OLIVIER PERNOT

Depuis vingt-cinq ans, les artistes hexagonaux, à l’image de , , Air, Justice, David Guetta ou Gesaffelstein, imposent leur musique électronique dans le monde entier. Dès le FRENCH TOUCH 100 début des années quatre-vingt-dix, les DJs et producteurs DE À RONE sont en quête d’écoute et de reconnaissance. Puis vient la période faste d’une house héritée du et du qui voit apparaître Daft Punk, Cassius ou Étienne de Crécy. La devient dès lors une place forte de la musique électronique dans ses vagues successives, ( & , ), techno minimale (Popof, Julian Jeweil), electro distordue (Justice, Birdy Nam Nam) ou EDM (David Guetta, DJ Snake). OLIVIER PERNOT L’histoire de la French Touch est racontée à travers une sélection de cent albums ou maxis qui ont conquis la planète. French Touch 100, de Daft Punk à Rone présente des musiciens et des groupes majeurs . à travers un disque phare de leur parcours. Chaque chronique mêle faits historiques, analyses et anecdotes, montrant ainsi l’énergie de cette dynamique musicale.

Né à en 1971, Olivier Pernot est un journaliste indépendant. Il suit depuis vingt-cinq ans l’évolution des musiques électroniques. Aux éditions Le mot et le reste, il est l’auteur de Electro 100, les albums essentiels des musiques électroniques.

Collection publiée avec le concours financier de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. FRENCH 100 TOUCH

Prix : 20 euros M ISBN : 978-2-36054-393-9 — LE MOT ET LE RESTE R

couv_frenchtouch.indd 1 06/09/2017 14:43

OLIVIER PERNOT

FRENCH TOUCH 100

de daft punk à rone

le mot et le reste 2017

à Anna

INTRODUCTION

Le 26 janvier 2014, Daft Punk remporte cinq Grammy Awards. Nominé cinq fois, le duo électronique français repart avec autant de trophées lors de cette 56e cérémonie qui se déroule au Staples Center à Los Angeles. Le groupe reçoit en particulier des récompenses dans les catégories Album de l’année et Meilleur album dance / electro- nica pour Random Access Memories, « Disque de l’année » pour le single « Get Lucky » réalisé avec Pharrell Williams et Nile Rodgers. Ce jour-là, la France est au centre du show-business états-unien et assoit sa position dans la musique électronique. Si cette date est symbolique, elle a eu des précédents et plusieurs artistes français ont déjà été primés aux Grammy Awards : Deep Forest en 1995 (meilleur album world pour Boheme), Justice en 2009 (meilleur pour sa version de « Electric Feel » de MGMT), Phoenix en 2010 (meilleur album alternatif pour Wolfgang Amadeus Phoenix), David Guetta en 2010 et 2011 (meilleur remix pour « When Loves Takes Over (Electro Extended Remix) », un de ses titres, et meilleur remix pour celui réalisé pour « Revolver » de Madonna). Daft Punk, lui-même, avait déjà reçu des statuettes en 2009 avec l’album Alive 2007 (meilleur album electronic / dance) et le single qui en est extrait, « Harder, Better, Faster, Stronger » (meilleur enregistrement dance). La conquête de l’Amérique a longtemps été un doux rêve pour les musiciens français. Ces dernières années, ce rêve est une réalité pour des DJs et producteurs électroniques et des groupes qui utilisent cette technologie dans leur musique. En plus de ceux cités précédemment, le succès transatlantique de DJ Snake, ƱZ et M83 est tout aussi remarquable. Les musiciens hexagonaux brillent également dans d’autres pays du monde, du Japon au Brésil, de l’Australie à l’Angleterre, la plaque tournante de l’industrie du disque en Europe. Avec cette visibilité internationale, obtenue grâce à la musique élec- tronique, la France retrouve le luxe d’une époque très ancienne, il

5 FRENCH TOUCH 100 y a plus d’un siècle, et tranche aussi avec un passé plus récent où tout ce qui venait de l’Hexagone faisait sourire ou provoquait l’indifférence.

PARIS AVANT LA TECHNO

À la fin duxix e et au début du xxe du siècle, Paris est une des capitales mondiales de l’art. Le courant de la musique impres- sionniste est emmené par Claude Debussy et Maurice Ravel. Erik Satie, influencé par l’impressionnisme, se distingue par l’écriture de motifs répétitifs : il est reconnu dans les années soixante comme le précurseur de la musique minimaliste américaine. L’époque compte aussi des musiciens importants tels que Gabriel Fauré et Henri Dutilleux, et précédemment, à la fin de la période romantique, vers la fin du xixe siècle : Camille Saint-Saëns, Charles Gounod, Jacques Offenbach et Frédéric Chopin (ce dernier étant d’origine franco-polonaise). Sans oublier Georges Bizet, dont l’opéra Carmen est l’un des plus joués dans le monde. La musique de ballet Boléro de Ravel, le drame lyrique Pélléas et Mélisande ou l’œuvre symphonique Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, ou encore les musiques pour piano Gymnopédies et Gnossiennes de Satie sont des œuvres internationalement recon- nues. Elles ont traversé le xxe siècle et rayonnent encore, imposant la musique française sur la planète. Dans la première partie du xxe siècle, la France se distingue égale- ment par ses chansons. Les artistes de music hall français rayonnent à l’étranger comme Maurice Chevalier qui conquiert les États- Unis en chantant en français et en anglais, Mistinguett, Joséphine Baker, Américaine naturalisée Française, ou bien sûr Edith Piaf qui fait des tournées triomphales de l’autre côté de l’Atlantique. Le succès du film La Môme confirme la passion des Américains pour sa vie et sa carrière. D’ailleurs son jeune secrétaire et confident deviendra un autre grand exportateur de la chanson française : Charles Aznavour. Dans le courant du xxe siècle, d’autres chan- teurs et chanteuses français auront une renommée internationale,

