Le tumulus funéraire de Mikri Doxipara Zoni dans la commune de Kyprinos Diamantis Triantaphyllos, Domna Terzopoulou

Le tumulus funéraire de Mikri Doxipara-Zoni dans la commune de Kyprinos (Grèce)*

Diamantis TRIANTAPHYLLOS (Ephore honoraire des Antiquités grecques Président du Comité scientifi que responsable du tumulus funéraire de Mikri Doxipara-Zoni (Préfecture d’, Grèce)) Domna TERZOPOULOU (XVIe Ephorie des Antiquités Préhistoriques et Classiques)

La grecque constitue une petite partie de grandes villas agricoles ainsi que des tumuli de la vaste Thrace antique qui s’étendait du littoral dont les sépultures renfermaient de riches offrandes de l’Egée, de l’Hellespont et du Bosphore jusqu’au funéraires et appartenaient très vraisemblablement Danube et des rivages du Pont-Euxin jusqu’aux à de riches propriétaires fonciers. La plupart des frontières de la Macédoine voisine. informations dont nous disposons sur la région du nord de l’Hèbre aux deux premiers siècles proviennent de l’investigation des tumuli. En Thrace grecque, ces dernières 20 années, des fouilles ont été effectuées dans des tumuli du département de l’Évros, notamment dans les régions Dans ces tumuli prévaut le rite de la crémation. de Didymoteicho, , et . Les tumuli Le défunt était brûlé soit dans l’espace couvert par le dispersés de Thrace, grands monuments funéraires, tertre, dans une fosse creusée à même le sol naturel ont été construits sur des hauteurs naturelles ou (crémation primaire), soit à l’extérieur du tertre, et ses dans des régions de plaines dégagées, toujours restes étaient transportés avec soin et déposés sur le afin d’être visibles de très loin. De plan ellipsoïdal sol ou dans une fosse située d’ordinaire près du centre ou circulaire, ils ont la forme d’un cône tronqué, du tumulus (crémation secondaire). Presque tous les d’une demi sphère ou d’une portion de sphère. défunts étaient des hommes adultes. Des offrandes Leur diamètre varie entre 15 et 60 m et leur hauteur riches et nombreuses les accompagnaient : de 1,50 à 12 m. Le plus ancien des tumuli explorés vases en terre cuite, en verre et en bronze, pièces de se situe chronologiquement à la fin de l’âge du monnaie, armes, bijoux, sièges pliants, porte-lampes, Bronze; certains datent des époques classique et dés, coffrets, etc. Les matériaux organiques, tels que hellénistique, mais la plupart, surtout dans la région les étoffes et les cuirs, découverts par-dessus les de l’Hèbre du nord, de l’Empire romain. objets, les fruits carbonisés et les os des animaux qui étaient brûlés sur le même bûcher que le défunt, sont particulièrement précieux pour reconstituer le La Thrace est devenue une province rituel funéraire. Si des porcelets et des oiseaux étaient romaine en 46 ap. J.-C. sous le règne de Claude. offerts entiers au bûcher, on ne jetait habituellement Trajan inaugura des changements administratifs dans le feu que certaines parties du corps, surtout et favorisa l’urbanisation en fondant Trajanopolis, les pattes, des moutons et des vaches. Dans tous les Plotinopolis, Augusta Trajana, etc. Hadrien fonda tumuli, on a repéré des zones contenant des restes Andrinople (Hadrianopolis). Il n’y avait pas de grandes de bûchers et d’offrandes liées aux repas et aux propriétés impériales dans la région de la Thrace et cérémonies funéraires célébrés lors de l’inhumation les domaines restèrent aux mains de la population autochtone. L’économie reposait principalement * On pourra consulter l’article : D. Triantaphyllos, Αμαξες καύσεις νεκρών στον sur l’exploitation des terres fertiles et sur l’élevage. La D. Terzopoulou, kai ταφικό τύμβο της Μικρής Δοξιπάρας-Ζώνης - δήμου cellule de base de la vie rurale était la bourgade. Κυπρίνου (en grec avec résumé en anglais), Το Nous disposons de données sur la prospérité de Αρχαιολογικό ΄Εργο στη Μακεδονία και Θράκη, la population rurale grâce aux fouilles effectuées 17, 2003, p. 1-12, et le site web http://www. principalement en Bulgarie et qui ont mis au jour mikridoxipara-zoni.gr (note des éditeurs).

