SEVERIANO DE HEREDIA 8 novembre1836-9 février 1901 L’homme a été Président du conseil municipal de (1er août 1879 - 12 février 1880), Député (21 août 1881 – 11 novembre 1889) et Ministre des travaux publics (30 mai – 11 décembre 1887). Elu radical, ardent défenseur de la laïcité et de l’école publique, il est aussi à l’origine de la création du réseau des bibliothèques municipales. Très attaché au développement technique professionnel, Severiano de Heredia fut le directeur de l’Association philotechnique, qui dispensait en 1881 des cours du soir gratuits dont bénéficiaient plus de 12 000 adultes. Un poste qui avait été occupé avant lui … par et où il précéda Jules FERRY ! Le Parisien 22 septembre 2013 « La République a été son tremplin, le colonialisme son tombeau » « Severiano de Heredia est, littéralement, un illustre inconnu. Il a été illustre en son temps. A juste titre. De nos jours, c’est un inconnu. Injustement inconnu. Inconnu, car oublié. Oublié, car occulté. Occulté, car de peau noire. Et pourtant au nombre de ces Noirs effacés des mémoires qui ont fait la , il a exercé, le premier les hautes fonctions de ‘’ maire’’ de Paris et de ‘’ministre’’». « Severiano de Heredia a été oublié parce que Noir. Sa tombe refermée, l’ex-ministre est aussitôt mis sous le boisseau dans la patrie qu’il avait choisie et servie de façon admirable. Lui l’étranger né aux colonies, lui l’étranger descendant d’esclave. La subite dégradation de son image, puis sa disparition totale, ont été la conséquence inéluctable des méfaits du racisme et du colonialisme. La République a été son tremplin, le colonialisme son tombeau. La ville de Paris s’honore de se reconnaître en lui »… Paul ESTRADE Extrait du discours lors de l’inauguration de la rue Severiano de Heredia* Paris XVIIème, lundi 5 octobre 2015 « S’il faut se réjouir de ces nominations à des fonctions régaliennes, notre pays a surtout oublié son histoire, car s’il n’y en a pas eu pléthore, il y a eu cependant quelques personnages qui sont parvenus à briser le plafond de verre qui la plupart du temps bride les talents » .George PAU-LANGEVIN Préface de « Ce mulâtre cubain que… » p.7 les Indes savantes 2011

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Le racisme n’est pas un délit, c’est tristement encore une opinion comme une autre. (Sous le Gouvernement et la Troisième République) Un complot du silence « Combien de temps a-t-il fallu attendre pour que nos concitoyens s’entendent dire, par médias interposés, que le romancier Alexandre DUMAS était un mulâtre, qui descendait, du côté paternel, d’une femme noire de la colonie de Saint-Domingue ? Plus d’un siècle. Jusqu’à son entrée au Panthéon en 2002. Alors la vérité tue a enfin été révélée, renforçant la portée symbolique de ce transfert. Combien de temps a-t-il fallu attendre pour que lycéens et étudiants apprennent, de la plume de critiques scrupuleux, que la muse du poète Charles BAUDELAIRE, inspiratrice des Fleurs du Mal, sa maitresse Jeanne DUVAL, était une mulâtresse née aux Antilles ? A peu de choses près, autant de temps que pour l’auteur du Comte de Montecristo, son contemporain ». Le nègre du ministère Comment de HEREDIA, réagit-il donc ? Un de ses amis, le journaliste Maurice DREYFOUS**, a laissé à ce propos un plaisant et éloquent témoignage. Il raconte vingt cinq ans après les événements : « A l’époque où les faits se produisirent, je demeurais à Ville d’Avray, côte à côte avec Severiano de Heredia, qui était alors ministre des Travaux publics, et, chaque jour, nous partions ensemble de la campagne dans sa voiture à cocarde. Mon plus grand amusement était de me faire débarquer à l’omnibus de la Madeleine, histoire de scandaliser le cocher qui me tenait pour un voyageur peu distingué. A cause de son teint, de la couleur des cigares de la Havane, son pays d’origine, ROCHEFORT1 avait surnommé Heredia le Nègre de l’Elysée, et les caricaturistes, aussi bien que les chansonniers le présentaient comme une variété de Foottit, de Bamboula ou de Chocolat. Rien n’était plus amusant que de le voir arriver chez lui en sortant de sa serviette ministérielle la chanson nouvelle ornée de son portrait –charge,-- en nègre bien entendu. Il n’avait de cesse que sa femme ou que sa fille se missent au piano pour déchiffrer la chansonnette. Puis soudain, il la chantait à son tour enthousiasmé du refrain, et cela pendant que, devant la porte du jardin, son cocher Pierre lisait tranquillement, publiquement, officiellement, et le chef couvert du chapeau tricolore, les mêmes insanités ou les feuilles boulangistes les plus véhémentes qui trainaient dans leur propre boue son patron au moins temporaire, le Nègre de l’Elysée ». Les calembours malveillants, les contre vérités, les insinuations, les injures En 1881, La Révolution sociale avait vu en lui un « hidalgo de pain d’épices » En 1887, Le Don Quichotte « un nègre roublard aux grosses lippes ». La Lanterne « un ministre chocolat » La France « le ministre chocolat », prononçant, « un discours en petit nègre très touchant » L’Intransigeant « un petit négus », un « potentat chocolat », un « négrier » le journal titre « le nègre en voyage ». L’article : « le nègre de M. Rouvier a bu, avant-hier à Dieppe […], l’apparition de cet exotique, n’a pas beaucoup surpris, et il s’est trouvé un monde tout disposé à banqueter avec ce voyageur au long cours et même au long discours.

