La formation des ingé- Anna nieurs en Grande-Breta- e Guagnini. gne à la fin du XIX siècle.

Traduction: Deux exemples à . Dominique Ebnôther.

Résumé.

Au XIXe siècle, les plus prestigieux établissements d'en­ seignement supérieur en Angleterre ne s'occupaient prati­ quement pas de formation professionnelle. Il n'y avait, par exemple, aucune tradition de formation théorique au métier d'ingénieur comme en France. Pourtant, à partir de 1860 environ, quelques établissements de nature très différente commencèrent à apparaître, surtout dans les villes industriel­ les de province. Comment ces établissements définirent-ils leur statut et leur rôle dans le milieu social et industriel environ­ nant et comment développèrent-ils leur structure interne pour offrir un type d'enseignement adapté aux futures professions industrielles P Manchester, qui vit la création de deux établis­ sements d'enseignement supérieur au milieu du XIXe siècle (l'Owens Collège et la Manchester Technical School), offre une occasion intéressante d'examiner l'évolution de la struc­ ture interne des écoles de la nouvelle génération, le dévelop­ pement de leurs relations avec la communauté locale et le pro­ cessus de spécification et de différenciation des buts et caracté­ ristiques des établissements eux-mêmes qui transforma finale­ ment leurs buts originaux.

Depuis la publication en 1830 du livre de Charles Babbage Reflection on the Décline of Science in England, le retard pris par l'organisation de l'enseignement scientifique et technique en Angleterre et les effets durables de ce retard sur le déclin relatif de l'industrie anglaise font l'objet d'un courant continu de recherches et de débats. Il en est résulté un nombre extraordinaire d'écrits qui portent à la fois sur les aspects généraux de l'évolution du système éduca­ tif et sur les aspects sociaux de l'image et du statut de la profes­ John Henry Reynolds, 1842-1927 (by king permission of the Principal sion d'ingénieur. D'un autre point de vue, les historiens de of UM1ST). l'économie ont eux aussi abordé le problème en examinant les raisons du ralentissement économique de l'Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle et celles de son incapacité à Anna Guagnini, diplômée de philosophie à l'Università degli Studi de Milan, relever le défi de l'innovation technique lancé par les autres en philosophie des sciences, a travaillé comme boursière au Département d'Histoire des sciences et des technologies de l'UMIST de Manchester. pays européens, notamment l'Allemagne. Pourtant, on est Depuis 1982, elle est assistante de recherche au Département d'Histoire de loin d'avoir suffisamment exploré les problèmes qui se situent l'University of Lancaster (Bailrigg - Lancaster LAI 4YG). au croisement de ces différents domaines de recherche. Le thème central de la plupart des études sur les aspects branches de l'industrie. Comme on peut s'y attendre, les sec­ sociaux et idéologiques des professions industrielles et sur le tions nouvelles, notamment l'industrie électrique, réagirent statut du métier d'ingénieur est l'esprit conservateur de la plus fortement à l'expansion de l'enseignement et de la culture anglaise et sa forte résistance à l'enseignement profes­ recherche que les branches traditionnelles comme le textile. sionnel. Toutefois, les opinions sur ce sujet ne sont pas entiè­ Pourtant, lorsqu'elles traitent de la diversité des niveaux d'in­ rement homogènes. On trouve, dans les études qui portent sur novation technique dans l'industrie britannique, les études certains aspects particuliers des thèmes que j'ai signalés, des économiques et industrielles se concentrent avant tout sur les évaluations dont les différences sont significatives. Parmi ces facteurs qui relèvent des affaires et de la gestion. On ne s'est études, citons l'histoire des associations représentatives des guère occupé des aspects techniques liés à l'introduction des professions industrielles, les origines et l'évolution des dif­ nouvelles technologies, et notamment de l'impact que l'exten­ férents établissements de formation du personnel industriel, sion du régime d'enseignement technique eut sur ce proces­ et les exposés historiques parfois purement descriptifs du sus. Comment, par exemple, l'existence de connaissances développement des entreprises industrielles. appropriées et d'une recherche technologique a-t-elle affecté En fait, ces points de vue différents ne se contredisent les choix techniques ? Et de quel horizon social et éducatif pas forcément. Si l'on considère le système éducatif dans une venait le personnel technique de l'industrie ? perspective générale, on voit que les établissements tradition­ Ainsi, malgré une abondance de détails, les études exis­ nels — «Public schools» et universités d'Oxford et de tantes sur l'enseignement technique et sa contribution à l'in­ Cambridge— ont indubitablement conservé une capacité dustrie se révèlent souvent fragmentaires, ne serait-ce que inégalée d'imposer leur idéal non utilitaire de la « culture » ; et parce qu'elle reposent sur des perspectives disciplinaires dif­ leur réquisitoire contre l'enseignement technique, ainsi que, férentes. On n'a guère fait de tentatives pour intégrer les plus tard —lorsque cet enseignement fut intégré à leurs hypothèses et les chiffres concernant l'enseignement aux programmes — leur réticence à reconnaître la respectabilité études sur les résultats de l'industrie ou pour adopter une universitaire des matières technologiques affectèrent grave­ approche unifiée des problèmes de l'enseignement et du déve­ ment le développement des écoles qui préparaient aux loppement de la technologie industrielle. La direction que métiers de l'industrie. Pourtant, en Angleterre, comme je le nous avons choisie pour le programme lancé à l'université de suppose, dans les autres pays —y compris dans le système Lancaster nous amène à identifier certains aspects de ces pro­ français très centralisé— le développement des établis­ blèmes et à nous centrer sur eux, car ils nous semblent être des sements spécialement tournés vers l'enseignement techni­ indicateurs significatifs de cette interaction. Nous souhaitons que et les interactions entre ces établissements et l'industrie examiner en particulier l'évolution des matières et des pro­ présentèrent des caractéristiques locales très diverses. Ainsi, grammes de quelques établissements-clés et la stratification lorsqu'on examine des contextes géographiques et économi­ qui affecte les différents cours destinés à former le personnel ques spécifiques, et notamment les régions industrielles industriel (notamment les écoles secondaires et les univer­ — qui, en Angleterre, ont une position géographique et cultu­ sités) à l'intérieur du système d'enseignement technique. relle périphérique— les initiatives en matière d'enseigne­ Nous estimons qu'il faut relier étroitement ces études à un ment technique y apparaissent plus marquées qu'à l'échelle examen détaillé de la carrière des étudiants après l'école et de nationale. Après tout, c'est l'effort fait pour contribuer à leur contribution à l'industrie. Alors que cette perspective est l'amélioration et au renouvellement de l'industrie — ou, plus centrée sur le passage de l'école à l'industrie, les réalisations et précisément, des industries locales — qui aboutit à créer les les caractéristiques du personnel technique dans l'industrie premières écoles techniques supérieures en dehors de doivent constituer un champ de recherche parallèle : la strati­ Londres, dans des villes de province telles que Leeds, fication des techniciens, les caractéristiques du travail effectué Liverpool et — ce sera le sujet de cet article — Manchester. dans les services de recherche des sociétés industrielles et le De plus, pour passer au domaine de l'histoire économi­ changement intervenu dans le recrutement par suite de que, la critique du système éducatif anglais et son attachement l'évolution du régime d'enseignement technique sont les à un modèle traditionnel de culture ne doivent pas nous faire points essentiels de ce second domaine. oublier les autres facteurs spécifiques de l'économie anglaise Il est évidemment plus profitable et plus facile d'explo­ qui affectèrent la structure et la gestion des industries de ce rer ces problèmes et ces interactions en concentrant les pays2. Ces facteurs, non seulement contribuèrent au déclin recherches sur des études de cas. Ces recherches seront néces­ relatif de l'Angleterre, mais affectèrent également les sairement longues et complexes et cet article n'est qu'une pre­ interactions entre l'industrie, l'enseignement et la recherche. mière contribution proposée à titre d'essai. Il porte essentiel­ Autrement dit, les caractéristiques économiques et de gestion lement sur les origines et les caractéristiques de l'enseigne­ contribuèrent, au même titre que les données culturelles et ment technique à Manchester —puisque tel est le cas que idéologiques, a façonner l'attitude des entrepreneurs vis-à-vis nous