André FONTAINE

LE CAMP D'ÉTRANGERS DES MILLES 1939-1943 (Aix-en-Provence)

EDISUD A Monique ma femme, mes enfants, les derniers esclaves du camp des Milles. Aux 72 enfants sauvés le 10 août 1942 puis clandestins. Aux 1 928 Juifs déportés dont 23 enfants, presque tous gazés à Auschwitz. André FONTAINE.

« Le départ pour une destination inconnue, c'était l'acheminement sur Auschwitz, ce nom qui appartient à la barbarie dans notre malheureux XX siècle. En conserver la mémoire tant qu'il reste encore des survivants et des témoins, c'est faire œuvre d'amour envers les victimes, et œuvre de vérité, qui est le fondement de la justice et de la paix. ». « Amour et vérité se donnant la main Justice et paix s'embrassent » Psaumes 85, 11. Grand Rabbin Israël SALZER, Aumônier du camp des Milles.

ISBN 2-85744-305-6 © C.-Y. Chaudoreille, Édisud, Aix-en-Provence, 1989. Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays. PRÉFACE

En France, nous n'aimons guère évoquer, nous ne tenons pas trop à connaître les aspects négatifs du passé national. Les manuels d'histoire savent se faire discrets et même la recherche historique ne se précipite guère sur les moments noirs s'il n'est pas possible de trouver un homme ou une petite minorité coupables auxquels on peut assigner le rôle de bouc émissaire. Qui sait vraiment que la III République finissante n'a pas seulement interné les Républicains espagnols se réfugiant en France lors de la victoire de Franco, mais des milliers d'Allemands et d'Autrichiens antinazis considérés de façon absurde comme ressortissants « ennemis » dans la perspective de la guerre à mener contre Hitler, en réalité ennemi commun ? On désapprouve rétrospectivement — puisque le général de Gaulle avait dit non d'avance — l'armistice signé le 22 juin 1940 au nom du dernier gouvernement de cette République, présidé par le maréchal Pétain. Mais qui donc a pris conscience du caractère déshonorant et meurtrier de l'article 19 ? Il prescrivait la livraison des ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich qui se trouveraient en territoire français. Le fait que, conformément à cet article, le gouvernement de Vichy ait livré ensuite à la mort nombre de détenus des camps ouverts antérieurement n'est pas vraiment entré dans la mémoire française ! Le désir de ne pas prendre connaissance, de ne pas laisser prendre connaissance d'une telle réalité s'est encore affirmé en 1987. Seul le Théâtre des Amandiers à Nanterre a présenté, en un nombre très limité de représentations, l'ensemble de la trilogie cinématographique de Georg Stefan Troller et d'Axel Corti sur le destin des émigrés autrichiens. Les cinémas ont montré, les critiques ont commenté, L'Avant-Scène a publié le troisième film seulement. Welcome to Vienna laissait en paix la conscience historique du spectateur français puisqu'on y montrait la honte de l'oubli (et l'oubli de la honte) chez les Autrichiens. Le premier film, An uns glaubt Gott nicht mehr (« Dieu ne croit plus en nous ») évoquait de façon vivante et véridique les aspects négatifs de l'accueil par la bureaucratie française, puis l'internement dans les camps et la livraison aux occupants. Depuis quelques années cependant, il y a une recherche et des publications. Gurs est tout de même en passe de devenir une réalité. En 1983, une exposition itinérante sur les émigrations françaises en Allemagne et allemandes en France depuis le XVII siècle, organisée par les Instituts Gœthe et notre Ministère des Relations extérieures, comportait un volet sur les détentions des réfugiés. Mais aucune étude sur un camp particulier n'a jusqu'ici atteint la précision minutieuse, l'ampleur du livre d'André Fontaine sur le complexe des Milles. Il faut le lire. Pas seulement pour y découvrir une quantité impressionnante de noms connus, encore que ces noms permettent de mesurer les richesses culturelles dont l'Allemagne hitlérienne avait fait fi et que la France ne sut ni comprendre ni intégrer à son patrimoine. Il faut le lire pour voir clairement, jusque dans le détail, que l'auteur sait rendre parlant, ce qu'ont été les misères, les souffrances, les espoirs et les désespoirs des internés. Et les efforts de quelques amis au-dehors. Et l'autoprotection égoïste d'autres pays — États-Unis, Suisse — qui eussent pu se faire plus largement terre d'accueil. La façon dont un tel livre sera reçu par la presse et la radiotélévision permettra de voir s'il existe vraiment aujourd'hui un désir français de se confronter au passé. Au niveau national comme au niveau régional. En l'occurrence dans la Provence aixoise, celle qui, comme André Fontaine le montre, n'a pas seulement été le pays de Marcel Pagnol, de la gloire de son père, du « château » de sa mère. Le camp des Milles ne peut être évoqué à la gloire de personne et ses occupants auraient préféré même une vieille bâtisse à leur tuilerie de misère. Alfred GROSSER. INTRODUCTION

Le camp des Milles En 1963, au hasard d'une cure, un officier érudit me brossa un tableau exhaustif de l'univers des camps d'internement français, objet de publications de Gilbert Badia 1 Barbara Vormeier 2 Claude Laharie 3 Hélène Roussel, Joseph Rovan, etc. En juin 1979, Jacques Grandjonc, professeur à l'Université, me proposa d'étudier le camp des Milles, en me rappelant une conversation avec Karl Obermann 4 son collègue historien de Berlin-Est, qui, au cours d'un congrès consacré aux migrants allemands, lui avait posé la question : « Dites-moi ! Les Milles à côté de , est-ce loin d'Aix-en-Provence ? » Réponse : « Dites plutôt : Les Milles à côté d'Aix ne sont pas très loin de Marseille ! » — « Les Milles, c'est bien ce village provençal avec une grosse tuilerie qui a servi de camp d'internement et d'émigration ?» A son retour, il questionna ses collègues de l'Université ; un seul, René Schmidt, beau-fils d'un détenu, était au courant. Ma curiosité en éveil, je me précipite donc au village des Milles, mais les habitants s'esquivent. Les hommes deviennent écarlates, sourient et prennent la poudre d'escampette, les boulistes abandonnent leur jeu, tandis que les femmes se troublent. A Aix, le silence est encore plus profond, comme si le camp n'avait jamais existé, exception faite pour six familles juives (Ayache, Abel, Conte, Crespi, Fernandez et Lévy-Valensi) et quelques autres : Cheylan, Halbwachs, Reynaud, les deux sœurs Trinquier. Quelques notables des Milles se montrent cependant accueillants. Gérard Paulmyer, directeur de la tuilerie, est distingué, souriant, généreux. Avec un chef d'équipe, il me fait découvrir des peintures murales qui subsistent dans un atelier. Il me parle d'un gardien dévoué, Auguste Boyer 5 qui a sauvé des Juifs de la déportation au mépris du danger. Marcel Sahut artiste peintre, journaliste plein de charme, m'initie à l'art pictural. M Nouvel, receveuse de la poste, cite beaucoup de noms. Il en est de même pour les familles Conti, Simoni et Marcel Moisson. M Anne-Marie Roussin Harington évoque le souvenir du ténor Mosbacher. M. le Grand Rabbin de Marseille Israël Salzer 7 ancien aumônier du camp, est un incomparable témoin, de même que M Manen, l'épouse de l'ancien aumônier protestant si zélé ; elle me parle d'un ancien interné en Suisse : Sammy Schmitt. A Berlin-Est, Karl Obermann 4 me conseille de vérifier si son collègue Alfred Kantorowicz 8 n'a pas publié. Effectivement je trouve à la bibliothèque juive de Berlin-Ouest « Exil in Frankreich » et le livre de Feuchtwanger 9 « le Diable en France », deux mines abondantes de renseignements. Aux archives départementales de Marseille, je découvre des noms, téléphone sans cesse durant six mois à Marseille, Nice, Paris avec plus ou moins de succès jusqu'au jour où Henri Crespi d'Aix me parle de deux anciens détenus, Gustav Ehrlich dit Gus, humoriste 10 et Jean Schweder 11 qui connaît Willy Maywald 12 Ce dernier me met en rapport avec l'excellent peintre et conteur Ferdinand Springer, à Grasse. Il me conseille de m'adresser à Friedrich Schramm, le directeur du théâtre du camp, etc. Malgré les faibles moyens d'un professeur et l'absence de subventions des chercheurs de l'Université : 1 400 FF en dix ans (cela m'empêchera d'aller en Israël !), me voilà lancé par monts et par vaux pour rendre visite aux survivants ou à leur famille, consulter les archives en Europe, de Rotterdam à Sofia en passant par Zurich, Bonn, Hambourg, Berlin, Vienne, Ljubljana, puis à New York et Washington. Archives et bibliothèques me sont ouvertes partout sauf à Sofia, à Washington pour les dossiers personnels et à la Légion étrangère. Je dois rendre hommage à tous les services juifs, y compris Yad Vashem à Jérusalem, où une ancienne internée, A. Sharon, et une collègue, Ondine