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Baithak Un salon pour la musique classique de l’Inde Meeta Pandit, Kamal Sabri, Vijay Venkat, O. S. Arun

MAISON DE L’ARCHITECTURE 24 SEPTEMBRE AU 5 OCTOBRE 2010 © Avinash Pasricha Bible Inde new 5_Bible Inde 14/09/10 14:24 Page3

Cette 39e édition est dédiée à la mémoire d’Alain Crombecque

Baithak Un salon pour la musique classique de l’Inde

Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès

Remerciements à Michel Crozemarie et ses équipes, maison Hermès

Avec l’aide de Reitzel France et Airel

Dans le cadre de Namaste France

Avec le concours de CulturesFrance et de l’Indian Council for Cultural Relations

3 © Rajeev Rastogi Bible Inde new 5_Bible Inde 14/09/10 14:24 Page5

Baithak n raconte que les sept notes de la musique classique indienne dont Un salon pour la musique classique de l’Inde les principes figurent dans les Veda (les écrits fondateurs – Sama OVeda) ont pour origine les chants d’oiseaux et les cris d’animaux – paon, grenouille, éléphant, cheval, cataka l’oiseau mythique –, Sa, Re, Ga, Musique hindustani Ma, Pa, Dha, Ni. La musique hindustani est caractéristique de l’Inde du Nord, elle s’est deve- 24 et 25 septembre 20h, loppée sous l’influence des Moghols et de la culture arabe et perse, tandis que la musique carnatique, née au XIVe siècle, appartient à la culture de 26 septembre 18h l’Inde du Sud. Elle prend son nom de la province du Karnataka. Les deux Meeta Pandit, chant hindustani styles ont en commun le système des modes (raga) et des rythmes (tala). Shailendra Mishra, tabla Bharat Bhushan Goswami, Manmohan Nayak, pakhawaj Abha Pandit, tanpura

27 au 29 septembre 20h Kamal Sabri, sarangi Shubh Maharaj, tabla Suhail Yusuf Khan, sarangi Rafiq Khan Langa, khartal Aslam Khan, tanpura Un baithak | Le salon de musique | par Ashok Vajpeyi

Historiquement, musique et danse classiques indiennes sont nées et n’ont longtemps été jouées que dans les temples et les Musique carnatique palais royaux. L’intimité qu’offraient ces lieux enclos et révérés répond à leur grandeur divine ou royale : à l’architecture imposante et intimidante des temples et palais s’opposait une atmosphère vive et chaleureuse.

30 septembre au 2 octobre 20h Le terme « baithak » (du sanscrit : assis ensemble) suggère un lieu, un salon, où se réunissent quelques personnes seulement. Vijay Venkat, Cet espace restreint garantit la proximité entre des artistes et une audience, et crée entre eux une relation étroite et constante, une interaction intime et mutuellement enrichissante. Aussi, le baithak est-il idéal pour la musique classique de l’Inde. flûte (30 septembre et 2 octobre), L’esthétique indienne traditionnelle, qui a toujours cours aujourd’hui dans ses formes classiques, veut que seuls soient admis vichitra-veena (1er octobre) dans le cercle du baithak les initiés, les semblables, les Sahridaya : ces êtres sensibles, susceptibles d’apprécier un art raffiné, C. N. Chandrashekhar, violon pourraient, de par leurs inclinations, apprécier la musique dans toutes ses nuances et couleurs. Les baithak se faisant de plus en plus rares, et les espaces dédiés – auditoriums et autres salles d’une grande neutralité – de plus en plus vastes, le public, K. R. Ganesh, mridangam assis bien loin, ne peut plus percevoir toutes les exquises subtilités et fines ornementations de la musique. La démocratisation Lakshmi Inala, tanpura des arts classiques en Inde a eu un effet à double tranchant : si les formes classiques sont aujourd’hui plus accessibles que jamais au plus grand nombre, la richesse de leur esthétique s’en voit érodée d’autant. La musique, dans la tradition classique indienne, s’adresse à Dieu, aux multiples divinités qu’il incarne, ou au pouvoir, au 3 octobre 18h, 4 et 5 octobre 20h mécène. La proximité physique dans les temples ou les palais permettait à l’artiste d’évaluer le plaisir qu’il communiquait aux O. S. Arun, chant carnatique destinataires de son art. Rasa, le plaisir esthétique, se doit d’être convoqué, vécu et savouré, collectivement. On observe aujourd’hui en Inde quelques tentatives pour revenir à des espaces intimes d’écoute et encourager la réémergence Karaikal Venkatasubramanian, violon de l’âge d’or de la rasikata(l’esthétique savourée collectivement), réaffirmant ainsi son rôle, un temps délaissé, dans la perception Venkat Subramanian, mridangam de l’art musical et réhabilitant la grandeur de la musique et de la danse classiques.

Harihara Subramanian, ghatam Ashok Vajpeyi est poète. Ferdinan Alfones, tanpura Il préside à New l’Académie Lalit Kala

Entretiens avec les artistes : Jérémie Szpirglas

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nécessaire de passer par la formation spécifique que l’on ne peut obtenir que d’un guru. MEETA PANDIT Photo : D.R. Cela dit, si l’enseignement se fait en tête à tête avec le guru, la pratique se fait seul face à soi-même – même en présence du guru, on est face à soi-même lorsqu’on travaille –, et c’est là, comme dans tout processus de création, que la créativité se révèle, s’exprime à travers le chant, et fait du disciple un artiste à part entière.

La musique classique indienne, qui était La relation entre maître et disciple, la destinée aux temples, puis aux cours guru-shishya parampara,est une grande royales, est aujourd’hui sortie de ces tradition de transmission du savoir, partie contextes privilégiés pour se produire intégrante de la musique classique dans des salles de concert toujours plus indienne. Votre apprentissage s’est-il fait vastes. Cela nécessite-t-il des ajuste- suivant cette tradition millénaire ? ments dans les techniques vocale et Tout à fait. J’ai eu la chance de naître dans instrumentale ? Qu’en est-il de l’ampli- une famille de grands musiciens, voire fication, devenue presque une règle au- de musiciens légendaires. Être dès l’en- jourd’hui ? fance bercée dans les bras de géants tels À ce sujet, je dois parler de mon grand- que mon grand-père, père. À son époque, on n’utilisait pas Krishnarao Shankar Pandit, ou mon père, encore de micros, et il a pourtant chanté Laxman Krishnarao Pandit, n’est pas pour des publics de plus vingt mille per- donné à tout le monde. À la maison, la sonnes ! L’endurance, les capacités musique faisait partie de notre quotidien. vocales, la sadhana (discipline) que cela Tout y touchait, de près ou de loin – que C’est là qu’un artiste vient chercher la Outre les styles Dhrupad et Khayal, Gwa- nécessite, dépassent l’entendement… Et ce soit les conversations pendant les repas reconnaissance. École incroyablement lior est célèbre pour les , tarana, en déployant tout son art, en usant de même en présence du ou les moments de loisirs. La musique fai- dynamique considérée comme le creuset ashtapadis(ces fameux hymnes composés tous les modes vocaux, de tous les gayaki sait ainsi partie intégrante de mon déve- des différentes , a de huit vers que l’on doit à Jayadeva), à sa disposition. Même et surtout le loppement personnel et intime plus que accueilli et nourri de nombreux styles et d’autres. L’école de chant de fameux ashtaang gayaki, pour lequel ma guru, on est face à soi-même de mon éducation… J’ai donc commencé musicaux qui ont ensuite pu se popula- Gwalior s’est enrichie et imposée au point famille est si renommée – ashtaangsigni- “ très jeune (en plus de ma scolarité). Au riser très largement. d’être aujourd’hui, dans toute sa diversité, fie huit, c’est un style dit « octuple ». On début, ma mère m’aidait, m’inculquant Le fondateur de l’École de Gwalior, le Raja le courant dominant de la musique clas- y fait surtout usage de behlawa, de meend- lorsqu’on travaille la discipline nécessaire à l’apprentissage Mansingh Tomar (1486–1516), est aussi le sique du nord de l’Inde. soot, gamaket murki-khatka(qui sont les quotidien. Et chaque jour, après l’école, créateur du style Dhrupad. Il a écrit le Nous, la famille Pandit de Gwalior, avons ornements caractéristiques à la base du mon père m’enseignait les compositions Mankautuhal, traité musical fondateur, eu la chance exceptionnelle d’apprendre style Dhrupad), d’alap-behlawaet de bol- et les ragas. et popularisé le Dhrupad en utilisant le auprès de ces grands maîtres – qui n’en- alap (chanter l’alap avec les paroles), de etite-fille du légendaire” Padma Bhus- Nous sommes évidemment allés à Gwalior dialecte hindi Brijbhasha pour écrire les seignaient d’ailleurs que pour transmettre taan (trille excessivement rapide) et de Phan Krishnarao Shankar Pandit, émi- (État du Madhya Pradesh) pour y retrouver paroles des chants. Gwalior fut aussi la à ceux qu’ils en jugeaient dignes, et qui bol-taan(chanter le taanavec les paroles), nente personnalité de la musique mon grand-père – qui était le doyen de patrie de Miyan (environ 1493– n’acceptaient jamais de paiement car ils et de layakari (le layakari est un jeu avec classique de l’Inde du Nord au XXe siècle, la scène musicale hindustani, l’une des 1589), dont on dit qu’il fut le plus grand n’accordaient aucune valeur à l’argent. le tempo : on y donne une plus grande et fille de Laxman Krishnarao Pandit, figures les plus importantes du XXe siècle musicien de tous les temps. Nous leur devons tout et n’avons pour liberté au musicien qui tient le rythme, Meeta Pandit chante principalement le – et pour que je puisse recevoir son ensei- La tradition de mécénat à Gwalior était eux que gratitude, respect et dévotion. qui devient maître du jeu). C’est fascinant. style Khayal. Elle a donné des concerts gnement. Notre différence d’âge était telle que tous les artistes voulaient s’y Ils nous ont transmis les trésors que sont Pour revenir à votre question : avec la avec des formations occidentales et conséquente : quand j’avais 15 ans, il en installer – même après la dynastie de leur très riche catalogue de bandishainsi construction, depuis l’indépendance de indiennes en Inde, en Europe, aux États- avait presque cent. Mais il fut, et est encore Tomar , sous le régime des Scindia, qui que les méthodes de la délinéation du l’Inde (1947), de nombreuses salles de Unis. Boursière du gouvernement fran- pour moi aujourd’hui, une source d’ins- firent de Gwalior leur capitale. raga selon les compositions et les divers concert et auditoriums, près de 95% des çais en 2003, elle passe une année à piration. Mon père et mon grand-père Après le Dhrupad vint le style Khayal – gayaki (styles de chants). concerts de musique classique se font où elle enseigne, comme elle le fait sont mes deux gurus. initié par Nathan Peer Baksh, que l’on avec amplification, même dans certains aujourd’hui en Inde. considère comme le créateur du style Pensez-vous la tradition guru-shishya baithak aux dimensions pourtant Meeta Pandit est titulaire de prix natio- À leur suite, vous représentez donc la Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là parampara encore vivante aujourd’hui, modestes. naux en Inde, comme le “Sangeet Natak prestigieuse école de Gwalior… encore un rôle déterminant dans le pas- en dehors des familles musiciennes Et même moi, héritière de la longue tra- Akademi-Ustad Yuva La place de Gwalior dans l’histoire de la sage du Dhrupad vers le Khayal, grâce comme la vôtre ? dition de chant de Gwalior, on ne me pro- Puraskar”, “Indira Gandhi Priyadarshini musique hindustani est centrale – on l’a aux grands maîtres Ustad Hassu Khan, Oui. Et, lorsqu’il s’agit de se consacrer plei- pose que très rarement des concerts sans Award”, “The Golden Voice of India”. La considérée comme la capitale culturelle Haddu Khan, Nathu Khan. Avec eux, le nement à l’art, c’est la seule façon de faire. micro. L’École de Gwalior met pourtant télévision indienne a produit en 2005 de l’Inde. De même que Benarès est un style Khayal s’est développé et a atteint Il existe bien sûr des écoles de musique, une emphase particulière sur la voix, ses “Meeta - Linking a Tradition with Today”. haut lieu de pèlerinage pour les Hindous, des sommets. mais elles ne peuvent pas former des qualités naturelles et sa pureté, pour par- www.meetapandit.com Gwalior est le haut lieu des musiciens. musiciens de haut niveau. Pour cela, il est courir trois octaves en aakar(voix ouverte,

