L’univers étrange de Ralph Eugene Meatyard

Fantômes de l’écrit chez Ralph Eugene Meatyard ...... 4 Ralph Eugene Meatyard ...... 25 L’univers étrange de Ralph Eugene Meatyard ...... 10 RALPH EUGENE MEATYARD ...... 11 Ralph Eugene Meatyard: The Man Behind the Masks ...... 13 Les suds profonds de l'Amérique ...... 15 RALPH EUGENE MEATYARD ...... 16 Ralph Eugene Meatyard Sets the Stage ...... 20 Dolls And Masks by Ralph Eugene Meatyard (26 photos) ...... 22 RALPH EUGENE MEATYARD: THE FAMILY ALBUM OF LUCYBELLE CRATER AT DC MOORE GALLERY ...... 23

J’ai découvert Ralph Eugen Meatyard il y a quelques années lors d’une exposition au Pavillon populaire de Montpellier. Elle était consacrée à 3 photographes du Sud américain. Depuis, je ne cesse de repenser à l’étrangeté de ses images. J’avais d’abord vu cette œuvre à travers le mot clef « Sud profond » que je découvrais en 1976 à Jackson Mississipi. J’avais été frappé par ce que je pensais être la cohérence entre ces masques, ces bicoques délabrées, cette unicité de visages de blancs avec ce que j’avais perçu de la misère symbolique de ce peuple blanc triste et déclassé de la bible belt et du sud, à peine capable de se hisser à la hauteur des petits héros faulknériens.

En fait, je pense que c’est un contresens car REM est un homme différent et paradoxal.

Vous trouverez dans le dossier un texte piqué sur internet qui développe de manière un peu intellectuelle le rapport qu’il entretient avec l’univers du sens et des signes. Il est notable que dans son œuvre, la graphie, la photo … graphie, les visages et les masques, le net et le flou, l’immobilité de bougé, les enfants, les masques et les poupées construisent un univers d’une grande richesse.

Cette richesse ne s’offre pas facilement, il faut un effort pour le regardeur. Pas d’effet de « galerie » ni de « blingbling paris-photien ». Ceux qui ont vus les tirages de REM, sont frappés de voir cet alignement de petits cadres carrés 20x20 environ. Pas d’esbrouffe, c’est au regardeur de trouver son sens.

Oui, paradoxal REM l’est. Il suffit de noter qu’il est né à « Normal » Illinois. Allez voir sur streetview, et vous plongerez dans le néant visuel de ce prétendu « normal » que seul un puissant imaginaire personnel peut y faire survivre un artiste. Pensez que c’est dans un tel univers qu’est né l’œuvre de REM. Quelle créativité !

Paradoxal bien sûr, cet univers qui paraît tellement triste est en fait un jeu qui met en scène sa famille et ses amis … il le fait avec un soupçon de joie, qu’on trouve dès qu’on l’a cherchée.

Paradoxal encore, cet opticien de formation qui a fait des recherches sur le flou « no-focus », le son dans les vibrations de l’image, la rémanence de la lumière à la surface de l’eau, la surexposition dans les clair obscurs.

Je vous laisse découvrir les images de REM, et sa bio. Sachez qu’il est un des photographes majeurs de la scène américaine des années 60-70. Très reconnu de son vivant aux USA, c’est un maître. Provincial, certes, mais aussi admiré à New York. Il a marqué une génération de photographes. Très impliqué dans la vie de la communauté des photographes, tant au niveau de clubs photo que de cursus universitaires.

J’imagine une belle personne, et aurais bien aimé être une petite souris dans ses maisons délabrées pour assister aux séances de prises de vue. J’imagine qu’elles étaient gaies.

Il est mort à 47 ans en 1972 d’un cancer.

1925. Naissance, le 15 mai à Normal (Illinois), de Ralph Eugene Meatyard, premier fils de Ralph Maynard et de Ruth Lucile Meatyard. Leur second fils, Jerry, enseignera les arts plastiques.

1943. Diplôme de la University High School école spéciale de l'université de l'Illinois située à Normal. bien que la famille Meatyard vive désormais à Bloomington. Meatyard fait du théâtre amateur pendant ses études secondaires, fréquente le club d'échecs, la fanfare et l'orchestre de l'école. Manifeste son excentrique originalité en jouant de l'accordéon dans ces deux formations. S'inscrit à un cycle préparatoire aux études dentaires organisé par la Marine au Williams College. Son amour du théâtre surpassant son intérêt pour les études, il est exclu.

1944. Affecté par la Marine à l'hôpital de Camp Perry (Virginie), sert occasionnellement d'interprète aux prisonniers de guerre allemands.

1946. Retour à la vie civile. Mariage avec Madelyn Oriean McKinney. Apprentissage chez un opticien de Chicago. Obtient son diplôme d'opticien. Travaille brièvement à la Gailey Eye Clinic de Bloomington (Illinois).

1950. S'inscrit pour un semestre à l'Illinois Wesleyan University avec une bourse d'ancien combattant : introduction à la philosophie, à l'économie et à l'histoire. Naissance d'un premier fils, Michael. Abandonne ses études pour s'installer à Lexington (Kentucky) et travailler chez le grand fabricant d'optique Tinder-Krauss-Tinder. Achète un Bolsey 35 mm pour photographier son fils.

1950-1954. Les photos de cette période témoignent du goût de Meatyard pour l'expérimentation. Outre la fixation d'événements particuliers, ces premières œuvres dénotent un intérêt pour des thèmes comme la décomposition, les poupées, les surimpressions, les figures floues et le brouillage des repères perceptifs.

1954. Commence à étudier sérieusement la photographie. S'inscrit au Lexington Camera Club, particulièrement adonné à la photo d'art. Van Deren Coke, futur historien d'art. conservateur et photographe fait partie du club et Meatyard devient son élève. S'inscrit aussi à la Photographie Society of America (PSA), institution moins orientée vers la photo d'art mais grâce à laquelle il figure pour la première fois, en 1954, dans des expositions collectives d'envergure nationale. Participe à l'exposition Focus on Lexington and Fayette County organisée par Coke à la galerie de l'université du Kentucky. Cette manifestation met l'accent sur l'exploration des possibilités que recèle l'univers familier, thème dont Meatyard s'empare et qu'il va élaborer à travers son œuvre.

1955. Naissance d'un deuxième enfant, Christopher. Meatyard achète un Rolleiflex 6x6. Travaille avec Van Deren Coke à une série ayant pour thème les habitants de Georgetown Street, quartier noir de Lexington, projet qui aboutit à une exposition commune.

1956. Avec , , , Harry Callahan, Ruth Bernhard et , participe à l'exposition Creative Photography organisée par Coke. Pendant l'été, suit avec Coke l'atelier fameux de Henry Holmes Smith à l'université d'Indiana, avec des intervenants tels qu'Aaron Siskind ou Minor White. Coke quitte Lexington pour entreprendre un diplôme d'histoire de l'art à l'université d'Indiana. Meatyard joue un rôle de premier plan au Lexington Camera Club. Anime un atelier fondé sur ce qu'il a appris dans l'Indiana et, à l'instar de Coke, donne des cours particuliers aux membres les plus doués et les plus motivés.

1957. Quitte la PSA. Se rend à New York pour le vernissage d'une exposition commune avec Van Deren Coke dans la galerie de Roy DeCarava "A Photographer's Gallery". Critiques favorables du New York Times et de Village Voice. De retour à Lexington, Meatyard pousse plus loin l'expérimentation picturale. Peint sur verre des tableaux expressionnistes abstraits et les photographie sous divers éclairages. L’hiver, dispose des oiseaux morts et des objets dans des plateaux remplis d'eau, coule de la peinture qui s'y répand en volutes et photographie le tout en train de prendre en glace. Entreprend d'autres peintures, dont il photographie parfois (mais pas toujours) l'aboutissement. Commence la série Light on Water, qu'il poursuivra tout au long de sa carrière.

1958. Les premiers mois de l'année, tient un journal où il consigne ses expériences picturales en cours, ses pensées sur la photographie, les progrès de ses élèves et le cheminement de sa quête artistique. Plus tard dans l'année, suspend brusquement toute activité photographique pendant trois mois, ébranlé par le défi à la photo qu'il perçoit dans les tableaux-collages géométriques, abstraits, de Frederic Thursz. Dresse le bilan de son œuvre photographique, invente le No-focus pour répondre à ce défi et se remet au travail. Applique la technique du No-focus à la série des Brindilles zen.

1959. Naissance d'un troisième enfant. Melissa. Première exposition individuelle à Tulane University (Nouvelle-Orléans). Un portfolio et un article consacré à Meatyard paraissent dans Aperture. Participe à l'exposition Sense of Abstraction organisée par Nathan Lyons au Moma de New York.

1961. Rencontre avec le poète, photographe et éditeur Jonathan Williams. Dans Art in America, Beaumont New hall compte Meatyard parmi les "nouveaux talents américains". Victime d'une crise cardiaque, atteint d'arthritisme, reste alité six semaines et inactif six mois.

