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Le Demi-Argus semiargus (Rottemburg, 1775) apprécie les pelouses calaminaires de la région Nord - Pas- de-Calais ! Guillaume Lemoine

Résumé La région Nord - Pas-de-Calais accueille diverses végétations calaminaires issues de la métallurgie et du travail du zinc. Des prospections récentes sur les pelouses qui les hébergent ont permis d’y découvrir la présence du Demi- Argus . Ces observations réalisées loin du bastion connu des populations avesnoises laisseraient supposer l’existence d'une corrélation entre la présence du Demi-Argus et celle d’une végétation métallicole et de taxons métallophytes. La présence de très importantes populations d’Armérie de Haller Armeria maritima subsp. halleri sur ces différents sites et diverses références bibliographiques laisseraient à penser que cette sous-espèce puisse être une plante-hôte du Demi-Argus, même si le développement de la chenille du papillon est principalement inféodée aux Fabacées. Si cette relation se confirmait, l'intérêt patrimonial des espaces calaminaires régionaux s'en trouverait renforcé. The Mazarine Blue Cyaniris semiargus (Rottemburg, 1775) appréciâtes the calaminarian grasslands of the “région Nord - Pas-de-Calais” ! Summary The "région Nord - Pas-de-Calais" harbors various types of calaminarian végétation on lands pollued by the metallurgical (particulary zinc) industry. Recent prospecting on the grasslands where it grows has permited the discovery of the Mazarine Blue Cyaniris semiargus. Those observations carried out far away from the known bastion of the populations of "Avesnois" would lead one to suppose that there is a corrélation between the presence of the Mazarine Blue and the metallicolous végétation. The presence of very important populations of calaminarian Sea Thrift in these different areas and various bibliographical references would suggest that this subspecies might be a host plant for the Mazarine Blue, even if the development of the Caterpillar of the mainly dépends on Fabacea. If that relationship were confirmed, it would reinforce the patrimonial value of the régional calaminarian areas.

Mots-clés : Demi-Argus, dépôts calaminaires, pelouses, Armena maritima subsp. halleri, Armérie maritime, plantes- hôtes. Key words: Mazarine Blue, Calaminarian embrankments, grasslands, Armeria matitima subsp halleri, Sea Thrift, hostplants. Introduction Les pelouses calaminaires sont classées en trois catégories (Duvigneaud et al., 1993 in Graitson et al., 2005). Les pelouses calaminaires primaires correspondent aux végétations présentes sur les zones naturelles où affleurent les différents minerais (zinc, plomb, cadmium). Les pelouses calaminaires de plaine, secondaires et tertiaires, correspondent à un habitat particulier propre à la région Nord - Pas-de-Calais. Issues de l’industrie métallurgique, les pelouses calaminaires secondaires ont pour origine des zones de dépôts de déchets riches en ces métaux et les pelouses calaminaires tertiaires correspondent à des zones où les sols furent pollués par des particules provenant des fumées rejetées par les usines traitant ces métaux et implantées à proximité. Les pelouses calaminaires régionales principalement de type tertiaire, se situent à Mortagne- du-Nord (59) (photo 1 ) et à Auby (59) (photo 2). Ces deux pelouses ont des cortèges floristiques qui ont atteint un niveau de diversification intéressant (photo 3) et ont intégré pour cette raison le réseau Natura 2000. Elles sont caractérisées par la présence de quelques espèces bien particulières : l’Arabette de Haller Arabidopsis halleri, l’Armérie de Haller Armeria maritima subsp. halleri et le Silène humble Silene vulgans var. humilis. À ces trois taxons métallicoles (adaptés aux milieux pollués par les métaux lourds) communs aux deux pelouses régionales, s’ajoute la Pensée calaminaire Viola calaminaria uniquement présente sur le site d’AuBY (Bois des Asturies, parc Péru...). Il s’agit dans la région de taxons qualifiés de métallophytes absolus, c’est-à-dire qui se rencontrent exclusivement sur les espaces riches en éléments traces métalliques (ETM). Cette relation exclusive permet d’identifier facilement certains espaces pollués par le zinc, le plomb et le cadmium lors de remblais divers. L’Armérie de Haller s’observe ainsi le long de routes départementales à Thun-Saint-Amand (photo 4). Cette espèce accompagnée par l’Arabette de Haller et le Silène humble se rencontre le long du canal de la Deûle et de la gare d’eau à Courcelles-les-Lens (62), dans divers délaissés le long de la gare de Flers-en-Escrebieux (59) et à Douai ainsi que le long de bords de routes à Roost-Warendin (59).

