Livre 1.indb 1 200L 26/05/2014 09:47:41 Livre 1.indb 2 200L 26/05/2014 09:47:42 Livre 1.indb 3 26/05/2014 09:47:42 Introduction 6 Les grandes idées qui ont révolutionné le cinéma 8 Glossaire 208 Pour aller plus loin 211 Index 212 Crédits photo 215 Remerciements 216

Livre 1.indb 4 200L 26/05/2014 09:47:42

IDÉE N° 1 LA LANTERNE MAGIQUE  IDÉE N° 52 LES DE SÉRIE B  IDÉE N° 2 LA PERSISTANCE RÉTINIENNE  IDÉE N° 53 LES SÉRIES  IDÉE N° 3 LE KINÉTOSCOPE  IDÉE N° 54 LE COURT MÉTRAGE  IDÉE N° 4 LE CINÉMATOGRAPHE  IDÉE N° 55 L’ANIMATION  IDÉE N° 5 LA PROJECTION  IDÉE N° 56 LES MAQUETTES  IDÉE N° 6 LES FILMS À TRUCS  IDÉE N° 57 LE NÉORÉALISME  IDÉE N° 7 LE GROS PLAN  IDÉE N° 58 LE FLASH-BACK  IDÉE N° 8 LES EFFETS DE LIAISON  IDÉE N° 59 LA VOIX OFF  IDÉE N° 9 LE PLAN SUBJECTIF  IDÉE N° 60 LE NOIR  IDÉE N° 10 LE TRAVELLING  IDÉE N° 61 LA LISTE NOIRE  IDÉE N° 11 LA COURSE-POURSUITE  IDÉE N° 62 LA MÉTHODE  IDÉE N° 12 LE MONTAGE « TRANSPARENT »  IDÉE N° 63 LA TÉLÉVISION  IDÉE N° 13 LE RACCORD  IDÉE N° 64 LE FORMAT ACADEMY  IDÉE N° 14 LES NICKELODEONS  IDÉE N° 65 LA COULEUR  IDÉE N° 15 LE FILM D’ART  IDÉE N° 66 LA 3D  IDÉE N° 16 LE LONG MÉTRAGE  IDÉE N° 67 LA COPRODUCTION   IDÉE N° 17 LES DREAM PALACES  IDÉE N° 68 L’ÉPOPÉE   IDÉE N° 18 LE SCÉNARIO  IDÉE N° 69 LE CINÉMA D’EXPLOITATION  IDÉE N° 19 LES EFFETS DE CAMÉRA IDÉE N° 70 LA BANDE-ANNONCE   IDÉE N° 20 LES SERIALS  IDÉE N° 71 LE FILM DE SÉCURITÉ   IDÉE N° 21 LE BURLESQUE  IDÉE N° 72 LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE  IDÉE N° 22 LES CASCADES  IDÉE N° 73 CANNES  IDÉE N° 23 LE STAR SYSTEM  IDÉE N° 74 LA CRITIQUE  IDÉE N° 24 HOLLYWOOD  IDÉE N° 75 LA MISE EN SCÈNE  IDÉE N° 25 LES MAGNATS DE LA PRODUCTION  IDÉE N° 76 LE HORS-CHAMP  IDÉE N° 26 LE BLOCK BOOKING  IDÉE N° 77 LA POLITIQUE DES AUTEURS  IDÉE N° 27 LE STUDIO SYSTEM  IDÉE N° 78 LA CAMÉRA À L’ÉPAULE  IDÉE N° 28 LE GENRE  IDÉE N° 79 LE CINÉMA-VÉRITÉ  IDÉE N° 29 LE DOMAINE PUBLIC  IDÉE N° 80 LE FREE CINEMA  IDÉE N° 30 L’ENFANT STAR  IDÉE N° 81 LE TROISIÈME CINÉMA  IDÉE N° 31 LES MAGAZINES DE CINÉMA  IDÉE N° 82 LE ZOOM  IDÉE N° 32 LES OSCARS  IDÉE N° 83 LE ROAD MOVIE  IDÉE N° 33 LE MONOCHROME  IDÉE N° 84 LA BLAXPLOITATION  IDÉE N° 34 LE COMPOSITING  IDÉE N° 85 LA PORNOGRAPHIE  IDÉE N° 35 L’ÉCLAIRAGE ARTIFICIEL  IDÉE N° 86 LE CINÉMA FÉMINISTE  IDÉE N° 36 L’EXPRESSIONNISME  IDÉE N ° 87 LES BLOCKBUSTERS  IDÉE N° 37 L’AVANT-GARDE NARRATIVE  IDÉE N° 88 LES EFFETS DE MAQUILLAGE  IDÉE N° 38 LES ÉCOLES DE CINÉMA  IDÉE N° 89 LES KIDPICS  IDÉE N° 39 LE MONTAGE  IDÉE N° 90 LES TEEN MOVIES  IDÉE N° 40 LE TYPAGE  IDÉE N° 91 LES SUITES  IDÉE N° 41 LE SURRÉALISME  IDÉE N° 92 LES REMAKES  IDÉE N° 42 LE CINÉMA EXPÉRIMENTAL  IDÉE N° 93 LES MULTIPLEXES  IDÉE N° 43 LE PARLANT  IDÉE N° 94 LA VIDÉO  IDÉE N° 44 LA BANDE ORIGINALE  IDÉE N° 95 LES ÉCRANS À DOMICILE 

