LE CAMP D'étrangers DES MILLES 1939-1943 (Aix-En-Provence)
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André FONTAINE LE CAMP D'ÉTRANGERS DES MILLES 1939-1943 (Aix-en-Provence) EDISUD A Monique ma femme, mes enfants, les derniers esclaves du camp des Milles. Aux 72 enfants sauvés le 10 août 1942 puis clandestins. Aux 1 928 Juifs déportés dont 23 enfants, presque tous gazés à Auschwitz. André FONTAINE. « Le départ pour une destination inconnue, c'était l'acheminement sur Auschwitz, ce nom qui appartient à la barbarie dans notre malheureux XX siècle. En conserver la mémoire tant qu'il reste encore des survivants et des témoins, c'est faire œuvre d'amour envers les victimes, et œuvre de vérité, qui est le fondement de la justice et de la paix. ». « Amour et vérité se donnant la main Justice et paix s'embrassent » Psaumes 85, 11. Grand Rabbin Israël SALZER, Aumônier du camp des Milles. ISBN 2-85744-305-6 © C.-Y. Chaudoreille, Édisud, Aix-en-Provence, 1989. Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays. PRÉFACE En France, nous n'aimons guère évoquer, nous ne tenons pas trop à connaître les aspects négatifs du passé national. Les manuels d'histoire savent se faire discrets et même la recherche historique ne se précipite guère sur les moments noirs s'il n'est pas possible de trouver un homme ou une petite minorité coupables auxquels on peut assigner le rôle de bouc émissaire. Qui sait vraiment que la III République finissante n'a pas seulement interné les Républicains espagnols se réfugiant en France lors de la victoire de Franco, mais des milliers d'Allemands et d'Autrichiens antinazis considérés de façon absurde comme ressortissants « ennemis » dans la perspective de la guerre à mener contre Hitler, en réalité ennemi commun ? On désapprouve rétrospectivement — puisque le général de Gaulle avait dit non d'avance — l'armistice signé le 22 juin 1940 au nom du dernier gouvernement de cette République, présidé par le maréchal Pétain. Mais qui donc a pris conscience du caractère déshonorant et meurtrier de l'article 19 ? Il prescrivait la livraison des ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich qui se trouveraient en territoire français. Le fait que, conformément à cet article, le gouvernement de Vichy ait livré ensuite à la mort nombre de détenus des camps ouverts antérieurement n'est pas vraiment entré dans la mémoire française ! Le désir de ne pas prendre connaissance, de ne pas laisser prendre connaissance d'une telle réalité s'est encore affirmé en 1987. Seul le Théâtre des Amandiers à Nanterre a présenté, en un nombre très limité de représentations, l'ensemble de la trilogie cinématographique de Georg Stefan Troller et d'Axel Corti sur le destin des émigrés autrichiens. Les cinémas ont montré, les critiques ont commenté, L'Avant-Scène a publié le troisième film seulement. Welcome to Vienna laissait en paix la conscience historique du spectateur français puisqu'on y montrait la honte de l'oubli (et l'oubli de la honte) chez les Autrichiens. Le premier film, An uns glaubt Gott nicht mehr (« Dieu ne croit plus en nous ») évoquait de façon vivante et véridique les aspects négatifs de l'accueil par la bureaucratie française, puis l'internement dans les camps et la livraison aux occupants. Depuis quelques années cependant, il y a une recherche et des publications. Gurs est tout de même en passe de devenir une réalité. En 1983, une exposition itinérante sur les émigrations françaises en Allemagne et allemandes en France depuis le XVII siècle, organisée par les Instituts Gœthe et notre Ministère des Relations extérieures, comportait un volet sur les détentions des réfugiés. Mais aucune étude sur un camp particulier n'a jusqu'ici atteint la précision minutieuse, l'ampleur du livre d'André Fontaine sur le complexe des Milles. Il faut le lire. Pas seulement pour y découvrir une quantité impressionnante de noms connus, encore que ces noms permettent de mesurer les richesses culturelles dont l'Allemagne hitlérienne avait fait fi et que la France ne sut ni comprendre ni intégrer à son patrimoine. Il faut le lire pour voir clairement, jusque dans le détail, que l'auteur sait rendre parlant, ce qu'ont été les misères, les souffrances, les espoirs et les désespoirs des internés. Et les efforts de quelques amis au-dehors. Et l'autoprotection égoïste d'autres pays — États-Unis, Suisse — qui eussent pu se faire plus largement terre d'accueil. La façon dont un tel livre sera reçu par la presse et la radiotélévision permettra de voir s'il existe vraiment aujourd'hui un désir français de se confronter au passé. Au niveau national comme au niveau régional. En l'occurrence dans la Provence aixoise, celle qui, comme André Fontaine le montre, n'a pas seulement été le pays de Marcel Pagnol, de la gloire de son père, du « château » de sa mère. Le camp