Debraye, ont participé à la recherche. — Pierre Foucher étudie les émigrés d'Aix avant la guerre. — André Larmand établit un fichier des hôtels surveillés d'étrangères de Marseille quand il est terrassé par un infarctus. — Jacqueline Fichet ébauche une recherche des émigrés à l'état-civil de Marseille. — Jean-Pierre Guindon étudie l'émigration à Sanary. Les enquêtes ont été souvent difficiles d'autant plus que ce passé douloureux n'avait jamais été évoqué. Certains enfants ignorent non seulement que leur père a été interné, mais même qu'il a passé sa jeunesse outre-Rhin. Grâce à ma femme, j'ai reçu dix-huit familles d'internés. Difficultés, écueils, déceptions ont jalonné cette recherche pourtant enrichis- sante grâce aux hommes et femmes d'envergure rencontrés. Je dois des remerciements aux centaines de personnes m'ayant aidé, notamment : — Autriche : R. P. Grill, F. Kodicek, K. Kollbach, R. Kollmann, O. Lus- tig, E. Steinitz, R. Winterstein. — Belgique : L. Früh, F. Loewenstein, P. Stern. — Bulgarie : Athanasov, R. Melamed, Popov, J. Teneva, et huit autres anciens. — Colombie : A. Ha vas. Cuba : Peres. — États-Unis, J. et T. Brenig, M. Feuchtwanger, L. Friedmann, H. Gross, E. Isenburger, R. Jokl, J. Kann, P. Lipman-Wulf, E. Lunau, H. Meyerowitz, L. Neugass, G. Newman, F. Salomon, R. Schein, H. Steinitz, O. Stroh, W. Wronkow, W. Zippert. — France : S. Allemand, G. Badia, M. Baudoin, D. Benedite, A. Boutron, T. Bouveret, A. Boyer, J.-L. Casse, H. Chobaut, H. Cohen, Dakubowicz, Pasteur Donadille, Y. Dornier, I. Ehrlich, F. et O. Eisler, F. Fabian, H. Fau- chier, J. Fichet, R. Flach, R. Freschel, Friedlander, A. Frisch, J.-P. Guindon, H. Guth, K. Henenfeld, S. et U. Hessel, Heuze, F. Kahn, P. Kaidonis, L. Karpfen, S. Karlsfeld, G. Klein, Frère Koehle, E. Korsos, Kovalenko, A. Larmand, W. Leipziger, C. Leval, L. Lieber, R. Liebknecht, E. Linick, I. Liote, M Manen, B. Marschütz, H. Mayer, H. Monod, R. P. Perrin, C. Prost, Reichenberg, G. Rabbin I. Salzer, M. Samuel, frères Schellhammer, F. Schoenfeld, J. Schweder, A. Sibert, C. Spiero, F. Springer, M. Strauseisen, N. Sturm, B. Taich, R. P., A. M. H. Tessier, G. Thalamy, R. P., A. M. et M. Trinquier, J. Toscan, Tomat, M. Trocme, R. Wolf, W. Ronke, des dizaines de familles de soldats et gardiens. — En Hollande : Herbig, J. Kupfermann. — En Israël : S. Adler, M. Ahlfeld, J. Bar, J. Dorkam, J. Gutfeld, F. Loin- ger, frères Neiger, E. Nussbaum, A. Salomon, A. Sharon, etc. — Luxembourg : E. Horn, L. Weinberg. — R.F.A. : B. Arnu, A. Blome, H. Bruhns, W. Fabian, H. Gowa, F. Hei- ne, W. Heyd, R. Kirn, K. Kunde, E. Kuraner, J. Landeck, E. Langendorf, E. Lauer, , Meckauer, E. E. Noth, A., J. et L. Paul, E. Raphaël, H. Recktenwald, K. Redohl, J. Reitberger, Reitz, A. Saar, E. et H. Sanden, I. Schatz, J. Schneider, Ch. Schoenberger, U. Sonnemann, H. Strobel, Stude- mann, A. Titz, W. Todt, W. Vogelsinger, W. Wolfradt. — R.D.A. : G. Albrecht, E. Bauer-Sturm, W. Belling, G. Berger, H. Burk- hardt, G. Caden, G. Eisler, W. Janka, E. Jungmann, A. Katzenstein, H. Keisch, A. Leo, E. Lingner, H. Marum, A. Seghers, P. Sturm. — Suisse : H. Doernberg, L. Humm, E. M. Landau, L. Maillet, M. Meyer- Moses, W. Rings, S. Schmitt, F. Schramm, K. Urbach. — Tchécoslovaquie : M. Svoboda. — U.R.S.S. : C. Haham. — Yougoslavie : I. Kreft et différents services à Ljubljana et bien d'autres 1 Toute ma reconnaissance va à M. G. Paulmyer qui a reçu tant d'anciens détenus et de journalistes dans la tuilerie des Milles. L'accès n'est hélas plus si aisé depuis son départ. Hélas ! Hélas ! Le grand journaliste puis officier américain libérateur de la France, Ernst Langendorf, a été par exemple éconduit sous les cris du directeur d'alors. Pour le consoler, une serveuse de café du village lui a certifié ensuite que le camp des Milles n'avait jamais existé, que c'étaient des histoires. Le but de cette étude historique était de faire sortir de l'ombre une page méconnue de l'histoire contemporaine, d'honorer les sacrifices inutiles d'Aus- chwitz et de faire connaître les antinazis, tous ces hommes qui ont eu le courage de s'exiler et de se dresser contre Hitler. On peut distinguer cinq grandes parties : I. Le camp d'internement sous commandement militaire à partir du 7 sep- tembre 1939 (il se terminera le 15 décembre 1940). II. Internement général de mai 1940, armistice et été 1940 : ● Lors de l'armistice du 22 juin 1940, Philippe Pétain s'engage par l'article 19 à remettre aux vainqueurs tous les Allemands et Autrichiens émigrés que le Reich réclamera. C'est une atteinte grave au droit d'asile cher à la France républicaine. ● Les naturalisations sont révisées dès le 22 juillet 1940. ● Le 27 septembre 1940, les « étrangers en surnombre » de 18 à 50 ans peuvent être internés. S'ils travaillent, ils ne percevront aucun salaire. ● Le gouvernement persécute les Juifs (statut du 3 octobre 1940 et loi du 4 octobre 1940 sur l'internement arbitraire des étrangers de race juive par la police française). III. Le camp de transit d'étrangers divers, candidats à l'émigration, dépendant du Ministère de l'Intérieur, jusqu'au 11 novembre 1942, date de l'occupation de la zone sud par la Wehrmacht. IV. L'antichambre de Drancy-Auschwitz pour les Juifs du 3 août au 10 septembre 1942. V. La fin du camp annoncée en décembre 1942 et effective vers le 15 mars 1943. Dès le 26 août 1939, le général adjoint au préfet maritime de Toulon informe le maire d'Aix-en-Provence de la réquisition de la tuilerie des Milles en vue d'un rassemblement d'étrangers en cas de tension politique ou de mobilisation en application du décret du 12 novembre 1938. L'avis de réquisition est pris le 31 août par le maire d'Aix pour le préfet, et le 1 septembre, Hitler envahit la Pologne. 2 septembre 1939 : mobilisation générale, suivie le lendemain de la déclaration de guerre. 3 septembre 1939 : arrivée du télégramme du Ministère de l'Intérieur concernant la « concentration des étrangers originaires de l'Empire allemand ». Des affiches concernant « les nationaux de l'Empire allemand » sont donc apposées dans les mairies : ils sont priés de rejoindre les centres de rassemblement : — dans les Alpes-Maritimes, le stade du Fort Carré d'Antibes ; — dans les Bouches-du-Rhône, la tuilerie des Milles ; — dans le Gard, le camp d'Uzès ; — dans le Var, le camp de La Rode ; — dans le Vaucluse, celui de Védène ; — dans l'Ardèche, le camp de Largentière, etc. 4 septembre 1939 : état des lieux de la tuilerie des Milles dressé par le lieutenant Chirie, architecte à Marseille mobilisé. Selon un décret publié ce jour au JO, les ressortissants allemands, autrichiens et tchèques sont réputés « ennemis » et leurs biens sont mis sous séquestre. I LE CAMP D'INTERNEMENT MILITAIRE CampPlan desd'ensemble Mil/es LE CAMP DES MILLES

Le village des Milles Composé de trois rues parallèles aux petites villas simples et anciennes avec jardinets ou cours, il ne ressemble en rien aux cités méditerranéennes ; seule la place est assez jolie ; ombragée par des platanes, elle est entourée de petites boutiques très prospères à l'époque du camp. L'épicière se souvient qu'un grand chariot empli de vivres en partait chaque jour. Le commerce local est florissant, ce que déplorent les habitants craignant toujours de manquer. De chaque côté de la place se trouvent deux cafés-terrasses ; c'est là que les internés en permission viennent faire leur courrier et déguster un verre de bon vin sans bromure. L'hôtel de France a accueilli beaucoup de femmes, d'amies, vedettes de toutes sortes : Cécile Sorel, la Princesse Starhemberg 13 de Vienne, l'actrice Elvire Popesco, Anna Seghers et combien d'autres venues rendre visite à des internés, parfois d'ailleurs sans beaucoup de succès. L'hôtel-restaurant comprend une grande cour plantée de platanes, très agréable en toute saison. C'est là que les officiers viennent se retirer avec leur femme, par la suite quelques internés privilégiés, tous ceux notamment qui fêtent leur libération. A part les cafés, les internés n'ont pas, du moins au début, de contacts avec la population qui les considère comme des ennemis. Les vieux d'Aix-en-Provence sont très catégoriques : ils n'apprécient pas beaucoup ces sorties d' « ennemis », demandent à ce qu'ils soient tous internés quel que soit leur âge, qu'ils n'aient jamais l'autorisation de sortir et que leurs femmes ne soient pas autorisées à venir aux Milles. On ne peut dire qu'ils soient très bien informés de la situation des antinazis. Sans doute que la presse ne fait pas suffisamment de distinction avec les hitlériens. Les jeunes garçons du village sont autorisés par contre à pénétrer au camp pour apprendre à jouer au football. C'est le cas d'Albert Mille. Ils