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Photo 1.- Pelouse calaminaire de Mortagne-du-Nord - Calaminanan grassland in “Mortagne-du-Nord” (© G. Lemoine).

Photo 2.-Pelouse calaminaire du parc Péru à Auby ou domine l'Armérie de Haller Armeria maritima subsp hallen - Calammarian grassland of the “Parc Péru” in “Auby” dominated by calaminarian Sea Thrift populations (© G. Lemoine).

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Une première découverte C’est dans le cadre du suivi de la pelouse calaminaire du parc Péru à Auby (Lemoine, 2011, 2013) que mon attention fut attirée par la présence de petits papillons bleus et bruns en juin 2012 (photo 7). L’espèce en question est le Demi-Argus. L’analyse de la carte de répartition publiée par Haubreux (2010) montre que l’espèce est localisée dans l’Avesnois avec comme exception une donnée correspondant au nord du Valenciennois, à Mortagne-du-Nord. Le point de Mortagne- du-Nord est riche en questionnement car la commune accueille la seconde pelouse calaminaire régionale. Bien que n’ayant pas la localisation exacte de la donnée sur la commune, nous étions en droit de nous interroger sur l’existence d’une éventuelle corrélation entre la présence du Demi- Argus, hors de ses bastions de l’Avesnois, et celle de la flore calaminaire. La présence de l’espèce sur la pelouse calaminaire de Mortagne-du-Nord a été confirmée avec la parution d’une plaquette du Parc naturel régional Scarpe-Escaut qui présente les sites Natura 2000 sur son territoire (anonyme, 2012). Pour illustrer le site de la pelouse calaminaire de Mortagne-du-Nord et Château-l’Abbaye, une des photos montre un Demi-Argus posé sur une inflorescence d’Armérie de Haller. Avec celle d’AuBY, nous avons ainsi deux données particulières en dehors de l’Avesnois qui méritent que prospections et recherches bibliographiques soient menées pour confirmer ou infirmer une éventuelle corrélation entre la présence de ce papillon, les pelouses et la flore métallicoles de ces dernières. Présentation de l’espèce Demi-Argus Le Demi-Argus ou Azuré des anthyllides est un de taille moyenne (14-17 mm). L’espèce est bigénérationnelle voire trigénérationnelle dans notre région (Haubreux, 2011) et elle peut être recherchée à plusieurs moments de l’année. Les ailes du dessus du mâle sont bleu foncé bordé de brun, alors que la femelle est entièrement brune (photo 8). Le dessous (photo 9) est gris-brun dépourvu de dessins marginaux (Lafranchis, 2000). Il habite les prairies fleuries et champs de trèfles jusqu’à 2 200 m. La femelle pond sur les Fabacées, principalement sur le Trèfle des près mais également sur le Trèfle rampant Trifolium repens, l’Anthyllide des montagnes montana, le Trèfle intermédiaire (Lafranchis, 2000) et sur les mélilots sp. (Higgins & Riley, 1975). Les plantes hôtes recensées en Wallonie sont : le Trèfle des près, le Trèfle rampant, l’Anthyllide des montagnes, le Mélilot jaune Melilotus officinalis et plus occasionnellement le Genêt des teinturiers tinctoria et l’Ajonc d’ Ulex europaeus (Fichefet et al., 2008). Le Demi-Argus est une espèce largement répandue et d’ordinaire commune dans toute l’Europe occidentale (Higgins & Riley, 1975). En France, l’espèce est localisée mais assez abondante. Dans le nord de la France, son aire de répartition est très morcelée (Lafranchis, 2000). Dans le Nord - Pas-de-Calais, l’espèce est confinée à l’Avesnois dans le Nord et est absente du Pas-de- Calais. Elle est considérée comme assez rare (Haubreux, 2010). En région picarde, l’espèce, présente le long de la vallée de l’Oise et au nord de la Thiérache, est inscrite sur la liste rouge régionale et considérée comme très rare et en danger. En termes de conservation, c’est un taxon jugé fortement prioritaire (Clicnat, 2013). En Belgique, l’espèce est considérée en déclin. Elle est disséminée au sud du sillon Sambre-et-Meuse et plus répandue en Gaume (sud-est de la Wallonie). Elle a pratiquement disparu au nord du pays (Lafranchis, 2000). Aujourd’hui, l’espèce est surtout fréquente en Lorraine, où elle montre encore des populations fournies dans les prairies maigres de fauche. Elle s’observe également autour de la botte de Givet, en région liégeoise (bassin mosan), sur le plateau d’Elsenborn et en Ardenne méridionale (Haubreux, comm. pers.). Une présence confirmée sur les pelouses calaminaires régionales. Les premières données régionales en dehors de l’Avesnois reviennent à Patrick François et datent de 2003 et 2005 (Haubreux, comm. pers.). Ces données sont localisées à Mortagne-du- Nord sans plus de précisions. La photo du Parc naturel régional Scarpe-Escaut (PNR) illustrant la flore de la pelouse calaminaire de Mortagne-du-Nord et Château-l’Abbaye montre clairement un Demi-Argus posé sur une inflorescence d’Armérie de Haller (anonyme, 2012). Il est ainsi