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pleine et flûtée) tout en exprimant le raf- Vous chantez à Paris dans une ancienne compagne est Shailendra Mishra, qui mais aussi de la curiosité et de la volonté. Amérique, de la passion manifestée par rassemble et archive les enregistrements finement d’une composition. chapelle transformée en salon de représente les Gharanas de Benarès et Pour moi, dans mon environnement fami- toute une nouvelle génération d’audi- de tous les grands maîtres de la musique Cette amplification change notre manière musique, où les concerts pourront durer de Farrukhabad. lial, tout a été parfait, naturel ! Mais pour teurs, qui sont en général des Indiens hindustani encore vivants, dans les de jouer, de chanter, inconsciemment ou entre deux heures trente et trois heures. Il y a un sarangi, instrument à cordes frot- les autres ? C’est un défi inédit pour nous. émigrés de la première ou deuxième géné- domaines des musiques vocale et instru- non. Avec un micro qui peut capter le Jouez-vous souvent dans des cadres inti- tées. Il est l’ombre qui suit ma voix lorsque Quand j’étais jeune, je ne pouvais que ration, et qui trouvent dans la musique mentale, dont il est essentiel de garder moindre fredonnement, le moindre soupir, mistes ? Vos concerts ont-ils souvent je chante, et, lorsque je ne chante pas, il constater l’abîme qui séparait mon envi- et dans les concerts que nous donnons, une trace. la moindre articulation vocale, je ne chan- cette durée ? occupe l’espace laissé ouvert. De même, ronnement familial de mon environne- un lien avec leurs racines. terais sans doute pas aussi fort que sans, Je chante régulièrement dans le cadre de lorsque le joueur de tabla se lance dans ment scolaire. Aucun de mes camarades lorsqu’il faut composer avec l’acoustique baithak, mais, honnêtement, la plupart un solo, pour montrer sa virtuosité, le de classe, aucun de mes professeurs, ne Comment pensez-vous que le format des Biographies des musiciens du lieu. Je pourrais chanter plus douce- des concerts de plus de deux heures que sarangi devient alors le garant du laya comprenait ma passion, ma vocation pour concerts va évoluer ? accompagnant Meeta Pandit ment mes ornements les plus délicats. je donne ont lieu à l’étranger. À chaque (rythme). Le sarangi peut parfois être rem- la musique. Si je leur disais un jour que C’est un débat que nous avons fréquem- Grâce à l’amplification, au choix et au concert de ma grande tournée en Amé- placé, ou doublé, par un harmonium, mais je n’avais pas pu faire mes devoirs car un ment avec les organisateurs de festivals. Bharat Bhushan Goswami, sarangi positionnement des micros, à la balance rique du Nord, j’ai chanté deux heures je préfère le sarangi, plus proche de la grand maître était venu dîner la veille à Pourquoi raccourcissent-ils ainsi notre Pandit Bharat Bhushan Goswami est une et à la réverbération, on peut aussi camou- trente ou trois heures. En Inde, j’ai le sen- voix humaine. Le talent du sarangiste est la maison, inutile de vous dire que mon temps de jeu ? Qui peut dire ce que ça grande figure de la musique hindustani fler certains défauts de jeu : si la voix est timent que la durée d’écoute s’est terri- essentiel – là où un bon sarangiste sublime excuse était mal reçue. Les enseignants donnera dans cinquante ans ? C’est la d’aujourd’hui. Il est le petit-fils du Pandit trop haute, par exemple, on peut insister blement réduite. un chant, un mauvais peut complètement n’avaient aucune idée de ce qu’était mon poule et l’œuf : si les organisateurs de Anmol Chand Goswami. Après le chant sur les basses, ou ajouter de la réverbé- Le désintérêt des jeunes générations pour le détruire. Bharat Bhushan Goswami, de héritage, de ce que représentait ma concert continuent de nous demander appris auprès de son grand-père (chants ration. L’absence d’ amplification exige notre musique classique est sans doute Mathura, m’accompagne à Paris. famille, et ne comprenaient donc pas com- une moyenne d’une heure par artiste, l’ar- dévotionnels Haveli liés au temple de une écoute plus attentive entre nous. en cause. L’attachement aux arts clas- J’ai ajouté un pakhawaj, car j’aime parti- bien il était naturel pour moi de m’inté- tiste s’y pliera et d’ici dix à vingt ans, les Radha Rani à Barsana), il s’est tourné vers Aujourd’hui, s’adaptant de fait aux diffé- siques – du moins en ce qui concerne la culièrement sa sonorité grave et puis- resser à la musique. concerts longs seront, plus encore qu’au- le sarangi avec le Pandit Kanhaiya Lal Ji rents moyens d’amplification, les tech- musique hindustani – ne s’est pas déve- sante, qui met en valeur certaines J’observe aussi cela dans l’emploi du temps jourd’hui, l’exception. En Inde tout du de Mathura. Ses maîtres seront ensuite niques vocales et instrumentales que le loppé autant que l’expansion de la popu- compositions que je chante. Le pakhawaj de mes disciples : si je leur dis de travailler moins… Car j’ai le sentiment que hors de Hanuman Prasad Mishra de l’École de disciple apprend de son guru sont bien lation indienne aurait pu le laisser espérer. est un instrument à percussion bi-face, quatre heures par jour pendant leurs l’Inde, la durée des concerts restera rela- Bénarès, puis Rajan Mishra et Sajan différentes de ce qu’elles furent autre- Les organisateurs ne demandent donc surtout associé au style Dhrupad. vacances d’été, ils me répondent qu’ils tivement satisfaisante. Mishra. De nos jours, il joue en soliste ou fois. souvent que des concerts courts. N’oublions pas la tanpura. C’est un luth n’en auront pas le temps. Et, quand on ne bien en accompagnateur, en Inde et à Ainsi, quand se présente une merveilleuse Pour une soirée présentant souvent trois à quatre cordes, la caisse est une calebasse peut leur demander quatre heures par Comment voyez-vous votre carrière l’étranger. Il participe aux programmes opportunité de chanter sans micro, artistes l’un après l’autre, la moyenne par et le long manche est en bois ; c’est l’ins- jour, même durant les vacances, que peut- future ? prestigieux de All India Radio ; il a reçu comme le propose le Festival d’Automne artiste est entre cinquante et cinquante- trument d’accompagnement de la on demander durant l’année scolaire ? En plus de mon activité principale de à le Prix Ustad . à Paris, je m’y prépare avec impatience. cinq minutes, une heure maximum. On a musique vocale par excellence, celui avec Une demie-heure ? Cela suffit-il à former musicienne, j’essaie de comprendre et à peine le temps d’exprimer quoi que ce lequel on travaille quotidiennement. Il un artiste convenable ? La réponse est de combler cet abîme inquiétant et gran- Shailendra Mishra, tabla Qu’en est-il de la dimension spirituelle soit. En d’autres occasions, on nous fournit le bourdon qui soutient la voix et évidemment non. dissant qui sépare les artistes du grand Shailendra Mishra représente les écoles de la musique, à la source même de la accorde jusqu’à une heure quinze et il est accordé en Pa - Sa - Sa - SA (Sol - Do - Combien de talents potentiels ont ainsi public. Pour cela, je fais depuis quelques de musique de Bénarès et de Farukhabad. musique classique indienne : le fait de faut s’y tenir, le public n’apprécierait pas Do - Do grave). La musicienne qui tient la souffert de devoir mettre leurs ambitions temps à la télévision une chronique d’éveil Diplômé en musique et artiste reconnu sortir des temples l’en a-t-il privée ? qu’on empiète sur le temps du musicien tanpura est Abha Pandit, ma mère. musicales au second plan quand le sys- à la musique classique indienne. Parce par les radios et télévisions en Inde, Shai- Quand la musique est sortie des temples suivant. tème scolaire ne reconnaissait pas leur qu’elle en a compris les enjeux, la chaîne lendra Mishra est un soliste dont les pour entrer dans les palais, elle n’était Mais je voudrais tout de même rappeler Quel impact ont la mondialisation et la art ? Car de nos jours, la musique ne consti- m’a donné un module de sept minutes talents multiples lui ont permis de jouer déjà plus exclusivement spirituelle. Même un fait que je tiens de mon grand-père : modernisation de l’Inde sur la musique ? tue pas un plan de carrière. Nombreux au sein de la matinale du samedi – qui aux côtés d’ensembles de jazz, de game- dans les temples, le public à contenter autrefois, lorsque les rencontres entre La modernisation de l’Inde est en lien sont mes anciens camarades et mes est de grande audience. Le discours y est lans, d’accompagner la musique carna- n’était pas limité au seul divin. De nom- artistes étaient extrêmement fréquentes, direct avec l’ouverture du pays au monde anciens professeurs qui, aujourd’hui, simple et léger, destiné aux non-inités. Je tique ou d’autres styles. Il est un joueur breux bandish (compositions) étaient et faisaient se succéder géants et occidental, et avec l’émigration massive ayant lu mon nom dans des journaux ou fais par exemple voir un clip de chansons de tablas reconnu comme un musicien aussi dédiés aux rois ou aux princes, pour légendes, l’un après l’autre, le temps de la population. On observe aujourd’hui vu ma photo dans un magazine, ont com- populaires s’inspirant de ragas tradition- de premier ordre en Inde. le plaisir du maître des lieux. moyen de jeu par artiste n’était pas très une mode inverse : des émigrés rentrant mencé à s’intéresser à la musique – ils nels – chansons dans lesquelles n’importe La musique classique indienne, comme long non plus. Il ne faut pas une heure au pays. viennent m’écouter en concert, me disent quel auditeur peut se retrouver –, puis je Manmohan Nayak, pakhawaj la plupart des beaux-arts, n’atteint ses d’écoute pour reconnaître le talent d’un L’un des effets de cette modernisation « nous sommes très fiers de vous ». Com- parle un peu du raga, et, pour finir, je Manmohan Nayak est un disciple du Pan- sommets que soutenue par un mécène musicien : la maitrîse et la connaissance concerne le divertissement : l’étendue bien aurais-je donné pour qu’ils manifes- chante une petite composition qui le dit Dalchand Sharma, de l’École de qui l’apprécie. Pour trouver ce mécène, il de l’art s’entendent dans les premières des choix qui s’offrent à nous, est hallu- tent ainsi leur fierté et leur soutien à reprend. Ce ne sont que sept minutes au musique de Nathdwara (Rajasthan). Il a faut exposer son talent – ce n’est donc cinq minutes d’un concert. cinant : spectacles, concerts, cinémas, l’époque où j’en avais le plus besoin, quand sein d’une émission d’une heure, mais participé à de nombreuses tournées pas un art exclusivement réservé à la dévo- sans compter les soixante chaînes de télé- j’étais jeune ? nous sommes parvenus à éveiller un grand comme soliste ou accompagnateur et tion, il peut également être chargé de Pourriez-vous décrire le groupe de musi- vision, internet et les lecteurs mp3. intérêt – pour preuve les montagnes de est lauréat de nombreuses récompenses, plaisir et de romantisme. De nos jours, il ciens qui vous accompagne ? Aujourd’hui, nous sommes immergés dans Comment envisagez-vous l’avenir de la lettres que l’on reçoit, de toute l’Inde et entre autres le Prix Taal Mani. s’agit certes d’un public plus large, mais L’accompagnement de base de la musique un océan de divertissements. Le bon sens musique classique indienne ? même des endroits très reculés. cela ne change rien – ce public est notre vocale hindustani comprend tout d’abord dira bien sûr que le client est roi : si une Je trouve quelques raisons de ne pas m’in- J’ai également produit une série d’émis- Abha Pandit, tanpura mécène. un tabla, instrument à percussion com- petite musique de trois minutes, tirée quiéter. D’abord, je pense qu’on trouvera sions, intitulée Swar Shringar, consacrées Abha Pandit a commencé très jeune ses Si l’on considère toutefois la nature de la posé de deux fûts, le bayan et la dayan d’un film de Bollywood, sur laquelle on toujours des personnes prêtes à s’y consa- à la sensibilisation musicale que World études de musique. Elle a joué aux côtés musique, on constate combien elle doit (gauche et droite). Le son est produit par peut danser, convient, pourquoi irait-on crer – comme cela a toujours été le cas. Space Radio a diffusée sur sa chaine Radio de son mari, Laxman Krishnarao Pandit ; à la dévotion religieuse, et combien elle le puddi (une peau de chèvre tendue, sur écouter une heure de musique classique Ces artistes-là, qui y auront trouvé leur Gandharva. L’émission a fait le tour du elle a enseigné et formé de nombreux est tournée vers le Tout Puissant. Si je laquelle est tissée une autre peau coupée ? Sans compter qu’il faut la comprendre vocation, soit du fait d’un environnement monde . élèves, y compris ses enfants et en par- chante un air romantique, dont les paroles en son centre). On l’accorde en fonction ! Une forme artistique aussi raffinée que familial, soit par eux-mêmes, sauront pro- Enfin, je suis en ce moment consultante ticulier sa fille Meeta. sont un poème d’amour destiné au Nayak de la gamme choisie et on y bat différents la musique classique indienne (ou la gresser et transmettre. pour le Centre National des Arts Indira (l’amant), il restera toujours au cœur de taal(rythmes). Il est la base rythmique de musique classique occidentale) exige non Ensuite, je suis très agréablement surprise, Gandhi à Delhi, où je dirige une très vaste la musique un aspect divin. l’ensemble. Le joueur de tabla qui m’ac- seulement une oreille fine et entrainée, lors de mes tournées en Europe ou en entreprise d’archives audiovisuelles. Je