IDÉE N° 45 LA POSTSYNCHRONISATION  IDÉE N° 96 LE CINÉMA INDÉPENDANT IDÉE N° 46 LES SOUS-TITRES  AMÉRICAIN  IDÉE N° 47 LES ACTUALITÉS  IDÉE N° 97 LE CINÉMA GAY ET LESBIEN  IDÉE N° 48 LA CENSURE  IDÉE N° 98 « HERITAGE FILMS »  IDÉE N° 49 LA PROPAGANDE  IDÉE N° 99 LE CINÉMA NUMÉRIQUE  IDÉE N° 50 LE RÉALISME POÉTIQUE  IDÉE N° 100 LES IMAGES DE SYNTHÈSE  IDÉE N° 51 LE RÉALISME DE STUDIO 



Livre 1.indb 5 200L 26/05/2014 09:47:42 Introduction

Le cinéma est un domaine immense, couvrant aussi merciaux, d’autres pour développer des aspects esthé- bien les premières œuvres du muet que le dernier suc- tiques ou dramaturgiques. L’ouvrage traite donc tout cès en salles, un dessin animé ou un documentaire, un autant d’innovations techniques, de pragmatisme et serial ou des actualités, un film expérimental ou un d’opportunisme en affaires que de grandes idées artis- porno. Ces différentes formes de cinéma partagent un tiques, sociales ou culturelles. En effet, il faut bien dire ensemble d’idées qui, depuis cent vingt ans, défi- que sans le soutien des financiers, l’astuce des ingé- nissent la manière dont les films sont produits, distri- nieurs et l’intervention des patrons de studios, le ciné- bués, projetés, consommés et appréciés. Que vous ma serait sans doute resté un gadget du XIXe siècle soyez novice ou chevronné dans le domaine, vous allez sans importance. découvrir que tous les films ont un nombre incroyable Avant 1914, des pionniers sur les deux rives de de points communs. l’Atlantique ont apporté une contribution égale aux On dit bien que le cinéma est le septième art. Par progrès de la narration filmique, tandis que la fin de comparaison avec les six autres, sculpture, architec- l’ère du cinéma muet vit l’essor du Studio system hol- ture, peinture, musique, poésie et danse, il est tout lywoodien. Imaginons le cours qu’aurait pris cette his- récent. Mais son évolution a été si rapide que les spec- toire si la Grande Guerre n’avait stoppé l’industrie du tateurs de la première projection à Paris, au Grand Café, cinéma européen et permis à la sphère hollywoo- le 27 décembre 1895, auraient du mal à faire le lien dienne, encore naissante, de dominer le marché inter- entre les courtes scènes du Cinématographe d’alors et national du film. Capable de produire en masse des les spectacles hollywoodiens d’aujourd’hui, avec leurs films de genres très rentables, Hollywood acquiert figures imposées et leurs images de synthèse qui alors sur le cinéma mondial une ascendance qu’il n’a emballent le public actuel. toujours pas perdue, malgré la montée de rivaux plus Personne ne sait exactement qui a eu en premier prolifiques en Inde (Bollywood) et au Nigéria (Nolly- l’idée de faire des films, et nul ne peut prétendre avoir wood). été le tout premier à inventer les techniques d’enregis- De fait, c’est le business model de Hollywood, tout trement et de projection. Bien avant que Auguste et autant que la qualité des films, devenus parlants, qui a Louis Lumière ne prennent place dans l’histoire du permis aux Big Five (MGM, Paramount, Warner Bros, cinéma, des écrivains, des savants et des entrepreneurs Twentieth Century-Fox et RKO) d’introduire les pra- avaient exploré le potentiel artistique et commercial tiques de block booking et d’intégration verticale avec d’images qui, imitant la réalité, pouvaient distraire et lesquelles ils assurent des débouchés à leurs produits instruire les foules, moyennant finances. Pourtant, et permettent au cinéma américain de surmonter les dans le cercle des inventeurs de lanternes magiques et crises des années 1930 et de la Deuxième Guerre mon- de jouets optiques, ou de tous ceux qui avaient saisi diale. L’âge d’or ne pouvait toutefois pas durer éternel- l’importance de la persistance rétinienne, nul n’avait lement : après-guerre, poussés par les effets combinés prévu que le cinéma allait devenir l’art le plus acces- du développement périurbain, des lois antitrust, du sible, le plus populaire et le plus important, à la fois sur maccarthysme et de la télévision, les studios s’orientent le plan social, politique et culturel. alors vers la couleur, le grand écran, la 3D et la stéréo- Ce livre analyse les théories, les techniques et les phonie pour contrer une chute des entrées qui risquait stratégies qui ont permis au cinéma de devenir une ins- de les mettre en faillite. titution. Le cinéma a eu très vite une dimension inter- Le déclin du Studio system coïncide avec la résur- nationale ; il n’en reste pas moins que la majorité des gence du cinéma européen. Pendant toute l’ère du idées ont éclos en Europe et aux États-Unis. Certaines muet, les cinéastes européens avaient défié les conven- sont nées en réponse à des défis techniques et com- tions hollywoodiennes classiques. Vient ensuite une