1963. Rencontre avec Guy Davenport, écrivain, poète, critique et professeur de littérature.

1966. Rencontre les poètes , James Baker et Jonathan Greene, membres du cercle parfois nommé "Renaissance du Kentucky".

1967. En janvier, rencontre avec le moine trappiste Thomas Merlon, poète et écrivain. Au printemps, Meatyard quitte son emploi chez Tinder-Krauss-Tinder pour un long voyage en famille : Chicago, Rochester, l'État de New York, Boston et la ville de New York, où il photographie des personnalités littéraires comme Louis Zukofsky, fondateur de la "poésie objectiviste". De retour à Lexington, ouvre son propre magasin d'optique, Eyeglasses of Kentucky. Commence la série de surimpressions Son en mouvement, dont il tient le registre minutieux et qu'il poursuivra jusqu'en 1972. Songe, dès 1967, à la série de Lucybelle Crater. Fait plusieurs randonnées avec Wendell Berry pour photographier les gorges de la Red River, au sud de Lexington, en vue d'un ouvrage intitulé The Unforeseen Wilderness.

1968. Organise Photography 1968, première de trois grandes expositions regroupant des œuvres de célébrités nationales comme Minor White et de leurs élèves avec des œuvres de membres du Lexington Camera Club. Chaque manifestation (les deux autres auront lieu en 1970 et 1972) accueille des écoles photographiques allant de la côte Est à la côte Ouest en passant par le Mid west, diffusant largement la photographie créative américaine.

1970. Gnomon Press, maison d'édition de Jonathan Greene, publie une monographie consacrée à Meatyard tandis qu'Aperture confie la rédaction d'une autre monographie à . Meatyard apprend qu'il a le cancer et qu'il est condamné.

1972. Turfiste passionné, Meatyard meurt aux premières heures du dimanche 7 mai, après avoir suivi la veille, à la télévision, la victoire de Riva Ridge dans le derby du Kentucky. Fantômes de l’écrit chez Ralph Eugene Meatyard Jean-Marc Victor D’un bout à l’autre de sa courte carrière, qui démarre au milieu des années 1950 pour s’achever à sa mort en 1972 à l’âge de 46 ans, le photographe américain Ralph Eugene Meatyard incorpore fréquemment à ses images, sous des formes en perpétuelle évolution, diverses manifestations physiques du signe écrit. Sur les nombreuses photographies où il met en scène ses proches dans des lieux frappés de délabrement, vestiges d’un Kentucky ruiné comme par convention en une synecdoque d’un Sud perpétuellement déclinant et d’une fin des temps toujours imminente, apparaissent souvent à l’arrière-plan pancartes, graffiti peu lisibles sur fond de murs lépreux, affiches tronquées, déchirées ou rafistolées, lettrages publicitaires peints, souvent au bord de l’effacement, journaux couvrant les murs ou jonchant le sol de bâtiments à l’abandon. Ces fantômes de textes qui flottent autour de présences humaines parfois floues, parce qu’en mouvement, parfois figées dans la pose (généralement sa femme, ses enfants ou ses amis, masqués ou non) entretiennent avec elles un rapport mystérieux et inquiet. Loin de l’esthétique pseudo-gothique de ces portraits fabriqués, certaines images relevant d’une veine abstraite, et dont on se demande parfois, à première vue, si elles sont bien l’œuvre du même photographe, excluent l’élément humain et se donnent davantage comme des traces de l’acte photographique semblant mimer sur le cliché le geste de l’écriture. Elles captent alors tantôt le tracé calligraphique de la lumière à la surface de l’eau, tantôt les contours fuyants de formes naturelles minimales (brindilles, traces de gel) qui évoquent les signes d’une écriture indéchiffrable.

Ce sont les deux versants de cette présence de l’écrit chez Ralph Eugene , ainsi que d’autres formes intermédiaires du même phénomène, que je me propose d’explorer ici pour tenter d’analyser la complexité des modalités de réception que met en jeu cette pratique intersémiotique chez un photographe aussi passionné de littérature que d’arts visuels, et profondément influencé par la fréquentation d’écrivains et de textes – poétiques, fictionnels ou philosophiques1. Toutefois, cette présence de l’écrit est, comme on le verra, une perpétuelle apparition-disparition, un battement entre le signe qui s’affiche et la trace laissée par son repli.

The Pencil of Nature

En préambule, et pour mieux apprécier cette pratique chez Ralph Eugene Meatyard, un bref détour par l’Europe s’impose. En 1844, William Henry Fox Talbot publie en Angleterre le tout premier livre de photographies de l’histoire du médium intitulé The Pencil of Nature. Même si depuis The Open Door, sixième planche de ce volume, c’est enfoncer une porte ouverte, il faut rappeler que la photographie, dès sa naissance, se nomme et se pense comme une graphie. Matrices d’un mythe vivace inscrit dans le titre du livre de William Henry Fox Talbot, toutes les planches qui composent cet ouvrage fondateur sont nommées « sun pictures ». Elles furent, écrit William Henry Fox Talbot, « imprimées par la main de la nature » et résultent de « la seule action de la lumière sur le papier sensibilisé » (Bailly 26). Selon ce mythe premier, c’est la Nature qui, de son crayon, en vertu de propriétés optico-chimiques, trace sur le support photosensible cette écriture de lumière qu’est la photographie étymologiquement. L’homme, ramené au rang d’opérateur bienveillant, ne serait que son médiateur.

Placer d’emblée l’art photographique de Ralph Eugene Meatyard dans la lignée du « crayon de la nature » de William Henry Fox Talbot, ce n’est pas le ramener à toute force vers ce qu’il y a de familier dans le constat d’une parenté historique, mais plutôt lui reconnaître cette irréductibilité graphique qui le traverse de bout en bout. Cela est particulièrement vrai des tracés lumineux de la série Light on Water, où l’image dans son entier semble se réduire à la seule signature d’éléments naturels sur une étendue : la lumière qui tremble à la surface de l’eau. Le crayon de la nature est ici l’instrument d’un enregistrement, l’outil d’une consignation : il donne forme à un certificat de présence du réel, somme toute assez barthésien en ce qu’il fait écho au célèbre « ça-a-été » énoncé dans La Chambre Claire (Barthes 120), mais qui se complique si l’on remarque que « ce qui a été » n’est ici que la lumière, et que son origine et sa fin nous entraînent vers des cosmogonies ou des apocalypses fort éloignées des préoccupations techniques attachées à un simple enregistrement optico-chimique. De plus, ledit crayon n’enregistre pas ici, à proprement parler, une image du réel tel qu’il existe à l’état brut, puisque les reflets de la lumière sur l’eau, par définition fugaces, ne peuvent être vus par l’œil humain que dans leur succession alors que, médiatisés par la prise de vue photographique, ils impressionnent la pellicule tour à tour et durablement en vertu du principe de non-sélection de tout ce qui se présente à l’objectif dans le temps de l’exposition. L’image nous donne donc à voir non seulement une écriture de lumière, mais aussi sa durée : aussi est-elle à la fois souvenir et résultat d’un processus, écriture gardant la trace du temps de son inscription.

Cela étant, la photographie (et avec elle ses praticiens) a, depuis longtemps, remis en cause son statut de pur enregistrement pour se présenter plutôt comme une énonciation ou, pour le dire autrement, comme une écriture tracée de main humaine en toute subjectivité (Rouillé 258), une des questions les plus lancinantes qui parcourent l’histoire du médium étant de savoir qui, de la Nature ou de l’homme, tient vraiment le célèbre « crayon ». Ainsi, à une approche technicienne, objective, potentiellement documentaire, de la photographie s’affronte presque aussitôt une ambition créatrice qui transcenderait la donnée du réel en la recomposant, en la ré-écrivant. Du réel, le photographe serait donc soit le greffier soit le poète. Il semble que, face à cette alternative, Ralph Eugene Meatyard refuse de choisir son camp : la diversité de son œuvre, où l’écrit persiste comme une métaphore instable de toute inscription photographique, en est ici le signe.

1 On compte parmi ses amitiés littéraires les plus importantes Wendell Berry, et Guy Davenport, qui furent aussi ses « voisins » sudistes. Inscription photographique

Avant de s’engager sur des voies expérimentales peu balisées, Ralph Eugene Meatyard a photographié Georgetown Street (REM 40)2, artère qui traverse le quartier pauvre de Lexington, la ville du Kentucky où il s’est établi comme opticien3. L’écrit figure au cœur de cette tentative photographique d’épuisement d’un lieu qui rappellerait les grandes heures de la Farm Security Administration en tant qu’inventaire d’une Amérique fragmentée et bricolée, si la volonté réformatrice qui animait Walker Evans, Dorothea Lange et les autres n’était pas singulièrement absente des photos de Ralph Eugene Meatyard. Restent l’hétérogénéité des caractères figurant sur les panneaux qui bordent la rue, et le recours à toutes sortes de prothèses (frêles fils de fer et poteaux de fortune) pour afficher et faire tenir la liste dérisoire des articles vendus par une épicerie obscure : « KY. COUNTRY HAM’s Sold-here FISh. MKT. ICE », comme s’il s’agissait de brandir vers le ciel un optimisme hétéroclite et triomphant qui tenait déjà lieu d’horizon à de nombreux clichés de la F.S.A. Mais très vite, dans une autre planche de cette première série (REM 17), le texte américain, recadré, découpé, devient pensif et pointe vers d’autres formes d’ailleurs : un enfant noir, le regard perdu dans le lointain, pose dos au mur devant un fragment de message publicitaire peint dont on ne lit que les trois lettres « FAR ». Dès lors, désertant le « here » du panneau publicitaire du cliché précédent pour le « far » d’un imaginaire enfantin, certes opaque, mais minimalement épelé, le regard de Ralph Eugene Meatyard ne quittera plus ce territoire des lointains traqués dans le proche et le familier.

