article

Point sur la présence de la Cordulie arctique : arctica en Bourgogne ( : )

Alexandre RUFFONI 1, Nicolas VARANGUIN 2 & Jean-Claude LALEURE 3

Résumé Habitant des tourbières au niveau des dépressions en eau et des gouilles, Somatochlora arctica est une espèce boréo- alpine excessivement rare et localisée en Bourgogne d’après nos connaissances actuelles. Grâce à des recherches spécifi ques, elle est actuellement notée sur trois tourbières du Morvan. Une description succincte des habitats larvaires potentiels est donnée.

Mots-clés : libellule, tourbière, Morvan, Nièvre, Saône-et-Loire. Review of Northern Emerald : Somatochlora arctica in Burgundy (Odonata : Corduliidae) Abstract Living in water hollows of peat bogs, Somatochlora arctica is a boreo-alpine specie extremely rare and confi ned in Burgundy from our current knowledge. Through specifi c investigations, this is currently present on three Morvan peat bogs. A small description of potential larval habitats is given.

Key words : dragonfl y, peat bog, Morvan, Nièvre, Saône-et-Loire.

1 Société d’histoire naturelle d’Autun - [email protected] 2 Société d’histoire naturelle d’Autun - [email protected] 3 [email protected]

Espèce d’affi nité boréo-alpine atteignant le cercle polaire (DEGRANGE & SEASSEAU, 1970 in DOMMANGET, 1987 ; COPPA, 1990), Somatochlora arctica (Zetterstedt, 1840), elle se rencontre de l’Europe centrale et septentrionale moyenne jusqu’au Japon (DOMMANGET, 1987). La Cordulie arctique est très rare dans les pays de l’Est de l’Europe avec une répartition morcelée. Elle est surtout présente dans les massifs montagneux, comme c’est le cas en Scandinave (WILDERMUTH, 2008) les pays baltes, (KALKMAN & DIJKSTRA, 2000 in DE KNIJF et al., 2011), et dans les Alpes (WILDERMUTH, 2008). Dans une partie de son aire (notamment nord), l’espèce est trouvée dans des secteurs de basse altitude comme en Belgique (DE KNIJF, ANSELIN, GOFFART & TAILLY, 2006 in DE KNIJF et al., 2011), en Hollande (GROENENDIJK & BOUWMAN, 2010), en France dans les Vosges du Nord (JACQUEMIN & BOUDOT, 2002) et en Picardie (DE KNIJF, 2004). Alors que sa présence n’est pas rapportée en France en 1968 (AGUESSE, 1968), les observations se sont multipliées depuis. On la rencontre dans les massifs montagneux : Massif central, Alpes, Jura, Vosges, Pyrénées et Ardennes (DOMMANGET, 1987 ; COPPA, 1990). Pyrénées et Ardennes semblent être les massifs les moins bien dotés vis-à-vis de l’importance des populations de l’espèce (GRAND & BOUDOT, 2006). Elle est notée ponctuellement de Picardie (DE KNIJF, 2004). Les stations bourguignonnes, localisées au Morvan, sont situées entre celles du Massif central au sud, du Jura et des Vosges à l’est et des Ardennes au nord. En France, cette espèce est fortement liée aux milieux tourbeux. Tyrphobionte (JACQUEMIN & BOUDOT, 2002), elle est inféodée aux tourbières à sphaignes ou à hypnacées, et aux cariçaies acides, neutres ou alcalines. Les larves se développent dans les gouilles, les chenaux et les anciennes fosses d’exploitation en voie de recolonisation (BOUDOT et al., 1990 ; D’AGUILAR & DOMMANGET, 1998 ; BELENGUIER & DELPON, 2013). Ces milieux peuvent s’assécher en été et geler en surface en hiver (D’AGUILAR & DOMMANGET, 1998 ; BOUDOT & JACQUEMIN, 2002).

Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 95 Ses larves au développement de 2 à 5 ans suivant les conditions hydriques (D’AGUILAR & DOMMANGET, 1998 ; GRAND & BOUDOT, 2006), ne vivent jamais dans de grandes pièces d’eau libre. Celles-ci dépassent rarement 2 m². Dans bien des cas, il s’agit d’enfonce- ments minuscules dont l’eau libre ne comprend que quelques dm² (DOMMANGET, 1987 ; HEIDEMANN & SEIDENBUSCH, 2002). Cette espèce est l’une des dernières à subsister dans les tourbières au stade terminal (BOUDOT et al., 1990 ; D’AGUILAR & DOMMANGET, 1998 ; BOUDOT & JACQUEMIN, 2002). La larve montre une certaine prédilection pour les sphaignes dont l’eau est en mouvement, comme sur des tourbières de pente, par exemple (HEIDEMANN & SEIDENBUSCH, 2002). Les adultes sont relativement discrets (JACQUEMIN, 1989 ; COPPA, 1990) et volent souvent à hauteur de canopée. Les peuplements clairs de conifères aux abords des tourbières sont souvent des sites de chasse ou de repos. Durant la période de repro- duction, les adultes se recherchent activement sur les zones propices. Ils reconnaîtraient les biotopes favorables à la reproduction grâce à la lumière polarisée réfl échie par les points d’eau (WILDERMUTH et al., 2005). En Franche-Comté, l’espèce semble avoir besoin pour l’accouplement de milieux ouverts en contact avec l’habitat larvaire (PROT, 2001). Même si les distances maximales de dispersion de l’espèce ne sont pas connues, des individus ont déjà été vus à 10 km de stations connues (DUFRÊNE et al., 2011). Cet anisoptère spécialiste des tourbières, est sans aucun doute à l’heure actuelle en Bourgogne, l’une des espèces d’odonates les plus menacées. La première observation rapportée date des années 1980 sur un site du haut Morvan (LALEURE, ORIEUX, comm. pers.). Cet odonate ne présente pas de statut de protection particulier mais est classé quasi-menacé (NT) sur la Liste Rouge française de 2016 (UICN France et al., 2016) et citée comme espèce à suivi prioritaire (source : SFO). En Bourgogne, elle est défi nie comme espèce déterminante ZNIEFF et prioritaire dans la déclinaison régionale du plan national d’actions en faveur des Odonates (DOUCET et al., 2014). À la vue des exigences écologiques de l’espèce, les milieux tourbeux favorables à son implantation en Bourgogne se cantonnent à quelques secteurs bourguignons ; parmi ceux-ci, les petites régions naturelles constituant le Morvan sont sûrement les plus intéressantes. Il est à noter qu’une tourbière et quelques mardelles forestières situées sur la commune de Prémery (petite région naturelle du Plateau nivernais) nécessiteraient des investigations particulières. Depuis le milieu des années 1980, des recherches sont menées sur les espèces des milieux tourbeux et en particulier sur S. arctica (obs. LALEURE, ORIEUX, VARANGUIN, GUIBON) et plus particulièrement à partir de 2004 avec une première campagne assez complète d’inventaire sur S. arctica (VARANGUIN & SIRUGUE, 2007) et en 2012. Des compléments d’inventaires ont été menés ponctuellement tout au long de cette période. Cet article propose une synthèse des connaissances régionales sur ce taxon. Matériel et méthode Outre des prospections ponctuelles ou observations fortuites, la présence de S. arctica a été recherchée lors de deux campagnes majeures de terrain en 2004-2005 et 2012 par la Société d’histoire naturelle d’Autun (SHNA) dans le cadre de l’observatoire de la faune de Bourgogne. Le premier échantillon de stations prospectées, en 1 ou 2 pas- sages, concerne 24 tourbières. Il permet d’exclure les milieux les plus défavorables à son développement. La deuxième campagne en 2012 cible les 5 secteurs identifi és comme les plus intéressants pour l’espèce et permet de collecter des indices de présence et d’autochtonie supplémentaires lors de 3 à 6 passages. La plupart des investigations ont été menées entre début juin (rarement mai) et fi n août. Les adultes sont observés et, si possible capturés au fi let ; les exuvies sont recherchées au sein de milieux poten- tiellement favorables. Il est à noter dans la bibliographie que les exuvies trouvées sont souvent très peu nombreuses, rarement plus de 3 sur un site le même jour. Les conditions météorologiques requises pour les prospections sont les suivantes : température supérieure à 15 °C avec un bon ensoleillement, ou temps légèrement plus chaud mais couvert avec éventuellement un vent faible. Les journées trop ventées ou pluvieuses sont à éviter.

