Le Reboisement Du Ventoux Au Xixe Siècle : Techniques Et Travaux
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Les grands reboisements du XIXe siècle Le reboisement du Ventoux au XIXe siècle : techniques et travaux par Jean-Michel NINGRE Vers le milieu du XIX e siècle, Le Ventoux, qui culmine à 1909 m, présente, plus peut-être que d’autres montagnes françaises, plusieurs “personnalités”, chacune les effets du surpâturage, du prélè- étant perçue avec plus ou moins grande intensité selon les propres réfé- vement de bois et des essarts par rences de la personne qui a affaire à lui : les populations, conduisent à un — le Ventoux physique, des géologues, parfaitement décrit et ana- dénuement de l’ensemble des forêts lysé, intéresse surtout les spécialistes ; l’hydrogéologie toutefois reste à du mont Ventoux. Ne subsistent étudier, en particulier dans ses relations avec le climat ; plus, en altitude, que des lambeaux — le Ventoux mythique, “géant de Provence, parcouru par de nom- breux poètes (notamment Pétrarque) ou littérateurs, lieu principal du de pin à crochets, sapin, hêtre poème “Calendal” de Mistral ; c’est ce Ventoux qui est cher au cœur des et, plus bas, de mauvais taillis Provençaux les plus attachés à leurs racines ; de chênes. Les premières photogra- — le Ventoux des botanistes, illustré par d’éminents savants qui y phies des services de Restauration ont trouvé, quand les déplacements étaient moins faciles des terrains en montagne nous qu’aujourd’hui, un terrain idéal pour étudier et décrire l’étagement de la végétation méditerranéenne. On y associera le Ventoux des zoolo- transmettent l’image d’un Ventoux gistes de toutes spécialisations, qui forme un immense champ d’étude minéral. Dès lors, commence encore à approfondir ; l’épopée des grands travaux — le Ventoux des promeneurs, randonneurs de toutes sortes, acces- de reboisement, réalisés vers la fin soirement même des skieurs ; du XIXe siècle avec quelques — n’oublions surtout pas le Ventoux des habitants, chasseurs, prolongements au début du XXe ramasseurs de truffes, cueilleurs de champignons, bergers ; siècle, et dont les grandes lignes — et n’omettons pas non plus le Ventoux des sportifs, évocateur d’images fortes aussi bien pour les amateurs de sport cycliste sont décrites dans cet article. qu’automobile et même, maintenant, pédestre. Ce texte a été publié une première fois dans le n°12 Enfin, existe le Ventoux des forestiers, celui dont le reboisement du des Carnets du Ventoux, décembre 1991. siècle dernier reste une de leurs œuvres maîtresses, et celui dont les Nous remercions la rédaction d’en avoir autorisé peuplements d’arbres ainsi reconstitués sont aujourd’hui l’objet de leur cette nouvelle publication. gestion suivie. forêt méditerranéenne t. XXVIII, n° 4, décembre 2007 319 Les grands reboisements du XIXe siècle Ces différentes composantes cohabitent, partie de Sault appartienne aussi à ce ver- bien entendu, avec d’inégales importances, sant sud et que les reboisements de Flassan, dans l’esprit de chacun et une action au pro- Villes-sur-Auzon et, au-delà, appartiennent fit de l’une d’entre elles, peut entrer en à la grande action du XIX e siècle. conflit avec les défenseurs de telle ou telle Le côté nord est formé par les communes autre. de Malaucène, Beaumont-du-Ventoux, Saint- C’est la prise en considération de Léger-du-Ventoux, Brantes, Savoillan, Aurel l’ensemble des richesses de ce territoire qui a et, en partie, Sault. justifié sa promotion au rang des “Réserves Ce parallèle sera fait selon différents axes de la biosphère” reconnue par l’UNESCO, à d’analyse, de manière à aboutir à une vue l’initiative du Syndicat mixte d’ensemble du sujet. d’aménagement et de mise en valeur du mont Ventoux (Cf. Article p. 345). Le propos du présent article est de rappe- ler les grandes lignes du reboisement du Le contexte préalable Ventoux, réalisé vers la fin du XIXe siècle avec quelques prolongements au début du Le milieu physique XXe siècle, mais en s’efforçant de traiter On rappellera brièvement les différences parallèlement les deux versants, nord et sud, existant entre : de ce massif. – les expositions, puisque la crête du En effet, cette œuvre a déjà fait l’objet Ventoux a un axe principal est-ouest : ubac d’articles anciens 1, parus dès que le recul fut (versant nord) et adret (versant sud). suffisant pour juger des premiers résultats Toutefois cette opposition est tempérée par obtenus. le fait que le relief favorise l’accumulation Toutefois, le premier article répertorié 2, des nuages à l’est du versant sud, dont paru en 1900, s’intitule “Le versant méridio- l’ensoleillement est ainsi modéré par la pré- nal du massif du Ventoux”, et il traite avant sence fréquente de brouillards ; tout des reboisements de Bedoin. Le suivant, – les pentes : le versant sud a une pente de 1907, porte pour titre “Le massif du modérée, d’environ 16 % (qui permet Ventoux”, il comporte effectivement quelques d’examiner commodément l’étagement de la allusions au