Cela fait bientôt 20 ans que l'Association des Oeuvres Scolaires de l'A rrondissement de publiait un ouvrage - moderne - sur les événements guerriers de 1870. Nous tenions à nous associer aux festivités du Centenaire en 1970. Nous apportions aussi la preuve de notre dynamisme à la même époque : une équipe d'anciens - en 1970 - et de plus jeunes pensaient que les "Etudes Wissembourgeoises" de 1952 pouvaient éventuellement renaître... Bientôt 20 ans ont passé. Et pourtant l'intérêtpour cette publication subsiste. Du côté de Woerth où le musée est régulièrement demandeur. Nous souhaitons aussi que les collègues nouveaux dans la circonscription ou tous ceux qui ne le connaissent plus, puissent l'acquérir. Non pas pour glorifier qui que ce soit ou quoi que ce soit, mais pour apprendre à mieux connaître l'histoire de notre petite région, pour se faire une idée des horreurs dont nous font part les témoins de l'époque ayant relaté et transmis à la postérité leur vécu. Le tout au nom d'un nationalisme dont les jeunes générations ne peuvent pas ou plus se faire une idée. Le texte et la présentation de l'époque sont repris intégralement. Pour respecter les noms des acteurs de l'époque dont tous ne résident plus parmi nous. Afin de préserver ce qui sera aussi de l'"histoire" bientôt. Je suis heureux que l'Association des Oeuvres Scolaires puisse apporter cette contribution à la mémoire collective de l'A. O.S. et de l'Outre Forêt. Que les lecteurs jeunes ou vieux, d'aujourd'hui et de demain, apprennent en l'étudiant comment il ne faut pas faire pour vivre avec son voisin.

Ch. KUGLER Président de l'A.O.S. Février 1989 Bataille de Wissembourg 4 Août 1870 Robert Sabatier Professeur d'histoire au Lycée Stanislas de Wissembourg Bataille de Frœschwiller 6 Août 1870 Paul Stroh Directeur d'Ecole à Buhl

ÉDITÉ PAR L'ASSOCIATION DES OEUVRES SCOLAIRES DE LA CIRCONSCRIPTION DE WISSEMBOURG Président: G. WAGNER

3 Edition Ont contribué à la réalisation de cette étude: Ch. KUGLER - Vice-Président - Directeur d'Ecole M. BOEHM - Vice Président - Directeur d'Ecole J.J. VOSSELMANN - Secrétaire - Professeur C.E.G. Ch. SCHWEINBERG - Conseiller Pédagogique R. JUND - Délégué aux Oeuvres Scolaires Cartographie, M. L. LEROY Illustration: Documents Ch. Muller

Ils remercient les nombreux amis et collègues qui ont bien voulu mettre à leur diposition les documents, chroniques et témoignages de l'époque. Copyright 1989 Association des Oeuvres Scolaires de l'Arrondissement de Wissembourg L'histoire est l'humanisation progressive de l'homme REVUE ESPRIT, AVRIL 1952

Amour ou haine... Respect ou irrespect... Générosité ou égoïsme... Ordre ou désordre... Progrès ou dépérissement... Paix ou guerre... La guerre... immonde Léviathan qui jette sur nous, par saccades, ses singuliers maléfices, torrents de sang et de larmes. La guerre... tel est pourtant l'objet du présent ouvrage. Mais j'accepte celle-ci comme un fait historique, sans pour autant m'interdire l'espoir de voir un jour l'Histoire s'en débarrasser définitivement. Ce que je veux c'est dire ma joie sincère et profonde en présence de l'œuvre remarquable que viennent d'accomplir des Educateurs au sein de l'Association des Oeuvres Scolaires de l'Arrondissement de Wissembourg. Généreux d'intelligence et de dynamisme, convaincus du caractère primordial de leur mission éducative, habités d'un sens de l'équipe exceptionnel, amoureux de leur terroir et de son passé, ils ont mené à bien une tâche difficile mais en- thousiasmante. Relater le passé, à la fois dans sa vérité et son éternel mystère, n'est pas chose aisée. Relater le passé c'est l'aimer; c'est l'interroger; c'est répondre à la question que lui pose "la curiosité, l'inquiétude, certains diront l'angoisse existentielle, de toute façon l'intelligence, l'esprit de l'historien". Seules, des traces documentaires, intelligibles pour lui, que le temps dans son déroulement inéluctable a bien voulu préserver de la destruction ou de l'oubli, permettent de trouver une réponse. Leur recherche est tout un art. Et en défi- nitive c'est l'ingéniosité de l'historien qui fait l'histoire... Tâche enthousiasmante car au-delà d'une recherche de la vérité l'œuvre de ces Educateurs marque leur volonté d'ouvrir toutes grandes sur l'Histoire les fenêtres de nos écoles, afin que nos enfants, peu à peu, pas à pas revivent l'Homme, dans ses peines et ses joies, en marche vers ses espérances. J. MARTEL De la guerre...