avons choisi dans le contexte anglais. J'examinerai spé­ de l'innovation technique et de la recherche industrielle à base cialement deux des établissements les plus représentatifs de scientifique. En effet, lorsque la transformation du système cette ville: l'Owens Collège et la Manchester Technical éducatif commença à porter ses fruits, et bien que le nombre School. d'étudiants n'atteignît jamais le niveau, par exemple, de Manchester est un exemple particulièrement significa­ l'Allemagne, l'industrie ne tira que lentement et souvent tif pour ceux qui étudient l'industrie en Angleterre. C'est non partiellement avantage des nouvelles connaissances seulement le cœur d'une des plus importantes régions indus­ techniques. En 1947 encore, défendant les efforts du trielles, mais encore l'un des centres culturels les plus actifs de gouvernement pour soutenir la recherche scientifique et province : la Manchester Literary and Philosophical Society technologique, l'Advisory Council on Science Policy notait (fondée en 1781) et la Manchester Statistical Society (qui fut amèrement que : la première de ce type en Angleterre et date de 1833) sont « La raison première pour laquelle notre industrie dans deux produits éminents de cette fermentation culturelle. L'un son ensemble n'emploie pas plus de scientifiques (y compris des buts spécifiques de la Manchester Scientific and Philoso­ d'ingénieurs) n'est pas que leur nombre est ou a été insuf­ phical Society fut d'encourager et de diffuser les connaissances fisant, mais que des sections importantes de l'industrie, par scientifiques, et sa participation à ce domaine, d'abord essen­ suffisance et conservatisme, n'en n'ont jamais éprouvé le tiellement amateur, aboutit à la création d'une remarquable besoin et n'ont jamais fait appel à eux.» communauté scientifique. La réputation des scientifiques qui En fait, ce conservatisme n'apparaît pas dans toutes les travaillèrent à Manchester, depuis l'époque de jusqu'aux années 1920 avec l'école d'Ernest Rutherford, se créer un collège d'enseignement supérieur. En 1851, année de passe de commentaires. En outre, à un niveau différent, l'inté­ l'Exposition de Londres, l'Owens Collège ouvrit ses portes rêt pour les sciences de la nature et les efforts faits pour vulga­ dans la maison où avait vécu Richard Cobden4. riser ces sciences et leurs «applications utiles» auprès des D'après le projet original établi par les administrateurs fabricants et employés de l'industrie aboutit à créer en 1825 la désignés dans le testament d'Owens, le but du collège n'était Manchester Mechanics'Institution, qui fut l'une des premières pas vraiment de former des « ingénieurs », mais plutôt, selon initiatives de ce genre en Angleterre. Autre trait distinctif : le les termes d'Owens lui-même, de fournir à Manchester « les soutien actif de la fraction éclairée des entrepreneurs locaux moyens d'instruire et de perfectionner les jeunes gens du sexe tels William Mather et Sir Joseph Witworth, fondateurs des masculin... dans les branches du savoir et des sciences qui sont deux plus importantes entreprises de construction mécanique et seront peut-être désormais couramment enseignées dans du pays (Mather & Platt et Witworth & Armstrong), les universités anglaises ». Ainsi, bien que l'importance de la Thomas Ashton, fabricant de coton qui fit ses études à diffusion des connaissances scientifiques et de leurs applica­ Heidelberg, et les Heywood, famille de banquiers. tions industrielles au sein des jeunes générations fût l'un des Il n'est donc pas étonnant qu'on trouve à Manchester, thèmes permanents des débats sur la structure du nouveau dans les dernières décennies du XIXe siècle, deux des établis­ collège, les matières traditionnelles comme la logique, la phi­ sements supérieurs scientifiques et techniques les plus presti­ losophie et la littérature ancienne constituaient le plat de gieux : l'Owens Collège et la Manchester Technical School. La résistance des programmes, tandis que les mathématiques et présence même de ces établissements d'avant-garde mérite la philosophie naturelle étaient enseignées avant tout pour qu'on s'y arrête. Leur histoire convergea finalement en 1905, leur contenu théorique, et que la chimie ne fut introduite que lorsque l'Owens Collège acquit le statut d'université à part comme matière réservée à l'enseignement à temps partiel5. entière en devenant la Victoria et Il serait hors de propos de raconter en détail l'histoire du que la Technical School devint sa Faculty of Technology3. collège, mais il faut néanmoins en souligner deux points. Pre­ Mais elles naquirent dans des contextes différents et n'eurent mièrement, ce programme littéraire et théorique ne souleva pas le même mode d'approche de la formation scientifique et visiblement pas l'enthousiasme des hommes d'affaires et des technique des étudiants ; aujourd'hui encore, leurs traits dis­ fabricants pragmatiques de Manchester, alors que l'école était tinctif s sont évidents. Dans cet article, j'évoquerai quelques prévue pour leurs fils. Pire encore, le nombre des étudiants, aspects des origines et des débuts de ces deux composantes de déjà très faible comparé aux moyennes du Continent, se mit à l'University of Manchester; toutefois, il est important de décliner6. Sans doute peut-on voir dans cette tendance une remarquer que le régime local d'enseignement technique manifestation de la suspicion traditionnelle —et après tout s'étendit progressivement, au tournant du siècle, grâce à l'ex­ justifiée — des fabricants britanniques vis-à-vis de la forma­ pansion des écoles techniques secondaires et à la création du tion industrielle « universitaire ». Mais il y avait aussi un déca­ Salford Royal Collège. Fondé en tant qu'école technique lage stupéfiant entre le programme non scientifique du col­ secondaire, ce collège suivit la même voie que la Manchester lège et les attentes de la communauté industrielle. Deuxième­ Technical School : il devint Royal Technical Institute en 1897 ment, la chute du nombre d'étudiants peu après l'ouverture du et finit par obtenir le statut d'université en 1967. Enfin, le cas collège amena à reconsidérer ses buts et sa structure. Après de Manchester se révèle plus intéressant encore du fait que les cette réflexion, l'idéal de l'éducation libérale resta l'un des cours du soir, dispensés entre autres par la Manchester Tech­ traits distinctifs du collège, aussi bien dans les documents offi­ nical School et le Salford Collège, avaient une audience consi­ ciels des instances dirigeantes que sur le plan de son image dérable, et qu'il existait d'autres types de formation technique publique. Dès ses débuts, l'Owens Collège brigua en effet tels que les écoles internes aux entreprises, comme celle de explicitement le statut d'université, et son engagement par Mather & Platt. rapport à l'éducation libérale ainsi que ses efforts pour main­ Cette gamme étendue d'établissements soulève des pro­ tenir un enseignement de haut niveau furent parmi les points blèmes stimulants pour les historiens. Comment ces écoles clefs de sa stratégie. Mais s'il voulait en un sens « représenter » définissaient-elles leurs positions par rapport à l'industrie ? la classe des fabricants locaux et obtenir leur soutien financier, Comment différenciaient-elles leurs caractéristiques et leur le collège savait qu'il ne devait pas négliger les besoins utili­ buts respectifs ? Et comment ajustaient-elles leurs structures taires de la communauté industrielle. selon la façon — juste ou fausse — dont elles interprétaient La nomination de Henry Enfield Roscoe à la chaire de les «besoins» de l'industrie? Comme je l'ai dit précédem­ chimie en 1857 marqua un tournant dans la réflexion sur ment, j'examinerai dans cet article le cas de l'Owens Collège et l'avenir du collège. C'est cet ancien étudiant de Bunsen à de la Manchester Technical School. Heidelberg qui, âgé de vingt-quatre ans, joua un rôle décisif dans les efforts de médiation entre les administrateurs et les L'OWENS COLLEGE. fabricants lors de la réorganisation interne du collège. Comme Roscoe l'écrivit plus tard, ce ne fut pas une tâche facile que de L'idée de créer un établissement d'enseignement supé­ gagner la confiance des fabricants tout en convainquant les rieur circulait déjà durant les années 1830 et 1840 au sein des administrateurs que « se contenter de reproduire à une échelle élites sociales, économiques et culturelles locales. La Manches­ réduite la vieille idée d'université... ne pouvait réussir à ter Statistical Society, par exemple, fut l'un des plus actifs Manchester, et en leur faisant comprendre que si l'on ne défenseurs de ce projet et, en 1836, elle soutint avec enthou­ voulait pas que l'établissement retombe au niveau d'une siasme la proposition de création d'une université dans la école... il fallait inaugurer une nouvelle voie, et que la seule ville. Cette première proposition entièrement articulée était possible était d'encourager et de développer les sciences phy­ surtout l'œuvre