reboisement du versant nord, végétation), alors que le versant nord est au mais celles-ci restent d’un faible développe- contraire nettement abrupt. ment. Ultérieurement, Maury en 1960 s’est atta- ché à nouveau à décrire le versant sud (Le L’influence humaine reboisement de la forêt de Bedoin et son On ne mentionnera que pour mémoire le 3 enseignement, Annales de l’ENEF 1960 ) fait que, grosso modo, la quasi-totalité du Seuls les articles de Carmantrand (Le Ventoux faisait partie avant la Révolution mont Ventoux, Bulletin de la Société fores- du Comtat Venaissin, seule la partie orien- tière de Franche-Comté, 1955) et de tale (comté de Sault) appartenait à la Chondroyannis (Reboisement et gestion Provence. Des réglementations distinctes 1 - Bibliographie forestière au mont Ventoux, Etudes relatives à l’usage des bois existaient de part rassemblée par Pascal Vauclusiennes, 1987) se sont efforcés et d’autre mais, peu suivies semble-t-il, elles Chondroyannis - ONF d’évoquer symétriquement les travaux réali- ne conduisaient pas à des résultats sensible- Barcelonnette en 1986 sés sur chacun des versants. ment différents. 2 - 1900, Revue des Eaux Il paraît intéressant, en s’appuyant en par- Jusqu’au siècle dernier, les modèles agri- et Forêts, F. Tessier tie sur ces publications anciennes, de faire coles sont globalement comparables : poly- 1907, La Montagne - L. - ressortir plus clairement les points communs culture autarcique, élevage ovin, dont un F. Tessier d’une part, qui existent ou ont existé entre sous-produit important est la fourniture de ces deux versants et l’action qui y a été fumier, et ver à soie. 3 - Mais sa monographie menée, ceci présentant un intérêt historique La forêt, même (ou, paradoxalement, sur- forestière du Vaucluse et permettant de mieux comprendre la situa- de 1953 (document tout) ravagée, fournit aux habitants de nom- tion actuelle. dactylographié) détaille breux produits : petit-bois de chauffage, buis par contre les reboise- Du côté sud, on examinera exclusivement qui, décomposé, sert d’engrais, bruyère où les ments du versant nord. la commune de Bedoin bien qu’une petite vers à soie font leurs cocons, lavande... Elle 320 Les grands reboisements du XIXe siècle sert aussi, bien entendu, de parcours aux Cette même interdiction sera renouvelée à moutons et, même si cela est rarement rap- maintes reprises sans grand effet, et les pelé, de terrain de chasse. ingénieurs de Vauban signaleront, plus tard, Usages et mentalités semblent donc avoir la relation entre déboisement et encombre- été à peu près identiques sur chaque ver- ment du Bas-Rhône. sant. Cependant, c’est à ce stade qu’on doit Le code forestier de 1827 contient très peu mentionner l’influence du maire de Bedoin à de dispositions restrictives applicables aux partir de 1858, M. Eymard qui, selon ses bois de particuliers. La plus importante, propres termes “prit à cœur la question du âprement débattue en cette époque où le reboisement” dont, à son avis, “on ne saurait libéralisme économique était en vogue, était trop apprécier l’importance”. Sa commune relative à la réglementation du défriche- possède la totalité du flanc sud-ouest du ment, qui pouvait être interdit pour des Photos 1 et 2 : Ventoux, soit plus de 6000 ha, à la suite de motifs d’intérêt public, la lutte contre l’éro- Le Seuil - Vaucluse l’octroi en 1250 aux habitants, par le sei- sion étant le principal motif auquel songeait 6 juin 1903, Photo RTM gneur Barrai des Baux, de droits très éten- le législateur. Ultérieurement d’ailleurs, les et août 2004, Photo dus à l’usage des bois. motifs de refus furent explicitement énon- David Huguenin Au nord par contre, il y a plusieurs com- munes déjà énumérées, et les municipalités y montrent, semble-t-il, plus d’intérêt pour les usages traditionnels que pour le reboise- ment. Les terrains communaux existent, mais en partage avec des terrains particu- liers. Le déboisement En définitive, vers le milieu du XIX e siècle, les effets du surpâturage, du prélèvement de bois et des essarts (cultures temporaires après défrichement) conduisent à un dénue- ment comparable des forêts au nord et au sud. N’en subsistent plus, en altitude, que des lambeaux, sous forme soit d’îlots, de pin à crochets (sud), sapin (nord), hêtre en alti- tude, et plus bas, mauvais taillis de chênes (vert ou pubescent), soit localement de quelques gros sujets dont les premières pho- tographies nous ont transmis l’apparence, et dont on retrouve encore épars quelques témoins sénescents. Les lois de restauration des terrains en montagne (RTM) L’idée selon laquelle le déboisement des montagnes est nuisible, non seulement aux montagnards eux-mêmes, mais aussi aux habitants des vallées, par les dommages qu’il produit, se voit exprimée ici pour la première fois en 1577 : une délibération des Etats du Comtat, suivie d’un rescript du vice-légat, défend “de dépeupler les bois des montagnes pour les dommages que cela cause non seule- ment aux montagnes, mais encore au bas pays”.