FENELON: Toutes les guerres sont civiles; car c'est toujours l'homme contre l'homme qui ré- pand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles.

BOSSU ET : La guerre est une chose si horrible que je m'étonne comment le seul nom n'en donne pas de l'horreur...

PEGUY : Si affreuses que puissent devenir les misères de la guerre, au moins elles peuvent être compensées. Il y a l'honneur de la guerre. Et il y a la grandeur de la guerre.

J. DE MAISTRE: La guerre est donc divine en elle-même, puisque c'est une loi du monde.

A. DE VIGNY : ...Il n'est point vrai que, même contre l'étranger, la guerre soit divine; il n'est point vrai que la terre soit avide de sang. La guerre est maudite de Dieu et les hommes mêmes qui la font et qui ont d'elle une secrète horreur, et la terre ne crie au ciel que pour lui demander l'eau fraîche de ses fleuves et la rosée pure de ses nuées.

BARBUSSE: ...Ce serait un crime de montrer les beaux côtés de la guerre... même s'il y en avait!

SARTRE: La guerre n'est pas une maladie... C'est un mal insupportable parce qu'il vient aux hommes par les hommes.

ALAIN : Qui veut la guerre veut par cela même des massacres inutiles, des exécutions pour l'exemple, et des otages fusillés. La Bataille de Wissembourg 4 Août 1870 Robert Sabatier Professeur d'histoire au Lycée Stanislas de Wissembourg Les prémices de la guerre de 1870 La victoire prussienne de Sadowa (3 juillet 1866) exclut l'Autriche d'Alle- magne et regroupe autour d'une Prusse agrandie "La Confédération de l'Allemagne du Nord". Bismarck permet rapidement à Napoléon III de s'aper- cevoir qu'il a aidé à constituer, à proximité de la frontière française, une Prusse puissante et fortement armée, sans aucun des profits qu'il escomptait pour la . Quand il demande les "compensations" qu'il croyait dues et promises en paiement de sa neutralité lors du conflit austro-prussien, il a beau se montrer de moins en moins gourmand - exiger d'abord une bonne partie de la Rhénanie, puis la Belgique, pour se rabattre enfin sur le petit Luxembourg - Bismarck habilement gagne du temps et fait échouer tous les pourparlers secrets en divulgant progressivement les demandes françaises. Appuyé par l'Etat-Major prussien, Bismarck juge la guerre contre la France inévitable pour parachever l'unité nationale car il est convaincu que Napoléon III ne consentira jamais au rattachement à la Prusse des Etats du Sud. Montrer à l'opinion allemande un Napoléon III avide de terres germaniques est le meilleur moyen de briser les obstacles à l'unification qui se nourrissent du particularisme des Etats du Sud, lesquels détestent la raideur et le militarisme prussiens. Sans se retenir de parler avec sarcasme des "pourboires" mendiés par la France, il cultive avec soin les maladresses de la diplomatie impériale: cela lui permet de déclencher outre-Rhin des campagnes de presse gallophobes et de noyer les querelles intestines dans un grand élan commun. Le parti de la guerre existe aussi en France. L'impératrice, des généraux et un assez grand nombre d'hommes politiques, membres du corps législatif, notamment le duc de Gramont qui va devenir ministre des affaires étrangères en mai 1870, voient dans une guerre victorieuse le seul moyen de triompher de l'opposition républicaine et de relever le prestige de la dynastie. Napoléon III, hésitant, très diminué par une grande usure physique, conscient des graves insuffisances de son armée, tiraillé par son entourage et constatant que l'opi- nion publique, à la fois furieuse et inquiète, s'engage vite dans la psychose de la guerre inévitable, va tomber, malgré son désir personnel de paix, dans le piège tendu par Bismarck.