d'un universitaire, Harry Longueville Jones. siques7». Professeur, puis doyen du Magdalene Collège à Cambridge, Pourtant, un projet d'« extension » du collège apparut au Jones rédigea son Plan for a University in Manchester alors milieu des années 1860, et fut rédigé en 1866 ; l'un des points qu'il habitait Paris. Le ferment d'initiatives soulevé par ce soulevés dans ce projet était la nécessité de disposer d'un bâti­ projet, publié en 1836, ne tarda pas à retomber ; mais l'idée fit ment plus adapté et plus grand, mais les problèmes d'« exten­ son chemin et dix ans plus tard, le pas décisif fut franchi, cette sion » des objectifs et de la gamme des enseignements offerts fois par l'industrie. L'occasion fut fournie par le testament par l'établissement y dominaient largement. Une place privi­ d'un obscur fabricant de coton de Manchester, John Owens, légiée était réservée à la définition des futurs objectifs du col­ qui légua en 1845 la somme considérable de 100000 £ pour lège en liaison avec la communauté économique et sociale au sein de laquelle il se trouvait. Ainsi qu'il était dit dans les docu­ Quoi qu'il en soit, dans les années 1870, la nouvelle poli­ ments préparatoires, l'un des buts essentiels du collège était tique du collège était fermement établie. Néanmoins, il faut d'« offrir au district du Lancashire Sud l'enseignement général remarquer que l'importance grandissante de l'enseignement le plus élevé préparant aux diplômes littéraires et scientifi­ en sciences appliquées et les tentatives faites pour nouer des ques et la formation spéciale exigée par la vie profession­ contacts plus étroits avec l'industrie ne firent pas oublier les nelle». principes originels sur lesquels avait été bâti l'Owens Collège ; La préparation du nouveau projet, et notamment les et, dans la pratique, la nouvelle politique n'entra pas en conflit démarches destinées à obtenir l'approbation officielle pour la avec ces principes. Ce qu'on voit, en fait, dans le cas d'Owens, charte, se révélèrent également difficiles, et c'est seulement c'est une tentative de mariage — peu commode il est vrai — en 1870 et 1871 que le projet fut ratifié par le Parlement. Mais entre l'enseignement libéral traditionnel et une approche les effets de la nouvelle politique promue par Roscoe devin­ tournée vers le monde professionnel12. Après l'«extension», rent évidents, d'abord et surtout dans sa propre discipline. la campagne visant à transformer le collège en université s'in­ Peut-être ne contribua-t-il pas de façon exceptionnelle aux tensifia, et l'une des préoccupation constantes du personnel progrès de la chimie, et ses apports dans ce domaine furent-ils fut donc de démontrer que la « qualité » de l'enseignement et concentrés au début de sa carrière, mais il fut incontestable­ le niveau des cours étaient équivalents à ceux des universités ment un bon enseignant et un directeur très actif et très traditionnelles. Mais l'engagement du collège par rapport à efficace. En outre, il fit toujours preuve d'une grande sagacité l'enseignement libéral avait une autre raison d'être, liée de dans le choix de ses collaborateurs, dont beaucoup étaient des plus près au problème de la formation industrielle et, plus anciens élèves du collège8. précisément, du genre d'employés que le conseil d'adminis­ Cela eut pour conséquence que, sous la direction de tration du collège voulait produire grâce à ses cours. Contrai­ Roscoe, l'importance du département de chimie et du labora­ rement à la tradition des instituts de mécanique, dont le but toire ne cessa de croître, tant au point de vue de sa réputation était d'infuser des connaissances scientifiques à des artisans et universitaire que du nombre de ses étudiants. Lorsque Roscoe à des ouvriers qualifiés, l'une des aspirations de l'Owens arriva à Owens en 1857-1858, il n'y avait que quinze étudiants Collège fut, dès le tout début, d'assurer l'instruction de ceux à temps complet inscrits aux cours du laboratoire ; lorsqu'il qui occuperaient les échelons supérieurs dans la direction des partit en 1885, il y en avait cent dix, et en 1890-1891, deux industries. Cet aspect devint plus explicite encore lorsque la cent soixante-cinq. Quant à l'évolution de la structure du structure du collège fut reformulée ; en outre, il s'accordait cours, une chaire de chimie organique —la première du avec les recommandations de la commission Samuelson sur pays — fut créée en 1874 ; deux ans plus tard, la métallurgie l'enseignement scientifique et technique du début des an­ eut son maître de conférence et, en 1885, un enseignement fut nées 1880. L'un des problèmes majeurs de l'industrie britan­ créé en chimie technologique. nique, selon le rapport de la commission Samuelson, était le Mais les initiatives de Roscoe ne se bornèrent pas à la faible niveau d'instruction des dirigeants et leur préparation chimie. Il prit une part essentielle à l'effort fait pour renforcer insuffisante, notamment sur le plan technique. En 1868, l'un les parties du programme orientées vers les professions des administrateurs du collège, Alfred Neild, imprimeur sur industrielles. Le projet d'extention du collège évoqué ci-dessus calicot, déclarait déjà : avait déjà mentionné en 1866 que l'une des failles les plus évi­ «On ne pourra guère contester qu'il existe dans ce pays dentes du programme était l'absence de cours en génie méca­ des déficiences sur le plan de l'enseignement technique ; mais nique. Cette faille fut comblée en 1868 grâce à une subvention pour savoir quelle sorte d'enseignement il faut et quelles clas­ importante de Charles Beyer, de la société Beyer and Peacock, ses doivent en bénéficier, c'est un autre problème... Il y a, à l'une des plus grandes entreprises de construction mécanique mon avis, un besoin urgent de trouver des moyens pour (locomotives et machines à vapeur). John dispenser un enseignement entièrement scientifique à ceux fut nommé professeur de génie civil et mécanique et, en 1869, qui ont la charge de diriger notre industrie... L'intelligence le nouveau cours fut intégré au programme d'Owens9. scientifique qu'il faut à tout prix assurer, c'est celle des chefs de Durant la même période, une initiative plus importante l'industrie ; et il faut que leur science soit complète et pas seu­ encore fut prise : la création de certificats de génie mécanique, lement populaire13.» de chimie appliquée et de géologie appliquée. Comme le sug­ gérait le prospectus de présentation des cours : On n'aurait pu définir plus clairement le genre d'étu­ «Certains des principaux ingénieurs mécaniciens de diants que le collège voulait produire. Et compte tenu de cette Manchester et des environs se sont déclarés disposés à rece­ clientèle — au moins potentielle — l'accent porté sur l'ensei­ voir des élèves ingénieurs certifiés du collège dans leurs ate­ gnement libéral et les cours de sciences appliquées répondait, liers, soit comme apprentis payants pour de courtes périodes, pour le personnel du collège, à des objectifs à la fois sociaux et soit comme apprentis ordinaires non payants, et de leur accor­ techniques. Autrement dit, l'enseignement du collège devait der les privilèges dont ils pourraient de temps à autres se en même temps donner un statut social et assurer la connais­ montrer dignes. » sance des principes scientifiques sur lesquels reposait la fabri­ cation industrielle. Cette connaissance devait être générale et Ce certificat était décerné après trois ans d'études et non pas réduite à une formation strictement technique ou spé­ correspondait à un enseignement quasiment identique à celui cialisée en sciences appliquées. Cet idéal d'enseignement à un reçu par les étudiants qui préparaient les examens extérieurs double visage exposé par les dirigeants d'Owens était le cor- de Londres10. Toutefois, c'était un diplôme accordé par le rélat de l'idéal de l'ingénieur-directeur qui, dans leurs projets, collège à titre privé, qui ne faisait pas partie du cursus incarnait le nouvel esprit d'entreprise. habituel ; c'était une sorte de «garantie» d'achèvement de ce Voilà pour les positions officielles. Mais l'enseignement que le collège considérait comme une formation théorique effectivement dispensé dans les cours, et notamment dans adaptée aux étudiants qui se destinaient spécialement à la ceux des sections scientifiques, participait-il si étroitement au carrière d'ingénieur. Quant à savoir s'il existait réellement projet d'enseignement libéral? Et dans quelle mesure ce une telle pression pour monter des cours destinés à former des mariage exprimait-il les desiderata du personnel enseignant étudiants dans les «branches supérieures de la profession le plus concerné par les matières techniques ? Un problème d'ingénieur», c'est un autre problème; le nombre des essentiel se pose ici, celui de l'interprétation du mot « libéral », certificats d'ingénieurs décernés entre 1871 et 1905 n'en ou, plus précisément du rapport entre « scientifique » et « libé­ donne en tout cas aucune preuve11. ral ». Fonds CEM.

