Aménagement urbain de Bingerville et capacité de gestion des flux scolaires KOUASSI-KOFFI AMENAN. MICHELLINE Assistante (IGT) -Côte d’Ivoire E-mail : [email protected]

RESUME ABSTRACT D’importantes mobilités scolaires se font Important student motilities are daily made in the quotidiennement en direction de Bingerville, une direction of Bingerville, an outlying town of Abidjan, ville périphérique d’Abidjan, du fait de l’existence due to the existence of a number of educational d’un ensemble d’équipements éducatifs. Quelle equipments. What is the management capacity of est la capacité de gestion de ces flux au regard de the flow with regard of the current fitting out of that l’aménagement actuel de cette ville quand on sait que town when we know that the student population has cette population scolaire a des besoins spécifiques ? specific needs ? Les résultats démontrent une incapacité de la mu- Results show an inability of the town council to nicipalité à s’occuper correctement des élèves qu’elle properly take care of the students that it accommo- accueille sur son espace. Ceux-ci sont confrontés dates in its space. These students are subject to à de nombreuses difficultés entre autre, une offre several difficulties: inadequacy of transportation, de transport insuffisante, des lieux de restauration unsuitable food spaces. The absence of adequate inappropriés. L’absence d’aménagement adéquat urban planning prevents Bingerville from assuming empêche Bingerville d’assumer véritablement sa really its school function. fonction scolaire. Key words : Bingerville, urban planning, student Mots-clés : Bingerville, aménagement urbain, mobility, management capability mobilité scolaire, capacité de gestion

INTRODUCTION aussi des navettes de leur domicile à leur école. Les villes à la périphérie d’Abidjan connaissent ces La problématique des mobilités journalières en mobilités scolaires. Les travaux existant démontrent rapport avec l’aménagement des villes fait toujours leur fonction scolaire du fait d’un certain nombre débat aussi bien dans les pays du nord que ceux du d’équipements éducatifs. Cela est particulièrement sud, par l’abondance des écrits (BACCAINI, 1996; vrai pour une commune comme Bingerville qui ac- BREVET, 2005; WENGLENSKI, 2006, KOUASSI, cueille régulièrement près de 7000 élèves (MENFB, 2009). Elle porte sur l’existence des liens entre les 2008) en provenance d’Abidjan. Ancienne capitale de politiques urbaines et celles du transport mises en la colonie de Côte d’Ivoire, héritière d’infrastructures place, et leur degré d’efficacité. Ces migrations pen- scolaires coloniales, son rayonnement scolaire n’a dulaires ou alternantes, phénomène caractéristique nullement été perturbé suite au rapprochement de des métropoles et de leurs périphéries, désignent les toute la direction académique près des centres de déplacements quotidiens des personnes de leur do- décision en 1955-1958. Peuplée de 82 864 âmes en micile à leur lieu de travail et inversement. Etroitement 2011 (estimations Institut National de la Statistique, lié à l’organisation spatiale des villes et aux politiques INS, 2013), Bingerville est le théâtre d’importante des transports urbains instituées, ces déplacements mobilité scolaire alternante. Quelle est la capacité touchent également les élèves qui effectuent eux de gestion de ces flux au regard de l’aménagement

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2013 87 © (EDUCI), 2013 actuel de cette ville quand on sait que cette popula- la mousson marine une bonne partie de l’année, tion scolaire a des besoins spécifiques? disposant d’une pente plus forte et de nombreuses sources d’eau potable facile à capter, le site de Une revue de littérature complétée par des Bingerville faciliterait la construction d’une ville en enquêtes de terrain a permis d’analyser les effets amphithéâtre. En outre, distante d’une quinzaine de des mobilités quotidiennes des élèves sur l’amé- kilomètres d’Abidjan, il serait plus