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Photo 3.- Flore metallicole - Metallicolous végétation (© G. Lemoine).

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Photo 4.* Armérie de Haller Armena maritima subsp hallen sur bord de route - Calaminanan Sea Thrift by the roadside (

probable que les observations de François furent effectuées sur la pelouse. Il est par contre sûr que Samuel Dhote, photographe du PNR qui ne cherchait pas à faire un inventaire entomologique, a photographié le Demi-Argus sur la pelouse calaminaire. Aujourd’hui, le Demi-Argus est repris dans la liste des espèces déterminantes de cette ZNIEFF dont la fiche de synthèse précise son écologie en rappelant que « cette espèce rare dans la région est inféodée aux prairies et friches riches en Fabacées » (Dreal, 2010). La pelouse de Mortagne- du-Nord est relativement pauvre en espèces végétales, et a une couverture herbacée très dense. En plus de l’Armérie de Haller et de l’Arabette i------de Haller, le site est très abondamment colonisé \-i par le Fromental Arrhenatherum elatius qui élimine , progressivement, sans opérations de gestion, les [1 deux premières espèces. La deuxième observation du Demi-Argus en contexte de pelouse calaminaire date du 05/06/12 sur les pelouses du parc Péru à Auby. Trois J individus (un mâle et deux femelles) butinaient sur | la Pensée calaminaire (photo 7) et/ou étaient posés sur l’Armérie de Haller. Un autre individu (mâle) fut 9 observé le 22 /07/13 sur le même site (photo 10). La î pelouse du parc est plus ouverte et a, par endroits, Æ un aspect écorché. Le milieu est légèrement plus \ riche en espèces. Aux quatre taxons métallophytes r recensés s’ajoutent l’Agrostide capillaire Agrostis f capillaris, le Fromental (en bordure) et le Céraiste commun Cerastium fontanum. Une troisième et une quatrième données viennent > compléter les observations récentes du Demi-Argus. Il s’agit de l’observation de deux individus sur deux sites peu éloignés l’un de l’autre. Dans le cadre d’une [___ prospection et d’une cartographie des pelouses photo 5-* Demi-Argus Cyanms semiargus femelle sur une __ • m ,, • r~» _.,., hampe florale a ’Armena maritima subsp. hallen éventuel calaminaires régionales, je me suis rendu a Douai SUpp0rt de ponte (Douai) - Femaie Mazarine Biue on a flower le 04/07/13. Deux lambeaux de pelouse subsistaient peduncle of Calaminarian Sea Thrift where it might lay its eggs sur le bord de la gare de Flers-en-Escrebieux *n “Douai" (©G. Lemoine). (photo 12) et dans un délaissé urbain à Douai (photo 13). Sur deux de ces photos (5 et 6), nous observons deux femelles présentant une évagination de l’extrémité de l’abdomen (ovipositeur) avec lequel elles prennent contact avec le support potentiel de ponte. Selon les informations perçues (provenant de la plante), la femelle va être stimulée ou non et la ponte sera ou non déclenchée. Dans les deux cas, aucune ponte ne fut observée. L’une des pelouses se développe en contexte thermophile (ballast de chemin de fer) et l’autre en contexte de parc urbain. Quelques rares pieds de lotier et autres Fabacées peuvent se rencontrer çà et là sur ces espaces. Y a-t-il une corrélation entre la flore calaminaire et la présence du Demi- Argus ? Quatre citations de Demi-Argus dans un milieu bien particulier, en dehors de l’Avesnois, sont, nous l’avons vu, riches en questionnements. Le Demi-Argus y a-t-il trouvé une plante-hôte particulière ou les pelouses calaminaires, par leur végétation spécifique à floraison abondante, attirent-elles des Demi-Argus qui se reproduisent à proximité ? Une population de Demi-Argus pourrait ainsi se trouver à proximité - l’espèce était historiquement connue dans le secteur (François, 2003) - et venir profiter de plantes adéquates dans un espace richement fleuri, les imagos étant dépendants d’étendues procurant une nourriture abondante (Groupe de travail des lépideptoristes, 1987). Daniel Haubreux interrogé à ce sujet me précisa : « Ce n’est pas parce que les papillons