6 DE DAFT PUNK À RONE tels Charles Trenet, Juliette Gréco, Mireille Mathieu, ou Patricia Kaas. Certaines chansons françaises vont voyager énormément, au-delà de leurs auteurs. La plus connue d’entre elles est « Comme d’habi­ tude », chantée au départ par Claude François (écrite en 1967 avec Gilles Thibaut et composée avec Jacques Revaux), réadaptée en anglais sous le titre « My Way » et interprétée notamment par Frank Sinatra, Elvis Presley ou Sid Vicious des Sex Pistols. « Les Feuilles mortes », signée Jacques Prévert et Joseph Kosma en 1950, est chantée par Yves Montand, avant de devenir « Autumn Leaves », un classique du joué par Miles Davis, John Coltrane ou Bill Evans. Eric Clapton, Iggy Pop ou Barbra Streisand en feront aussi des versions. Les chansons « La Vie en rose » d’Edith Piaf, mise en voix par Louis Armstrong ou Grace Jones, ou « Et main- tenant » de Gilbert Bécaud, interprétée par Shirley Bassey, Sonny & ou Elvis Presley sous le nom « What Now My Love », ont eu également une très belle résonance internationale. Cette force de la langue française et la poésie de ses mots devient un poids, voire un handicap, quand le rock apparaît dans les années cinquante. Si des chansons françaises se sont exportées brillamment, les chanteurs hexagonaux ont adopté en retour le répertoire anglo- saxon et vont l’adapter dans leur langue. À titre d’exemple, sur le millier de chansons interprétées par Johnny Hallyday durant sa carrière, environ deux cent trente sont des adaptations, le plus souvent de titres américains, soit près d’un quart de son répertoire. Il chante ainsi des hits d’Elvis Presley (« Heartbreak Hotel » / « Je me sens si seul »), de Chubby Checker (« Let’s Twist Again » / « Viens danser le twist ») ou de Ricky Nelson (« Teenage Idol » / « L’Idole des jeunes »). Sylvie Vartan, Eddy Mitchell, Richard Anthony ou Claude François se font connaître également avec des reprises qui vont devenir des tubes dans leurs versions françaises.Ces adaptations sont réalisées pour le marché français et ne s’exportent pas. John Lennon, le leader des Beatles, déclare d’ailleurs avec beaucoup de malice et de causticité : « Le rock français, c’est comme le vin anglais. » Bref, le rock français n’existe pas ou est imbuvable !

7 FRENCH TOUCH 100

Une poignée de chanteurs français réussissent pourtant à avoir une notoriété à l’étranger, comme Françoise Hardy ou Serge Gainsbourg. Ce dernier classe son album Bonnie And Clyde, chanté avec Brigitte Bardot, dans les meilleures ventes de disques aux États-Unis et la chanson « Je t’aime… moi non plus », réalisé avec Jane Birkin, rencontre un grand succès au Royaume-Uni où elle devient numéro un des ventes. Le rôle de la France sur l’échiquier de la musique mondiale continue à se restreindre durant les décennies suivantes : les plus grands groupes de rock et de pop nationaux des années soixante-dix et quatre-vingt, qui sont de véritables déferlantes dans l’Hexagone,­ ne dépassent pas les frontières car ils chantent en français : Téléphone, Indochine, Noir Désir ou Louise Attaque ont eu peu d’écho à l’étranger. De la même manière, les scènes jazz et blues françaises ne s’expor­ tent guère. Hormis quelques exceptions avec des instrumentistes exceptionnels comme Django Reinhardt, Michel Petrucciani, Jacky Terrasson ou Stéphane Grappelli, le jazz français va rester discret sur la scène internationale. La France est pourtant un pays chéri des Américains qui fuient la ségrégation dans leur patrie. De nombreux jazzmen ou jazzwomen y vivent, comme Sidney Bechet, Bud Powell, Kenny Clarke, Coleman Hawkins, Archie Shepp, Nina Simone ou Dee Dee Bridgewater. D’autres y enregistrent – Miles Davis, Charles Mingus, Sonny Rollins, Lester Bowie / Art Ensemble Of Chicago –, parfois avec des instrumentistes français, et tous jouent dans les festivals hexagonaux. Le blues français est encore plus confidentiel et les musiciens reconnus – Jean-Jacques Milteau, Paul Personne, Bill Deraime – n’ont jamais réussi à égaler les grandes figures américaines.

SUR LES ÉCRANS D’HOLLYWOOD

Dans la continuité des compositeurs français du début du xxe siècle, d’autres musiciens hexagonaux ont eu une reconnaissance impor- tante grâce à la force de leurs compositions.