L’écrit s’invite aussi avec insistance et ostentation dans trois des autoportraits de Ralph Eugene Meatyard que l’on peut à bon droit rapprocher, un peu comme s’il se savait fait autant de texte que d’image, ou bien comme si, au moment où il se représente en tant qu’artiste dans son œuvre, il lui fallait souligner une apparente continuité entre différents régimes sémiotiques, contraints de cohabiter et d’interagir dans le même plan, sur le même plan. Dans le premier de ces autoportraits (Rhem 50), il y a du collage et du disparate : le photographe y pose sur fond de publicité pour ce que boivent les hommes et ce que mangent les bêtes – Coca Cola et aliments pour bétail, image et lettrage pour dire le breuvage, dessin d’une rose pris entre deux mots pour former la marque « Red Rose ». L’homme ne se montre qu’en se cachant de grotesque façon puisqu’il est assis, la tête enserrée dans un sac de tulle qui ne le dissimule qu’à peine. Par-dessus le message publicitaire, c’est un autre discours que l’on perçoit : je suis ma propre usure, ma transparence mensongère à moi-même et aux autres, comme s’usent et mentent, se troublent et se voilent tous les textes qu’on voulait croire clairs et nets, inaltérables dans leur désignation des choses et des contours du monde. Et puis il faut bien dire qu’on étouffe un peu, au propre comme au figuré, dans le foisonnement de tout ce qui fait signe. Dans le second autoportrait (REM 273), la silhouette fantomatique du photographe, gravissant les degrés d’un escalier aux parois tapissées de journaux, jaillit littéralement d’un fatras de textes épars mêlés d’images publicitaires, dont le déchiffrement est aussi malaisé – et sans doute aussi illusoire – que la reconnaissance d’une forme à peine humaine. Enfin, dans son célèbre autoportrait en forme de rébus (REM 271), Ralph Eugene Meatyard, dos au mur, les mains sur les hanches, est surmonté d’un A peint tandis qu’à sa droite se détache le mot « YARD »

Ainsi, le mot « meat », celui qui dirait la chair, la présence, la substance, est remplacé par l’image indicielle du corps lui-même, réalisée en sa présence et non par un substitut symbolique, et appelée à prendre place dans une séquence linguistique qui se lit de gauche à droite, à moins que ce ne soit au mot « yard », mesure factice d’une représentation hétérogène, trompeuse et ludique, de trouver sa place à l’intérieur de l’image, s’il faut vraiment que le texte fasse image. Reste le statut ambigu de ce A d’une graphie différente, pris dans un cercle, lettre doublement enchâssée dans l’image qui rompt la séquence textuelle car elle ne figure pas sur la ligne horizontale de lecture du rébus mais forme avec elle un angle droit, comme si elle n’appartenait pas à ce rébus mais relevait d’une autre dimension du sens, alors que le cadrage lui donne droit de cité quand la coupe eût été possible. Ce A évoque l’article indéfini : « a Meatyard » comme un échantillon dans une série d’autoportraits, ou un mode de figuration parmi d’autres possibles, tandis que le cercle qui l’auréole comme une figure sainte tend avec quelque ironie à le sacraliser, le rendant paradoxalement unique. Meat for Meatyard, food for semiotic thought, image plate et tenace pour substance périssable où « pour » désigne à la fois le substitut et l’offrande. [Fig. 1 : Untitled, 1965-66] Le chiffre peut prendre la relève de la lettre dans certains clichés mis en scène, comme celui où la femme et les enfants du photographe, tous affublés de masques d’Halloween, sont assis sur d’énigmatiques gradins numérotés (Tannenbaum 61). Le titre complet est révélateur d’un commerce incessant, mais secret, entre texte et image : « Romance (N.) from Ambrose Bierce # 3 ». Ce titre renvoie en fait à l’entrée « Romance » dans The Devil’s Dictionary d’Ambrose Bierce, d’où l’abréviation N. pour le « Nom » dont la définition est censée suivre, mais qui n’est donnée ici que sous la forme d’un équivalent visuel, alors que dans l’ouvrage satirique de Bierce, le terme

2 L’abréviation REM renvoie au catalogue Ralph Eugene Meatyard publié en 2004 (voir bibliographie). 3 Ce projet se fait en collaboration avec Van Deren Coke, dont Meatyard suit l’enseignement au Lexington Camera Club. Lui- même formé à la Clarence White School de New York, puis auprès de Ansel Adams en Californie, Coke a aussi rencontré les plus grands photographes américains de la première moitié du siècle, tels que Strand, Weston et Stieglitz (Tannenbaum 16). est ainsi défini : « Fiction that owes no allegiance to the God of things as They Are » (Bierce 134)4, ce qui en fait un genre littéraire produit par une imagination émancipée de la vraisemblance. Dans l’image, les gradins numérotés rythment à la manière d’un compte à rebours le récit d’une fiction inarticulée régie par un Dieu des choses et des êtres tels qu’ils ne sont pas puisqu’y figurent des enfants grotesquement vieillis par des masques. Belle « romance » que celle-ci où tout le poids programmatique d’un nom, son potentiel narratif, sa promesse de langage, sont immédiatement convertis en une parodie visuelle de l’irréversible dont les chiffres prétendent scander les étapes dans leur épaisseur temporelle.

Lui-même lecteur insatiable (d’Ambrose Bierce, de Gertrude Stein, de Flannery O’Connor5, de William Carlos Williams6, pour n’en citer que quelques-uns), Ralph Eugene Meatyard fait lire à son tour ceux qui posent pour lui, à commencer par son ami l’écrivain et théologien Thomas Merton, à qui il consacre une série de portraits rassemblés dans l’ouvrage posthume Father Louie, dont certains nous le montrent lisant des passages d’un de ses livres à paraître (Magid 16). L’acte de lecture se joue en contre-jour sur fond de motifs végétaux qui se dessinent sur les carreaux, interrogeant ainsi la nature du rapport entre deux modes d’inscription et leurs déchiffrements respectifs : d’une part, ce qu’a tracé sur la page la main humaine, instrument d’une pensée singulière, d’autre part, ce qu’ombre et lumière laissent affleurer du monde à la surface de la vitre. Crayon de la nature, crayon tenu par l’homme. Et quand les signes s’effacent, quand les feuilles du manuscrit comme celles la végétation extérieure sortent du cadre (Magid 19), reste la surface blanche de la page-vitre, aveugle ou muette, traversée d’un trait semblant sorti de la bouche de Merton, vestige ou amorce d’une énonciation dont on ne saurait dire si elle va de l’humain vers le monde ou du monde vers l’humain. Pas de texte, mais de quoi l’accueillir, ou bien, dans un autre portrait de la même série (Magid, frontispice), une simple bulle vide plus claire que le fond déjà surexposé, inscrite elle aussi à hauteur de la bouche comme en surimpression sur cet écran composite appelé à recueillir à la fois la matière linguistique d’un verbe différant sa profération et la matière graphique d’une représentation du monde qui afflue au carreau de la même page-vitre.

De même, pendant que le fils du photographe pose en lecteur d’on ne sait quel livre sur on ne sait quel porch (REM 129), l’entrelacs végétal qui semble enserrer le lieu inscrit son texte dans l’unique plan de netteté que forme, au fond à droite, la vitre de l’arrière-plan, métaphore de la surface photosensible qui vient intercepter les signes de la présence du monde comme la page intercepte les signes d’une présence au monde. De nouveau, crayon de la nature, crayon tenu par l’homme, le bouquet du premier plan restant flou comme un en-deçà de la représentation. Dans une image plus ouvertement métaphorique encore, et pour ainsi dire méta-photographique (REM 121), Ralph Eugene Meatyard exauce en quelque sorte le vœu que formait Mallarmé dans son poème « Les Fenêtres » : « Que la vitre soit l’art ». Le même jeune lecteur, ou peut-être son frère, ne lit plus un livre mais l’écriture de la lumière sur un carreau qu’il tient entre ses mains et qui évoque les premières plaques de verre photo-sensibilisées au collodion utilisées dès le milieu du XIXe siècle. Ainsi la plaque photographique et le livre réduit ici à l’état de fantôme, le cliché cadré et la page écrite suggérée par la posture de lecteur de l’enfant, semblent se donner comme substituts l’un de l’autre, esquissant un principe de quasi-équivalence entre la trace du mouvement de la pensée telle que la transcrirait la main sur le papier et la trace du mouvement de la lumière telle que la saisit et la fige l’acte photographique.