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manche et les cordes ; et on commence à s’exercer sur des combinaisons de notes.

KAMAL SABRI Photo : D.R. Comment prend-on sa liberté vis-à-vis du maître ? Je suis issu d’une longue lignée de joueurs de sarangi, il était donc très important de prendre le relais. Je suis le troisième de quatre frères et j’ai eu le grand honneur d’être choisi par mon père pour jouer du Votre formation s’est-elle déroulée sarangi et pérenniser cette tradition du conformément à la tradition guru-shishya sarangi au sein de notre famille. L’ainé, parampara ? Ghulam Sarvar Sabri, joue du tabla et vit Traditionnellement, le disciple nouait aujourd’hui en Angleterre. Le deuxième un lien autour de son poignet en signe est Jamal Sabri. Il n’a pas choisi la musique : de son engagement auprès du guru. La il est comptable et vit à Dubaï. Mon frère relation spirituelle, presque fusionnelle, cadet, Gulfam, joue du tabla et interprête s’établissait ensuite entre le maître et le les chants soufis. disciple.Quant à moi, j’ai commencé la Il a toujours été essentiel pour moi de me musique à cinq ans, avec mon père, le faire reconnaître comme le digne fils de grand maître du sarangi Ustad Sabri Khan. mon père, le grand Sabri Khan. Être le fils Il m’a éduqué dans la grande tradition d’un grand musicien décuple les attentes des gurus. Il m’a appris les bandish et les du public à votre égard : ils s’attendent à techniques instrumentales qu’il tenait ce que vous soyez au moins aussi extra- lui-même de son père – je représente la ordinaire que le maître. septième génération de sarangistes de Guru-shishya parampara : un sys- la famille. Les grandes familles de musiciens comme Ce mode d’enseignement est courant la vôtre sont-elles nombreuses ? tème de transmission et de pratique dans les familles de musiciens comme la Très nombreuses, oui. C’est une tradition “ mienne, qui ont à cœur de pérenniser millénaire de la musique classique cette tradition. On le trouve également indienne. Les grandes familles de musi- qui n’a rien de commun avec le mode souvent à l’intérieur du pays. ciens jouissent d’un grand respect de la part du peuple indien. de pensée occidental Que comprend l’apprentissage du saran- Les maîtres passent leur savoir à leurs giste et, plus généralement, du musicien ? enfants et disciples. Il y a bien sûr des maî- Le guru vous enseigne dès le plus jeune tres dont les enfants ne sont pas musiciens, amal Sabri est” le fils du célèbre et âge les ragas les plus courants – le raga ou dont les enfants ne sont pas assez Krévéré joueur de sarangi Ustad Sabri bhairav(un raga du matin), le raga multani talentueux, mais leurs disciples se char- Khan ; il est l’héritier d’une lignée de sept (de l’après-midi), le raga yaman (du soir) gent alors de reprendre le flambeau, et générations de musiciens. Devenu vir- – ainsi que les bandish(compositions) les de faire vivre la de leur guru. breuse. Et quand finalement il fallut jouer volume tout en respectant son timbre. L’in- tuose de grande réputation après avoir plus emblématiques de sa gharana. C’est Notre famille est certainement la plus pour le grand public, le rôle de musicien génieur du son joue un rôle essentiel dans suivi l’enseignement de son père dès ses la base des connaissances, la formation renommée et la plus prestigieuse du demande encore plus d’ouverture d’esprit les concerts. Il doit trouver, avec le musicien, cinq ans, il représente aujourd’hui l’École initiale. sarangi. Nous sommes la seule famille à et de souplesse technique. Un vrai défi ! un équilibre et une alchimie positive, en musicale (Senia Gharana) de Rampur éta- Dans la musique carnatique, au Sud, avoir trois musiciens de trois générations Chanter pour un prince est certes très travaillant avec un matériel sonore et dans blie par ses ancêtres. Kamal Sabri fait sa comme dans la musique hindustani (à différentes qui se produisent un peu par- prestigieux mais jouer devant un public une mise en espace appropriés. première tournée avec son père à l’âge laquelle j’appartiens ainsi que mon ins- tout dans le monde : mon père, le grand non initié – lui donner l’occasion de décou- de quatorze ans, joue au Queen Elizabeth trument, le sarangi) au Nord, le raga est maître, moi-même, et à présent mon neveu, vrir et de comprendre la musique – est Pensez-vous que le fait que vous puissiez Hall à Londres et débute une carrière fondamental – même si, dans la musique Suhail, excellent joueur de sarangi éga- une grande responsabilité et un devoir enregistrer et diffuser votre musique a internationale. Il participe aux “Vingt- carnatique, la détermination temporelle lement. Nous avons enregistré un CD inti- pour un musicien. une quelconque influence sur son format quatre heures du raga” à la Cité de la des ragas est interprétée de manière beau- tulé Sabri Familyavec les trois générations. Nous devons aussi divertir, ce qui peut et son esthétique ? musique et ses concerts sont enregistrés coup moins scrupuleuse que chez nous. soit enrichir la performance , soit l’appau- Non, je ne crois pas. Chez un bon musicien, par les radios européennes. Kamal Sabri Chaque raga est en effet destiné à une Les modes de représentations de la vrir si l’on sort du système traditionnel. on n’entendra dans les enregistrements joue avec des musiciens comme Zakir période temporelle déterminée, en dehors musique ont évolué. La musique et sa que ce qu’il a joué. Je n’en suis pas à 100% Hussain, Fateh Ali Khan, et aussi, dans de laquelle on ne peut pas le jouer : il faut pratique changent-elles, elles aussi ? L’amplification est devenue une règle sûr, mais, à mon sens, comme pour l’am- un style de fusion music avec Jan Garba- être à la bonne saison, et à la bonne heure Cette évolution influence non seulement aujourd’hui : cela change-t-il la musique ? plification, l’enregistrement peut avoir rek, Massive Attack ; il compose égale- de la journée. Il y a un raga approprié pour la musique, mais elle transforme le musi- Si l’amplification devient pafois indispen- un impact très positif tout comme des ment des musiques pour le cinéma chaque instant, et un instant approprié cien lui-même. De spirituel – chanter à la sable, elle doit toutefois être en mesure effets désastreux. Pour des raisons pra- occidental, pour les films de Bollywood pour chaque raga. gloire de Dieu –, le rôle du musicien est de sublimer le son – qui a des propriétés tiques, il faut enregistrer, et vendre, pour ou pour des documentaires et a publié S’ajoutent à la théorie des exercices de devenu un rôle de courtisan. En musique magiques et peut soulager les maux, soi- se faire entendre, mais écouter un concert de nombreux CDs. tenue de l’instrument et de l’archet, des comme ailleurs, il faut bien gagner son gner les maladies –, plutôt que de le diluer ou un CD sont deux expériences très dif- www.sarangi.co.uk exercices de placement des doigts sur le pain, nourrir sa famille, souvent nom- ou le dénaturer. Elle doit en augmenter le férentes.

