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24 images

Humaine trop humaine 1915 de , France, 2013, 95 minutes Cédric Montel

30 films à ne pas manquer cet automne Number 164, October–November 2013

URI: https://id.erudit.org/iderudit/70482ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Montel, C. (2013). Review of [Humaine trop humaine / Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, France, 2013, 95 minutes]. 24 images, (164), 60–61.

Tous droits réservés © 24/30 I/S, 2013 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

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efusant les effets dramatiques ou de misère sont pourtant souverainement presque. Et ce presque c’est l’incapacité pathétiques, les emportements et émouvants : leur débilité physique et dans laquelle Camille est tenue de traverser R les convulsions, Bruno Dumont mentale les rend profondément humains le mur du silence pour rejoindre le monde ressuscite une Camille Claudel boulever- et la beauté du film tient aux mouvements des autres. Docile et conciliante, elle aurait sante d’humanité, et seulement d’humanité. de tendresse et de rejet de Camille face à pu retrouver la société des hommes, mais Tour à tour résignée, désespérée, accablée, ces êtres abandonnés de tous. cela ne l’aurait pas guérie – car Bruno joyeuse, maligne puis abandonnée, elle sera Le film n’est cependant pas muet : Dumont ne présente pas une victime fragile pour nous désormais cette femme assise Bruno Dumont y fait un usage de la parole et raisonnable : Camille est aussi malade, sur un banc, vouée à une solitude sans fin, fascinant. Fascinant parce que les person- elle se sent persécutée et peut verser dans le regard perdu. Juste et précise, Juliette nages lancent de véritables tirades et que un délire paranoïaque. Mais dans ce que Binoche incarne cette artiste rejetée des ces tirades sont comme des tirs à blanc, l’on nommera par facilité sa folie, elle est siens, une femme que son frère, Paul, dans voués à l’échec de toute communication, maîtresse d’elle-même. Enfermée dans cette une scène terrible, condamne à l’enferme- marquant l’impossibilité du dialogue. La confortable maison d’internement, elle est ment à vie. La réussite du septième film solitude des êtres est absolue : la parole est aussi prisonnière d’elle-même. de Bruno Dumont tient d’abord à un choix pleine et bouleversante d’émotion, elle dit Cet enfermement, parce que Bruno si passionnant d’acteurs, une vraie actrice l’expérience humaine de la vie, son espoir Dumont est cinéaste, est physiquement parmi de vrais patients. Aucun voyeurisme, et son attente. Rien n’y fait écho. Tout est perceptible : lumière, matière, coloris, aucune confusion pourtant. Tout le monde étouffé, les sœurs assistent les malades tout renvoie à un monde privé de couleurs joue, avec ses propres forces et avec la autant qu’elles assistent, impassibles, au chaudes et vives. Avec un réalisme pictural même sincérité. D’un tel dispositif, il y avait spectacle de la folie. Les conventions sont qui emprunte à la palette d’un Courbet, tout à craindre, et les premières séquences savamment maintenues, pas une religieuse minutieux, modelé, sec, le film crée un peuvent inquiéter le spectateur pressé ; qui ne s’adresse poliment à « Mademoiselle univers de la claustration. Les murs sont misérabilisme ou voyeurisme. Mais les Claudel », aucune d’elles qui ne cherche le partout, on ne sort pas de soi, pas plus scènes du réfectoire sont nécessaires à la dialogue. Le chercherait-elle que Camille le qu’on ne sort de ce domaine qui est aussi dramaturgie lumineuse de ce film sombre et refuserait comme elle refuse de reprendre un exil. Hors du temps et hors du monde, inquiet. Les pensionnaires de cette maison la sculpture. Silence obstiné de tous dans les êtres se trouvent livrés à eux-mêmes sont bel et bien « détraquées » et leurs cris un monde si effroyablement abandonné. et le film montre l’âpreté d’une vie sans résonnent comme un bourdon incessant et Les tirades de Camille sont magistrale- espoir autre que celui de la fréquentation envahissant, pour tout dire insoutenable. ment filmées par des gros plans frontaux : des hommes. Camille et Paul se livrent Démunis du discours, ces compagnons pas tout à fait des regards-caméra mais chacun à une promenade sur les hauteurs

60 24 IMAGES 164 POINTS DE VUE Hannah Arendt de Margarethe von Trotta des collines : Paul pour y contempler une d’une femme dont la voix et le corps, avec film, c’est de magnifier en Camille Claudel abbaye, Camille pour découvrir une nature raison et mesure, espère connaître le droit la femme, en lui accordant post mortem un rude et inhospitalière. Le soleil est rare, le d’être heureuse. Sur terre. Ni plus ni moins, tombeau douloureux et magnifique. bleu du ciel, exceptionnel. Tout y paraît gris malgré ses faiblesses. Dans un monde dont France, 2013. Ré. et scé. : Bruno Dumont. Ph. : Guillaume et pâle ou noir et sombre. il enregistre scrupuleusement l’absence de Deffontaines. Mont. : Basile Belkhiri et Bruno Dumont. Int. : , Jean-Luc Vincent, Emmanuel Kauffman, C’est que Bruno Dumont, dans ce film toute présence divine, cet espoir aurait dû Marion Keller, Robert Leroy, Armelle Leroy-Rolland. 95 minutes. à la composition rigoureuse et austère, valoir toutes les espérances. La grâce du Dist. : Niagara Films. confronte deux visions du monde et de la vie : un désir de la vie éprouvée et une mystique de l’épreuve spirituelle. Quand s’élève pendant le générique de fin le Magnificat de Bach, l’émotion contenue, rassemblée, peut alors se libérer. La foi de Paul et la réalité de Camille : deux formes de solitude radicale, d’exigence absolue et de souffrance indicible. Non, Dieu ne s’est finalement pas penché sur son humble servante – pour citer le Magnificat. Et Camille n’a pas été bienheu- reuse : elle s’est enfoncée dans le malheur. Pourtant Bruno Dumont ne condamne pas Paul, ne jette pas l’opprobre sur une époque révolue où une famille pouvait obtenir de la justice l’internement sans autre forme de procès d’une fille jugée scandaleuse, il ne dénonce pas non plus les conditions de vie de ces exclus. Il met en scène le plain-chant

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