Qu’en est-il alors des images où l’écrit n’est plus seulement suggéré mais effectivement représenté ? On y discerne un jeu d’échos très similaire entre représentation photographique et représentation textuelle. J’en veux pour preuve la photographie (Tannenbaum 150) d’une silhouette enfantine dont l’ombre portée côtoie des graffiti sur un mur servant de support commun au texte gravé sur le plâtre et à l’image photographique ramenée encore une fois à sa dimension première d’ombre saisie sur une surface, contours du texte et contours de l’image se chevauchant, se confondant, au point de sembler faits d’une même matière. En tant que trace de notre passage inscrite plus ou moins durablement sur un plan, l’image photographique de toute présence humaine a quelque chose de commun avec le graffiti, semble nous dire l’œuvre de Ralph Eugene Meatyard (voir aussi Tannenbaum 149), mais également avec l’épitaphe : rappelons qu'il photographia les inscriptions funéraires dans le cimetière de Lexington au tout début de sa carrière (Tannenbaum 21), comme d’autres photographes du Sud, notamment Eudora Welty7. L’on est d’ailleurs frappé de constater à quel point la main, celle qui tient le crayon comme celle qui tient le livre, celle qui déclenche la prise de vue comme celle qui désigne l’instant de la mort, est une figure récurrente dans cette part de l’œuvre de Ralph Eugene Meatyard que hantent l’écrit et ses fantômes8.

Paradoxalement, alors que la plupart des clichés de Ralph Eugene Meatyard se passent de titres, manière de s’émanciper d’un discours qui en orienterait ou en fixerait l’interprétation, l’appendice textuel absent de la marge semble faire retour dans le cadre. Il s’engage souvent dans un rapport ludique avec l’ensemble de l’image, comme sur tel étrange cliché

4 La définition se poursuit ainsi : « In the novel the writer’s thought is tethered to probability, as a domestic horse to the hitching-post, but in romance it ranges at will over the entire region of the imagination—free, lawless, immune to bit and rein. » (Bierce 134-35). 5 J’ai eu l’occasion de montrer dans un précédent article que Stein et O’Connor étaient deux sources d’inspiration essentielles pour la série The Family Album of Lucybelle Crater (Victor). 6 Guy Davenport rappelle le goût de Meatyard, en particulier à la fin de sa vie, pour ce qu’il nomme les « collages verbaux » de Williams (Davenport 369). 7 Un album posthume intitulé Country Churchyards rassemble les nombreuses phographies réalisées par Welty dans les cimetières du Mississippi. 8 Rosalind Krauss a souligné que « cette relation particulière qui se tisse entre la photographie et l’œuvre de la main, ou l’écriture, se retrouve dans toutes les images produites par la “nouvelle vision” » (Krauss 200). Elle s’intéresse en particulier au travail de John Gutman, où la main et le signe écrit occupent une place de choix et où s’exerce ce qu’elle nomme « une magie de l’écriture, l’écriture qui aplatit et oblitère toute surface en la transformant en support du mot écrit. » (Krauss 206). En dépit de l’écart temporel, la filiation de l’œuvre de Meatyard avec la production photographique de cette période ne surprend pas : l’influence du surréalisme en est le dénominateur commun. saisissant l’instant de la chute du corps d’un enfant qui passe, tronqué et entièrement flou, devant une façade où sont inscrites les trois lettres « ILL » (REM 213). Ce mot n’est déjà sans doute que ce qui subsiste d’un mot plus long coupé par le cadre, comme une queue de comète qui répèterait à la lettre, par la lettre, le geste de la chute d’un corps. Mais qu’y a-t-il vraiment de mal, de malade ou de mauvais ici ? Clin d’œil à la norme qui exige que, dans la pratique moyenne d’un « art moyen » (Bourdieu), on ne coupe pas le sujet et qu’on évite le flou ? Ou bien signal d’une précarité qui menace le vivant en vertu d’un lien plus inquiet, voire cynique, dudit sujet au texte qui semble le légender, malgré son jeune âge et sa belle santé ? Dans une autre image où cohabitent écrit et enfance, un enfant à quatre pattes passe sous un lettrage immense peint en blanc sur une palissade en bois sombre et dont on ne peut lire que les lettres « KNOW », introduites par des guillemets du côté gauche seulement (Rhem 26) : on peut à nouveau sourire de l’ironie du regard, sourire de l’enfant qui ne sait rien encore, ou s’effrayer de ne le voir jamais relever la tête, écrasé qu’il sera sous le poids d’un savoir dont il ne parviendra pas à fermer les guillemets pour en dire la mesure. Si l’enfance est un des thèmes de prédilection de Ralph Eugene Meatyard, c’est sous la forme d’un état transitoire, suspendu, hésitant toujours entre innocence et expérience : l’écrit lui sert à fixer ironiquement ce qui ne se fixe pas, une joie, une candeur, la foi tenace en son éternité. Mais toujours une menace pèse, comme sur la photographie où le fils de Ralph Eugene Meatyard brandit une fausse carabine devant une porte de garage portant cette indication : « J. J. Fitzgerald No Parking » (REM 156). Dans le dos de l’enfant, donc, Fitzgerald et l’intuition que toute génération est peut-être perdue, que l’enfance, ses rêves et ses jeux tomberont sous le coup d’une interdiction de stationner.

Et puis il y a du même enfant le portrait ricanant réalisé devant un mur où est peint en lettres blanches sur fond noir le mot « RED » (REM 159), ce « RED » majuscule et tonitruant, dont dépendent sans doute tant de choses pour le lecteur de William Carlos Williams que fut Ralph Eugene Meatyard.

Au premier niveau de lecture, puisque c’est bien de lecture qu’il s’agit, l’éclat de rire de l’enfant peut naître de l’illusoire tentative de suggérer la couleur dans ou malgré le noir et blanc, lequel envahit toute la surface du mur à l’arrière-plan en deux zones nettement délimitées. Il n’est pourtant pas exclu que le fond que nous voyons noir soit effectivement rouge : de quoi rire encore, car on nous a bien eus. Voir le mot et lire l’image sont ici deux modalités indiscernables d’un même déchiffrement inéluctablement incertain du signe, décollé du référent dont Barthes écrit pourtant qu’en photographie, il « adhère » (Barthes 18). La chose se complique si l’on entend aussi ce que disent ensemble l’image lue et le mot vu, car derrière « red », adjectif de couleur, résonne aussi « read », participe passé du verbe « read », en vertu d’un simple principe d’homophonie. L’interaction du texte et de l’image ferait donc naître [Fig. 2 : Untitled, 1960] une sorte de bruit parasite ou fantôme, un bruit de fond émanant littéralement du fond de l’image. Si la photographie nous fait voir « rouge » (le rire de l’enfant vire d’ailleurs à la grimace), elle nous fait entendre « lu », le tout à une lettre près, ce « a » qui manque ici à la graphie du participe passé alors qu’il flottait, comme en surplus, dans l’autoportrait en rébus.

C’est en apparence seulement que les séries de Ralph Eugene Meatyard marquées par la tentation de l’abstraction, notamment celles qu’il consacre aux reflets sur l’eau et au monde végétal, se distinguent des photographies mises en scène où apparaît explicitement le signe écrit, puisque dans ces représentations vidées de toute présence humaine, le monde lui-même est perçu comme un texte à travers ses manifestations naturelles tangibles qui invitent encore l’observateur à une forme de déchiffrement. Bien qu’entamées au début de sa carrière en 1957, les expérimentations de la série Light on Water se poursuivent jusqu’à la mort du photographe (Tannenbaum 28). La production de photographies de brindilles minimalistes couvre, quant à elle, une période un peu plus restreinte qui va de 1958 à 1965. C’est à Christopher Meatyard, le fils du photographe, que l’on doit a posteriori le titre de Zen Twigs donné à cette série, qui évoque, comme le souligne Barbara Tannenbaum, la calligraphie Zen : « studies that capture nature’s movement and energy in simple, linear, gestural strokes » (Tannenbaum 32). Ainsi, le resserrement du cadre et la mise au point sélective réduisant à l’extrême la profondeur de champ isolent et stylisent des fragments végétaux qui s’imposent comme les éléments constitutifs d’une sorte de langage du vivant, les brindilles formant parfois ce qui s’apparente à un lettrage. Ces images-palimpsestes renversent la temporalité traditionnellement attachée à la succession des inscriptions à la surface du parchemin : ce qu’on lit comme un sous-texte derrière le tracé net du premier plan (voir Tannenbaum 120, par exemple), c’est moins une écriture antérieure en voie d’effacement que l’annonce d’un texte second en passe de venir affleurer dans le mince plan focal. L’image suggère donc l’attente d’une inscription toujours à venir, comme si tout n’était pas encore écrit.

Même si elles n’entrent pas à proprement parler dans cette catégorie, plusieurs images réalisées autour de la même période montrent d’inextricables enchevêtrements végétaux évoquant griffonnages ou ratures, parfois mêlés, eux aussi, à des reflets sur l’eau, jusqu’à l’illisibilité (Tannenbaum 12, 106). De la brindille nue à l’entrelacs de branchages, on voit donc se dessiner deux pôles, : gribouillage indistinct et signe isolé, foisonnement et épure, une seule image parvenant parfois à faire sentir ce glissement de l’informe vers la forme, du flou vers le net, de l’intrication vers le délié, à la manière d’une pensée confuse qui se préciserait en un trait plus clair, par exemple en s’écrivant.