8 DE DAFT PUNK À RONE

Dès les années trente et quarante, une grande proportion des arran- geurs travaillant dans les studios de la Columbia ou ­d’Universal venait de France. Ils prenaient ainsi la relève de cette spécialité française de l’orchestration incarnée au début du siècle par Ravel et Debussy. Leo Arnaud, élève de Maurice Ravel, est un compositeur clé qui initie le rapprochement de la France avec Hollywood : il part aux États-Unis en 1931, à vingt-sept ans, et travaille pendant trois décennies pour la société de production Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), en tant que compositeur, arrangeur et chef d’orchestre­ (il sera naturalisé Américain). part vivre aussi aux États-Unis et sa carrière hollywoodienne démarre en 1962 avec la musique du film Lawrence d’Arabie. Il reçoit l’Oscar de la meilleure musique de film pour cette partition et obtient deux autres Oscars par la suite pour Docteur Jivago en 1966 et La Route des Indes en 1985. Michel Legrand est lui aussi triplement primé à Hollywood : meilleure chanson originale pour « The Windmills Of Your Mind » dans L’Affaire Thomas Crown en 1969 (Legrand signe uniquement la musique de cette chanson américaine, réadaptée en français sous le nom « Les Moulins de mon cœur »), meilleure musique de film pour Summer of ‘42 en 1972 et meilleure adaptation musicale pour Yentl en 1984. Michel Colombier est un autre Français qui a conquis l’Amérique. Il arrange le premier album anglophone de Charles Aznavour, produit par Quincy Jones. Il signe de nombreuses musiques pour le cinéma ou la télévision, en France (Un flic, L’Héritier, Une chambre en ville) et aux États-Unis (Mister Freedom, Catchfire, New Jack City). Il réalise aussi le score du filmPurple Rain avec Prince, puis il arrange les cordes sur plusieurs titres des albums Music et American Life de Madonna. Comme Maurice Jarre, Michel Colombier s’installe en Californie pour se rapprocher du cinéma américain, de même que Georges Delerue, primé aux Oscars en 1980 pour la partition du filmA Little Romance, après une impressionnante carrière des deux côtés de l’Atlantique (il signe des musiques pour des films de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Olivier Stone ou Ivan Reitman).

9 FRENCH TOUCH 100

Gabriel Yared, compositeur et arrangeur français d’origine liba- naise, obtient aussi un Oscar, celui de la meilleure musique de film pourLe Patient anglais en 1997. Plus récemment, on peut parler du parcours exceptionnel d’Alexandre Desplat, vainqueur d’un Oscar pour la musique de The Grand Budapest Hotel (pour huit nominations dont The Queen, Fantastic Mr Fox, The King’s Speech, Argo) et de deux Grammy Award (The King’s Speech et The Grand Budapest Hotel), et on notera qu’un autre Français, Ludovic Bource, a remporté encore un Oscar de la meilleure musique de film pour celle du filmThe Artist avec Jean Dujardin.

EXPÉRIENCES SONORES

Dès les années vingt, des expérimentations sonores sont menées avec les premiers instruments électroniques. Parmi ceux fabriqués par des Français, il y a Les Ondes musicales présentées en 1928 par Maurice Martenot, et rebaptisées par la suite Ondes Martenot ; l’, précurseur de l’actuel synthétiseur inventé par Georges Jenny en 1941 ; et le Clavioline, un synthétiseur sonore monophonique conçu par Constant Martin en 1947 (Constant Martin est le grand-père du réalisateur de films et de clips Michel Gondry). Dans l’entre-deux-guerres, le compositeur Edgard Varèse est un des premiers à briser les liens avec les traditions musicales et à abandonner les méthodes de composition, les instruments et l’orchestration classiques pour envisager la musique comme une matière sonore. Il expérimente avec les nouvelles machines, comme les Ondes Martenot. Sous l’impulsion de , qui a inventé le terme de « musique concrète », le Groupement de recherche de musique concrète (GRMC) démarre en 1951. Ce laboratoire basé à Paris est à la pointe des recherches sonores et des expérimentations élec- troniques, tout comme le studio de la Westdeutscher Rundfunk (WDR), structure de radiodiffusion de l’Allemagne de l’Ouest. Le GRMC, rebaptisé Groupe de recherches musicales (GRM) dès 1958, a une approche scientifique de la musique. Pierre Schaeffer

10 DE DAFT PUNK À RONE réunit autour de lui des compositeurs comme , , Éliane Radigue, François Bayle ou . Ces Français sont alors en pointe dans les processus et techniques élec- troacoustiques, les expérimentations électroniques, le travail sur la radiodiffusion et l’utilisation de la bande magnétique. Si la plupart de leurs œuvres sont des pièces d’histoire, souvent abstraites et arides à l’écoute, seulement connues d’un public d’initiés, plusieurs d’entre elles s’infiltrent dans la culture populaire. Comme le single « Psyché Rock » de Pierre Henry, extrait de l’album Messe pour le temps présent qu’il a composé avec Michel Colombier pour un ballet de Maurice Béjart en 1967. Le morceau traverse les décen- nies – il est utilisé comme générique d’émissions radio, bande-son de films, illustration de publicités – et l’Atlantique – il inspire le générique de la série télévisée d’animation Futurama de Matt Groening, le père des Simpson.

LE RÉVEIL ÉLECTRONIQUE

Dans la continuité des précurseurs du GRMC / GRM, plusieurs Français des années soixante / soixante-dix utilisent les synthétiseurs et la technologie électronique pour réaliser une musique avec une ambition clairement pop, dans le sens de la popularité. Jean-Jacques Perrey devient le premier spécialiste de l’Ondioline. Il fait la promo- tion de l’instrument partout en Europe, accompagne Charles Trenet et Edith Piaf, puis se retrouve aux États-Unis pour composer des jingles publicitaires. En 1964, il rencontre , auteur du premier hit électronique, « ». Passionnés tous les deux par le synthétiseur Moog, ils signent ensemble plusieurs albums dont The In Sound From Way Out! : le groupe de rap américain Beastie Boys utilisera trente ans après ce même nom pour une compilation afin de rendre hommage à Perrey. Le Français laisse d’autres albums importants comme The Amazing New Electronic Pop Sound Of Jean Jacques Perrey en 1968 et en 1970, ainsi que de nombreux jingles et génériques pour la télévision, musiques de documentaires etc. Sa musique électronique, ludique, enfantine et