aisé de l’isoler de nagement d’une ville périphérique comme Binger- la ville commerciale qui serait bâtie à Abidjan en cas ville. L’enquête a été menée uniquement dans les d’épidémie de fièvre jaune. établissements secondaires publics de Bingerville. Seuls les migrants ont reçu des questionnaires qui En raison du caractère provisoire de la ville, le portaient sur les problèmes vécus dans la ville. Sur gouverneur installa d’abord quelques maisons de 489 élèves enquêtés, 125 habitent Bingerville et bois démontables pour le logement et pour les ser- 364 y sont hors. Les responsables de la Société des vices. Ensuite, il procéda à des travaux de transfor- Transports Abidjanais (SOTRA) et des syndicats des mation pour faire de Bingerville un chef-lieu digne de transporteurs privés ont été interviewés. Il s’agissait ce nom (COULIBALY, 1982) : de grands travaux d’in- de connaitre le volume de leur parc automobile en frastructures furent entrepris, des rues empierrées et circulation, la fréquence de leur voyage. carrossables ouvertes, des caniveaux creusés le long de ces voies pour l’écoulement de l’eau de pluie, la Le travail a été organisé autour de trois axes construction de deux châteaux d’eau, de bâtiments principaux La première partie a été consacrée à administratifs et l’hôtel du gouvernement. Suivirent l’analyse des fonctions de la ville, la deuxième, à ensuite la mise en place d’un hôpital, d’un service l’évaluation des différents aménagements entrepris à de poste et de télégraphie, d’un service des travaux travers les offres de services (transport, restauration) publics. Bingerville, ville de fonctionnaires était ainsi et enfin la troisième à l’inadaptation de Bingerville à l’objet d’une attention constante de l’administration. sa fonction scolaire. La plupart des directions générales y étaient grou- pées : agriculture, inspection des écoles, imprimerie 1. BINGERVILLE, UNE VILLE du gouvernement, tribunal de première instance, ADMINISTRATIVE ET SCOLAIRE service automobile. Les autres services se trouvaient Bingerville à l’image de toutes les villes ivoiriennes à Abidjan (santé, poste et télécommunication (PTT), est d’abord une ville administrative à laquelle s’est travaux publics (TP)), à Bouaké (service zootechni- greffée une fonction scolaire considérable. Ces deux que, textiles) et à Bassam (service du wharf). fonctions sont les héritages de la colonisation. Ville administrative avant tout, les activités éco- Situé sur un site de plateau à l’est d’Abidjan, nomiques s’y trouvaient peu développées, avec la Bingerville est une sous-préfecture du département présence de quelques factoreries européennes, un d’Abidjan de 24 500 ha. Ville littorale érigée en petit nombre de commerçants indigènes, des unités commune en 1900, son histoire remonte à l’époque industrielles de fabrication de savon et d’extraction coloniale. Elle est née de la volonté de l’administra- d’huile de palmiste. Toutes les catégories profession- tion coloniale d’asseoir une économie de traite en nelles s’y rencontraient. facilitant l’acheminement des produits agricoles vers Outre son statut administratif, Bingerville devient la métropole. Constituées au départ de quelques une ville scolaire grâce à la mise en place des équi- villages disséminés, elle a entamé son développe- pements éducatifs. ment par la mise en place d’un ensemble d’équipe- ments. Elle était avant tout une ville administrative. Alors que Grand-Bassam conserve ses activités Choisie comme capitale provisoire de la colonie portuaires et commerciales, Bingerville rayonne à tra- en remplacement de Grand-Bassam, du fait d’une vers l’école. Hormis les bâtiments administratifs, il fut épidémie de fièvre jaune, Bingerville, commence à créé deux écoles en 1903: l’école de Gbagba, école du être aménagé dès 1900. Plusieurs raisons ont milité village et le groupe scolaire central, qui recevait les élè- en sa faveur. Sa proximité de Grand-Bassam, située ves en provenance des écoles régionales de la colonie, sur un plateau de 70 à 95m, balayée en partie par celles-ci étant des écoles de second degré. Plusieurs options s’offraient aux élèves. Certains y préparaient