96 Alexandre RUFFONI et al. Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 Résultats Résultats géographiques Sur la totalité des stations inventoriées, seulement 3 ont permis d’observer l’espèce avec certitude. Au total, ce sont 19 données certaines concernant ce taxon qui sont répertoriées dans la Base de données régionale (Bourgogne Base Fauna, toutes dates confondues). Des observations d’individus appartenant potentiellement à l’espèce ont été effectuées sur deux autres tourbières. Pour les deux premières stations connues l’espèce est observée régulièrement depuis la date de leur découverte (Le Grand Montarnu 1986 ; la Tourbière de la Chevrée 2004). La troisième station, située à la Tourbière de Préperny a été révélée en 2012. Deux stations sont circonscrites au haut Morvan et sont très proches l’une de l’autre. Celle de la Chevrée est située dans le Morvan central à environ 33 km de distance des deux précédentes. Il est toutefois nécessaire de rappeler la diffi culté de détection de l’espèce, le manque de résultat ne signifi ant pas obligatoirement son absence.

Yonnee Ballons des Vosges Yonne T. de Côte-d’Or Haute-Saône Belfort

Côte-d’Or

Morvan Doubs

Nièvre

Jura les Blancs Saône-et-Loire

Haut-Jura Verny des Brûlons

la Chevrée le Vernay la Vente Etang Bouquin

le Moulinn CaillotC Champgazon

le Champ du Milieux leles Prés des Vernois Pré des Chaumes Nièvrere sur les Chaintres

le Grand Montarnu Préperny la Croisette la Proie

les Lamberts

Légende Etang des Cloix prospection en 2012

prospectionon en 20042

présence détectdétectée de S. arcitcaca

limite départementale

contountour du Parc naturel régional du Morvanvan Saône-et-Loire

Figure 1. Carte de localisation des stations inventoriées pour la recherche de Somatochlora arctica. article > Point sur la présence de la Cordulie arctique : Somatochlora arctica en Bourgogne (Odonata : Corduliidae) 97 Sont présentés ci-dessous les biotopes ayant permis une observation certaine ou supposée de l’espèce. Toutes ces stations ont été prospectées lors de la session de 2012.

La tourbière du Grand Montarnu (Arleuf 58) La tourbière du Grand Montarnu située à 765 m d’altitude est connue depuis 1986 pour sa population de Cordulie arctique (obs. J.-C. LALEURE 1 ). Cette tourbière de pente est située en contexte forestier, entourée de feuillus enclavés dans une forêt de conifères. Les milieux ouverts présents aux alentours correspondent à des coupes forestières, des chemins forestiers et routes, et plus rarement, des prairies humides. La partie ouverte au nord (1,6 ha dont la moitié colonisée par les feuillus) déconnectée de la partie sud (moins d’1 ha) présente des suintements dispersés et assez discrets dans la végétation. Un petit ru et des gouilles de petite taille sont présents dans la partie sud. L’espèce a été observée de 1986 à 1994 (obs. ORIEUX G. et LALEURE J.-C.). Quatre journées de prospection ont permis d’observer des adultes dont 4 fois au nombre de 2 et une fois 3 (juin 1986, août 1986, juillet 1989, août 1992 et en 1994). À notre connaissance, aucune observation n’a été réalisée pendant les 10 ans qui suivirent (vraisemblablement par manque de prospection), puis le taxon a été observé de nouveau en 2004 (VARANGUIN, 2005), ensuite en 2010 (obs. RUFFONI A. ; deux adultes patrouillant dans la partie nord) et enfi n en 2012. En 2004 (30 juin), deux exuvies et deux adultes ont été trouvés dans la partie nord de la tourbière. Des exuvies ont été collectées au niveau des suintements. En 2012, la tourbière a été prospectée à 6 reprises (14 juin, 22 juin, 27 juin, 29 juin, 10 juillet et 18 juillet), avec l’observation d’un adulte volant de S. arctica au-dessus de la partie nord le 10 juillet. Cette petite tourbière enclavée présente généralement peu d’individus observables, mais il semblerait qu’une petite population soit établie sur ce site de longue date. Par ailleurs, une faible abondance d’adultes ne refl ète pas forcément la taille d’une popula- tion locale établie (JACQUEMIN, 1989). De plus, la diffi culté de la découverte d’exuvies dans le milieu ciblé ne permet pas non plus d’avoir une idée de l’abondance. Le milieu

