Lautréamont : «Les Chants De Maldoror»
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ÉTUDES LITTÉRAIRES LAUTRÉAMONT Les Chants de Maldoror PAR VALÉRY HUGOTTE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE ÉTUDES LITTÉRAIRES Collection dirigée par Jean-Pierre de Beaumarchais Daniel Couty ISBN 2 13 049971 6 Dépôt légal — 1 édition : 1999, mai © Presses Universitaires de France, 1999 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris A vertissement Nous nous sommes référés à l'édition Corti des Chants de Maldoror. Dans l'édition originale des Chants, seuls sont numérotés les huit « chapitres » du Chant VI. Cependant, afin de faciliter les renvois aux diverses éditions de l'œuvre, nous indiquons en chiffres romains la référence au Chant suivie, en chiffres arabes, du numéro de la strophe (de I, 1 à V, 7) ; pour le Chant VI, nous avons numéroté les deux parties de la « préface » (VI, 1 et VI, 2), mais nous avons gardé la numérotation en chiffres romains des huit dernières stro- phes (de VI, I à VI, VIII). En ce qui concerne les Poésies, la pagination renvoie à l'édition Corti. L'auteur « Que diable pouvait faire, dans la vie, l'homme qui a écrit d'aussi terribles rêves ? » La question posée par Huysmans lors de sa découverte des Chants de Maldoror resta longtemps sans réponse, de sorte que le mystère entourant Isidore Ducasse contribua grandement à la célébration passionnée du « cas Lautréamont » dans la première moitié de notre siècle. On doit aujourd'hui aux recherches inlassables de plusieurs biographes' de mieux connaître la vie de l'un des poètes les plus énigmatiques de la littérature française. Une vie dont on ne rapportera pas ici les principaux éléments sans rappeler les mots de Nietzsche : « Tout esprit profond a besoin d'un masque ; je dirais plus : un masque se forme sans cesse autour de tout esprit profond, parce que chacune de ses paroles, chacun de ses actes, chacune de ses manifestations est continuellement l'objet d'une interprétation fausse, c'est- à-dire plate. »2 En 1839, François Ducasse, instituteur public âgé de trente ans, quitte le village de Sarniguet, près de Tarbes, pour gagner l'Uruguay où, quelques années plus tard, il occupera le poste de chancelier au consulat et consti- tuera une importante fortune. L'Amérique du Sud accueille alors de nombreux émigrants du sud-ouest de la France : Jules Laforgue naîtra également dans la capi- tale uruguayenne de parents tarbais. C'est ainsi à Mon- tevideo que, le 21 février 1846, François Ducasse épouse Célestine Jacquette Davezac, elle-même originaire de 1. On se reportera en particulier aux travaux de François Caradec, d'Edouard Peyrouzet et de Jean-Jacques Lefrère. 2. Par-delà le bien et le mal, trad. C. Heim, Paris, Gallimard. « Idées », 1973, p. 59. Sarniguet. Ce mariage précipité précède de peu la nais- sance - « sur les rives américaines, à l'embouchure de la Plata » - de leur unique enfant, Isidore Lucien, le 4 avril de la même année. L'enfant ne connaîtra pratiquement pas sa mère, décédée le 9 décembre 1847. Isidore Ducasse naît dans une ville assiégée. En effet, l'Uruguay est déchiré depuis 1839 par une guerre civile opposant les Rouges, partisans du président Rivera appuyés par la France, et les Blancs de l'ancien prési- dent Oribe, soutenus par le dictateur argentin Rosas. De 1843 à 1851, la ville de Montevideo est assiégée par les Blancs et cette « nouvelle Troie », selon le titre d'un roman d'Alexandre Dumas, doit être approvisionnée par la flotte française. La guerra grande se termine le 8 octobre 1851, mais le pays reste marqué durant les années 1850 par des insurrections et des émeutes. L'enfance d'Isidore Ducasse est ainsi partagée entre l'insouciance d'une famille relativement aisée et la ter- reur d'Européens plongés au cœur de conflits d'une extrême violence. Et sans doute est-il marqué à la fois par les traditions uruguayennes et par une culture fran- çaise très présente à Montevideo : on parle aussi bien le français que l'espagnol dans une capitale surnommée le « Petit Paris ». Cette première période de la jeunesse d'Isidore Ducasse s'achève en 1859, quand son père l'inscrit comme interne au lycée impérial de Tarbes. Après une longue traversée, Isidore Ducasse découvre la France et les contraintes de l'internat. C'est durant sa scolarité à Tarbes qu'il rencontre plusieurs futurs dédicataires des Poésies, et tout particulièrement Georges Dazet. Malgré une importante différence d'âge (Georges Dazet est âgé de huit ans tandis qu'Isidore Ducasse arrive en France à treize ans), cette rencontre semble avoir été extrêmement importante pour le poète. Tous les biographes d'Isidore Ducasse ont cherché à percer le secret de son amitié pour ce jeune garçon qui deviendra un brillant avocat et un proche de Jules