KOUASSI-KOFFI A. M : Aménagement urbain de Bingerville et capacité de gestion des flux scolaires 88 soit le concours de l’Ecole normale de Saint Louis ou de l’Ecole professionnelle Pinet-Laprade de Gorée, soit le concours local des moniteurs de l’enseignement. D’autres suivaient des formations pour les différents emplois dans l’administration (les postes et télégraphes, les bureaux), dans les maisons de commerce ou dans les petites unités industrielles. A partir de 1924, le Groupe Scolaire Central est transformé en Ecole Primaire Supérieure (EPS) qui deviendra pus tard le lycée des garçons (Photo 1). Un orphelinat est créé pour les jeunes métis abandonnés dans les postes de la colonie. Bingerville assoit alors sa réputation de ville scolaire, puisque parallèlement aux Photo 2 : Autobus de la SOTRA transportant les élèves cours dispensés aux jeunes élèves, il y avait des cours destinés aux adultes désireux de se perfectionner dans Cliché : Kouassi- Koffi A. M., février 2012 la connaissance de la langue française : des interprètes, Les élèves en uniforme Kaki, prennent place à bord des employés de l’administration, du commerce, des des bus en direction d’Abidjan fonctionnaires indigènes. Les scolarisés représentaient 32 % de la population de la ville (COULIBALY, 1982). En 1931, un établissement d’enseignement agri- C’est de Bingerville que sortaient les «cadres de l’ad- cole dénommé station agricole de Bingerville puis ministration». Elle demeura alors la place centrale de mué en école professionnelle d’agriculture en 1947 la formation des intellectuels de la colonie. «Suite au voit le jour. L’Ecole des enfants de troupe d’Abidjan transfert de la capitale sur le site d’Abidjan en 1934, créée au début de la seconde guerre mondiale est elle devint un centre urbain ordinaire» (KIPRE, 1985). transférée à Bingerville. Les recrutements se font Mais «les services de l’enseignement étaient restés à dans tous les territoires de l’Afrique Occidentale Bingerville ». (DESALMAND, 2005). Française (AOF). Un atelier d’art y est créé. La perte de sa fonction administrative et poli- tique due au transfert de la capitale à Abidjan, en 1934, n’a nullement entamé sa vivacité. Des éco- les secondaires sont créées en 1935, 1945 etc.: le collège catholique le Petit Séminaire, l’Ecole Primaire Supérieur (EPS) de filles, l’EPS étant devenu l’EPS de garçons. Le siège de l’inspection académique y compris les autres services y est maintenu jusque dans les années 1955-1956, date à laquelle progressivement un certain nombre de bureaux est transféré dans la nouvelle capitale. Bingerville est demeurée ainsi une ville scolaire héritée de son passé colonial. Photo 1 : Le lycée des garçons Certes, la ville ne joue plus véritablement un Cliché : Kouassi-Koffi A. M., février 2012 rôle administratif d’importance, mais elle est restée L’EPS transformé en lycée des garçons et actuelle- une ville qui concentre de nombreux équipements ment baptisé Lycée Jérémie Gnalega éducatifs.

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2013 89 © (EDUCI), 2013 D’une seule école primaire, de trois écoles d’accueil du centre technique national de football. secondaires et trois écoles techniques à l’épo- Elle totalise comme effectif du secondaire public, que coloniale, Bingerville compte aujourd’hui 49 9 776 collégiens et lycéens (MENFB, 2008) dont 2 écoles primaires, 8 écoles secondaires, 4 écoles 500 habitent Bingerville contre 7 276 hors de Bin- techniques, des écoles supérieures (le Centre des gerville. Selon nos enquêtes, les 364 migrants ont Métiers de l’Electricité qui est une école interafri- pour commune de départ de (141élèves), caine et un annexe de l’université Félix Houphouët- Adjamé (82 élèves), (49 élèves), Boigny de Cocody). Bingerville est aussi le site (71 élèves) et (21 élèves) (figure 1).