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Qu’en est-il de la dimension spirituelle pièce, fermant les yeux et me laissant ville de Panipat au Haryana. Il possède sation, jusqu’à la conclusion. la notion de raga dépasse celle de l’échelle Biographies des musiciens de la musique, à la source même de la aller. trois cordes principales, en boyau de chè- Je pense jouer ensuite quelques pièces de sons. accompagnant Kamal Sabri musique classique indienne : le fait de vre et trente-cinq à quarante cordes sym- semi-classiques. Et, si le public le souhaite, sortir des temples l’en a-t-il privé ? Avez-vous souvent l’occasion de vous pathiques qu’on ne joue pas, et qui ne je jouerai encore, dans différents styles. La présence coloniale anglaise n’aurait Shubh Maharaj, tabla Absolument pas ! C’est toujours la dimen- produire dans de longs concerts, de deux servent qu’à la résonance. Tout cela demeurant dans le cadre de la donc eu aucune influence sur la musique Né en 1987 dans une famille de musiciens, sion première de la musique. Quand on à trois heures, comme ceux de Paris à Le sarangiste doit s’asseoir en tailleur sur musique classique indienne, au sens tra- classique indienne ? Shubh Maharaj est le petit-fils du maître est sur scène on joue pour Dieu. Mais, en l’automne ? le sol et poser l’instrument sur ses genoux. ditionnel du terme. Je ne crois pas, en effet. La musique clas- du tabla Pt . Vijay Shankar, même temps, il s’agit de plaire au public Fort d’une grande connaissance et d’une De la main droite, on frotte l’archet sur sique indienne est plusieurs fois millé- son père, est un danseur de kathak réputé. qui a fait l’effort de venir. Il faut établir, expérience conséquente, je m’adapte et l’une des cordes, et, pour produire les Chez le musicien, quelle est la part du naire, elle possède un système de Dès l’enfance, son grand-père lui enseigne au travers ou au moyen de cette dimen- je peux jouer cinq minutes comme cinq notes glissantes de la mélodie, on fait compositeur et quelle est celle de l’in- transmission et de pratique qui n’a rien le tabla. À partir de 1993, Shubh apprend sion spirituelle et sacrée, une atmosphère heures. Mais, pour bien jouer un raga, l’ex- glisser les cuticules des ongles de la main terprète ? de commun avec le mode de pensée occi- selon la tradition de maître à disciple et particulière qui fasse oublier l’auditorium plorer et en présenter toutes ses facettes, gauche sur la corde en vibration. Le cuti- Le canevas est pré-composé. Je ne fais dental. Peut-être la présence anglaise a- donne son premier concert en 2000, à au public. C’est la magie de la musique il faut au moins une bonne heure, de l’alap cule à la base de l’ongle est particulière- que créer une nouvelle version. Ainsi de t-elle rendu les musiciens plus sensibles l’âge de douze ans. Depuis, il joue dans de transporter son auditoire : il n’est plus au jor, suivi du gatet enfin du jhala(le cli- ment sensible – je ne connais aucun autre mes raga madhuvanti ou bhairav, appris au décorum… Mais pas plus. les grandes villes indiennes et dans les sur terre, il s’imagine dans un ailleurs où max) – chaque instant du raga nous pré- instrument qui se joue ainsi. de mon père, transmis de guru à disciple, festivals. il serait heureux et laisserait derrière lui sente un visage différent. On trouvera de plus amples informations et que je transmets à mon tour. Quel impact ont, à votre sens, la mondia- les tracas quotidiens. Un concert long laisse le temps pour pré- sur le sarangi sur mon site internet On peut toujours composer de nouveaux lisation et la modernisation de l’Inde sur Suhail Yusuf Khan, sarangi senter d’autres aspects de la musique (www.sarangi.co.uk) et dans un livre que bandishsur ces ragas. C’est excessivement la musique ? Suhail Yusuf Khan est issu de la Senia Lorsque la musique était destinée aux classique indienne, comme le thumripar j’ai écrit, publié prochainement. compliqué, car d’innombrables éléments Les musiciens deviennent des stars. Mais Gharana de Rampur. Dans sa famille, il divinités ou aux rois, il était très important exemple. complexes entrent alors en jeu. Composer la musique n’est en rien affectée. On ne représente la huitième génération de pour le musicien d’être en contact avec Cependant, un concert ne dure pas néces- L’instrument est-il populaire ? Combien une pièce classique nécessite une grande peut en effet pas jouer le raga bhairavde sarangistes ; il a pour grand-père le célèbre son public, pour répondre au mieux à ses sairement quatre heures. La plupart du y a-t-il de sarangistes en Inde ? connaissance et compréhension du sys- manière « moderne », ça n’a pas de sens. joueur de sarangi Ustad Sabri Khan dont attentes. Est-ce encore le cas aujourd’hui, temps, ça dure une heure, une heure et Nous ne sommes pas nombreux. On le tème des ragas, ses règles et limitations. Si l’on veut jouer le raga bhairav, il faut il a reçu l’enseignement ; il est le neveu alors que la musique est souvent présen- demie. Ce n’est que si le public apprécie considère comme un instrument difficile Cela demande d’étudier longuement ce jouer les compositions en entier et res- de Kamal Sabri. Lauréat de nombreux tée dans des grands auditoriums ? qu’on peut pousser vers les trois ou quatre et il exige un rude travail pour le maîtriser. qui existe déjà – ne serait-ce que pour pecter les règles et modes de jeu de ce prix, en particulier Médaille d’or de All L’interaction avec le public est essentielle. heures. Si on ne joue qu’une heure, on Beaucoup de sarangistes deviennent ainsi trouver une combinaison de notes qui système façonné par notre tradition. C’est India Radio en 2004, Suhail joue du sarangi Et jouer pour un public restreint ou pour s’efforce de faire au mieux : on sélectionne accompagnateurs de groupe de danse. soit inédite – ainsi qu’une profonde ainsi que se révèle et se pérennise l’au- depuis l’âge de quatre ans. une large audience devient alors une expé- un raga et on en présente toutes les réflexion quant au cœur du raga, à ses thenticité de musique classique indienne. rience et un plaisir très différents, pour nuances, du mieux qu’on peut, en respec- Enseignez-vous vous-même ? Comment différentes parties et déclinaisons. Rafiq Khan Langa, khartal le musicien comme pour l’auditeur. En tant les contraintes horaires. envisagez-vous l’avenir pour votre ins- Appartenant à la famille Langa, musiciens petit comité, une véritable intimité naît trument ? Êtes-vous intéressé par le métissage Occi- du Rajasthan, c’est auprès de son père entre eux. Tandis que dans une grande Pourriez-vous décrire le sarangi et son J’enseigne, naturellement. Je transmets dent / Orient ? Ustad Rehmat Khan Langa que Rafiq ap- salle, la communication entre l’auditeur histoire, que, en tant que Sabri, vous la tradition à qui vient étudier avec moi La musique classique indienne se fait prend à jouer du khartal. Dès dix ans, il et le musicien passera davantage par le connaissez sans doute mieux que qui- et je pense le sarangi promis à un bel ave- internationale aujourd’hui. Et des publics commence à jouer en public. À quinze son et la musique. Le cadre influe forte- conque ? nir. Il jouit d’un intérêt croissant en Inde de tous les horizons veulent fusionner la ans, il atteint un niveau professionel et ment sur la musique, puisqu’il influe sur Le sarangi a un rôle essentiel dans la et dans le monde, de la part des auditeurs musique classique indienne et leur propre fait ses premières tournées internatio- l’imagination, à l’œuvre dès qu’on ferme musique indienne. Il s’appelait auparavant comme de musiciens qui désirent en jouer. musique. Cela a ses bons côtés, mais, à nales. Il reçoit plusieurs récompenses et les yeux et que commence le concert. J’ai « sorangi », ou « saurangi », ce qui signifie mon sens, notre musique ne devrait pas participe activement aux concerts du d’ailleurs constaté la préférence des « l’instrument aux centaines de couleurs ». Comment composez-vous le groupe de servir à ça, le système des ragas ne devrait groupe de percussion The Band of India. publics français pour ce genre de concert Le sarangi est aussi l’instrument qui s’ap- musiciens qui entourent votre sarangi ? pas être mis au service d’une « fusion Il a accompagné au khartal le légendaire – qui permet une plus grande proximité proche le plus de la voix humaine. En tant Il y a deux sarangistes, qui sont d’ailleurs music ». Tout simplement parce que le danseur de kathak Birju Maharaj, la dan- avec les instruments et la musique. qu’instrument accompagnateur de la voix mes étudiants, pour m’accompagner. Un raga est beaucoup plus riche et profond seuse d’Odissi Sonal Mansingh ; il a joué et du chant, on le retrouve dans de nom- autre de mes disciples joue du tabla. Et que toute musique qu’on pourrait, et avec Anoushka Shankar et beaucoup En quoi le baithak rappelle-t-il le cadre breux styles, du dhrupad à la musique un cinquième musicien joue du khartal. même que je pourrais, écrire ainsi. C’est d’autres. traditionnel des concerts dans les tem- plus légère de ou des chansons Le khartal est un instrument à percussion une musique millénaire. Le mieux serait ples ? plus populaires, en passant par le Khayal, en bois, avec de petites cymbales, peu d’inventer un nouveau système de com- Aslam Khan, tanpura Dans les temples, le cadre était très simple : Kajri, Chaiti, Thumri, Dadra, Tappa, Hori, courant dans la musique classique position, construit sur l’association des Aslam Khan est le fils d’un sarangiste de le musicien faisait face à la statue et jouait , Qawwali. indienne – il tiendra lui aussi le tala. deux modes de pensées. Hyderabad, Saeed Ur Rehman. Son pour elle. Aujourd’hui, les statues sont Il existe plusieurs hypothèses quant à ses J’aime en revanche ces compositeurs qui apprentissage s’est fait selon la tradition simplement devenues mouvantes, elles origines. La plus vraisemblable – et qui Comment se déroule un de vos concerts ? s’inspirent de la musique, se nourrissent guru-shishya paramparaauprès de Ustad peuvent aller et venir. On a bien sûr un apparaît déjà dans deux ouvrages du XIIIe Le concert s’ouvre sur un long alap – intro- d’elle pour produire leurs œuvres. Je peux Sabri Khan et de Kamal Sabri. En 2005, il parterre devant nous, mais on joue tou- siècle intitulés Sangeet Ratnakar et San- duction au raga qui commence très dou- très bien m’inspirer de la musique occi- a été lauréat de la Sahitya Kala Parishad. jours pour Dieu. Pour un musicien, chaque geet Parijat– lui donnerait comme lointain cement. J’enchaîne alors sur un rythme dentale, sans pour autant jouer de la Depuis plusieurs années, il participe à personne possède une part de divin. Jouer aïeul un instrument appelé pinakini veena. que je développe, sans le tabla, sur mon musique occidentale sur mon sarangi. Je des tournées internationales, souvent pour un public, le rendre heureux, faire Cette veena n’avait qu’une seule corde sarangi, en accélérant. Vient ensuite une peux établir un pont entre nos deux auprès de Kamal Sabri. entrer son âme en résonance avec la nouée aux deux extrémités d’un bambou. composition reposant sur l’un des taal musiques, mais je ne peux absolument sienne, c’est aussi jouer pour Dieu. On la frottait avec un archet fait d’une de la musique classique indienne. Puis, pas jouer un raga en accord avec une Je me produis encore dans des temples, mèche de crin de cheval tendue sur une tous ensemble, quelques jugalbandi, sorte gamme occidentale, non plus qu’un musi- mais toujours avec un public. Je ne joue baguette. L’instrument tel qu’on le connaît de jeu de questions/réponses entre les cien occidental ne pourrait tenir la dis- pas pour Dieu exclusivement – sauf quand aujourd’hui a été mis au point par Hyder musiciens, suivis d’une composition plus tance s’il voulait jouer un raga – il serait je joue pour moi-même, seul dans une Baksh, célèbre musicien originaire de la rapide dans divers tala et d’une improvi- sans cesse attiré par la gamme, alors que