La dépêche d'EMS La guerre est à la merci d'un incident. Il va se produire début juillet 1870. Les Espagnols avaient chassé leur reine en 1868 et le gouvernement provisoire de Madrid avait proposé la candidature au trône à Antoine de Hohenzollern pour son fils Léopold. Le prince prussien avait décliné l'offre parce que la couronne lui paraissait précaire. Au début de 1870 les Espagnols reviennent à la charge. Bientôt Bismarck pousse Antoine à accepter. Il va même réussir - il lui faudra pour cela plus de trois mois d'efforts - à obtenir de son roi, Guillau- me 1 chef de la maison des Hohenzollern, qu'il donne, en juin, son assen- timent. Le 3 juillet la teneur des négociations secrètes entre Madrid et Berlin s'ébruite à Paris. L'émotion en France est considérable; certains vont jusqu'à évoquer la reconstitution de l'empire de Charles Quint. Le duc de Gramont, ministre des affaires étrangères, exige le retrait de la candidature. Le 9 juillet, Benedetti, l'ambassadeur de France en Prusse, a une entrevue à Ems, près Wissembourg, vue du côté français, Lithographie F. C. Wentzel, dessin de l'époque

Wissembourg, vue du côté allemand, Lithographie F. C. Wentzel, dessin de l'époque de Coblence, avec Guillaume 1 qui suit une cure thermale. Le roi, d'esprit pacifique, conseille à son cousin de renoncer à la couronne d'Espagne. Le 12 juillet le prince Antoine renonce officiellement, au nom de son fils. Devant cette victoire diplomatique française, Bismarck, amer, parle de démissionner. Mais les jusqu'auboutistes de Paris veulent eux aussi la guerre. Le 13 juillet Benedetti reçoit l'ordre de revenir à la charge et demande au roi de Prusse l'assurance écrite qu'il n'autorisera pas de nouveau cette candidature. Ce dernier, exaspéré par une telle insistance, refuse, tout en rappelant qu'il approu- ve sans réserve le désistement du prince. Le même jour il fait envoyer à Bismarck une dépêche pour lui faire connaître l'incident et le charger, s'il le juge utile, d'en informer la presse. Bismarck ne falsifie pas le télégramme reçu mais il l'abrège, ce qui suffit à lui donner un caractère offensant pour la France, afin de produire "sur le taureau gaulois l'effet du chiffon rouge". Le texte publié se termine par cette phrase: "...là-dessus S.M. le Roi a refusé de re- cevoir encore l'ambassadeur français et lui a fait dire par l'aide de camp de service que S.M. n'avait plus rien à communiquer à l'ambassadeur". Connue à Paris le 14 juillet, "la dépêche d'Ems" soulève d'autant plus l'indignation générale que "l'outrage" se trouve aggravé par une erreur de traduction. Le mot allemand "adjutant" employé dans la dépêche signifie à la fois adjudant et aide de camp. En l'occurence la seconde traduction est la seule correcte mais la presse française choisit la première. Un ambassadeur de France éconduit par un vulgaire adjudant! C'en est trop! Seule la guerre peut laver l'offense ! Malgré Thiers, très isolé, le Corps Législatif vote dans la fièvre, le 15 juillet, les crédits pour la mobilisation. La déclaration de guerre française parvient à Berlin le 19 juillet. Bismarck a gagné sur les deux tableaux: non seulement son communiqué a fait perdre tout sang-froid à "l'agresseur séculaire de la patrie allemande", mais il a provoqué la colère des Allemands qui ont vu dans l'insistance de la France le désir de les humilier. Les Etats du Sud, sur la neutralité desquels la France comptait, vont faire cause commune avec la Prusse. Pour tous les Allemands la guerre devient une croisade germanique. Les deux peuples sont désormais prêts à se ruer l'un contre l'autre, chacun étant convaincu de son bon droit.