Source : Enquête personnelle, juin 2012 Conception et réalisation: Eugène KONAN, IGT

Figure 1 : Commune de départ des élèves à destination de Bingerville

Quelles sont les offres de services de transport, de Les offres de transport, ce sont les services de restauration, dont bénéficient les élèves dans la ville ? transport public, de transport privé et les initiatives des écoles. 2. BINGERVILLE, UNE VILLE Jusque dans les années 1970, le déplacement INSUFFISAMMENT AMÉNAGÉE POUR des élèves vers Bingerville ne posait pas de pro- ASSUMER SA FONCTION SCOLAIRE blème, du fait de l’admission de la plupart à l’internat. Sur 600 collégiens, 86 % étaient admis à l’internat La pauvreté en aménagement s’observe à travers (Ministère de l’Education Nationale et de la Forma- les offres de services telles que le transport et les tion de Base (MENFB), 1980). Les difficultés sont lieux de restauration. apparues lorsque la capacité des internats a été

KOUASSI-KOFFI A. M : Aménagement urbain de Bingerville et capacité de gestion des flux scolaires 90 largement dépassée par l’accroissement des effectifs dizaine d’années plus tard. La ligne spécialement des affectés. En 2007, sur 9 776 élèves, seuls 1 237 créée pour les élèves s’est muée en une ligne pour sont internes, soit 12,65 % (MENFB, 2008). tous les voyageurs. Les élèves ont perdu de fait leur privilège avec l’arrivée des actifs qui a restreint le Ils avaient pour mode de déplacement les «gbaka» nombre de places disponibles à bord des véhicules. ou minibus, seuls transports en commun existants, L’offre de transport en commun mal adaptée aux d’initiative privée. Ils assuraient le transport interur- besoins, a eu pour conséquences des retards dans bain tandis que la Société des Transports Abidjanais la rotation des bus et des surcharges. (SOTRA), société semi-publique créée en 1961, avait l’exclusivité du transport sur le territoire urbain Entre temps, l’urbanisation de Bingerville s’est d’Abidjan. De petites capacités 14 à 22 places et en accélérée (BNETD, 1993). La ville est passée de 4 nombre insuffisant, les fréquences des gbaka étaient 500 habitants en 1970 à 18 000 habitants en 1975, irrégulières. Selon les responsables des syndicats 56 357 en 1998 et à 82 864 habitants en 2011, selon des transporteurs, la fréquence de rotation était de les estimations de l’INS. 2h30 à 3h30mn. Ils ne pouvaient transporter qu’un Cet accroissement de la population a engendré nombre limité d’élèves, puisque ceux-ci n’étaient une augmentation de la demande en transport que pas prioritairement les seuls à prendre place à bord. les transporteurs privés ne pouvaient satisfaire. 7276 élèves migrants (MENFB, 2008) pour 455 à Ils disposaient de 35 gbaka. La mise en route du 735 places sans oublier les actifs. Les élèves étaient transport public organisé par les bus de la Sotra a alors confrontés aux longues files d’attente qui se transformé les mobilités. Il a détourné à son profit une formaient aux heures de grande affluence. Le retard part du trafic des transporteurs privés. Les élèves pris dans le développement des transports publics, n’étaient plus les seuls bénéficiaires de ce mode au regard des besoins croissants en déplacement de transport. Il s’est alors posé à eux un problème était considérable, l’extension spatiale d’Abidjan d’accessibilité. s’étant accompagnée d’un rejet à la périphérie des couches pauvres de la population. En réponse à l’insuffisance de l’offre de trans- port, des solutions alternatives ont été trouvées à la Dès les années 1980, la prise en compte des diffi- demande des parents d’élèves. Après trois réunions cultés de mobilité des élèves, a conduit les décideurs à de concertation, l’administration scolaire et les trans- étendre vers Bingerville, la politique du transport public porteurs privés propriétaires de car de grande capa- urbain jusque-là cantonnée à l’espace abidjanais. En ef- cité