Remy De Gourmont. Essai De Biographie Intellectuelle
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REMY DE GOURMONT Essai de biographie intellectuelle Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. (Imprimé en France) REM Y DE GOURMONT en 1914 (Portrait par Olga Rosnonska) GARNET REES, M. A. Université du Pays de Galles Docteur de l'Université de Paris REMY DE GOURMONT Essai de biographie intellectuelle BOIVIN & C ÉDITEURS, 5, RUE PALATINE, PARIS AVANT-PROPOS Je tiens à remercier vivement, au seuil de cet essai critique, mon maître Monsieur Maurice Levaillant, Professeur à la S or- bonne, qui, par ses conseils éclairés et ses encouragements ami- caux, n'a cessé de faciliter ma tâche ; mon maître, Monsieur An- dré Barbier, Professeur de Français à l'University College of Wales, Aberystwyth, qui, après avoir dirigé mes efforts préli- minaires, m'a suggéré l'idée d'entreprendre ce travail. Je dois une reconnaissance profonde — pour tout ce que cet ouvrage peut contenir d'inédit — au regretté Edouard Champion et à Madame Edouard Champion, qui m'ont constamment encouragé et qui m'ont permis d'examiner les trésors de la Collec- tion Champion ; à Miss Natalie Clifford Barney, à MM. Paul Léautaud, Jules de Gaultier, André Rouveyre, Edouard Du- jardin, qui ont eu la très grande amabilité de me communiquer les documents en leur possession. Ce serait manquer à la gratitude que d'oublier dans cette liste les noms de ceux qui m'ont très cordialement reçu et transmis oralement les souvenirs que leur amitié ou leur admiration pour Remy de Gourmont n'ont jamais laissé mourir : MM. Camille Mauclair, Arnold Van Gennep, Lucien Corpechot, et Yvanhoe Rambosson. MM. Arthur Symons, Ezra Pound, Marcel Cou- Ion et Paul Voivenel ont bien voulu me donner des précisions sur des aspects inconnus de l'œuvre de Gourmont. Finalement, je remercie en toute affection mon ami, M. Al- fred R. Péron, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure agrégé de l'Université, qui m'a souvent aidé à « éclairer ma lan- terne », au cours de conversations sans apprêt. GARNET REES. Paris, juin, 1939. PRÉFACE La guerre de 1914 à 1918 s'élève comme une barrière entre deux générations ; les admirations littéraires d'avant- guerre sont aujourd'hui démodées ou même oubliées. Parmi les écrivains négligés est Remy de Gourmont. Cet esprit curieux n'a jamais exercé d'influence littéraire. D'un abord difficile, il dédaigna la gloire et la popularité. Ignorant toute influence matérielle de vente, d'honneurs officiels, ou d'argent, il suivit tranquillement pendant toute sa vie, les impulsions de son ardente sensibilité. Né en 1858, il subit successivement l'influence de l'évo- lution littéraire ; parti d'un classicisme universitaire, il évolua sous l'égide de ses maîtres Villiers de l'Isle Adam et Mallarmé, vers un symbolisme outré. Fanatique de la philosophie idéaliste, il écrivit des ouvrages où s'inscrivent, dans un style précieux gemmé d'images rares, des varia- tions sur l'idée de Schopenhauer « le monde est ma repré- sentation ». Ses écrits de cette époque sont délaissés aujour- d'hui : Sixtine, les Chevaux de Diomède et l'Histoire tragique de la Princesse Phenissa, n'ont plus de lecteurs. Il est évident que ces livres ne contribuent en rien à la solution des inquiétudes contemporaines, mais ils ont leur charme particulier, indécis et précieux. Tout en intelli- gence, Remy de Gourmont évolua vite vers une formule plus souple. Esprit encyclopédique, il s'intéressa à la science, et suivit de près les expériences du Docteur René Quinton. Les connaissances scientifiques lui font défaut parfois, mais son intelligence si grande sait tirer parti des plus menus faits. La caractéristique fondamentale de son esprit est un scepticisme absolu, non pas un scepticisme indiffé- rent, mais celui du sensuel qui refuse d'épouser une seule idée afin de pouvoir les goûter toutes, tour à tour. Remy de Gourmont se promena dans la vie portant une cotte de mailles, prêt à défendre la liberte de l'art, des mœurs, et de la vie. L'hypocrisie et la foi étaient ses deux ennemies qu'il traqua même dans les endroits les plus surprenants. Occupé à dissocier les idées il commenta ironiquement l'actualité dans ses Epilogues. La vie de la France entre 1895 et 1914 se déroule dans ces échos, vue à travers l'esprit critique de Gourmont. Il ne jugea point (ainsi il n'exprima jamais sa propre opinion sur l'affaire Dreyfus) ; il regarda. Son enthousiasme pour les idées était sans bornes ; devant une idée nouvelle, il restait en extase, la caressant avec une joie voluptueuse. La vie de Gourmont était pourtant affreusement triste. Il fut atteint d'un lupus tuberculeux au visage pendant sa jeunesse, et la défiguration qui en résulta le tint à l'écart de la vie. Refoulé sur lui-même, il traversa