat auquel est mêlé Monbeig – mais aussi ses stratégies et son paradigme. Robic parle d’un retour du paradigme de la géographie coloniale de Marcel Dubois (ROBIC, 1996b, p.46) (avec toutes les nuances et spécificités de ce mouvement), une géographie coloniale et politique que nous avons vue comme étant marginalisée au début du siècle et qui représentait un autre arrangement paradigmatique. D’autre part, la géographie brésilienne se fait de plus en plus connaitre, avec un corps de géographes toujours plus présents sur la scène internationale. Certains dialogues rapportés dans les annales des congrès témoignent d’un respect mutuel entre les géographes brésiliens et étrangers. Y a-t-il un déplacement progressif de la tutelle aux partenariats ?

Nous croyons qu’à partir de 1956, l’intérêt pour le Brésil commence à croître à travers le monde en lien avec une circulation accrue des géographes brésiliens. Cette année est une référence pour la construction d’une autonomie (mais pas avant non plus). Pour Nice Lecocq Müller, 1956 marque le passage d’une phase de consolidation pour une phase d’affirmation. (ABREU, 2006, p.149)

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Les conclusions de Muller s’accordent avec la temporalité établie par une géohistoire intellectuelle. Pierre Monbeig a posé les bases de la consolidation de la géographie brésilienne. Ces bases étaient consolidées notamment par l’élaboration de raisonnements méthodologiques particuliers (comme l’inversion de la dépendance de la situation par rapport au site et l’inversion du processus de colonisation commandé par des logiques naturelles ou économiques), avec l’insertion du Brésil dans une économie monde, une science monde, et une géographie universelle. Pour toutes ces raisons, nous croyons que tant que Pierre Monbeig était au Brésil, ou du moins jusqu’en 1956, date de la réalisation d’un congrès de l’UGI, il s’agissait plus d’une géographie développée au Brésil que d’une géographie brésilienne.

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Chapitre 6 Le Brésil et les propositions méthodologiques de Pierre Monbeig (1940-1957) : une géohistoire du capitalisme périphérique et une lecture géographique du sous- développement

Ce chapitre prétend tracer une première esquisse du rapport entre la formation spatiale brésilienne et les propositions méthodologiques de Pierre Monbeig. Notre hypothèse est que Pierre Monbeig a contribué à un « type de théorie qui serait plus pertinente au Brésil » et « pour les pays sous-développés et dépendants », ce que Florestan Fernandes a considéré fondamental pour le processus d’autonomisation intellectuelle (FERNANDES, 1975, p.17). Dans ce chapitre, notre objectif est de recomposer la construction cognitive sous-jacente à son raisonnement, en contact avec les déterminismes géographiques brésiliens. Après avoir observé le processus de construction de la problématique, nous traitons maintenant de la méthode d’investigation et de ses déterminants spatiaux.

Il y a un silence consensuel, ou une défense encore timide de la contribution théorique de Pierre Monbeig aux sciences sociales. Pereira de Queiroz affirme que « Pierre Monbeig a suivi empiriquement le même chemin [que Roger Bastide, selon elle]; toutefois, il ne s’est pas avancé sur le terrain théorique » (QUEIROZ, 1996, p.247). Suivant la piste lancée par Salgueiro, nous croyons que la contribution méthodologique de Pierre Monbeig aboutit à transformer la méthode géographique française pour un espace régional aux caractéristiques différentes (ouvert et international) ce qui était déjà en oeuvre dans ses travaux espagnols : « (...) et, dans le cas spécifique de Monbeig, transformer la méthode classique de la monographie régionale et des études urbaines dans une perspective plus internationalisée » (SALGUEIRO, 2006c, p.201). Ainsi, le Brésil a permis l’émergence d’une géohistoire du capitalisme périphérique : une méthode pensée à partir de l’importance du principe de connexion des espaces.

Au Brésil, ce remodelage apparait dans les mots de Pierre Monbeig sous forme d’une auto-analyse tardive. Dans le titre de sa thèse, il choisit « pionniers et planteurs » plutôt que « paysan » qui renvoie à une notion d’enracinement. Le choix de ces termes

122 est une forme d’adaptation à la situation du Brésil, celle d’un espace ouvert avec un mouvement permanent de colonisation intérieur :

Tous ces peuples disposent encore d’espace à occuper. Le nord du Canada, par exemple, est un peu comme l’Amazonie. Il est indéniable qu’il y a au Brésil une tradition pionnière qui a disparu en Europe. L’Europe est une voie sans issue. Regardez la carte : elle est sur la pointe occidentale de cette énorme masse de terre qui commence en Chine et s’affine en direction de l’Ouest. Les peuples qui habitent l’Europe se sont déplacés de l’Est à l’Ouest jusqu’à parvenir sur les rives de l’Atlantique. Ils sont restés là, à l’intérieur d’un petit espace. Ils ont été obligés de s’installer, se sédentariser, de bien traiter la terre dont ils disposaient. Sur le continent américain, la situation est différente. Comme la population était réduite par rapport à l’espace disponible, les Européens qui sont arrivés ici, spécialement les Espagnols et les Portugais, n’ont pas eu besoin de s’occuper beaucoup de la terre, de devenir paysans. Il est difficile de traduire en portugais quelques mots du vocabulaire rural français, alors je vais en utiliser certains en version originale. Il n’existe pas de ‘paysan’ au Brésil. L’Indien péruvien ou bolivien de la côte orientale est un ‘paysan’. Au Brésil, il n’y a pas de ‘paysan’. Il ne s’agit pas d’un problème linguistique. Les premiers agriculteurs, qui ensuite sont devenus de grands propriétaires terriens, tant au Sud des États-Unis que dans l’Amérique espagnole et portugaise, on les appelait les ‘planteurs’. Le planteur n’a rien à voir avec l’agriculteur, avec le ‘paysan’. L’agriculteur prend intensément soin de la terre, parce qu’il n’a pas d’espace. Je vais dire une hérésie, mais parfois je me demande s’il ne serait pas meilleur pour le Brésil d’avoir moins d’espace. Ne serait-il pas plus raisonnable et rationnel de densifier les populations des régions traditionnelles du Brésil, dans les zones rurales, en implantant une agriculture et un élevage plus intensifs ? [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG In MOTA, 1981, p.261).

Les déplacements des pionniers, des planteurs et des travailleurs, s’expliquent, entre autres facteurs, par l’espace disponible. L’Europe est une terre sans issue, dont la colonisation vient de l’Est en direction de l’Ouest. Ses colonisateurs ont dû composer avec des frontières fermées. Au Brésil, ce n’est pas le cas. Les frontières, quand elles ne sont pas fictives, sont très distantes. C’est la base de ce que Monbeig nomme le « nomadisme brésilien ». Nous pouvons dire que cette instabilité géographique est la principale caractéristique du sous-développement selon Pierre Monbeig. Voici le second axe de l’argumentation de ce chapitre : de telles réflexions ont conduit à la construction d’une méthode pour l’analyse géographique du sous-développement et de son possible dépassement.

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1- Pierre Monbeig et la géohistoire

Salgueiro a prêté peu d’attention à une idée qu’elle véhicule elle-même et que nous considérons plutôt originale pour l’interprétation de l’œuvre de Pierre Monbeig : le fait qu’il construit une géohistoire du présent. Dans une note, l’auteure affirme :

Cependant, la thèse à l’origine du livre mentionné s’était d’abord intitulée ‘Marche du peuplement et zones pionnières de São Paulo’ (...). Ici, l’accent placé sur la dynamique dans l’expression ‘marche’ peut également être considéré comme une innovation méthodologique, puisque Monbeig écrit une géo-histoire du présent, suivant de près les réalités du monde pionnier (SALGUEIRO cité par ROBIC, 2006b, p.51).

Monbeig suit un chemin contraire à celui du grand historien des permanences, Fernand Braudel, dont la thèse est publiée en 1949 en première édition et n’a pas, dans l’immédiat, de grandes répercussions. Fernand Braudel est durement critiqué, tandis que la thèse de Pierre Monbeig est primée. La thèse de Monbeig, publiée en 1952, suit de près les avancées épistémologiques de la période10.

Fernand Braudel, très proche de Monbeig, suivait en réalité un chemin inverse. Il cherchait à baser l’histoire de la Méditerranée sur des permanences, dans des mouvements longs, presque dans l’immobilité, selon ses écrits. L’histoire s’inscrirait d’une certaine façon dans le temps long. La fantaisie des hommes florissait sur une trame. Sans ignorer, bien entendu, les restrictions naturelles, les limites qui se découvrent, enfin, la nature du matériel sur lequel les hommes travaillent, Pierre Monbeig démontrait facilement que la géographie était une construction de l’activité humaine, et donc de l’histoire. Comment naissent les phénomènes qui souvent ne sont pas seulement inertes, mais capables de prendre d’autres directions, comment nait finalement la longue durée, ou du moins les ‘temporalités’ des choses, des hommes, des représentations plus longues et qui participent de l’actualité – voici la contribution la plus originale, ou du moins la plus explicite, qui nous a été donnée dans cette étude du monde pionnier [c’est nous qui soulignons] (RONCAYOLO, 2006, p.126).

Dans la géohistoire de Monbeig, le territoire brésilien est mis en valeur sur la base d’un grand espace en développement à partir du XIXème siècle. Dans le contexte du capitalisme tardif, le Brésil est déterminé par les phénomènes extérieurs. Ainsi, l’étude de la mise en valeur du Brésil devrait commencer par ce qui a été compris en Europe comme un niveau supérieur, celui de l’analyse des réseaux de villes. De plus, la construction territoriale du Brésil est déterminée par la posture et les attitudes des groupes

10 L’impression dominante est que la géographie française menait à la géohistoire. Ainsi, c’est Braudel qui s’est inspiré des géographes, plus que le contraire 124 sociaux comme celui des fazendeiros qui dominent l’État tout en étant soumis aux exigences du capitalisme mondial.

La détermination externe privilégie, à l’échelle des réseaux urbains, la situation (en fonction des voies de circulation) par rapport au site (et aux données naturelles) comme les monographies régionales urbaines l’ont montrées. Le Brésil est un espace ouvert, un vaste sertão à défricher avec les techniques du XXème siècle, et les facteurs économiques sont spatialement prédominants par rapport aux processus naturels. En ce sens, l’histoire du Brésil est organisée en cycles ; ce sont les cycles de l’économie. Dans un premier temps, presque tout tourne autour du marché, sans prendre en compte la question des adaptations au milieu qui n’apparaitra qu’avec le processus d’épuisement des terres, rompant avec une économie de la monoculture.

L’injection constante de main-d’œuvre dans la zone pionnière a également pour effet l’instabilité de la force de travail. Les logiques économiques externes s’appuient sur l’abondance de terres et la main-d’œuvre bon marché du sertão ou une main-d’œuvre paupérisée et étrangère lorsque c’est nécessaire. Nous pensons que Pierre Monbeig a développé un modèle géohistorique de la colonisation capitaliste des espaces continentaux, ainsi qu’un modèle géohistorique du sous-développement et de son possible dépassement. Nous détaillons dans les paragraphes suivants quelles ont été les étapes méthodologiques de cette géohistoire conçue par Monbeig.

2- Les étapes de la méthode de Pierre Monbeig

2.1.- Première étape. L’analyse de la situation, la grande histoire territoriale brésilienne, la situation du Brésil dans l’économie-monde

La première étape de la méthode de Monbeig se base sur la prise de conscience de l’immensité de l’espace et de l’ancienneté des processus historiques. L’analyse commence par la situation géographique et historique du Brésil et la mise en évidence du caractère ouvert de la situation régionale brésilienne.