78 Cahiers des thèmes transversaux ArScAn (vol. VI) 2004 - 2005 Journée d’étude « Tombes à Char » ou aussitôt après. La deuxième crémation (Crémation D) a été repérée dans la partie est du tumulus, près du second groupe de chars. Le bûcher avait été installé Le tumulus de Mikri Doxipara-Zoni (60 m dans une fosse rectangulaire peu profonde. Des de diamètre sur 7,5 m de haut), construit sur une vases en terre cuite, des pointes de lance en fer, éminence naturelle, comptait parmi les plus grands des strigiles en bronze et une lanterne en bronze de la région de l’Hèbre du nord . Ce sont les fouilles accompagnaient le défunt. Quelques morceaux illégales et la présence de fragments de marbre de bois carbonisés formant un cadre rectangulaire travaillé, d’éléments architecturaux, de bas-reliefs et et des clous en fer suggèrent l’existence d’un lit sur d’éclats de pierre, qui nous ont incités à entreprendre lequel reposait le mort. la fouille. Notre hypothèse de départ sur l’existence d’une tombe maçonnée ou d’un sarcophage ne s’est pas vérifiée. Il est probable qu’il y a eu au La troisième crémation (Crémation A) a été sommet du tumulus un monument funéraire qui a trouvée dans la partie nord. La fosse rectangulaire été complètement détruit ou que ce monument a a été creusée dans le remblai et modifiée par précédé le tumulus, au même endroit ou dans les l’affaissement du tumulus ; elle contenait les restes parages. d’une femme. Des vases en bronze, des vases à parfums en terre cuite et en verre, des boîtes en bois munies de serrures et de chaînes en bronze, un petit Le tumulus recouvrait quatre sépultures à mortier en marbre avec deux pilons en forme de crémation, cinq chariots et deux inhumations de doigts pliés, un coffret en bronze vraisemblablement chevaux. On a également repéré de nombreuses pour des substances pharmaceutiques et un étui rond zones renfermant des restes d’offrandes, deux fosses- pour instruments chirurgicaux, un porte-lampe en fer foyers et deux constructions carrées en briques, et en bronze étaient disposés sur toute la surface. qui faisaient office d’autels. On y a découvert des Sept bagues, en ambre, en verre et en pierres semi- cendres, des os d’animaux et des tessons de terre précieuses ont été découvertes rassemblées. Les cuite à partir desquels on a pu reconstituer des bagues en ambre présentent un intérêt particulier lampes à huile, des assiettes, des petites coupes et par leur décor en relief : des animaux pour deux des canthares. d’entre elles, Éros et Psyché pour une troisième. Elles étaient placées dans une pyxide en bois revêtue Aux quatre sépultures à crémation de bronze. La feuille d’or qui ornait le chaton d’une correspondaient deux fosses creusées dans le sol bague en verre représente Aphrodite armée, type (Crémations B et D) et deux fosses ouvertes dans le iconographique connu à l’époque hellénistique, remblai du tumulus (Crémations A et C). devenu populaire à l’époque romaine, Aphrodite étant souvent figurée comme Victorieuse (Venus Victrix) après la victoire d’Actium (31 av. J.