rencontrent là des internationaux connus de « l'Hakoa » viennois (équipe juive qui avait remporté le championnat d'Autriche en 1928) : Donnenfeld qui a déjà joué à New York, Enshofer, et Reich, de la 5e colonne et futur sous-chef du camp de Drancy. En tout cas les joueurs de foot des Milles seront brillants contre de grandes équipes. Les environs du village, vallonnés, verdoyants, faits de vergers, cultures maraîchères, vignes, sont absolument charmants. On aperçoit à l'est l'aqueduc de Roquefavour qui approvisionne à lui seul presque entièrement la ville de Marseille, et à l'ouest la montagne Sainte-Victoire. Très souvent, les internés montent au grenier ou même sur le toit pour admirer le site que Paul Cézanne a immortalisé par une cinquantaine de toiles. Les nombreux artistes et autres internés s'extasient devant cette montagne toujours aussi belle dans la diversité des teintes et les flamboyants couchers de soleil. A part les jeunes garçons, une seule personne, le paysan M..., vient deux fois par semaine prendre les eaux grasses, détritus du camp, pour ses cochons. Il en profite pour vendre la viande de ses porcs. Les morceaux ont été découpés, cuits, pesés, emballés. La tuilerie Elle se dresse à la sortie du village sur un terrain de plus de trois hectares. Cette briquetterie, usine de produits céramiques, fut bâtie en 1882 ; elle a brûlé en 1911, a été rebâtie en 1912, agrandie de 1926 à 1932. Elle atteint une superficie de 15 000 m couverts. On y produisait entre les deux guerres jusqu'à 30 000 tonnes de matériaux par an. Les murs uniquement en briques apparentes sont encadrés par une ossature de béton armé. L'édifice en forme de U forme un ensemble qui ne manque pas de style : la façade et deux grandes ailes. Il est surmonté, outre les deux très hautes cheminées, d'une tour carrée comportant une horloge et au-dessous une statue de la Vierge. Les innombrables fenêtres au linteau de briques légèrement arqué mesurent en effet 1 m de largeur tout comme le mur qui les sépare. Ces ouvertures sont bouchées par des volets pleins disjoints assujettis par une barre. Par suite de l'étroitesse du marché, à la veille de la guerre de 1939 les briques se vendaient mal. De plus, lors du bris de la mouleuse en 1938, il s'avéra impossible d'en retrouver une en France. La tuilerie de la Méditerranée va devoir fermer ses portes en 1938, événement douloureux pour le village. L'entreprise fondée par Édouard Rastoin, ingénieur des Arts et Métiers (1835-1905) appartient à la Société anonyme des Tuileries de la Méditerranée (siège social : 4, place Saint-Ferréol à Marseille) dont le président-directeur général est Albert Rastoin (1866-1946), son fils. Albert n'a qu'une fille, Germaine (1898-1986) ; son mari, Charles Paulmyer (1888-1946), est directeur de la tuilerie des Milles résidant 1, avenue des Alliés donc tout près de l'usine. Ils ont comme collaborateurs le frère du P.-D.G., Émile Rastoin (1865-1942) déjà adjoint au maire de Marseille, directeur de l'Huilerie Nouvelle, importante société (il a été président de la Chambre de commerce vers 1926-28) et Jacques Rastoin, son fils, Président de la Chambre de commerce, futur adjoint au maire Gaston Defferre. Le rez-de-chaussée : les trois fours « Hoffmann » de cuisson des tuiles mesurent extérieurement 3,30 m de hauteur, 50 m de long et 10 de large. A l'intérieur une cloison centrale de 80 cm d'épaisseur divise le four dans le sens de la longueur, le feu se déplace dans ces galeries à raison d'un tour par semaine pour la cuisson des produits. Les murs ont 1,40 m d'épaisseur à la base et 80 cm dans le haut ; vingt-deux portes cintrées d'un mètre de large, dont l'encadrement est en briques, permettent l'accès à l'intérieur. Le sol est couvert d'une épaisse couche de poussière. Il y a trois fours de ce style ; l'un est au sud, le long de la grande cour, le deuxième à l'est et le troisième à l'ouest. Une grande salle des machines, sous une verrière, renferme toutes sortes de presses, de chaînes de transport de matériaux, etc. Premier étage : l'échelle de meunier du rez-de-chaussée débouche au premier étage sur un emplacement vide réservé aux « cuiseurs » qui alimentaient les fours ; le vaste espace de 70 m de long est dépourvu de cloisons. L'allée centrale de 10 m est bordée de chaque côté de rayonnages transversaux de 6 m de long situés devant les portions de murs. Ces rayonnages sont séparés par des passages utilisés pour amener ou reprendre les produits. Étagères et passages ont 1 m de large tout comme les fenêtres et les murs. Ces rayonnages en liteaux et planches de 2,7 cm, donc légers, montent jusqu'au plafond. Ils servaient de séchoirs pour les briques et tuiles en attente de cuisson. Chaque rayonnage contient 2 200 tuiles et 2 316 cadres. L'électricité est distribuée de façon parcimonieuse dans le grand bâtiment et en particulier dans les séchoirs occupant les deuxième et troisième étages. Il y a sur 70 m de long 5 lampes de 60 W. Des prises de courant sont plus rapprochées, en tout plusieurs centaines pour permettre de brancher les baladeuses nécessaires. Il y avait entre autres une prise de courant au-dessus des 66 portes de fours. Désormais cette usine servira, durant les premières années de la guerre, de cantonnement pour les étrangers internés et les soldats du camp. Quand le camp est ouvert, l'usine est remplie de briques et tuiles sèches mais non cuites ; c'est dire qu'elles se cassent facilement : 180 000 planchettes à chacun des 2e et 3e étages et 90 000 au rez-de-chaussée, soit 450 000 au total. Les militaires vont faire porter beaucoup de rayonnages mi-démontés au 3e étage, ainsi aura-t-on des quantités de lattes mal rangées. Que faire de tant de bois poussiéreux ? LES ÉMIGRÉS DE L'EMPIRE ALLEMAND

Souvenons-nous de l'ascension d'Hitler. Il crée un service d'ordre : SA, « sections d'assaut », en 1921, les SS en 1925, ainsi que les Jeunesses Hitlériennes et autres associations nazies. Après avoir manqué son coup d'État en 1923 à Munich, il écrit Mein Kampf en 1924 à la forteresse de Landsberg. Chancelier le 30 janvier 1933, Hitler confirme dès le 3 février à ses généraux sa politique d' « espace vital », basée sur la guerre. — Le 27 février, l'incendie du Reichstag marque la fin de la démocratie parlementaire. — Le 28 l'état démocratique fondé sur le droit institué par la constitution de Weimar est aboli. — Le 5 mars ont lieu des élections sous la terreur (44 % de nazis). — Le 23 mars les pleins pouvoirs sont votés à Hitler. — En avril 1933, mise au pas des « Länder » (territoires administratifs). — Le 10 mai on brûle les livres des écrivains démocrates. — Dissolution des syndicats également en mai 1933 et des partis politiques en juin. Juifs, socialistes et communistes sont déjà écartés de l'économie, des universités, de la fonction publique et des professions libérales. Ils sont incarcérés, torturés, envoyés dans des camps de concentration. Émigration : Depuis 1933, beaucoup ont pénétré illégalement en Suisse où on leur a conseillé d'aller en France. Là, ils sont renvoyés en Suisse et ainsi de suite, comme des balles de ping-pong. Ce qu'ils redoutent le plus c'est d'être reconduits à la frontière du Reich, c'est malheureusement trop souvent arrivé. Les Autrichiens sont venus en Provence par l'Italie dès l'Anschluss en 1938. A part des aides limitées du Secours Rouge, du Fonds Matteoti de l'Internationale ouvrière socialiste (IOS), l'aide chrétienne assez modeste (100 Quakers, la Cimade protestante et quelques curés, le R. P. Chaillet à Lyon) et la Croix-Rouge, les comités juifs (CAR) les prennent en charge grâce aux fonds américains recueillis par le « Joint » dont la direction européenne est à Lisbonne. Ils interviennent auprès des autorités pour leur faire obtenir un permis de séjour. Les émigrés les plus aisés ont peu de mal à s'installer : ils achètent maison, magasin, petite usine, exploitation agricole. Évidemment le petit commerce qu'ils pratiquent ne correspond pas souvent à leurs fonctions précédentes. Ils étaient journalistes, médecins, magistrats, députés et les voilà réduits à se reconvertir dans le commerce. Plus grave est le cas des gens sans fortune, vivant précédemment de leur petit salaire. Comment retrouver un gagne-pain ? Les entreprises n'aiment pas ces antinazis. La propagande hitlérienne entretient la haine dans toute l'Europe. Ils sont réduits à exécuter des travaux subalternes à la campagne dans des fermes comme travailleurs de force ; le plus souvent ils sont employés au noir comme tailleur, cordonnier, menuisier, bricoleur, gardien de propriété, jardinier. Tous sont très surveillés par la police. Il leur est demandé de ne faire aucune politique, de n'avoir aucun