La presse et l'opinion Faisant écho aux nombreux députés qui, en pleine séance, crient "plus de paroles, des actes!", même les journaux d'opposition prêchent l'union nationale et affirment qu'il faut en finir avec la Prusse. Le farouche républicain Gambetta n'hésite pas à écrire "tous les Français doivent se réunir pour une guerre nationale". Et Emile de Girardin, le plus célèbre journaliste du temps, traduit de façon percutante l'attitude populaire: "si la Prusse refuse de se battre, nous la contraindrons à coups de crosse dans le dos à repasser le Rhin et à vider la rive gauche". Il ne faut pas que la candidature Hohenzollern soit un second Sadowa. L'Empire ne résisterait pas à une pareille insulte, à un pareil défi. L'atmosphère belliqueuse entretenue par la presse grise les Parisiens. La province, elle, ne suit pas, ou peu: tous les préfets, sauf quinze, signalent que leur département redoute la guerre. Sur les boulevards, à Paris, la police encourage les manifestants, qui acclament Napoléon III et crient "à Berlin", à chanter la Marseillaise, proscrite depuis 1852, mais désormais susceptible de canaliser les ardeurs populaires en les éloignant de la révolution. Rares sont les gens clairvoyants, même dans les milieux dits informés, qui n'ont pas une confiance aveugle dans la supériorité militaire française. C'est une idée reçue que l'offensive au-delà du Rhin sera foudroyante, qu'elle coupera l'Allemagne en deux et que "nous ne ferons qu'une bouchée de la Prusse". De ce point de vue il n'y a pas de désaccord grave entre Paris et la province. Hepp, sous-préfet à Wissembourg en 1870, résume dans son ouvrage sur "Wissembourg au début de l'invasion", l'attitude de ses administrés. Les esprits en Alsace étaient préparés à l'éventualité d'une guerre avec la Prusse, surtout depuis les démêlés de 1867 à propos du Luxembourg. Et malgré la position frontière, cette attente n'avait pas été chargée d'appréhension. Quand éclata l'incident Hohenzollern, les Alsaciens sentirent que l'heure était proche où l'on en viendrait aux mains, mais ils étaient convaincus que la lutte serait courte et l'issue honteuse pour la Prusse. Ils étaient loin de toute idée d'une guerre entre Français et Allemands. Les relations avec les voisins de Bade et de Bavière Rhénane restaient des plus cordiales. Il ne pourrait s'agir que d'un duel avec la Prusse pour avoir raison de ses impertinences. Hepp, lui- même Alsacien, manifestait une confiance sereine. "Entouré d'une population absolument sûre, dont le dévouement à la France ne faisait aucun doute et qui me donnait le concours le plus sympathique, ma tranquillité d'esprit était fortifiée par la conviction que nous étions les maîtres de notre frontière, que l'on ne se hasarderait pas à la violer et que nous aurions le loisir de fixer nous-mêmes l'heure des hostilités quand il nous plairait de pénétrer dans le Palatinat".