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La musique classique indienne est par essence ésotérique et spirituelle. Elle tient de la philosophie, de la sagesse et

VIJAY VENKAT Photo : D.R. se rapporte aux dieux et à la spiritualité. On la jouait par le passé dans les temples mais, plus tard, ses vertus curatives – un « bon » son, ou une « bonne » mélodie, soigne et soulage les malades – et les merveilleuses paroles de ses chants ont attiré un public toujours plus large. D’abord liée au culte, la musique s’est Diriez-vous que votre formation s’est peu à peu invitée dans les palais et cours déroulée conformément à la tradition royales. Des compétitions entre musi- guru-shishya parampara ? ciens de divers états y étaient organisées Autrefois, la tradition voulait que le dis- et les princes distribuaient des prix. La ciple, s’il se destinait véritablement à musique devint vite un art performatif l’exercice de son art, vive chez son guru. – et les musiciens commencèrent à se En plus de son apprentissage, il travaillait produire pour le grand public. Mais en pour lui, se chargeant des travaux de la Inde, on joue encore souvent dans les maisonnée. Le guru était comme un temples, comme on joue dans les églises parent, voire un Dieu. Cet enseignement en Europe... d’extrême proximité permettait au maître Ma technique ne change pas selon les de suivre de près les progrès de son élève lieux. Je préfère le timbre naturel de l’ins- et formait d’excellents artistes. Le disciple trument et je ne veux, en aucune manière, s’imprégnait de tout ce que le guru avait le modifier. Parfois, j’use de techniques à lui offrir. ou de styles de jeu spécifiques pour Mon parcours n’a pas été exactement m’adapter à une acoustique particulière Ce qu’on qualifie de moderne celui-là, même s’il en a gardé certains ou à l’atmosphère d’un lieu particulier – aspects. Je suis né dans une famille de mais ces changements sont minimes et musiciens à Madras (Chennai), grand cen- n’affectent ni la musique ni le timbre. aujourd’hui sera tradition demain. tre musical du sud de l’Inde. Mon premier La vichitra-veena, par exemple, est un “ guru ne fut autre que mon père, I. R. Rama instrument excessivement délicat et dif- Mohan, joueur émérite de mridangam. ficile – nous sommes une poignée à en Ainsi la tradition n’est jamais figée, Il a été, et demeure pour moi un mentor jouer.Certains ont commencé, pour mieux qui me prodigue encouragements et violon, la flûte (que j’ai apprise auprès de Bien des gurus n’enseignent aujourd’hui se faire entendre, à utiliser des pickups elle se renouvelle sans cesse conseils. T. S. Sankaran, élève du grand maître de que pour l’argent – qui prend le pas sur (micros de contact). Pas moi. Cela dénature Mon deuxième guru a été N. Ch. - la flûte, feu T. R. Mahalingam) et la vichi- la transmission du savoir. Et, à cause d’un ce timbre que j’ai tant cherché. macharyulu de Vijayawada, qui m’avait tra-veena (que j’ai commencée en auto- besoin bien légitime de gagner leur vie, pris en affection et passait tous les jours didacte). certains artistes commencent à enseigner Le musicien doit être en mesure de per- ” chez nous, après avoir terminé son travail J’ai voulu considérer les trois instruments avant même d’avoir terminé leur propre cevoir la réaction de son public et jauger à All India Radio, pour me faire travailler. à égalité sans négliger l’un au profit des apprentissage. Ce qui entraine nécessai- le plaisir qu’il prend. Le pouvez-vous C’était un excellent guru, érudit, univer- autres. Je les ai donc étudiés avec la même rement une baisse du niveau général. encore aujourd’hui, dans ces auditoriums sitaire, grand connaisseur du sanscrit et exigence pour atteindre le même niveau Cette mercantilisation est sans doute liée toujours plus vastes ? de la musicologie. À Chennaï – où la tra- d’excellence. Je pense être le seul musicien à la popularisation de la pratique musicale. Oui. Même s’ils jouent pour un large public, dition guru-shishya paramparaest à mon du sud de l’Inde qui sache ainsi jouer de La musique classique indienne attire même s’ils voyagent de par le monde, les sens appauvrie et l’enseignement plus trois instruments, en outre très différents aujourd’hui de plus en plus de monde – musiciens authentiques seront toujours mercantile qu’ailleurs – je menais une vie de nature : un instrument à vent, un ins- ce dont on ne peut bien sûr que se réjouir fidèles à eux-mêmes, donc à l’écoute de ijay Venkatest né en 1982 dans le sud bien remplie et très réglée, mais dont le trument à archet et un instrument à –, mais cela s’accompagne d’un effet leur public. En Inde, dans les grandes Vde l’Inde, à Madras dans une famille rythme s’écartait quelque peu des usages. cordes pincées. secondaire fâcheux : la qualité moyenne salles, on a préservé certains principes musicienne. Son père I. R. Rama Mohan Mon père m’a fait pratiquer de nombreux de cette pratique dégringole. Fort heu- du salon de musique. Dans les lumières est son premier guru. instruments (guitare, shehnai, ainsi que Vous dites la tradition guru-shishya reusement, il y a encore des artistes d’un par exemple : le public n’est pas plongé Diplômé en philosophie et en anthropo- des percussions, comme le tabla) et je paramparaen désuétude à Chennaï : est- niveau exceptionnel. dans l’obscurité comme en Europe. On logie qu’il a étudiées à l’Université de prenais une à deux leçons par semaine, elle toujours vivante ailleurs ? peut ainsi voir les auditeurs, reconnaître Madras, il joue avec autant de facilité et chez chacun de mes maîtres. J’ai ensuite Cette tradition est beaucoup plus vivante La musique classique indienne a évolué, parmi eux connaissances et amis. Il n’y a de talent du violon, de la flûte ou de la commencé à travailler le violon, auprès dans le Nord – on y voit encore un peu ne serait-ce que par la croissance de son pas de frontière ; les réactions et le plaisir vichitra-veena. Vijay Venkat demeure de Dwaram Venkata Satyanarayana et partout des disciples allant vivre chez public et les mutations de ses modes de se lisent sur les visages. Sauf quand la dis- très attaché à la tradition et aux principes Dwaram Mangathayar. leur guru. Dans le Sud, elle est presque représentation. Sortie des temples et tance est trop grande, bien sûr, ce qui de la musique carnatique et à sa spiri- Jeune, je jouais beaucoup au tennis – à inexistante – peut-être reste-t-il encore palais, elle se joue aujourd’hui dans de arrive souvent. tualité. Il achève actuellement des études un niveau professionnel –, et j’ai négligé un ou deux gurus pour la pratiquer. Nous vastes salles de concert, avec un système à Londres. la musique pendant cinq ou six ans. J’y ne prenons plus aujourd’hui le temps d’amplification. Cette évolution a-t-elle L’appréciation du public est essentielle www.vijayvenkat.com suis pleinement revenu en choisissant le nécessaire pour ce long processus. influé sur les modes de jeu ? – et si celui-ci est connaisseur (rasika), la