Livre 1.indb 6 200L 26/05/2014 09:47:42 période de stagnation durant laquelle des régimes sion des jeux vidéo, conduirait à la disparition du ciné- autoritaires entravent la liberté d’expression, et les ma comme loisir collectif. S’il est vrai que le cinéma industries du cinéma sont mises en difficulté par les comprend deux versants, émotionnel et intellectuel, pratiques de doublage et de sous-titrage de Hollywood. nombre d’idées traitées dans ce livre resteront valables, L’avènement du néoréalisme italien d’après-guerre cor- tout comme, pour l’essentiel, le contenu du film et sa respond à une volonté nouvelle de peindre la vie telle forme sont restés les mêmes depuis un siècle. Les qu’elle est, marquant la fin de cette période sombre. styles, les techniques et les procédés ont leurs modes. Peu de temps après, la France connaît une période de Mais les films persistent à jouer sur des émotions uni- révolte contre les films trop lisses, aux scénarios trop verselles, et l’on peut espérer que le cinéma va conti- pensés et dotés de gros moyens de production : ainsi nuer de nous stimuler, nous charmer et nous réconfor- émerge la Nouvelle Vague, qui joue un rôle important ter, en dépeignant la réalité, ou en nous aidant à nous en Europe et aux États-Unis, avant d’inspirer la montée en évader. du Troisième cinéma : le cinéma devient alors vérita- blement un art international. L’Europe joue également un rôle fondamental dans la création des écoles, musées et archives du cinéma, et des festivals du film. Dès les années 1970, les grandes idées naissent essentiellement de la sphère technolo- gique et du monde des affaires. Les multinationales qui contrôlent les studios à partir des années 1960 ont identifié les jeunes comme le nouveau public cible, et lancent la production de blockbusters dans des genres comme la science-fiction, le fantastique et l’aventure, truffés d’effets spéciaux dernier cri et épaulés par des campagnes de publicité et de merchandising massives pour attirer les foules vers les salles multiplexes les plus sophistiquées. Certains critiques voient dans ce passage de Holly- wood sous la coupe de géants du multimédia la cause d’une infantilisation du cinéma grand public ; ils déplorent le recours permanent aux mêmes sources et la prolifération des suites et remakes qui nuisent à l’ori- ginalité. Mais on observe aussi une réaction inverse chez certains réalisateurs indépendants inspirés par les francs-tireurs du cinéma d’exploitation des années 1950 et 1960 ; par leur volonté d’aborder des thèmes que les studios refusaient de traiter, ils par- viennent à créer, au sein du cinéma d’art et d’essai, et à côté des films en langue étrangère, un créneau pour les films féministes, ethniques ou LGBT. Il est impossible de prévoir l’avenir du cinéma à dix ans. Il se dit que l’essor de l’interactivité, lié à la diffu-