Roscoe, à l'instar des autres dirigeants d'Owens, était «Dans les classes de mécanique, on donne un certain bien sûr un défenseur acharné du modèle d'enseignement nombre d'informations techniques, mais ce n'est pas le but «libéral» ; mais ce qu'il voulait en fait, c'était mettre sur pied premier de ces classes. un département qui assure un enseignement approfondi et «L'objet principal est d'enseigner l'application des systématisé des bases théoriques de la chimie en tant que sciences au génie, d'enseigner la méthode scientifique qui per­ science. Et ce qu'il soutint vigoureusement, ce fut la nécessité met de traiter les problèmes du génie, essentiellement à la de dispenser un enseignement scientifique solide et complet manière des travaux du professeur Rankine sur le métrage, la aux étudiants, qu'ils se destinent à la carrière de scientifiques mécanique appliquée et les machines motrices15.» ou à celle de chimistes de l'industrie. Dans cette perspective, Le recours aux textes de Rankine, très exigeants sur le l'enseignement libéral ne s'opposait pas nécessairement à la plan théorique, dans le domaine des machines à vapeur et de la formation industrielle ; le problème essentiel était que cette mécanique indique clairement les conceptions de Reynolds dernière devait reposer sur des fondements scientifiques. sur l'enseignement de ces matières. Dans sa discipline, la chimie, Roscoe décrivait ainsi sa philo­ En revanche, il est beaucoup plus difficile d'aborder le sophie d'enseignement : problème de l'«usage» que les entreprises industrielles «J'estime que je fais pour le mieux en donnant aux jeu­ locales faisaient des diplômés d'Owens. Comme je l'ai suggéré nes gens dont j'ai la charge, qu'ils souhaitent devenir scienti­ précédemment, l'un des indicateurs qu'il faudrait examiner de fiques ou chimistes dans l'industrie, des fondements théori­ plus près dans ce domaine est le recrutement des diplômés, ques et pratique solides et étendus en chimie, pour autant ainsi que leur carrière et leurs réalisations ultérieures. qu'ils en ont le temps et les capacités, plutôt qu'en les forçant Malheureusement, les statistiques et les informations sur la prématurément à réaliser telle série nouvelle de composés carrière des étudiants sont très récentes ; jusqu'aux homologues ou à étudier telle réaction spéciale ou tel colorant années 1940, il faut donc se reposer sur des données éventuel, bien que ces travaux puissent sans aucun doute incertaines et fragmentaires. En outre, lorsque ces données aboutir à des publications. Mon but est de préparer les jeunes émanent du collège lui-même, on peut les suspecter de gens, grâce à une formation générale soignée et complète, à surestimer la réussite des diplômés. Ainsi Roscoe, occuper avec intelligence et succès des postes de professeurs récapitulant le travail accompli durant ses vingt-cinq années ou de chimistes dans l'industrie, plutôt que de produire de d'enseignement à Owens, déclarait-il que la réussite des cours simples spécialistes qui, placés dans des conditions différentes de chimie appliquée était attestée non seulement par le de celles dont ils ont l'habitude, sont incapables de sortir du nombre de diplômes décernés aux étudiants, mais encore par sillon étroit dans lequel ils ont été formés14.» «la position reconnue que nos étudiants occupent dans les Osborne Reynolds, au département de mécanique, avait établissements industriels où la chimie joue un rôle... On peut la même approche. Dans son rapport pour la commission dire sans exagération qu'il y en a peu, du moins dans le district Samuelson, il énonçait ainsi la méthode d'enseignement de la de Manchester, où l'on ne trouve pas un ou plusieurs anciens mécanique à l'Owens Collège : élèves du collège aux postes de chimistes spécialisés ou de directeurs16.» caractérisaient l'enseignement de l'Institut de mécanique res­ Mais il n'indique pas les données sur lesquelles il appuie tèrent un élément important de la nouvelle école, mais la ces affirmations. William H. Perkin Jr., qui fut nommé pro­ perspective des cours fut radicalement modifiée : l'accent fut fesseur de chimie organique en 1892, n'était pas aussi opti­ mis sur les matières techniques, avec le but explicite de former miste lorsqu'il faisait remarquer en 1893 que la demande de du personnel qualifié pour les industries mécaniques, textiles chercheurs en chimie était décidément réduite17. En fait, une et chimiques locales, et les cours élémentaires, ainsi que tous proportion importante des étudiants qui restaient à Owens les cours non professionnels «purement fantaisistes», selon après leur diplôme faisaient carrière dans l'université ; il est l'expression de Reynolds (la danse, la musique et la sculpture intéressant de noter qu'en ce qui concerne la formation des sur bois faisaient partie des matières enseignées précédem­ enseignants, et notamment des professeurs d'université, le ment), furent progressivement éliminées. En outre, dès la département de chimie de l'Owens Collège connut une création du régime d'examens des City and Guilds en 1880, réussite incontestable18. l'école en assura la préparation. Elle veilla de plus en plus à On est dans la même situation d'incertitude en ce qui recruter des professeurs compétents et, point capital, les concerne la carrière des étudiants en génie mécanique. postes à temps partiel furent progressivement remplacés par Philip J. Hartog, ancien élève d'Owens, déclarait dans son des postes à temps plein. Enfin, les cours du jour, bien que exposé sur le travail accompli par le département du génie jus­ nettement moins fréquentés que ceux du soir, devinrent l'âme qu'en 1900, que la moitié des étudiants devenaient ingénieurs de l'établissement. L'objectif de cet enseignement à temps civils et l'autre moitié ingénieur mécaniciens ; une part consi­ complet, ainsi que les étudiants auxquels il s'adressait, étaient dérable de ces derniers était employée dans les compagnies de explicitement définis; il s'agissait en effet de «... répondre chemins de fer19. Selon un autre rapport qui porte sur la aux besoins des élèves qui se destinent aux carrières période allant jusqu'à 1904, 40 % des étudiants du départe­ d'ingénieur mécanicien, ingénieur électricien ou ingénieur ment faisaient carrière dans le génie mécanique et 30 % dans civil... pour qui la connaissance pratique et théorique de l'art le génie civil, alors que 18 % seulement devenaient profes­ de l'ingénieur a une utilité pratique ». seurs. Mais, une fois déplus, aucune information n'est donnée Les différences entre Owens et la Technical School sur les sources de ces chiffres20. apparaissaient également dans l'âge d'admission minimum des élèves : Owens, dans son testament, avait fixé cet âge à LA MANCHESTER TECHNICAL SCHOOL. quatorze ans pour le collège, mais l'âge moyen d'inscription réel était de seize ans, et fin 1890, il était passé à dix-huit ans. Il est clair que la stratégie déployée par l'Owens Collège A la Manchester Technical School, les élèves furent d'abord pour obtenir le statut d'université et garder une place élevée admis dès l'âge de treize ans ; plus tard, le niveau des connais­ dans le système universitaire consista en partie à se donner sances requis pour les cours de première année porta virtuel­ une image publique d'établissement destiné avant tout à pro­ lement ce minimum à quinze ans, modification qui fut officiel­ duire des directeurs ayant une «tournure d'esprit scientifi­ lement reconnue en 1895. que », ainsi que des chimistes pour l'industrie et des ingénieurs de haut niveau. La nécessité de former des ingénieurs de L'autre initiative majeure de l'école fut de s'assurer, tout niveau « intermédiaire » pour les fabriques locales fut, dès le comme l'Owens Collège, le soutien des fabricants locaux. début, l'objectif principal de la nouvelle Manchester Tech­ Reynolds n'était pas moins habile que Roscoe dans l'approche nical School, qui naquit en 1879 des cendres de l'ancien Insti­ des grands industriels de la ville, et ses choix furent particu­ tut de mécanique. L'âme