L’histoire du Brésil intègre un « mal » originel : tout commence par l’arrivée des Européens sur des terres vierges ou occupées par des civilisations qui ne pouvaient leur résister. Cette histoire est organisée autour du processus d’ « expansion de la race blanche »11, une « race » plus occupée, en situation coloniale, à extraire les richesses qu’à

11 Ce terme est employé par Monbeig dans ses conférences. 125 les générer. Cette scène se joue encore au XIXème siècle : « (...) la diffusion de la culture caféière est historiquement associée à l’expansion des grands puissances maritimes atlantiques » (MONBEIG, 1957a, p.161). En réalité, il s’agit d’observer que, dans l’histoire du Brésil, les explications de nature synchronique précèdent celles qui sont de nature diachronique.

2.2. - Deuxième étape. Une description des divers cadres régionaux

Tout de suite après la mise en évidence de l’ouverture des situations régionales brésiliennes, Monbeig étudie les potentialités intrinsèques d’un ensemble régional sur le plan naturel et humain (MONBEIG, Correio Paulistano, 6 octobre 1944). Ensuite, il faudra comprendre les connexions, déconnexions et échanges entre les différentes régions (naturelles et humaines).

Un géographe ne s’intéresse pas seulement aux unités naturelles. Il y a trois principales manières de caractériser les régions : les régions naturelles bien sûr mais aussi les régions géographiques (construites par les genres de vie) et les régions économiques. Une région géographique existe lorsque les frontières physiques et humaines de la région coïncident tandis que dans la région économique, les limites physiques ne sont pas prises en compte, les critères de délimitation sont ailleurs. Pour Monbeig, la région économique au Brésil est la région ferroviaire.

La délimitation des régions naturelles ne présente pas de difficultés particulières. En revanche, la délimitation de la région géographique impose l’analyse des genres de vie : « d’abord délimiter un certain type de genre de vie, de peuplement ou d’occupation de la terre et ensuite chercher dans quelle mesure il correspond (ou non) à l’infrastructure physique. » Mais il ajoute que la méthode inverse est également possible (MONBEIG, Correio Paulistano, 20 octobre 1944).

Contemporain de Monbeig, Pierre Gourou élabore en 1947 une petite synthèse dans la collection « Colonies et empires », dans laquelle il déclare que la zone tropicale, où la chaleur et l’humidité se combinent presque en permanence, constituant un cadre d’insalubrité, détermine la pauvreté de la fertilité des sols, ce qui représente des facteurs limitants pour le peuplement de l’homme blanc dans ces zones (ROBIC, 2006a, p.156). La lecture que Gourou fait des tropiques prend place dans la longue série des lectures négatives comme l’avait bien noté Monbeig dans certaines de ses conférences.

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Cependant tout comme Gourou, Monbeig réaffirme constamment l’idée d’un déterminisme initial. Pour lui, les relations entre l’homme et son milieu ont des origines passées marquées pas un déterminisme du milieu sur l’homme. Toutefois, l’histoire contribue à fragiliser cette relation. De cette façon, il répète en permanence que l’origine des phénomènes géographiques influencés par le tropicalisme est une chose et que le maintien de relations sociales encore déterminées par les relations archaïques en est une autre. Si l’origine des relations sociales est marquée par un déterminisme direct, il faudrait briser la séquence des relations de causes à effets qui ferait du maintien de cet état de choses un choix de société.

Comme Gourou, Monbeig comprend que les genres de vie des régions qu’il a étudiées étaient marqués par des capacités d’action limitées et par une propension au nomadisme. Ce constat de la mobilité est un des effets les plus importants du genre de vie sur la structure économique.

Cette collecte de données relatives aux types d’espaces est suivie d’une interprétation de leur mode d’articulation à une réalité donnée. Cet ordre reprend le raisonnement d’Albert Demangeon fondé sur une juxtaposition du milieu physique, du milieu géographique et du milieu économique.

Quand il tente de comprendre comment ces types d’espaces s’articulent concrètement sur le terrain brésilien, Pierre Monbeig perçoit une spécificité. Ici, une grande part de l’espace de la mise en valeur ne correspond pas à la région géographique, ni à la région naturelle.

Pierre Monbeig comprend alors qu’au Brésil, l’étude des échanges et de la circulation des hommes et des capitaux, des réseaux ainsi que des systèmes urbains, est à la base des processus de mise en valeur. Ceci ne lui fait pas changer radicalement l’organisation de sa thèse mais il choisit quand même d’analyser d’abord la circulation des hommes et des capitaux.

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2.3. - Troisième étape. Trouver les causalités des relations synchroniques des articulations et déséquilibres régionaux

Ensuite, Pierre Monbeig tente de comprendre les interactions causales au sein de cette superstructure qu’est la région économique. Alors, il s’engage dans une analyse systémique de cet ensemble régional. Ces analyses montrent l’importance des échanges, des dynamiques et mouvements des hommes, des marchandises et des capitaux.

Monbeig tente de comprendre les dynamiques puissantes de la société brésilienne avant de passer à une autre étape méthodologique. L’ordre dans lequel se produisent les processus est une donnée essentielle des analyses géographiques de Pierre Monbeig. Et cet ordre est spécifique dans les territoires confrontés aux capitales et ravitaillés par des marchandises originaires du marché mondial. Pour comprendre les raisons de la mobilité Monbeig privilégie les analyses synchroniques sur les analyses diachroniques.

Le premier acteur à entrer sur la scène territoriale est l’entrepreneur capitaliste spéculateur. Il arrive avant le pionnier dans le processus de mise en valeur des espaces. Il fixe le prix de la terre et spécule à partir de la connaissance préalable du tracé des lignes ferroviaires, connaissance dont il dispose grâce à sa collusion avec les représentants de l’État. Le pionnier arrive après le spéculateur mais avant le chemin de fer, pour acheter la terre, défricher la forêt et rendre son terrain cultivable. Pour ceci, il contracte des prêts auprès des banques qui sont contrôlées par la même classe de capitalistes. Après le travail effectué pour rendre la terre cultivable, il la vend aux grands propriétaires, sans bénéfices suffisants, et c’est ce propriétaire qui va la valoriser par la construction de lignes ferroviaires après que la masse des pionniers ait effectué le travail.

Sans avoir la possibilité de préserver leur production, il ne reste aux pauvres pionniers que la migration vers de nouvelles terres. La mentalité aventurière du pionnier vient de là ; elle est imposée, dictée par les décisions des capitalistes. Partir c’est tenter une nouvelle chance, c’est l’espoir d’une vie meilleure.

Le capitaliste, quant à lui, ne spécule que parce qu’il y a des terres disponibles, où l’on peut faire des bénéfices élevés et rapides. Il peut compter sur l’adhésion de l’État et de la société à cette logique d’exploitation qui fait obstacle à la démocratisation de la terre et à la sédentarisation de ceux qui sont dépourvus de capital, en construisant les réseaux ferroviaires en fonction des intérêts de classe, bien que cette terre, paradoxalement, abonde.

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L’abondance de la terre, le vide démographique, la monopolisation des bénéfices du réseau ferroviaire, le type spéculatif de l’exploitation du capital et les genres de vie mobiles font système de façon cyclique. Les capitalistes, en cherchant des solutions pour augmenter leur marge de bénéfice, sont aidés par l’abondance de terres et d’hommes pauvres. Ils jouent avec les avancées de la frange pionnière et avec les genres de vie tropicaux archaïques.

Ce mécanisme d’exploitation entraîne la surpopulation des métropoles. Le sol est rapidement épuisé par l’utilisation de techniques traditionnelles et entraîne l’impossibilité de la fixation. C’est un mouvement cyclique qui se répète et Monbeig cherche à comprendre cette dynamique et son organisation spatiale.

Sans doute l’industrialisation, visiblement engagée, avait-elle été favorisée par la croissance démographique, mais deux facteurs avaient agi concomitamment : la transformation du travail dans les campagnes que connaissait l’état de São Paulo, où les petits producteurs et les métayers étaient expulsés de leurs terres, et l’ouverture de nouveaux fronts pionniers dans ce même état et dans l’état voisin du Paraná. (…). D’importantes contingents de main-d‘oeuvre se trouvaient donc libérés et disponibles pour la croissance urbaine ou pour la migration vers les fronts pionniers [c’est nous qui soulignons] (QUEIROZ, 1991, p. 59-60).

Il apparait rapidement qu’au Brésil, pays aux frontières ouvertes à la demande du marché mondial, ce complexe est perturbé par des forces externes, comme l’a bien noté Roncayolo, ne parvenant jamais à un équilibre. Au sommet du système, les forces productives sont animées par un cycle renouvelé de montée du cours mondial du café. À la base, l’épuisement des sols est causé par l’emploi de techniques agricoles prédatrices mais sa gravité est rendue moins visible par l’abondance des terres.

La demande extérieure est alors revigorée et le gaspillage des terres se poursuit. Le nouveau cycle productif agit sur de nouvelles terres et place plus de main-d’œuvre dans ce mouvement, augmentant le pouvoir d’attraction de la frange pionnière auprès de la force de travail paupérisée du sertão. Les populations, de cette façon, ne se stabilisent pas et sont soumises à l’exode. La constante répétition de l’exploitation de la main- d’œuvre, à travers l’injection d’autres hommes, génère une instabilité du marché de réserve, ce qui est une spécificité de la lecture géographique et systémique de Monbeig sur le Brésil.

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Après l’analyse des causalités de la dynamique interne des régions, en termes de mouvements des hommes et des capitaux, nous verrons que Monbeig comprend ce système par niveaux de déterminations sociales hiérarchisés (une domination de l’homme sur l’homme). L’histoire, alors, contribue à expliquer l’évolution de cet ensemble.

2.4- Quatrième étape. À la dimension synchronique succède la dimension diachronique : évolution, cycles et conjonctures

La situation économique du Brésil est liée à l’histoire des centres d’impulsion du capitalisme mondial. Ce sont les cycles du capitalisme. Quand l’économie mondiale croit, la demande pour les produits tropicaux grandit, et la mise en valeur du territoire brésilien entre dans un nouveau cycle. Quand l’économie se contracte, diminue également la quête de produits tropicaux, engendrant d’autres effets au Brésil. Nous nommons ces mouvements, qui sont la conséquence de la demande et de l’expansion, « processus capitalistes » et « processus naturels ». Par « processus naturels », nous désignons des processus qui débouchent sur la constitution d’un marché local mais sont la conséquence directe de formes d’adaptations aux conditions naturelles.

C’est Hervé Théry qui a mis en lumière l’originalité de l’approche cyclique dans l’œuvre géographique de Pierre Monbeig. Le Brésil permet la compréhension de ces cycles puisque tout son dynamisme économique s’est produit, depuis le XVIème siècle, en fonction de ces variations conjoncturelles : « Utiliser comme articulations essentielles les crises économiques, était une autre [audace]. Et tenter de construire toute l’analyse des franges pionnières autour de trois découpages historiques (1900, 1929, l’époque présente) était une troisième audace : l’analyse géographique – c’est-à-dire le rapport avec les éléments naturels – n’apparait que plus tard, mais il est au cœur du propos » (THÉRY, 2009, p.51).

Pour Queiroz Neto, Pierre Monbeig réussit à comprendre que la périodisation de l’histoire économique du Brésil se fait selon les « cycles » imposés par le marché mondial. Le développement du Brésil, sous dépendance extérieure, est soumis au cycle d’expansion décidé au cœur du système. Ce premier mouvement expansif s’est produit dans la plaine de l’État de Rio de Janeiro, se poursuivant ensuite en direction de Espírito Santo, du Sud de Minas Gerais et de la Vallée du Paraíba (QUEIROZ NETO, 2009, p.42). Ce mouvement est dirigé par la première génération de fazendeiros, qui utilisaient encore une main-d’oeuvre d’esclaves.