Livre 1.indb 7 200L 26/05/2014 09:47:42 Projeter des illusions, créer l’évasion

IDÉE No 1 LA LANTERNE MAGIQUE

Cette lanterne optique comprenait essentiellement les mêmes éléments qu’un projecteur de cinéma : une source lumineuse, un mécanisme permettant de faire défiler les images par l’ouverture d’un boîtier opaque et des lentilles pour concentrer et projeter les images sur un écran à distance. Forme primitive

de divertissement de masse, elle préfigure également les Lanterne à lentille unique, fabriquée à Liverpool vers la fin des années 1880 expériences narratives des premiers cinéastes. par Archer & Sons.

Même pour le plus fervent des ciné- histoires de tous types, complétées par expérimental sur la forme, la texture et philes, les noms de Christiaan Huygens, des légendes, commentaires ou chan- le rythme. D’autre part, en associant Athanasius Kircher et Thomas Walgens- sons. Certains spectacles suivent même plaques fixes servant d’arrière-plan et tein n’évoqueront sans doute pas grand- simultanément des histoires situées en plaques portant les éléments animés, chose. Pourtant, ces savants du différents lieux. ces appareils préfigurent l’animation sur XVIIe siècle ont contribué à inventer la Qu’elles visent à éduquer ou à diver- celluloïd. Pionniers de la rétroprojection, lanterne magique, ancêtre des appareils tir, les plaques des lanternes content des Paul Philipstal et Étienne-Gaspard de projection, grâce à laquelle d’obscurs histoires réalistes ou romancées, fac- Robert (alias Robertson) projettent des Savoyards et Auvergnats émerveillaient tuelles ou fantastiques ; elles sont tour à images lugubres sur des écrans de gaze les monarques et les peuples de toute tour comiques, édifiantes, choquantes, et des nuages de fumée : ce sont les pre- l’Europe des années 1700 à la fin des voire pornographiques. La plupart sont miers spectacles d’épouvante gothique. années 1860. Si ces représentations pré- peintes à la main (d’où l’idée de colorier La lanterne magique a inspiré de parent le public à une forme de spec- les premiers films) et certaines sont nombreux cinéastes, dont Eadweard tacle collectif, l’invention des techniques munies de petits mécanismes, poulies Muybridge, Émile Reynaud et Georges narratives structurant les premiers films ou leviers, permettant d’animer des par- Méliès ; mais elle offre surtout aux est plus tardive, et revient à Henry ties de l’image. À l’aide de plusieurs lan- petites gens un moyen d’échapper un Langdon Childe ou à l’abbé Moigno. ternes ou lentilles, les bateleurs créent instant à leur dure condition. Dès ses Les Fantasmagories d’Étienne-Gas- toutes sortes de transformations, subs- débuts, le cinéma répond à ce même pard Robert à Paris (1798-1837) ou les titutions, disparitions, apparitions ou besoin d’évasion. Aujourd’hui encore, féeries de la Royal Polytechnic Institu- visions de rêve. Ils produisent aussi des comme aux premiers jours, les cinémas tion à Londres (1838-1881) sont extrê- fondus ou des fondus enchaînés, et les de campagne itinérants sillonnent les mement sophistiquées. Ainsi, vers 1895, lanternes montées sur chariots per- régions reculées d’Afrique ou d’Asie et y les spectacles de lanternes tout en cou- mettent d’agrandir ou de diminuer la captivent les foules. leurs sont si travaillés que, par compa- taille d’un objet projeté, préfigurant les raison, les premiers films en noir et plans larges, moyens ou rapprochés du blanc passent pour de vulgaires cinéma. amusettes. Des inventions comme le zootrope Il est vrai que les « lanternistes » pro- (tambour dans lequel défilent en sens jettent des plaques photographiques contraire des images séquentielles) ou le depuis les années 1860. Les premières choreutoscope donnent l’impression du sont une simple juxtaposition d’illustra- mouvement continu ; le chromatrope, tions, mais la technique se perfectionne l’eidotrope ou le cycloïdotrope créent et, plus tard, on les regroupe en bandes des alternances de formes et de cou- afin de conter de façon elliptique des leurs qui annoncent le travail du cinéma



Livre 1.indb 8 200L 26/05/2014 09:47:42 « Qu’elles visent à éduquer ou à divertir, les plaques des lanternes […] sont tour à tour comiques, édifiantes, choquantes, voire pornographiques. »

Images tirées de 24 plaques en verre inspirées des dessins originaux de Sir John Tenniel pour Alice au pays des merveilles.