-C.). Une La première crémation (Crémation B) a été seule boucle d’oreille en or a été mise au jour. repérée dans la partie ouest, à une faible distance du centre du tumulus et tout près du premier groupe de chariots, dans une vaste fosse rectangulaire, au Attis, figure prisée à l’époque romaine, fond de laquelle s’ouvrait une fosse rectangulaire représenté avec des raisins dans les mains, un plus petite, badigeonnée d’enduit. Elle contenait des vêtement oriental et des organes génitaux virils morceaux de bois carbonisés et les ossements brûlés visibles, ornait les charnières en bronze d’un coffret du défunt, et deux umbos de boucliers en bronze, de bois auquel appartiennent aussi une tête de des pointes de lances en fer, d’épées, des vases en nègre et un masque féminin. Quelques plaquettes terre cuite et des flacons à parfums en verre. Les en argent ornées de personnages étaient adaptées objets en bronze et en fer portaient des traces de sur un objet inconnu. Un objet important pour la tissu. La plupart des offrandes étaient regroupées sur datation du tumulus est une monnaie de bronze le petit côté est de la grande fosse : un porte- très endommagée de Périnthos (actuellement lampe en bronze avec sa lampe à huile, sur Eski Erékli) frappée sous l’empereur Trajan, entre une base à pieds humains portant des sandales 102 et 114 ap. J.-C. Près de la fosse a été trouvé et des cnémides, un siège pliant en fer, des strigiles un grand vase en verre à panse hémisphérique et en bronze et en fer, des vases en bronze, un peigne col cylindrique, contenant une masse solidifiée ; en os, une lanterne en bronze, les restes d’un objet comme les autres matériaux organiques, elle n’a pas rectangulaire — instrument de musique ou boulier ? encore été étudiée par les spécialistes ; toutefois, Des anneaux en os étaient éparpillés. ses caractéristiques extérieures nous font l’interpréter comme un mélange de miel et de feuilles de laurier,

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vraisemblablement le melikraton connu grâce à Dans le premier chariot du premier groupe Homère, à base de miel et de lait, que l’on offrait en (Chariot B) sont conservées des empreintes de libation aux dieux infernaux. pièces de bois: timon, rayons (cnemides) au nombre de douze par roue et jante (apsis ; cercle de bois à l’intérieur du bandage). Les roues ont été détachées, La quatrième crémation (Crémation C) a été mais les chevaux se trouvent encore sous le joug, découverte dans la zone centrale du tumulus sous la dont il subsiste des restes de bois, de fer et de cuir, surface du sommet. La grande fosse rectangulaire, et de plaquettes décoratives en bronze portant de la dernière creusée dans le remblai, a souffert aussi petits disques en argent ornés de chevaux et de d’affaissement. La plupart des offrandes étaient cavaliers en relief. Le timon, long de 1,70m, aboutit placées dans la partie ouest : des vases de bronze à l’essieu antérieur où l’on peut voir la pièce de de tailles et de types différents, à anses ouvragées, raccord en fer qui permettait au chariot de tourner. La un coffret et un étui cylindrique en bronze, des vases face postérieure de la caisse, en forme de trapèze, en terre cuite et en verre, un siège (diphros) en fer, un conserve in situ une partie de sa riche ornementation porte-lampe en bronze à hauteur réglable sur une : bandeaux de bronze, petits boucliers et disques et, base à pattes de lion, une lampe à huile en bronze dans le bas, un buste en bronze de femme coiffée à anse en tête de cheval, un trépied en fer, etc. Il y d’un haut pôlos. De la caisse, subsistent des parties avait en outre une lanterne en bronze, en meilleur état de l’armature en fer et de la suspension, des clous en que celles d’autres crémations et comparable à des fer et des fragments de bois ; ses dimensions sont de trouvailles de la région de Pompéi et de tombes de 1,23 m x 0,99 m d’après les revêtements des angles. Hongrie et de Bulgarie. Les plus anciennes datent de Les frettes de moyeu sont doubles, au nombre de l’époque d’Auguste, et leur forme change à peine quatre dans chaque roue. jusqu’au IIIe siècle ap. J.