11 FRENCH TOUCH 100 pop, est une influence considérable sur la scène électronique fran- çaise des années quatre-vingt-dix, tout comme celle de François de Roubaix. Ce compositeur de musique de films travaille avec les grands réalisateurs français des années soixante / soixante-dix : Robert Enrico, José Giovanni, Jean-Pierre Melville, Yves Boisset, Jean-Pierre Mocky etc. Il réalise les musiques de longs-métrages comme Dernier domicile connu, Le Samouraï, L’Homme orchestre ou Le Vieux Fusil. Il signe aussi plusieurs génériques pour la télé- vision, en particulier celui de la série Les Chevaliers du ciel et celui du dessin animé Chapi Chapo. Sa carrière ne dure qu’une dizaine ­d’années : il meurt en 1975 à l’âge de trente-six ans d’un accident de plongée sous-marine. Mais il laisse un répertoire important – près de soixante-dix musiques de films ou téléfilms – qu’il a réalisé dans son studio personnel, regroupant synthétiseurs et instruments orga- niques venus du monde entier. Ce précurseur du home studio, jeune homme moderne et aventurier, apporte une fraîcheur et une liberté à la musique électronique naissante. Son aura dépasse les frontières françaises : sa musique est samplée par Robbie Williams, Ol’ Dirty Bastard ou Missy Elliott. Également avant-gardiste, Michel Magne est un autre compositeur important du cinéma français des années soixante / soixante-dix. Il travaille notamment avec les réalisateurs Henri Verneuil (Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol), Georges Lautner (Les Tontons flin- gueurs) et Roger Vadim (Le Vice et la Vertu). Surtout il acquiert le Château d’Hérouville dans le Val-d’Oise et y construit un studio résidentiel dans lequel il accueille les stars pop et rock des années soixante-dix (Elton John, David Bowie, Pink Floyd, Iggy Pop, T. Rex etc.). Il s’y entoure d’ingénieurs du son, compositeurs ou arrangeurs comme Jean-Claude Vannier, Michel Colombier, Jean- Claude Petit ou Dominique Blanc-Francard qui vont façonner la musique pop / variétés française moderne. Le parcours d’Alain Goraguer est aussi à signaler. Il est un grand arrangeur / orchestra- teur de la chanson française et collabore avec Serge Gainsbourg, Boby Lapointe et Jean Ferrat, travaille pour le cinéma et laisse plusieurs musiques marquantes : la bande originale du film d’ani- mation La Planète sauvage et le générique de l’émission Gym

12 DE DAFT PUNK À RONE

Tonic. Il signe aussi, sous pseudonyme, la musique de nombreux films pornographiques. Cette intelligentsia électronique française, souvent révélée par ses compositions pour les écrans de cinéma ou de télévision, s’accom­ pagne d’artistes ou groupes plus underground, à la musique d’avant- garde, expérimentale, pop et cosmique, dont Bernard Fèvre alias Black Devil Disco Club, Bernard Szajner alias Zed (qui invente la harpe laser utilisée de Jean-Michel Jarre), les groupes Space Art ou Droids. Le compositeur et producteur Didier Marouani, alias Ecama, est un autre grand nom du disco à la française. Avec les membres de sa formation Space, au look spatial et futuriste, il imagine un disco synthétique qui va conquérir le monde dès son premier single, « Magic Fly », en 1977 et l’album du même nom. Le groupe vend ses disques à douze millions d’exemplaires dans le monde, sans compter l’URSS où Space remporte un grand succès : Space Opera est diffusé depuis la station spatiale soviétique Mir et la formation donne un concert sur la Place Rouge à Moscou devant trois cent soixante mille spectateurs. Jean-Michel Jarre est la star de cette époque synthétique. Il est le fils du compositeur de musiques de films Maurice Jarre mais le lien entre eux est rompu dès l’enfance : Jean-Michel n’a que cinq ans quand son père part vivre aux États-Unis. La passion du jeune homme pour la technologie vient de son grand-père, André Jarre, qui est direc- teur technique de Radio Lyon et surtout un ingénieur, un inventeur, un bricoleur. Il crée une des premières consoles de mixage pour la radio et le premier tourne-disque portable de la marque Teppaz. L’autre personne importante dans l’apprentissage de la musique et de la technologie par Jean-Michel est Pierre Schaeffer, qui le prend sous son aile créatrice au Groupe de recherches musicales et lui apprend les bases de la musique électronique. Auprès de sa mère, France Pejot, figure de la résistance lyonnaise, Jean-Michel Jarre gagne son caractère combatif, son énergie de vivre pleinement. Elle lui fait commencer le piano à huit ans et il continue jusqu’au Conservatoire de Paris où il prend des cours d’écriture musicale, d’harmonie et de contrepoint. Passionnée de jazz, elle lui fait côtoyer les clubs parisiens du quartier latin où