rapport avec les personnes fréquentant le consulat d'Allemagne, les plus suspects sont en général des représentants de firmes allemandes, telles que Siemens, Krupp, même s'ils ont épousé une Française. Certains viennent au contraire du camp de concentration de Dachau tels que le maître tapissier Oscar Lustig de Vienne, les deux jeunes frères Eisler qui arrivent directement les derniers jours d'août à Nice, le professeur Pick et le violoniste Fritz Rikko. D'autres ont combattu dans les Brigades Internationales : F. Fränken, député, P. Kast, écrivain, K. Kunde, du KPD, W. Rings, journaliste, W. Todt, futur journaliste ou bien ce sont des marins syndicalistes qui ont fui l'Allemagne. H. Balke a nagé de longues heures dans la Manche, H. Bruhns à bord d'un bateau anglais attaqué par la marine de Franco, détourné sur Palma, est finalement prié de descendre à Marseille où les employés du consulat lui demandent de rentrer en Allemagne ; « jamais » répond-il. Quant au fils de Karl Liebknecht, Robert, il s'est expatrié après avoir perdu la nationalité allemande. Il en est de même pour les écrivains : A. Falk, L. Feuchtwanger, W. Hasenclever, O. Heller, W. Herzog, A. Kantorowicz, E. Langendorf, R. Léonhard, M. Schrôder, F. Wolf, etc. Inutile de souligner que l'intelligentsia et la bourgeoisie sont beaucoup plus représentées dans l'émigration que les gens simples et à plus forte raison les pauvres qui n'avaient aucun moyen de sortir du camp de concentration où des relations à l'étranger (affidavit) ou avec la Gestapo (très souvent, c'est l'épouse qui devait accorder ses faveurs à ces bourreaux) étaient nécessaires pour quitter le Reich. Tous les émigrés ont choisi, disent-ils, la France parce que c'est le pays des droits de l'homme, de la Révolution et de la liberté. Aujourd'hui l'armée les interne. LE PERSONNEL MILITAIRE

6 septembre 1939 : arrivée en gare d'Aix du 4 Bataillon du 156 Régiment Régional en provenance de Privas (Ardèche). Des cars conduisent les hommes aux Milles. Les soldats bronzés ont les traits burinés par les intempéries et le travail aux champs. Leurs uniformes sont très disparates ; certains n'ont qu'une veste de travail noire, un pantalon de velours, un béret ou plus généralement une chéchia rouge qui les fait souvent prendre pour des troupes coloniales, à leur grand amusement. Quand les Millois disent d'eux : « ce sont des zouaves », ils répliquent « des zouaves de l'Ardéchiou ». Au milieu de cette campagne de Paul Cézanne, dominée par la montagne Sainte-Victoire, Feuchtwanger remarque que la chéchia et la baïonnette rendent ces hommes pittoresques. Malheureusement certains sont mal fagotés. Des ficelles remplacent la bretelle du fusil et les lacets de chaussures. Pourtant on s'est évertué à transformer les courroies prévues pour les cartouchières en bretelles de fusil mais cela ne suffit pas. Enfin, le service militaire et la guerre de 1914 étant déjà loin, ces gardiens n'ont pas du tout l'allure de soldats. Certains ne réussissent même plus à marcher au pas, à se mettre au garde-à-vous, à présenter les armes. Ils ont l'esprit ailleurs : ils pensent à leur épouse, à leur ferme. En arrivant, ils plantent des pieux et tendent des barbelés à grosses épines ; ils sont habitués à installer des clôtures pour leur bétail. Néanmoins, c'est un travail hâtif : ils les enroulent autour des piquets au lieu de les fixer avec des crampons, si bien qu'il est difficile de les retendre. Ils en mettent dans tous les sens, mais cependant cela ne constitue pas une barrière infranchissable. A l'intérieur de la tuilerie, ils font un peu de place, retirent les innombrables brouettes, apportent dans l'immense séchoir du premier étage la paille que le fermier Mille vient de leur livrer. Ils délient les bottes et les étalent par terre. Le commandement du camp Le Chef de corps des Ardéchois est le capitaine Charles Goruchon 14 né le 12 juillet 1890. Il a fait la guerre de tranchées à Verdun, a été plusieurs fois blessé et même enseveli un jour à la suite de la déflagration d'une bombe qui devait tuer tous ses camarades. Il a donc mérité de nombreuses décorations : il est officier de la Légion d'Honneur, titulaire de la Croix de Guerre (deux palmes et quatre étoiles), de la médaille des blessés et de la médaille militaire à titre d'officier. Il avait fondé à Paris le « Village Suisse », implanté sur l'emplacement du pavillon de la Suisse lors de l'Exposition Universelle de 1937, à la place de la « grande roue » ; le décor idyllique de montagne, clochers pointus, vaches suisses et wagonnets s'était transfiguré en un quartier élégant de commerces chics d'antiquités, objets d'art, tableaux, gouaches, aquarelles anciennes, belles faïences ; ces boutiques sont souvent tenues par des Israélites allemands réfugiés à Paris depuis 1933. Charles Goruchon s'était réservé le magasin le plus important, « le Chalet de la Mode », mais il n'y fit pas de bonnes affaires. En 1939 sa femme, modiste, l'occupe à vendre à Clamart les chapeaux qu'elle confectionne. Le 28 août, il est nommé au commandement du 4e Bataillon du 154 Régiment Régional et affecté au camp des Milles le 5 septembre. Il lui semble prendre sa revanche. Parmi les commerçants qui ont réussi leur métier, certains passent maintenant sous sa férule. Pour l'amadouer, l'un deux lui réalise un porte-pipes pour ses sept bouffardes. Plus tard il se fera appeler par ses amis « le commandant Goruchon » et « commandant » par les dames. Son séjour aux Milles est donc bien le summum de sa vie. Il a jusqu'à 300 hommes sous ses ordres avec la compagnie du Capitaine Moussard à Aubagne pour le camp du même nom, réservé aux Allemandes suspectes. Chauve, rouge de figure, des yeux rusés, une fine moustache, de grosses lunettes d'écaille, il ne se sépare pas de ses gants de peau, ni de son stick avec lequel il se frappe les cuisses tout en bavardant, pérorant. Il sait charmer ses subordonnés. Il interdit à son épouse de venir résider aux Milles. Il vient aux rassemblements faire des discours sur la « France généreuse qui saura reconnaître les mérites des internés » ; malheureusement il lui arrive de s'égarer, de les confondre avec les ennemis. Ils ont, selon lui, beaucoup de chance d'être aux Milles ; les soldats de la ligne Maginot sont bien plus mal lotis. Ce doit être une erreur grossière ! Ou bien même, il rend les détenus, qui ont souvent beaucoup souffert des crimes nazis, responsables de tout le mal commis en France par l'armée d'Outre-Rhin en 1870 et en 1914-1918. Il voit en eux non des hommes éprouvés, plus humains peut-être que leurs gardiens, mais seulement des Allemands avec tous les préjugés que cela comporte. Par contre, il est choqué d'apprendre que Ferdonnet, le traître de Stuttgart, parle du « tortionnaire des Milles ». Pourtant, il est plus large d'idées quand il s'agit de recevoir les épouses ou amies des internés. Ne profite-t-il pas trop de ses privilèges ? M Lagstein, jeune dentiste de Nice, fiancée à un interné, confirme que, se prenant pour un don Juan qu'il n'est pas, il lui fait toujours la cour. M Lucia Schmidt-Ellrich, femme de lettres, se plaint de ses assiduités fréquentes. Mais, il a aussi des qualités : bon officier, il dirige bien ses soldats. Quelque peu mondain, il est tolérant, compréhensif. De ce fait, les intellectuels jouissent de privilèges aux Milles : les peintres donnent des toiles aux officiers qui obtiennent des permissions en échange. Goruchon se sent vraisemblablement très inférieur aux gens cultivés qui possèdent tout ce qui lui fait défaut : culture, instruction, réflexion, esprit critique. En conclusion, malgré toutes ses faiblesses pour les épouses d'internés, qu'il reçoit plus facilement que les détenus dans son bureau à gauche du portail, Goruchon se montre souvent assez humain, bon organisateur et ne manque pas d'autorité. Autour du commandant gravitent d'autres officiers : — Le Capitaine Poinas, soyeux de Lyon où il dirige deux usines, est commandant en second du camp et officier de sécurité (deuxième bureau). Bel homme, astucieux, doté d'une certaine forme d'intelligence, il est distant et par suite peu apprécié. Il n'aime pas les syndicalistes (ils « ruineraient une société, s'ils s'y trouvaient majoritai- res »). Hans Bellmer travaille beaucoup pour lui. Isenburger lui remet trente-trois dessins et Poinas lui en réclame d'autres, même après leur libération à tous les deux, en disant : « Savez-vous, vos œuvres se vendent bien à Lyon. Acceptez-vous de m'en adresser d'autres ? » — Le Capitaine Tessier a fait une longue campagne en Orient. (Légion d'Honneur, médaille des blessés, médaille militaire, quatre croix de guerre : deux françaises, une serbe, une roumaine). C'est