Forces en présence Ce que les Français ignorent c'est que l'ennemi est prêt au combat alors que la France est à la fois sans alliance et militairement prise au dépourvu. Bismarck s'est assuré la neutralité du gouvernement de Londres, irrité des visées de Napoléon III sur la Belgique et le Luxembourg. En même temps il a obtenu du tsar la promesse que la Russie empêcherait l'Autriche d'inter- venir en cas de guerre franco-allemande. Par ailleurs, la tentative française de triple alliance contre la Prusse avec l'Italie et l'Autriche a échoué à cause de la quest ion romaine. Or la France va se jeter dans une guerre de peuples, armée pour une guerre locale. Deux ans plus tôt, Napoléon III a renoncé à la conscription universelle, reculant devant l'hostilité du corps législatif. La réforme du maréchal Niel a conservé l'armée du service à long terme en organisant la garde nationale mobile, armée de seconde ligne, avec les exemptés du tirage au sort, sommai- rement instruits. En fait la réforme a abouti à un affaiblissement parce qu'elle a diminué le temps de service de 7 à 5 ans et que l'inertie et la mauvaise volonté des notables et des officiers généraux a empêché qu'on appliquât le peu qu'elle avait de bon. L'entrée en campagne va surprendre une armée empêtrée dans de graves défauts, dont ne souffriront pas les troupes de l'envahisseur: routine du haut commandement qui a l'expérience des luttes coloniales, mais ignore tout des données de la guerre moderne, décadence de la discipline, lacunes de l'Ins- truction, mauvais système d'avancement, éparpillement des troupes dans de minuscules garnisons, incurie de l'Intendance et des services de mobilisation. Alors que Moltke, en 18 jours, grâce à un emploi judicieux des voies ferrées, a groupé 450.000 hommes en 3 armées, entre la Sarre et le Rhin, et organisé des réserves de qualité lui assurant un total largement supérieur au million d'hommes, l'armée française de première ligne, beaucoup plus lente à organiser, disperse dans une grande confusion, de la Moselle à Belfort, un peu plus de 250.000 hommes; en dehors des 60.000 hommes qui sont dans les dépôts ou en Algérie, ou à Rome, on ne dispose d'aucune force supplémentaire qui puisse offrir quelque solidité. Par malheur aucun avantage d'armement ne vient compenser notre infériorité numérique. Certes, le fusil Chassepot tire 6 à 7 coups-minute à une portée extrême de 1800 m contre 5 à 6 coups-minute à 600 m pour le Dreyse, et avec une précision supérieure. Mais l'insuffisance de la dotation en cartouches et la maladresse des réservistes annuleront souvent cet avantage. D'ailleurs l'artillerie allemande l'emporte de loin sur la nôtre. Le canon rayé Krupp, en acier, qui se charge par la culasse, permet 2 à 3 coups-minute, et le réglage de son tir s'effectue en une à deux minutes, avec une bonne portée oscillant entre 1800 et 2500 m. Notre canon rayé, en bronze, se charge par la bouche, tire au ma- ximum 2 coups-minute avec une bonne portée de 1200 à 1800 m et son réglage est long et n'assure qu'une précision inférieure. Cela pour les pièces légères de 4 (tirant des projectiles de 4 livres). En face de nos 900 canons il y en a 1500 environ et chaque pièce allemande a 450 coups à tirer contre 280 pour chaque pièce française. Les Allemands n'ont pas de canons "à balles" ou "mitrailleuses" et le commandement français attend des merveilles de cette arme secrète. En fait les mitrailleuses (constituées de 25 canons de fusil se présentant tour à tour devant un percuteur grâce à une manivelle), mises en service à la déclaration de guerre, seront trop peu nombreuses et souffriront de trop de "ratés". Le manque d'organisation du Haut Commandement français contraste par ailleurs lamentablement avec celle, méthodique, minutieuse, mais certes pas géniale, dont fera preuve le Grand Etat-Major formé par Moltke. Nous n'avons pas d'Etat-Major Général, pas de plan d'opération précis en 1870. Au dernier moment le chef de cabinet du ministre de la guerre compose les états-majors avec l'annuaire ouvert sur son bureau, détail qui en dit long et permet de mieux s'expliquer, par exemple, le télégramme expédié par le Général Michel au ministre, au début des hostilités: "Suis arrivé à Belfort; pas trouvé ma brigade, pas trouvé général de division. Que dois-je faire ? Sais pas où sont mes régiments". Beaucoup d'officiers supérieurs ne savent pas lire une carte. Alors que les officiers subalternes Allemands utilisent couramment la carte au 1/80.000 de leur zone d'opération, le maréchal de Mac-Mahon, installé dans son Q.G. de , ne dispose que d'une carte au 1/400.000 sur laquelle ses officiers ajoutent les routes! Les Alsaciens qui contemplent cette confusion exemplaire, arrivent mal à cacher leur stupéfaction et leur inquiétude. Un Strasbourgeois, qui nous a laissé son journal d'un assiégé, évoque notamment l'impression profonde que devait lui laisser - alors qu'il regardait, à la mi-juillet, une interminable file de soldats pris de vin, couchés le long de la route conduisant au champ de manœuvre - la réflexion de l'officier qui s'évertuait, impuissant, à remettre ses hommes sur pied: "de ce train, nous sommes flambés". Bataille de Wissembourg - Lithographie F. C. Wentzel