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musique y gagne en qualité. Avec la popu- senter ces concerts dans la tradition typiques de la musique carnatique – qui La musique classique indienne a adopté Quel impact ont, à votre sens, la mondia- Biographies des musiciens larisation de la musique, et la diversifi- indienne. Pourtant, même en Inde, j’ai se distingue notamment par l’absence le violon, instrument occidental s’il en lisation et la modernisation de l’Inde sur accompagnant Vijay Venkat cation du public, la musique garde-t-elle rarement l’occasion de donner des de frette. L’instrument lui-même remonte est, et certains compositeurs occidentaux la musique ? sa qualité et son authenticité ? concerts de trois heures. La durée d’un à l’antiquité – son nom même de « vichi- se sont appropriés des éléments de la Aucun ! Même si l’on parle de films et de C. N. Chandrashekhar, violon La musique elle-même ne change pas. concert aujourd’hui est plus proche d’une tra-veena » est très ancien. Pendant un musique indienne. Y a-t-il une empreinte Bollywood, la réponse est simple. C’est auprès de son père, C. A. Narayan, Seul change peut-être le degré de classi- heure trente – avec parfois deux concerts temps, elle fut quasiment oubliée. de la musique occidentale ? Le cinéma, quant à lui, pille la musique lui-même disciple de T. Chowdiah de cisme que l’on mettra en œuvre dans le dans la journée. Nous donnons aussi des Lorsqu’elle est réapparue, il y a soixante À ce sujet, je dois vous parler du grand classique indienne – tout comme la Mysore et de R. R. Keshavamurthy, et de développement du raga. Un public de concerts à la radio – en direct ou enregis- ou soixante-dix ans, on l’a d’abord appelée maître du violon Dwaram Venkataswamy musique occidentale, le pop, le rock. sa mère C. Bhagirathi, que C. N. Chandra- connaisseurs, qui sait s’immerger totale- trés. Ils ne durent généralement qu’une « gottuvadhyam », car on en jouait à Naidu (mort en 1964). J’appartiens à son shekhar a appris la musique. ment dans la musique, saura par exemple heure, ce qui signifie qu’on ne joue qu’une l’époque avec une pièce de bois, le « gottu », « école » car j’ai suivi l’enseignement de Vous venez de terminer, à Londres, un Il a travaillé ensuite avec les violonistes apprécier certains ragas plus compliqués. ou deux compositions. que l’on appuyait sur les cordes. Certains, son fils et de sa fille. Il jouait aussi mer- Masters de musique – ainsi qu’un projet de Madras M. S. Anantharaman et M. S. Je joue ainsi une musique très savante La musique, elle, n’en souffre pas : les comme Ravikiran, l’appellent aussi chi- veilleusement la musique classique de recherche sur la composition, l’impro- Gopalakrishnan de Parur (Kerala). pour ceux qui savent la reconnaître, mais concerts courts peuvent être très intenses. tra-veena. indienne que la musique classique occi- visation et la performance en jazz – et Pratiquant aussi la musique hindustani, je sais aussi satisfaire les néophytes. Trente minutes ou quatre heures, on L’absence de frette qui rend la justesse dentale. Lors d’un de ses séjours en Inde, vous pratiquez également le jazz : votre vocale et instrumentale, il a également s’adapte. On essaie de rendre l’expérience périlleuse en décourage plus d’un. La veena est venu l’écouter. Il a formation classique vous sert-elle dans travaillé pour la musique carnatique avec La musique est-elle toujours spirituelle, agréable à tous, dans toutes les conditions. mesure près d’un mètre de long et il faut, été si impressionné, si surpris de rencon- le cadre de ces pratiques ? P. S. Narayanswamy. sortie du temple ? Cela dit, jouer longuement, trois ou quatre pour ajuster la hauteur de la note, trouver trer un violoniste de cette qualité qu’il l’a Non, surtout pas. Je veux justement m’écar- Il participe à de nombreuses tournées Toujours ! Même si l’on peut avoir l’im- heures, est un vrai bonheur pour moi. J’aime immédiatement le placement et peser invité à venir se produire en Occident – ter de ma formation classique. Nombreux internationales, collabore aux pro- pression que la musique classique ces moments, car je peux y être moi-même, sur la corde, avec suffisamment de poids. ce qui, finalement, ne s’est pas fait. Il pos- sont les musiciens pratiquant la « fusion » grammes de All India Radio & television indienne est devenue ces derniers temps prendre du temps pour chaque composi- C’est très exigeant physiquement et l’ap- sédait un fantastique éventail technique qui n’ont aucune formation classique occi- à (Karnataka). un art non plus tourné vers le divin, mais tion. Je peux même jouer pendant plus prentissage en est très éprouvant. (d’archet et de doigtés) issu des deux tra- dentale et qui puisent à la place dans les vers l’humain et vers un large public, rien longtemps sans problème, et avec beau- La flûte que je joue est en bambou. C’est ditions, qu’il mettait indifféremment au ragas et autres compositions classiques. K. R. Ganesh, mridangam n’a changé. Nous considérons en Inde coup de plaisir – si le public le souhaite ! un instrument couramment utilisé en service de la musique occidentale et de Je me refuse absolument à cela. Il faut K. R. Ganesh a apris à jouer du mridangam chaque être humain comme un fragment Concernant mes concerts parisiens, je me musique classique indienne, au Nord la musique indienne. créer son propre système, ses propres com- avec son père, Kumbakonam M. Rajappa du divin : jouer pour une femme ou un suis toutefois un peu inquiété de la réac- comme au Sud. Au Nord, elle est percée Je ne l’ai jamais rencontré, si ce n’est au positions, et ne pas dénaturer les œuvres Iyer, dans la tradition de Tanjore. Sa mère, homme et jouer pour les dieux revient tion du public – mais l’on m’a assuré que de six trous, pour huit au Sud. Une diffé- travers de ses enfants et de quelques enre- du passé. Smt Nagarathnam, a participé elle aussi donc au même. le public pourrait circuler, aller prendre rence significative. Nous avons besoin de gistrements, mais il a toujours été une C’est d’ailleurs trop facile de faire ce genre à son éducation musicale. À seize ans, il La musique elle-même a trait au divin : si un thé dans le hall, se détendre et revenir. ces deux trous supplémentaires pour réa- grande source d’inspiration, au même de fusion « indienne ». Mon jazz fusionres- gagne le Premier Prix du concours de All on est pénétré de musique, on est pénétré Cela a balayé mes inquiétudes. liser nos gamaka, ces figures ornementales titre que T.R. Mahalingam en flûte, le maî- semble davantage à du jazz occidental. Si India Radio. Aujourd’hui, il accompagne de divinité. Quand on chante, ou quand qui permettent de passer d’une note à tre de mon maître, ou encore le violoniste des éléments de musique classique en tournée les plus grands musiciens de on joue, on est envahi par l’émotion, par Pourriez-vous décrire le groupe de musi- l’autre et nous aident à reproduire le carac- Itzhak Perlman. indienne viennent s’y glisser – et cela peut l’Inde. Au sein de l’association Layodaya le sens des textes. Nous reproduisons les ciens qui vous accompagne ? Quel genre tère si vocal de la musique. Notre musique se produire –, c’est à mon insu, et surtout, de Chennai, il enseigne l’art du mridangam. sons suprêmes du Cosmos dans le but d’équilibre recherchez-vous dans votre est à 80% improvisée. Ses figures sont Écouter et connaître d’autres musiques, ça ne sonne nullement comme de la d’unir le monde autour d’une émotion ensemble ? régies par des règles de grammaire com- comme la musique occidentale (classique musique classique indienne. I. R. Rama Mohan, kanjira particulière. C’est un geste profond, phi- Pour ces concerts parisiens, nous serons plexes qui varient selon le raga. et jazz), enrichit la créativité d’un artiste Dans la famille de Rama Mohan, Jaya losophique. Un geste généreux de partage, cinq. Deux percussionnistes pour le sup- Nous n’avons en Inde aucune musique et sa connaissance du son. Mais je pense Comment voyez-vous l’avenir de votre Lakshmi, sa mère, jouait du violon dans de musique, de pensées, de prières, pour port rythmique de l’ensemble ; l’un jouant exclusivement instrumentale, comme en que la manière dont nous pratiquons la musique ? la tradition Dwaram. Rama Mohan com- répandre le bonheur autour de nous. La du mridangam, l’autre du kanjira. Lorsque Occident : notre musique est toute entière musique classique indienne n’a que très Il y aura toujours des musiciens pour s’ins- mence à jouer du mridangam auprès de musique est capable de toutes les émo- le percussionniste principal (au mridan- pensée pour le chant et notre jeu instru- peu changé au contact de la culture euro- crire dans la tradition et la préserver. Kolanda Venkata Raju, célèbre musicien tions, à l’image de l’homme. Chaque raga gam) prend une pause, le second percus- mental tout entier tourné vers la vocalité. péenne. Ou pas plus qu’auparavant : même Même en Occident, certains s’y mettent. d’Andra Pradesh. Il suit ensuite l’ensei- est comme un être humain, il véhicule sionniste, appelé upa-pakkavadyam, Quand je joue, j’essaie de rendre le relief dans l’ancienne Inde, quand la présence Les amateurs de notre musique sont nom- gnement de S. V. S. Narayanan et de Rama- ses propres émotions. Au musicien de les prend le relais avec le kanjira (instrument des paroles et le sentiment qui s’en dégage. et l’influence de l’Occident n’étaient pas breux. Je suis sûr qu’elle survivra. nathapuram C. S. Murugabhoopathy. exprimer. à peau, tenu de la main gauche et joué Ceux qui connaissent le texte doivent pou- aussi grandes qu’aujourd’hui, les musi- Depuis quarante ans, il accompagne les de la droite). voir quasiment chanter les paroles. ciens se sont appropriés d’autres tech- Vous semblez très attaché à la tradition artistes au mridangam et au kanjira, en Jouez-vous souvent dans un cadre inti- Un violoniste m’accompagne également. niques pour les mettre au service de la et aux valeurs spirituelles, et néanmoins tournée ou pour les concerts à All India miste comme celui du baithak ? En général, lors de mes concerts de vichi- Violon, flûte, vichitra-veena, comment musique classique indienne, sans boule- votre discours est bien d’aujourd’hui. Radio. Il est le père de Vijay Venkat et de J’ai l’habitude de jouer dans différents tra-veena, je préfère ne pas avoir d’ac- choisissez-vous celui que vous utilise- verser foncièrement sa nature. Comment conciliez-vous les deux ? Lakshmi Inala. cadres qui s’y apparentent (comme de compagnement de violon. La veena est rez ? Quant aux compositions elles-mêmes, les Les valeurs que m’ont communiquées petits temples), où les spectateurs peuvent un instrument délicat et mélodique qui Tout dépend des volontés de l’organisa- grands artistes sont toujours à l’écoute mes gurus m’ aident, tout comme la dimen- Lakshmi Inala, tanpura entrer et sortir à leur guise. Je constate n’a pas besoin de ce soutien. Mais le vio- teur du concert. Je joue toutes les com- des systèmes autres que le leur, c’est ce sion spirituelle et philosophique de la La fille de I. R. Rama Mohan a appris à seulement que je donne davantage de loniste qui vient à Paris est l’un des rares positions sur tous les instruments. Il n’y qui fait leur grandeur. Si l’on remonte à musique. Avec un peu de recul, on constate jouer du violon et de la flûte dès l’enfance, concerts dans de grandes salles, où les violonistes suffisamment sensibles et a pour moi aucune différence, aucune la grande trinité de nos compositeurs, que rien n’est moderne ou traditionnel. auprès des maîtres de Madras. Elle accom- microphones sont la règle. Jouer dans un talentueux pour laisser la veena sonner préférence. Et, si certains considèrent Thyagaraja, Muthuswami Dikshitar et Toute habitude, répétée suffisamment pagne son frère en tournée. baithak, sans amplification, est un plaisir comme elle le doit. Il y aura enfin un joueur parfois le violon comme un instrument Shyama Shastri qui vivaient dans une longtemps, devient tradition pour les rare que j’attends avec impatience. de tanpura. plus « sobre », la flûte comme plus « mélan- Inde alors colonie britannique, on générations suivantes. Ce qu’on qualifie colique » ou « sentimentale », je ne le constate qu’ils ont certainement retiré de moderne aujourd’hui sera tradition Vos concerts parisiens dureront entre Pourriez-vous nous décrire la vichitra- pense pas : on peut tirer de chacun de ces quelque chose de cette présence occi- demain. Ainsi la tradition n’est jamais deux heures trente et trois heures. Avez- veena et la flûte que vous jouez ? instruments tout le spectre des émotions, dentale. Ils nous ont laissé quelques kir- figée, elle se renouvelle sans cesse. Tant vous souvent l’occasion de donner des La vichitra-veena est considérée comme avec la même force. On peut exprimer la tanam, ces prières chantées, qui semblent que les valeurs essentielles sont préser- concerts de cette longueur ? l’un des plus anciens spécimens de veena tristesse avec la même intensité au violon, composées dans une tonalité majeure – vées, toutes les évolutions, par ailleurs Le Festival d’Automne veut en effet pré- – ces instruments à cordes pincées à la flûte ou à la veena. comme une mélodie occidentale ! inévitables, ont du bon.