de cette métamorphose et la force lièrement judicieux et réussis. Il s'occupa tout spécialement de motrice de l'établissement durant les trente années qui suivi­ courtiser Oliver Heywood, un banquier dont le père .avait été rent fut John Henry Reynolds21, fils d'un bottier de Salford et administrateur de l'Owens Collège. Le recrutement de remarquable exemple d'autodidacte qui, à la fin de sa carrière, Heywood joua un rôle décisif dans la campagne destinée à devint directeur de l'enseignement supérieur pour la ville de assurer le soutien des fabricants; c'est par un après-midi Manchester (1902-1912) et doyen de la facultéde technologie ensoleillé de l'été 1882, dans le luxe verdoyant de la propriété de la Victoria University. de Heywood à Pendelton et en la compagnie prometteuse de Charles Swann, fabricant de coton, Thomas Ashton, Les objectifs de la Technical School furent illustrés par bienfaiteur d'Owens, William Mather et Philip Magnus, Reynolds lui-même grâce à l'opposition qu'il définit en 1887 secrétaire de la City and Guilds Institution venus spécialement entre deux des plus importantes écoles techniques de Londres, de Londres, que le projet définitif de création de la Manchester la Central Institution de South Kensington (fondée en 1872 Technical School fut rédigé. Le soir, Heywood se retrouvait par suite de la réunification du Royal Collège of Chemistry, où principal de la nouvelle école. A.W. Hofmann avait enseigné dans les années 1850, et de la Pour en revenir au problème essentiel des relations Royal School of Mines) et le Finsbury Technical Collège entre Owens et la Technical School, notons que les objectifs (1878). Le premier, notait-il, est prévu pour dispenser un définis par les deux établissements et le travail qui s'y «enseignement avancé... dans les types de connaissances qui accomplissait effectivement ne soulevèrent pas de difficultés concernent les différentes branches de l'industrie » et d'assu­ immédiates. Reynolds répétait avec force sa conception des rer l'instruction des diplômés qui deviendront « chefs de fabri­ différences entre les buts de son école et ceux du collège, et sur cation et directeur d'usines ». Finsbury, au contraire, tendait à la nécessité de maintenir ces différences afin de fournir les assurer une « formation préparatoire, scientifique et pratique, compétences et les formations variées nécessaires au progrès aux postes intermédiaires des établissements industriels » et à de l'industrie locale. Ainsi qu'il le suggérait lors de sa dispenser des cours aux apprentis et journeymen. L'Owens déposition de 1882 devant la commission Samuelson en Collège, selon Reynolds, remplissait déjà le rôle de là Central exposant un plan d'extension de l'enseignement technique Institution. Ce dont Manchester avait besoin à présent, c'était dans la région située autour de Manchester : d'une véritable école technique supérieure, et ce nouvel éta­ «Tout d'abord, il faut que l'Owens Collège soit le centre 22 blissement aurait les mêmes caractéristiques que Finsbury . de la technologie scientifique supérieure. Ensuite, il faut Le processus de réorganisation de l'ancien Institut de transformer la Manchester Mechanics' Institution en une mécanique en une véritable école technique supérieure école technique pour les régions du Lancashire et du Cheshire. commença immédiatement après la nomination de Reynolds Enfin, il faut promouvoir et agrandir les écoles ateliers exis­ au poste de secrétaire de l'école en 1879. Les classes du soir qui tant à Manchester. » Les commentaires du conseil d'administration sur les contexte local, la nécessité de soutenir la concurrence avec les expériences étrangères aideront peut-être à illustrer ses posi­ cours de l'Owens Collège, et les efforts de l'école pour attirer tions : en 1891, deux délégations furent nommées, l'une en ceux des élèves potentiels d'Owens qui voulaient entrer dans juillet et l'autre en octobre, afin de visiter les établissements l'industrie aboutirent également à élever le niveau de la for­ techniques du Continent et de rédiger un rapport sur leurs mation offerte. En outre, les projets de création de l'université étendue, caractéristiques, buts, équipements et résultats » ; la de Manchester, que soutenait plus que jamais l'Owens délégation visita vingt et une écoles lors de son premier Collège, prévoyaient la création d'une faculté de technologie voyage et trente-cinq lors du second. Dans les rapports finaux, et, dans les années 1890, le conseil de l'école commença à ces établissements étaient divisés en deux groupes : 1° les envisager la possibilité que son institut lui-même devienne écoles techniques supérieures, dont l'exemple le plus réussi cette faculté24. était l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich ; et 2° ce qui Mais, si importante qu'elle fût, cette recherche d'un sta­ était désigné comme «plus proprement, des Ecoles techni­ tut ne doit pas éclipser les autres circonstances qui affectèrent ques supérieures», tel l'Institut commercial supérieur de le renforcement scientifique de l'enseignement. La principale . Les secondes étaient le modèle approprié à l'école fut peut-être la complexité grandissante des connaissances de Manchester ; Zurich avait évidemment de grands mérites, technologiques et leur lien toujours plus étroit avec la recher­ mais seulement si on y apportait les modifications qui conve­ che scientifique. Ce fut particulièrement évident dans certains naient. Comme le notait le rapport officiel : domaines comme le génie électrique : l'étude des ondes élec­ « L'école idéale pour Manchester serait un équivalent de tromagnétiques se développa à partir des problèmes posés ce qu'on trouve... au Polytechnicum de Zurich, avec cette dif­ par les progrès de la téléphonie, par ceux des applications férence que, si l'enseignement scientifique de Zurich vise à industrielles de l'électricité et par ceux réalisés dans la produc­ donner la plus haute formation théorique, comme celui de tion et la transmission de l'énergie électrique. Et les progrès l'Owens Collège, le nôtre doit viser plus particulièrement ses furent simultanés dans les études théoriques et la pratique applications pratiques23. » technique. On a donc ici un nouvel énoncé des intentions du conseil Le cas du génie électrique peut aussi servir à illustrer les accompagné de remarques peu flatteuses sur les caractéristi­ conséquences du double processus que j'ai résumé : la préoc­ ques de l'enseignement à Owens. cupation grandissante, à l'Owens Collège, de former des Même dans cette circonstance, les déclarations officiel­ diplômés pour l'industrie, et la complexification croissante, à les ne correspondirent pas totalement à la pratique, et notam­ l'école de Reynolds, du niveau de formation technique. A ment à l'évolution de la structure de l'école dans les dernières Owens, un cours sur les « applications techniques de l'électri­ années du siècle. Tout d'abord, il n'est pas du tout évident que cité» fut d'abord proposé en 1881 aux étudiants du soir, grâce le niveau des cours de la Technical School ait été à ce point à l'initiative d', le nouveau professeur de inférieur à celui d'Owens. Si l'on se réfère de nouveau aux mathématiques appliquées. Ce cours fit ensuite partie de l'en- programmes, cette conclusion semble valable jusqu'en 1890. * seignement régulier du laboratoire de physique ; en 1896, une Mais au début de la décennie suivante, l'aspect théorique de la chaire fut créée dans cette matière, et peu après, le collège formation commença d'être élargi: l'école se consacra commença à délivrer des certificats de génie électrique. davantage à l'enseignement des mathématiques, de la En 1912 fut inauguré un département d'électrotechnique. physique et de la chimie, introduisit des manuels plus avancés Le génie électrique était également enseigné — comme et plus modernes, et renforça nettement le niveau de son partie de la formation en génie mécanique — à la Technical examen d'entrée. Elle améliora l'organisation des laboratoires School et, en 1880, on