Un Café De Journalistes Sous Napoléon III Philibert Audebrand
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Un café de journalistes sous Napoléon III Philibert Audebrand Édition préparée par Guillaume McNeil-Arteau et Guillaume Pinson [Médias 19, 2011] Audebrand, Un café de journalistes sous Napoléon III Informations sur l’édition Cette édition est la version PDF du texte numérique disponible sur www.medias19.org (http://www.medias19.org/index.php?id=256) L’établissement du texte a été effectué à partir de l’édition de 1888 (Paris, Dentu), disponible en version image sur http://gallica.bnf.fr. Les paragraphes sont numérotés afin de respecter la concordance avec la version numérique et permettre la citation. Placé sous licence Creative Commons, le texte peut être repris librement à condition de citer le nom de l’auteur original, de ne pas faire d’utilisation commerciale du contenu et de ne pas le modifier. Le projet Médias 19 Lancé en 2011, le site Médias 19 est consacré à l'étude de la culture médiatique au 19e siècle et en tout premier lieu au journalisme. Le site propose la réédition annotée de textes d'époque, de corpus d'articles, de fictions ou d'essais, qui portent sur le journalisme. Il publiera progressivement la première édition d'un dictionnaire des journalistes francophones du 19e siècle. Il offre enfin l'accès à des dossiers scientifiques portant sur tous les aspects de la culture médiatique, rédigés par des spécialistes universitaires. Audebrand, Un café de journalistes sous Napoléon III Introduction Guillaume McNeil-Arteau et Guillaume Pinson hilibert Audebrand est un vieux routier de la presse du XIXe siècle. Né à Saint-Amand en 1816, mort à Paris en 1906, il traverse le siècle en témoin et P acteur des grands bouleversements de la culture médiatique. Il a fait ses débuts dans la petite presse, cette constellation de publications périodiques souvent railleuses et mordantes, mais aussi l’un des berceau de la modernité littéraire : au Tam-Tam, au Vert-Vert, au Charivari, au Corsaire, plus tard au Mousquetaire d’Alexandre Dumas, dont il rendra compte dans un autre ouvrage de souvenirs qu’il publie la même année que le Café, soit 18881. 2. Un café de journalistes n’est pas un grand livre. Déroulant un grand nombre d’anecdotes et largement fictionnalisé, conformément au genre des souvenirs de la vie littéraires qui connaît un grand succès dans la deuxième moitié du siècle, ce n’est pas non plus un livre qui pourra permettre de comprendre en détails les pratiques effectives des journalistes, leurs occupations, leur métier. La sociabilité qui y est décrite est largement imaginaire et fantasmatique2. Mais c’est un livre utile pour saisir un certain état d’esprit qui a été celui des journalistes d’expérience après la chute du second Empire. D’abord parce que c’est dans ce type d’ouvrage que va commencer à se cristalliser, pour la postérité, l’image d’un certain journalisme littéraire : joyeux, fondé sur les sociabilités et les plaisirs du Boulevard. Tout le recueil d’Audebrand est ainsi organisé autour des scènes de café – à commencer par le café de Robespierre – ce lieu emblématique qui permet aux souvenirs de trouver leur ancrage et prétexte à dérouler les conversations échevelées des journalistes, les bons mots et les blagues. Les mémorialistes comme Audebrand commencent ainsi à élaborer l’image d’un second Empire insouciant et festif, ce second Empire d’Offenbach que Kracaeur avait naguère 1 Voir Philibert Audebrand, Alexandre Dumas à la Maison d’Or. Souvenirs de la vie littéraire, Paris, Calmann-Lévy, 1888. 2 Voir Guillaume Pinson et Michel Lacroix (dir.), Les sociabilités imaginées : représentations et enjeux sociaux, revue Tangence, no 80 (hiver 2006). Audebrand, Un café de journalistes sous Napoléon III tenté de saisir, en se fondant très largement sur des sources comme celles d’Audebrand3. 3. Par ailleurs, l’ouvrage d’Audebrand a ceci d’intéressant, notamment dans sa tonalité vaguement mélancolique, qu’il permet d’établir une temporalité propre à la culture médiatique au XIXe siècle, souvent moins perçue par les spécialistes, ou plus difficile à établir. À une époque ou le journalisme subit cette révolution que sont la professionnalisation et la consécration de la grande presse d’information, Audebrand exprime en effet le regret d’un certain journalisme en voie de disparition, plus artisanal et encore beaucoup lié aux anciennes sociabilités littéraires. Le café s’impose comme le lieu emblématique d’un temps révolu ; construit sur une boucle, l’ouvrage s’ouvre et se referme sur la disparition du café de Robespierre, rasé lors des modernisations qui bouleverse la capitale à partir de la fin du second Empire. La génération de journalistes que représente Audebrand, née dans le premier tiers du siècle, est bien placée pour sentir tout ce que l’entrée dans l’ère du journal moderne après 1870, voué à l’information, aux tirages inégalés, peut modifier dans les rapports sociaux et professionnels. Le véritable « savoir » de ce recueil de souvenirs est là : dans cette expression d’un rapport sensible au temps, au changement, aux manières de faire. 