un très brave homme, généreux et sociable. Il est le trésorier du camp. — Le Capitaine Beroud, soyeux de Lyon, est timide et manque d'autorité auprès des Ardéchois. — Le Capitaine Moussard, originaire du Jura, commande tout d'abord le camp d'Aubagne puis celui des Milles quand Goruchon part en permission. — Le Capitaine Verny, tout d'abord chef du camp de Largentière, est à la mi-octobre chargé du bureau des entrées, avant d'être muté en Extrême-Orient. — Lieutenant Bel, de petite taille mais de forte carrure, il a beaucoup d'autorité et sait se faire aimer de ses hommes. — Lieutenant Marius Bernard, né en 1886 à Teil (Ardèche). Ancien de Verdun, il est secrétaire de mairie du Teil près de Montélimar. Il traite parfois les internés comme des enfants : « Ceux qui travaillent auront le casse-croûte et un verre de vin supplémentaire ». « L'infirmerie est le centre de l'espionnage. Tous les soirs, c'est la grande bamboula ! » — Lieutenant Bertrand, souffre-douleur des autres officiers, ce que déplore parfois son chef de corps. — Lieutenant Coudene, propriétaire de huit « moulinages » à Aubenas, il met au point un brevet qui permet d'affiner le fil. Il est diplomate et très tolérant. Radical-socialiste il se présente deux fois à la députation. Il ne s'entend pas toujours avec le Capitaine Goruchon, à qui il prétend inculquer le sens des nuances. Il aime parler aux internés et leur remonte le moral. Il se prend vite d'amitié pour le peintre Dietz Edzard qui lui fait son portrait géant (1,80 m). Max Ernst lui donne un dessin « l'œil ». Il admire les détenus pour leur culture, leur faculté d'adaptation, de jouir de la vie, pour leur sexualité naturelle. — Lieutenant Sallier-Caillot, grand, cultivé, charmant, représentant de machines agricoles à Aubenas, puis comptable chez Noilly-Prat à Marseille. C'est un bon vivant. Il vient souvent trinquer avec les sous-officiers qu'il tutoie. Il se lie aussi avec le photographe Neumann de Match, le riche hôtelier du Var Harry Hall, le cuisinier Warschauer dont la femme est déprimée. Il aide le ménage pécuniairement. — L'Aspirant Barnier, grand bel homme, gai et enjoué, gérant du casino de Montélimar ; il est chargé du lever, des rassemblements et du coucher des soldats. — L'Aspirant Theocliste, ancien instituteur, ne s'entend pas avec Goruchon qui use trop de son charme parisien. Il le trouve grotesque... Les sous-officiers — L'adjudant de compagnie Edouard Beaussier, d'Aubenas, directeur d'une source de Vals-les-Bains, est brun, avec une moustache de gaulois et une voix forte agréable. Il sait se faire admettre auprès des internés. Il dit souvent : « geh'ma', geh'ma' (allons-y !) vite, vite », avant le rassemblement. Dans la journée, les détenus n'ont pas le droit de se tenir dans la grande cour. Ils sont cantonnés derrière des barbelés autour de la tuilerie. Si l'un s'égare, l'Adjudant Beaussier lui crie : « allez là-bas ». Très vite, ils le baptisent « Ali Baba ». — L'adjudant Costa, de Marseille, est chargé de l'encadrement. — Le Sergent-Chef Chopard, également à l'encadrement. — Le Sergent Balme, secrétaire à la Sous-Préfecture de Tournon (Ardèche), âgé et souffrant. Ayant deux enfants il réussit à se faire libérer assez vite. — Le Sergent Simon Broc, fermier à Saint-Thomé (Ardèche). Un détenu évadé reçoit une balle dans la cuisse. Broc doit fournir un rapport. Quarante ans après il en a encore des sueurs froides. — Sergent Chazalon, représentant en vins et spiritueux à Aubenas, vit séparé de sa femme. C'est un homme fin, respectueux des autres, tiré à quatre épingles, distingué. — Sergent Auguste Chazel, charcutier à Saint-Just (Ardèche). Svelte, aux yeux intelligents, il est bon comédien. Lié avec les postiers il leur trace un chemin dans la neige en janvier. — Sergent Jules Darlix, viticulteur à Alba, beau village de l'Ardèche, il fonde la cave municipale. En novembre il est chargé du secrétariat du Capitaine Goruchon puis nommé vaguemestre. On lui confie les courses à Marseille. Tous les mercredis il conduit avec une camionnette les détenus convoqués au consulat étranger. — Sergent Kissy, sous-officier de carrière alsacien. Il entraîne ses camarades au bar. On lui reproche sa vénalité. Il est responsable de la censure avec un autre Alsacien et trois légionnaires. — Sergent Casimir Perrier, vaguemestre à la place de Darlix quand il est libéré. — Sergent Pradal, agriculteur de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) où il réside dans un manoir. Très prolixe, il est lié avec Max Ernst et Darlix. — Sergent Prudhomme, directeur d'une bonneterie à La Mastre (Ardèche). Il est sous-officier d'ordinaire. — Sergent Reboulet, hôtelier du Cheylard (Ardèche), il est gérant du mess des sous-officiers. — Sergent Tailleux, employé de la banque Marze à Privas (Ardèche). Il est mobilisé à Aubagne et ne vient aux Milles que fin novembre. — Sergent Vincent, notaire à Saint-Étienne-de-Boulogne (Ardèche). Il se fait du souci pour sa petite étude. Il remplace Darlix au secrétariat de Goruchon qu'il n'aime guère. Heureusement, il est très lié avec le caporal Canonge, professeur de maths à Castres (Tarn) et protestant anticonformiste. Cette amitié inquiète l'abbé Mercier, curé ardéchois qui n'admet pas qu'un catholique couche à côté d'un protestant. — Sergent Vioujas de Saint-Péruy, sous-officier adjoint de Prudhomme, il est chargé des cuisines. — Caporal Camille Canonge. Fils d'un pasteur cévenol, originaire de Vialas en Lozère. Il fait ses études à Grenoble, est bi-admissible à l'agrégation de mathématiques. Sa femme Odette de Carbon est agrégée de mathématiques. Idéaliste, intègre, pacifiste, il a soif de justice. — Caporal Rémy Debos, de Saint-Thomé. Arrivant d'Aubagne, il est agent de liaison. Il est toujours méthodique, discret et souriant. Il a de nombreux amis parmi les détenus. — Caporal Faure, vaguemestre de l'infirmerie, assez buté : « Du courrier y'en a pas. Vous n'avez rien à dire, je ne reçois d'ordre que du médecin commandant. » Les soldats Élie Arnaud, grand bel homme, il se plaint de maux de reins dus à l'humidité. Il meurt peu de temps après sa libération. Bertrand, né en 1898 à Lyon, de haute taille (1,90 m), large d'épaules. Il est doux, calme, résistant. Ce sera un des derniers survivants. Blache, souffre beaucoup d'être séparé de son épouse. Bougon, frère mariste et professeur d'anglais à Aubenas. Polyglotte, il se lie avec beaucoup d'internés. René Boyer de Toulon. Bon camarade il est très populaire. Chassouan, charron de Haute-Ardèche. Chotard, agriculteur de Haute-Ardèche. Albert Courazier, agriculteur. Daman, employé d'une source de Vals-les-Dehoume, secrétaire de Goruchon. Depas, agriculteur. Quand il a bu, il se couche tout habillé. Desroy, sera détaché à Forcalquier. Victor Dumas, agriculteur. Edmond Durand, secrétaire du Lieutenant Coudène, ami du Caporal Debos. Raymond Étienne, de Saint-Privas (Ardèche). Souriant, détendu. C'est un des plus jeunes ; il remplace le chauffeur de Goruchon. Louis Jolivet, artisan de Viviers. Lebre, de Lambesc, réussit à se faire muter de Marseille aux Milles. De petite taille (1,50 m), il est très ami avec le plus grand des Ardéchois (2 m), Manzon. Ils font des rondes de nuit : on les appelle « Double-patte et Patachon », d'après le film du même nom. Lefebvre, secrétaire au bureau des entrées. Lévêque, habite Lachamp, Saint-Raphaël (Ardèche). Blessé à Verdun, il a la Légion d'Honneur. « J'ai froid » écrit-il à son épouse. Il est chauffeur ; il se rend souvent à Manosque. Jean Marty, maçon au Teil, sa fille Ginette lui écrit souvent. Mejean, paysan. Abbé Mercier, curé de Sadillac (Ardèche). Ancien de la première guerre, il dit sa messe à l'église du village mais jamais au camp. Même les Ardéchois catholiques ne l'écoutent pas. Il en est ulcéré. Il souffre de l'œcuménisme qui règne au camp. « C'est bien pire qu'une campagne », avouera-t-il à sa gouvernante. Pascal Para, agriculteur. Pierre Perrier, Viviers, a été très malade (broncho-pneumonie). Camille Perrier, Viviers (Ardèche). Roudil, assez fort. Tailleux d'Aubenas, de petite taille, musicien d'un orchestre de Lyon. Il est fondé de pouvoir à la Banque Marse. Vallier, vaguemestre de la Division, huissier de justice de Nîmes. Verdier, restaurateur d'Aubenas ; il est impulsif. Chauffeur du capitaine, il vénère le médecin commandant Goiran : « Nous n'avions jamais quitté notre campagne. Il nous a enseigné l'humanité, le respect des étrangers. » Albert Ville, maquignon, bavard et insolent. Vincent, instituteur à La Violle (Ardèche), il est ordonnance de Goruchon dont il admet mal les ordres. Le Capitaine lui prend sa voiture pour le punir ; en raison de ses quatre enfants il est libéré de bonne heure.