Bombardement de Wissembourg - Lithographie F. C. Wentzel Wissembourg avant le drame A la même époque Hepp, le sous-préfet de Wissembourg, qui s'étonne des nombreuses incursions dans son arrondissement de la cavalerie bavaroise, (laquelle impunément multiplie les réquisitions de vivres dans les villages, arrête et tracasse les passants sur les routes), se heurte à l'ironie goguenarde du commandement: "Si vos populations sont ennuyées de ces incursions, dites-leur de prendre leurs faux et de couper les pieds des chevaux". Il maîtrise son désarroi personnel et répond aux plaintes des maires anxieux par des télégrammes imperturbables: "Rassurez la population et calmez vos inquié- tudes; toutes les mesures sont prises pour garantir la frontière". A partir du 16 juillet, il multiplie les télégrammes au préfet et aux ministres de l'intérieur, de la guerre et des affaires étrangères, pour signaler les mouvements des troupes ennemies et les divers indices d'une grande concentration à proximité de son secteur frontalier. Très vite il se contente d'informer le préfet, car il reçoit des semonces de Paris où on l'accuse de jouer les alarmistes et d'avoir peur sans raison. Il est à la fois intimement irrité et douloureusement pré- occupé et désorienté par le scepticisme et la sérénité d'esprit où ses chefs paraissent se complaire. Il sait qu'à Strasboug on rit des terreurs wissem- bourgeoises et qu'on se moque de ce sous-préfet vivant dans l'hallucination des Prussiens et qui en voit partout. Il en souffre mais ne perd pas son sang- froid et reste convaincu que l'armée française, supérieure à toute autre, saura le moment venu faire ses preuves. En attendant, il prend les mesures qui s'im- posent sur le plan local, en collaboration avec la municipalité. La ville, qui se sent dangereusement isolée, est mise en état de défense ; les ponts-levis des 3 portes de Landau, de Bitche et de , sont levés. Les bourgeois s'organisent pour suppléer la garnison de 300 fantassins qui a reçu l'ordre de se replier sur Strasbourg, le lendemain de la déclaration de guerre. Il faut garder les portes et les remparts, faire des rondes et des patrouilles de nuit, à l'extérieur des remparts pour surveiller la gare et les lignes télégraphiques, à l'intérieur pour protéger la ville contre le groupe des habitants d'origine allemande qui devient menaçant et qu'on voudrait expulser (mais les ins- tructions demandées à ce sujet ne viennent pas). Les trains se faisant rares entre Strasbourg et Wissembourg et le trafic international étant interrompu, Hepp doit réquisitionner des wagons allemands chargés de sel et de houille, laquelle est nécessaire pour le fonctionnement de l'usine à gaz. Le 25 juillet il signale au préfet l'occupation de Schweigen, village situé en territoire allemand, à 1,2 km au nord de Wissembourg, sur une hauteur. Des remparts on voit fort bien l'ennemi commencer à construire les épau- lements d'une batterie d'artillerie dominant la ville. Le même jour un garde forestier tire un coup de feu sur une patrouille d'infanterie bavaroise qui passait près d'Altenstadt. Le 26 une patrouille semblable surprend le pont- levis de la porte de Landau baissé, fait mine de le franchir, essuie sans dommage un coup de pistolet de l'un des bourgeois qui se sont précipités et n'insiste pas. Le 27 nouveau télégramme au préfet: un officier bavarois, accompagné d'un trompette portant le drapeau parlementaire, vient de pénétrer dans une cité en grand émoi, pour avertir le sous-préfet de la ville impériale française que le colonel commandant les avant-postes royaux bavarois usera de re- présailles si les habitants de Wissembourg