trouve jusqu'à 74 étudiants inscrits aux existants et en ajouta de nouveaux ; en 1892, par exemple, une cours du soir préparant à l'examen City and Guilds en télépho­ subvention spéciale de 1500 £ fut accordée par le Manchester nie. Un progrès décisif se fit en 1891 grâce à la subvention Technical Committee (sur lequel je reviendrai plus loin), afin mentionnée précédemment, qui permit de financer l'équipe­ de créer une section de génie électrique (la même année, ment d'un laboratoire d'électricité, lequel devint en 1905 un 3000 £ supplémentaires furent remises à l'école pour soutenir département séparé, dirigé par un ancien membre du person­ ses activités en expansion, alors qu'Owens n'en recevait que nel d'Owens, William W. Haldane Gee. Alors qu'il existe des 1000). Avec la réorganisation des laboratoires, l'accent se études sur le travail accompli à Owens, celui de la section de porta de plus en plus sur les travaux de recherche originaux, et génie électrique de la Technical School attend toujours un exa­ plus précisément sur les « études techniques destinées à favo­ men plus détaillé ; cette absence d'informations rend difficile riser le progrès des méthodes et des entreprises industriel­ la comparaison entre les deux établissements. Je proposerai à les». titre d'essai, l'hypothèse (que j'ai l'intention de vérifier plus Ces changements — il est important de le souligner — précisément lors d'une prochaine étape de mes recherches) ne modifièrent pas les caractéristiques originelles de l'école, ni que les recherches menées à Owens — par Charles H. Lee sur son orientation industrielle. C'est la qualité de l'enseignement la conductibilité calorique des isolants électriques, et par qui changea, suivant un processus de renforcement scientifi­ Joseph Petavel sur l'électrochimie, pour ne citer que deux que de l'enseignement et de l'organisation de la recherche exemples— étaient plus avancées dans ce collège qu'à la adaptée aux objectifs industriels. Les changements d'appel­ Technical School. Mais en ce qui concerne l'enseignement et lation de l'école sont en eux-mêmes le signe de ses change­ la formation des ingénieurs électriciens, les cours dispensés ments de statut : fondée en tant que Manchester Technical dans cette dernière atteignirent progressivement le même ni­ School, elle devint la Municipal School of Technology veau qu'à Owens. On peut en dire autant des autres cours en 1902, puis la Faculty of Technology de la Victoria Univer­ techniques offerts par les deux établissements, comme le sity en 1904 et finalement l'University of Manchester Insti- génie mécanique, la chimie appliquée et la métallurgie. tute of Science and Technology en 1956 — l'addition du terme Dans les dix dernières années du XIXe siècle, ce recou­ «science» se passant de commentaires. vrement devint de plus en plus évident, malgré les déclara­ Que dire des raisons de ce processus de renforcement tions officielles de forme qui continuaient à affirmer, pour scientifique de l'enseignement technologique ? Les efforts de Owens, l'engagement par rapport à la science et à la recherche la Manchester Technical School pour accroître son prestige expérimentale et, pour la Technical School, l'engagement par universitaire au sein du système éducatif furent un facteur rapport aux applications industrielles. Le cœur du problème important de son évolution, comme pour les autres établis­ était théorique et concernait les rapports entre la science et la sements du même type, y compris sur le Continent. Dans le technologie ; mais, dans le contexte de Manchester, il était » Pi

ri Owens Collège. 1890 (by kind permission of the John Rylands Library of t University of Manchester). aussi — et même avant tout — pratique. Avec le pragmatisme feste d'Owens à perdre, au moins en principe, des si caractéristique de Manchester, on l'abordait comme un perspectives attirantes d'emploi pour ses diplômés et à relâ­ problème d'organisation, comme une tentative faite pour cher ses contacts avec l'industrie locale, il y avait une difficulté définir et consacrer une division claire des tâches entre intrinsèque à tracer une démarcation entre science, sciences l'Owens Collège et la Technical School. appliquées et technologie. Où le travail d'Owens devait-il s'ar­ En 1890 apparut un intermédiaire qui joua un rôle déci­ rêter et où celui de la Technical School devait -il commencer ? sif dans cette affaire et dans le développement ultérieur de En fait, la coordination ne se fit jamais, du moins au plan l'enseignement technique à Manchester ; cette année-là, en de la distinction des rôles, même en 1905, lorsque, après des effet, le conseil municipal de la ville créa une «Commission de négociations houleuses et compliquées, la Technical School l'instruction technique » afin de recenser les moyens existants fut admise dans la sphère de l'University of Manchester. Un et de concevoir un système plus complet et plus rationnel changement des plus significatifs se produisit, du côté d'enseignement et de répartition des crédits débloqués par les d'Owens, dans le laboratoire de physique ; depuis vingt ans, ce lois de 1889 et 1890 (cette dernière concernait ce qui fut laboratoire, dirigé par Schuster, était la concrétisation exem­ appelé l'« argent du whisky»). Une sous-commission fut spé­ plaire des idéaux de Roscoe sur l'équilibre et les interactions cialement chargée d'organiser l'enseignement supérieur, avec entre science pure et science appliquée. Mais lorsque Schuster pour priorité absolue de trouver une solution au problème démissionna et que Rutherford prit en 1907 la direction du brûlant des rapports entre l'Owens Collège et la Technical laboratoire, l'activité se déplaça de façon spectaculaire vers la School, sur la base de leur « diversité naturelle ». Selon les déli­ recherche scientifique pure, avec toutes les conséquences bérations de cette sous-commission : qu'on sait. Cependant, à l'époque, la formation des ingénieurs « Le principal objet de la Municipal Technical School est électriciens avait déjà été confiée à un département séparé. Et d'apporter un enseignement dans les principes des sciences Owens, en électricité comme dans les autres disciplines, conti­ qui influencent directement ou indirectement notre nua à produire des « ingénieurs », même s'ils avaient le titre commerce et notre industrie, et de montrer, par des travaux officiel de bacheliers — ou de docteurs — ès sciences. expérimentaux, comment on peut appliquer ces principes en vue d'assurer leur progrès. STATUT ET UTILITÉ. « Le but de l'école est distinct de celui du collège universi­ L'accès de la Technical School au statut d'université fit taire d'Owens, dans la mesure où elle est conçue pour ensei­ partie d'un processus plus général auquel participèrent d'au­ gner les sciences uniquement en vue de leurs applications tres établissements. Comme je l'ai dit dans la première partie industrielles et commerciales, et non dans le but de former des de cet article, à la fin du siècle, le Royal Collège of Technology hommes de science professionnels25. » de Salford visait les mêmes objectifs que ceux prévus dans les On n'aurait pu spécifier les tâches de façon plus précise, projets initiaux de la Manchester Technical School, c'est-à- mais la commission ne tarda pas à se rendre compte que les dire la formation du personnel industriel de «niveau inter­ diversités étaient tout sauf naturelles, en pratique comme en médiaire ». Et en fait, la création, puis l'expansion de cet éta­ théorie. Même en faisant abstraction de la résistance mani- blissement servirent de prétexte supplémentaire au conseil