13 FRENCH TOUCH 100 il croise des monstres sacrés comme Chet Baket, Don Cherry ou Archie Shepp. Dès la fin des années soixante, alors qu’il est au GRM, Jean-Michel Jarre publie ses premiers travaux, puis multiplie les projets : une musique pour un ballet présenté à l’Opéra Garnier à Paris, la bande originale du film Les Granges brûlées avec Alain Delon et Simone Signoret, un disque de musiques d’ambiance expérimen- tales (Deserted Palace), le générique de l’émission télévisée Sport en fête présentée par Michel Drucker, plusieurs 45-tours entre pop et électronique etc. Il compose aussi pour divers groupes et écrit des textes pour Christophe, (« Les Mots bleus », « La dolce vita »), Françoise Hardy ou Gérard Lenorman. Il signe aussi les paroles des morceaux de l’album Paris By Night de , dont le single « Où sont les femmes ? » – un long-format disco dont il assure également la production. Puis, il imagine une musique novatrice, planante et pop, futu- riste et classique, avec l’album Oxygène, paru en 1976. Derrière la pochette marquante – un crâne dans la planète bleue – signée Michel Granger, le musicien imagine un voyage musical d’une quarantaine de minutes, séparé en six mouvements, construit avec des synthétiseurs analogiques. La musique est d’une grande fluidité et d’une belle sensibilité. Elle a une force intemporelle. Oxygène se vend, suivant les sources, entre douze et dix-huit millions d’exem- plaires dans le monde (dont près de deux millions en France). Il s’agit d’une des plus grosses ventes de l’histoire de la musique fran- çaise et de l’un des albums de musique électronique le plus vendu de tous les temps. Les albums suivants, Equinoxe en 1978, Les Chants magnétiques en 1981, en 1984, Rendez-Vous en 1986, se vendent aussi à plusieurs millions de copies, tandis que le musicien se lance dans des concerts gigantesques, à Paris, sur la Place de la Concorde ou à La Défense, à Lyon pour la venue du Pape Jean-Paul II, à Shanghai, à Pékin, à Houston, aux Docklands de Londres, sur le plateau de Gizeh en Égypte, à Moscou. Ces événements rassemblent des centaines de milliers de spectateurs et sacre Jean-Michel Jarre qui devient une rock star de la musique électronique.

14 DE DAFT PUNK À RONE

L’EFFERVESCENCE DISCO

Les années soixante-dix voient l’émergence du disco. Les premiers morceaux de ce courant underground apparaissent dans les milieux gays, afro-américains, italo-américains et latino-améri- cains des villes de New York et Philadelphie. Hérité du funk et de la soul, le disco devient un phénomène mondial en quelques années. La France joue un rôle dans cette effervescence avec plusieurs artistes qui vont avoir un succès planétaire. Avec sa batterie, le musicien et producteur Cerrone pulse le rythme de cette nouvelle musique mainstream. Ses singles « Love In C Minor » en 1976 et « Supernature » en 1977, morceaux d’anthologie de plus de seize et dix minutes, sont des énormes succès, tout comme les albums éponymes. Durant sa carrière, Cerrone vend trente millions de disques, dont huit millions de l’album Supernature. Le disco révèle aussi Patrick Hernandez dont l’unique hit « Born To Be Alive » est disque d’or ou de platine dans une cinquantaine de pays et se vend au total à plus de vingt-cinq millions d’exemplaires. Plusieurs chanteurs français apparus dans la période yéyé surfent également sur la vague disco et s’offrent une seconde jeunesse. Claude François amorce un virage disco avec les titres « Magnolias For Ever » et « Alexandrie, Alexandra », mais ses morceaux en français avec des paroles signées Étienne Roda-Gil, reste des hits francophones. Pour un succès international, on remarque surtout Sheila, la jeune fille à couettes, à jupe écossaise et à chaussettes blanches des années soixante, relookée en jeune femme aux cheveux longs, aux combinaisons argentées ou en short court pailleté et rose. La fièvre disco la relance complètement lorsqu’elle lance le groupe Sheila & B. Devotion. De 1977 à 1980, elle aligne les hits en anglais : « Love Me Baby », « Singin’ In The Rain », « Spacer ». Ce dernier single, extrait d’un album écrit et produit par Nile Rodgers et Bernard Edwards du groupe américain Chic, devient un hit dans de nombreux pays dont les États-Unis et se vend à plus de quatre millions d’exemplaires. Le rôle des producteurs est important dans le disco. Ils composent et arrangent les morceaux. Ils sont souvent les maîtres d’œuvre

15 FRENCH TOUCH 100 des projets et les chanteurs de simples interprètes. Ainsi, les ­producteurs français Jacques Morali et imaginent le groupe disco américain qui aligne les succès (« Y.M.C.A. », « Macho Man, « »), et, sous le nom de Daniel Vangarde, Daniel Bangalter, le père de Thomas Bangalter de Daft Punk, est le producteur des projets Gibson Brothers (avec les hits « Cuba » et « Que sera mi vida (If You Should Go) ») et Ottawan (avec les hits « D.I.S.C.O » et « Hands Up (Give Me Your Heart) » parus en versions française et anglaise). Avec les succès anglophones d’artistes et producteurs français du disco comme Cerrone ou Patrick Hernandez et la consécra- tion planétaire de Jean-Michel Jarre avec ses compositions élec- troniques instrumentales, la musique hexagonale fait des percées internationales inédites.