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Photo 6.- Demi-Argus Cyaniris semiargus sur Armérie de Haller Armeria manlima subsp. halleri à Flers-en-Escrebieux - Mazarine Blue on calaminarian Sea Thrift in “Flers-en-Escrebieux". (© G. Lemoine)

Photo 7.- Mâle et femelle de Demi-Argus Cyaniris semiargus à Auby - Male and female Mazarine Blue in “Auby” (© G. Lemoine)

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butinaient sur la Pensée calaminaire que cela signifie qu’il s’agisse de la plante-hôte. Les imagos de papillons de jour butinent sur tout type de fleur tant qu 'ils y trouvent du nectar à prélever... Les plantes-hôtes (support des pontes et chenilles) répondent à d’autres critères... Jusqu’à preuve du contraire, le Demi-Argus ne pond que sur les inflorescences de Fabacées des genres : Trifolium, Anthyllis, Melilotus... » (Haubreux, comm. pers.). Précisons également que toute plante ne pourra être considérée comme plante-hôte tant que la preuve de son utilisation comme support de ponte n’aura pas été apportée. Dans ce sens, il serait opportun de consacrer un peu de temps à suivre les femelles et de noter sur quelles plantes elles déposent leurs œufs (Haubreux, comm. pers.). La présence de sites calaminaires en Wallonie (Belgique) m’incita également à solliciter les naturalistes belges. Le Demi-Argus était bien présent jadis sur l'île aux Corsaires (Liège) et dans la friche calaminaire voisine de l’autre côté du canal. C’est, en fait, une espèce qui est assez bien répandue sur les friches industrielles de la région liégeoise où elle est loin d’être strictement inféodée aux pelouses calaminaires (Graitson, comm. pers.). Par ailleurs, en Belgique, il semble que des Fabacées, en particulier le Lotier corniculé Lotus corniculatus, soient bien présentes sur plusieurs pelouses calaminaires abritant le Demi-Argus (Graitson, comm. pers). Le Demi-Argus peut-il être inféodé à l’une des espèces des pelouses calaminaires régionales ? L’une des raisons pour expliquer la présence du Demi-Argus sur les pelouses calaminaires serait d’y trouver l’une de ses plantes-hôtes. La recherche d'importantes populations de Fabacées au sein des pelouses s’est avérée infructueuse. Quelques rares Trèfle douteux Trifolium dubium ou Trèfle champêtre Trifolium campestre et Lotier corniculé se rencontrent de façon très marginale sur celles-ci. On en trouve toutefois à proximité de la pelouse du parc Péru, sur une butte ensemencée avec un mélange de type « prairie fleurie » dans lequel ont été introduits quelques trèfles. L’existence de Fabacées à proximité des pelouses calaminaires pourrait expliquer la présence du Demi-Argus sur les différents sites calaminaires régionaux. Toutefois une recherche bibliographique a mis en évidence une relation entre le Demi-Argus et des espèces du genre Armeria, bien que Lafranchis (2007) et Fichefet et al. (2008) ne citent pas ce genre comme plante-hôte pour sa chenille. Higgins & Riley (1975) citent par contre le genre Armeria comme plante-hôte dans leur ouvrage. Le Biogical Records Centre (2013) dans sa « Database of and their Food Plants » cite également l’Armérie maritime comme l’une des plantes-hôtes du Demi-Argus. De la même façon le Global Species (2013) cite l’Armérie maritime comme « Common Diet » pour le Demi-Argus en mentionnant des informations issues du site Natura 2000 allemand Sôterbachtal (Saarland) qui semble héberger une population de Demi-Argus vivant sur l’Armérie maritime. Gil-T. & Huertas Dionisio (2007) décrivent, quant à eux, une nouvelle sous-espèce de Demi-Argus dans le sud-est de l’Espagne qui ne vit que sur l’Armérie veloutée Armeria velutina. Il pourrait ainsi apparaître l’existence d’une relation particulière entre le Demi-Argus et les pelouses calaminaires et cela très probablement grâce à la présence de l’Armérie de Haller. Imaginer que le Demis-Argus puisse n’utiliser que les pelouses calaminaires comme lieu d’alimentation pour sa forme imago et qu’il se reproduise à proximité sur diverses Fabacées présentes dans les prairies de la vallée de la Scarpe correspond également à une possibilité qui mérite d'être vérifiée. Dans ce sens des données anciennes le citent dans le Douaisis vers 1871-1874 dans des bois et près humides (François, 2003). Ces possibilité et donnée ancienne n’expliquent toutefois pas sa présence (au vu des connaissances actuelles sur sa répartition) dans le Hainaut (Douaisis et Valenciennois) que sur quelques sites calaminaires très particuliers. Les espèces Trèfle des près et Trèfle rampant, qui sont les principales plantes-hôtes pour ses chenilles, sont en effet deux taxons considérés comme très communs dans la région Nord - Pas-de-Calais (Toussaint étal., 2008), ce qui pourrait permettre de rencontrer le Demi-Argus sur de nombreux autres biotopes. Ce type de remarque s’applique à quasiment toutes les espèces à répartition limitée ou fragmentée. Les plantains Plantago sp. sont par exemple des espèces très communes dans la région alors,