-C. La base est constituée d’un disque sur trois petits pieds ronds, au centre duquel se trouvait la lampe à huile. Le couvercle, Le deuxième chariot du premier groupe percé de petits trous, est amovible et relié par des (Chariot C) du groupe n’a pas un décor aussi riche, chaînes à l’anse qui permettait d’accrocher ou de mais les empreintes des bois du fond de la caisse, porter la lanterne. La flamme était peut-être protégée les pièces en fer de son armature et les clous du par une peau d’animal transparente. pourtour sont conservés, ainsi que certaines pièces en bronze du joug et des petits disques en bronze qui ornaient les courroies du harnais. Les roues ont Outre les ossements des défunts et le été détachées ; on distingue les empreintes des bois carbonisé, on a repéré quantité de matières jantes et des rayons. Le timon, dont il existe des organiques, restes de cuir et de tissu, bouts de corde traces, est long de 2,035 m et relié au chariot par et de mèche et noix carbonisées. Les défunts étaient, deux tiges de fer en forme de Y. Les squelettes des dans les crémations B, C et D, des hommes, dans chevaux des deux chariots sont en mauvais état de la crémation A, une femme. L’anthropologue Notis conservation. Agelarakis attribue les ossements des crémations B et C à des hommes, l’un âgé de 40 à 48 ans, l’autre de moins de 40 ans. À une faible distance du deuxième chariot, on trouve la sépulture de deux chevaux (Sépulture de chevaux A). Les squelettes occupent une fosse étroite Les cinq chariots constituent la trouvaille la plus et peu profonde. Les crânes sont complètement impressionnante. Ils ont été placés avec les animaux désagrégés ; en revanche, il subsiste des phalerae de trait dans des fosses peu profondes creusées à (plaques rondes décoratives) en bronze, des perles même le sol. Ils présentent de légères différences de verre et des restes des courroies en cuir du harnais entre eux du point de vue de l’ornementation comme garnies de rivets en bronze. Ce sont certainement des caractéristiques techniques. Tous conservent les des chevaux de réserve des deux chariots (chevaux essieux, les cerclages en fer des roues (bandages), les de volée, hippoi pareoroi). frettes de moyeu, et les autres éléments fonctionnels et décoratifs. Dans deux d’entre eux sont également conservées des traces de bois. Ils se divisent en deux Les trois chariots du second groupe sont groupes : le premier se trouve dans la partie ouest au sud-est et leur agencement s’adapte à la du tumulus, vers la crémation B, et comprend deux circonférence du tumulus. Ils ne se présentent chariots, qui offrent une image vivante et complète, pas sous leur forme normale : les chevaux ont et la sépulture des deux chevaux. été détachés du joug, les roues et les essieux désassemblés. Il n’y a aucun vestige ni aucune trace de bois ; les objets métalliques, en revanche, et les

80 Cahiers des thèmes transversaux ArScAn (vol. VI) 2004 - 2005 Journée d’étude « Tombes à Char » squelettes des chevaux sont en très bon état, grâce aussi fonctionnel, était fixée à un point du chariot. à la composition du sol.