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2.5. - Cinquième étape. L’analyse sociologique : les mentalités stimulent la colonisation

Sans entrer dans les détails, nous avons déjà montré que Pierre Monbeig voit le XXème siècle comme marqué par la possibilité d’intervention de l’homme dans l’organisation des espaces: « les succès urbains étaient en même temps le triomphe des individus et, en ce sens, la géographie humaine de la frange pionnière est le fruit de sa structure sociale et économique » (MONBEIG cité par NOGUEIRA, 2013). La conquête de l’État, principal agent économique du XXème siècle, est une étape essentielle pour provoquer ces processus.

Le programme d’études sur la psychologie des peuples deviendra réellement fondamental à partir des travaux de Durkheim (Représentations individuelles et représentations collectives) et Halbwachs (Les cadres sociaux de la mémoire) (OZOUF- MARIGNIER, 2006c, p.62). Au côté de psychologues comme Charles Blondel et Henri Wallon, ce seront eux qui inspireront l’éclosion de l’histoire des mentalités de Lucien Febvre et de Marc Bloch (OZOUF-MARIGNIER, 2006c, p.62). Les bases de cette histoire des mentalités, des représentations et des sensibilités sont en cours d’élaboration à l’époque de Monbeig et celui-ci voit l’incorporation de ces approches dans les travaux géographiques comme une nouveauté :

(...) j’ai été très surpris, quand j’ai fait ma thèse, d’entendre des collègues, plus jeunes que moi, m’en dire du bien sur certains points. Par exemple, on m’a dit que j’avais innové en attachant tellement d’importance á l’évolution du prix du café, alors que cela me paraissait tellement évident : là-bas, ça crevait les yeux. Et personne, à ma soutenance de thèse, aucun des membres du jury, ne m’a dit une parole, soit de louange, soit de blâme, pour les quelques pages que j’avais consacrées à la psychologie bandeirante. J’avais l’impression que c’était une nouveauté, et que j’allais probablement me faire taper sur les doigts, ou bien, qu’au contraire, on m’en dirait du bien (MONBEIG in BATAILLON, 1991, pp. 31-32).

À la différence de Braudel, la géohistoire de Monbeig, qui est aussi une géohistoire du mouvement, est une géographie qui a la prétention de contribuer aux prises de décision. Il s’agit donc d’une méthodologie déjà adaptée aux terrains dans lesquels elle est élaborée, c’est-à-dire pour le Brésil à un contexte de formation de l’État national avec l’implication du peuple.

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Mais, à ce moment-là, on ne peut pas encore parler de géographie appliquée même si Aziz Ab’Saber rappelle que Monbeig avait l’habitude d’alerter les géographes brésiliens non seulement sur une, mais sur plusieurs applications possibles de la géographie (AZIZ AB’SABER, 1994, p.231). La compréhension géographique de la mise en valeur par Monbeig débouche sur une théorie géographique régionale du développement brésilien, destinée à valoriser les capacités intrinsèques du pays et appuyée sur la conviction que les individus, en plein XXème siècle, se sont appropriés leurs destins, bien que de manière encore dépendante des conditions naturelles.

Dans ce domaine, si les espaces américains sont conformes à la volonté de certains hommes, il est clair que les hommes doivent avoir des « modes de pensée » correspondant au processus de colonisation. Marie-Vic Ozouf-Marignier nous éclaire : « Monbeig affirme toute l’importance qu’il attribue à la considération des ‘attitudes mentales’, jugeant qu’elles constituent un propulseur essentiel des modes d’occupation de l’espace et doivent donc être des objets de recherche de la géographie humaine » (OZOUF- MARGNIER, 2006c, p.59) ; et ce dernier d’écrire que « notre ambition est d’associer plus fréquemment l’étude des modes de pensée et des genres de vie » (MONBEIG, 1957c, p.32).

3- La contribution méthodologique de Pierre Monbeig à partir des études brésiliennes : la géohistoire du capitalisme périphérique et la logique de ses structures causales

Pour comprendre les emboîtements régionaux et leur disposition à la surface de la terre, nous pouvons prendre l’image des couches géologiques12. La couche inférieure est celle des régions naturelles et la couche supérieure celle des régions économiques. Elles se combinent à la surface de la terre de façon discordante. Entre les deux, une région humaine ou géographique. Une évolution naturelle s’harmonise avec une région géographique par des rapports causaux linéaires et déterministes. Dans une couche supérieure, la région économique s’intègre de façon spécifique en s’appuyant sur les points de contact (que Monbeig identifiera comme étant les villes) entre deux régions géographiques. La région économique est une sorte de superstructure qui « survole » les régions naturelles et géographiques ; elle possède une dynamique cyclique et est

12 Cette observation de la réalité en couches a déjà été formulée par Vidal de la Blache. Pour approfondir le thème de la géohistoire chez Vidal de la Blache, voir LIRA, 2013. 132 organisée, non autour de relations déterministes avec des causes et des effets, mais autour d’interactions cycliques de niveau global. N’oublions pas, toutefois, que ces unités économiques s’associent, de la même façon, avec d’autres combinaisons du milieu physique, du lieu et des lignes de communication : « L’étude des voies d’accès est particulièrement séduisante dans les grandes vallées des principaux fleuves, dont le rôle en tant que voie de pénétration dans les zones distinctes est ancien et actif » (MONBEIG, Correio Paulistano, 20 octobre 1944).

Figure 7. STRUCTURE CAUSALE DE TYPE TOPOGRAPHIQUE. Cette structure causale met en relation des dimensions physique, biologique, géographique et économique. À la base, entre le milieu physique et le milieu géographique, nous avons les relations causales d’ordre direct. Dans la couche superficielle, où se situe l’homme économique, nous avons des contacts ponctuels avec le milieu physique, et les organisations causales sont d’ordre cyclique. De cette façon, celle-ci est aussi un modèle des formes de structure causale typiques de la géographie physique, humaine et économique. Cette structure causale exprime le fonctionnement géohistorique du capitalisme tardif. (Conception : Larissa A. de Lira, 2016)

De cette façon, Pierre Monbeig fait un triple mouvement : d’abord, il intègre la région économique dans une strate plus durable et, ce faisant, articule ses propositions avec l’accumulation théorique de la géographie classique, dont les rapports directs entre

133 la terre et l’homme ont amplement été débattus (souvenons-nous du schéma de raisonnement causal linéaire des premières études de Monbeig sur la région parisienne, présenté dans le premier chapitre). Ensuite, il la superpose à une nouvelle couche de mise en valeur, dominée par des forces économiques et dotée d’une structure interne cyclique. Enfin, son innovation consiste à comprendre qu’au Brésil la circulation et la région économique sont à la base de la construction des espaces de mise en valeur du capitalisme tardif, développé après la fin du XIXème siècle.

La structure causale géographique qui unifie les logiques du milieu physique et du milieu économique (ou les logiques linéaires ou systémiques) en tant que modèle spatial de la géohistoire n’est pas une idée originale. L’originalité a consisté à savoir la synthétiser. La géographie vidalienne avait anticipé les principales contributions d’une série de courants actifs au début et dans le milieu du XXème siècle, et a eu un grand impact sur la configuration des sciences sociales en France.

Nous élaborons ici une première esquisse d’un modèle systémique de l’organisation régionale du Brésil à partir de l’articulation des franges pionnières avec les autres paysages brésiliens – nous l’appelons « modèle régional des franges pionnières (ou des régions ouvertes) et des aires de modernisation dans le capitalisme tardif ». Pour nous, cette compréhension géoéconomique et géohistorique du Brésil anticipe, en réalité, une interprétation géographique du sous-développement. Cette modélisation fait partie de la structure causale topographique. Elle se reproduit au sommet.

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Frange Sertão pionnière Ville Côte

Port

Figure 8. Structure causale de type cyclique. Esquisse de structure causale de type cyclique qui se produit au sommet de la structure causale topographique en tant que modèle de fonctionnement du système régional des régions ouvertes, sous la pression de la demande extérieure de produits tropicaux – celle-ci est, en même temps, une interprétation géographique du sous-développement, par Pierre Monbeig (Conception : Larissa A. de Lira, 2016)

Légende: 1- Hausse des prix du café, forte demande extérieure ; 1a – Construction de lignes ferroviaires, fondation d’une bouche du sertão/ville; 2- Attraction de la main-d’œuvre et des produits du sertão par la bouche du sertão, création d’un marché ; 2 a- Bouche du sertão : premier cycle d’épuisement des terres ; 3- Exode rural vers la ville (qui peut également se diriger directement vers la prochaine bouche du sertão) ; 4- Premier cycle de croissance de la ville et industrialisation par la main-d’œuvre migrante ; 5- Demande pour des produits manufacturés à l’intérieur du système – consolidation d’un marché interne micro-régional; 6- Nouvelle hausse des prix du café – début du déséquilibre ; 6 a- Avancée des lignes ferroviaires, fondation d’une nouvelle bouche du sertão/ville ; 7- Exode rural vers la nouvelle bouche du sertão – déséquilibre du système : arrivée de plus de main-d’œuvre du sertão ou étrangère ; 8- Nouvelle bouche du sertão, nouveau cycle d’épuisement de la terre ; 9- Nouveau cycle d’exode rural ; 10- Nouveau cycle de croissance de la ville/industrialisation ; 11- possibilité de commencement d’un nouveau cycle si la demande extérieure se renouvelle et s’il y a encore de l’espace. Les produits de la zone pionnière s’écoulent du territoire par le port.

L’approche cyclique dans le cadre de la géographie humaine avec des déterminations du milieu qui ne s’opèrent que dans les points de contact, apparaissait déjà dans les travaux de Pierre Monbeig sur l’Espagne. Ici, le modèle se complexifie. Nous observons à partir de notre modélisation géographique du fonctionnement régional du Brésil qu’il se compose de cycles à l’intérieur de cycles qui n’atteignent pas l’équilibre (voir flèche 11). Nous avons montré que, pour Daniel Loi, la géographie classique a employé un raisonnement majoritairement linéaire (LOI, 1982, 1985). Le raisonnement systémique de Monbeig apparaît donc comme une possible originalité.

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4- Une lecture géographique du sous-développement brésilien: une géographie tournée vers des demandes pratiques pour résoudre les difficultés nationales

Au Brésil, le mouvement ouvrier débute sa croissance dans les années 1930 même si en 1941 la plupart des militants communistes, sont incarcérés ou en fuite. Depuis la création du Ministère du Travail en 1930, les lois sociales, selon Carone, s’accumulent, toutes en réponses aux besoins légaux du mouvement ouvrier. Les lois sur le temps de travail, les accidents, les salaires, les syndicats, les cartes professionnelles, l’organisation syndicale, etc., se consolident jusqu’au document produit par Arnaldo Sussekind, Dorval de Lacerda et J. de Sagadas Vianas et adressé au Président de la République, connu sous le nom de « consolidation des lois du travail », publié le 19 avril 1943 (CARONE, s.d., p.555-556). D’un autre côté, croît le mouvement pour la démocratisation du pays et pour la fin de la dictature de l’État Nouveau. La contestation grandit (CARONE, s.d., p.111- 112).

Cette ouverture politique brésilienne fait partie d’un mouvement international pour le développement des pays latino-américains. Tout de suite après les reconstructions de la guerre, la performance des exportations latino-américaines toujours axées sur les matières premières après les accords de Bretton Woods, entraîne une réaction dans les pays concernés (DALIO, 2014, p.28). La CEPAL (Commission Économique des Nations- Unies pour l’Amérique Latine) est créée en 1948 et compte dans ses rangs Celso Furtado.

Pierre Monbeig se donne la tâche de comprendre les inégalités de la société brésilienne. Pour lui, le défi du développement brésilien consiste, en premier lieu, à installer des infrastructures qui permettent que toute la population puisse évoluer dans le cadre de la même temporalité, en initiant une transformation du planteur en paysan, plus enraciné dans la terre et en créant un marché interne, étant donné que le Brésil est connu pour ses disparités régionales. En outre, la consolidation du marché interne serait une façon d’amortir les revers subis à cause des cycles économiques internationaux. Pour Monbeig, la création du marché interne ne pourra s’opérer qu’avec la fermeture des frontières.