1 Une femelle pondant dans une flaque et un imago volant le 25 juin. Cette découverte réalisée dans le cadre d’un inventaire des odonates de la Nièvre et du programme INVOD, à partir d’une cartographie des tourbières du Morvan établie par la SHNA (cartographie manuscrite de J.-M. EHRET en 1983). UFFONI Alexandre R

Photographie 1. La tourbière du Grand Montarnu en 2012.

98 Alexandre RUFFONI et al. Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 est assez exigu et enclavé ; la dynamique de végétation actuelle risque de conduire à une fermeture du site à long terme. Les suintements semblent aussi de moins en moins favorables avec une apparente réduction du débit.

La tourbière de Préperny (Arleuf 58) UFFONI La tourbière de Préperny située à 805 m d’altitude pré- sente une partie semi-ouverte de l’ordre de 3 ha, envahie Alexandre R pour partie par des bouleaux et des saules. Le contexte paysager global est forestier (résineux plantés) avec des trouées correspondant à des coupes forestières (réalisées dans le cadre de la réhabilitation de la tourbière) ou plus ponctuellement à des zones humides. Elle est parcourue par un petit ruisseau sur lequel a été mis en place un barrage au début des années 1980 par une association nivernaise de protection de la nature (aujourd’hui disparue), PRONAT, puis dans les années 1990 par le Conservatoire afi n de faire remonter le niveau de la nappe dans la tourbière (celle-ci avait été plus ou moins drainée lors de l’enrésinement). Derrière ce barrage existe une petite pièce d’eau stagnante colonisée par les sphaignes. Déjà prospecté dans les années 1980-1990 (LALEURE & ORIEUX) et en 2004, ce milieu n’a révélé la présence de l’espèce que le 22 juin 2012, avec une exuvie ainsi qu’une larve (sur 6 sorties menées en 2012 : 14 juin, 22 juin, 27 juin, 29 juin, 10 juillet et 18 juillet). La physionomie de ce milieu semble présenter une évolution Photographie 2. Exuvie de Cordulie arctique favorable à S. arctica avec le développement de la colo- collectée à la tourbière de Préperny (22 juin 2012) nisation de la retenue par les sphaignes. Cette station est très proche de celle du Grand Montarnu (1,4 km), d’où la colonisation a pu se faire. Des suivis permettront de savoir si la population y est pérenne. UFFONI Alexandre R

Photographie 3. Zone en eau de la tourbière de Préperny en 2012. article > Point sur la présence de la Cordulie arctique : Somatochlora arctica en Bourgogne (Odonata : Corduliidae) 99 La tourbière de la Croisette (Roussillon-en-Morvan 71) La tourbière de la Croisette d’une surface ouverte d’environ 4 ha en contexte simi- laire à celle de Préperny ou du Grand Montarnu (600 m d’altitude). C’est une tourbière avec peu de pièces d’eau favorables à S. arctica, mis à part quelques rares dépressions de petite taille (à assèchement très précoce) et un petit ruisseau typique de milieux tourbeux. En 2004, lors d’une première prospection dans le cadre de l’OFAB, au moins 2 individus de Corduliidae sp. ont été observés (il pourrait s’agir potentiellement de S. arctica). Cette tourbière est distante de moins de 3,2 km de celle du Grand Montarnu (station la plus proche où existe une population de l’espèce). Certains secteurs prairiaux plus en aval nécessiteraient d’être inventoriés. La tourbière a été prospectée à 2 reprises en 2012 (22 et 27 juin), mais sans succès.