ont mis en place une organisation, en vue d’une fet, les différents projets urbains mis en œuvre, habitat, meilleure gestion de la mobilité alternante des élèves. transport, infrastructures économiques, se sont limités à Débutée au cours de l’année scolaire 2006-2007, avec l’aménagement de la seule ville d’Abidjan (Ministère de seulement 5 cars, cette expérience s’est poursuivie l’économie, des finances et du plan, 1980). La concep- et s’est améliorée, par l’augmentation du nombre de tion et la distribution des fonctions sur l’aire urbaine, la véhicules (15 véhicules), du fait de la forte demande. distance entre les lieux de résidence et les milieux de Pour l’instant, cette expérience n’est limitée qu’à la travail, les tensions sur le marché foncier et une vo- commune de Cocody, en raison du nombre d’élèves lonté délibérée de favoriser les activités économiques qui y habitent et qui est scolarisé à Bingerville. Sur au détriment de la fonction résidentielle, ont induit un 364 élèves migrants enquêtés, 141, soit 38,73 % sont allongement des trajets parcourus. L’Etat, au travers de issus de cette commune, 22,52 % viennent d’Adjamé, la Sotra, a ainsi mis en place une ligne composée de 13,46 % d’Abobo et 19,50 % de Yopougon. trois autobus, uniquement réservée aux élèves, (Photo 2) puisque leur camarade des lycées publics d’Abidjan Les véhicules, d’une capacité de 32, 48 et 70 places, en bénéficiait déjà. Cette solution a été, toutefois, de effectuent quotidiennement 4 voyages avec des coûts courte durée en raison de la crise économique que allant de 18 000 à 23 000 FCFA par mois, selon les subissait le pays à cette période. distances parcourues. Cette solution palliative a permis d’améliorer significativement les déplacements des élè- L’aggravation des difficultés financières corrélée ves qui y trouvent le confort et la régularité. Les véhicules à la mise en œuvre de programmes d’ajustement dotés de places uniquement assises, ont des sièges structurel l’a obligé à y mettre fin en 1992, soit une confortables, des horaires ponctuels de ramassage des

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2013 91 © (EDUCI), 2013 élèves. Ils arrivent toujours à destination, 30 à 35 mn objectif majeur, atteindre une politique de scolarisa- avant le début des cours du matin ou de l’après-midi. tion à 100 %, par la réduction du taux d’abandon et la scolarisation de la fille en milieu rural. En effet, il Les migrations alternantes des élèves à Binger- était difficile de parvenir à cet objectif sans la réso- ville ont généré des dysfonctionnements dans le lution du problème d’alimentation des élèves, dont transport. Certes quelques solutions ont été trouvées les écoles étaient assez distantes des maisons. L’ab- pour améliorer l’offre de transport, mais elles s’avè- sence d’infrastructures pour une prise de repas en rent insuffisantes. En occident, le transport collectif qualité et en quantité suffisante aurait découragée les est d’importance. Il est une préoccupation perma- élèves. Or l’éducation joue un rôle indéniable dans nente des élus. Par exemple, «Dans les politiques l’épanouissement individuel et la transformation des de déplacement de l’agglomération nantaise, sociétés. Les cantines scolaires avaient donc pour le transport collectif a constamment occupé rôle de contribuer à la dynamique de développement une place de premier choix.» (BREVET, 2005). A de l’éducation en favorisant l’égalité des chances, le Bingerville, il est peu soutenu par les autorités maintien des enfants à l’école, la démocratisation de municipales, voire ignoré. l’école, l’amélioration des taux d’inscription et la lutte Les difficultés de transport ne sont pas les seuls contre les carences nutritionnelles chez ceux-ci. problèmes de la ville. Il en existe d’autres. Raison pour laquelle, elles ont été créés et sub- ventionnées par l’Organisation des Nations Unies 