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Les apparences trompeuses de l’art Maurice Tourigny

Montréal cinéma Number 39-40, Fall 1988

URI: https://id.erudit.org/iderudit/22511ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Tourigny, M. (1988). Review of [Les apparences trompeuses de l’art / The Moderns]. 24 images, (39-40), 96–97.

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Le peintre Nick Hart (): art et plagiat. Les apparences trompeuses de l'art our , Paris 1926 Me. Il sait allier l'ironie et la réflexion Cézanne, «Le balcon» de Manet et de devient Montréal 1987, le génie du dans un cadre fignolé. Malgré des accrocs nombreux instantanés de Cartier-Bresson P peintre se confond à l'habileté du importants, Rudolph atteint ici une unité et Lartigue. Les similitudes biographiques faussaire, les morts restent parfois vivants inspirée : il moule le sujet à la fabrication entre Nick Hart et Kees Van Dongen sont et un nom peut en cacher un autre; The du film et vice versa. indéniables mais peut-être involontaires; Modems, son dernier long métrage, Donc, Paris 1926, un groupe d'Améri­ chose certaine, le milieu du premier évo­ explore les zones troubles entre le réel et cains déracinés hante les cafés festifs de que les réunions mondaines et les por­ l'illusion, la vérité et le mensonge, l'art et l'entre-deux-guerres. Nick Hart, un pein­ traits peints par le second. Rudolph ne l'artifice. tre caricaturiste sans succès, accepte pour puise pas qu'à la peinture européenne : le On connaît l'audace de Rudolph, le la marchande de tableaux Libby Valentin match de boxe, duel entre Hart et Stone, moins hollywoodien des réalisateurs de copier trois œuvres de maîtres apparte­ semble une animation des célèbres toiles d'Hollywood. Ses films dévient des modè­ nant à une riche héritière Nathalie de de George Bellows, même lumière, même les acceptés et se détachent en solo de Ville, mais bientôt vendues à Bertram action, mêmes poses. l'uniformité de la production américaine Stone un magnat de caoutchouc dont Encore plus que dans ses films pré­ tant par leur écriture que par leur facture. l'épouse, une beauté désabusée, fut autre­ cédents, Rudolph soigne tout spéciale­ On croirait qu'à chaque film Rudolph fois mariée au peintre. À cette bande se ment la photographie. , tente de redéfinir un genre, de réinventer joignent L'Oiseau, correspondant à Paris l'opérateur, traduit l'ambiguïté de chacun le cinéma. du Chicago Tribune, Ernest des personnages. Une longue séquence Protégé et ex-assistant de Robert Hemingway, Gertrude Stein et Alice B. montrant Hart au travail tient du petit Altman, Rudolph n'est pas à tout coup Toklas. chef-d'œuvre : la main du peintre, ses cou­ parvenu à transmettre sa vision; son Après quelques minutes de piétage leurs, son regard se succèdent dans un Made in Heaven démontrait que la d'archives établissant le lieu et l'époque, montage onctueux aux sons de la musi­ volonté d'originalité et la maîtrise techni­ The Modems passe à la couleur et que lancinante pour violon, piano et que ne suffisent pas à donner un sens à ce plonge dans le brouhaha d'un café à la marimba de . que les «majors» appellent désormais mode. Tous les protagonistes s'y croisent Que sous-entend cet enchaînement «high concept movies», ces films reposant et mettent en place les intrigues parallè­ d'images qui s'impriment insidieusement sur deux ou trois flashes brillants qui les. dans nos mémoires? Que le faux et s'avèrent trop souvent des gymnastiques Pour décrire ce monde de faiseurs l'authentique naissent d'une même impul­ sans portée. d'images, Rudolph utilise adroitement un sion créatrice? Que le contrefacteur et Avec The Modems, Rudolph procédé dangereux: la reconstitution de l'artiste ne sont qu'une seule personne, retrouve la santé créatrice qui marquait tableaux connus comme instants du quoti­ Hart? La réflexion de L'Oiseau à la fin du ses œuvres les plus achevées: Welcome dien. On voit apparaître brièvement des film, alors qu'il s'échappe vers Hollywood to L.A., , Choose pastiches de «Les joueurs de cartes» de