La tourbière du Vernay (Saint-Brisson 58) La tourbière du Vernay (moins de 2,5 ha ouverts) située à 600 m d’altitude, présente quelques rares secteurs en eau où S. arctica pourrait se développer : tremblant de tran- sition à proximité sud de la route et au nord quelques rares gouilles avec très peu d’eau. Malgré les prospections récentes, menées par les odonatologues locaux (à notre connaissance, une dizaine de relevés de 1998 à 2010) et les investigations de R. LECONTE et V. NICOLAS (LECONTE & NICOLAS, 2002), l’espèce n’est pas notée de façon avérée. Lors de la phase de terrain de 2004 et 2005, l’espèce n’a pas été observée. En 2010 (16 juillet), un individu de la famille des corduliidae a été vu volant à 2,5 m de haut dans la partie nord de la tourbière au niveau d’une boulaie à l’orée d’une prairie. Cet individu pourrait appartenir à l’espèce S. arctica. Cette tourbière se situe à moins de 6 km de celle de la Chevrée où la présence de cette espèce a été prouvée en 2011 (cf. ci-dessous) ; il y a de fortes probabilités pour que le biotope soit visité au moins occasionnellement par des adultes. Les recherches menées en 2012, circonscrites à la partie nord de la tourbière (14 juin, 22 juin, 27 juin, 4 juillet et 18 juillet) n’ont pas permis de confi rmer la pré- sence de l’espèce. UFFONI Alexandre R

Photographie 4. La tourbière du Vernay en 2012 (tremblant de transition).

100 Alexandre RUFFONI et al. Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 La tourbière de la Chevrée (Saint-Agnan 58) Le milieu correspond à une tourbière accolée à une queue tourbeuse d’étang à 522 mètres d’altitude. D’assez grande taille (avec moins de 3 ha en zone ouverte), cette zone humide présente différents milieux aquatiques : rivière, étang, gouilles de différentes tailles, petites dépressions et un fossé. Le fossé apparent est situé en contexte boisé et les gouilles ne sont pas favorables à S. arctica (la dynamique de colonisation de la végétation ne semble pas favorable et certaines communiquent peut-être avec l’étang). La tourbière est présente en contexte majoritairement boisé avec un fond de vallon bocager occupé en partie par un étang et un grand réservoir. Elle UFFONI est colonisée localement par les saules et bouleaux. Elle semble pour Alexandre R l’instant présenter de nombreux habitats favorables au développe- ment de l’espèce, mais dispersés au sein de la tourbière. Suite au programme mené en 2004, l’espèce a été découverte par la capture d’un mâle adulte et l’observation de deux autres indivi- dus en vol (VARANGUIN, 2005). Par la suite malgré des sorties centrées sur l’espèce (2005, 1 sortie ; 2008, 2 ; 2009, 4 ; 2010, 2), l’espèce n’a été retrouvée que le 25 mai 2011 avec la découverte d’une émergence et d’un téneral (obs. RUFFONI A.).

Photographie 5. Téneral mâle de Cordulie arctique observé à la tourbière de la Chevrée (22 mai 2011). UFFONI Alexandre R

Photographie 6. La tourbière de la Chevrée en 2011. article > Point sur la présence de la Cordulie arctique : Somatochlora arctica en Bourgogne (Odonata : Corduliidae) 101 En 2012, lors de 7 passages (30 mai, 14 juin, 22 juin, 27 juin, UFFONI 28 juin, 4 juillet et 18 juillet), S. arc- tica a été notée dans le même milieu Alexandre R avec les observations d’une nouvelle émergence (22 mai), d’une exuvie (27 juin) et d’un ou plusieurs adultes (27 juin, 3 mâles ; 28 juin, 1 mâle et 4 juillet, 1 mâle). Une population semble donc établie de manière durable sur la tourbière. Au total ce sont 21 espèces d’odonates qui ont été notées sur la tourbière avec la présence inté- ressante d’un individu de S. danae et d’un autre d’Epitheca bimaculata (ce dernier étant probablement de passage), alors que 32 espèces ont été répertoriées sur le complexe de milieux aquatiques composant le site. Une belle population de Somatochlora fl avomaculata bien implantée est observée depuis 2005 (au moins 5 années d’observation). Cette espèce est souvent liée à des tourbières, mais aussi à des marais et étangs en voie d’atterrissement.

