Edmund Husserl L Origine De La Geometrie DERRIDA
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EDMUND HUSSERL L’ORIGINE DE LA GfiOMfiTRIE TRADUCTION ET INTRODUCTION PAR JACQUES DERRIDA PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE Avertissement Le texte dont nous proposons id la traduction a etc public pour la premiere fois, dans son integralite originate, par Walter Biemel, dans le volume VI des Husserliana « Die Krisis der europ&ischen Wissenschaften und die transzendentale Phanomenologie, Eiue Einleitung in die phdnomenologjscbe Philosophic » (M. Nijhoff, ha Haye, 1954). IIy est elassi comme texte annexe «° III (pp. 365-386) allparagraphe de la « Krisis... » consacri a Ian geometric pure » (II* Partie, § 9 a, pp. 21-25). C’est a cette edition critique que nous nous sommes reports dans notre traduction. Le manuscrit original date de 1936. Sa transcription dactylograpbique ne porte aucun litre. Auteur de cette transcription, Eugen Fink en a egalement public une version elaboree dans la Revue internationale de Philosophic (n° 2,15 Janvier 1939, pp. 203-225), sous le litre « Die Frage nach dem Ursprung der Geometric als intentional- historisches Problem. » Depuis, c'est sous cette forme que le texte a etc luet frequemment dti. Son histoire, au moins, lui conferait done dija un certain droit a 1'independence. Nous remerdons le R. P. H. L. Van Breda et I'editeur M. M. Nijhoff d’avoir bien voulu nous autoriser a presenter la traduction sdparee de ce texte. ISBN 978-2-13-057916-8 ISSN 0768-0708 Depot legal - lre edition : 1962 6' Edition : 2010, janvier Pour le texte de E. Husserl: © 1954, M. Nijhoff, La Haye (Tous droits reserves) Pour 1’introduccion, la traduction et les notes : © 1962, Presses Universitaires de France 6, avenue Reille, 75014 Paris INTRODUCTION Par sa date et par ses themes, cette meditation de Husserl appar- tient au dernier groupe d’^crits rassembles autour de Die Krisis der europaischen Wissenschaften und die trans^endentale Phdnomenologie (i). Elle y est fortement enracin^e et, dans cette mesure, son originality risque de n’^tre pas immddiatement apparente. Si L’Origine de la Geomitrie se distingue de la Krisis..., ce n’est pas en vertu de la nou- veaute de ses descriptions. Presque tous les motifs en sont d6j4 pre¬ sents dans d’autres recherches, qu’elles lui soient largement ante- rieures ou a peu pr£s contemporaines. II s’agit en effet, ici encore, du statut des objets ideaux de la science — dont la geometric est un exemple —, de leur production par actes d’identifkation du « mime », de la constitution de l’exactitude par idealisation et passage 4 la limite & partir des materiaux sensibles, finis et prescientifiques du monde de la vie. II s’agit ici encore des conditions de possibility, solidaires et concretes, de ces objets ideaux le langage, l’inter- subjectivite, le monde, comme unite d’un sol et d’un horizon. Enfin, les techniques de la description phenomenologique, notam- ment celle des diverses reductions, sont toujours mises en oeuvre. Moins que jamais leur validity et leur fecondite ne paraissent entamees aux yeux de Husserl. Au premier abord, UOrigine de la Geometrie ne se distingue pas davantage par le double faisceau de critiques qu’on y voit dirigees, (i) Husserliana, Band VI, Herausgegeben von Walter Biemel, M. Nijhoff, La Haye, 1954. Nous !a d£signerons en reference par la lettre K. 4 L’ORIGINE DE LA GEOMETRIE d’une part contrc une certaine irresponsabilitd techniciste et objec- tiviste dans la pratique de la science et de la philosophic; d’autre part, contre un historicisme aveugle par le culte empiriste du fait et la presomption causaliste. Les premieres critiques etaient au point de depart de Logiqut formelle et logique transcendantale, des Medita¬ tions cartesiennes et de la Krisis... Les secondes etaient apparues beau- coup plus tot, dans les Recherches logiqnes, dans La philosophic comm science rigoureuse dont ellcs etaient la preoccupation essentielle, et dans les Idees... I. La reduction, sinon la condamnation, du gdndtisme historiciste a toujours dte solidaire de celle du psychogenetisme; et quand une certaine historicite est devenue thdme pour la phenomd- nologie, malgre le prix de bien des difficultes, il ne sera jamais ques¬ tion de revenir sur ce procds. Mais jamais les deux ddnonciations de l’historicisme et de l’objec- tivisme n’avaient etd si organiquement unies que dans UOrigine de la Giomitrie, ou elles precedent d’un meme elan et s’entralnent mutuel- lement tout au long d’un itindraire dont 1’allure est parfois ddconcer- tante (i). Or la singularite de notre texte tient a ce que la conjonction de deux refus classiques et eprouves suscite un dessein inddit mettre au jour, d’une part, un nouveau type ou une nouvelle pro- fondeur de l’historicite, et ddterminer d’autre part, corrdlativement, les instruments nouveaux et la direction originate de la reflexion historique. L’historicite des objectitds iddales, c’est-a-dire leur origine et leur tradition — au