4. Une telle sensibilité passe par les innombrables références littéraires qui parsèment le propos d’Audebrand, les allusions incessantes à des auteurs et à des œuvres ancienne ou contemporains de la rédaction, qui prouvent que l’horizon des journalistes demeure la littérature. Il y a là un bagage culturel, un véritable « patrimoine » dirait-on aujourd’hui, qui vient se heurter à l’invention du journalisme de masse, fondé sur de nouvelles bases. Par contrecoup, l’ouvrage de souvenirs d’Audebrand s’emploie à reconstituer l’image d’une époque guère ancienne chronologiquement mais formant une sorte de préhistoire médiatique, animée par des microsociétés dont le travail était encore intimement lié aux anciennes sociabilités et aux réseaux lettrés. De fait, à partir de la fin du siècle on peu déceler les premiers indices d’une professionnalisation du journalisme, s’accompagnant notamment de pratiques sociales nouvelles4. Comme l’a montré Marc Martin, des formes de sociabilités professionnelles se mettent alors en place avec la naissance des premières associations de journalistes à la fin des années 18705; il s’agit essentiellement de réseaux d’entraides qui visent à affirmer et à promouvoir la nouvelle identité sociale et professionnelle des journalistes. Des bulletins d’association enregistrent méticuleusement les activités, comme le Bulletin de l’Association des journalistes parisiens, fondé en 1885. Dans un tel contexte, le noctambulisme des tâcherons de la plume et la joyeuse improvisation qui caractérisait le travail des journalistes comme Audebrand n’est plus désormais une représentation adéquate du journalisme. Au règne du café a succédé celui du banquet d’association, officiellement constitué et souvent patronné par les autorités 3 Voir Siegfried Kracauer, Jacques Offenbach ou le secret du Second Empire, Paris, Grasset, 1937. 4 Sur la professionnalisation du journalisme, voir Christian Delporte, Les Journalistes (1850- 1950). Naissance et construction d’une profession, Paris, Seuil, 1999. 5 Marc Martin, « Structures de sociabilité dans la presse : les associations de journalistes en France à la fin du XIXe siècle », dans Sociabilité, pouvoirs, société, Publications de l’Université de Rouen, 1987, et « La grande famille : l’Association des journalistes parisiens (1885-1939) », Revue historique, janvier-mars 1986, p. 129-157. Audebrand, Un café de journalistes sous Napoléon III politiques6. Une nouvelle pratique de l’imprimé se met en place à l’orée du XXe siècle et pour en témoigner paraissent les premiers guides sérieux sur le journalisme, avec les rudiments du travail et l’ébauche d’une déontologie7, ou encore certains essais sur le monde de la presse et son fonctionnement8. L’intérêt premier d’un texte comme celui d’Audebrand est donc qu’il est l’expression sensible d’un certain regret face à un journalisme en pleine transformation. Comme toujours, parler du passé c’est aussi dire quelque chose du présent. 5. Le texte qu’on va lire est le représentant d’un genre, celui des mémoires de journalistes. Médias 19 en publiera d’autres – d’Audebrand bien sûr, mais aussi de Firmin Maillard ou encore d’Arthur Meyer, directeur du Gaulois – dans un avenir rapproché. On pourra ainsi apprécier ce qui a pu faire naguère le succès d’un genre qu’il faut concevoir à la frontière de la fiction, comme tout le journalisme du XIXe siècle. Un genre en interaction immédiate avec la presse également, composé bien souvent de collages d’anecdotes et de reprises de microformes journalistiques préalablement publiées, telles que les nouvelles à la main9. 6. Pour préparer et annoter ce texte, nous nous sommes servis de la seule édition connue de l’ouvrage d’Audebrand, datée de 1888. Elle est disponible en format numérisé sur Gallica, à la Bibliothèque nationale de France. Nous avons corrigé de ses nombreuses coquilles un texte manifestement écrit à la va-vite, sans grand soin d’édition. On pourra se rendre compte que ce type d’ouvrage présente de nombreuses difficultés lorsqu’il s’agit de lever certaines obscurités, notamment celle qui entoure les carrières de journalistes parfois évoquées en quelques mots par Audebrand. Au fil du texte l’appareil critique essaie de donner quelques informations lorsque cela est possible ; parfois les données sont extrêmement lacunaires. Le hasard de recherches ultérieures viendra sans doute compléter certaines notices et nous comptons aussi sur le réseau de Médias 19, chercheurs et public avisé, pour suggérer des ajouts et des corrections. 6 Le Bulletin de l’Association des journalistes parisiens par exemple en rend compte à chacun de ses numéros. 7 Vincent Jamati, Pour devenir journaliste, Paris, Victorion, 1906; Alexandre Guérin, Comment on devient journaliste, Lyon, Publications universelles illustrées, 1910. 8 Eugène Dubief, Le Journalisme, Paris, Hachette, 1892; Jacques Pigelet, L’Organisation intérieure de la presse périodique française, Orléans, Pigelet, 1909.