Livre 1.indb 9 200L 26/05/2014 09:47:42

CI-DESSUS : Études du mouvement CI-DESSOUS : Cette séquence par Eadweard Muybridge équestre, également due à publiées dans Animal Locomotion Muybridge, a été projetée au (1887). moyen d’un zoopraxiscope, sous le titre Sallie Gardner au galop (1878).

Livre 1.indb 10 200L 26/05/2014 09:47:42

Il est là, il est… toujours là

CI-DESSUS : Ce disque magique des CI-DESSOUS : Affiche de Jules Cheret o IDÉE N 2 années 1840 est une variante du vantant une scène animée de phénakistiscope exploitant la Pauvre Pierrot au Théâtre Optique LA PERSISTANCE persistance rétinienne pour créer d’Émile Reynaud en 1892. l’illusion du mouvement. RÉTINIENNE Pendant le siècle précédant la projection du mouvement (et les décennies suivantes), on croyait qu’une rapide succession d’images immobiles pouvait être perçue comme un seul mouvement continu grâce à un phénomène perceptif, la persistance rétinienne. Remis en cause depuis lors par les scientifiques et les psychologues, ce concept suscite pourtant encore le débat.

Remarqué pour la première fois par le L’aspect mécanique de l’enregistre- poète romain Lucrèce dans De rerum ment et de la projection d’images en natura (65 av. J.-C.), le phénomène de la mouvement ayant à peine changé entre persistance rétinienne est démontré les années 1890 et l’ère du numérique, la en 1765 par un mathématicien, le che- portée d’une telle erreur de conception valier Patrice d’Arcy, qui imagine de faire psycho-perceptive est incalculable. tourner des charbons ardents sur une Pourtant, les psychologues demeurent roue. L’Anglais Peter Mark Roget décrit le perplexes devant les mécanismes neu- phénomène en 1824 et élabore une ronaux et cognitifs qui déterminent la théorie selon laquelle une image per- perception du mouvement intermittent. siste fugacement sur la rétine après Prise isolément, l’hypothèse de la avoir quitté le champ de vision, inspirant persistance rétinienne semble absurde, toute une série de jouets créant l’illusion car le spectateur perçoit dans les films du mouvement à partir d’images fixes. non pas une suite d’images immobiles, projection est interrompu environ Citons entre autres le thaumatrope de mais une action continue. Elle est néan- 50 fois par seconde. Pourtant, des John Ayrton Paris, le phénakistiscope de moins plus compréhensible associée à experts rejettent cette théorie, privilé- Joseph Plateau et le daedalum de Wil- l’effet phi, ou effet stroboscopique, giant l’hypothèse du « mouvement liam George Horner, renommé zootrope décrit par le psychologue gestaltiste apparent » : des stimuli semblables à par William F. Lincoln en 1867. Max Wertheimer dans ses Études expéri- ceux du mouvement pourraient duper En 1849, J. Plateau fixe sur son phé- mentales sur la vision du mouvement certaines cellules de l’œil et du cerveau nakistiscope des plaques photogra- (1912), qui explique pourquoi les lames responsables de l’analyse du mouve- phiques : la course à la capture du d’un ventilateur en mouvement sont ment, qui enverraient alors un signal mouvement réel est lancée. Dans les perçues comme un seul cercle. erroné. années 1880, les efforts d’Eadweard Si c’est l’effet phi qui crée l’impres- Quoi qu’il en soit, pour éliminer le Muybridge et Étienne-Jules Marey, spé- sion de mouvement entre les images à papillotement, l’obturateur rotatif à l’in- cialistes du mouvement chez les êtres une vitesse de projection optimale de térieur du projecteur doit permettre à vivants, permettent la mise au point de 12 à 24 images par seconde, la persis- chaque image d’être projetée deux fois la chronophotographie, reprise et affi- tance rétinienne évite au spectateur de sur l’écran : quand on regarde un film, on née par et les frères percevoir le noir entre chaque image en passe la moitié du temps à regarder une Lumière pour leurs appareils respectifs : créant une « fusion » qui élimine le illusion d’optique et l’autre moitié assis le Kinétographe et le Cinématographe. papillotement lorsque le faisceau de dans le noir, face à un écran blanc.