Les médecins Le Médecin Commandant Ernest Goiran Son père était lauréat du concours général d'histoire ; sa mère cultivée et musicienne ; ses six frères et sœurs sont tous professeurs, médecins ou pharmaciens. Né le 28 mai 1901, il passe son baccalauréat en 1918, dès le mois de juillet il est employé comme élève mécanicien sur locomotives. Admis en 1919 au concours de l'école de médecine coloniale de Bordeaux, il passe sa thèse en 1926. Sa personnalité : mesurant 1,61 m, les yeux gris, très vifs, il est dès sa jeunesse modeste, bon, généreux, compréhensif, dévoué, souriant, chaleureux, mais aussi volontairement discret et effacé. Il aime beaucoup la vie au grand air, il organise pour toute la famille des campings mémorables dans le Var, notamment sur l'île du Levant. C'est un bon footballeur, il est capitaine de la première équipe de Bordeaux, gagne le championnat de France en 1926 entre la Marine et l'Armée de terre. Toute sa vie il pratique beaucoup le tennis, mais très vite, il a la passion de la mer et de toutes les activités qui s'y rattachent, surtout la voile qu'il qualifie de « sport de beauté et de contemplation ». Il aime aussi la pêche en mer, devenant l'ami de nombreux marins et pêcheurs qui lui prêtent volontiers leur barque. C'est aussi le copain de tous ses collègues, voisins, gens qu'il côtoie. Tout le monde recherche sa compagnie. Il sait accueillir, et surtout être à l'écoute des autres : il adore rendre service, se dépenser sans compter ; il conseille, soigne ses amis sans jamais accepter d'argent. On l'invite souvent et il vient volontiers mais il a du mal à s'arracher à son métier, à ses camarades si bien qu'il arrive fréquemment en retard pour s'excuser ou refuser de prendre un potage car si un malade l'attend, il dit toujours : « On ne sait jamais ! Si c'était grave, je ne veux pas être responsable de négligence coupable. » « Je viendrai une autre fois, je vous le promets. » De toute façon, il ne déteste personne et ne s'appartient pas. Il rejette seulement le sectarisme, le parti-pris. Son vœu serait de fonder le « parti des braves gens » réunissant des personnes de droite et de gauche pour profiter des qualités des uns et des autres. Par-dessus tout, il est profondément humaniste ; « un homme est un homme » même si ce doit être un opposant. Il essaie de convaincre les gens aux idées arrêtées, les xénophobes, les racistes, prétendant que « comme nous, les noirs et les jaunes donnent leur sang sur les champs de bataille ». Il ajoute même parfois : « Leur sang coule aussi rouge que celui des Français de la métropole ». Son épouse, née Joséphine Martin, est ouverte, expansive, charmante, musicienne (elle joue du piano), aussi généreuse et désintéressée, aussi peu attachée à son confort que son mari ; elle le soutient dans toutes ses activités. Mesurant 1,62 m, très brune, deux yeux noirs très vifs, elle est institutrice mais n'exerce pas. Elle aime recevoir, secourir les malades de son mari. C'est un couple merveilleux qu'unit un amour profond. Ils ont tous les deux la passion de la lecture et de la musique classique. Ils possèdent une bibliothèque et une discothèque très riches ; c'est le seul luxe qu'ils se soient offert. La moyenne de leurs convives est de douze chaque jour. Joséphine Goiran et son mari adorent la société, jouent au bridge ou aux échecs en écoutant des disques. Après leur mariage en 1926, ils sont en 1927 au Dahomey où il fonde un hôpital à Abomey. Il est promu capitaine au grand choix à son retour en France et Henri, leur premier fils, naît peu après. En 1931, Goiran est nommé à Ngahtran au Tonkin. Bientôt il est détaché en brousse. Ils vivent alors dans une paillote ; il fait ses visites à cheval sur des pistes non carrossables. Voyant un paysan peiner sur sa charrue de bois, il ne peut s'empêcher de prendre sa place dix minutes pour se rendre compte de la difficulté et de l'effort nécessaire, c'est pour lui simple curiosité. Il devient médecin de la société des Grands Travaux de Marseille qui installe un train le long du Mékong. Il conduit lui-même une draisine pour aller faire ses visites, mais aussi des trains de marchandises chargés de riz à l'intention des populations des hauts plateaux qui souffrent de la faim. Il est alors décoré par l'empereur Bao Daï. Puis il est nommé à l'hôpital Lannessan de Hanoï. Il aime faire de la recherche médicale : une nurse thaï ne pouvant pas avoir d'enfants, il réussit à son endroit une des premières inséminations artificielles. Son deuxième enfant, Marine, naît le 1 février 1933. A Noël, Goiran est promu commandant au grand choix, et la famille rentre en France en 1934. En 1936, ils partent pour Konakry, où naît le troisième enfant, Maryvonne. Toujours aussi dévoué il va soigner la femme de son ami le capitaine Tallon atteinte de paludisme, à 200 km de là et il lui faut les parcourir sur des pistes peu carrossables. La famille Goiran rentre de Guinée en 1938. En septembre 1939, il est nommé au camp des Milles. Il habite au village une petite bastide appelée Monplaisan. Il parle souvent au mess de sa vie de médecin-colonel, de pionnier indépendant qui permet d'ailleurs à sa famille de mener une vie décente. Le commandant est très apprécié autant par les militaires que par les étrangers et autant pour son diagnostic très sûr que pour son état d'esprit. Les Ardéchois ne comprennent pas pourquoi il passe tant de temps à soigner des Allemands : « Pourquoi ne les laissez-vous pas mourir ? » demandent même certains. La réponse ne se fait pas attendre : « Nous ne sommes pas là pour tuer mais soigner et guérir indifféremment Français et étrangers. Voyez ces antinazis qui ont tout quitté, situation, maison, famille pour leur idéal de liberté ou parce qu'ils étaient persécutés. » Pour ses enfants, il est parfois difficile d'attendre Papa pour partir au bord de la mer. Les heures passent et on se dit : « La sortie sera pour demain. » Le docteur qui a beaucoup de malades atteints de bronchite hésite toujours à prendre un risque. Durant l'été 1940, le commandant Goiran part dans un régiment de Tirailleurs Sénégalais en Afrique. De 1941 à 1943, il est en Côte-d'Ivoire. En octobre 1942, il est promu lieutenant-colonel. En 1944, il contracte la maladie du sommeil à Bouaké (Côte-d'Ivoire) où il ouvre un village de malades. Après la guerre, apprenant la mise à la retraite d'office d'un de ses amis, colonel comme lui, il donne sa démission, alors qu'il est sur le point d'être promu général et s'installe à Visan dans le Vaucluse puis à Lalonde (Var), où ses clients deviennent vite des copains, regrettant toujours de ne pouvoir lui verser des honoraires. Atteint d'un cancer généralisé, il meurt le 14 mai 1974, à Saint-Clair, près de Lalonde. ● Le Médecin auxiliaire Juge, originaire de l'Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), excellent praticien et également pince-sans-rire, aime s'amuser et s'entend très bien avec le commandant Goiran et avec l'adjudant Beaussier. ● Le Médecin aspirant Bourdillon n'apprécie pas du tout son poste. Il pense à ses clients. Il redoute toujours la concurrence du docteur sarrois Drucker, libéré. « Ce n'est vraiment pas juste. Qui vous dit que mon collègue n'est pas en train de me prendre mes malades à Marseille ? » Il est assez distant et ses confrères critiquent parfois son diagnostic. Ils vont jusqu'à parler des « bourdes de Bourdillon ». Le Médecin auxiliaire Berthuel arrive au printemps. C'est un bon docteur. Le 22 mai 1940, le Médecin adjudant Jean-François Poli, résidant rue des Trois-Frères- Barthélémy à Marseille, très coté auprès de ses clients, est bien vu au camp. LES DÉTENUS 16

Organisation du camp Passons des gardiens aux détenus. Comme tout étranger ne peut quitter son domicile que muni d'une autorisation du maire, les futurs internés en sont réduits à solliciter un « sauf-conduit ». Avec au plus trente kilos de bagages, ils attendent parfois au poste de police dans la salle réservée aux délinquants avant le départ pour la prison. En cours de route, ils sont souvent arrêtés par les gendarmes, la police ou les militaires. Les plus riches tels Feuchtwanger, les trois frères Sussmann, marchands de bois de Marseille, arrivent en taxi. Certains ne s'étant pas présentés spontanément, partent enchaînés par deux entre des soldats en armes, en fourgon cellulaire ou en camion. Apercevant en gare de Nice le peintre Gowa (1,85 m) enchaîné à un autre émigré mesurant 1,50 m, son ami l'abbé Trucchi s'approche et le serre dans ses bras ; l'atmosphère se détend aussitôt : vingt épouses peuvent embrasser leur mari et les détenus en puissance sont autorisés à prendre un verre au buffet. Quelques-uns se cachent : le compositeur et chef d'orchestre berlinois, Kurt Studemann (né en 1885), en tournée à Marseille début septembre avec sa femme, maîtresse de ballet, et sa fille, danseuse (elles seront plus tard internées à Gurs), est découvert et conduit aux Milles en compagnie d'un ancien légionnaire, Charles S. (né en 1883), ingénieur agricole, également caché à Marseille. C'est un agent de renseignements du deuxième bureau. Promiscuité et internement suscitent des réactions très vives. Dietz Edzard écrit à ce sujet : « être accueilli comme émigré partiellement persécuté et ensuite être mis derrière des fils de fer barbelés fait mal et laisse des blessures longues à guérir ». Lion Feuchtwanger rappelle sans cesse qu'il a été l'hôte du Président de la République Albert Lebrun. Friedrich Schramm, docteur ès lettres et metteur en scène d'opéras au théâtre de Düsseldorf, lui aussi redit souvent que l'interné d'aujourd'hui a été un soir félicité par Albert Lebrun après un spectacle qu'il dirigeait à l'Opéra-Comique. Plus grave encore peut-être est la confusion des Français entre anti et pro-nazis. Les ennemis des internés sont précisément ces hitlériens qui les persécutent depuis bientôt sept ans. Ils ne font