sens ambigu de ce mot qui enveloppe & la fois le mouvement de la transmission et la perdurance de l’hdritage — obeit a des rdgles insolites, qui ne sont ni celles des enchainements factices de l’histoire empirique, ni celles d’un enrichissement iddal (i) Ces pages de Husserl, d’abord terites pour soi, ont en effet le rytluae d’une pensie qui se cherche plutot qu’elle ne s’expose. Mais ici la discontinuity apparente tient aussi a une m£thode toujours regressive, qui choisit ses interruptions et multiplie les retours vers son commencement pour le ressaisir cheque fois dans une lumiire rtcurrente. INTRODUCTION 5 et anhistoriquc. La naissance et le devenir de la science doivent done etre accessibles a une intuition historique d’un style inoul, ou la reactivation intentionnelle du sens devrait precider et condi- tionner — en droit — la determination empirique du fait. Dans leur irreductible originalite, l’historiciti de la science et la reflexion qu’elle appelle, la Geschichtlichkeit et YHistorie (i), ont des conditions aprioriques communes. Aux yeux de Husserl, leur devoilement est principiellement possible et devrait nous amener a reconsiderer dans leur plus large extension les problemes de I’histo- riciti universclle. Autrement dit, la possibility de quelque chose comme une histoire de la science impose une relecture et un rivcil du « sens » de l’histoire en general : son sens phenomenologique se confondra en derniere instance avec son sens teleologique. De ces possibility de principe, Husserl tente de faire ici I’epreuve singuliere — a propos de la geometrie — et d’y dichiflrer la pres¬ cription d’une tache generale. Comme la plupart des textes husser- liens, UOrigine de la Geometrie a une valeur a la fois programma- tique et cxemplaire. La lecture doit done en etre marquie par cette conscience d’exemple propre a toute attention iidetique, et se regler sur le pole de cette tache infinie 4 partir de laquelle seule une phenominologie peut ouvrir son chemin. Dans l’introduction que nous allons maintenant tenter, notre seule ambition sera de reconnaltre et de situer, en ce texte, une itape de la pensie husser- lienne, avec ses presuppositions et son inachivement propres. Ultime en fait, ce moment du radicalisme husserlien ne l’est peut- itre pas en droit. Husserl semble en convenir & plusieurs reprises. C’est done de son intention mime que nous essaierons toujours de nous inspirer, lors meme que nous nous attacherons £ certaines difficultis. (i) Dans notre traduction, nous ne signalerons entre parentheses la distinction entre Historic et Geschichte que lorsqu’elle ripond k une intention explidte de Husserl, ce qui u'est pas, il s’en taut, toujours le cas. 6 L’ORIGINE DE LA GEOMETRIE I L’objet mathematique semble etre 1’exemple privilygiy et le fil conducteur le plus permanent de la reflexion husserlienne. C’est que l’objet mathematique est ideal. Son etre s’ypuise et transparalt de part en part dans sa phdnomenalite. Absolument objectif, c’est-a-dire totalement delivre de la subjectivity empirique, il n’est pourtant que ce qu’il apparalt. II est done toujours d£ja reduit k son sens phenomenal et son etre est d'entr^e de jeu Stre-objet pour une conscience pure (i). La Philosophic der Arithmetik, premiere oeuvre importante de Husserl, aurait pu s’intituler LOrigine de l'Arithmitique. II s’agissait d€)k, comme dans L’Origine de la Glomitrit, malgrd une inflexion psychologiste dont on a souvent et justement souligni l’originality (2), de r^activer le sens originaire des unites id^ales de l’arithmetique par un retour aux structures de la perception et aux actes d’une subjec¬ tivity concrete. Husserl se proposait d£]k de rendre compte h la fois de l’idyality normative du nombre — qui n’est jamais un fait empi¬ rique accessible a une histoire de meme style — et de sa fondation dans et par l’acte vycu d’une production (3). La genise de l’arithmy* (r) Sur la question tie savoir si l’objet mathematique est, pour Husserl, le rnodOle de la constitution de tout objet, et sur les consequences d’une telle hypo these, cf, la discussion a laquelle ont participt W. Biemel, E. Fink et R. Ingarden, & la suite dc la conference de W. Biemei. sur « Ees phases decisives dans le developpement de la philosophic de Husserl », in Husserl (Cahiers de Royaumont, 1950), pp. 63-71- (2) Cf. en particular W. Biemel, ibid., pp. 35 sq. Malgre sa s£v£rit£ pour cette tendance psychologiste, Husserl n'a cessc de se referer & son premier livre, en particular dans la Logiqite formelle et transcendantale. (3) « Les tiombres sont des creations de I’esprit, dans la mesure oil its constituent des resultats d'activites que nous exerfons d I'egard de contenus concrete ; mats ce que crient ces activites, ce ne sont pas de nouveaux contenus absolus, que nous pourrions retrouver ensuite quelque part dans I'espace ou dans le < monde extirieur > ; ce sont proprement des concepts de relation, qui ne peuvent jamais qu'ttre produits, mais d'aucune fafon trouvis quelque part tout faits.