Livre 1.indb 11 200L 26/05/2014 09:47:42 L’invention d’Edison, avant la projection

Les clients payaient 25 cents pour voir cinq films au Parlour des frères Holland, ouvert sur Broadway, à New York, en avril 1894.

IDÉE No 3 LE KINÉTOSCOPE

Ce premier appareil de visionnage de films (chaque spectateur regardait le film par un œilleton ménagé dans le boîtier du kinétoscope) est souvent considéré comme l’une des impasses du cinéma naissant. Supplanté dès 1895 par le Cinématographe, il a joué malgré tout un rôle technique, industriel, esthétique et commercial considérable.

Thomas Edison, inventeur du phono- persistance rétinienne et les bandes de toscopiques, d’une durée de 20 à 40 s, au graphe, cherchait depuis longtemps à pellicule perforées d’Émile Reynaud Black Maria, le tout premier studio. C’est créer « un instrument qui fasse pour (Théâtre Optique). ainsi qu’est tournée la première l’œil ce que le phonographe fait pour En 1889, Dickson réalise un proto- séquence comique filmée : Fred Ott’s l’oreille ». En 1888, il rencontre Eadweard type du kinétographe, fonctionnant à Sneeze (L’Éternuement de Fred Ott, Muybridge, pionnier de la photographie bandes celluloïd en 35 mm, invention de 1894). Des films montrant le culturiste séquentielle, et imagine alors le principe George Eastman. En mai 1891, une pre- Eugene Sandow, la danseuse Annabelle du kinétoscope. Edison confie le projet à mière présentation privée a lieu devant Moore ou les rois de la gâchette Annie William Kennedy Laurie Dickson qui fait la National Federation of Women’s Oakley et Buffalo Bill font le lien avec les des essais de prise de vues avec le cellu- Clubs. C’est seulement deux ans plus autres divertissements populaires. Tout loïd sensibilisé inventé par John Car- tard, en mai 1893, qu’a lieu la première comme ses rivaux, Edison enregistre butt ; il développe finalement lui-même présentation ouverte au public, celle de aussi des événements sportifs. son invention après sa rencontre avec Blacksmith Scene, au Brooklyn Institute C’est à l’occasion d’un match de Étienne-Jules Marey à l’Exposition uni- of Arts and Sciences ; en avril 1894, les boxe organisé par la famille Latham que verselle de Paris en 1889. Il s’appuie sur frères Holland ouvrent la première salle l’on parvient, grâce à la « boucle de deux autres découvertes : le principe de kinétoscopes sur Broadway, à New Latham », à faire des films plus longs. La d’intermittence de la pellicule, inventé York. famille Latham signe également le pre- par Ottomar Anschütz (Tachyscope élec- Dickson et son assistant William mier contrat d’exclusivité avec une star, trique), permettant de tirer parti de la Heise réalisent leurs premiers films kiné- le boxeur Gentleman Jim Corbett



Livre 1.indb 12 200L 26/05/2014 09:47:42 CI-DESSUS : Intérieur de la CI-DESSOUS : Construit pour 637,67 $ Kinetoscope, Phonograph and sur le terrain du laboratoire de Graphophone Arcade d’Edison, Thomas Edison à West Orange, gérée par Peter Bacigalupi le Black Maria est le premier au 946 Market Street, studio de cinéma édifié à San Francisco. spécifiquement à cet effet. en 1894 ; la même année, le sénateur Edison continue à bricoler ses kiné- James A. Bradley initie la censure à toscopes à projection jusqu’en 1914. Le l’écran : il s’élève contre une projection cinéma américain est alors dominé par montrant les chevilles de la danseuse D.W. Griffith, qui en affine l’usage pour Carmencita, pourtant dûment revêtues l’American Mutoscope and Biograph de bas... Company ; Dickson le rejoint après avoir De nombreux Européens s’inspirent claqué la porte d’Edison’s Enterprises. du kinétoscope, parmi lesquels les frères L’erreur d’Edison aura été de croire que Lumière et R.W. Paul. En effet, Edison ne les films sont une affaire de techniciens parvient pas à breveter son invention à plutôt que d’artistes. L’héritage du kiné- l’international, ce qui lui coûtera cher, toscope survit à travers le visionnage de tandis que la stricte application des films à la télévision, en vidéo, en DVD, copyrights aux États-Unis déclenche la sur ordinateur ou téléphone portable. « Guerre des Brevets » (voir Le long métrage), épisode crucial dans la nais- sance de l’industrie du cinéma à Holly- wood (dont plusieurs des principaux protagonistes ont dirigé des salles de kinétoscopes).