En 1945, Pierre Monbeig prononcera un cycle de conférences mises en place par l’Institut d’Organisation Rationnelle du Travail (IDORT), auprès de Caio Prado Jr, Aroldo de Azevedo et Alfredo Ellis Junior, intitulé « Le Brésil de l’après-guerre », où il

136 discutera, selon l’annonce, des « conditions générales pour l’avènement de la paix au Brésil et de ce qu’il faudra réaliser dès maintenant pour que, éloigné des obstacles inévitables, le pays puisse tirer profit au mieux de ses possibilités » (O Estado de São Paulo, 04 décembre 1945, p.9). L’agenda de la souveraineté et du développement des peuples est alors à l’ordre du jour de la géographie française développée au Brésil :

Pierre Monbeig suivait au Brésil une voie originale et dessinait les contours d'une géographie en dehors des contingences de la traditionnelle géographie coloniale et moins marquée par le déterminisme de la tropicalité, évoluant vers les questions de la géographie du développement (DROULERS, 1991b, p. 40).

Quand Monbeig parvient à modéliser la manière dont la mise en valeur – sous l’impulsion de la demande internationale au contact des structures traditionnelles – produit un déséquilibre structurel du territoire, retarde le processus de fixation du travailleur, renouvelle sa condition d’exploitation et retarde la formation d’un marché interne, il ébauche une compréhension géographique du sous-développement.

5- Les conditions géographiques pour le processus de développement au Brésil : une vision toujours plus engagée pour Monbeig

Les analyses géographiques de Pierre Monbeig vont à l’encontre d’une des plus importantes lectures de l’économie politique du Brésil, produite par la CEPAL à la même époque. Même s’il est d’accord sur certains points, Monbeig se démarque de cette lecture en signalant que le processus d’industrialisation est stimulé par la croissance urbaine, attribuant des traits essentiellement géographiques à son analyse.

La situation périphérique du Brésil est exprimée, sous la plume de Monbeig, par l’idée que le pays s’est positionné comme une économie annexe des pays de climat tempéré, une conclusion que Caio Prado Jr avait déjà anticipée. Du point de vue de la CEPAL, ceci s’exprimait dans le fait que les centres de décision de l’économie brésilienne se trouvaient hors de celle-ci (BELLUZO In MELLO, 1991, p.10). Tout comme Monbeig voyait une issue vers l’indépendance brésilienne dans la croissance de l’industrialisation urbaine, les chercheurs de la CEPAL assuraient que seule l’industrialisation pourrait déplacer le centre de décision de l’économie nationale à l’intérieur même du pays.

Cette situation avec d’un côté des économies industrialisées et de l’autre des économies exportatrices de matières premières, générait un processus que les membres

137 de la CEPAL nommaient « détérioration des relations d’échange » et qui s’expliquait par la lenteur avec laquelle le monde industriel des pays périphériques absorbait l’excès de population consacrée aux activités primaires, qui, étant relativement abondantes, tant par leur situation de région périphérique que par le type de travail auquel elles se dédiaient, tiraient les salaires vers le bas, puis le prix des matières premières, alors que dans le monde métropolitain industriel, l’investissement technique croissant tirait les prix des produits industriels vers le haut (BELLUZO In MELLO, 1991, pp.15-16). Monbeig avait aussi noté la précarité du travail dans la frange pionnière à travers la modélisation des temporalités d’un cycle géographique d’exploitation, dans laquelle la fixation des travailleurs est retardée en dépit de la dynamique de la zone pionnière.

Toutefois, il est clair que la CEPAL n’a pas mis en valeur la dimension géographique de ce processus, comme l’importance de la fermeture de la frontière pour le passage définitif à l’industrialisation urbaine. Une utilisation plus pertinente de la terre, la préservation de l’environnement et la gestion de l’exode rural se produiraient selon Monbeig avec la fermeture de la frontière, que ce soit par des moyens gouvernementaux de protection de l’économie ou une limitation géographique à l’expansion du capitalisme international.

Bien que nous sachions que la CEPAL voyait dans l’expansion de la culture caféière le premier moteur du processus d’industrialisation, il était nécessaire que la balance penche définitivement vers la demande urbaine, sous peine que ce processus ne se réalise jamais. On ne peut pas conclure cependant que le processus d’industrialisation du Brésil est une conséquence directe du système agro-exportateur. En réalité, un vaste effort de construction de l’État National s’est révélé nécessaire pour que la production industrielle permette à l’économie brésilienne d’avancer dans son développement.

D’un point de vue géographique, Monbeig a démontré que tous ces changements étaient liés aux demandes du marché national, mais étaient principalement dépendants de la fermeture de la frontière de la frange pionnière : « La frange pionnière atteignait ses limites à l'arrivée de Pierre Monbeig : quel beau sujet de recherche pour un géographe! » (DRESCH, 1991). La fermeture de la frontière agricole représente une volte-face en faveur de l’urbanisation au moment exact où le centre de décision de l’économie brésilienne revient à l’intérieur, pour employer les termes de la CEPAL.

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A moins que les capitalistes trouvent une autre manière de reouvrir la frontière, le Brésil pourrait entrer, alors, dans un processus de développement, peut-être même durable. La frontière ouverte, avec ses perturbations de l’édifice social, avec les ascensions et décadences sociales en perspective, ne permet pas la stabilisation : « solidarité [entre la ville et la frange pionnière] avec une civilisation qui n'a pas plus cristallisé ses traits qu'elle n'a atteint ses frontières géographiques » (MONBEIG, 1953, p.5). La fermeture de l’espace brésilien permet de relocaliser le commandement de l’économie, avec l’avancée de la colonisation de peuplement, stimulée par l’urbanisation, avec la croissance de la petite propriété, de l’agriculture vivrière et commerciale, entre autres.

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Chapitre 7 La résistance des valeurs littéraires dans le cadre d’une approche idiographique de l’avancée du capitalisme au Brésil (1938- 1953)

Ce chapitre est consacré à l’analyse de la manière dont Pierre Monbeig expose les résultats de son travail. Pionniers et planteurs de l’État de São Paulo, sa thèse principale, et La croissance de la ville de São Paulo, sa thèse complémentaire, ont été commencées à partir de 1938, finalisées en 1949, toutes deux soutenues en 1950, et publiées respectivement en 1952 et 1953.

Comment organise-t-il la présentation du monde pionnier et de l’avancée du capitalisme dans sa thèse ? Comment réarrange-t-il les structures causales et comment sont-elles exposées dans la thèse ? Quelle place fait-il au style littéraire alors qu’il apporte des innovations méthodologiques ? Comment et pourquoi les particularités gagnent-elle de la visibilité dans son discours ?

Pierre Monbeig adopte une perspective théorique basée sur l’idée que la standardisation croissante du monde et les avancées du capitalisme n’ont pas oblitéré le déterminisme géographique initial. Pour lui, il y avait donc la possibilité de construire un discours de valorisation des caractéristiques spécifiques du Brésil, de l’évocation du sensible, du concret, de l’unique, d’une forme de « réalité » brésilienne.

Toutefois, il y a ici une particularité méthodologique : le domaine de l’évocation des caractéristiques spécifiques du Brésil apparait moins dans la méthode de recherche que dans la méthode d’exposition. Ces deux ensembles de procédures, unifiés, présentent de singuliers résultats. Dans le chapitres précédents, nous avons vu que dans la méthode de recherche de Monbeig, la mise en œuvre de la méthode et la présentation des modèles théoriques sont souvent implicites. L’élaboration d’une théorie générale de la colonisation, d’un modèle régional des franges pionnières ou l’application d’une méthode qui révèle une modélisation du cycle urbain et ses spécificités sont quelques-unes des avancées théoriques de Monbeig. Mais jamais, il ne les systématise dans sa thèse sauf celle qui concerne les structures causales (quand il parle d’une complexe géographique).

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Ainsi Pierre Monbeig n’a pas besoin de rompre avec le legs discursif de la géographie française, ou du moins du discours qui prédominait jusqu’en 1940. Bien que sa méthode de recherche soit toujours plus cohérente, systémique et modélisée, nous pensons que la présentation de la thèse est une forme de repli épistémologique vers les bases de la géographie française lorsque Vidal de la Blache attirait l’attention sur les beautés des paysages français.

En 1942, alors qu’il occupe la chaire de la Sorbonne, donc une position centrale, André Cholley, le second directeur de thèse de Monbeig (après la mort d’Albert Demangeon en 1940), énonce les difficultés, mais la nécessité, de privilégier la méthode dans la façon d’enseigner la géographie aux étudiants. C’est un discours complètement différent de celui d’Emmanuel de Martonne.

La principale [difficulté] tient à l’abus du verbalisme. Bien souvent les élèves n’ont jamais dans la tête que des mots, qu’ils emploient mal faute d’en définir exactement le contenu. On parle volontiers de pénéplaine, mais on ignore ce que c’est exactement, et encore moins se représente-t-on le mécanisme de son élaboration. (…). Le vocabulaire géographique paraît obscur parce qu’on néglige l’entraînement progressif vers l’abstraction (...). Une autre difficulté tient à l’ignorance où se trouvent beaucoup de débutants du but même et de la méthode de la géographie [c’est nous qui soulignons] (CHOLLEY, 1951, pp. 1-3).

Autrement dit, les débats sur les modalités de mise en discours du savoir géographique sont au centre des questions épistémologiques. Mais ce ne sont pas seulement les termes qui sont remis en question. À travers la comparaison des sommaires des monographies régionales, nous pouvons voir que l’organisation discursive peut changer en fonction des espaces décrits. Pierre Monbeig adopte à certains moments une organisation discursive classique, suivant les exemples des thèses d’Albert Demangeon et Jules Sion, mais à d’autres moments il innove.

1- Adoption d’un modèle d’exposition singulier. Une comparaison des sommaires des monographies régionales

Notre hypothèse est que l’organisation des sommaires des thèses reflète la manière dont les géographes voient l’agencement des processus géographique. L’analyse comparée des sommaires des monographies révèle quelques généralités et spécificités de

141 l’organisation discursive de Monbeig13. En premier lieu, aucune des monographies ne dénie au milieu physique son antécédence sur les autres facteurs. Le milieu physique est à l’origine de l’approche idiographique de Monbeig. Ensuite, quelques auteurs comme Jules Sion et André Gibert font allusion aux considérations historiques avant l’analyse de l’occupation de la terre. Nous croyons que, avec Pierre Monbeig, ce sont les auteurs les plus influencés par la démarche historique. Après l’analyse des conditions historiques, apparait ce que nous appelons la « zone indéfinie », car cette partie apparait complètement singulier dans l’ensemble des monographies régionales, et elle est particulièrement importante pour Pierre Monbeig et André Gibert. Dans cette partie, ils présentent des caractéristiques des espaces qui précèdent l’analyse de l’occupation rurale de la terre.

Pour Pierre Monbeig, ce sont les jeux économiques globaux, dérivés des situations géographiques de ces espaces, et la psychologie bandeirante, dérivée des conditions historiques de ces espaces, qui traversent les mouvements du milieu physique. André Gibert évoque, lui, les moyens de transport d’une région franchement industrielle. Ce type de partie est source d’originalité dans l’organisation de la monographie régionale.

Un quatrième ensemble est commun aux thèses de Sion, Monbeig et Gibert. Ces trois thèses abordent les formes d’occupation de la terre après la partie physique ; ces formes d’occupation sont périodisées. Enfin, il existe un ensemble commun à toutes les monographies avec une analyse de l’occupation actuelle de la terre : agriculture, industrie, villes et réseaux. C’est comme si les espaces géographiques évoluaient selon ces modes d’occupation des espaces. On note que Pierre Monbeig suit une logique d’exposition classique en privilégiant les processus naturels sur les réseaux de villes quant à l’explication de l’occupation de la terre, alors que tous ses travaux montrent le contraire.