Guesde, le fondateur du Parti ouvrier français. Le nom de Dazet est en effet cité plusieurs fois dans la première édition du Chant premier et figure en tête de la liste des dédicataires des Poésies : il peut être tentant de reconnaître en lui le modèle de tous les per- sonnages d'adolescents bientôt séduits et violentés par Maldoror. On ignore tout d'Isidore Ducasse entre sa sortie de la quatrième du lycée de Tarbes en août 1862 et son entrée au lycée de Pau en octobre 1863. Sans doute a-t-il pro- fité de cette année pour rattraper son retard, puisqu'il entre directement en classe de rhétorique. Il assiste alors aux leçons de Gustave Hinstin, un jeune professeur qui sera un autre dédicataire des Poésies. L'été 1865, à l'issue de la classe de philosophie, Ducasse passe avec succès son baccalauréat ès lettres. Il reste une année encore au lycée de Pau afin de se présenter au baccalau- réat ès sciences durant l'été 1866, mais on ne sait s'il fut reçu. Il réside probablement à Tarbes jusqu'en mai 1867 avant de rejoindre son père à Montevideo. Quand il revient en France près d'un an plus tard, Isi- dore Ducasse a obtenu de son père qu'il lui paye une pension dans un appartement meublé à Paris, ainsi que les frais d'impression de ses premiers écrits. Si, dans une lettre au banquier Darasse, le poète évoque « le déplo- rable système de méfiance prescrit vaguement par la bizarrerie de [s]on père », c'est pourtant bien à celui-ci qu'il doit de pouvoir se consacrer pleinement à l'écri- ture. Il s'installe d'ailleurs dans l'un des quartiers les plus riches et les plus en vogue du Paris haussmannien, près de la Bourse et des grands boulevards. Malgré plu- sieurs déménagements, Ducasse ne quittera jamais ce quartier - du moins ne le quittera-t-il qu'en 1870 pour rejoindre le Panthéon d'une modernité à venir. En août 1868, Ducasse publie anonymement le Chant premier à compte d'auteur. Il envoie la plaquette à divers critiques ainsi qu'à Victor Hugo ; la lettre qu'il adresse à l'exilé de Guernesey se referme sur cette phrase éloquente : « Je frémis de vous avoir écrit, moi qui ne suis encore rien dans ce siècle, tandis que vous, vous y êtes le Tout. » Un « encore » qui en dit long... C'est ce même Chant premier que Ducasse fait paraître au début de l'année 1869 dans le recueil collectif Parfums de l'âme avec quelques variantes. Malgré cette double publica- tion, Maldoror passe presque inaperçu : seule une note de la petite revue d'étudiants La Jeunesse rend compte de la naissance de ce « cousin de Childe-Harold et de Faust ». Cependant, loin de céder au découragement, Ducasse paraît s'être consacré à l'écriture des chants sui- vants avec plus d'ardeur encore - il a bien été écrit que « la fin du dix-neuvième siècle verra son poète » (I, 14). En effet, dès l'été 1869, l'édition complète des Chants de Maldoror est imprimée par Lacroix, l'éditeur de Hugo, de Sue, de Michelet et du Melmoth de Maturin. Cette édition est l'unique ouvrage signé par le « comte de Lautréamont », un pseudonyme emprunté au roman Latréaumont d'Eugène Sue. En fait, le nom de Lautréa- mont reste dans l'ombre, Lacroix se refusant, par crainte de la censure impériale, à publier un ouvrage si scanda- leux. Crainte légitime : l'éditeur Poulet-Malassis, qui connaissait bien la censure pour en avoir été victime, devait noter, dans son Bulletin trimestriel des publica- tions défendues en France imprimées à l'étranger, que « le sacrement de la sixième chambre ne lui eût pas man- qué ». On comprend que Lacroix ait préféré esquiver un tel « sacrement » et se soit contenté de fournir quelques exemplaires de l'œuvre au poète. Lautréamont ne survit pas à la publication de ses Chants, puisque c'est en signant de son vrai nom qu'Isi- dore Ducasse tente une dernière fois de vaincre l'in- différence des critiques et du public avec les deux fasci- cules des Poésies, qui paraissent en avril et en juin 1870. Isidore Ducasse a-t-il « renié son passé », comme il l'écrit alors à Poulet-Malassis ? C'est en tout cas en fai- sant l'éloge (sincère ?) du classicisme, du bon sens et de l'ordre qu'il entend désormais combattre les « Grandes- Têtes-Molles » de son époque. Les Poésies sont caracté- risées par un étonnant recours au « plagiat », Ducasse corrigeant certaines phrases de Vauvenargues, de Pascal ou de La Rochefoucauld. Les deux fascicules des Poésies se présentent comme les premiers volumes d'une publica- tion permanente. Ducasse prévoyait-il de rédiger d'autres volumes ? Dans la France exaltée de 1870 bientôt con- frontée à la déclaration de guerre, cette « préface » passe naturellement inaperçue et la « publication permanente » d'Isidore Ducasse restera à jamais suspendue : le 24 novembre, alors que Paris est assiégé par les troupes prussiennes, le poète meurt à son domicile.