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Photo 8.- Demi-Argus Cyanins semiargus femelle - female Mazarme Blue (© G Lemoine)

Photo 9.- Demi-Argus Cyanins semiargus sur Pensée calaminaire Viola calaminaria à Auby - Mazarine Blue on Calammarian Pansy in “Auby” (© G. Lemoine).

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Photo 10.- Demi-Argus sur Armérie de Haller Armena maritima subsp. halleri à Auby - Mazarine Blue on Calaminarian Sea Thrift in “Auby” (© G. Lemoine). ?

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Photo 11.- Demi-Argus Cyaniris semiargus sur Arméne de Haller Armena maritima subsp. halleri à Douai - Mazarine Blue on calaminarian Sea Thrift m “Douai” (© G. Lemoine) Le Héron. 2012-45(1) : 59-70 m Entomologie

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que la Mélitée du plantain Melitaea cinxia ne se rencontre que sur une étroite frange littorale et nulle part ailleurs dans la région (Haubreux, comm. pers.). La relation espèce/plante(s)-hôte(s) bien qu’essentielle, ne suffit pas à expliquer la présence ou l’absence d’un papillon à un endroit. La relation quasi-exclusive présupposée entre le Demi-Argus et la pelouse à Armérie reste quant à elle un mystère car si les observations du papillon sont éloignées de celles de ses populations avesnoises, pourquoi celui-ci ne se rencontre-t-il pas dans d’autres endroits entre le Hainaut et l’Avesnois dans des sites aux conditions écologiques similaires sur ses plantes-hôtes plus classiques ? D’autres raisons sont probablement à rechercher pour expliquer la présence du Demi-Argus sur ces pelouses : pistes historiques ? structures de végétation ? (Janczak, comm pers.), milieu mésotrophe non amendé et géré de façon extensive (Mézière, comm. pers.) ; voire l'existence d’un lien particulier entre deux milieux plus ou moins proches et complémentaires, c’est-à-dire entre une zone à Fabacées (source de nourriture des chenilles) et la flore très fleurie des pelouses calaminaires (source de nectar pour les imagos) (photo 11) à des périodes où les sources de nectars à proximité peuvent être réduites. Une capacité à supporter une végétation polluée ? Lors de leurs travaux, Graitson et al. (2005) ont montré qu’une entomofaune (Papillons et Orthoptères) particulièrement variée vivait sur les pelouses calaminaires de Wallonie (Belgique). Sur celles-ci, le Demi-Argus fut recensé sur 3 des 6 sites inventoriés. Ces résultats sont conformes aux observations faites en Allemagne sur le site calaminaire du Stolberg qui abrite lui aussi de nombreux Lépidoptères comme le Demi-Argus (Graitson et al., 2005). Au vu des résultats obtenus, les auteurs concluent que les végétations contaminées par les métaux lourds ne