Livre 1.indb 13 200L 26/05/2014 09:47:42 Affiche de 1896 réalisée par Henri Brispot illustrant l’attrait du Cinématographe pour toutes les classes sociales.

Livre 1.indb 14 200L 26/05/2014 09:47:43 Quand l’image prend vie

CI-DESSUS : Affiche classique de CI-DESSOUS : L’espiègle Benoît Duval Marcellin Auzolle pour L’Arroseur asperge le jardinier François Clerc, o arrosé (1895). scène reproduite avec le public IDÉE N 4 ravi sur l’affiche du film. LE CINÉMATOGRAPHE

Au Grand Café, à Paris, le 28 décembre 1895, à l’aide d’un appareil tenant à la fois de la caméra, de la tireuse et du projecteur, les frères Lumière organisent une séance de projection payante de dix petits films. On considère que cette date marque la naissance du cinéma.

Trente-cinq clients paient chacun un Lumière produit également le premier franc pour assister au premier spec- film de comédie, L’Arroseur arrosé, où l’on tacle ; bientôt, les frères Lumière voit un garçon asperger un jardinier avec vendent 7 000 tickets par semaine et son propre tuyau. tout le monde se presse pour voir leurs Les frères Lumière réalisent avant « vues animées ». Ce succès marque la tout des films familiaux, comme Repas fin de l’ère des inventeurs, où savants, de bébé (1895), et c’est à leurs employés, (1912), l’Arriflex (1937) ou l’Éclair Came- hommes de spectacle et originaux envoyés aux quatre coins du monde, flex (1948), adoptent son système comme Muybridge, Marey, Janssen, Le qu’il revient de perfectionner les tech- d’avance intermittente qui fait passer une Prince, LeRoy, Friese-Greene, Acres ou les niques de tournage. Dans presque tous bande de pellicule négative sur une roue frères Skladanowsky rivalisent pour les pays, la première projection est faite à rochet devant une lentille et un orifice, réussir à enregistrer le mouvement. Ce avec un Cinématographe : des opéra- et la maintient en place pendant qu’un sont pourtant bien le kinétographe et le teurs comme Alexandre Promio attirent obturateur s’ouvre, laissant entrer la kinétoscope d’Edison qui ont déclenché les curieux en filmant des sites embléma- lumière qui, focalisée par la lentille, est cette course à la projection. tiques locaux, ensuite présentés au public fixée par l’émulsion chimique à la sur- Filmé avec le prototype du Cinéma- européen sous forme de carnets de face du celluloïd. tographe, La Sortie des Usines Lumière voyage. Louis Lumière cesse de produire des est le premier film tourné spécialement Empruntant son mécanisme au films en 1900 pour consacrer son éner- pour la projection. La première a lieu en kinétographe et son nom à un appareil gie à l’écran large, à la couleur et aux privé, le 22 mars 1895. Imitant le style de de chronophotographie défectueux bre- procédés de stéréoscopie. Il manque composition de la photographie de veté par Léon-Guillaume Bouly, le Ciné- pourtant une belle occasion en refusant l’époque, Louis Lumière inaugure la ten- matographe, mis au point par les frères les 10 000 francs que lui propose pour dance qui se poursuivra jusque Lumière et l’ingénieur Jules Carpentier, un Cinématographe un spectateur du vers 1900 : filmer des événements de la pose les bases de l’enregistrement et de premier soir en 1895 : le spectateur en vie quotidienne. En effet, la légèreté de la projection d’images en mouvement, question, l’artiste et magicien Georges la caméra permet de filmer en exté- qui resteront quasi inchangées pendant Méliès, sera le premier conteur à rieur ; son placement pour L’Arrivée d’un des décennies. Il fonctionne à 16 images connaître le succès commercial avec le train en Gare de La Ciotat exploite la par seconde, fréquence qui restera la cinéma. puissance cinétique de la locomotive à norme jusqu’à ce que le son oblige à pas- l’approche, mais utilise aussi de manière ser à 24 images par seconde. Toute une innovante l’espace hors-champ en fai- série de modèles populaires de caméras, sant entrer dans le champ des person- la Pathé Professional (1905), la Debrie nages venant par derrière l’objectif. Parvo (1908), la Bell & Howell Studio