2- Le glossaire de la version française de 195214: la préférence pour le vocabulaire vernaculaire et les irréductibilités de la réalité brésilienne

Suivre les termes que Pierre Monbeig emploie, et qui ne peuvent pas être traduits du portugais au français, est une façon de nous approcher d’une réalité brésilienne

13 Selon Monbeig, ces monographies sont celles-là qu’il avait pris comme modèle. 14 À la fin de l’édition française de 1952, la première édition, Pierre Monbeig ajoute un glossaire des termes en portugais qui n’ont pas de traduction facile. Au long du texte, principalement sous forme de notes, il donne également quelques définitions. 142 irréductible. Marie-Claire Robic évoque l’utilisation du langage dans une mobilisation spécifique du paradigme (ROBIC, 1991). Nous n’évoquerons dans ce résumé que quelques exemples.

Le premier mot que Monbeig ne traduit pas en français est fazendeiro. En note, il explique au public français que le fazendeiro est le possesseur et qu’il peut ou non être un « planteur ». Il est attentif à la réalité du Brésil : les facteurs économiques créent ici des nuances spécifiques. Il n’est pas possible de parler d’agriculteurs. Au Brésil, il convient de distinguer le propriétaire et le planteur (les deux étant motivés par des facteurs exclusivement économiques), ce qui vide le mot « agriculteur » de son sens (MONBEIG, 1952, p.11, note 1).

Le Brésil, fortement influencé par la demande du marché mondial, utilise un vocabulaire spécifique pour se référer aux conséquences de ce phénomène. On peut prendre l’exemple du mot lavradores, que Pierre Monbeig ne traduit pas en français. En note, il explique que le lavrador est le fazendeiro qui cultive sa propre terre, ce qui n’est pas toujours le cas (MONBEIG, 1952, p.122, note 2). Le mot camponês (paysan), qui pourrait signifier une forme d’enracinement, est toujours absent.

3- Les caractéristiques physiques du milieu : les diverses possibilités d’orientation spatiale de la frange pionnière et le calendrier agricole

Issue de Rio Grande, plus au Nord, de Tietê, un peu plus au Sud, et Paranapanema, au Sud de l’État, pourquoi la culture du café s’est-elle orientée vers l’Ouest, en direction du Paraná et non vers le Nord-Ouest, en direction du Mato Grosso ? L’État de São Paulo est situé au carrefour des « vastes unités du Brésil central et du Brésil méridional » (MONBEIG, 1985 [1952], p.34). C’est un premier élément d’explication. Le café est un produit dont la culture est dictée par les marchés internationaux et les localisations des zones de culture sont liées aux voies d’accès. Ce seront ces zones à l’Ouest qui seront colonisées. Elles dépendent, d’autre part, de conditions physiques particulières, notamment d’espaces vides, d’arrière-pays dotés d’espigões15 et de sols plus fertiles.

15 Plaines trouvées dans les sommets des plateaux. 143

Les possibilités de la zone pionnière ne s’expriment pas seulement par les avantages que certaines voies offraient par rapport à d’autres : le calendrier saisonnier de la zone pionnière en direction du Paraná implique aussi des possibilités de production agricole plus diversifiées avec des cultures complémentaires dans le temps (saisonnalité) et dans l’espace (latitude) rendant possible un système d’occupation de la terre plus complexe et plus intensif. En ce sens, l’État de São Paulo et celui du Paraná présentent une meilleure complémentarité entre les céréales et le café d’un côté, et une plus grande opposition, pour ce qui touche à l’emploi de main-d’œuvre, entre le café et le coton. Le fait que les saisons soient bien marquées et plus douces au Paraná favorise cette division des activités ; d’autre part, le climat nettement tropical perturbe le calendrier agricole. Une autre variable, effet de ce calendrier est l’accroissement de la sécheresse consécutive à la déforestation. Au fur et à mesure que la déforestation progresse, le climat change et la terre s’assèche

A partir de cette rapide présentation, nous voyons, en premier lieu, que la description du milieu physique est totalement articulée avec la problématique de la thèse de Monbeig, qui consiste à comprendre la mise en valeur par le capitalisme. Le milieu physique dicte les voies de cette avancée. En outre, il nous faut nous questionner : quelles sont les caractéristiques de l’avancée du capitalisme au Brésil et à partir de quand a-t-il été dicté par des spécificités environnementales ?

Au Brésil, le capitalisme international profite de la disponibilité de vastes espaces qui ne sont pas mis en valeur. Les voies de pénétration de cette agriculture capitaliste passe par les espigões, qui ne sont ni la forêt proprement dite, ni les environnements du sertão mais une sorte d’espace intermédiaire. Dans cet environnement, cette agriculture avance sur les forêts et peut utiliser en même temps la main-d’œuvre du sertão. En déracinant la population de son environnement, elle produit une espèce de régression du genre de vie. La main-d’œuvre doit s’adapter sans cesse à de nouvelles conditions ; elle perd sa stabilité pour une condition de mouvement. Mais l’agriculture capitaliste organise de manière singulière les espaces et les sociétés. Après un cycle d’exploitation de la main- d’œuvre, elle fixe le travailleur au champ et à la ville. Ainsi, indirectement, le développement de la frange pionnière a un effet sur les villes avec la création d’un marché local qui doit être approvisionné en produits plus diversifiés. Les villes sont des espaces dont la complexité sociale et géographique est croissante.

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Ainsi, dans l’État de São Paulo, se développe un paysage dont les caractéristiques relèvent de ces deux logiques de reproduction de l’ajustement : d’un côté le café, matière d’exportation des zones pionnières, et de l’autre, dans les zones anciennement mises en valeur, un ajustement intensif. Avec la crise de 1929, toujours dans la zone pionnière, le coton commence à disputer les espaces du café, en commençant par atteindre des terres moins valorisées, comme le montre la carte de Monbeig. Le café est un produit international, alors que le coton est un produit majoritairement domestique mieux adapté au milieu physique local.

Peu à peu, le coton qui commence à se diffuser aussi sur les bonnes terres de la zone pionnière, produit une division de la propriété en raison d’une moindre valorisation sur le marché mondial et donc d’un accès possible pour de petits propriétaires. Le calendrier agricole du Brésil révèle des situations de concurrence et complémentarité. On voit que le coton et le café sont complémentaires ; il n’y a pas d’opposition. Ainsi, plus près de la capitale sont produits les éléments de subsistance du marché interne. Ainsi, le marché interne devient, à ce moment-là, une conséquence indirecte de la mise en valeur pour l’exploitation capitaliste et a pour résultat un enracinement des populations et le développement d’une culture nationale.

4- L’invisibilité du paradigme

Un regard global sur les sources mobilisées par Pierre Monbeig confirme l’importance du modèle des monographies régionales de la géographie française. En effet, chez Monbeig comme pour ces monographies, on peut mettre en évidence ce que Robic a nommé l’ « invisibilité du paradigme ». Dans la thèse de Monbeig, les références bibliographiques relatives à une géographie plus conceptuelle sont presque inexistantes pourtant, comme nous l’avons vu, il utilise un véritable modèle d’analyse de l’espace : données naturelles, données historiques, analyse sociologique, analyse des mentalités, données relatives à la propriété, relations des espaces étudiés avec des zones plus vastes, villes et réseaux. L’ordre dans lequel ces facteurs sont articulés révèle les particularités de la mise en valeur capitaliste au Brésil.

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5- La description des paysages dans une géographie du mouvement. Comment capter la rapidité des transformations ?

Qu’est exactement cette « géographie du mouvement » ? De nombreux auteurs ont expliqué comment Monbeig a nommé le phénomène qu’il avait pour ambition de décrire dans sa thèse, sans que cette expression ne soit décomposée et élucidée : « Les transformations sont si rapides que tout ce qu’on peut écrire est déjà de l’histoire. Aussi est-ce le mouvement même que j’ai tenté de décrire et d’expliquer (...) » (MONBEIG, 1984 [1952] p.19). Monbeig observe la réalité comme un cinéaste, qui répète ses cadrages à différents moments du temps. Ceci est une de ses stratégies discursives. Pour deux photographies préservées à l’IEB, il reprend le même cadrage à quelques années d’intervalle avec l’intention de montrer à quel point les changements du paysage de l’avenue São João sont impressionnants.

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Photo 7. Avenue São João. Auteur : Pierre Monbeig. Source : Fonds Pierre Monbeig- IEB, boîte 9

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Photo 8. Avenue São João quelques années plus tard (mais cliché non daté). Auteur : Pierre Monbeig. Source : Fonds Pierre Monbeig- IEB, boîte 9

5.1. – Une ressource littéraire : la métaphore de la frange pionnière

Monbeig attire l’attention du lecteur européen sur l’extrême rapidité avec laquelle les choses changent au Brésil, ce qui semble le surprendre beaucoup (FERNANDES, 2011). Il le fait de façon textuelle et iconographique. Le choix du terme de « frange pionnière » pour caractériser les zones en mutation et leurs paysages est à noter. Il cherche ainsi à donner du relief au caractère transitoire et instable de cette zone ainsi que l’aspect désordonné de ses paysages. On sait que l’identité géographique passe par la « physionomie » du paysage (SALGUEIRO, 2006b, p.92-93). Mais, selon Hervé Théry, dans son choix pour le terme « frange » et non « front » réside un refus partiel de la métaphore militaire (THÉRY, 1991, p. 81).

Nous pensons aussi, que Monbeig ne refuse qu’un aspect de la métaphore militaire, celle qui véhicule l’idée d’une zone organisée par une armée. Mais, avec l’usage du terme « frange », il préserve l’idée du mouvement, qui est aussi celui des armées en guerre, mouvement d’avancée ou de recul, prémisse de victoire ou de défaite. Contre qui ? Contre quoi ? Contre une forêt dense et difficile à maîtriser, contre un gaspillage croissant de la terre : « La terminologie brésilienne s’est fixée sur ‘l’océan vert’ qui s’oppose aux

147 pionniers. Leur marche se fait en forêt et contre la forêt » [c’est nous qui soulignons] (MONBEIG, 1984 [1952], p.86-87).

5.2. - Les étapes de l’avancée de la frange pionnière : une narration cinématographique focalisée sur les acteurs

Les avancées de la frange pionnière sont exprimées par un ensemble de scènes et de narrations. Ainsi, nous avons l’impression, en lisant son livre, que nous regardons un film. Il est important de souligner que le mouvement pionnier est incarné par différents acteurs au cours de ses différentes phases. Monbeig dit que ce sont les acteurs (il écrit « personnage ») qui confèrent des caractéristiques complètement singulières aux rapports entre la zone pionnière et la métropole. Pour Gomes et Droulers,

Dans une réalité territoriale en constante mutation, Monbeig est allé chercher l’empreinte et la contribution de chaque type de personnage dans sa structuration (indien, mineiro, grand planteur, coronel, grileiro, marchand de terre, immigrant, fazendeiro, colon et sitiante). Pour comprendre les changements encore en marche dans l’espace de São Paulo, Monbeig revient aux racines historiques de ces personnages. (GOMES, DROULERS, 1996, p. 263)

En effet, pour Pierre Monbeig, les premiers pionniers sont les Indiens. Après les Indiens sont arrivés des Mineiros16, des pionniers d’une deuxième génération venus de Minas Gerais, qui ont commencé le défrichement du sertão du Paranapanema et qui ont été les premiers à occuper les espigões pour l’élevage du bétail (MONBEIG, 1984 [1952], p.135-136). Leurs connaissances agricoles étaient très limitées mais suffisantes pour former des « planteurs » à la technique du brûlis : « La technique de l’agriculture sur brûlis que le pionnier pratique dans sa phase d’installation est celle des Indiens, transmise par les caboclos brésiliens » (MONBEIG, 1984 [1952], p. 132). Avec les Indiens et caboclos persistent les techniques des genres de vie nomades.