La même tension se retrouve dans la série Light on Water, dont la part de mystère est accrue par l’absence d’indices concernant l’échelle et l’angle de vue. Tantôt l’écriture de la lumière à la surface de l’eau foisonne en une texture dense et touffue, presque herbeuse, qui éloigne la photographie de son référent (Tannenbaum 109), tandis que la présence d’un titre, Notes on the Keyboard of the Imagination, rare chez Ralph Eugene Meatyard, détourne l’observateur vers des équivalents sonores, à moins qu’il ne faille aussi entendre dans ces « notes » une autre forme de transcription de ce qui relève toujours du texte du monde. Tantôt la tendance à l’épure et à la stylisation frappe le regard comme dans tel cliché montrant une flaque d’eau luisante où d’aucuns pensent reconnaître un idéogramme dont l’idée se serait perdue (Tannenbaum 112). Tantôt un tracé plus net, très proche d’une graphie qu’on est tenté de déchiffrer, se détache d’un ensemble plus chaotique (Keller 77), comme un mot sur le bout de la langue, ou comme un nouveau palimpseste qui fait écho à l’affleurement des brindilles Zen.

L’esthétique de ces deux séries, Light on Water et Zen Twigs, est sous-tendue par une spiritualité complexe, dont le substrat est chrétien, mais qui s’hybride au contact du bouddhisme Zen auquel s’intéresse Ralph Eugene Meatyard, notamment sous l’influence de son ami Thomas Merton et du photographe Minor White9, sans jamais s’affranchir d’une tentation panthéiste comme chez certains romantiques sensibles à la musique de la harpe éolienne. Ralph Eugene Meatyard semble se souvenir, dans les formes captées sur l’eau comme dans le règne végétal, des enseignements de la première Epître de Saint Paul aux Corinthiens : « nous voyons toutes choses en énigme et comme dans un miroir » (13 : 12). Ou pour le dire autrement, en complétant le vers de Stéphane Mallarmé, « Que la vitre soit l’art, soit la mysticité ». La présence fantomatique d’une ébauche de graphie dans ces images apparaît non tant comme un effacement du sens que comme le sens en tant qu’il est soulignement d’un effacement, désignation d’une présence- absence, celle d’un auteur ou d’un dieu ou des deux à la fois10. On peut y voir, dans une visée mystique que je ne souhaite pas cependant ériger en une interprétation prescriptive, le vestige d’une signature que le divin aurait apposée sur sa création et que le photographe débusquerait dans la variété des formes et des phénomènes naturels, captant ainsi le tracé du « crayon de la nature » guidé par une volonté surnaturelle dans une version spiritualisée de cette foi primitive des premiers photographes en une magie de la technique.

Toutefois, ces ébauches de textes, écrites d’une autre main que celle du photographe, sont bel et bien médiatisées par une écriture photographique qui lui est propre et qui relève à la fois d’une poétique et d’une technique. Certes, elle enregistre et cite, mais elle recrée aussi, dans le temps même de l’enregistrement et de la citation, des textes qui lui sont extérieurs et qu’elle s’approprie par une syntaxe, un lexique, des rythmes et des syncopes, une prosodie, bref tout un langage poétique dont le photographe, par l’ampleur des choix esthétiques qui s’offrent à lui, a seul la maîtrise : cadrage serré, saturation des contrastes, équilibre des nets et des flous, déplacement de l’appareil pendant la prise de vue. Au-delà des deux séries évoquées ici, ce langage poétique est aussi à l’œuvre dans les nombreuses images présentant toutes sortes de surfaces inscrites : traces d’usure ou de coulure sur de la pierre où les ombres jouent comme sur un tissu, étoilement d’un morceau de verre sous lequel paraît sourdre de l’eau en même temps que s’y dessinent des reflets, branches immergées formant hiéroglyphes sur un miroir d’eau, ombre négative du feuillage entre le flou et le net sur le lisse d’un rocher traversé par la ligne positive d’un tronc (Tannenbaum 98, 99, 114, Berry 2). Si le réel est ici travaillé, structuré, animé par ce qui le dépasse, s’il est en quelque sorte « parlé » par l’invisible, c’est parce que le tangible n’est en somme que le texte de l’intangible converti par l’image photographique en un poème optico-chimique offert à la lecture. Dans ces images débarrassées de l’humain et des écrits qui lui sont propres, s’opère un déplacement de la présence vers l’écriture de lumière en train de se faire et vers la main invisible qui la trace, donnant à voir les textures, les densités et les mouvements d’un monde réduit à ses signes, sur la platitude toujours vibrante de la surface photosensible.

Bibliographie

BAILLY, Jean-Christophe. L’Instant et son ombre. Paris : Seuil, 2008.

BARTHES, Roland. La Chambre claire. Paris : Cahiers du Cinéma / Gallimard / Seuil, 1980.

BERRY, Wendell. The Unforeseen Wilderness. Kentucky’s Red River Gorge.Photographs by Ralph Eugene Meatyard. [1971]. San Francisco : North Point Press, 1991.

BIERCE, Ambrose. The Devil’s Dictionary. [1911]. London : Bloomsbury, 2008.

BOURDIEU, Pierre (dir.). Un Art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie. Paris : Minuit, 1965.

CLAUDEL, Paul. « La Catastrophe d’Igitur ». In Positions et propositions. Paris : Gallimard, tome 1, 1928, 197-207.

DAVENPORT, Guy. « Ralph Eugene Meatyard ». In The Geography of the Imagination : Fourty Essays. Jaffrey, NH : Godine Publisher, 1997, 368-372.

9 Barbara Tannenbaum voit une parenté entre les mystérieuses mises en scène de Meatyard et les koans du bouddhisme Zen, énigmes et paradoxes qui stimulent l’esprit en le débarrassant de sa logique usée (Tannenbaum 39). Pour David L. Jacobs, les Zen Twigs ont la même fonction : « These pictures are Zen koans : mysterious, open-ended sources for contemplation and meditation. » (Jacobs 76). 10 Sur ce point, Meatyard semble proche de la pensée de Claudel telle qu’il la formule dans « La Catastrophe d’Igitur » : « Nous savons, écrit Claudel, que le monde est en effet un texte et qu’il nous parle, humblement et joyeusement, de sa propre absence, mais aussi de la présence éternelle de quelqu’un d’autre, à savoir son Créateur. Non pas seulement l’écriture, mais le scripteur, non pas seulement la lettre morte, mais l’esprit vivant, et non pas un grimoire magique, mais le Verbe en qui toutes JACOBS, David L. « Seeing the Unseen, Saying the Unsayable: On Ralph Eugene Meatyard ». Ralph Eugene Meatyard. An American Visionary, ed. Barbara Tannenbaum. Akron : Akron Art Museum / New York : Rizzoli, 1991, 53-77.

KELLER, Judith. Ralph Eugene Meatyard. Paris : Phaidon, Coll. 55, 2002.

KRAUSS, Rosalind. Le Photographique. Pour une théorie des écarts (Traduction de Marc Bloch et Jean Kempf). Paris : Macula, 1990.

MAGID, Barry (ed.). Father Louie. Photographs of Thomas Merton by Ralph Eugene Meatyard. New York : Timken, 1991.

MEATYARD, Ralph Eugene. The Family Album of Lucybelle Crater and Other Figurative Photographs (Préface et introduction de James Rhem). New York : Distributed Art Publishers, 2002 (1974).

Ralph Eugene Meatyard. New York : International Center of Photography / Göttigen : Steidl, 2004.

RHEM, James. Ralph Eugene Meatyard. Paris : Nathan / HER, Coll. Photo Poche n° 87, 2000.

TANNENBAUM, Barbara (ed.). Ralph Eugene Meatyard. An American Visionary. Akron : Akron Art Museum / New York : Rizzoli, 1991.

VICTOR, Jean-Marc. « The Family Album of Lucybelle Crater de Ralph Eugene Meatyard : une généalogie obscure ». L’Obscur, dir. Françoise Sammarcelli. Paris : Michel Houdiard, 2009, 132-148.

WELTY, Eudora. Country Churchyards. Jackson : University Press of Mississippi, 2000.

Pour citer cet article

Référence électronique Jean-Marc Victor, « Fantômes de l’écrit chez Ralph Eugene Meatyard », Sillages critiques [En ligne], 21 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 19 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/sillagescritiques/4661

Auteur

Jean-Marc Victor Jean-Marc Victor est maître de conférences à l'université Paris Sorbonne (VALE EA 4085), où il enseigne la littérature, la traduction et l'analyse de l'image. Il a publié plusieurs articles sur la littérature du Sud des Etats-Unis (Eudora Welty, Flannery O’Connor, William Faulkner), la nouvelle (Janet Frame, Alice Munro) ainsi que sur la photographie américaine. Jean- Marc Victor is Senior Lecturer at the University of Paris Sorbonne where he teaches literature, translation and image analysis. He has published various articles on the literature of the South of the (Eudora Welty, Flannery O’Connor, William Faulkner), the short story (Janet Frame, Alice Munro) as well as on American photography.

L’univers étrange de Ralph Eugene Meatyard Ralph Eugene Meatyard est né en 1925 dans la ville de Normal dans l’Illinois aux Etats-Unis et menait une vie tout ce qu’il y a de plus classique, il était opticien, père de trois enfants, entraîneur de l’équipe de Baseball de son fils et président de l’association de son école.