LA FASCINATION ANGLAISE

Le morceau « Rectangle » de Jacno fait le lien entre la scène électronique française des années soixante-dix et l’electro pop des années quatre-vingt. Parue en 1979, cette ritournelle instru- mentale qui mêle synthétiseurs et guitares va être popularisée en illustrant une publicité. Jacno va devenir un personnage clé d’une pop électronique française qui se développe. Il lance son propre duo, Elli & Jacno, avec Elli Medeiros, et produit des disques d’Étienne Daho, Mathématiques Modernes, Lio – qui est belgo-­portugaise – ou Daniel Darc, l’ancien chanteur de Taxi Girl. Durant ces années du Top 50 sur Canal + et de la diffusion massive de clips sur TV6 puis M6, les groupes importants sont Indochine, Les Rita Mitsouko ou Niagara. Cette jeune scène fran- çaise est fascinée par l’Angleterre­ et par les nouveaux courants musicaux – new wave / electro pop – qui s’y développent autour de sonorités synthétiques lesquelles se mélangent parfois aux guitares. Les groupes phares de l’époque au Royaume-Uni sont The Cure, Depeche Mode, Joy Division / New Order, Eurythmics, Pet Shop Boys etc. Tandis qu’aux États-Unis, la pop se marie au

16 DE DAFT PUNK À RONE funk, au rock et aux synthés futuristes, avec un trio qui domine la décennie : Madonna, Michael Jackson et Prince. Les artistes et les groupes français, qui chantent le plus souvent dans leur langue, ont une reconnaissance principalement hexa- gonale. Quelques rares succès internationaux sont à noter : le morceau « Disco Rough » de Mathématiques Modernes est élu « single of the week » par le magazine anglais New Musical Express, Indochine vend beaucoup de disques au Pérou et y fait des concerts à guichets fermés, les premiers singles de Lio – « Banana Split » et « Amoureux solitaires » – entrent dans plusieurs classements européens. Comme leurs prédécesseurs des années yéyé, la notoriété des poids lourds de la chanson française (Jean-Jacques Goldman, Renaud, Francis Cabrel, Mylène Farmer, Johnny Hallyday etc.) reste avant tout francophone, tout comme les groupes de rock français, tels Bijou, Starshooter, Dogs, Marquis de Sade ou Kas Product. Durant les années quatre-vingt, le seul musicien français à se faire remarquer à l’international est Éric Serra. Le compositeur de musiques de films travaille sur les longs-­métrages de Luc Besson, films cultes de cette période : Subway, Le Grand Bleu, Nikita, Léon, Le Cinquième Élément. Passionné de synthétiseurs, Éric Serra invente des plages voyageuses ou rythmées qui illustrent parfaitement les images de Besson. La bande originale du film Le Grand Bleu se vend à trois millions d’exemplaires, dont un million à l’étranger. La notoriété d’Éric Serra l’amène à composer le score de GoldenEye, un épisode de la série James Bond en 1995, tandis que la chanson titre, interprétée par Tina Turner, est signée par Bono et The Edge de U2.

ROCK ALTERNATIF ET RAP FRANCAIS

Le milieu des années quatre-vingt voit apparaître une vague de rock alternatif français, résurgence du punk, avec des groupes comme Bérurier Noir, Ludwig Von 88, Parabellum, Gogol Premier, OTH, Les Wampas, Les Garçons Bouchers / Pigalle,

17 FRENCH TOUCH 100

Oberkampf, Les Sheriff etc. Leur succès à l’étranger est très confi- dentiel, hormis pour quelques-uns. Emmenée par Manu Chao, la formation Mano Negra brasse les styles – rock, punk, ska, latino – et les langues – français, espagnol, arabe. Elle tourne régulière- ment à l’étranger, particulièrement en Amérique du Sud, avec la troupe de théâtre Royal de Luxe, mais aussi aux États-Unis et au Japon. Avec leur rock guinguette aux accents méditerranéens et sud-américains, Les Négresses Vertes ont aussi beaucoup voyagé, notamment en Angleterre et au Liban. Leur premier album, Mlah, se vend à 180 000 exemplaires en France et 350 000 à l’interna- tional. Un titre du groupe est inclus dans la bande originale du film américainDick Tracy, sur l’insistance de Madonna qui joue dedans. Les Français apparaissent également sur la compilation Red Hot + Blue aux côtés de U2, Tom Waits ou Annie Lennox. Les Négresses Vertes entretiennent enfin des liens avec la jeune scène électronique anglaise et se font remixer par Massive Attack, Norman Cook (Fatboy Slim) ou William Orbit, tout en gardant une belle aura à l’étranger. La Souris Déglinguée et Les Thugs ont une notoriété plus modeste hors de la France. Emmené par son chanteur Tai-Luc, aux origines vietnamiennes, le premier entretient une passion pour l’Asie et a joué dans de nombreux pays de cette région du monde. Le groupe rock indépendant Les Thugs, affilié à la bourrasque grunge, tourne partout en Europe et régulièrement aux États-Unis, notamment avec Nirvana, et plusieurs de ses albums sont publiés par le label américain de référence Sub Pop. Dès le début des années quatre-vingt-dix, le rap devient un courant musical majeur en France. Il devient même un pilier du marché du disque dans cette décennie qui constitue un âge d’or du rap en France. Tout en restant très fortement inspiré par le hip-hop américain, le rap français développe sa propre personnalité, oscil- lant entre revendications sociales et politiques, et messages positifs et festifs. Cette période correspond à une profusion d’artistes et d’albums : environ quatre cent cinquante albums de rap interprétés en français et distribués sur le territoire français sont recensés entre 1990 à 2004.