d'ailleurs plus tellement de distinction entre les membres du parti nazi NSDAP et les Allemands moyens qui se laissent entraîner à leur suite à faire la guerre au monde libre. Même les poètes sont dépassés : Karl Wilcynski voudrait savoir ce qui arrive aux Français, il ne peut pas imaginer un instant qu'on le prenne pour un suspect. Et pourtant ses lettres demeurent sans réponse : les écrivains français eux aussi font la guerre. Après un voyage souvent pénible, les internés se présentent au camp. A gauche de la porte d'entrée, une guérite et un planton, tout près à l'intérieur et à droite, le poste de police. Le nouvel arrivant présente ses papiers, son laissez-passer. Plus d'un n'en a pas besoin car il arrive menottes aux mains entre deux gendarmes. On fouille ses bagages... Puis il traverse la grande cour, souvent balayée par le mistral, pour se rendre au bureau des entrées et y remplir les formalités d'usage. Il traîne ses sacs, valises, pliant, couverture qui, selon Feuchtwanger, « glisse, tombe dans la poussière ». L'interné sue à grosses gouttes. Il est reçu au guichet par Camille Canonge qui lui fait remplir des imprimés : « Nom, prénom, date de naissance, profession, nom du père, nom de la mère, dernier domicile, combien avez-vous d'argent sur vous ? Vous pouvez le déposer ici et venir retirer ce dont vous aurez besoin quand bon vous semblera. Nous ne prélevons aucun pourcentage mais fonctionnons comme une banque. » Canonge lui attribue un numéro et l'envoie rejoindre un groupe. Le lieutenant Coudène, grand psychologue, élégant, poli, distingué, ouvert aux idéaux de liberté, convient mieux que quiconque pour l'accueil du nouveau venu choqué par l'internement imprévu. Il interroge les intellectuels sur leurs études, leurs publications, la situation actuelle ; il s'intéresse à tous : leur famille, leur travail. Il prend des notes. Il exprime à Feuchtwanger tous ses regrets : « Ce sont les événements qui obligent le gouvernement à agir ainsi ». Volets clos, l'interné erre dans l'obscurité en soulevant des nuages de poussière. Des couloirs sombres longent les rangées de fours, remplis de tuiles crues. Les séchoirs en sont couverts également. C'est dans cette atmosphère floue que le peintre Ferdinand Springer est subjugué en découvrant le beau visage de Max Ernst l'accueillant de son sourire. Le sol en terre battue, tout à trous et à bosses, est bien entendu d'une saleté indescriptible, bien que recouvert de paille déliée vite habitée de myriades de puces, de punaises et à certains moments de poux. C'est là que des hommes qui ressemblent, selon Lipman-Wulf, à des « tuiles sales et à moitié brisées » se tiennent couchés, assis ou essaient de lire à la lueur de faibles lampes électriques ou dans les rais de lumière filtrant à travers les volets. Le dortoir est une immense salle située au premier étage, on y accède par une échelle de meunier. Il ne mesure pas moins de 70 mètres de long sans aucune cloison, avec d'innombrables fenêtres. Il est encombré de tas de briques et de quelques séchoirs qui vont servir d'étendoirs à linge ou de porte-manteaux. Chacun ne dispose que d'un peu de paille et d'une botte de soixante-dix centimètres de large. C'est là qu'il dort, prend ses repas, lit, bricole, joue aux cartes, discute. La valise tient lieu de table de nuit, d'armoire, de table, le sépare des pieds du voisin. Il entoure sa litière de tuiles, bientôt piétinées, réduites à l'état de poussière, l'élément primordial des Milles dont on ne peut se débarrasser. La poussière est partout : sur le sol, dans les murs, sur les vêtements, dans les pores de la peau, comme le souligne Max Ernst. Il n'est pas facile du tout de se déplacer en plein jour, sans piétiner la paille des autres, aucun passage n'étant aménagé en dehors de l'allée centrale. Quelques rais de lumière filtrent à travers les volets qui bouchent les ouvertures et la seule rangée de vitres au-dessus. Celles-ci ont été peintes en bleu pour le camouflage. La lumière électrique est toujours aussi modeste. Il faut donc s'habituer à cette pénombre, autre fléau des Milles. Petit à petit on installe les dortoirs à l'aide des rayonnages que l'on démonte : on fabrique ainsi de petites tables qui servent de bureau, de banc. Les plus ingénieux montent le long des murs de véritables boxes avec des échafaudages en lattes recouvertes de carton et de papier d'emballage. Certains ont réussi à se faire envoyer un matelas pneumatique ou même un petit lit en fer ou de camping. Ils trouvent du fil électrique ou du fil de fer dans l'atelier ; ils l'utilisent savamment en s'installant des prises de courant, des lampes de chevet et même des radiateurs et chaufferettes électriques. Jamais, à part un incident en décembre 1940, ils ne causeront d'incendie. Après la première nuit passée au camp, on divise, lors du premier rassemblement, les internés en plusieurs catégories principales : Allemands, Autrichiens, et quelques jours plus tard Tchèques et enfin légionnaires. Puis dans chaque nationalité on compose des groupes de vingt hommes sans se préoccuper des affinités. Ils sont très faciles à compter au rassemblement. Feuchtwanger se retrouve au milieu d'ouvriers. Ceux-ci seront ses voisins de dortoir non seulement la nuit mais aussi le jour lors des repas, de la sieste, du temps libre. Quand il fait beau, les repas sont pris dehors sur des tables de fortune ; là encore, les commensaux de Feuchtwanger ne sont pas des hommes de lettres mais les prolétaires de son groupe ; même chose pour les corvées de pluches, balayage, transport de tuiles, etc. La répartition en groupes hétérogènes a autant d'inconvénients que d'avantages, car il faut supporter beaucoup de mauvais éléments : bavards, hypernerveux, sales, etc. Les voisins sont les témoins de votre vie intime, de votre cafard, de vos petites misères, des indispositions, maladies, de vos joies qu'il s'agisse des visites, des lettres de la femme ou de l'amie. Dirigé par un chef (les candidats ne manquent pas, certains devront être démis de leurs fonctions pour incapacité), chaque groupe a son petit coin, une certaine quantité de paille à répartir ; si l'on mesure la place d'un individu on s'aperçoit qu'il ne dispose que de 77 centimètres. Ces équipes composites sont pratiques pour la surveillance mais elles ne satisfont pas les goûts personnels. Toutefois, l'adjudant Beaussier se montre compréhensif pour les demandes de mutation d'un groupe à l'autre. Ainsi les peintres, les écrivains, les savants dispersés se rassemblent-ils par affinité. Le chef de groupe transmet les ordres émanant du responsable des internés ou du bureau. Mais surtout il doit aplanir les difficultés internes. Les tâches sont multiples : il lui faut chaque matin désigner un homme pour rapporter le café, emmener au rassemblement le plus possible de camarades, veiller à la propreté des lieux, à l'ordre, et à ce que chacun effectue sa corvée, notamment celle des pluches ; or beaucoup se défilent ! Puis il va personnel- lement chercher le courrier qu'il distribue. C'est lui qui va voir les représentants des internés. Les catégories Les détenus chefs de groupe doivent sans cesse établir des listes. On distingue cent espèces d'internés. On dénombre : apatrides, apatrides condam- nés à l'indignité nationale par le Reich : Alfred Kantorowicz, Robert Liebknecht, Ernst Langendorf, etc, Allemands, Autrichiens, Sudètes, Tchè- ques, Sarrois, Alsaciens, Lorrains, Suisses, arrivés avant 1933, après 1936, ayant une épouse française, des enfants, ayant un fils aux armées, mariés à une étrangère, mariés à une Allemande ou Autrichienne, résidant encore dans le Reich, catholiques, protestants, chrétiens orthodoxes, juifs orthodoxes, transitaires désirant servir dans l'armée française, volontaires pour la Légion, volontaires pour les régiments de prestataires, anciens légionnaires avec ou sans certificat de bonne conduite, anciens légionnaires réformés, anciens légionnaires décorés de la médaille militaire, condamnés à une peine de prison, pour quel motif, munis d'un passeport, d'un visa, anciens internés dans un autre camp. La journée type du détenu A cinq heures et demie l'été (et six heures et demie l'hiver), le clairon sonne le lever tandis que l'imitateur de cris d'animaux lance le chant du coq. Parfois même il précède le signal militaire. Il est suivi d'un concert de jurons, de soupirs, de bâillements de centaines d'hommes, autrefois distingués, guindés, respectés, aujourd'hui incarcérés, oubliés, réduits à vivre dans la paille, la poussière, la promiscuité et à combattre les parasites qui les assaillent. Sitôt levés, ils descendent au rez-de-chaussée, un récipient à la main et attendent patiemment derrière la grande porte fermée à clé. Dès l'ouverture de cette dernière, c'est une course générale dans la cour. Quel spectacle affligeant : les boiteux, les hommes raidis par l'âge, l'étude ou le travail manuel essaient de suivre les jeunes et les sportifs. Ils prennent la direction des latrines, des W-C et des lavabos provisoires, un unique robinet alimente une seule conduite d'eau percée de part en part de dix, puis en été de vingt orifices d'où coulent de minces filets d'eau. Partout il faut faire la queue dans le froid. Les nantis d'hier achètent très cher la première place, ce qui irrite les pauvres ou les membres des partis de gauche, épris de plus de justice sociale. C'est aussi un moyen pour les plus rapides d'avoir un peu d'argent de poche. Pourtant, les intellectuels retrouvent leur politesse et aussi leur humour. « Comment avez-vous dormi, Monsieur le Directeur du Ministère ? » D'autres chantonnent « Y'a de la joie ! » « Da werden wir auch so fertig (on s'en sortira bien) » chante Schramm. Mais dans un endroit le long de l'Arc, les hommes sont autorisés à uriner côte à côte. Sur les six heures, deux hommes de chaque groupe vont prendre aux cuisines un seau de café