GRANDE CHAMBRE AFFAIRE CHIRAGOV ET AUTRES C. ARMÉNIE
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GRANDE CHAMBRE AFFAIRE CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE (Requête no 13216/05) ARRÊT STRASBOURG 16 juin 2015 Cet arrêt est définitif. ARRÊT CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE 1 En l’affaire Chiragov et autres c. Arménie, La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : Dean Spielmann, président, Josep Casadevall, Guido Raimondi, Mark Villiger, Isabelle Berro, Ineta Ziemele, Boštjan M. Zupančič, Alvina Gyulumyan, Khanlar Hajiyev, George Nicolaou, Luis López Guerra, Ganna Yudkivska, Paulo Pinto de Albuquerque, Ksenija Turković, Egidijus Kūris, Robert Spano, Iulia Antoanella Motoc, juges, et de Michael O’Boyle, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 et 23 janvier 2014 et le 22 janvier 2015, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13216/05) dirigée contre la République d’Arménie et dont six ressortissants azerbaïdjanais, M. Elkhan Chiragov, M. Adishirin Chiragov, M. Ramiz Gebrayilov, M. Akif Hasanof, M. Fekhreddin Pashayev et M. Qaraca Gabrayilov (« les requérants ») ont saisi la Cour le 6 avril 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le sixième requérant est décédé en juin 2005. Son fils, M. Sagatel Gabrayilov, poursuit la procédure au nom de son père. 2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Me M. Muller QC, Me C. Vine, Me M. Butler, Me M. Ivers, Me B. Poynor et Me S. Swaroop, avocats à Londres, ainsi que par M. K. Yıldız. Le gouvernement arménien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Kostanyan, représentant de la République d’Arménie auprès de la Cour. 2 ARRÊT CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE 3. Les requérants alléguaient en particulier être empêchés de retourner dans le district de Latchin, situé en territoire occupé par le Gouvernement, et être de ce fait privés de la jouissance de leur domicile et de leurs biens situés dans ce district. Ils se plaignaient en outre de ne pas avoir été indemnisés du préjudice ainsi subi. Ils y voyaient des violations continues de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 8 de la Convention. Invoquant également l’article 13 de la Convention, ils estimaient de plus ne pas avoir disposé d’un recours effectif relativement à ces griefs. Enfin, pour tous les griefs exposés ci-dessus, ils s’estimaient victimes d’une discrimination fondée, au mépris de l’article 14 de la Convention, sur leur appartenance ethnique et religieuse. 4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour, « le règlement »). Le gouvernement azerbaïdjanais, qui a exercé son droit d’intervention prévu à l’article 36 § 1 de la Convention, a été représenté par son agent, M. C. Asgarov. 5. Le 9 mars 2010, une chambre de la troisième section composée de Josep Casadevall, président, Elisabet Fura, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer et Luis López Guerra, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier adjoint de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, ni l’une ni l’autre des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement). 6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la présente affaire et l’affaire Sargsyan c. Azerbaïdjan (requête no 40167/06) devaient être attribuées à la même formation de la Grande Chambre (articles 24, 42 § 2 et 71 du règlement). 7. Une audience sur la recevabilité et le fond de l’affaire a eu lieu en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 septembre 2010 (article 59 § 3 du règlement). 8. Le 14 décembre 2011, la requête a été déclarée recevable par une Grande Chambre composée de Nicolas Bratza, président, Jean-Paul Costa, Christos Rozakis, Françoise Tulkens, Josep Casadevall, Nina Vajić, Corneliu Bîrsan, Peer Lorenzen, Boštjan M. Zupančič, Elisabet Fura, Alvina Gyulumyan, Khanlar Hajiyev, Egbert Myjer, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou et Luis López Guerra, juges, ainsi que de Michael O’Boyle, greffier adjoint. 9. La partie requérante et le Gouvernement ont chacun soumis des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond de l’affaire. Par ailleurs, des observations ont été reçues du gouvernement azerbaïdjanais. 