La culture du café ne se développe pas sans un changement total dans la société pauliste : « Ainsi, l’introduction d’une nouvelle culture n’allait pas sans faire une révolution dans la société rurale pauliste » (MONBEIG, 1984 [1952], p.97). Les difficultés à surmonter et l’ouverture au monde extérieur ont donné aux Paulistes un esprit d’entreprise et de l’audace. (MONBEIG, 1984 [1952], p97). Ce sont les nouveaux pionniers de la scène nationale et internationale :

16 Les gens qui viennent de Minas Gerais. 148

La rapidité de la conquête du sol entre ces deux dates fut l’œuvre d’une société dont les traditions, l’esprit et les ambitions ne présentaient plus grand-chose de commun avec ceux de leurs devanciers. Parmi les Mineiros, on l’a vu, quelques individus avaient assumé un rôle prépondérant, mais ils ne le devaient qu’à leur initiative personnelle et rien par ailleurs ne les distinguait de leurs parents et compagnons. Lorsque se mit en branle la grande poussée pauliste, elle était, au contraire, beaucoup plus hiérarchisée : une classe de grands planteurs était à sa tête, qui se trouvait en même temps diriger les grandes sociétés bancaires et ferroviaires et tenir l’administration publique entre ses mains. Des personnalités extrêmement remarquables émergèrent de cette classe des grandes planteurs mais leur valeur individuelle ne faisait en somme qu’exprimer à une plus forte puissance les caractères communs à tous. Leur œuvre consolida, pour longtemps, la grande bourgeoisie pauliste. (MONBEIG, 1952, p. 121)

« Dans un esprit tout aussi moderne, parfaitement au fait des réalités, les grands planteurs affrontèrent le problème de la main-d’œuvre. » (MONBEIG, 1984 [1952], p.101). Ceci parce que : « les région neuves n’étaient pas favorisées par la répartition géographique des esclaves, dont la majorité se localisait dans les vieilles régions (…) » (MONBEIG, 1984 [1952], p.101). À cette époque, la zone pionnière atteint la région de Campinas. Une carte d’Hervé Théry présentée en annexe aide à comprendre la géographie de l’expansion du café.

On voit également les fazendeiros participer aux sociétés ferroviaires à partir de 1870 (MONBEIG, 1984 [1952], p.98). A cette même époque, les fazendas s’équipaient de matériel moderne, pour améliorer la préparation des grains de café : machines à dépulper, séchoirs artificiels, classificateurs mécaniques et à vapeur, cylindres pour la séparation des divers types de café, « le métal et la vapeur triomphaient du bois et de l’eau » (MONBEIG, 1984 [1952], pp.100-101). Cela a permis le remplacement de la main-d’œuvre esclave par la main-d’œuvre salariée. Le rythme accéléré de la modernisation définit un type de fazendeiro qui est un planteur, pas un agriculteur : « dans un temps où les sols vierges ne manquaient pas, le fazendeiro avait les soucis d’un industriel et d’un négociant plus que ceux d’un agriculteur » (MONBEIG, 1952, p. 87). Toute la société se transforme sous l’impulsion des fazendeiros : nouvelle culture, nouveaux personnages, autres espaces. L’Ouest pauliste est la scène sur laquelle émerge ces nouveaux pionniers qui ont formé l’aristocratie pauliste :

Partant des municipes de la dépression périphérique, les grands planteurs avancèrent en suivant les voies de pénétration naturelle qui s’ouvraient devant eux. Deux familles, des Almeida Prado, de Itu, et les Toledo Piza, de Capivari, descendirent le Tietê jusqu’à son entrée

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dans la Serra de Botucatu ; ils y découvrirent une tache étendue de terre roxa aux environs de Jau et furent les initiateurs de la caféiculture dans cette région. Des premières plantations très modestes y avaient été faites par les gens de Minas ; F. Paulo de Almeida Prado les racheta en 1865. Aidés par ses frères et ses beaux-frères, lavradores à Tietê et Porto Feliz, il augmenta les plantations et fut suivi par des hommes de Piracicaba, Limeira, Indaiatuba ; Joaquim de Toledo Piza survint plus tard, en 1879, et compléta des défrichements dans la zone de Jau. Mais, ne se contentant pas de terres déjà partiellement occupées, il partit en 1891 dans le sertão dos Coroados, aux sources du rio Feio, et s’en rendit acquéreur. Accompagné du Suisse Luiz Wolf, il y planta les premiers caféiers dans les fazendas de Faca et Bella-Vista. Aussitôt, il procéda à l’équipement de ses fazendas, construisant les terreiros pour la séchage du café, faisant ouvrir une route depuis la station de chemin de fer la plus proche (elle était à 20 lieues !) et transporter les machines à dépulper en chairs à bœufs. Plus tard, après la construction de la voie ferrée de Bauru au Mato Grosso, il contribua au développement de la ville de Pirajui et fut le créateur d’Albuquerque Lins. En 1923, il possédait un million de pieds de café. (MONBEIG, 1952, p. 121-122)

A cette époque, Pierre Monbeig élabore une analyse fine de cette prétendue trajectoire héroïque des fazendeiros qui éclipse celle des petits propriétaires, également pionniers, qui sont en réalité les véritables défricheurs de la forêt. Ce n’est pas par hasard que jusqu’à aujourd’hui, la classe moyenne urbaine prend la bourgeoisie comme modèle de l’ascension sociale alors que, en particulier en temps de crise économique, cette bourgeoisie ne fait rien d’autre que lui retirer droits et opportunités. Monbeig a une vision plutôt critique. Il rend hommage aux petits propriétaires : « la marche pionnière a d’abord été leur affaire ». Pour Monbeig, la trajectoire héroïque des fazendeiros est en partie une illusion crée par la « mentalité bandeirante » c’est-à-dire un prétendu esprit d’aventure.

Lorsque la frange pionnière arrive au-delà de Campinas, survient la crise de 1900 qui rend cette région instantanément dépassée. Les pionniers avancent sur de nouvelles terres, notamment dans la région à l’Ouest, vers le Paranapanema : Botucatu, Marília et Presidente Prudente (voir la carte d’Hervé Théry en annexe). Une nouvelle avancée a lieu avec la crise de 1929 et de nouveau, de vastes espaces sont dépassés et la frange pionnière avance vers le Nord du Parana. Ces régions sont les cadres géographiques où se déroulent les scènes de l’avancée de la frange pionnière : l’emprise des fazendeiros sur le terrain (Campinas), le contrôle à distance de la frange pionnière par ceux-ci (Botucatu et Presidente Prudente), la domination des petits propriétaires (Marília).

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6 - Les images, la valorisation de la variation d’échelle et du concret

Le recours de Pierre Monbeig aux images est aussi une démonstration de son expressivité artistique. Les illustrations dans l’œuvre de Monbeig, comme celle de la planche 7 (photo 9), traversent tout son travail. Dans cette planche, Pierre Monbeig illustre son travail avec des « personnages » centraux de ses narrations : le pionnier, la terre, les fazendas et les maisons. Il fait le portrait d’un environnement en transformation. En outre, nous voyons Pierre Monbeig faire varier les échelles à travers les images

Figure 9 : « Planche 1 - Fazenda d’Antas ». Source : MONBEIG, 1952.

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Photo 9: Planche XVII. Source : MONBEIG, 1952.

Carte 1: Relief de la frange pionnière pauliste. Source : Monbeig, 1952

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Figure 10 : « Plan 2-: Pompéia ». Source : Monbeig, 1952.

Les échelles vont des cartes aux plans des fazendas (figure 9) et des maisons (photo 10), en passant par les plans de villes (figure 10). Il souhaite montrer l’articulation des processus globaux et des processus locaux : la carte agricole (carte 1) reproduit pleinement la condition de la demande du marché international avec la distribution des plantations de café et de coton.

Le plan des villes montre combien elles sont dépendantes de leur situation géographique et des routes. Le plan de la fazenda montre sa localisation entre les fleuves et le chemin de fer, révélant en permanence le besoin de s’adapter aux conditions concrètes du milieu physique. Les maisons, elles, montrent l’aspect transitoire de la zone pionnière.

Photo 10: Les types d’habitation. Source: Monbeig, 1952.

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En même temps, la photographie est la valorisation du concret et du sensible. Les lecteurs sont appelés à observer de nouveaux paysages et à les confronter à leurs propres expériences. C’est Sion qui révèle que cette stratégie est largement développée par Vidal de la Blache :

Carte 2: Carte agricole. Source: MONBEIG, 1952.

Une photographie lui donnait l’occasion d’analyser un paysage [...]. Et l’on sortait avec l’impression que l’on avait compris ce qu’il a d’essentiel dans la physionomie d’un pays et saisi comme son âme elle-même, tout en jouissant de sa beauté (SION cité par ROBIC, 1991, p. 66)

Le cadrage cartographique de la zone de la frange pionnière est singulier car celle- ci se développe sur deux états. Monbeig parvient à reconstituer à partir de la carte de l’Institut Géographique et Géologique ce cadrage singulier. Il faut également noter que la carte agricole de Pierre Monbeig est dessinée de manière très précise ce qui atteste sa connaissance fine d’un terrain pourtant immense. Les symboles du café et du coton sont notés minutieusement sur les cartes.

Grâce à toutes ces productions (cartes, plans, photos), Monbeig produit de nouvelles connaissances qui révèlent son sens du concret.

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Considérations finales

Les trois processus qui ont affecté profondément la géographie de Pierre Monbeig ne pouvaient pas être séparés : l’érosion des valeurs littéraires, quand les sciences s’éloignent de la littérature pour créer leurs propres critères de scientificité ; la tentation de l’action, qui conduit les mouvements intellectuels à une science progressivement plus engagée, planificatrice et appliquée (qu’elle soit critique ou non) ; la progressive systématisation méthodologique quand les scientifiques deviennent de plus en plus conscients de leurs méthodes. Ces processus s’amplifient au cours de la première moitié du XXème siècle et atteignent toutes les sciences selon différentes temporalités. De notre point de vue, ceci s’est produit en raison de la complexité croissante que connaît le mode de production capitaliste entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle. Pierre Monbeig étant un géographe de la modernisation en contexte de mondialisation, ces processus se reflètent dans la géographie qu’il a produite au Brésil.

Dans ce contexte, le niveau d’investissement dans la force de travail s’intensifie, les procédures industrielles deviennent plus complexes et l’État commence à surveiller de près la formation universitaire (FERNANDES, 1975) et à arbitrer les relations de travail (SINGER, 2001). Au Brésil, l’État a eu un rôle-clé car la bourgeoisie nationale a pris conscience qu’elle ne pouvait pas diriger seule le processus d’industrialisation (FERNANDES, 1975). L’État commence à exercer plus de contrôle sur l’éducation, il appelle à la formation de plus de techniciens et de planificateurs capables de contribuer à ses projets : « c’est que la carrière technique, les emplois hautement qualifiés et les postes de direction commencent à conditionner les mécanismes de mobilité sociale verticale qui exigent des connaissances techniques » (FERNANDES, 1975, p.31). Pour toutes ces raisons, on voit que dans ce moment la science est également appelée à agir de façon toujours plus spécialisée, planificatrice et technique dans les pays neufs, ce qui légitime un nouveau modèle scientifique. C’est au sein de cette nouvelle norme scientifique que nous voyons la géographie en général, et celle de Monbeig en particulier, s’adapter sans abandonner ses héritages.