Dans le deuxième chariot du deuxième Dans le premier chariot du deuxième groupe groupe (Chariot D), il ne reste que deux roues, (Chariot A), les chevaux occupent une extrémité de disposées sur un côté de la fosse. Le chariot se la fosse, la tête tournée vers le chariot disloqué ; un trouvant tout près du bord du tumulus, les deux chien a été inhumé à leurs côtés. Des bandeaux autres roues ont dû être emportées par la culture du décoratifs en bronze de la face postérieure de la champ voisin ; un des deux fragments du bandage caisse subsistent in situ. La caisse mesure 1,54 x 0,94 d’une roue a été découvert dans le champ voisin. m, la hauteur de ses parois latérales est évaluée à Les roues ont été séparées des essieux et les 25-30 cm. Les cornières en bronze qui assemblaient chevaux détachés du joug. De nombreux éléments les bois de l’armature de la caisse ont gardé leur en fer, en bronze et en bronze argenté, proviennent position, ainsi que des petits disques de bronze, du harnais et du joug. Trois fines baguettes de fer argentés sur une base carrée, qui ornaient le haut munies d’anneaux de bronze, qui forment trois côtés des côtés. d’un cadre rectangulaire de 1,25 m x 1,58 m, sont particulièrement intéressantes : ce chariot était très probablement fermé et à ces baguettes devaient Le joug mesurait 1,45 m de long. Ses être accrochés des rideaux. extrémités recourbées, qui se plaçaient sur la nuque des bêtes, étaient revêtues d’une fine feuille de plomb et ornées de panthères et de petits disques portant Dans le troisième chariot du deuxième des têtes féminines en relief, vraisemblablement groupe (Chariot E), les quatre roues ont été de ménades. Des défenses de sanglier, dont l’une détachées et placées sur les squelettes des chevaux, à l’extrémité revêtue de bronze, faisaient partie du qui n’ont pas été enterrés avec le même soin que décor du joug. Les défenses et le squelette du chien les autres. Une série de pièces de raccord en fer suggèrent que le chariot appartenait à un chasseur. en forme de Π reliait, semble-t-il, les deux bois du La chasse au sanglier, à cheval, avec des chiens, timon long d'environ 2,10 m. L'enveloppe en plomb constituait un passe-temps de prédilection des des extrémités recourbées du joug subsiste in situ, et nobles à l’époque romaine ; les empereurs Trajan dans la même zone, la partie en fer des colliers qui et Hadrien avaient une réputation de chasseurs de était accrochée au joug, les mors et des parties de sangliers redoutables. Les sangliers abondent dans la bride, et des éléments en bronze qui décoraient les monts de la Rhodope encore aujourd’hui. Une le joug, avec des cornes d’animaux et des défenses petite main en bronze, à caractère ornemental mais de sangliers, et le harnais.

Fig. 1 - Tumulus de Mikri Doxipara-Zoni. Sépulture de trois chevaux (B).

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Dans la caisse se trouvaient deux amphores a découvert dans plusieurs tumuli des chars et des en bronze aux anses terminées en masques de chariots inhumés avec leurs propriétaires. Certains silènes et quatre vases en verre de section carrée datent des époques classique et hellénistique, la enfermés dans un coffret en bois, dont il reste le plupart de l’époque romaine ; il devait y avoir alors revêtement en bronze, les clous et les anneaux de en Thrace des ateliers de fabrication. Les premiers suspension en fer. Nous ignorons pourquoi ils n’ont ont été exhumés au début du XXe siècle ; en pas été placés auprès des morts. 1960, I. Venedicov en a présenté plus de quarante exemples et depuis lors, de nombreux chariots ont été découverts dans des tumuli, mais n’ont pas été Entre le premier et le second chariot du publiés en détail. groupe, on a repéré la sépulture de trois chevaux (Sépulture de chevaux B ; Fig.1). Un des crânes conserve la têtière en fer (partie inférieure de la bride), Les chariots, lourds véhicules à quatre roues, le mors et de petits disques décoratifs en bronze. Des utilisés pour les travaux agricoles et le transport des perles de verre et des têtes de petits clous en or qui gens et des matériaux, étaient tirés, si l’on en croit décoraient des courroies en cuir du harnais ont aussi