une période de souffrances morales (traduites si discrètement dans le Fantôme et dans les contes de cette époque), et enfin réussit à surmonter l'horreur de cette infirmité. Il était naturellement réservé, et penchait vers le doute ironique ; la qualité impersonnelle et inhumaine de son œuvre ne résulte pas entièrement de sa maladie, bien que celle-ci ait faussé les rapports de Gourmont avec le monde. Poète, critique, dramaturge, conteur, philologue, savant, psychologue, romancier ; il fit de son œuvre la glorifica- tion de l'intelligence. Etroitement lié à son époque, il en est la voix la plus douée, la plus universelle. A lui seul, il résume presque toutes les tendances d'un moment de la littérature française. Son apprentissage symboliste a laissé une empreinte profonde sur son œuvre. Son érotisme, sa froideur appa- rente et son irréligion sont autant d'obstacles à sa popu- larité. Sa pauvreté l'obligea à écrire dans les revues et les journaux, et son énorme production est d'une valeur iné- gale. La forme écourtée de la chronique ne permet pas de développer longuement les idées, mais Gourmont réussit à introduire tant de substance dans un article d'une tren- taine de lignes, que l'on criait au paradoxe. Pourtant il tenait le paradoxe pour un exercice méprisable et trop facile. C'est un auteur « difficile ». Son bagage littéraire (une cinquantaine de volumes) contient tant de pièces variées, il a changé d'idées si souvent — tout en restant le même esprit indépendant — qu'on ne peut facilement sai- sir le principe directeur de son œuvre. Son intégrité artis- tique est absolue ; s'il a joué avec les idées et essayé toutes les formes littéraires, c'est qu'il croyait que le philosophe devait tout savoir, et le critique tout faire. Aucune affir- mation brutale, aucun effort de prosélytisme dans son œuvre ; voilà pourquoi sa voix douce et ironique est noyée aujourd'hui, et, trop oubliée. Très peu d'efforts ont été faits pour commenter son œuvre et la dévoiler à un public plus grand. De son vivant Gourmont a joui d'une certaine renommée, grâce à la grande diffusion du Mercure de France. En France les études de MM. Pierre de Querlon, Louis Dumur, Francis de Miomandre, Marcel Coulon, André du Fresnois et Paul Escoube (1) contribuèrent à le faire connaître. Après la guerre les études sympathiques de M. André Rouveyre ont révélé des côtés cachés de Gourmont, et M. Paul Léau- taud a su combiner, pour parler de lui, des traits piquants avec des remarques d'une grande clairvoyance. « L'Ama- zone » (2) aussi a aidé à faire la lumière sur le travail de Gourmont. Plus récemment encore MM. Paul Voivenel, René Taupin, André Beaunier et Gabriel Brunet lui ont consacré des « essais ». Remy de Gourmont qui raillait de bon cœur « l'esprit (1) Voir la bibliographie à la fin du volume. (2) Miss Natalie Clifford Barney. universitaire » a pourtant été le sujet de deux thèses de doctorat. Une première, présentée en 1928, à l'Université de Toulouse, par M. Eugène Bencze, s'est bornée à étudier la Doctrine esthétique de Remy de Gourmont. Cet ouvrage très documenté présente les qualités littéraires de l'auteur d'une façon admirable, mais il est limité par le choix même du sujet. A notre avis, l'esthétique de Gour- mont est inextricablement liée à sa. philosophie et aux circonstances de sa vie. Une deuxième thèse, Remy de Gourmont par M. P.-E. Jacob a été présentée à l'Univer- sité d'Illinois. L'auteur n'a pas pu consulter les documents uniques conservés à Paris, à la Bibliothèque Nationale, à la Bibliothèque Doucet de l' Université de Paris, et par les amis de Gourmont. Donc il y a des lacunes dans cette étude uniquement faite à l'aide de textes imprimés. De plus, la méthode de l'ouvrage — chapitres consacrés à des aspects différents de Gourmont : Poète et dramaturge, Conteur et Romancier, etc. — ne permet pas l'étude du développement chronologique de Gourmont. Il nous a donc semblé légitime de reprendre l'œuvre de Gourmont, de la suivre dans l'ordre chronologique, en essayant de noter les influences successives qu'il a subies. Nous avons essayé de présenter un tableau de sa vie et de son œuvre, insistant sur son milieu et sur ses amis, car Gourmont est resté symboliste. Dans cette tâche nous avons eu la chance de trouver quelques lettres inédites et quelques faits nouveaux. Les difficultés bibliographiques s'attachant à l'étude de Gourmont sont très grandes. Ecrivant dans nombre de journaux et de revues français et étrangers, il a réimprimé la plupart de ces articles dans ses volumes, sans y rien changer. Pourtant il en reste encore d'oubliés, dans les pages de ces revues. Nous en donnons une liste à la fin de ce volume (1). (1) Cette liste est plus complète que celles qui ont été données dans les autres essais de bibliographie gourmontienne.