3. BINGERVILLE, UNE VILLE MAL pour l’Enfance (UNICEF) à partir de 1963, avec des ADAPTÉE À SA FONCTION SCOLAIRE repas gratuits distribués aux élèves. L’Etat prendra le relai de 1969 à 1989, en sollicitant une participation Le problème crucial est l’aménagement de la des parents. De 1989 à 1998, le Programme Alimen- ville qui ne se prête pas à la fonction scolaire qu’on taire Mondial (PAM) lui viendra en aide, en assurant lui accorde. Outre la question du transport, les équi- l’essentiel de l’approvisionnement des vivres. La Côte pements pour accueillir les élèves dans la ville sont d’Ivoire est passée, ainsi, de 277 à inexistants. La structuration de la ville ne permet pas d’assumer cette fonction scolaire. Hormis quelques 5 515 cantines, toutes installées en zone rurale. équipements administratifs, des postes de sécurité La priorité leur a été accordée parce que les problè- (police, gendarmerie), des services de représen- mes alimentaires sont plus ressentis dans ces zones, tation de ministères, Bingerville ne bénéficie pas où la population est assez pauvre, 62,5 %, (Banque d’autres atouts qui l’aide à accomplir sa fonction Mondiale, Document de stratégie de réduction de scolaire. L’un des problèmes épineux est celui de la pauvreté (BM-DSRP), 2002), contrairement à la restauration. Les écoles secondaires publiques la ville, 29,5 % (BM-DSRP, 2002), où la question pourvues d’un internat étaient auparavant équipées alimentaire existe mais elle est moins criarde du fait en cantines scolaires. Les lycées de garçons et de de la relative prospérité des parents. En milieu rural, filles assuraient la restauration respectivement de la question alimentaire ne devrait pas constituer un 300 et 450 internes. Ce qui résolvait en partie les frein à la scolarisation des enfants. Au contraire les problèmes de restauration. Mais depuis 15 ans, ces cantines devraient être source de motivation pour cantines sont vouées à l’abandon, faute d’entretien les parents. En ville, les écoles publiques ne sont et de rééquipement. donc pas incluses dans la politique des cantines scolaires. Or, outre les campagnes, la problématique Hormis leur obsolescence et leur fermeture, il de la pauvreté existe aussi en ville. En Côte d’Ivoire, convient de rappeler que la politique d’implantation un habitant sur deux vit en dessous du seuil de pau- des cantines scolaires trouve son origine dans l’his- vreté (PNUD, Rapport national sur le développement toire de leur création. Bien avant l’indépendance, les humain (RNDH), 2013). C’est-à-dire avec moins de cantines se limitaient aux écoles primaires. C’étaient 450 FCFA par jour. Le taux de pauvreté est passé des cantines spontanées. Après 1960 et ce jusqu’en de 36,8 % en 1995 à 49 % en 2008. (PNUD, RNDH, 1968, des cantines officielles, toujours localisées 2013). Le monde rural est certes durement touché, dans les écoles primaires publiques, ont été instal- mais cette pauvreté affecte la vie quotidienne d’un lées à côté des premières. Elles obéissaient à un grand nombre de citadins. Abidjan, 29,45 % de la

KOUASSI-KOFFI A. M : Aménagement urbain de Bingerville et capacité de gestion des flux scolaires 92 population est déclarée pauvre, parmi lesquelles se familles, des élèves, des collectivités locales et de trouve une partie de la population rurale immigrée, l’Education nationale, et le coût du repas est supporté en quête d’un mieux être. La rareté des ressources à la fois par elle et par les parents d’élèves. financières en ville où le travail fait le plus souvent En Côte d’Ivoire, les actions des municipalités se défaut entrainent de graves problèmes de sous-ali- limitent, pour l’instant, aux prises en charge scolaire, mentation et de malnutrition. par l’octroi d’aide financière aux parents. Le protocole De plus, fréquentant des écoles hors de leur d’accord signé, en 1998, entre l’Union des villes et commune d’habitation, il est