18 DE DAFT PUNK À RONE

Mais, comme pour la chanson, le rock et la pop interprétés en fran- çais, le rap hexagonal, qui lui aussi privilégie la langue française, a un impact limité en dehors de ses frontières. Il trouve sa place dans les pays et régions francophones (Suisse, Belgique, Québec, Afrique), mais est peu présent dans le monde anglophone, hispa- nophone ou sur le continent asiatique. Ce pan de la culture fran- çaise est très peu connu aux États-Unis, berceau du genre musical. On peut noter tout de même quelques réussites à l’export comme l’album L’École du micro d’argent, sorti en 1997, qui se vend à plus d’un million et demi d’exemplaires dont près de la moitié à l’international. Le parcours à l’étranger de MC Solaar a eu ses moments forts, avec une nomination aux MTV Europe Music Awards en 1994 en tant que meilleur artiste masculin et quelques collaborations importantes : compilation , des duos avec Ron Carter, Urban Species, The Roots ou Missy Elliott. Mais globalement le succès des groupes et artistes rap français impor- tants, d’hier comme d’aujourd’hui, de NTM à PNL, de 113 à Booba, reste modeste sur la scène internationale.

GÉNÉRATION

La house et la techno sont élaborées aux États-Unis au milieu des années quatre-vingt. Ces révolutions musicales déferlent en Europe par plusieurs points d’entrée, comme l’Angleterre, en particulier dans les villes de Londres et de Manchester – avec The Haçienda, la salle de concerts / club montée par le groupe New Order. Les Anglais imaginent leur propre musique électronique, l’acid house, qui sera au cœur des grandes fêtes, les , lesquelles inondent la campagne britannique ou prend d’assaut des entrepôts désaf- fectés. Cette vague déferle aussi sur Ibiza qui devient un spot d’été très prisé des premiers DJs house anglais (, Danny Rampling, Paul Oakenfold). La Belgique, déjà friande des rythmes new beat, est aussi adepte de ces nouvelles sonorités électroniques avec plusieurs clubs importants qui les diffusent comme Boccaccio Life près de Gand, Café d’Anvers, Fuse à Bruxelles. L’Allemagne,

19 FRENCH TOUCH 100 et Berlin en particulier, est aussi une place forte pour la house et la techno. La France accueille ses premières raves dès le début des années quatre-vingt-dix un peu partout dans le pays, avec beaucoup de fraîcheur et d’insouciance. Ces événements se professionnalisent peu à peu ou disparaissent pour être remplacés par d’autres : la rave du Fort de Champigny en 1990, les soirées Cosmos Fact à Mozinor (Montreuil Zone Industriel Nord) dès 1991, le concert de LFO à La Défense en 1992, le festival Les Trans Musicales de Rennes qui accueille des grands noms électroniques dès 1992 (Underground Resistance, The Orb, Blake Baxter, Orbital etc.), les nuits Boréalis dans le Sud – Pézenas, Nîmes, Montpellier – dès 1993, le festival Astropolis en Bretagne dès 1995 etc. À cette époque, les principaux relais de cette effervescence festive passent par le minitel (3615 Rave et 3615 FG), la radio avec les antennes parisiennes de Radio FG, Maxximum ou Radio Nova, quelques émissions spécialisées ou mixes sur Fun Radio ou NRJ, et des fréquences associatives partout en province. Il existe aussi quelques fanzines comme eDen ou Zipper et un premier magazine, Coda. Du côté des discothèques, le Rex Club à Paris propose ses premières soirées électroniques en 1988. Baptisées Jungle, ces fêtes sont orga- nisées par des Anglais qui débarquent à Paris avec dans leurs valises un jeune DJ français qui travaille à Londres : Laurent Garnier. Initié au DJing à l’Haçienda à Manchester, Laurent Garnier lance par la suite au Rex Club les soirées Wake Up, de 1992 à 1994. Il y invite les ténors de la techno et de la house américaines comme Derrick May, Lil Louis, Ron Trent ou Jeff Mills. Christian Paulet, le gérant du Rex Club, fait prendre un virage tout électronique à la discothèque dès 1995. Laurent Garnier devient dès lors une figure centrale de la musique électronique en France. Il est remarqué aussi dans d’autres petits clubs parisiens comme Le Boy ou La Luna. Ces lieux sont principalement fréquentés par la communauté homosexuelle qui va être la première à soutenir la house et la techno. D’autres DJs pari- siens comme DJ Deep, Jérôme Pacman, David Guetta ou Erik Rug se font remarquer dans cette période euphorisante où les soirées se multiplient, au Palace, aux Bains Douches ou au Queen.

20 DE DAFT PUNK À RONE

En province, L’An-Fer ouvre à en 1990 : pendant une décennie, il est un haut lieu de la musique électronique. Toute une génération s’y éduque les oreilles avant de se lancer dans la musique comme Vitalic, John Lord Fonda ou Tonio. Dans le Nord, les jeunes Français sortent dans les clubs belges pour apprécier les sensations électroniques créant des vocations chez Emmanuel Top, Terence Fixmer et Shazz. Des labels apparaissent. Les deux plus importants sont Rave Age Records et Fnac Music Dance Division. Le premier est monté par Manu Casana, organisateur de raves en région parisienne. Ce label va faire connaître Pills, Juantrip ou Discotique, projet lancé par Christophe Monier et Patrick Vidal. Fnac Music Dance Division est la section électronique du label des magasins Fnac imaginée par Éric Morand. Il y signe des producteurs français comme Laurent Garnier, Ludovic Navarre alias St Germain, Scan X et Shazz. Fnac Music Dance Division obtient des premiers succès internationaux (Lunatic Asylum, Choice), mais s’arrête en 1994. Éric Morand et Laurent Garnier montent dans la continuité F Communications, avec le même catalogue d’artistes, qui devient le label électro- nique français phare des années quatre-vingt-dix et deux mille : il découvre Mr Oizo, Nova Nova, Chaotik Ramses, A Reminescent Drive, Llorca, Elegia, Alexkid, Readymade, The Youngsters et publie des albums importants de Laurent Garnier, St Germain et Scan X. Dans cette époque d’espérance et de premières reconnaissances, d’autres artistes ou groupes hexagonaux se font remarquer sur la scène internationale comme Deep Forest, Total Eclipse ou Emmanuel Top, dans des courants électroniques aussi variés que l’ambient / world, la techno trance ou l’acid techno.