paraissent pas constituer un obstacle important pour la colonisation par les Orthoptères et les Lépidoptères et pour leur survie. Ces observations suggéreraient que ces espèces sont tout à fait capables de supporter des pollutions intenses par les métaux lourds et qu’elles disposeraient dès lors de mécanismes de détoxification très efficaces (Graitson et al., 2005). Toutefois, la présence d’espèces sur les sites pollués ne montre pas forcément une tolérance de leur part. Aucun travail n’a été fait sur les taux de reproduction et de survie des espèces. Peut-être que ces sites apparaissent très favorables en termes de ressources ou de milieux et attirent régulièrement des espèces venues de l’extérieur (Vanappelghem, comm. pers.). Les travaux de Moron et al. (2013) montrent quant à eux le contraire. Un impact négatif de la pollution au zinc a ainsi été mis en évidence sur le succès de reproduction de populations d’Osmie rousse Osmia rufa en Pologne et au Royaume Uni. Les osmies suivies dans les espaces pollués font moins de loges (cellules de reproduction) et le nombre d’imagos émergeant de celles-ci est bien inférieur par rapport à celui des populations témoins. Enfin, se pose également la question de l’origine des Demi-Argus dans le Hainaut. S’agit-il d’arrivées plus ou moins récentes (et/ou régulières) d’individus qui colonisent opportunément des milieux favorables (ou toxiques - dans ce cas-là, les individus ne se maintiendraient pas sans apports extérieurs-), ou s'agit-il de populations reliques, témoins d’une distribution plus ancienne ? Conclusion La découverte du Demi-Argus sur les 3 trois principaux sites calaminaires régionaux : Mortagne-du-Nord, Auby et les pelouses de Douai et Flers-en-Escrebieux qui pourraient être comptabilisées comme telles, incite à penser qu’il existe une corrélation entre les végétations métallicoles et le Demi-Argus. La bibliographie montre également que le Demi-Argus utilise les espèces du genre Armeria comme plante-hôte et notamment l’Armérie maritime. Bien qu’aucune chenille et œuf ne furent observés sur l’Armérie de Haller, il apparaît possible que le Demi-Argus utilise l’Armérie de Haller dans le Hainaut (Douaisis et Valenciennois) et trouve un avantage dans les pelouses calaminaires régionales. Celles-ci pourraient ainsi jouer un rôle important pour le maintien dans cette partie du Hainaut de cette espèce patrimoniale. Les efforts entrepris pour la gestion écologique de ces espaces notamment par la gestion différenciée (Lemoine, 2011 et 2013) devraient s’affiner pour mieux prendre en compte le cycle de vie de cette espèce qui reste entièrement à décrire dans le contexte particulier des pelouses calaminaires de la région Nord - Pas-de-Calais.