impossible aux élèves communes et le Ministre chargé de l’éducation na- d’y retourner les midis. En réponse à cette lacune, tionale pour le transfert des compétences existe. Il et vue l’incapacité de la municipalité à y faire face, la y figure la construction, l’équipement et la gestion restauration de rue devient un palliatif aux problèmes des écoles maternelles, primaires et secondaires, de cantines scolaires, quand on sait les dangers la création de cantines scolaires. Ce transfert des qu’elle comporte. L’insalubrité des aliments liés au compétences est freiné par l’absence d’autonomie site de distribution, à leur manipulation, au système financière des collectivités locales. de conservation peut être à l’origine des maladies A Bingerville, selon le maire, les ressources que gastroentérites, d’amibiases et de parasitoses etc. l’Etat lui allouait annuellement (8 millions) étaient Les cantines sont improvisées autour des écoles et insignifiantes jusque dans les années 1990, du fait tenues le plus souvent par des femmes. Ainsi selon de l’absence d’entreprises génératrice de revenu une étude menée par GNAMMON-ADIKO (1996), les sur son territoire. Les recettes municipales se li- lieux de vente les plus courants par ordre d’impor- mitaient aux taxes sur les marchés, ainsi qu’aux tance sont les arrêts et terminus de bus et les gares ateliers artisanaux du secteur informel. Il précise routières (23 % des 150 femmes), les entrées des qu’aujourd’hui, avec la dynamique d’urbanisation que établissements scolaires (17 %). connaît Bingerville, la multiplication des opérations immobilières a contribué à accroitre son budget, qui a été multiplié par 5 voire 10. Toutefois, il apparait insignifiant comparativement aux travaux à mener pour l’aménagement de la ville. Outre la question de la restauration, l’offre de services culturels dans la ville est presqu’inexistante. Hormis les équipements scolaires, Bingerville est une ville sans vie. Quelques équipements culturels (atelier de céramique, musée Combes, radio de proximité etc.) survivent et sont insuffisamment mis en valeur. Il n’y a pas de librairie, de salle de cinéma, de bibliothèque municipale. En somme, l’aménagement de Bingerville ne reflète pas son statut scolaire. Photo 3 : Lieu de restauration des élèves CONCLUSION Cliché: Kouassi- Koffi A. M., février 2012 Des élèves en tenue réglementaire bleu/blanc atten- Bingerville, ville administrative coloniale, est dent d’être servies par la vendeuse demeurée une ville scolaire, de par son histoire. Polarisant son espace par le volume des établisse- Ailleurs, dans les écoles françaises par exemple, ments scolaires dont elles disposent, elle accueille les cantines publiques sont offertes par les collectivi- quotidiennement les élèves, dont la mobilité pose tés locales, la restauration est ainsi l’un des premiers de nombreux problèmes: pénibilité des transports postes de dépense dans le budget éducation des collectifs, difficulté pour se restaurer, démontrant mairies. Elle est au centre des préoccupations des ainsi, l’incapacité de la municipalité à les prendre en

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n° 2, 2013 93 © (EDUCI), 2013 charge. L’organisation de la ville pose problème en INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 1992. Tome raison de son inadaptation à sa fonction scolaire. Elle 5 : Perspectives démographiques de la Côte d’Ivoire 1988- ne joue véritablement pas son rôle de ville scolaire. 2028 ; Analyse des résultats définitifs. Abidjan, volume 3, Refaçonner le paysage de Bingerville en construisant 67 p. des services et des équipements socioculturels ren- KIPRE P.A.R., 1985. Villes de Côte d’Ivoire (1893-1940)- t 1 : forcerait son statut de ville scolaire. La fondation des villes, Abidjan, N.E.A., 275 p. KOUASSI A. M. 2009. Les migrations scolaires et l’aménage- BIBLIOGRAPHIE ment de l’espace dans la région d’Abidjan, Doctorat thèse unique de l’université d’Abidjan-Cocody, Abidjan, 369 p. BACCAÏNI B., 1996. Du domicile à l’établissement sco- MAIRIE de Bingerville 2012. Service technique, Données sta- laire : les trajets quotidiens des jeunes en 1991-1992, tistiques sur le transport, Bingerville, 30 p. Economie et statistique, n° 293, pp 55-75. MASSOT M.