^ Usine du Bourget, atelier d'apprentissage 2* et 39 année. Fonds CEM. d'administration de la Technical School pour demander à faites, non seulement du côté de l'enseignement, mais encore progresser dans la hiérarchie du système éducatif. Comme il dans un domaine qui, pour l'instant, n'est guère fréquenté et fut observé bien des années après, lors d'une rétrospective de demanderait une exploration plus poussée : celui de la strati­ l'histoire de l'école : « Depuis les lois sur l'enseignement tech­ fication du personnel technique de l'industrie. nique d'il y a trente ans, la création d'écoles techniques locales dans toute la province de Manchester a donné de plus en plus Notes. d'importance au fait que ce collège central doit se concentrer sur les études purement scientifiques et abstraites qu'il est le 1. Cet article est issu de la première partie d'un programme de recher­ seul en mesure d'entreprendre... tout en laissant aux nom­ che sur les rapports entre l'enseignement et la recherche scientifiques et les breux autres établissements moins coûteux le devoir d'assurer résultats de l'industrie en Europe depuis 1850 environ, programme lancé en les types d'enseignements moins avancés auquel le collège octobre 1982 par le Dr Robert Fox à l'université de Lancaster, avec le soutien pourrait être incapable de pourvoir étant donné l'augmenta­ du Joint SERC/SSRC Committee. 2. Parmi ces facteurs, mentionnons brièvement: la difficulté de tion de ses travaux avancés. changer les systèmes de production en place et d'introduire des technologies «L'accroissement progressif des cours techniques supé­ nouvelles, le fait que les entrepreneurs britanniques se reposaient sur l'abon­ rieurs à temps plein dans certaines grandes écoles du district, dance des matières premières —notamment du combustible— ce qui les notamment le Royal Technical Institute de Salford, a, durant amena à négliger les problèmes de rentabilité, et les caractéristiques du les vingt dernières années, justifié le même progrès dans le régime britannique des brevets. 3. La Victoria University fut fondée en 1880 au titre d'Université Fédé­ contenu des cours du jour à temps plein, assurés par le rale du Nord-Ouest de l'Angleterre. L'Owens Collège fut le premier collège 26 Manchester Collège . » incorporé au nouvel établissement et resta le seul jusqu'en 1884, date à Bien sûr, selon les documents officiels d'Owens et de la laquelle l'University Collège of Liverpool en devint le deuxième élément, Technical School, l'une des raisons majeures de ce processus suivi par le Yorkshire Collège de Leeds en 1887. La création de cette nouvelle de renforcement scientifique fut la demande croissante de l'in­ université, la cinquième du pays après Oxford, Cambridge, Londres et dustrie qui exigeait des techniciens et des ingénieurs plus qua­ Durham, fut essentiellement le produit de la lutte incessante pour l'auto­ nomie de l'enseignement supérieur dans les villes de province, lutte menée lifiés ainsi qu'une recherche appliquée plus avancée. Mais vu par le personnel de l'Owens Collège et ceux qui le soutenaient. Cependant, les éléments dont nous disposons, nous estimons qu'à l'épo­ pour vaincre la résistance de la section du monde universitaire traditionnel que cette raison ne fut pas décisive. A l'exception d'un groupe qui s'opposait à une éventuelle « prolifération » des universités de province, il limité d'entrepreneurs éclairés, la majorité des industriels fallut accepter un compromis, d'où la structure fédérale. Cette solution ne locaux restaient très sceptiques sur la production des écoles satisfit évidemment pas les ambitions de l'Owens Collège, et la machine lan­ techniques supérieures et préféraient recruter non seulement cée pour créer une université de Manchester séparée et indépendante conserva son élan. Finalement en 1903, une charte autorisa la création de la leurs ouvriers qualifiés, mais aussi leur personnel de haut Victoria University of Manchester. niveau en fonction de leur expérience pratique. Quel était 4. La liste des premiers administrateurs nommés à vie par John Owens alors le bagage de ceux qui occupaient des fonctions intermé­ donne une idée du soutien que le collège reçut dans ses premiers jours. Elle diaires dans l'industrie —contremaîtres, personnel des comprenait en effet sept marchands, deux fabricants, deux imprimeurs sur bureaux d'étude, ingénieurs et chimistes — et qui, de ces posi­ calicot, deux ingénieurs, un filateur, un éditeur de journaux, un médecin, un tions, parvenaient souvent aux niveaux supérieurs de direc­ banquier, un pasteur, un avocat et un avoué. tion ? 5. L'influence prépondérante du modèle de culture traditionnel est illustrée par le commentaire suivant que firent les administrateurs en énon­ Il faut tout d'abord remarquer que le processus de ren­ çant le projet général (daté de janvier 1849) : « Dans une région où l'esprit et forcement scientifique ne modifia que partiellement la struc­ les efforts des hommes sont essentiellement tournés vers des activités ture des cours du soir et que, si l'Owens Collège diminua consi­ commerciales, il semble particulièrement souhaitable de choisir, comme ins­ dérablement le nombre de ces cours en 1880, la Technical trument de formation de l'esprit, une matière qui, étant générale dans sa School continua d'en faire l'élément essentiel de son enseigne­ nature et éloignée des préoccupations particulières et journalières de l'indi­ vidu, contrecarre sa tendance à limiter l'application de ses facultés mentales ment. Et, malgré les critiques grandissantes contre ce système, et, finalement, son pouvoir d'appliquer ces facultés.» (Cité dans les cours du soir associés à l'apprentissage continuèrent jus­ H.B. Charlton, Portrait of a University, 1851-1951, Manchester, 1951.) 27 qu'en 1930 à produire l'essentiel des ingénieurs . L'autre 6. La première année (1851-1852), le nombre des étudiants aux cours mode très caractéristique de formation du personnel intermé­ du jour fut de 62, mais cinq ans plus tard, le collège menaça de fermer, n'ayant diaire était le réseau d'école internes aux entreprises telles que plus que 33 élèves. Le tableau ci-dessous indique l'accroissement du nombre celles de Mather & Platt à Salford, du Great Northern d'étudiants aux cours du jour (littéraires et scientifiques) durant les années suivantes : Railway, de Howard et Bullough à Accrington et de Vickers à Trafford Park. Le cas de Mather & Platt est particulièrement 1860-61: 69 1890-91: 490 intéressant. Mather fut l'un des plus actifs défenseurs de 1870-71: 264 1900-01: 672 l'Owens Collège et de la Manchester Technical School, où il 1880-81: 417 1910-11: 1120 recrutait ses diplômés. Pourtant, en 1873, il créa une école 7. H.E. Roscoe, Record oftbe Work done in tbe Chemical Department destinée à préparer les apprentis de son usine aux examens of tbe Owens Collège, 1857-1887, Londres, 1887, p. 2. «Science and Arts », école qui subsista jusqu'en 1905. Ensuite, 8. Parmi eux, F. Watson Smith (professeur de chimie technologique), Mather estima sans doute que le système d'enseignement T.E. Thorpe et Julius Cohen (chimie organique). 9. Que ce fût parce que Reynolds n'avait pas le charisme de Roscoe ou technique secondaire en plein développement rendait son parce que, peu après, la Manchester Technical School commença à attirer les école superflue. Pourtant, fait significatif, elle rouvrit en 1916 futurs ingénieurs mécaniciens, ce département n'atteignit jamais les dimen­ et fut maintenue jusqu'en 1969. sions ni l'importance de celui de chimie. Lorsqu'il fut créé en 1868, 26 étu­ Quelle conclusion peut-on tirer de ce fait ? La plus évi­ diants à temps complet s'y inscrivirent (52 aux cours du soir) ; ce nombre dente est que les établissements de la ville ne produisaient pas passa à 49 en 1875-76 (74 pour les cours du soir), puis oscilla entre 40 et 50 dans les années 1880. En 1899-1900, il comptait 67 étudiants. — ou en tout cas pas assez— de techniciens possédant le 10. Le plus éminent «produit» de ces cours pour ingénieurs mécani­ niveau plus spécifiquement demandé par l'industrie, et ce ciens fut Joseph J. Thomson, qui obtint son certificat en 1874. Ce qu'il dit de point fut constamment soulevé par la communauté des entre­ la façon dont il se retrouva élève à Owens est significatif de l'approche que les preneurs locaux. La brèche ouverte par l'évolution de la jeunes et leurs parents avaient du nouveau collège : Manchester Technical School rendit cette faille plus