les sources et l’iconographie, par des mules ou des été retrouvées, ainsi que deux umbos de boucliers bœufs. Les auteurs anciens nomment harma (char) en bois, l’un en bronze, l’autre en fer. les véhicules rapides à deux roues tirés par des chevaux, amaxa et apene (chariot) les véhicules à quatre roues servant à transporter des hommes Les chariots découverts à Mikri Doxipara-Zoni et des matériaux et habituellement tirés par des servaient à transporter les morts sur le lieu de leur mules ou des bœufs. A l’époque romaine, il existait sépulture et tous les objets indispensables pour les différents types de véhicules à roues. Les chariots qui cérémonies. La question de savoir s’ils avaient été n’étaient pas utilisés à des fins guerrières ou cultuelles fabriqués spécialement ou s’ils avaient été utilisés ou pour les concours hippiques étaient rarement puis enterrés avec leur propriétaire — thèse qui tirés par des chevaux. Les chariots de Mikri Doxipara- prévaut actuellement — n’aura une réponse que Zoni se trouvent encore dans le sol et l’on ignore de lorsque les recherches seront terminées. nombreux éléments entrant dans leur construction. Aussi est-il difficile de les classer dans l’une ou l’autre Si le rôle du chariot dans le rituel funéraire du de ces catégories, d’autant que la Thrace avait une monde antique nous est connu par les sources et forte tradition locale en matière de construction de par l’iconographie, la fouille de Mikri Doxipara-Zoni chariots sur laquelle la bibliographie ne nous fournit a livré pour la première fois en Grèce un ensemble guère d’informations. Les quatre chariots ouverts impressionnant de chariots à quatre roues. La pratique et à quatre roues rappellent le type de véhicule consistant à enterrer les chariots et les chevaux en appelé reda (ouvert, à quatre roues, tiré par deux même temps que les défunts se rencontre dans de bêtes ou plus). Leurs petites dimensions et leur riche nombreuses régions du monde antique, aussi bien en ornementation font douter qu’ils étaient utilisés pour Europe qu’en Asie ; les tombes royales de Salamine le transport de charges agricoles. de Chypre (VIIIe - VIIe siècle av. J. -C.) et certaines tombes celtes et scythes sont impressionnantes. En Le cinquième chariot du dexième groupe Étrurie, l’inhumation des chariots avec les morts est (Chariot D) était couvert, mais nous ne pouvons fréquente dès l’âge du Fer. Chars, chariots et chevaux établir avec certitude s’il était à deux ou à quatre fonctionnent comme symboles du prestige et de roues. L’étude des squelettes des bêtes de trait de la richesse de leurs propriétaires. Dans une région Mikri Doxipara-Zoni, confiée à l’archéozoologue agricole comme la Thrace, les chariots constituent Katérina Trantalidou, n’est pas achevée ; selon les un indice de la fortune des défunts, révélateur de la observations préliminaires, ils appartiennent à des richesse paysanne. chevaux, jeunes de surcroît. F. Poplin a visité deux fois la fouille et nous a donné des informations En Grèce, on avait jusqu’à présent trouvé intéressantes. dans des tombes des pièces isolées de chariot et, particulièrement en Grèce du nord, des miniatures, Les qualités naturelles du cheval et l’aide à deux ou quatre roues, qui témoignent eux aussi pratique qu’il offrait en firent un compagnon d’une volonté d’offrir aux défunts des véhicules permanent de l’homme. Les grands chevaux plus susceptibles de les transporter dans l’autre monde. blancs que neige du roi de Thrace, Rhésos, nous Dans la Thrace du nord, aujourd’hui en Bulgarie, on sont connus par Homère. Homère qualifie les Thraces