La formation d’une économie mondiale avec des exigences techniques et politiques toujours plus complexes a eu d’importantes répercussions sur l’épistémologie de la géographie en générale et l’épistémologie de la géographie au Brésil. Les phénomènes économiques modernes et l’homogénéisation du monde annoncent le début

155 d’une rénovation épistémologique. L’exceptionnalité inscrite dans les descriptions et les particularités des paysages véhiculée par les valeurs littéraires, cède la place à une géographie attentive certes aux particularités des phénomènes, mais avec déjà une conscience des profondes similitudes entre des espaces différents et une conscience de la nécessité de passer à une échelle d’analyse globale. La géographie humaine s’est placée à l’avant-garde de ces transitions, puisqu’en situant l’homme au coeur des processus économiques et politiques du monde, elle passe, au long de la première moitié du XXème siècle, d’une science désintéressée avec une certaine culture patriotique à une discipline qui promeut l’expansion économique des pays. De plus, elle rend visible une méthode et un paradigme traditionnellement invisible. Elle le fait à travers des manuels et pour les besoins de l’enseignement des techniques géographiques. Cela s’est manifesté dans la géographie en France, au moment de sa consolidation institutionnelle et de son expansion dans le monde. Au Brésil, les mêmes mouvements se vérifient, mais avec des contours particuliers.

La géographie de Pierre Monbeig va subir des transformations en raison des caractéristiques de l’espace brésilien et de la conjoncture particulière qu’est la période de sa présence au Brésil. En effet, Monbeig arrive au Brésil au moment de la formation d’un État National, de la crise des oligarchies et dans un contexte de mise en valeur dans le cadre du capitalisme tardif quand le centre de décision de l’économie nationale migre graduellement de l’extérieur vers l’intérieur. Face aux difficultés d’un pays périphérique à une époque tourmentée, Monbeig participe la constitution de la science brésilienne.

D’un côté, les valeurs littéraires qu’il mobilise, l’aident à valoriser le Brésil face aux étudiants. Il fallait sortir d’une forme de pessimisme sur le tropicalisme et d’une conception d’un vide culturel pour valoriser le Brésil en tant que pays et objet de recherches. Les valeurs littéraires vont s’atténuer au fil de la production géographique de Monbeig, mais elles subissent toujours de puissants retours. Monbeig a également été extrêmement sensible au processus de formation de l’État National : le problème de la conduite administrative de l’Etat avait de profondes répercussions sur la façon de faire de la science, que ce soit du point de vue de la géographie ou de celui de la cartographie et des statistiques. Dans un moment où le monde intellectuel brésilien est appelé à l’action, une conjoncture planificatrice est précocement établie au Brésil. Monbeig y a contribué avec des réflexions, des théories et des modèles géographiques qui lui ont permis de comprendre les logiques du sous-développement.

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La participation de Monbeig au processus de formation de la géographie brésilienne était à la fois matérielle et intellectuelle. Matérielle, avec un rôle moteur pour créer des institutions et des associations, pour développer des bibliothèques, stimuler la production cartographique, entre autres. Intellectuelle au sens où il a été capable d’élaborer une géographie pertinente pour comprendre l’espace brésilien : une géohistoire du capitalisme périphérique basée sur des raisonnements systémiques et sur le rôle des acteurs dans le contexte de l’économie mondiale. Nous croyons que cette géohistoire est la philosophie de l’histoire la mieux adaptée à la compréhension des processus de mise en valeur dans les pays périphériques, dans le contexte du capitalisme tardif au sein d’une approche fonctionnaliste17.

C’est la géographie de Vidal de la Blache et de ses disciples, notamment Albert Demangeon, qui a amené Pierre Monbeig à la géohistoire. C’est le processus de modernisation du capitalisme tardif qui l’a conduit à compléter cette approche géohistorique avec des raisonnements systémiques.

Ce processus n’a pas été rapide. L’autonomisation de la géographie brésilienne par rapport à la géographie française ne démarrera qu’à partir de 1956, au congrès international de l’UGI à Rio de Janeiro.

Il faut encore noter que la géographie brésilienne reprend l’idée d’une géographie de l’action qui est d’abord apparue dans les écrits de Marcel Dubois. Néanmoins, Pierre Monbeig n’a pas été l’agent de ce déplacement avant la publication de sa thèse en 1952. Jusque là, il était sensible au paradigme vidalien : valeurs littéraires, déterminisme géographique, distanciation par rapport à une géographie appliquée et relative invisibilité méthodologique. Ainsi Pierre Monbeig a développé une théorie vidalienne de la mise en valeur des pays neufs et il a dilué ses apports théoriques au sein d’un discours qui ne voulait nier ses héritages.

17 C’est Silvio Bray qui classifie l’approche de Monbeig au sein d’une approche fonctionnaliste (BRAY, 1983). 157

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171

Annexes

Les types de structures causales selon Daniel Loi (1982)

Type I- “les types simples”

Type II- “Le type idéal: l’enchevêtrement synthétique »

Type III- “Le type réel : des graphes composites »

172

Les cercles de relations de Pierre Monbeig

Figure 11 : Les collègues de travail de Pierre Monbeig. Org: Lira, 2016.

Figure 12: Les patrons et supérieurs de Pierre Monbeig. Org: Lira, 2016.

173

Figure 13. Les amitiés entre les professeurs et les affinités politiques de Pierre Monbeig. Org: Lira, 2016.

Figure 14. Les membres de l’AGB entre 1935-1940. Org: Lira, 2016.

174

Figure 15: Les membres de l’AGB entre 1941-1943. Org: Lira, 2016.

Figure 16: Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1936-1939. Org: Lira, 2016.

175

Figure 17 : Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1940-1942. Org: Lira, 2016.

Figure 18 : Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1943-1946. Org: Lira, 2016.

176

Tableau 6. Analyse de l’ordre d’exposition des monographies régionales à travers des sommaires SOMMAIRE DE LA SOMMAIRE DE LA SOMMAIRE DE LA THESE SOMMAIRE DE LA THESE D’ALBERT THESE DE JULES DE PIERRE MONBEIG, THESE D’ANDRE DEMANGEON, 1973 SION, 1909. 1952. GIBERT, 1930 [1905]. Avant-Propos Préface

Introduction

PREMIER ENSEMBLE : COMMUN AUX MONOGRAPHIES D’ALBERT DEMANGEON ET JULES SION - LOCALISATION ET CADRE GEOGRAPHIQUE

Albert Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert

Chapitre 1- Excursions Chapitre 1- La Normandie autour de la région de craie orientale du nord de la France les limites d’une région géographique DEUXIEME ENSEMBLE : COMMUN A TOUTES LES MONOGRAPHIES – LE MILIEU PHYSIQUE

Albert Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert

Livre I- Conditions naturelles Livre I- Les conditions et historiques naturelles

Première partie : Conditions Première partie : Le Naturelles. relief/ vue d’ensemble

Chapitre 2- La structure du Chapitre 2- Le milieu Chapitre 1- Le relief Chapitre 1 : Les Données sol naturel. Le climat structurales. Les roches

Les espigões et les vallées

Chapitre 3- Les matériaux du Chapitre 3- Le milieu Chapitre 2- Le climat sol. La craie. naturel. Le sol et les eaux.

Chapitre 4- Les matériaux du Chapitre II- Les actions sol. L’argile a silex, les fluviales anciennes Témoins tertiaires. Les limons Chapitre 3- Les sols et les paysages végétaux Chapitre 5- Le climat

177

Chapitre 6- L’hydrographie Chapitre III- Le et ses conditions naturelles façonnement des vallées actuelles.

Chapitre 7- L’hydrographie Deuxième partie : Le et le milieu humain climat, les aux, la végétation.

Chapitre 8- la côte : les bas- Chapitre I- Phénomènes champs et les estuaires climatiques.

Chapitre II- Les eaux

Chapitre III- Le Paysage végétaux.

TROISIEME ENSEMBLE : COMMUN AUX MONOGRAPHIES DE PIERRE MONBEIG, ANDRE GIBERT ET JULES SION - CONSIDERATIONS HISTORIQUES

Albert Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert Deuxième partie : conditions Livre deuxième- Les historiques Relations

Chapitre 4- Les origines Chapitre 1 : Le milieu Chapitre 1- Les de la population historique conditions successives

QUATRIEME ENSEMBLE : ZONE INDEFINIE QUI APPARAIT DANS LA THESE DE PIERRE MONBEIG ET ANDRE GIBERT, MAIS QUI TEND A ETABLIR LES PRE-CONDITIONS À L’ANALYSE DE L’OCCUPATION RURALE DE LA TERRE. PIERRE MONBEIG CONSIDERE LES FACTEURS ECONOMIQUES ET PSYCHOLOGIQUES ; ANDRE GIBERT CONSIDERE LES FACTEURS DE LA GEOGRAPHIE DES TRANSPORTS ; ALBERT DEMANGEON ET JULES SION NE POSENT AUCUNE CONDITION A L’ANALYSE DU PEUPLEMENT RURAL.

Albert de Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert

178

Chapitre 2- Le jeu des facteurs Chapitre II- économiques L’équipement du passage

Chapitre 3- La psychologie Chapitre 3- Le trafic ‘bandeirante’ Les grandes voies commerciales

CINQUIEME ENSEMBLE : COMMUN AUX MONOGRAPHIES DE JULES SION, DE PIERRE MONBEIG ET D’ANDRÉ GIBERT- L’OCCUPATION HISTORIQUE DE LA TERRE.

Albert Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert

Livre II-La marche pionnière Livre troisième- La vie rurale

Chapitre 1- Les précurseurs Chapitre 1- Le sol exploitable Chapitre 6- L’industrie rurale au XVIII siècle Chapitre 7- Les bois, les marais, les landes et les pâtures communes au XVIII siècle.

Chapitre 8- La technique Chapitre 2- Les pionniers Chapitre 2- et la production agricoles L’exploitation agricole au XVIII siècle.

Chapitre 9 : La propriété et l’exploitation foncières au XVIII siècle

179

Chapitre 10 : La population au XVIII siècle Chapitre 3- L’habitat rural

Deuxième partie : les étapes de la marche pionnière Chapitre 1- La frange pionnière vers 1900-1905

Chapitre 2- La frange pionnière en 1929

Chapitre 3- Les directions actuelle de la frange pionnière SIXIEME ENSEMBLE : COMMUN A TOUTES LES MONOGRAPHIES : ANALYSE DES SITUATIONS ACTUELLES ; NORMALEMENT DANS L’ORDRE : OCCUPATION RURALE, INDUSTRIES, VILLES ET RESEAUX. MONBEIG SUIT CET ORDRE MAIS POSE COMME CONDITION L’ETUDE DU DEFRICHAGE, DU PATURAGE ET DE L’ETAT SANITAIRE

Albert Demangeon Jules Sino Pierre Monbeig André Gibert

Livre III – Le monde pionnier Livre quatrième : Le actuel succès de l’industrie

Chapitre 9- Géographie Chapitre 11- L’industrie Chapitre 1- La terre avant le Chapitre 1- Les formes agricole. La culture rurale contemporaine. défrichement : les plans de anciennes de l’industrie colonisation

Les fazendas Les lotissements Chapitre 12 : L’achèvement de la Chapitre 10- Géographie conquête du sol Chapitre 2- Le défrichement et agricole. Le bétail. Les arbres l’exportation de la forêt fruitiers Chapitre 13 : la technique Chapitre 11- Les industries et la production agricole urbaines contemporaines.

Chapitre 14 : Les Chapitre 3- Plantation et Chapitre 2- L’évolution propriétés et les pâturages industrielle du XIX Chapitre 12- Les industries exploitations siècle campagnardes contemporaines.