Photographie 7. Émergence de Cordulie arctique observée à la tourbière de la Chevrée (22 juin 2012).

Micro-habitats larvaires de l’espèce Au total, de 2011 à 2012, seulement 3 exuvies ont été trouvées malgré des recherches intensives sur les différents sites prospectés, 2 à la tourbière de la Chevrée et une à celle de Préperny. Les habitats d’émergence, potentiellement très fortement corrélés, au moins partiellement, à ceux de développement larvaire, peuvent ainsi être décrits. À la tourbière de la Chevrée, les deux exuvies ont été collectées au sein d’un habitat que l’on peut qualifi er de tourbière de transition. L’une était accrochée sur un trèfl e d’eau, l’autre sur un carex respectivement à 10 cm de hauteur. Moins de 1 cm d’eau était pré- sent à l’aplomb des supports, avec une bonne quantité de sphaignes. L’exuvie de 2012 était également proche d’un point bas présentant un peu d’eau. Pour les deux collectes, la végétation était composée de Comaret, Trèfl e d’eau, Carex rostrata et sphaignes. À la tourbière de Préperny, l’exuvie a été trouvée au sein de la retenue créée sur le ruisseau. Un bas-marais acide s’est développé en périphérie de la pièce d’eau. Une larve vivante a également été observée dans cet habitat. La larve se déplaçait dans les sphaignes et l’exuvie était accrochée à une tige de carex (à 15 cm de haut). La végétation de la zone d’observation est constituée de carex, sphaignes, joncs et molinie.

102 Alexandre RUFFONI et al. Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 Un radeau de sphaigne fl ottait à la surface de la pièce d’eau qui atteint une profondeur d’au moins 50 cm. Ces observations concordent assez bien avec ce qui est noté dans la bibliographie : dépressions, gouilles et chenaux avec peu d’eau libre au niveau de ces faciès. UFFONI UFFONI Alexandre R Alexandre R

Figure 2. Biotope d’émergence de S. arctica sur la tourbière de la Chevrée (2011). UFFONI UFFONI Alexandre R Alexandre R

Figure 3. Biotope d’émergence de S. arctica sur la tourbière de la Chevrée (2012). UFFONI UFFONI Alexandre R Alexandre R

Figure 4. Biotope d’émergence de S. arctica sur la tourbière de Préperny (2012).