En 1954 il se lança en amateur dans la photographie en rejoignant le photo-club local et très vite commençe à passer son temps libre dans les forêts alentours, mettant en scène et photographiant des situations étranges ressemblant à des cauchemars éveillés à base de masques et de poupées, le tout avec l’aide de sa famille.

Jusqu’à sa mort en 1972 il réalisa ainsi de nombreuses photographies plus étranges les unes que les autres, en expérimentant aussi avec les doubles expositions, en se concentrant sur les textures et la lumière et en réalisant ce qu’il appelait l’album de famille de Lucybelle Crater avec une série de portraits de couples masqués pris en photo dans des situations typiques de celles dans lesquelles pourraient se trouver un couple d’américains de banlieue typique.

Vous pouvez voir beaucoup plus de ses images sur le site de cette galerie, n’hésitez pas à cliquer sur « View All » à coté de la rubrique Portfolios pour avoir accès à toutes ses séries, ou allez voir des livres avec ses images.

Ralph Eugene Meatyard: Dolls and Masks de: Eugenia Parry, MS Elizabeth Siegel éditions: Radius Books

RALPH EUGENE MEATYARD Ralph Eugene Meatyard (1925–1972) lived in Lexington, Kentucky, where he made his living as an optician while creating an impressive and enigmatic body of photographs. Meatyard’s creative circle included mystics and poets, such as Thomas Merton and Guy Davenport, as well as the photographers Cranston Ritchie and Van Deren Coke, who were mentors and fellow members of the Lexington Camera Club. Meatyard’s work spanned many genres and experimented with new means of expression, from dreamlike portraits—often set in abandoned places—to multiple exposures, motion-blur, and other methods of photographic abstraction. He also collaborated with his friend Wendell Berry on the 1971 book The Unforeseen Wilderness, for which Meatyard contributed photographs of Kentucky’s Red

River Gorge. Meatyard’s final series, The Family Album of Lucybelle Crater, are cryptic double portraits of friends and family members wearing masks and enacting symbolic dramas.

Museum exhibitions of the artist’s work have been presented at The Art Institute of Chicago; The Philadelphia Museum of Art; the de Young Museum, San Francisco; The International Center of Photography, New York; Cincinnati Museum of Art, Ohio; the Center for Creative Photography, Tucson; and Blanton Museum of Art, Austin, Texas. His works are held in the collections of The Metropolitan Museum of Art, SFMOMA, J. Paul Getty Museum, The Eastman Museum, and Yale University Art Gallery, among others. Monographs include American Mystic, Dolls and Masks, A Fourfold Vision, and The Family Album of Lucybelle Crater and Other Figurative Photographs.

FRAENKEL GALLERY EXHIBITIONS

RALPH EUGENE

RALPH EUGENE MEATYARD:Abstractions RALPH EUGENE Dolls & Masks MEATYARD:Burchfield | 1957 – 1972 MEATYARD:American Mystic Meatyard 9 Mar 2017 – 6 May 2017 1 Nov 2007 – 22 Dec 6 Sep 2012 – 27 Oct 2012 2007

Romances Zen PORTFOLIOS VIDEO

RALPH EUGENE Alexander Nemerov RALPH EUGENE RALPH EUGENE MEATYARDA Fourfold reads from “Ralph MEATYARDAmerican MEATYARDDolls and Vision Eugene Meatyard: Mystic Masks Out of Print Out of Print American Mystic”

PUBLICATIONS

SELECT MUSEUM EXHIBITIONS PRESS Kentucky Renaissance: The Lexington Camera Wildly Strange: The Photographs of Ralph Club and Its Community, 1954–1974 Eugene Meatyard 8 Oct 2016 – 1 Jan 2017 The Wall Street Journal, William Meyers, Apr 29, 2015 Cincinnati Arts Museum Meatyard at Home in Kentucky’s Cultural Wildly Strange: The Photographs of Ralph Scene Eugene Meatyard The New York Times' Lens blog, Dave Gershgorn, Apr 20, 2015 7 Mar 2015 – 21 Jun 2015 Disturbing Innocence Blanton Museum of Art, Austin, Texas The New York Times, Ken Johnson, Dec 25, 2014 Ralph Eugene Meatyard: Dolls and Masks Everyone is Then a Dead One 8 Oct 2011 – 26 Feb 2012 Title Magazine, Manya Scheps, May 30, 2012 de Young Museum, San Francisco Ralph Eugene Meatyard at the Art Institute of Ralph Eugene Meatyard: Dolls and Masks Chicago 2 Jul 2011 – 25 Sep 2011 Daily Serving, John Pyper, Aug 25, 2011 Art Institute of Chicago The Photographer Who Masked His Subjects Ralph Eugene Meatyard The New York Times, Annette Grant, Dec 5, 2004 10 Dec 2004 – 27 Feb 2005 International Center of Photography, New York

Ralph Eugene Meatyard: The Man Behind the Masks The “dedicated amateur” photographer had a strange way of getting his subjects to reveal themselves

By David Zax SMITHSONIAN MAGAZINE NOVEMBER 2011

One day in 1958 or ’59, Ralph Eugene Meatyard walked into a Woolworths store in Lexington, Kentucky. An optician by trade, Meatyard was also a photographer—a “dedicated amateur,” he called himself—and he kept an eye out for props. He might drop by an antiques store to buy eerie dolls or emerge from a hobby shop with a jar of snakes or mice cured in formalin. In Woolworths, he came upon a set of masks whose features suggested a marriage of Picasso and a jack-o’-lantern.

“He immediately liked their properties,” recalls his son Christopher, who was with him at the time. Meatyard père bought a few dozen. “They were latex and had a very unique odor,” says Christopher, now 56. “In the summer they could be hot and humid.” Over 13 years, photographer Ralph Eugene Meatyard, shown here in either Over the next 13 years, Meatyard persuaded a procession of family and friends 1965 or 1966, persuaded family and to don one of the Woolworths masks and pose in front of his camera. The friends to don a mask and pose in front resulting photographs became the best known of the pictures he left behind when of his camera. he died of cancer in 1972, at age 46. That work, says the photographer Emmet Gowin, who befriended Meatyard in the 1970s, is “unlike anyone else’s in this world.”

“He picked the environment first,” Christopher says of his father’s method. “Then he’d look at the particular light in that moment in that place, and start composing scenes using the camera.” With the shot composed, he would then populate it, telling his subjects where to place themselves, which way to face, whether to move or stand still.

For the 1962 portrait on the preceding page, Meatyard chose an abandoned minor-league ballpark and arranged his wife and their three children in the bleachers. (Christopher is at left; his brother, Michael, is in the middle; his sister, Meatyard said that masks erased the Melissa, at the bottom; and their mother, Madelyn, is seated top right.) The title differences between people. He he gave the image—Romance (N.) From Ambrose Bierce #3—provides only the photographed his family, shown here, in broadest hint of what he was up to: In his Devil’s Dictionary, Bierce had defined 1962. “romance” as “fiction that owes no allegiance to the God of Things as they are.”

But still, why masks? Well, “the idea of a person, a photograph, say, of a young girl with a title ‘Rose Taylor’ or the title ‘Rose’ or no title at all becomes an entirely different thing,” Meatyard once said. “ ‘Rose Taylor’ is a specific person, whether you know her nor not. ‘Rose’ is more generalized and could be one of many Roses—many people. No title, it could be anybody.” And in the same way, a mask “serves as non-personalizing a person.”

And why would someone want to do that? In an essay on Meatyard’s work, the critic James Rhem quotes one of his sitters, Mary Browning Johnson: “He said he felt like everyone was connected, and when you use the mask, you take away the differences.”

"I feel that 'more real than real' is the Gowin, who posed for a Meatyard portrait, recalls thinking that wearing a mask special province of the serious would surely erase all sense of personhood. “But when I saw the pictures,” he photographer," Meatyard wrote in 1961. says, “I realized that even though you have the mask, your body language Pictured is completely gives you away. It’s as if you’re completely naked, completely revealed.”

Meatyard, whose surname is of English origin, was born in Normal, Illinois, in 1925. He served stateside in the Navy during World War II and briefly studied pre-dentistry before settling on a career as an optician. He plied that trade all his working life—9 to 5 on weekdays, 9 to noon on Saturdays—but photography became his ruling passion shortly after he purchased his first camera, in 1950, to photograph his newborn son, Michael. Four years later, Meatyard joined the Lexington Camera Club. Endlessly curious, he sought inspiration in philosophy, music and books—historical fiction, poetry, short stories and collections of Zen koans. Zen and jazz were enduring influences. “How many businessmen run Buddhist-style meditation groups over the lunch hour?” asks Gowin.

Despite his self-proclaimed status as an amateur, Meatyard soon became known in serious photography circles. In 1956, his work was exhibited beside that of Ansel Adams, Aaron Siskind, Harry Callahan and Edward Weston. Five years later, Beaumont Newhall, then director of the George Eastman House, listed him in Art in America as one of the “new talents” in American photography. In the late 1960s, he collaborated with the writer Wendell Berry on The Unforeseen Wilderness, a book about Kentucky’s Red River Gorge. In 1973, the New York Times called him a “backwoods oracle.”