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Remerciements L’auteur remercie Daniel Haubreux, Cédric Vanappelghem, Sébastien Mézière, Hubert Seignez, Claude Fievet, Alexandra Janczack et Jean-Pierre Pépin pour la relecture du texte et les riches commentaires, ainsi que Nicolas Seignez pour la traduction de son résumé en anglais Bibliographie ANONYME, 2012. Natura 2000 en Scarpe-Escaut, Parc mode d’emploi, publication du Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut. 4 p. Fichefet, V., Barbier, Y., Dufrêne, M., Goffart, P., Maes, D. & Van Dyck, H. 2008. Papillons de jour de Wallonie (1985-2007). Publication du Groupe de Travail Lépidoptères Lycaena et du Département de l’Étude du Milieu Naturel et Agricole (SPW-DGARNE), série « Faune-Flore-Habitat » n°4, Gembloux, 320 p. FRANÇOIS, p., 2003. Les Rhopalocères du Nord-Pas-de-Calais (Observations 2000-2002). Bulletin du cercle des lêpidoptéristes de Belgique, Vol. 17,2-3-4:46-73. GlL-T., F. & Huertas Dionisio, M., 2007. Description of Cyaniris semiargus tartessus subspec. Nov. From the National Park of Doriana (SW. ). Atalanta (august 2007), Würzburg, 38 (1/2) : 185-188. GRAITSON, E., San-MarïIN, G. & GOFFART, Ph., 2005. Intérêt et particularité des haldes calaminaires wallonnes pour l’entomofaune : le cas des Lépidoptères Rhopalocères et des Orthoptères. Notes fauniques de Gembloux, 2005 (57) : 49-57. HAUBREUX, d., 2010. Atlas préliminaire des Lépidoptères Papilionoidea de la région Nord - Pas-de-Calais, Le Héron 2010 - 43 (1): 1-84. HlGGlNS, L.-G. & RlLEY, N.-D., 1975. Guide des Papillons d'Europe, Rhopalocères. Delachaux et Niestlé éditeurs, Neuchâtel - Paris. 421 p. LEMOINE, g., 2011. Le Conseil général protège ses pelouses calaminaires. Espaces naturels, n° 33:51- 52. LEMOINE, g., 2013. De l'importance des pelouses calaminaires d’Auby et notamment du parc Péru. Bulletin de la Société Botanique du Nord de la France, 2012,65 (1- 4) : 27-34. [-AFFRANCHIS, T, 2000. Les Papillons de jours de France, Belgique et Luxembourg et leurs chenilles. Collection Parthénope, édition Biotope, Mèze (France). 448 p. Moron, D., SZENTGYÔRGYI, h., SKÔRKA, R, Pons, S.-G. & WOYCIECHOWSKI, M., 2013. Survival, reproduction and population growth of bee pollinisator, Osmia ru fa (Hymenoptera: Megachilidae), along gradients ofheavy métal pollution. Conservation and Diversity doi: 10.1111/icad.12040, The Royal Entomological Society. 9 p. GROUPE de travail des LÊPIDOPTÉRISTES, 1987. Les papillons de jour et leurs biotopes. Volume 1 Espèces - Dangers qui les menacent - Protection - Ligue suisse pour la protection de la nature. Éditions Pro Natura. 512 p. Toussaint, B., Mercier, D., Bedouet, F., Hendoux, F. & Duhamel, F., 2008. Flore de la Flandre française. Centre Régional de Phytosociologie agréé Conservatoire botanique national de Bailleul. 556 p. Sites Internet BlOGICAL RECORDS Centre, 2013. Database of Insects and their Food Plants. http://www.brc.ac.uk/DBIF/interactions. aspx?Page=3&insectid=2635&hostid=524 et http://www.brc.ac.uk/dbif/sourcesresults.aspx7sourcekM3429 [consulté le 08/07/13). CLICNAT, 2013. Demi-Argus, Azuré des anthyllides Cyaniris semiargus, site de Picardie Nature. http://obs.picardie-nature. org/?page=fiche&id=1873 [consulté le 13/07/13). DREAL Nord Pas-de-Calais, 2010. ZNIEFF de type 1,23 génération, Pelouses metalllicoles de Mortagne N° régional : 008- 04 Validé CSRPN, Pdf, 6 p. http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/dreal zp/ZNIEFF1 complet_008-04.pdf [consulté le 10/07/13). Global Species, 2013. http://globalspecies.org/relations/dietoverlap/1397490/1529918 [consulté le 08/07/13).

Guillaume Lemoine 9 résidence de l’Étrille, 58 rue de l’abbé Cousin 59493 Villeneuve d’Ascq [email protected]

Manuscrit reçu le 10/07/13, accepté le 03/11/13

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