10. Une audience sur le fond de l’affaire a eu lieu en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 22 janvier 2014. ARRÊT CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE 3 Ont comparu : – pour le Gouvernement MM.G. KOSTANYAN, agent, G. ROBERTSON, QC, conseil, E. BABAYAN, T. COLLIS, conseillers ; – pour les requérants MM.M. MULLER, QC, M. IVERS, S. SWAROOP, Mmes M. BUTLER, conseils, C. VINE, B. POYNOR, S. KARAKAŞ, A. EVANS, conseillers ; – pour le gouvernement azerbaïdjanais MM.C. ASGAROV, agent, M.N. SHAW, QC, G. LANSKY, conseils, O. GVALADZE, H. TRETTER, O. ISMAYILOV, Mme T. URDANETA WITTEK, conseillers. M. Hasanof et M. Pashayev, requérants, étaient également présents. La Cour a entendu en leurs déclarations M. Muller, M. Swaroop, M. Ivers, Mme Butler, M. Robertson, M. Shaw et M. Lansky. 11. À l’issue de l’audience, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu, aux fins de l’examen de l’affaire, d’organiser de mission d’établissement des faits ni d’entendre de témoins. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire 12. À l’époque de l’effondrement de l’URSS, l’oblast autonome du Haut-Karabagh (« OAHK ») était une région autonome de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan (« la RSS d’Azerbaïdjan »). Situé sur le 4 ARRÊT CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE territoire de cette république, l’OAHK s’étendait sur une superficie de 4 388 km2. À ce moment-là, il n’y avait pas de frontière commune entre le Haut-Karabagh (en arménien, Artsakh) et la République socialiste soviétique d’Arménie (« la RSS d’Arménie »), qui étaient séparés par le territoire azerbaïdjanais ; la zone où ils étaient le plus rapprochés était le district de Latchin, qui comprenait une bande de terre de moins de 10 km de largeur souvent appelée « corridor de Latchin ». 13. Selon le recensement soviétique de 1989, l’OAHK comptait environ 189 000 habitants, dont 77 % d’Arméniens, 22 % d’Azéris et quelques membres des minorités russe et kurde. Le district de Latchin présentait quant à lui une démographie différente, la grande majorité de la population (60 000 personnes environ) y étant d’ethnie kurde ou azérie. Seuls 5 à 6 % des habitants du district étaient d’ethnie arménienne. 14. Au début de l’année 1988, des manifestations eurent lieu à Stepanakert, la capitale régionale de l’OAHK, ainsi qu’à Erevan, la capitale arménienne. Les manifestants demandaient le rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie. Le 20 février, le soviet de l’OAHK présenta aux soviets suprêmes de la RSS d’Arménie, de la RSS d’Azerbaïdjan et de l’URSS une demande tendant à ce que cette région fût autorisée à se séparer de l’Azerbaïdjan et à être rattachée à l’Arménie. Le 23 mars, le soviet suprême de l’URSS rejeta cette demande. En juin, le soviet suprême d’Azerbaïdjan la rejeta à son tour, celui de l’Arménie votant de son côté en faveur de l’unification. 15. Tout au long de l’année 1988, les manifestations appelant à l’unification se succédèrent. Le district de Latchin fit l’objet d’attaques et de barrages routiers. De nombreuses personnes furent victimes d’affrontements et des réfugiés, qui se comptaient par centaines de milliers des deux côtés, passèrent d’Arménie en Azerbaïdjan et réciproquement. En conséquence, le 12 janvier 1989, l’URSS plaça l’OAHK sous le contrôle direct de Moscou. Puis, le 28 novembre de la même année, le contrôle de la région fut rendu à l’Azerbaïdjan. Quelques jours plus tard, le 1er décembre, le soviet suprême de la RSS d’Arménie et le conseil régional du Haut-Karabagh adoptèrent une résolution conjointe sur la réunification du Haut-Karabagh et de l’Arménie. En conséquence de cette résolution, un budget commun aux deux entités fut établi en janvier 1990 et, au printemps de la même année, il fut décidé que le Haut-Karabagh participerait aux élections arméniennes suivantes. 16. Au début de l’année 1990, le conflit s’étant aggravé, les troupes soviétiques investirent Bakou et le Haut-Karabagh, lequel fut placé sous état d’urgence. De violents affrontements, dans lesquels intervinrent parfois les forces soviétiques, continuèrent cependant d’opposer les Arméniens et les Azéris. 17. Le 30 août 1991, l’Azerbaïdjan proclama son indépendance à l’égard de l’Union soviétique. Cette déclaration fut ensuite officialisée par ARRÊT CHIRAGOV ET AUTRES c. ARMÉNIE 5 l’adoption, le 18 octobre 1991, de la loi constitutionnelle sur l’indépendance nationale. Le 2 septembre 1991, le soviet de l’OAHK annonça la fondation de la « République du Haut-Karabagh » (« RHK »), comprenant l’OAHK et le district azerbaïdjanais de Chahoumian, et déclara que cette République ne relevait plus de la juridiction azerbaïdjanaise. Le 26 novembre 1991, le parlement azerbaïdjanais abolit l’autonomie dont bénéficiait jusque-là le Haut-Karabagh. Lors d’un référendum organisé dans cette région le 10 décembre 1991, 99,9 % des votants se prononcèrent en faveur de la sécession.