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O. S. ARUN Photo © Avinash Pasricha

Votre formation s’est-elle faite confor- mément à la tradition guru-shishya parampara ? Oui. Je viens d’une famille musicienne. La musique était omniprésente à la mai- son, je l’avais constamment dans l’oreille. J’entendais mes parents jouer et chanter, j’entendais les leçons données par mon père à ses élèves. Ce fut donc une évi- dence pour moi, je n’ai jamais songé à une autre carrière. Mon père, Vidwan O. V. Subramaniam, qui appartenait à la grande école de musique carnatique de Thanjavur (Tanjore, Tamil Nadu), fut mon premier professeur. Plus tard, au terme de ma scolarité, j’ai suivi un cursus en musique carnatique Car la musique n’est pas à l’Université de Delhi, jusqu’à mon di- plôme, Sangeetha Shiromani. Au cours seulement dans les notes, ou dans de mon apprentissage, j’ai suivi l’ensei- “ gnement de maîtres comme T. I. Subra- et on ne s’écarte jamais de sa grammaire comme : par le haut, ou par le bas), ni qui sont absolument superbes, et n’ont l’alphabet, elle est dans la manière maniam (tabla), Dr Radha Chalam, puis propre. Mais à chaque fois qu’on le même les fixer (on n’en saisit jamais toute rien de commun avec les incroyables Chalapathi Ballu, à Chennai (Madras). Ba- chante, il change. De nouvelles variations, la subtilité), il faut en faire l’expérience gamaka carnatiques… de chanter ou de jouer lamuralikrishna me conseille encore au- de nouvelles modulations, apparaissent (il chante). jourd’hui dans son exposition. Cette polymorphie Y a-t-il d’autres artistes qui vont ainsi de En réalité, je n’ai jamais cessé d’appren- des ragas explique aussi pourquoi ils Vous parlez là de musique carnatique, l’un à l’autre, comme vous ? dre, d’approfondir mes connaissances existent toujours : nous créons constam- mais vous pratiquez aussi la musique Oui, un certain nombre d’artistes prati- ” musicales et d’agrandir mon répertoire. ment de nouvelles combinaisons, de hindustani de l’Inde du Nord… quent les différents styles et le passage O. S. Arun apprend la musique avec Je n’hésite pas à aller écouter des musi- nouvelles approches. Si ma culture familiale est “carnatique”, de l’un à l’autre n’est pas difficile, si l’on son père, Vidwan O. V. Subramaniam ciens, même plus jeunes que moi, pour je suis né au nord de l’Inde, dans une ville comprend chaque système dans sa spé- avant d’obtenir ses diplômes (Alankar apprendre d’eux. Cette tradition de transmission est-elle très cosmopolite ; j’ai été en contact cificité. Cela dit, apprendre une forme Purna) de l’École Gandharva Mahavidya- encore bien vivante aujourd’hui ? constant avec des genres de musique très artistique, quelle qu’elle soit, n’est pas laya puis de l’Université de la Musique En quoi cette tradition guru-shishya pa- Oui et non. Elle se pratique, mais plus avec variés. chose aisée – la maîtrise ne vient qu’avec et des Beaux-Arts de Delhi. En 1984, il rampara est-elle si essentielle dans la cette ferveur presque religieuse d’autre- La musique carnatique constitue la base l’accumulation de connaissance et d’ex- débute sa carrière de musicien, développe transmission ? fois. Aujourd’hui, on peut apprendre de de ma formation et de ma personnalité périence. Un artiste est ainsi en constante un immense répertoire, maîtrise les Tout simplement parce que, dans la mu- diverses manières, par téléphone, Internet, musicale. C’est une si belle architecture. évolution. Et, si je considère mes 26 ans musiques hindustani et carnatique, inter- sique classique indienne et particuliè- Skype. Mais rien ne remplace les leçons Je suis convaincu que lorsqu’on la maîtrise, de carrière, j’ai conscience de ce qui a prète des ragas classiques comme des rement dans la musique carnatique, il y en tête-à-tête, rien ne vaut la relation que l’on comprend sa notation, le place- constitué le musicien que je suis devenu. chants dévotionnels ; il acquiert une a une grande part non écrite : le mano- qu’on développe avec un guru. Surtout ment du swara– le placement de chaque grande popularité, dans son pays d’abord dharma – un aspect improvisé que la lorsqu’il s’agit des gamaka. Éléments note –, si l’on en connaît la théorie et qu’on Quelles sont les différences fondamen- puis à l’étranger. Il a chanté pour les musique carnatique partage dans une essentiels du manodharma, cette part la pratique assidûment – et si l’on garde tales entre les deux systèmes ? Nations-Unies, à l’occasion de la journée certaine mesure avec d’autres musiques, improvisée de la musique, les gamaka évidemment l’esprit ouvert –, il est ensuite Sur le papier, c’est la même musique, ou des Droits de l’homme. Si c’est en concert comme le jazz, par exemple. sont véritablement propres à la musique aisé de s’adapter à tous les autres genres presque. Mêmes ragas, mêmes notes, avec qu’il se produit le plus souvent, il a aussi Le guru est notre inspiration, notre guide ; carnatique – on ne trouve rien de tel dans musicaux. C’est en tout cas mon expé- parfois des terminologies différentes accompagné des récitals de danse et il nous enseigne le cadre au sein duquel aucun autre système. Les gamaka sont rience : j’ai joué avec différents musiciens, (comme en Occident, les noms des notes composé des musiques de film. O. S. Arun nous improviserons durant toute notre ces ornements dont on pare les notes de tous les horizons – hindustani, jazz et varient d’une langue à l’autre). Le système est titulaire de très nombreux prix. Actif vie. La musique carnatique s’élabore au- longues, qui jouent sur des micro-inter- autres –, et la connaissance de la musique hindustani se concentre plus sur des notes dans le domaine de l’enseignement, il a tour des ragas – considérés comme « mu- valles et des oscillations d’une grande carnatique m’a énormément aidé. longues et tenues, quand le système car- fondé à Madras l’association Alpana pour sique absolue », au sens ou on l’entendrait finesse. On ne peut vraiment les décrire Je prends ce que j’aime le plus dans chacun natique laisse une grande place aux la formation des jeunes talents. d’un concept, ou d’une vision. Le raga par les mots, ni les noter de quelque des systèmes et me l’approprie : les shruti gamaka. www.osarun.com est entièrement déterminé, il est noté, manière (seulement par des détails de la musique hindustani, par exemple, C’est un état d’esprit très différent, dans