Livre 1.indb 15 200L 26/05/2014 09:47:43 Une expérience collective d’une réalité plus vraie que nature

IDÉE No 5 LA PROJECTION

La fascination pour les formes projetées est plus ancienne encore que la Caverne de Platon. S’il faut attendre la fin du XIXe siècle pour voir des images s’animer sur un écran, EN HAUT : Projection du réel : CI-DESSUS : Robert Donat dans à chaque étape de la préhistoire du cinéma, des machines L’Arrivée d’un train en Gare de La le biopic des frères Boulting, Ciotat (1895), par Louis Lumière. La Boîte magique (1951), qui et des procédés ont été inventés pour un public de masse. attribue à William Friese-Greene la paternité de la première caméra-projecteur.

Dans le Bellicorum Instrumentorum l’émerveillement collectif pour éblouir, métrages pédagogiques, les messages de Liber, publié en 1420, Giovanni da Fon- ravir ou déconcerter. Cette soif de sensa- la propagande touchent à coup sûr un tana suggère par une illustration com- tions partagées explique le succès des public aussi large que possible. ment on peut terroriser l’ennemi en matinées du samedi pour les enfants, Pourtant, au sortir de la Seconde projetant dans l’air des images démo- des programmes doubles de fin de soi- Guerre mondiale, la concurrence niaques à l’aide d’une lanterne. Au rée pour les films de suspense ou d’épou- d’autres loisirs, notamment la télévision, milieu du XIXe siècle, T.W. Naylor et Franz vante, ou des comédies musicales fait chuter la fréquentation des salles. von Uchatius tentent de projeter des comme La Mélodie du bonheur (1965) ou Dès les années 1950, pour attirer le images avec des jouets optiques ; Henry Grease (1978) avec reprise des chansons public, les studios se mettent à investir Heyl, Thomas Ross, Eadweard Muy- par le public. massivement dans le grand écran, la bridge et Ottomar Anschütz cherchent La projection publique fait du couleur et la stéréophonie, même si les quant à eux à projeter des images en cinéma un loisir respectable. Pour films finissent sur les chaînes natio- mouvement à partir de photos ou de répondre à la demande, la production nales. Hollywood essaie également de copies manuelles. Thomas Edison réus- s’industrialise et de nouveaux genres séduire la jeune génération avec la 3D, le sit à mettre au point la cinématogra- émergent, ce qui forme les goûts du drive-in et le cinéma exploitation. Cet phie, mais la dimension commerciale ou public et permet de minimiser le risque effort pour attirer un public adolescent collective de la projection lui échappe ; il d’échec au box-office. Pour satisfaire le dans des multiplexes à écran géant avec en paie le prix, car ses salles de kinétos- spectateur, avide de nouveauté et de des films bourrés d’effets spéciaux signe copes disparaissent avec l’ouverture des divertissement, on invente des techno- l’avènement de l’ère des blockbusters, nickelodeons, où un public urbain de logies et des stratégies narratives nou- qui dure depuis le milieu des tous âges, classes et origines découvre velles. Les loisirs populaires ont années 1970. les débuts de la narration au cinéma. également une fonction de contrôle Malgré le déploiement du numé- La célèbre anecdote selon laquelle social : la censure élimine certaines rique, la projection n’a guère changé les spectateurs auraient plongé sous les idées et en favorise d’autres, plus accep- depuis 1895. Reste désormais à voir quel sièges lors de la projection de L’Arrivée tables pour ceux qui financent les stu- sera l’impact du cinéma interactif, pro- d’un train en Gare de La Ciotat de Louis dios ou distribuent les subventions. mis depuis longtemps, sur l’expérience Lumière est très certainement apo- Cette dimension collective est particu- collective traditionnelle. cryphe, mais elle n’est pas si incroyable : lièrement utile en cas de crise politique : les pionniers du cinéma, comme le dans les longs métrages, les documen- magicien Georges Méliès, exploitent taires, les actualités ou les courts



Livre 1.indb 16 200L 26/05/2014 09:47:43 Les collines sont vivantes : Julie Andrews dans La Mélodie du bonheur (1965), devenu un film culte où le public est invité à chanter pendant certaines projections.

Livre 1.indb 17 200L 26/05/2014 09:47:43