LA FABRICATION De La Propagande
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Noam UEdward CHOMSKY ITERMAN LA FABRICATION DU CONSENTEMENT De la propagande médiatique en démocratie Il n’aura échappé à personne que le postulai démocratique affirme que les médias sont indépendants, déterminés à découvrir la vérité et à la faire connaître ; et non qu'ils passent le plus clair de leur temps à donner l’image d'un monde tel que les puissants souhaitent que nous nous le représentions, qu'ils sont en position d'imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir, d'entendre ou de penser, et de « gérer » l’opinion à coups de campagnes de propagande Contre-Feux Agone LA FABRICATION DU CONSENTEMENT Noam Chomsky & Edward S. Herman La fabrication du consentement De la propagande médiatique en démocratie Nouvelle édition revue & actualisée Texte intégral traduit de l'anglais Édition préparée par Benoît Eugène & Frédéric Cotton Les mêmes qui leur ont ôté les yeux reprochent au peuple d’être aveugle. John Milton Au sujet du scandale de l’Irangate, on blâma le président pour sa désinvolture. Mais le peuple avait pourtant eu tout loisir de constater que telle était sa manière ordinaire de faire, ou de ne rien faire, avant de le porter à la Maison- Blanche, pas une fois mais bien deux. James Reston À la mémoire d’Alex Carey et de Herbert I. Schiller Pour ce que nous en connaissons, la petite histoire de l'édition de ce livre en fran çais commence en 2001, quand nous avons tenté, en vain, de l'inscrire dans notre programme de traductions. (Passons pudiquement sur certains us et coutumes du monde des agents littéraires.) Ce livre parut pour la première fois en 2003, sous le titre La Fabrique de l'opinion publique. La politique économique des médias amé ricains, aux éditions du Serpent à plumes. Nous n'avons pas été les seuls à regret ter la traduction largement caviardée - que soit d'ailleurs ici remercié Louis-Jo pour tous les vigilants lecteurs anonymes. Enfin, c'est en passionné d'une œuvre dont il découvrait l'importance politique que Dominique Arias nous a proposé, voilà quatre ans déjà, son projet de traduction intégrale. On trouvera les références des livres et articles cités dans les notes numérotées en chiffres arabes reportées, par chapitre, pages 605-645. Préface et ouvrage est construit autour de ce que nous appe C lons un « modèle de propagande », une construction analytique dont l’objet est de tenter de rendre compte du fonctionnement des médias américains à partir des struc tures institutionnelles de base et du système de relations dans lesquels ils opèrent. Notre point de vue est que les médias, entre autres fonctions, jouent le rôle de serviteurs et de propagandistes des puissants groupes qui les contrô lent et les financent. Les porteurs de ces intérêts ont des objectifs précis et des principes à faire valoir, ils sont aussi en position d’infléchir et d’encadrer l’orientation des médias. Cela ne s’opère généralement pas au moyen d’interventions directes et grossières mais plutôt grâce à la sélection d’un personnel politiquement aux normes et l’intériorisation par les rédacteurs et les journalistes des priorités et des critères définissant ce qu’est une information valable en conformité avec les politiques de l’establishment. Les facteurs structurant le système sont la propriété et le contrôle directs des médias, mais aussi les autres sources de dépendance financière - et particulièrement les annon ceurs —, ainsi que les intérêts et liens croisés des médias avec ceux qui font (et ont les moyens de définir) l’information et son sens. Le modèle de propagande intègre aussi d’autres formes de pouvoir, comme la capacité d’organiser des cam pagnes de protestation contre le traitement d’une informa tion par les médias (dans le jargon : « flak » - du nom d’un canon de DCA allemand) et de fournir des « experts » confirmant la version officielle d’un événement donné. Enfin s’ajoute la capacité à faire régner l’idéologie et les »# ■ - - ------------------------------------------- iA fAeWCATTON BtrCÔNSBmMfcNT principes élémentaires que les élites et le personnel média tique tiennent pour acquis alors même qu’une bonne part de la population les récusent Dans un tel contexte, les pouvoirs qui possèdent les médias, les financent par le biais de la publicité, définissent l’information a priori puis pro duisent tant les contre-feux que les experts sur mesure nous semblent être au cœur de la production de l’idéologie dominante et des catégories d’entendement. Pour nous, ce que font les journalistes, ce qu’ils consi dèrent comme de l’information digne d’intérêt et les pré supposés sur lesquels se fonde leur travail s’expliquent généralement très bien par le seul jeu des incitations, pres sions et autres contraintes que prend en compte une telle analyse