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La question dérangeante au-delà du constat Effacé des mémoires à peine enseveli, Severiano de Heredia est à peu près totalement inconnu cent ans après sa mort. Deux livres récents, remarqués et médiatisés, celui du journaliste Benoit HOPQUIN : Ces noirs qui ont fait la France, 2009 et celui du footballeur Lilian THURAM : De Lucy à Barack Obama, 2010, valorisent l’apport des femmes et des hommes noirs au monde. Heredia est absent de ces deux galeries de portraits. Exclu à nouveau ? Non. Il est victime de l’état lacunaire de la connaissance à son sujet plutôt que d’un ostracisme délibéré. Même s’il importe de relativiser les choses de se dire que de gens célèbres en leur temps, les cimetières sont pleins, le nom et l’itinéraire de Severiano de Heredia ne méritent t-ils pas d’êtres rappelés, sa pensée et son œuvre réhabilitées ? Son parcours social de descendant d’esclaves à ministre, est-il si dénué de sens ? Son combat pour l’affranchissement et le rayonnement de Paris, si mesquin ? Son acharnement à développer l’enseignement obligatoire, gratuit, laïque, professionnel, si archaïque ? Sa réussite personnelle, si indépendante de l’essor de la République ? Son éclipse, si étrangère à la pigmentation de sa peau ? Au cimetière parisien des Batignolles Depuis le 13 février 1901, le corps de Severiano de Heredia repose donc parmi les siens au cimetière parisien des Batignolles. Il n’est pas exagéré d’affirmer que cette tombe est aujourd’hui une tombe quelconque, inconnue des gardiens, oubliée du service qui a fait imprimer pour les visiteurs curieux un index des célébrités enterrées dans le cimetière des Batignolles. L’emplacement des quarante neuf tombes à voir est localisé sur cette feuille. Celles d’André BRETON, Benjamin PERET, Edouard VUILLARD, et bien sûr celle de Paul VERLAINE y figurent. Serait-il outrecuidant de suggérer d’y ajouter celle de Severiano de Heredia ? Cela ferait un compte rond. Conclusion : A l’heure où se posent, la question de l’identité nationale, la question de l’accession des membres des « minorités ethniques » à des responsabilités en vue dans une société plurielle, la question des quotas migratoires et de l’expulsion brutale d’étrangers, la question du bilan du colonialisme et de l’esclavage, ainsi que, dans un autre domaine, la question du respect de la laïcité de l’Etat et de la liberté de conscience des individus en dehors de tout dogmatisme religieux et de tout communautarisme, l’exemple de Severiano de Heredia n’a-t-il rien à nous dire, à nous Français de toutes origines et de toutes sensibilités ?

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1 Henri ROCHEFORT, 1831-1913, de son vrai nom : Victor Henri de ROCHEFORT-LUCAY. Journaliste et pamphlétaire, il fonde le Journal Républicain et Anti clérical « La Lanterne »

*La rue Severiano de Heredia a été inauguré ce lundi après-midi, 5 octobre 2015, par le maire de Paris , à l’angle de rue de Saussure et du boulevard Pereire dans le XVIIème arrondissement. Egalement présents, entre autres personnalités, la ministre des Outre-mer George PAU-LANGEVIN, l’ambassadeur de en France Héctor IGARZA, et l’historien Paul ESTRADE, auteur d’une biographie de Severiano de Heredia. Philippe TRIAY-- Publié le 5 octobre 2015 **Maurice DREYFOUS, 1843-1918, journaliste, écrivain et éditeur-. A collaboré au journal « La Cloche » et « Le Rappel ». Prénoms complets : Maximilien Maurice

Extrait : Severiano de Heredia Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire » et la République « ministre » Paul ESTRADE les Indes savantes 23 juin 2011

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