et Altenstadt persistent dans le non respect des règles du droit de la guerre des nations civilisées. Il est clair désormais que la III armée allemande est concentrée devant Wissembourg. Le 29 les Wissembourgeois respirent: le 96e régiment d'infanterie de la 1 division du général Ducrot s'installe au col du Pigeonnier. Soulagés, le lende- main matin, de nombreux Wissembourgeois, le sous-préfet et son épouse à leur tête, rendent visite aux valeureux troupiers et leur apportent "des douceurs". A son retour, dans l'après-midi du 1 août, Hepp reçoit la visite d'un officier en civil qui le questionne mais manifeste son scepticisme au sujet des rassemblements allemands. Le sous-préfet insiste avec vivacité pour qu'un officier réside désormais à Wissembourg et contrôle en permanence les nou- velles. Le 2 août un officier supérieur, à la tête d'un gros détachement de cavalerie, le contacte à la porte de Haguenau et exprime à son tour l'incré- dulité d'un spécialiste des reconnaissances dans le secteur du front, très méfiant manifestement à l'égard des civils à qui la peur, de toute évidence, donne la berlue. Hepp, sur un ton pincé, lui suggère d'avancer de quelques kilomètres au-delà de la Lauter pour se faire une opinion. Sans succès bien sûr. Le même jour le général Ducrot inspecte les troupes au col du Pigeonnier. Ensuite il télégraphie à Mac-Mahon: "j'ai examiné les environs de Wissembourg avec une bonne lunette, j'ai recueilli de nombreux renseignements et je suis convaincu que l'ennemi n'est en force nulle part à proximité". Le 3 août au matin, les Allemands se montrent fréquemment entre Wissem- bourg et et occupent temporairement Altenstadt. La veille seulement Mac-Mahon a donné l'ordre de transférer la 2e division d'infanterie Abel Douay dans la zone comprise entre Altenstadt et le col du Pigeonnier, avec installation de son état-major à Wissembourg. Le 3 août, à 6 heures 1/2 du soir, à la porte de la sous-préfecture, Hepp accueille le général Abel Douay. Ce dernier met en doute à son tour les concentrations de troupes ennemies, tombe des nues quand il lui est parlé de la batterie bavaroise de Schweigen, emprunte au sous-préfet une carte détaillée du Palatinat et condescend à ordonner une reconnaissance dans le Bienwald. Soucieux manifestement de tuer le temps, il invite Hepp et sa famille pour le lendemain matin à son P.C. du Geisberg. Pendant ce temps les Wissembourgeois, heureux de se voir (enfin !) entourés de troupes, se portent en masse au devant des régiments et leur font fête malgré l'heure tardive. La nuit du 3 au 4 août s'écoule dans le calme. Hepp travaille assez tard avec le sous-intendant de la division. Il a une dernière pensée très ré- confortante avant de tomber de sommeil: "le maréchal de Mac-Mahon va venir avec tout son corps d'armée pour nous rassurer et faire respecter notre sol". A ce moment même les Allemands s'apprêtent à franchir la Lauter. Les mouvements de la III Armée Fin juillet elle est concentrée sur les deux rives du Rhin, en arrière de la zone Landau - Karlsruhe, et constitue l'aile gauche du dispositif allemand. Commandée par l'héritier du trône de Prusse, le prince royal Frédéric - Guillau- me, lequel est assisté du Général von Blumenthal, remarquable chef d'état- major, elle groupe environ 170.000 hommes, répartis en 5 corps d'armée et une division de cavalerie. Dès le 30 juillet le chef d'Etat-Major Général von Moltke prescrit au prince royal de s'avancer en Alsace "pour chercher l'ennemi et l'attaquer", de façon à arrêter indirectement une éventuelle offensive française dans le secteur de

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