82 Cahiers des thèmes transversaux ArScAn (vol. VI) 2004 - 2005 Journée d’étude « Tombes à Char » d’hippopolous (qui vivent à cheval) et Sophocle et les ensevelissements n’avaient pas eu lieu au même Euripide d’« amis des chevaux » (philippous). Dans la moment. Les chariots B et C et la sépulture des Thrace nourricière de chevaux (hippotrophos), selon chevaux A peuvent être attribués à la Crémation B, Hésiode, vivent encore aujourd’hui des chevaux libres. la première à avoir été pratiquée dans l’espace du C’est également le pays des juments de Diomède, qui tumulus. Les chariots A, D et E doivent être rattachés mirent en pièces Abdèros, compagnon d’Héraclès. à la Crémation D, qui se trouve vers le bord du Le cheval a été représenté sur des monnaies de villes tumulus. Les fosses des crémations A et C ont été grecques du littoral et des dynastes thraces. Le texte ouvertes dans le remblai du tumulus, qui préexistait. de l’inscription d’Abdère (LOI D’ABDÈRE MA 5553) sur Les différences chronologiques ne peuvent être le commerce d’esclaves et de bêtes de trait (350 déterminées avec précision à ce stade, qui est av. J.-C.) constitue une preuve supplémentaire du encore celui de la sauvegarde de l’ensemble du rôle considérable que jouait l’élevage de chevaux matériel. dans la vie économique de la Thrace. Un cheval caractérise aussi le héros-cavalier, l’un des dieux favoris de la Thrace à l’époque romaine. On sait par La fouille du tumulus de Mikri Doxipara-Zoni ailleurs que la Thrace alimentait l’armée romaine en nous a livré des trouvailles admirables tant par leur état cavaliers et en chevaux. de conservation que par la richesse des informations qu’elles nous fournissent. La mise en place d’un lieu d’exposition à l’emplacement des découvertes et La coutume de sacrifier et d’enterrer les la reconstruction du tumulus ont été les solutions chevaux auprès de leurs propriétaires a été observée adoptées, car elles apparaissaient comme les plus à deux autres reprises dans des tumuli d’époque appropriées pour protéger et valoriser cet ensemble impériale dans la région du nord de l’Hèbre. En archéologique unique au regard des données Bulgarie, des inhumations de chevaux se rencontrent grecques. Grâce à un relevé en trois dimensions fréquemment dès l’époque préhistorique. Dans la de toutes les trouvailles, des répliques fidèles des description qu’il nous livre des coutumes funéraires des crémations, des chevaux et des chariots grandeur Thraces, Hérodote ne mentionne pas de sépultures nature seront donc construites et demeureront in ou de sacrifices de chevaux, alors qu’il décrit avec situ. Les visiteurs auront ainsi la chance d’admirer le force détails les pratiques des Scythes : un an après tableau impressionnant de la fouille, tandis qu’à côté l’enterrement du roi, ils plaçaient 50 chevaux morts seront exposés, une fois nettoyés et restaurés, tous les avec leurs cavaliers morts sur la tombe. L’allusion la objets originaux, accompagnés de reconstitutions plus connue de la littérature antique au sacrifice de de chariots et d’un riche matériel audiovisuel. chevaux en l’honneur des défunts est sans conteste l’évocation par Homère des quatre chevaux brûlés Bibliographie par Achille sur le bûcher de Patrocle. La coutume resta vivante pendant des siècles, ainsi que l’atteste VENEDICOV I. (1960) – Trakiyskata Kolesnitsa. la référence de Lucien qui classe les chevaux au Sophia. (en bulgare avec résumé en français nombre des offrandes en l’honneur du mort. Des et en russe). sacrifices et des sépultures de chevaux ont été découverts également par les fouilles archéologiques LOI D’ABDÈRE MA 5553 : Feyel M., Nouvelles inscriptions dans maintes régions du monde grec. d’Abdère et de Maronée, BCH 66-67, 1942-1943, p. 176-199, spécialement p. 180-188, n° 2, pl. 9.1 Les fouilles effectuées en Bulgarie attestent ; Inscriptiones antiquae partis Thraciae quae que les grands tumuli se trouvent souvent à proximité ad ora maris Aegaei sita est (Praefecturae de fermes riches et appartiennent aux familles Xanthes, Rhodopes et Hebri). Ediderunt et des propriétaires. Le tumulus de Mikri Doxipara- commentariis sermone graeco conscriptis Zoni appartenait probablement à la famille d’un instruxerunt Loukopoulou L.-D., Parissaki M.-G., propriétaire terrien qui, suivant un usage des deux Psoma S., Zournatzi A. (texte en grec seulement), premiers siècles de notre ère, avait choisi d’être Athènes 2005, E3, p. 186-190. inhumé dans le domaine familial ou à proximité de celui-ci, plutôt que dans un cimetière organisé. Les chariots avaient été placés à côté de leurs propriétaires comme marque de leur position sociale. Le tumulus se situe chronologiquement au début du IIe siècle ap. J.-C. On a constaté que tous

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