article > Point sur la présence de la Cordulie arctique : Somatochlora arctica en Bourgogne (Odonata : Corduliidae) 103 Perspectives et conclusions Alexandre RUFFONI Suite aux deux sessions d’inventaire approfondi Chargé de missions en entomologie des milieux favorables à la Cordulie arctique, on peut à la Société d’histoire naturelle conclure que peu de stations sont actuellement connues. d’Autun. Deux de ces stations présentent des populations établies et une autre semble avoir été colonisée récemment. Même si certaines stations peuvent passer inaperçues Nicolas VARANGUIN (zones de développement en prairies extensives : mares, fossés, ornières…) et que d’autres ont une dynamique Naturaliste, il est chargé de missions faune sauvage à la Société d’histoire favorable à la création de biotope pour S. arctica, cette naturelle d’Autun. espèce demeure une des plus rares et menacées de Bourgogne. L’évolution naturelle des tourbières, dont les parties favorables sont déjà assez réduites, alliée au Jean-Claude LALEURE changement climatique place l’espèce dans la catégorie Naturaliste, il est membre de la « en danger critique d’extinction » en Bourgogne, comme Société d’histoire naturelle d’Autun et du Conservatoire d’espaces naturels ce qui a pu être validé dans la liste rouge des odonates de Bourgogne. de Bourgogne (RUFFONI, 2015). Heureusement, la totalité des stations connues est actuellement sous l’emprise foncière de structures pou- vant exercer une gestion favorable à l’espèce. De manière conjointe, l’application de la déclinaison régionale du Plan national d’action en faveur des odonates en Bourgogne et la création d’une réserve naturelle pourraient améliorer dans un avenir proche, au moins de manière partielle, l’état de conservation de l’espèce. La gestion conservatoire des milieux, par la limitation de leur fermeture et la création de nouveaux micro-habitats larvaires au sein des sites actuellement connus (lorsque cela est compatible avec la gestion actuelle), alliée à un fonctionnement hydrologique adapté, devrait permettre de renforcer les populations. La création d’habitats larvaires potentiels dans d’autres tourbières pourrait éven- tuellement multiplier le nombre de stations accueillant S. arctica ; cela devrait se faire prioritairement sur les tourbières avec suspicion de fréquentation par les adultes dans un rayon de 10 km autour des stations occupées connues. La recherche de la connexion des populations du haut Morvan et du Morvan central, peut-être actuellement réalisée par des milieux de développement potentiels très petits et dispersés, pourrait être renforcée par la création, sur certaines tourbières, actuellement peu favorables, situées entre les sites occupés (potentiellement ou effectivement), de milieux relais. Cette démarche doit être pensée au niveau de complexes de sites (WILDERMUTH & KURY, 2009). Il est aussi intéressant de grouper les points d’eau afi n de créer des repères visuels pour les odonates (COPPA, 1989). Cette opération pourrait d’ailleurs être favorable à d’autres espèces d’odonates dont certaines d’intérêt patrimonial, comme Sympetrum danae. Les caractéristiques des biotopes à recréer et leur éventuel entretien doivent être réfl échis avec soin et les différentes interventions planifi ées dans le temps. En effet, leur potentialité d’accueil pour les espèces s’altère plus ou moins rapidement après une période inhospitalière, plus ou moins longue selon les espèces. Alors que S. danae pourrait s’installer assez rapidement, et même se montrer pionnière sur certaines pièces d’eau ; l’installation de S. arctica dépendrait quant à elle de la colonisation des pièces d’eau par les sphaignes (COPPA, 1989 ; GUERBAA & HENNEQUIN, 2007 ; PARKINSON, 2010). Dans le Limousin, il a fallu attendre 7 ans avant que S. arctica se reproduise sur une des mares créées (GUERBAA & HENNEQUIN, 2007). Des compromis dans le temps et l’espace sont donc nécessaires afi n de rendre les biotopes recréés utilisables le plus rapidement et de façon durable. Un suivi des stations connues va être mis en place par l’OFAB ainsi qu’un suivi des éventuels milieux créés, accompagné de la surveillance des stations à évolution potentiel- lement favorable, comme certaines queues tourbeuses d’étangs. Des prospections d’autres milieux favorables très localisés continueront.

104 Alexandre RUFFONI et al. Revue scientifi que Bourgogne-Franche-Comté Nature - 27-2018, 95-105 Remerciements Nous tenons à remercier l’Agence de l’Eau Seine-Normandie et l’Europe pour le soutien apporté aux programmes d’inventaire des odonates de Bourgogne, les personnes ayant communiqué de la bibliographie ou de précieuses informations : Ludivine COINCENOT du Pôle-relais Tourbières – Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, Raphaëlle ITRAC-BRUNEAU de l’OPIE, Marc DUFRÊNE de l’Université de Liège – Gembloux Agro-Bio Tech et Denis PARKINSON ancien responsable du projet LIFE Plateau des Tailles et coor- dinateur scientifi que du projet Ardennes liégeoises. Merci également à Quentin BARBOTTE pour la traduction du résumé en anglais. Ainsi que les informations communiquées sur les tourbières du Morvan par Éric FÉDOROFF et Isabelle CIVETTE ainsi que les différents observateurs ; Jean-Claude LALEURE, Damien LERAT, Guillaume ORIEUX, Alexandre RUFFONI, Nicolas VARANGUIN et Vincent VILCOT.

Bibliographie

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