explicite « C'est par pur accident que je suis devenu physicien ; il était prévu que je encore. Mais la question de savoir ce que voulait vraiment serais ingénieur. A l'époque, le seul moyen d'entrer dans cette profession était dire, pour l'industrie et pour les établissements d'enseigne1 de faire son apprentissage dans une entreprise d'ingénieurs, en payant une prime considérable pour le privilège. Je devais être pris chez Sharp-Stewart ment, l'expression « personnel technique de niveau intermé­ & Co, qui avaient une excellente réputation comme constructeurs de locomo­ diaire » reste ouverte. Et il faudrait que d'autres études soient tives, mais ils dirent à mon père qu'il y avait une longue liste d'attente et qu'il se passerait un certain temps avant que je puisse commencer à travailler. Mon Ecole fédérale polytechnique de Zurich (1890-1891): 622 étudiants père mentionna par hasard ce fait devant un ami qui lui dit : "Si j'étais toi, au réguliers : lieu de laisser le garçon à l'école, je l'enverrais en attendant à l'Owens Architecture 34 (19 Suisses, 15 étrangers) Collège : c'est sûrement un assez bon endroit, car le jeune John Hopkinson, Génie 167 (60 Suisses, 107 étrangers) qui vient de sortir premier en mathématiques de Cambridge, y a fait ses Technologie mécanique 180 (77 Suisses, 103 étrangers) études." Mon père suivit ce conseil, et j'entrai au collège.» (JJ. Thomson, Technologie chimique 147 (54 Suisses, 93 étrangers) Reflections and Recollections, Londres, 1936). Eaux et forêts 19 (16 Suisses, 3 étrangers) L'histoire voulut que le père de Thomson décédât alors que son fils ache­ Agriculture 41 (28 Suisses, 13 étrangers) vait sa seconde année, de sorte que celui-ci n'eut pas les moyens de payer la Professeurs techniques 34 (25 Suisses, 9 étrangers). prime élevée demandée pour son apprentissage. Il resta donc au collège une Quant aux autres établissements anglais, les chiffres publiés par la année de plus à étudier les mathématiques en vue de préparer un examen National Association for the Promotion of Technical and Secondary Educa­ d'entrée au Trinity Collège de Cambridge ; ainsi avorta une carrière d'ingé­ tion (Technical Education in England and Wales, Londres, 1889) indiquent nieur. qu'à la session du printemps 1889, le nombre des étudiants réguliers inscrits à 11. Nombre des certificats d'ingénieurs accordés à Owens entre 1871 et la Central Institution de South Kensington à Londres était de 77. La même 1905: année, 169 étudiants réguliers fréquentaient les cours d'un autre établis­ 1871-1879: 18 1890-1899 : 56 sement londonien, le Finsbury Technical Collège, où ils se répartissaient en 1880-1889: 26 1900-1905: 45 trois départements : 12. La philosophie d'Owens est également bien illustrée par les décla­ Mécanique 44 rations des membres de son personnel sur les établissements techniques Electricité 86 supérieurs de l'étranger. En 1868, J.G. Greenwood (principal du collège) et Chimie 39 Roscoe visitèrent quelques-unes des principales écoles techniques suisses et 24. En 1901, l'accès de l'école au statut d'université et la réorganisation allemandes « afin de se rendre compte des directions dans lesquelles l'ensei­ de sa structure interne furent examinés en détail par une commission spéciale gnement supérieur pourrait le mieux promouvoir les intérêts des grandes «strictement privée et confidentielle» qui rédigea divers documents dont le entreprises de fabrication du distria». Leur rapport témoigna de l'admira­ «Rapport sur la nécessité d'une organisation nouvelle et efficace de la tion habituelle pour l'organisation et l'efficacité du système éducatif alle­ nouvelle Municipal Technical School, avec recommandations à l'appui». mand, et les laboratoires de chimie de Liebig et de Bunsen servirent de modè­ Concernant le personnel enseignant, il était par exemple suggéré que «pour les à la réorganisation du département de chimie du collège. Toutefois, ce qu'il en est au moins des chefs de département, ceux-ci doivent être des Greenwood et Roscoe déclarèrent explicitement qu'ils n'avaient pas l'inten­ hommes qui, par leur savoir, leur expérience technique et leurs capacités tion de suivre l'exemple de ces établissements dans le domaine de la sépara­ d'enseignants, s'attirent le respect et la sympathie des employeurs et direc­ tion entre universités et écoles polytechniques, et critiquèrent ce qu'ils consi­ teurs des entreprises concernées par l'école... En outre, le statut du personnel déraient comme une tendance à négliger les aspects éducatifs de la science. doit être tel qu'il place celui-ci à égalité avec des hommes occupant des posi­ 13. Cité dans Robert H. Kargon, Science m Victorian Manchester tions similaires dans les collèges universitaires ». (Manchester, 1977), p. 181. 25. Report oftbe Sub-Committee for tbe Management oftbe Municipal 14. British Association Reports, 1884, p. 668. Pour en revenir aux Technical School du Manchester Technical Instruction Committee, commentaires du personnel d'Owens à propos de l'enseignement technique Manchester, juillet 1892, p. 16-17. dispensé sur le Continent, l'aspect que Roscoe critiquait le plus dans l'ensei­ 26. Mémorandum on tbe next ten years oftbe Future oftbe Collège of gnement de chimie des écoles étangères —et notamment allemandes — Technology, Manchester Collège of Technology, 1919, p. 11. c'était la spécialisation. Par contre, lorsqu'il insistait sur la recherche et l'orga­ 27. En 1919-1920, par exemple, il y avait au Collège of Technology nisation des laboratoires, il puisait profondément ses racines dans son expé­ 4887 étudiants inscrits aux cours du soir et 563 étudiants à temps plein. rience chez Bunsen. 15. Second rapport de la Royal Commission on Technical Institution, vol. I, Londres 1884, p. 439. 16. Roscoe, op. cit. note 7, p. 19-20. 17. W.H. Perkin Jr., The Progress ofOrganic Cbemistry. Discours pro­ noncé lors de l'inauguration du département de lettres, sciences et droit de l'Owens Collège en 1893-1894. W.H. Perkin Jr., fils aîné de W.H. Perkin, l'homme qui découvrit la mauvéine, le premier colorant synthétique, étudia au Royal Collège of Chemistry de Londres et à l'université de Munich. L'Owens Collège réussit à attirer cet éminent spécialiste formé à l'extérieur pour la chaire précédemment occupée par Schorlemmer. 18. A part les anciens étudiants précédemment cités qui s'intégrèrent au personnel du collège, signalons Arthur Smithells, qui fut nommé profes­ seur de chimie au Yorkshire Collège de Leeds ; G. Dyson, engagé à la Normal School of Science de South Kensington ; et Ernest Bentz et H. Lloyd Snape, nommés à la Manchester Technical School, pour ne citer que quelques noms. Le laboratoire de physique, dirigé par Schuster, fut lui aussi une pépinière de chercheurs professeurs d'universités ; citons encore quelques noms seule­ ment : William Haldane Gee, professeur de physique pure et appliquée à la Manchester Technical School, Charles H. Lees, directeur adjoint des labora­ toires de physique à l'université de Manchester, et Robert S. Hutton.

19. PJ.HaitogyTbeOwensG)llege,Mancbester:ABrUfHhtoryoftbe Collège and Description of Us Varions Departments (Manchester, 1900). 20. G. Wilson, «The Engineering Department, Owens Collège, Manchester», in Public Works, vol. III, n° 1, p. 32-42. 21. Sur John Henry Reynolds, voir J.D. Marshall, «John Henry Reynolds : Pioneer of Technical Education in Manchester», in Tbe Vocational Aspect, automne 1964, vol. XVI, n° 35, p. 176-196. 22. J.H. Reynolds, «Technical Education», article lu à la Manchester Statistical Society le 25 mai 1887. 23. «Technical Instruction Committee of the City Council, Report of a Visit to Educational Institutions and Schools on the Continent », Manchester, 1891. Dans ce rapport et les suivants figuraient des chiffres sur la situation de l'enseignement technique à l'étranger : Collège royal technique de Charlottemburg (1889-1900): 1043 étu­ diants réguliers : Architecture 208 Génie appliqué aux structures 210 Génie mécanique 358 Construction navale 142 Chimie et métallurgie 145