et la ration quotidienne de pain : une baguette de 700 grammes par personne. Hélas ce pain provient souvent des subsistances militaires. On peut le conserver des mois sans qu'il soit dur, il est pâteux et insipide, très lourd à digérer. Néanmoins, très peu réussissent à se procurer un pain mieux préparé du village des Milles. Tout le monde trempe ses mouillettes dans le quart de café noir. Les hommes aisés ne manquent ni de beurre, ni de lait, ni de croissants. A sept heures et demie, le clairon sonne l'appel. Une vingtaine de soldats ardéchois prennent place sous la conduite de l'aspirant Barnier et de l'adjudant Beaussier dit « Ali Baba », dans la cour. A part Barnier en képi, tous portent la chéchia. Puis, dans un grand brouhaha, les internés s'avancent, se mettent en lignes de vingt à vingt-quatre selon leur groupe. Quand tout le monde est là, Barnier crie « Garde à vous ! », mais à part quelques pro-nazis, presque personne n'obtempère, Barnier et Beaussier réprimandent les chefs de groupes et crient encore une fois ou deux cet ordre. Le professeur autrichien Pick erre d'un groupe à l'autre, sans jamais trouver le sien. Les tortures de Dachau ont sans doute atteint le psychisme de cet historien. Il finit par se présenter fort poliment à Barnier : « Je suis le professeur Pick. Veuillez m'indiquer ma place. » Pendant ce temps les légionnaires passent derrière les rangs pour aller vider les tinettes en criant invariablement leur ritournelle : « chocolats glacés, vanille ! », pendant que Beaussier réclame des tailleurs, des menuisiers, des électriciens, des bouchers, des cuisiniers. Beaucoup d'hommes de l'art se présentent et aussi des commerçants ou des intellectuels pour échapper à l'ennui. Quel que soit l'artisan requis, le professeur Pick est toujours candidat. Il prétend ne pas être qu'historien, mais avoir lu aussi bien des livres de technologie et être à même d'effectuer telle ou telle œuvre. Beaussier répartit les travaux : — corvée d'abords dans les cours. Pas un papier ne doit traîner ; or le vent fait voler une multitude de papillons aux quatre coins du camp ; — corvée de nettoyage du bâtiment principal ; — corvée de pluches. Beaussier lit encore les mots d'ordre et consignes du chef de corps qui passe de temps en temps : « Vous vous plaignez de l'état des lieux et de vos conditions de vie, mais nos prisonniers auront-ils autant de chance chez vous ? » Les intellectuels profitent de la bienveillance de Goruchon pour se faire exempter de corvée. Ils font les cent pas autour des plus diserts : l'écrivain Schmidt-Ellrich, beau-frère d'Ernst Erich Noth est toujours écouté, dès qu'il ouvre la bouche. L'Autrichien Emil Alfons Rheinhardt parle allemand, anglais, français avec beaucoup d'élégance, il connaît de très nombreux textes par cœur. Karl Wilcynski est un causeur agréable et irrésistible, il récite les chansons qu'il a composées, parle de toutes les interviews qu'il a réussi à organiser avant 1933 pour Radio-Berlin. Il ne manque pas de relations avec le clergé protestant et catholique parisien et même avec un jeune officier français. Heinrich Strobel, critique musical très fin, très caustique s'entretient avec Friedrich Schramm. Tous deux chantent, psalmodient, retrouvent des airs d'opéras, récrivent la musique et les paroles. Strobel est toujours surpris par les fantaisies osées de Schramm. Lui curieusement s'épanouit aux Milles. Il peut enfin faire ce qu'il veut ; c'est là qu'il apprend, confiera-t-il plus tard, à parler en public, à mener une troupe. Quelques musiciens jouent de l'harmonica ou du mirliton dans la cour. Les violonistes, grands virtuoses, attirent beaucoup d'internés. Feuchtwanger parle avec sa voix lente, à l'accent bavarois, de ses succès passés, de ses œuvres jouées au théâtre, de ses expériences, de sa délicieuse secrétaire Lola, de ses réceptions chez les hommes d'état. Quand il remarque que l'attention de son auditoire baisse, il propose à ses amis, E. H. Rheinhardt et Wolf, d'aller rejoindre les joueurs de cartes, c'est leur passion. Ils s'efforcent de trouver des tuiles pas trop cassées, de les empiler pour s'asseoir dessus. Les cartes sont vite si sales qu'il est difficile de les distinguer et on ne sait comment les nettoyer. On joue pour de l'argent et les mises atteignent souvent des sommes importantes. Mais le jeu est devenu aux Milles un dieu très vénéré. Il permet aussi de chasser l'ennui. Weil, dentiste de Monaco marié à une Américaine, Uhihely, collectionneur de timbres, le journaliste Erich Linitz et Léo Tintner jouent au bridge du matin au soir. Le dernier donne des leçons à tous ceux qui le désirent. Il sera après la guerre deux fois champion d'Europe et résidera à Cannes. A onze heures, s'il ne fait pas trop mauvais, sans mistral excessif, ni gelée, ni pluie, les hommes prennent place en plein air : en effet prouvant s'il en était nécessaire que le camp des Milles était très organisé, les soldats avaient installé pour les internés un réfectoire dans la cour Ouest derrière les barbelés, où des tables rudimentaires étaient magnifiquement alignées dans tous les sens. Les détenus ont eux-mêmes confectionné tables et chaises à l'aide de planches, des tuyaux en terre cuite en guise de pieds, le tout récupéré dans les ateliers. Mais ces meubles ont la particularité de s'effondrer de temps en temps. Pourtant les couverts différencient riches et pauvres. Ces derniers se contentent de cuillers et fourchettes en fer ou en étain et des boîtes de conserves leur tiennent lieu de gamelle, tandis que les autres utilisent des couverts en or : ceux-ci, plus petits, se perdent les jours de pluie, les repas étant servis à l'intérieur, dans la paille qui leur sert de lit : c'est le fermier M... ou son employé chargé de changer la paille qui récupèrera les précieux objets sur son chariot. Sa fille héritera ainsi de maintes cuillères, fourchettes, épingles de cravate ou chaînettes en or. A l'heure du repas, on frotte les couverts et la gamelle qu'on n'a pas réussi à laver. Curieusement on sert souvent le menu allemand « Eintopf » : un plat complet avec un morceau de viande ou une saucisse et des légumes. Ce sont soit des haricots secs, soit des petits pois en conserve, soit des lentilles, et souvent des pommes de terre, mais jamais d'épinards ni de légumes verts qui faciliteraient la digestion, rarement de la salade, et pour dessert des figues, des dattes, parfois du raisin, jamais de pommes ni de poires. La ration de viande est, au moins au début, très importante : 450 grammes par jour. Mais qu'elle est donc mal préparée ! A chaque repas les internés ont droit à un quart de vin. Beaucoup ne le boivent pas car ils prétendent qu'on y a mis trop de bromure pour freiner leurs élans sexuels. Bien entendu, quelques-uns sont favorisés : ceux qui travaillent aux cuisines réussissent à se mitonner quelques petits plats. Mieux encore, d'autres, tels que Adrian, de Pertuis, ont pu se faire employer dans un des deux mess d'officiers ou de sous-officiers. De toute façon on engloutit sa portion le plus vite possible, avant que les nuages de poussière n'aient recouvert les aliments. A côté des tables se trouvent un tonneau d'eau fraîche et de grands cuveaux pleins ; c'est là que l'interné lave sa vaisselle. Après le repas on peut faire la sieste au dortoir sur la paille ou rester assis sur un tas de briques pour lire. C'est le moment le plus agréable de la journée, où beaucoup s'efforcent de ne pas trop se reposer pour avoir sommeil le soir lorsqu'ils se coucheront. Certains font les cent pas, seuls, en répétant des listes de vocabulaire français ou anglais, ou encore leur rôle au théâtre, beaucoup discutent, lisent le journal qu'un camarade leur a loué dix minutes pour une somme supérieure à son prix, en attendant qu'un ancien aubergiste leur apporte en cachette leur tasse de café. Beaucoup reprennent leur jeu de cartes, tandis que les Juifs orthodoxes se retirent dans leur niche pour prier ou étudier l'Écriture ou le Talmud. Quand il fait très beau temps, certains prennent un bain de soleil allongés sur une vieille couverture à même le sol poussiéreux. De temps en temps un ballon vient les déranger. Les tabous tombent. Les naturistes d'occasion sont de plus en plus nombreux, ce qui choque les militaires. A deux heures, rassemblement : on répartit des tâches ridicules consistant à empiler des tuiles dans un coin pour les remporter deux jours plus tard là où on les avait prises, ou bien à reboucher des fossés qui ont servi de latrines et en creuser d'autres un peu plus loin. Ensuite, on fait des tranchées dans la roche de la cour ce qui n'est pas facile sous l'ardent soleil méridional. Beaucoup s'esquivent, rentrent dans leur dortoir pour bricoler, lire, écrire, Ce livre est l'histoire du camp d'internement des Milles, où l'on détient systématiquement à la déclaration de guerre tous les Alle- mands, Autrichiens, Tchèques réfugiés : deux Prix Nobel, de nom- breux savants, près d'une centaine d'hommes de lettres, L. Feuchtwanger, W. Hasenclever, F. Hessel, E. M. Landau, G. Mann, E. E. Noth..., une cinquantaine de peintres, M. Ernst, H. Bellmer, Gus, R. Liebknecht, M. Lingner, Wols, etc. En juin 1940 d'autres camps (Montargis, Montbard, Dijon, Aran- don, Chambaron, Loriol, etc.) sont repliés aux Milles. Le « train- fantôme » sauve plus 2 000 internés du danger à travers tout le Sud- Ouest. Le camp des Milles devient un camp de transit pour 27 nationalités, mais 1 928 juifs, dont 23 enfants, sont livrés par Vichy et déportés à Auschwitz en août 1942. Le pasteur Manen, un gar- dien, Boyer, quelques internés des Brigades Internationales, sau- vent beaucoup de vies humaines. Des scènes déchirantes sont décri- tes dans des documents originaux de survivants, dont quelques enfants orphelins. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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