des Milles ne peut être évoqué à la gloire de personne et ses occupants auraient préféré même une vieille bâtisse à leur tuilerie de misère. Alfred GROSSER. INTRODUCTION Le camp des Milles En 1963, au hasard d'une cure, un officier érudit me brossa un tableau exhaustif de l'univers des camps d'internement français, objet de publications de Gilbert Badia 1 Barbara Vormeier 2 Claude Laharie 3 Hélène Roussel, Joseph Rovan, etc. En juin 1979, Jacques Grandjonc, professeur à l'Université, me proposa d'étudier le camp des Milles, en me rappelant une conversation avec Karl Obermann 4 son collègue historien de Berlin-Est, qui, au cours d'un congrès consacré aux migrants allemands, lui avait posé la question : « Dites-moi ! Les Milles à côté de Marseille, est-ce loin d'Aix-en-Provence ? » Réponse : « Dites plutôt : Les Milles à côté d'Aix ne sont pas très loin de Marseille ! » — « Les Milles, c'est bien ce village provençal avec une grosse tuilerie qui a servi de camp d'internement et d'émigration ?» A son retour, il questionna ses collègues de l'Université ; un seul, René Schmidt, beau-fils d'un détenu, était au courant. Ma curiosité en éveil, je me précipite donc au village des Milles, mais les habitants s'esquivent. Les hommes deviennent écarlates, sourient et prennent la poudre d'escampette, les boulistes abandonnent leur jeu, tandis que les femmes se troublent. A Aix, le silence est encore plus profond, comme si le camp n'avait jamais existé, exception faite pour six familles juives (Ayache, Abel, Conte, Crespi, Fernandez et Lévy-Valensi) et quelques autres : Cheylan, Halbwachs, Reynaud, les deux sœurs Trinquier. Quelques notables des Milles se montrent cependant accueillants. Gérard Paulmyer, directeur de la tuilerie, est distingué, souriant, généreux. Avec un chef d'équipe, il me fait découvrir des peintures murales qui subsistent dans un atelier. Il me parle d'un gardien dévoué, Auguste Boyer 5 qui a sauvé des Juifs de la déportation au mépris du danger. Marcel Sahut artiste peintre, journaliste plein de charme, m'initie à l'art pictural. M Nouvel, receveuse de la poste, cite beaucoup de noms. Il en est de même pour les familles Conti, Simoni et Marcel Moisson. M Anne-Marie Roussin Harington évoque le souvenir du ténor Mosbacher. M. le Grand Rabbin de Marseille Israël Salzer 7 ancien aumônier du camp, est un incomparable témoin, de même que M Manen, l'épouse de l'ancien aumônier protestant si zélé ; elle me parle d'un ancien interné en Suisse : Sammy Schmitt. A Berlin-Est, Karl Obermann 4 me conseille de vérifier si son collègue Alfred Kantorowicz 8 n'a pas publié. Effectivement je trouve à la bibliothèque juive de Berlin-Ouest « Exil in Frankreich » et le livre de Feuchtwanger 9 « le Diable en France », deux mines abondantes de renseignements. Aux archives départementales de Marseille, je découvre des noms, téléphone sans cesse durant six mois à Marseille, Nice, Paris avec plus ou moins de succès jusqu'au jour où Henri Crespi d'Aix me parle de deux anciens détenus, Gustav Ehrlich dit Gus, humoriste 10 et Jean Schweder 11 qui connaît Willy Maywald 12 Ce dernier me met en rapport avec l'excellent peintre et conteur Ferdinand Springer, à Grasse. Il me conseille de m'adresser à Friedrich Schramm, le directeur du théâtre du camp, etc. Malgré les faibles moyens d'un professeur et l'absence de subventions des chercheurs de l'Université : 1 400 FF en dix ans (cela m'empêchera d'aller en Israël !), me voilà lancé par monts et par vaux pour rendre visite aux survivants ou à leur famille, consulter les archives en Europe, de Rotterdam à Sofia en passant par Zurich, Bonn, Hambourg, Berlin, Vienne, Ljubljana, puis à New York et Washington. Archives et bibliothèques me sont ouvertes partout sauf à Sofia, à Washington pour les dossiers personnels et à la Légion étrangère. Je dois rendre hommage à tous les services juifs, y compris Yad Vashem à Jérusalem, où une ancienne internée, A. Sharon, et une collègue, Ondine Debraye, ont participé à la recherche. — Pierre Foucher étudie les émigrés d'Aix avant la guerre. — André Larmand établit un fichier des hôtels surveillés d'étrangères de Marseille quand il est terrassé par un infarctus. — Jacqueline Fichet ébauche une recherche des émigrés à l'état-civil de Marseille. — Jean-Pierre Guindon étudie l'émigration à Sanary. Les enquêtes ont été souvent difficiles d'autant plus que ce passé douloureux n'avait jamais été évoqué. Certains enfants ignorent non seulement que leur père a été interné, mais même qu'il a passé sa jeunesse outre-Rhin. Grâce à ma femme, j'ai reçu dix-huit familles d'internés. Difficultés, écueils, déceptions ont jalonné cette recherche pourtant enrichis- sante grâce aux hommes et femmes d'envergure rencontrés. Je dois des remerciements aux centaines de personnes m'ayant aidé, notamment : — Autriche : R.