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Ciné-Bulles

L’artiste imite sa vie Synecdoche, New York de David Lamarre

Volume 27, Number 1, Winter 2009

URI: https://id.erudit.org/iderudit/60825ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Lamarre, D. (2009). Review of [L’artiste imite sa vie / Synecdoche, New York de Charlie Kaufman]. Ciné-Bulles, 27(1), 60–61.

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film en creusant les angoisses juvéniles de Céline Sciamma, qui signe ici son premier le mode de vie d'individus qu'elles évo­ ses protagonistes. Au cœur de cette étude long métrage, réalise un film sensible à la quent. Par conséquent, elles définissent des tourments psychologiques de l'adoles­ thématique complexe. Elle montre sans l'humanité. cence, elle place avec justesse l'obsession condescendance l'univers de ces jeunes de l'apparence physique et l'importance filles qui tentent, non sans peine, de deve­ Tel est le constat de Kaufman lorsqu'il du corps qui déterminent souvent l'appar­ nir des femmes. Au-delà de la justesse de reprend et approfondit les thèmes de la tenance au groupe. Le film se fait ici le ton du scénario, le film de Sciamma est un créativité, de la mort, de l'amour et de miroir fidèle de la réalité. Anne est obsé­ exemple de rigueur dans la mise en scène, l'identité, récurrents dans son œuvre. Ses dée par sa surcharge pondérale autant que qui mêle objectivité et subjectivité, obser­ plus récentes recherches s'incarnent dans Marie l'est par sa maigreur. Floriane, au vation froide et poésie lyrique. On attendra un étrange récit autour d'un metteur en physique très attirant, reconnaît l'impor­ avec impatience le second opus de cette scène dénommé Caden Cotard (Philip Sey- tance de son apparence et l'effet qui en dé­ talentueuse jeune réalisatrice. • mor Hoffman). Talentueux et angoissé, coule. Il y a dans ce que vivent ces jeunes Cotard voit sa famille se désintégrer lors­ filles quelque chose d'authentique, particu­ que sa femme Adèle (), Naissance des pieuvres lièrement grâce à la sensibilité de Sciamma une artiste peintre se spécialisant dans le qui s'attarde au développement de chacune 35 mm / coul. / 85 min / 2007 / fict. / France portrait en miniature, part avec sa fille de d'elles. Naissance des pieuvres semble quatre ans faire carrière en Allemagne. Réal. et scén. : Célina Sciamma transposer la réalité à l'écran sans jamais Image : Crystel Fournier Bien qu'esseulé et malade, Cotard entre­ la modifier, ce qui en assure la crédibilité. Mont. : Julien Lacheray prend, grâce à une bourse, de créer, dans Ce travail exemplaire est particulièrement Prod. : Bénédicte Couvreur et Jérôme Dopffer un immense hangar, une pièce de théâtre Int. : Pauline Acquart, Louise Blachère, Adèle Haenel, présent lorsqu'on montre l'éveil sexuel des Warren Jacquin évolutive dont la finalité est de représen­ adolescentes, en particulier celui d'Anne. ter honnêtement et sans concession la vie. Un garçon débarque chez elle et, incapa­ Diverses situations, parfois cocasses, par­ ble de refuser cette chance d'exister enfin Synecdoche, New York fois absurdes, voire touchantes, apparais­ pour le sexe opposé, elle se retrouve illico de Charlie Kaufman sent dès lors que la vie imite l'art et l'art, au lit avec lui. C'est mécanique, froid, im­ la vie. personnel et la caméra demeure au pied du lit, immobile, montrant avec éloquence L'artiste Cotard crée cette pièce de théâtre en évo­ qu'il n'y a rien à voir sur ces visages, pas lution afin de représenter la vie, sa vie, la moindre trace de sentiment. Le réalisme imite sa vie sans censure. Or, les acteurs qu'il engage cru de cette scène est à l'image de la sexua­ pour mener à terme ce projet lisent ses lité adolescente dépeinte ici comme un pas­ DAVID LAMARRE notes et les interprètent à leur manière. sage obligé. « Ce n'est pas arrivé comme ça », répète e terme « synecdoque » désigne une souvent le dramaturge. Ainsi, Synecdo­ che, New York montre comment la réalité Naissance des pieuvres est un film vrai qui figure de rhétorique qui consiste à prendre la partie pour le tout ou le est en fait une pure construction de l'es­ décrit des moments apparemment simples L contraire. Lorsqu'on dit « en salle » pour prit. Cette approche empreinte de cogniti- de la vie, sans dramatisation inutile. La réa­ dire « dans une salle de cinéma », on em­ visme insiste sur la valeur subjective de la lisatrice ne porte pas de jugement moral ploie une synecdoque. Charlie Kaufman, perception du monde élaborée à partir des sur ses personnages; au contraire, elle se l'excellent scénariste d'Adaptation et de données captées par les sens. L'entourage place à leur niveau, les montre sans les ju­ Confessions of a Dangerous Mind, dé­ de Cotard, tel qu'il l'évoque dans sa créa­ ger. Sciamma a aussi pris le parti d'exclure fend, dans son premier film à titre de réa­ tion, diffère sensiblement de ce que per­ les parents du portrait. L'adolescence est lisateur, que toute fiction est synecdoque. çoit le spectateur et il en va de même de la un monde refermé sur lui-même, qui per­ Car les mots couchés sur le papier des personnalité du metteur en scène. çoit l'adulte comme un intrus. Ce choix scé­ romans autant que les images des films dé­ naristique traduit la lucidité de la réalisa­ crivent des personnages à travers quelques Le brio de Kaufman est de parvenir à con­ trice qui ose aborder l'adolescence de front moments de leur existence. Plus encore, juguer ses expériences sur les préceptes à travers sa réalité propre et ses petits pro­ toutes les histoires contiennent des obser­ narratifs à une intrigue d'une émouvante blèmes. vations sur les agissements, les valeurs ou sincérité. Synecdoche, New York est un