His last major project was The Family Album of Lucybelle Crater, a series of portraits of his wife and a rotating cast of family and friends; it was published posthumously in 1974. The project’s title was inspired by the Flannery O’Connor story “The Life You Save May Be Your Own,” in which a woman introduces both herself and her deaf-mute daughter as “Lucynell Crater.” In Meatyard’s book, everyone is masked, and everyone is identified as “Lucybelle Crater.” As Gowin says of his friend: “He was so many people all mixed up in one.”

The bookish Zen jazzmeister also served as president of the local PTA and the Little League and flipped burgers at the Fourth of July party. Meatyard “was a quiet, diffident, charming person on the surface,” says his friend the writer Guy Davenport. But that, he added, was “a known ruse of the American genius.”

David Zax, a freelance writer living in Brooklyn, New York, is a frequent contributor to Smithsonian.

Read more: https://www.smithsonianmag.com/arts-culture/ralph-eugene-meatyard-the-man-behind-the-masks-106625198/#7J45JLE7zCRihHoJ.99 Give the gift of Smithsonian magazine for only $12! http://bit.ly/1cGUiGv Follow us: @SmithsonianMag on Twitter Les suds profonds de l'Amérique Rétrospective Ralph Eugene Meatyard "L'opticien du Kentucky" & "New Orleans : ruines, mythe, chaos" (Alex Harris, Clarence John Laughlin)

21 octobre 2010 - 30 janvier 2011

Du 21 octobre au 30 janvier prochain, la Ville de Montpellier accueillera au Pavillon populaire une exposition photographique bipartite Les Suds profonds de l'Amérique conçue par , dans le cadre de l'année des Etats-Unis à Montpellier, qui célèbre le 55ème anniversaire du jumelage de la ville avec Louisville, Kentuky, Etats Unis.

Cette exposition est la première rétrospective française consacrée à Ralph Eugene Meatyard (1925-1972), visionnaire de génie dont l'œuvre influença en profondeur la photographie américaine des années 1960 et 1970. Egalement présentées pour la première fois en France, les œuvres surréalistes de Clarence John Laughlin (1905-1985), où l'image fantomatique de la femme se dévoile sur les ruines d'un monde en disparition, celui des plantations et des cimetières de La Nouvelle-Orléans dans les années 1940 et 1950. Second volet de cette exploration des « deep souths », ces œuvres de C.J. Laughlin seront mises en regard avec celles du photographe contemporain Alex Harris, pour une approche de l'insaisissable ville louisianaise, réunie sous le titre évocateur New Orleans : ruine, mythe, chaos. Le travail documentaire en couleur d'Alex Harris, réalisé en mars 2006, sublime quant à lui les traces du bouleversement laissé par l'ouragan Katerina en août 2005 sur les côtes louisianaises et dans les quartiers dévastés de La Nouvelle-Orléans.

En choisissant d'explorer dans toute sa richesse cet art majeur qu'est la photographie et en lui consacrant une place centrale dans sa politique culturelle, la Ville de Montpellier fait preuve d'ambition et s'inscrit dans un soutien sans cesse renouvelé aux arts visuels, consciente que, dans une civilisation de l'image, il est nécessaire de permettre à chacun de saisir la puissante invitation au regard que représente l'esthétique photographique.

Commissariat : Gilles Mora RALPH EUGENE MEATYARD American Mystic at Fraenkel Gallery in San Francisco by SACIA FRIEDMAN AND LIZ MACDONALD

Ralph Eugene Meatyard isn’t widely known outside the photography world, but he is considered a central figure to American visionary photography. His dreamlike images and experimental abstractions have had a major impact on contemporary photographers, an influence just beginning to be recognized nationally at the time of his death. Ralph Eugene Meatyard: American Mystic at San Francisco’s Fraenkel Gallery features over thirty works by this enigmatic photographer, alongside the artist’s notebooks and annotated volumes from his personal library.

Ralph Eugene Meatyard worked out of Lexington, Kentucky, where he made his living as an optometrist. But to categorize his work as outsider, fringe or southern gothic would be a mistake. Meatyard was part of a tight knit creative circle in Lexington that included writers, intellectuals, philosophers and photography mentors. He used his expertise in optometry to manipulate images, experimenting with shutter speeds, focus and multiple exposures. The resulting photographs elevate the captured image to a level of storytelling that includes much more than merely the objects in front of the camera. As one of his closest collaborators, poet and scholar Guy Davenport has put it, Meatyard’s best images resemble “short stories that have never been written.”

ABOVE: ROMANCE (N.) FROM AMBROSE BIERCE # 3, (1962). © THE ESTATE OF RALPH EUGENE MEATYARD, COURTESY FRAENKEL GALLERY, SAN FRANCISCO. PHOTOGRAPHY Most of Meatyard’s work was made in abandoned farmhouses PAGE / HOME PAGE: UNTITLED, (1963). © THE ESTATE OF RALPH EUGENE MEATYARD, COURTESY FRAENKEL GALLERY, SAN FRANCISCO in the central Kentucky bluegrass region and use his family members as subjects. The photographs are deliberately staged tableaux, often including masks and dolls. Meatyard’s children were primary to his themes of mortality, intimacy and unknowability, the surreal “masks” of identity and the ephemeral nature of surface matter. His images are at once matter of fact and enigmatic, with a surreal tension between what’s there and not there, pushing the boundaries of the medium’s customary role as a recorder of reality.

Ralph Eugene Meatyard: American Mystic will be on view at Fraenkel Gallery through May 6. You can view highlights from the exhibition here, above and below.

Untitled, (1963). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Lucybelle Crater and photo professor Lucybelle Crater, (ca. 1970-72). © The Fraenkel Gallery, San Francisco. Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled [Thomas Merton, early winter], (1967). © The Estate of Ralph Untitled, (1960). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco. Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled, (ca. 1955). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, Untitled, (ca. 1964). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco. Fraenkel Gallery, San Francisco.

Prescience, (1960). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled, (ca. 1959-60). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled, (ca. 1968-69). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled, (1957-58). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco.

Untitled, (ca. 1968-72). © The Estate of Ralph Eugene Meatyard, Self-Portrait, (ca. 1950) [snapshot]. © The Estate of Ralph Eugene courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco. Meatyard, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Ralph Eugene Meatyard Sets the Stage By Whitney Hale Sept. 7, 2018

Untitled" work by Ralph Eugene Meatyard from 1960. Courtesy of Fraenkel Gallery.

LEXINGTON, Ky. (Sept. 7, 2018) —The Art Museum will mount the largest exhibition of photographs by Ralph Eugene Meatyard ever presented in his adopted hometown. The exhibition will be on view from Sept. 8-Dec. 9, 2018, and occupies the entirety of the museum’s second floor, in the galleries usually reserved for the permanent collection. This survey of one of the 20th century’s most compelling photographers is complimented by a related exhibit featuring a range of artists inspired by Meatyard’s images and his working methods. In addition to these installations, Alix Pearlstein’s recent commissioned film, “Grass,” will be on view. It was shot over a three-day period at Lexington’s Mill Ridge Farm.

“Ralph Eugene Meatyard: Stages for Being”

Ralph Eugene Meatyard (1925-1972) made his living as an optician in Lexington while creating enigmatic photographs featuring friends and family members posed in abandoned places, often wearing masks or enacting symbolic gestures. His work took advantage of the local environment and dialogue with a robust group of peers, including Wendell Berry, Guy Davenport and Thomas Merton, among others. Meatyard was an avid reader, and his deep interest in abstract art, literature, theatre, history and Zen philosophy had a profound influence on the construction of his images.

“He picked the environment first,” Christopher Meatyard says of his father’s method. “Then he’d look at the particular light in that moment, in that place, and start composing scenes using the camera.” Subjects were placed in the frame and given direction to move or stand still. The results are simultaneously tender, surreal and theatrical.

Meatyard’s work has been widely exhibited at museums and galleries around the world, but he has not had a significant solo exhibition in his hometown. “Stages for Being” brings together 99 vintage prints from the 1950s and 60s, many which have not been exhibited or reproduced before. These works reveal Meatyard’s selection of local and regional architecture and outdoor environments that frame the human body to create provocative moments of enigmatic narrative.

The implied stories in Meatyard’s work can be used as jumping-off points for various productions that can broaden the ways in which his images are understood and appreciated. This exhibition nurtures that opportunity: two commissioned plays (by Kara Corthron and Silas House), poetry readings, concerts and other events will be presented in the museum throughout the fall.

“Downstage from Meatyard”

This exhibition brings together a range of artists whose works can be linked to the photographs of Ralph Eugene Meatyard by way of his working methods and the psychological and poetic nature of his images. Among these are the collaborative aspect of using family members and friends as models or “actors”; seeking out and utilizing architectural and natural settings for their stage-like potential; and his distinct combination of reality and dream- like and surreal conditions. Exhibiting artists include Roger Ballen, Mia Cinelli, Mara Eagle, Robert C. May, Guy Mendes, Didier and Francois Morelli, Laurel Nakadate, and Catherine Opie.

“Alix Pearlstein: Grass”

Alix Pearlstein’s work in video and performance often brings together groups of actors to explore scripted and improvised movements and dialogue. The results possess a sense of purpose and restraint as the camera and participating bodies negotiate shared space.