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lequel il faut savoir se plonger tout entier. – sinon, les concerts dureraient six heures ! J’aime les deux, tout comme j’aime une ainsi les mains et la tête. Mais cela vient Quel est l’avenir de la musique classique Biographies des musiciens Car la musique n’est pas seulement dans Alors qu’ils durent aujourd’hui rarement bonne pizza, ou un bon repas indien. naturellement lorsqu’on chante – comme indienne selon vous : pensez-vous que accompagnant O. S. Arun les notes, ou dans l’alphabet, elle est dans plus de deux heures (à quelques excep- une alchimie entre la musique et le lan- le CD, et sa large diffusion, a eu une la manière de chanter ou de jouer. tions près, à l’intérieur de l’Inde par exem- Pourriez-vous décrire le groupe de musi- gage du corps. Ce n’est ni chorégraphié, influence sur le format des concerts par Karaikal Venkatasubramanian, violon ple, où des concerts peuvent commencer ciens que vous emmenez avec vous ? Quel ni préparé, et les gestes changent d’une exemple ? Karaikal Venkatasubramanian fait partie Y a-t-il eu, et existe-t-il encore une musique à 21h et finir à 1h du matin). est le rôle de chacun ? soirée à l’autre, d’un artiste à l’autre. Une petite influence, certainement : le de la génération d'artistes émergeants qui résulterait de la fusion des deux sys- Car enfin, comment faire justice à un raga Je serai accompagné par quatre instru- CD et le fait que nous voyageons énor- dans le domaine de la musique carna- tèmes ? en l’espace d’une petite heure et demie ? mentistes jouant de quatre instruments La musique classique indienne a adopté mément. tique. Il est le disciple du grand maître De nombreuses compositions carnatiques Il faut repenser la structure temporelle différents : le violon, le mridangam, le le violon et certains compositeurs en Pour vous donner un exemple, après mes T.N.Krishnan, a voyagé en Inde et à l’étran- présentent d’évidentes influences venues et musicale des concerts, en tenant ghatam et la tanpura. Occident se sont inspirés de la musique concerts à Paris, je poursuis avec une tour- ger au cours de nombreuses tournées. Il du Nord. C’est ce qu’on appelle le sugam compte du temps imparti, de l’infrastruc- Le violon, que je n’ai sans doute pas besoin indienne. Y a-t-il eu quelque influence née de seize concerts aux États-Unis et s’est engagé dans la collaboration avec sangeet : comme un pont entre les deux ture , de l’ambiance donnés et du public. de vous décrire, joue un rôle essentiel mutuelle ? au Canada. Là-bas, les concerts sont en un ensemble qui défend les musiques systèmes. dans la musique carnatique. Le violoniste Certainement. L’un des compositeurs de deux parties de deux heures environ, sépa- d’aujourd’hui, jouant différents styles, Il y a bien sûr des ragas spécifiques à Retrouve-t-on dans les auditoriums la suit l’artiste principal – qui est ici un chan- notre trinité, Muthuswami Dikshitar, a rées par un entracte. avec avec des musiciens d’autres hori- chaque système, mais d’autres sont com- nature spirituelle de la musique ? teur, moi en l’occurence – comme son ainsi composé des chants avec des notes zons. muns aux deux, apparaissant soit sous Comme le timbre d’un instrument et la ombre. Lors du kalpana swara – qui fait « occidentales », sur des paroles de son Quel impact ont, à votre sens, la mondia- des noms différents (le raga Hindolam musique carnatique dans son ensemble, partie des développements improvisés cru (il chante une mélodie, parfaitement lisation et la modernisation de l’Inde sur Venkat Subramanian, mridangam dans la musique carnatique s’appelle raga la voix humaine est divine par essence, du raga au cours de son exposition (on a construite dans le mode majeur), ou sur la musique ? Venkat Subramanian est le disciple de Malkosh (ou Malkauns) dans le système et les compositions que nous chantons également le raga alapana, le neraval, des échelles indiennes, sonnant distinc- Je suis très confiant, très optimiste, quant Srimushnam Raja Rao. Il appartient éga- hindustani, ou le raga Iman qui devient traitent uniquement de bhakti, de dévo- etc.) – le violon répond au chanteur dans tement occidentale (il chante de nouveau). à l’avenir de notre art qui ne court à mon lement à la génération d’artistes émer- raga Kalyani), soit sous le même nom tion. Même les paroles ont trait au divin : un jeu de question/réponse. Tour à tour, avis aucun danger d’être détruit ou déna- geants dans le domaine de la musique (comme le raga Hamsadhwani). C’est là on parlera de Krishna, de la plume de paon ils s’échangent le raga et jouent alterna- Que pensez-vous du travail de ces com- turé. On rencontre partout des jeunes classique de l’Inde du Sud. Il joue avec la magie de la musique : avec les mêmes sur son front, de sa flûte, de divers orne- tivement en solo. positeurs occidentaux qui s’approprient n’ayant pour ambition que de le faire vivre. un grand talent les bhajan et participe notes, les mêmes swara, la musique sonne ments qu’il porte, ou d’anecdotes et aven- Le mridangam est l’instrument à percus- certains aspects de la musique de l’Inde ? Ils apprennent assidument, jouent mer- aux talavadyam, ces concerts d’ensem- distinctement carnatique, ou hindustani, tures légendaires des dieux. Qu’on soit sion caractéristique de la musique de C’est un bel échange. J’ai collaboré, à Mont- veilleusement bien. Les nouveaux modes bles de percussions. C’est la première selon le cas. dans une grande ou une petite salle, la l’Inde du Sud. Contrairement à son homo- réal, avec un musicien de jazz canadien, de communication facilitent d’ailleurs fois qu’il joue en Europe. musique nous vient toujours des mêmes logue le tabla, de l’Inde du Nord, son corps le bassiste Sylvain Gamian. Nous suivions l’apprentissage et l’immersion dans la La musique classique indienne, destinée compositeurs – Jayadeva, Bhadrachala est d’un seul tenant, même s’il a deux ma syntaxe lorsqu’on jouait mes compo- musique, notamment grâce à Internet, à Harihara Subramanian, ghatam jadis aux temples puis aux cours royales, Ramadas, Annamacharya, Gopalakrishna faces tendues de peau. Son rôle principal sitions, et la sienne lorsqu’on jouait les Skype, au mp3. La musique est accessibles Harihara Subramanian, talent émergeant est aujourd’hui dans de vastes auditoriums. Bharathi – qui nous délivrent tous un mes- est de tenir le tempo, de jouer le kaala siennes. J’adaptais ainsi mon chant à son pour tous et pour les musiciens eux- en Inde du Sud, est le disciple du maître Cela nécessite-t-il des ajustements dans sage divin. pramanam. Mais il est aussi là comme système musical, et, inversement, quand mêmes, les découvertes, de nouvelles du ghatam E.M. Subramaniam. Il se pro- les techniques vocale et instrumentale ? soutien et ornement du chant. S’il ne je lui expliquais les contraintes d’un raga approches des ragas sont à portée de la duit en accompagnant les grands solistes Jouer dans ces grandes salles de concert Avec la popularisation de la musique clas- jouera pas durant le ragam(solo du chan- en particulier, il était heureux de s’y plier. main. de la musique carnatique comme les plus est devenu habituel. Et le micro y est sique indienne, son public se diversifie teur accompagné du seul violon), il passera Ces échanges ne sont pas seulement à Bien sûr, la modernisation a aussi ses jeunres, et en jouant des bhajan, de la nécessaire – il faudrait sinon forcer la et de nombreux néophytes et non-initiés au premier plan après l’élaboration du l’origine d’une influence mutuelle, c’est inconvénients et il faut pour réussir et musique “fusion”, et dans les talavadyam. voix. Nous nous sommes habitués à la se mêlent aux connaisseurs. Cela raga. Après le neraval (où le chanteur aussi un apprentissage. Certains musiciens perpétuer la tradition se concentrer, tra- console, à la balance, à la mise en scène entraîne-t-il une adaptation ? répète à l’envi un vers particulier extrait de rock ont fait cette démarche, on trouve vailler énormément. Mais j’ai le sentiment Ferdinan Alfones, tanpura et à la projection amplifiée de la voix. Certainement. Les concerts que j’ai donnés de la composition, en respectant toutefois chez les Beatles quelques influences de que tout est cyclique, que les efforts Ferdinan Alfones est un musicien très en Norvège au mois de juillet en sont un minutieusement la durée de chaque cycle musique classique indienne, et même un déployés ces dernieres années pour pro- talentueux qui a participé à de nom- La nature sacrée du son en est-elle bon exemple : l’essentiel du public ne de tala), après le kalpana swara, arrive en sitar dans certaines de leurs chansons. mouvoir notre musique portent leurs breuses séances d’enregistrements soit affectée ? connaissait rien à la musique classique effet un interlude durant lequel le mri- fruits : peu importe la modernisation, le en accompagnant à la tanpura, soit en Je ne sais pas, j’y suis trop habitué. Mais indienne, encore moins à la musique car- dangiste et l’upa-pakkavadyam (le second Que pensez-vous de la diffusion de la rap, le rock, le heavy metal, la musique accompagnement vocal. Il a participé à c’est loin d’être facile d’adapter son chant natique. Et pourtant, avec des salles com- percussionniste) jouent ensemble. Puis musique classique indienne à l’étranger ? classique indienne reviendra toujours en des tournées surtout en Inde et en Ma- au micro : il faut ajuster ses modulations, bles chaque soir, tous ont suivi avec l’upa-pakkavadyamjoue un court solo de C’est fantastique ! Les gens sont curieux. force. La musique sera toujours là : l’art laisie. ne pas crier, respecter les strictes enthousiasme les concerts, jusqu’à la fin. transition, signe pour l’artiste principal Je le vois lorsque je dirige des ateliers ou dépasse l’artiste. contraintes de son utilisation pour qu’il Ils étaient gagnés par la magie qui se qu’il va pouvoir reprendre son chant. des masterclass. Vous seriez surpris par ne renvoie pas un son trop dur ou distordu. dégage de cette musique. Rien qu’un raga L’upa-pakkavadyamjoue ici sur un ghatam, le comportement des auditeurs. En Nor- et quelques paroles suffisent à passionner instrument de percussion en argile. Enfin vège, par exemple, en juillet dernier : ils La musique en est-elle affectée ? un public. C’est la grande force de la la tanpura fournit le bourdon qui est essen- chantaient tous en chœur avec moi. La musique a changé de visage pour se musique. tiel pour nous donner le shruti ; sans le Je prends beaucoup de plaisir à diriger faire plus accessible au grand public. De shruti, on ne peut ni chanter, ni jouer. Nous mes ateliers de musique carnatique, un nombreux auditeurs qui viennent m’écou- Vous jouez à Paris dans une chapelle venons sans tanpura électronique, mais peu partout dans le monde. Choisissant ter assistent à leur premier concert de transformée en baithak. Jouez-vous sou- avec l’instrument traditionnel. une composition, j’en expose le raga, j’ex- musique carnatique ou de musique clas- vent dans un cadre intimiste ? plique succinctement comment la sique indienne. C’est pour moi une victoire, Oui, souvent. Même à l’étranger. Lors de Les chanteurs font souvent de larges et musique carnatique le traite et le trans- d’autant plus que je ne m’écarte en aucune cette tournée en Norvège, j’ai joué dans harmonieux mouvements avec les bras forme, et je le chante, sans les gamaka. manière de la grammaire et du cadre des de petites salles, sans micro, avec le public et les mains. Ces mouvements ont-ils un Puis je reprends, avec les gamaka– et la ragas et des tala. assis autour de moi. rôle spécifique, de dévotion, d’expression différence est éloquente. Le public m’ac- Lorsque je chante une composition, dans ou d’acoustique ? compagne en frappant des mains, puis ces conditions, je me concentre sur cer- Préférez-vous ce genre de cadre intime Ils n’ont pas de signification particulière, chante. On a rarement l’occasion d’une tains aspects du développement du raga ou une plus large assistance ? et le guru ne nous enseigne pas à agiter telle communion.

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LEXIQUE

Alap Kanjira Rasikata (de rasa) Introduction lente, sans paroles (vocalises) ; Instrument de percussion à peau, typique L’esthétique savourée collectivement première exposition du raga de la musique carnatique Sarangi Bandish Khartal Instrument à cordes frottées de l’Inde Composition. Se développant sur la base Instrument de percussion en bois muni du Nord d’un raga en particulier, ces compositions de clochettes fournissent le cadre du jeu et de Sadhana l’improvisation Khayal Discipline, souvent liée à la dévotion Style de chant de l’Inde du Nord, connu Baïthak (du sanscrit : assis ensemble) depuis le XVIIIe siècle Tabla Salon de musique. On appelle ainsi les Instrument de percussion à peau de l’Inde cadres intimes de concert qui rappelle ceux Laya du Nord Tempo des temples et salons royaux dans lesquels Tala la musique était jouée traditionnellement Mridangam Combinaison rythmique. Le système Bakhti Instrument de percussion à peau de l’Inde des talas est étroitement lié au système Dévotion. du Sud des ragas

Dhrupad Pakhawaj Tanpura Style de chant hindustani, originaire Instrument de percussion à peau de l’Inde Luth à quatre cordes donnant l’harmonie de Gwalior, connu depuis le XIIe siècle du Nord fondamentale indispensable au jeu et au chant Gamaka Pandit Figure ornementale au très fort caractère Sage, savant. Peut être à la fois un titre, Thumri vocal et un nom Style de chant de l’Inde du Nord, musique légère, en marge de la musique classique Ghatam Raga Instrument de percussion, large pot d’argile Les ragas sont les modes – échelles de note – Upa-pakkavadyam sur lesquels est fondée toute la musique Dans la musique carnatique, c’est le second Gayaki classique indienne percussionniste, assistant du premier Style – techniques et tournures – de chant Rasa Veda Gharana Le plaisir esthétique Les Écrits fondateurs – Sama Veda École (esthétique) musicale (liée à une tradition particulière) Rasika (de rasa) Veena Le connaisseur, l’initié, celui qui sait Famille d’instruments à cordes pincées Guru-shishya parampara apprécier le rasa (de guru, maître, shishya, disciple) Tradition millénaire de transmission orale du savoir dans arts classiques indiens

L’Inde au Festival d’Automne :

C’est en 1974 que la musique indienne figure pour la première fois au programme du Festival d’Automne. En 1981, à la Chapelle de la Sorbonne, trois semaines sont consacrées à la musique carnatique et aux danses de l’Inde du Sud. En 1985, à l’occasion de l’Année de l’Inde en France, le Festival propose au Théâtre du Rond-Point, pendant un mois dans les trois salles, un programme dédié à la musique classique, aux formes dansées et instrumentales du nord et du sud de l’Inde. En 2010, les deux genres musicaux principaux de l’Inde sont présentés dans le contexte d’un salon de musique ; il s’agit du premier volet d’un programme qui s’étendra sur deux éditions. Le second sera plus spécifiquement consacré aux arts de la scène contemporaine et aux arts plastiques.

Président : Pierre Richard Directrices générales : Marie Collin et Joséphine Markovits www.festival-automne.com

Le Festival d'Automne à Paris remercie : Bénédicte Alliot, Laurent Feneyrou, France Grand, Shaifali Jetli-Sury, François Lorin, Élisabeth Petit-Lizop, Malavika Sarukkai, Jérémie Szpirglas.

Photo ci-contre : Le Salon de musique © , photo collection Cahiers du cinéma

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