UNE VAGUE PARISIENNE

Dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, le phéno- mène des raves intrigue les médias et inquiète les autorités. En 1995, le ministère de l’Intérieur signe une circulaire à l’attention

21 FRENCH TOUCH 100 des préfectures­ intitulée « Les soirées raves : des situations à hauts risques » et interdit progressivement ces rassemblements musicaux festifs. La rave, qui réunissait toutes les chapelles électroniques, se scinde en deux : d’un côté, elle se radicalise en free party, avec le mouvement hard-core, la hard techno, et de l’autre, elle rejoint le confort des discothèques, principalement pour la house et la techno. La première génération d’artistes électroniques, issue de l’esprit rave et influencée par la house et la techno américaine, est suivie par une vague de jeunes musiciens inspirée par le funk et le disco. Grâce à leur maîtrise du sampling, ils puisent dans ce passé pour imaginer une house dansante et vitaminée, qu’ils élaborent avec des boîtes à rythmes et des effets, notamment des filtres de compression. Complètement décomplexée, grâce aux percées internationales de Cerrone ou de Jean-Michel Jarre, cette génération de jeunes producteurs imagine une musique instrumentale – la plupart du temps – ou avec des vocaux en anglais à la portée internationale. Cette vague parisienne et versaillaise réunit Daft Punk, Stardust, Alan Braxe, DJ Falcon, La Funk Mob / Cassius, Étienne de Crécy (Motorbass, projet Super Discount), Alex Gopher, Pépé Bradock, DJ Gregory, Julien Jabre, Dimitri From Paris, Bob Sinclar, Martin Solveig etc., sous le parrainage du Français de New York, maître du disco et de la house, François K. Certains artistes empruntent la voie d’une musique électronique aux contours pop (Air), abstract hip-hop (DJ Cam) ou trip-hop (Kid Loco). D’autres signent une house au groove plus complexe (Mr Oizo, I:Cube). Cette génération d’enfants nés à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix a été bercée par les mélodies synthé- tiques de Jean-Michel Jarre, les rythmes disco de Cerrone ou les sons futuristes des génériques télévisés signés François de Roubaix (Chapi Chapo, Les Chevaliers du ciel), Didier Marouani / Space (Temps X des frères Bogdanov), Michel Colombier (l’ouverture et la fermeture d’antenne d’Antenne 2, avec les bonshommes volants de Folon). Ils assument d’ailleurs leurs liaisons avec le passé : Air enregistre avec Jean-Jacques Perrey, Michel Colombier et Jean-Michel Jarre, Dimitri From Paris remixe des titres de Sheila

22 DE DAFT PUNK À RONE

& B. Devotion, Bob Sinclar signe un CD mixé de morceaux de Cerrone etc. Une partie de ces acteurs baigne déjà dans un envi- ronnement de machines, de samplers, d’ordinateurs et de consoles de mixage étant ingénieurs du son : Philippe Zdar (La Funk Mob, Motorbass, Cassius), Hubert Blanc-Francard alias Boombass (La Funk Mob, Cassius) – le fils de l’ingénieur du son renommé Dominique Blanc-Francard –, Étienne de Crécy, Alex Gopher, spécialisé en mastering au studio Translab, ou encore Dimitri From Paris, homme de radio réputé pour ses , avant de devenir lui-même producteur. Dans cette période d’avant Internet, ces jeunes DJs et producteurs se croisent la journée chez les disquaires (Bonus Beat, BPM, USA Import, Street Sounds, Rough Trade) et le soir dans les soirées et les discothèques. Ce mouvement house s’épanouit dans les clubs pari- siens. Plusieurs soirées deviennent les rendez-vous incontournables pour vivre cette effervescence. Après avoir commencé la nuit au What’s Up Bar dans le quartier Bastille, direction les Folie’s Pigalle pour les soirées Hype lancées par Pedro Winter, futur manager de Daft Punk. Elles se poursuivent ensuite au fumoir de la discothèque Le Palace alors tenue par David Guetta. Le mercredi, il faut aller au Queen sur les Champs-Élysées pour Respect, le rendez-vous imaginé par Fred Agostini, David Blot et Jérome Viger-Kohler, ancien organisateur de rave, journaliste / chroniqueur de Radio Nova et journaliste de Radio FG. Les soirées sont gratuites et sont promotionnées par des flyers au format carte à jouer sur lesquels on retrouve des clichés de clubbing signés par la photographe Agnès Dahan. Le 2 octobre 1996, Daft Punk joue à la première, avec Jef K et José Padilla. Le concept Respect dure jusqu’en 1999 puis il s’exportera à Bruxelles, Copenhague, New York ou Sydney. Il y a aussi les soirées Thanx God I’m A VIP (TGV) qui voyagent de l’Élysée Montmartre à la Salle Wagram en passant par Maxim’s ou Le Ritz. Et enfin, les soirées house garage Cheers sont organi- sées par Greg Gauthier et Sven Løve, au dancing de la Coupole, brasserie de Montparnasse. Des labels éclosent chaque semaine et leurs productions, la plupart du temps sur maxis, portent ce mouvement house parisien. Les

23