-H., ZAFFRAN J. 2007. Auto-mobilité urbaine BNETD, 1993. Projet de développement des com- des adolescents franciliens, Espace Populations Sociétés, mun côtières; communes de Bingerville. 55 p. pp 227-241. MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA BREVET N., 2005. Pratiques de mobilité et aménagement FORMATION DE BASE, 1980. Recueil de documents sur urbain : les déplacements domicile-travail des actifs le système éducatif de la Côte d’Ivoire, Abidjan, 115 p. habitant à Marne-la-Vallée, Espaces et Sociétés, n° 110, pp 135-157. MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA FORMATION DE BASE, 2001. Recueil de documents sur COULIBALY J. N., 1982. Bingerville à l’époque des gouver- le système éducatif de la Côte d’Ivoire, Abidjan, 128 p. neurs : 1900-1934, Annales de l’Université d’Abidjan, Série I, Histoire, Abidjan, n°10, p183-195. MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA FORMATION DE BASE, 2008. Recueil de documents sur DEMBELE O., 1997. Le modèle d’urbanisme ivoirien face à le système éducatif de la Côte d’Ivoire, Abidjan, 128 p. la crise économique. Observation à propos de l’habitat métropolitain, In CONTAMIN B., MEMEL-FOTÊ H., Le MINISTERE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DU modèle ivoirien en question, Paris, Karthala, Orstom, PLAN, Direction générale de l’économie, Direction du p 483-513. développement régional, 1980, Bilan diagnostic régio- DESALMAND, P., 2005. Histoire de l’éducation en Côte nal Sud, Abidjan BAB, 84 p. d’Ivoire : de la conférence de Brazzaville à 1984. Tome SAINT VIL J. 1981. Migrations scolaires et urbanisation en 2, Editions du CERAP, Abidjan, 589 p. Côte d’Ivoire, Cahiers d’Outre-Mer, n°133, pp 23-41. DODIER R. 2007. Temporalités périurbaines : des navettes pendulaires à la fluidité et au conflit, Espace, Populations, WENGLENSKI S. 2006. Regards sur la mobilité au tra- Sociétés, p. 305-316. vail des classes populaires. Une exploration du cas GADE D. 2006. Géopolitique et étalement urbain: les enjeux du parisien, les Cahiers Scientifiques du Transport, N° débat américain, in HULBERT F. Villes du nord, villes du 49, p. 103-127. sud, géopolitique urbaine, acteurs et enjeux, l’Harmattan, pp 331-337. RÉFÉRENCE ÉLECTRONIQUE GNAMMON-ADIKO A. 1996. Les femmes, la restauration Banque Mondiale, Document de stratégie de réduction rapide et l’aménagement de la ville d’Abidjan, Alimentation, de la pauvreté (BM-DSRP), consulté le 10 septembre Nutrition et Agriculture, 1996, no 17-18, p. p. 14-20. 2013, www.banquemondiale.org/fr/.../ci-poverty-reduction- strategy-papers‎, consulté le 7 juillet 2013 HAUHOUOT A. 1974. Abidjan, des résidences aux zones actives : étude des migrations quotidiennes de travailleurs, Groupe Consultatif-Plan national de développement, Annales de l’Université d’Abidjan, série G, tome 5, 118p. Plaidoyer pour la réalisation des OMD en Côte d’Ivoire HAERINGER P. 1985. Vingt-cinq ans de politique urbaine à http://www.gcpnd.gouv.ci/fichier/def_OMD_def.pdf, Abidjan ou la tentative de l’urbanisme intégral, In Politique, consulté le 10 septembre 2013 n°17, p.20-40. PNUD, Rapport national sur le développement humain INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE 2002. Recen- (RNDH), www.ci.undp.org/publication/R_sum_%20Ver- sement Général de la Population et de l’Habitat de 1998 : sion%20Fran_aise.pd, consulté le 10 septembre 2013 Analyse des résultats, volume IV, Tome 6, Alphabétisation, niveau d’instruction et fréquentation scolaire, Abidjan, 149p

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