180

Chapitre 13- Relation Chapitre 15 : La économique et voies de population actuelle commerce

Chapitre 4- L’état sanitaire dans le monde pionnier Chapitre 3- L’industrie

actuelle

Chapitre 5- Les villes de la frange pionnière

Chapitre 4- La physionomie nouvelle

Chapitre 6- Région ou réseaux

SEPTIEME ENSEMBLE: COMMUN AUX MONOGRAPHIES D’ALBERT DEMANGEON ET JULES SION : L’HABITAT RURAL

Albert Demangeon Jules Sion Pierre Monbeig André Gibert

Chapitre 14- L’établissement Chapitre 16 : humain : le champ L’habitation rurale.

Chapitre 15- L’établissement humain : maison, villages, bourgs et villes

Chapitre 16- La population

Chapitre 17- Les divisions territoriales

Conclusion Conclusion Conclusion Conclusion

181

Petit Glossaire Liste de matériaux utilisés

Table des figures Table des cartes et figures

Table des photographies Table de planches Table des matières.

L’expansion du café à l’époque de Pierre Monbeig

Source: THÉRY, 2009, p. 56.

182

Tables

Table des figures:

Figure 1: Famille Monbeig 27 Figure 2: Famille Janet 28 Figure 3: Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1929), situation 1.- 46 vie traditionnelle Figure 4: Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1929), situation 2- 47 stimulus de la modernité. Figure 5: Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1932) - situation 65 historique Figure 6: Exemple de structure causale chez Pierre Monbeig (1932) - situation 66 historique II. Figure 7: Structure causale de type topographie 133 Figure 8. Structure causale de type cyclique 135 Figure 9 : « Planche 1 - Fazenda d’Antas ». 151 Figure 10 : « Plan 2-: Pompéia ». Source : Monbeig, 1952 153 Figure 11 : Les collègues de travail de Pierre Monbeig 174 Figure 12: Les patrons et supérieurs de Pierre Monbeig. 174 Figure 13: Les amitiés entre les professeurs et les affinités politiques de Pierre 175 Monbeig Figure 14: Les membres de l’AGB entre 1935-1940. 176 Figure 15: Les membres de l’AGB entre 1941-1943. 176 Figure 16: Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1936-1939 176 Figure 17: Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1936-1939 177 Figure 18: Les étudiants de Pierre Monbeig entre 1943-1946 188

Table des photos :

Photo 1: Pierre Monbeig 6 Photo 2. Les parents de Pierre Monbeig, lui et son frère. 28 Photo 3 L’enfant Pierre Monbeig 29

183

Photo 4 : Pierre Monbeig et ses collèges devant l’Institut de Géographie 39 Photo 5 : Professeurs et étudiants à l’occasion d’un travail de terrain. 40 Photo 6 . Les élèves de la promotion de 1930 de la Casa de Velázquez. 55 Photo 7: Avenue São João. 146 Photo 8. Avenue São João des années plus tard. 147 Photo 9: Planche XVII. 152 Photo 10 : Les types d’habitation 153

Table des tableaux :

Tableau 1: Non-Metropolitan monographs/Metropolitan monographs 59 Tableau 2 : Les questions de Pierre Monbeig à l’échelle globale 89 Tableau 3 : Les questions élaborées par Pierre Monbeig au sujet des franges 93 pionnières à l’échelle régionale Tableau 4 : Les questions de Monbeig sur les franges pionnières à l’échelle locale 96 Tableau 5 : Conférences de Pierre Monbeig (1935-1953) 115 Tableau 6 : Analyse de l’ordre d’exposition des monographies régionales à travers 178 des sommaires

Table des cartes:

Carte 1: Relief de la frange pionnière pauliste 152 Carte 2: Carte agricole 154

184

Table de matières:

Sommaire 7 Introduction 9

Chapitre 1: Pierre Monbeig et les séductions d’une jeune science : engagements et 22 transitions de la Géographie (1925-1929)

1. L’impact de la Première Guerre mondiale : l’aggiornamento de la géographie et 23 l’occupation des postes d’enseignement par la « génération du feu » 2. La géographie enseignée dans les lycées de l’époque des études secondaires de 24 Pierre Monbeig : une géographie patriotique ? 3. Les origines et les influences familiales : un esprit engagé en phase avec les 26 évolutions de la géographie 4. L’admission à l’université et les différentes dynamiques institutionnelles de 30 l’enseignement d’histoire et géographie : début d’une forme de distanciation vis- à-vis des disciplines littéraires 5. Les stratégies de reproduction du savoir. L’Institut de Géographie et l’esprit de 33 groupe des disciples de Vidal de la Blache 6. L’enseignement universitaire de géographie à la Sorbonne aborde les problèmes 34 du monde contemporain 7. Les excursions : attribut essentiel d’une méthode géographique encore invisible, 36 ainsi que d’une vie sociale motivante 8. Une initiation à l’ « invisible » et l’apologie du caractère pratique de ces études. 40 La géographie humaine à l’avant-garde des transitions ? 9. La géographie apportait de nouvelles propositions historiques à la Sorbonne. 42 Henri Hauser, l’histoire économique et l’action de l’homme sur son milieu 10. Les appropriations méthodologiques de Pierre Monbeig à partir de son travail 43 sur les effets de la métropolisation parisienne (1929)

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Chapitre 2: Un géographe face à la mondialisation : les problèmes globaux d’une 50 géographie en quête de reconnaissance internationale (1930-1935)

1. Les tensions politiques en l’Espagne et l’adhésion à une idéologie socialiste : 51 regard sur les problèmes et solutions globales 2. La géographie après la crise de 1929 et la nécessité de contribuer au 53 rétablissement de l’économie mondiale : la France à la tête des pays latins 3. La participation de Pierre Monbeig et de la géographie française à la politique 53 culturelle de la France dans la décennie 1930 : une géographie à la hauteur du contrôle de ses aires d’influence 4. Le rôle de de Martonne, de l’Union Géographique Internationale et du Congrès 55 international de Paris de 1931 dans l’internationalisation de la géographie française 5. La Géographie Universelle, ses ambitions et sa réception dans la communauté 58 de géographes 6. L’ouverture de la géographie universitaire française sur le monde : une vocation 58 internationaliste 7. Deux Baléares. Les conséquences méthodologiques du contexte de 59 confrontation. Les îles espagnoles comme terrain de controverse sur le rôle des phénomènes globaux 8. La géographie humaine des Iles Baléares : la valorisation du processus de 64 mondialisation et la répétition des formes de mise en valeur de nouvelles terres. Une géohistoire face à la mondialisation 9. La lecture géographique d’Albert Demangeon de l’économie internationale et 68 du marché mondial

Chapitre 3: Les plans de Pierre Monbeig pour le Brésil : les racines françaises dans 71 l’organisation de la géographie brésilienne (1935-1940)

1. Venir au Brésil et changer de sujet de thèse 72 2. Renforcer l’influence française au Brésil 73 3. Développer l’enseignement et la recherche au Brésil dans des conditions de 75 travail jugées adéquates

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4. Contribuer à l’organisation de la Faculté de Philosophie, des Sciences et des 77 Lettres 5. Etablir les points de départ de l’enseignement et de la recherche des étudiants : 82 stimuler la lecture des classiques de la géographie et la confection de monographies régionales brésiliennes. L’enseignement d’une méthodologie 6. Donner une continuité aux activités de l’Association des Géographes Brésiliens 83 (AGB) 7. Contribuer à l’organisation du Conseil National de Géographie (CNG) et de 85 l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE)

Chapitre 4: Le projet de recherche sur les franges pionnières et leurs espaces de 87 référence (1935-1940) : une première « redéfinition » du Brésil

1. Le constat des lacunes de la géographie brésilienne fait par Monbeig 87 2. La Méditerranée comme espace de référence 89 3. Le soutien à une théorie générale de la colonisation et le congrès d’Amsterdam 90 de 1938 4. Genre de vie, mobilité et marché dans les franges pionnières : une étude 91 comparée à l’échelle régionale. Pierre Monbeig contre le capitalisme mondial 5. Le rôle de la section de géographie et d’histoire de l’USP et de l’AGB dans la 94 formulation d’une problématique des franges pionnières à l’échelle locale. La prise en compte par Monbeig des références géographiques brésilienne et française 6. L’annonce de la nouvelle problématique de thèse de Pierre Monbeig 96

Chapitre 5: Comment un jeune professeur français acquiert-il de la légitimité au 98 Brésil ? (1937-1946)

1. L’adaptation de la géographie française au contexte de formation de l’État 100 brésilien : l’orientation précoce, au Brésil, des études régionales vers les demandes du développement et de la croissance économique 2. Une posture politique critique sur le développement du capitalisme au Brésil 102

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3. Construire des alliances dans divers contextes politiques : Pierre Monbeig, un 104 libéral ? 4. Pierre Monbeig, la section d’histoire et de géographie de l’USP, l’AGB et la 105 presse. Construire une légitimité et un public pour la géographie 5. Le charisme, les amitiés et le réseau de relations 106 6. Les conceptions et pratiques de l’enseignement de Pierre Monbeig 106 7. Les manuels de Pierre Monbeig et les premières innovations méthodologiques 108 8. L’impact de l’enseignement de Monbeig sur la production intellectuelle de ses étudiants de licence : la systématisation pédagogique d’une méthode et la première 112 modélisation du cycle régional et urbain du Brésil 9. La division du travail entre Pierre Monbeig et ses étudiants de thèse 115 10. Le rôle de Pierre Monbeig dans la nationalisation de la géographie pauliste 118 11. Quelques impacts postérieurs à l’influence de la géographie française au Brésil: 119 la formation d’une école avant 1956 ?

Chapitre 6: Le Brésil et les propositions méthodologiques de Pierre Monbeig 122 (1940-1957) : une géohistoire du capitalisme périphérique et une lecture géographique du sous-développement

1. Pierre Monbeig et la géohistoire 124 2. Les étapes de la méthode de Pierre Monbeig 125 2.1. Première étape. L’analyse de la situation, la grande histoire territoriale 125 brésilienne, la situation du Brésil dans l’économie-monde 2.2. Deuxième étape. Une description des divers cadres régionaux 126 2.3. Troisième étape. Trouver les causalités des relations synchroniques des 128 articulations et déséquilibres régionaux 2.4. Quatrième étape. À la dimension synchronique succède la dimension 130 diachronique : évolution, cycles et conjonctures 2.5. Cinquième étape. L’analyse sociologique : les mentalités stimulent la 131 colonisation 3. La contribution méthodologique de Pierre Monbeig à partir des études 132 brésiliennes : la géohistoire du capitalisme périphérique et la logique de ses structures causales

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4. Une lecture géographique du sous-développement brésilien : une géographie 136 tournée vers les demandes pratiques pour le surpassement des difficultés nationales 5. Les conditions géographiques pour le processus de développement au Brésil : 137 une vision toujours plus engagée pour Monbeig

Chapitre 7: La résistance des valeurs littéraires dans le cadre d’une approche 140 idiographique de l’avancée du capitalisme au Brésil (1938- 1953)

1. Adoption d’un modèle d’exposition singulier. Une comparaison des sommaires 141 des monographies régionales 2. Le glossaire de la version française de 1952 : la préférence pour le vocabulaire 142 vernaculaire et les irréductibilités de la réalité brésilienne 3. Les caractéristiques physiques du milieu : les diverses possibilités d’orientation 143 spatiale de la frange pionnière et le calendrier agricole 4. L’invisibilité du paradigme 145 5. La description des paysages dans une géographie du mouvement. Comment 146 capter la rapidité des transformations ? 5.1. - Une ressource littéraire : la métaphore de la frange pionnière 147 5.2. Les étapes de l’avancée de la frange pionnière : une narration 148 cinématographique focalisée sur les acteurs 6. Les images, la valorisation de la variation d’échelle et du concret 151

Considérations finales 155 Sources sélectionnées pour ce résumé 158 Bibliographie sélectionnée pour ce résumé 159 Annexes 172

Tables 183 Table des figures 183 Table des photos 183 Table des tableaux 184 Table des cartes 184 Table de matières 185

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