In 2017, the UK Art Museum invited Pearlstein to visit Mill Ridge Farm, a family business in Lexington with a 50-year commitment to the breeding, care and cultivation of thoroughbreds and the education of audiences about the horse industry.

The result is a 30-minute film, shot over three consecutive days on a single field at Mill Ridge, occupied by the same group of mares and foals. Scenery, point of view, time of day and activity varies, along with a spectrum of associated moods, atmospheres and tones.

Pearlstein’s approach to filming emerged through prolonged observation of the temporal conditions of the horses’ daily lives and routines. This was founded on a premise to consider the field as a stage and the horses as actors. But with these actors there could be no directions, no notes or second and third takes — only responses.

“Grass” will be shown as a projection in the small gallery downstairs at the museum, and while not exactly connected to the Meatyard exhibitions, it will offer another way of looking at bodies in space.

The UK Art Museum, located in the Singletary Center for the Arts at Rose Street and Euclid Avenue, is open 10 a.m. to 5 p.m. Tuesday through Thursday, 10 a.m. to 8 p.m. on Friday, and noon to 5 p.m. Saturday and Sunday. Admission is free but donations are encouraged.

The mission of the UK Art Museum, part of the UK College of Fine Arts, is to promote the understanding and appreciation of art to enhance the quality of life for people of Kentucky through collecting, exhibiting, preserving and interpreting outstanding works of visual art from all cultures. Home to a collection of more than 4,800 objects including American and European paintings, drawings, photographs, prints and sculpture, the museum presents both special exhibitions and shows of work from its permanent collection.

UK is the University for Kentucky. At UK, we are educating more students, treating more patients with complex illnesses and conducting more research and service than at any time in our 150-year history. To read more about the UK story and how you can support continued investment in your university and the Commonwealth, go to: uky.edu/uk4ky. #uk4ky #seeblue Dolls And Masks by Ralph Eugene Meatyard (26 photos) Meatyard was born in Normal, Illinois and raised in the nearby town of Bloomington, Illinois. When he turned 18 during World War II, he joined the Navy. The war ended before he received any overseas assignments. After being mustered out, he briefly studied Pre-Dentistry, then turned his studies to becoming an optician. After his marriage, he and Madelyn moved to Lexington, Kentucky, to continue his trade as an optician, working for Tinder-Krausse-Tinder, a company that also sold photographic equipment. The owners of the company were active members of the Lexington Camera Club, for which the Art Department of the University of Kentucky provided exhibition space.

Meatyard purchased his first camera in 1950 to photograph his newborn first child, and worked primarily with a Rolleiflex medium-format camera ever afterwards. He eventually found his way to the Lexington Camera club in 1954, and at the same time joined the Photographic Society of America. It was at the Lexington Camera Club that Meatyard met Van Deren Coke, an early influence behind much of his work. Coke exhibited work by Meatyard in an exhibition for the university entitled “Creative Photography” in 1956.

RALPH EUGENE MEATYARD: THE FAMILY ALBUM OF LUCYBELLE CRATER AT DC MOORE GALLERY By Susan Silas

How to explain my enduring attachment to the peculiar and eccentric photographs of Ralph Eugene Meatyard? Could it be that I came across them early in my study of photography and art, so that they are embedded in the foundation of knowledge that was built upon over a lifetime? Maybe I associate them with the period of time when I was learning darkroom techniques, experiencing the magic of seeing a print appear on a blank page. Was it because his surname was so great? Ultimately, it has to do with the lasting impression of the photographs themselves. In The Family Album of Lucybelle Crater, on view at DC Moore Gallery through February 3, Meatyard took portraits of his family and friends, generally restricting the images to two models at a time, in the most ordinary of environments, except that each model was wearing a latex mask of the kind that might be purchased to dress as a monster or disguise oneself for a bank robbery. Astonishingly, the same mask seems to bear different expressions in different photographs, while the expression of the sitter has been erased. What remains, and what defines each photograph, is body language . And that body language is photographed against what was then emerging suburbia. While Meatyard’s photographs are often spoken of in relationship to his sitters, they are also a profound early portrait of suburban America. Meatyard spoke of the erasure of the face as a democratizing strategy, and perhaps this was also an ambition of post-war America – to create a suburban world of equal citizens, with equal opportunities and identical houses filled with nearly identical consumer products. Yet the underbelly of this vision was a totalitarian regime, developing simultaneously in the Soviet Union, in which individual rights didn’t matter, and state -produced items – identical, shabby, and scarce – were the only ones available. In a strange way, this Cold War drama plays out in each tiny frame. Meatyard’s prints are both genteel and perverse, and it is this tension that makes them so enduring.

Ralph Eugene Meatyard, Lucybelle Crater et fils de deux personnes précédentes Lucybelle Crater , 1970-1972. © Domaine de Ralph Eugene Meatyard, avec la permission des galeries DC Moore et Fraenkel

Comment expliquer mon attachement persistant aux photographies particulières et excentriques de Ralph Eugene Meatyard? Se pourrait-il que je les ai rencontrés au début de mon étude de la photographie et de l’art, de manière à ce qu’ils s’inscrivent dans le socle du savoir sur lequel s’est construit au cours d’une vie? Peut-être que je les associe à la période où j'apprenais les techniques de chambre noire, découvrant la magie de voir une empreinte apparaître sur une page vierge. Était-ce parce que son nom de famille était si génial? En fin de compte, cela a à voir avec l'impression durable des photographies elles-mêmes. Dans l' album familial de Lucybelle Crater , exposé à la galerie DC Moore jusqu'au 3 février, Meatyard a photographié sa famille et ses amis, limitant généralement les images à deux modèles à la fois, dans les environnements les plus ordinaires, à l'exception de chaque modèle. porter un masque en latex du genre de celui qui pourrait être acheté pour s'habiller comme un monstre ou se déguiser pour un vol de banque. Étonnamment, le même masque semble porter différentes expressions sur différentes photographies, tandis que l'expression de la personne qui suit a été effacée. Ce qui reste et ce qui définit chaque photographie, c'est le langage du corps. Et ce langage corporel est photographié par rapport à la banlieue en émergence.

Ralph Eugene Meatyard, Lucybelle Crater et son ami frère, Lucybelle Crater , 1970-72. © Domaine de Ralph Eugene Meatyard, avec la permission des galeries DC Moore et Fraenkel

Bien que les photographies de Meatyard soient souvent évoquées en relation avec ses modèles, elles constituent également un portrait précoce des profondeurs de l’Amérique suburbaine. Meatyard a parlé de l’effacement du visage comme d’une stratégie de démocratisation. C’était peut-être aussi l’ambition de l’Amérique de l’après-guerre: créer un monde suburbain de citoyens égaux, avec des chances égales et des maisons identiques remplies de produits de consommation presque identiques. Pourtant, le fond de cette vision était un régime totalitaire se développant simultanément en Union soviétique, dans lequel les droits individuels importaient peu et où seuls les éléments produits par l'État - identiques, minables et rares - étaient disponibles. De manière étrange, ce drame de la guerre froide se joue dans chaque petit cadre. Les empreintes de Meatyard sont à la fois distinguées et perverses, et c'est cette tension qui les rend si durables. Ralph Eugene Meatyard (15 mai 1925 – 7 mai 1972) est un photographe américain, de Normal dans l'Illinois. Biographie Meatyard est né à Normal dans l'Illinois. Après son mariage avec Madelyn McKinney, il s'installe à Lexington (Kentucky), où il poursuit son activité d'opticien, pour l'enseigne Tinder-Krausse-Tinder, vendant également du matériel photographique. Il achète son premier appareil-photo en 1950 pour photographier son fils, Michael. Quatre ans plus tard, il rejoint le club photo de Lexington - où il rencontre Van Deren Coke, une de ses premières influences - et la Photographic Society of America. Coke sélectionne des photos de Meatyard pour l'exposition "Creative Photography" en 1956 à l'université locale. Dans les années 50, Meatyard assiste à une série d'ateliers menés par Henry Holmes Smith à l'Université de l'Indianamais aussi par Minor White. Ce dernier fait découvrir la philosophie Zen à Meatyard.à Bibliographie

• (en)Ralph Eugene Meatyard, Phaidon Press, 2002 (ISBN 0-7148-4112-9) pp. 3–10 • (en) James Baker Hall, Ralph Eugene Meatyard: Emblems & Rites (Millerton, New York: Aperture, 1974) • (en) John Szarkowski ; Mirrors and Windows: American Photography since 1960. (Museum of Modern Art, New York, 1978) pp. 14 – 15. Liens externes

• (en) Images en ligne [archive] • Notices d'autorité : Fichier d’autorité international virtuel • International Standard Name Identifier • Union List of Artist Names • Bibliothèque nationale de France (données) • Système universitaire de documentation • Bibliothèque du Congrès • Gemeinsame Normdatei • Bibliothèque royale des Pays- Bas • Bibliothèque nationale d’Israël • Id RKDartists • WorldCat • Ressources relatives aux beaux-arts : Artcyclopedia • Artnet • Artsy • Christie's • Invaluable • Minneapolis Institute of Art • Musée d'art Nelson-Atkins • Musée des Beaux-Arts du Canada • National Gallery of Art • Smithsonian American Art Museum