espérant y trouver l'éclosion d'un art pur, 96 Keith Carradine, (Rachel) et Geneviève La marchande de tableaux Libby Valentin (Geneviève Bujold) et le peintre Nick Hart (Keith Carradine) Bujold. Paris 1926 filmé dans le Montréal d'aujourd'hui, Alan Rudolph aussi talentueux dans l'art du du faux que le peintre Nick Hart. corrobore ces sous-entendus: «Paris n'est séquence finale, L'Oiseau de retour en La principale faiblesse de The plus qu'une ville d'imitateurs occupés à Amérique est reconnu par une passante Modems demeure sans contredit le dia­ copier ceux qui étaient déjà des imita­ qui l'interpelle: «Irving Fogelman logue. En essayant de créer un texte den­ teurs». (l'homme oiseau) de Flatbush (quartier se, Rudolph et son coauteur Jon Bradshaw Cette dualité inscrite en Nick Hart (à populaire de New York)». L'Oiseau choisit n'évitent pas toujours la lourdeur et la noter le jeu de mots: Hart, Heart, Art) de nier ses origines et fait mine de ne pas pseudo-profondeur des déclarations trouve des échos chez les autres héros du parler anglais. ampoulées et grandiloquentes. film. Tous ne sont pas aux prises avec la Libby Valentin n'est victime d'aucune Les chansons de Charlélie Couture pratique de l'art et du plagiat mais aucun dualité «fatale» bien que son caractère ont beau être fantaisistes et inoffensives, ne se soustrait à une équivoque flagrante. androgyne soit contenu dans son nom elles détonnent dans la riche trame de Rachel, dont Stone dit qu'elle est composé d'un prénom féminin et d'un Isham et elles s'accordent mal aux mélo­ «une œuvre d'art, mais personne n'a prénom masculin. Libby est celle qui voit dies chantées par Mistinguett et Lucienne réussi à s'emparer de sa beauté», éveille les choses telles qu'elles sont: sans illu­ Boyer. chez les hommes qui l'aiment un sens sion, presque sage, elle connaît les Si la distribution inégale nuit au outré de la propriété; pourtant son besoin impératifs commerciaux de l'art qu'elle rythme coulant du film, on ne peut man­ d'indépendance est immense et reste qualifie de «marriage of talent and cash». quer de souligner le jeu convaincant de insaisissable à ses deux maris. La méta­ Quant à Nathalie de Ville (devil, Keith Carradine et de Geneviève Bujold phore par laquelle Stone décrit Rachel se comme le diable), la veuve faussement qui trouvent ici des rôles à la mesure de vérifie : comme un objet d'art, on peut la éplorée toujours vêtue de noir, elle pour­ leur versatilité et de leur spontanéité. posséder sans accéder à son essence. suit sa supposée quête d'amour au gré de Et puis il y a Montréal, travesti en Le conflit intérieur de Stone (comme ses caprices et de sa libido. Paris le temps de quelques extérieurs et la pierre) est plus limpide. Riche et puis­ Au-dessus de ces personnages plane une équipe d'acteurs québécois, dans de sant, Stone aspire à une renommée venue constamment Ernest Hemingway, sym­ courtes apparitions, qui en disent long sur d'ailleurs que de sa fortune. Son activité bole de l'époque et de ces exilés améri­ la qualité de l'art dramatique au Québec. • de collectionneur, dictée par l'argent et le cains. L'idée d'inclure des êtres réels dans goût du jour, pourrait le hisser au-delà de cette fiction était louable; malheureuse­ sa condition de businessman et en faire un ment The Modems réduit le romancier participant au monde qu'il valorise. à une espèce de fantôme à l'humour de THE MODERNS L'Oiseau, le potineur du Tribune, bai­ collégien marmonnant des phrases creu­ États-Unis 1988. Ré.: Alan Rudolph. Scé.: Alan gne dans un univers forgé. Non seulement ses; il en va de même de Gertrude Stein Rudolph et Jon Bradshaw. Ph. : Toyomichi Kurita. invente-t-il les nouvelles, mais il doit simu­ et sa compagne dont la présence n'ap­ Mus.: Mark Isham et Charlélie Couture. Int.: Keith Carradine, Geneviève Bujold, Linda Fiorentino, ler sa mort et revenir sous un déguise­ porte au film que les clichés agaçants de Géraldine Chaplin, Wallace Shawn, John Lone. 126 ment pour recommencer à zéro. Dans la la petite histoire. min. Couleur. Dist.: Alliance Vivafilm. 97