structurelle. Bien que prépondérants dans le fonctionnement des médias, ces facteurs structurels ne contrôlent pas tout, et les effets qu’ils produisent sont loin d’être constants, simples et homogènes. Il est de notoriété publique, et doit être intégré à part entière dans une critique institutionnelle telle que celle que nous présentons ici, que les divers com posantes des médias jouissent d’une relative autonomie, que certaines valeurs individuelles ou professionnelles ne sont pas sans influence, que l’on prend soin d’éviter d’im poser une ligne éditoriale stricte et que le système s’ac commode parfaitement d’un certain degré de dissidence mettant en cause les versions des faits les plus consen suelles. Ce sont ces particularités qui assurent une certaine dose de dissidence et la couverture, comme dans certains reportages, de faits embarrassants ". Toute la beauté du système réside cependant dans le fait que ces points de vue dissidents et ces informations déran geantes restent encadrés et tenus à la marge, de sorte que, I. II. I. Sur nombre de sujets tels que les accords commerciaux, la sécurité sociale ou la hauteur souhaitable des budgets militaires, l'antagonisme est total entre d'un côté les élites et les milieux journalistiques, et de l'autre l'ensemble de la population - lire « annexe I », infra, p. 97. II. C'était aussi vrai en Union soviétique où, suite à la publication dans les médias de révélations embarrassantes au sujet de la guerre en Afghanistan, le ministre soviétique de la Défense accusa la presse de manquer de patriotisme V PRÉFACE ........-...................Il s’ils permettent d’affirmer que le système n’est pas mono lithique, ils restent en proportion suffisante pour ne pas compromettre la domination de la ligne officielle. Il est important de souligner que c’est bien de la struc ture de l’appareil médiatique et de son fonctionnement qu’il s’agit ici de traiter, non de son influence sur le public. Sans doute l’adhésion des médias, avec un minimum de dissidence, à un ordre du jour officiel a-t-elle généralement pour effet de pousser le public dans la direction voulue, mais tout est question de degré. Lorsque les intérêts du public divergent drastiquement de ceux des élites et lorsque celui-ci dispose de ses propres sources d’information indé pendantes, la ligne officielle peut être fortement ébranlée. Ce que nous soulignons est que le modèle de propagande décrit des forces qui surdéterminent la forme de ce que font les médias. Ce qui n’implique aucunement que toute propagande médiatique soit nécessairement efficace. On trouvera en fin de chapitres une réactualisation du modèle de propagande et des études de cas présentés dans la première édition en 1988, qui demeurent tous parfaitement opérationnels2. Noam Chomsky & Edward Herman, 2002 1 I. I. Si nous assumons seuls la responsabilité du présent ouvrage, nous tenons à remer cier tout particulièrement les personnes suivantes pour leur collaboration dans la pré paration de ce livre : James Aronson, Philip Beryman, Larry Birns, Frank Brodhead, Holly Burkhalter, Donna Copper, Carol Fouke, Eva Cold, Carol Gosland, Roy Head, Mary Flerman, Rob Kirsch, Robert Krinsky, Alfred McClung Lee, Kent McDougall, IKlejat Ozyegin, Nancy Peters, Ellen Ray, William Schaap, Karin Wilkins, Warren Witte et JamieYoung. Introduction es années de recherches consacrées aux médias nous Dont convaincus que les médias sont utilisés pour mobi liser un vaste soutien aux intérêts particuliers qui dominent les sphères de l’État et le secteur privé '. Leurs choix de mettre en avant un sujet ou d’en occulter d’autres s’expli quent souvent beaucoup mieux dans un tel cadre d’analyse, et dans certains cas avec la force de l’évidence. Il n’aura échappé à personne que le postulat démocratique affirme que les médias sont indépendants, déterminés à découvrir la vérité et à la faire connaître ; et non qu’ils pas sent le plus clair de leur temps à donner l’image d’un monde tel que les puissants souhaitent que nous nous le représen tions. Ceux qui dirigent les médias crient haut et fort que leurs choix éditoriaux sont fondés sur des critères impar tiaux, professionnels et objectifs - ce que cautionnent les intellectuels. Mais s’il s’avère effectivement que les puissants sont en position d’imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir d’entendre ou de pen ser, et de « gérer » l’opinion à coups de campagnes de pro pagande, l’idée communément acceptée du fonctionnement du système n’a alors plus grand-chose à voir avec la réalité. I. I. « Intérêts particuliers » est utilisé ici dans son sens le plus commun, non au sens orwellien qui lui fut attribué, au coure de la période Reagan, pour désigner les ouvriers, agriculteurs, femmes, jeunes, Noirs, personnes âgées, infirmes, chômeurs, etc - bref, la majeure partie de la population.