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drame fantaisiste, à la fois drôle et tou­ preintes de fantaisie comme ce passage, New York s'impose comme un film que chant, qui met en scène les modalités du d'une poésie bouleversante, où Cotard gar­ ne manqueront pas de voir tous ceux qui poststructuralisme littéraire. Pour y parve­ de dans le creux de sa main un pétale qui s'intéressent aux arts narratifs. • nir, Kaufman a pu compter sur une distribu­ s'est détaché de la fleur fanée tatouée sur tion extraordinaire composée de Catherine la peau de sa fille mourante. Synecdoche, New York Keener, , , et Michelle Wil­ Lorsqu'un scénariste occupe la chaise du 35 mm / coul. /124 min / 2008 / fict. / États-Unis liams. Quant à Philip Seymor Hoffman, il metteur en scène, les résultats ne sont pas Réal. et scén. : Charlie Kaufman arrive à rendre sympathique son pathétique toujours concluants. Or, Kaufman arrive à Image : Frederick Elmes personnage, ce qui n'est pas rien. Malgré communiquer son message mieux que ne Mus. : Jon Brion ses tics, ses défauts et ses innombrables l'ont fait, avant lui, d'excellents réalisa­ Mont. : Robert Frazen Prod. : Anthonu Bregman, Charlie Kaufman, erreurs, Cotard s'avère un personnage atta­ teurs comme (Being John Spike Jonze et Sidney Kimmel chant grâce au charisme de son interprète Malkovich) et Michel Gondry (Eternal Dist. : Les Films Équinoxe et à son humour si particulier. Kaufman Sunshine of the Spotless Mind). Il n'en Int. : Philip Seymor Hoffman, Catherine Keener, Jennifer Jason Leigh, Samantha Morton, lui a concocté de magnifiques scènes em­ faut pas davantage pour que Synecdoche, Emily Watson, Michelle Williams

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