Tigran Piano, Vocals Areni Vocals Sam Minaie Double Bass Charles Altura Guitar Arthur Hnatek Drums
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Jazz & beyond / iPhil Mercredi / Mittwoch / Wednesday 09.10.2013 20:00 Grand Auditorium «Shadow Theater» Tigran piano, vocals Areni vocals Sam Minaie double bass Charles Altura guitar Arthur Hnatek drums ~85’ sans entracte / ohne Pause Ombres et lumières Tigran: Shadow Theater Philippe Gonin «Je n’aime pas mettre ma musique dans une boîte…» Et, de fait, Tigran Hamasyan est à proprement parler inclassable. Impressionnant des pointures tel Chick Corea alors qu’il a à peine une douzaine d’annnées, adoubé par Stéphane Kochoyan qui le présente à la communauté jazz du monde entier, Tigran Hamasyan est ce que l’on appelle un prodige. Nourri au jazz par son oncle, initié au rock par son père – il a transcrit «Stairway to Heaven» de ses idoles Led Zeppelin au piano –, pétri des musiques et légendes de sa terre natale, il est un musicien d’une grande sensibilité, au toucher tour à tour cristallin ou empli de cette énergie qui, avoue-t-il, l’a toujours fasciné dans le rock. Il n’a pas vingt ans lorsque paraît son premier album: «World Passion» (2006). Le quartet, alors composé de Ben Wendel (saxophone), François Moutin (contrebasse) et Ari Hoenig (batterie) voit déjà se joindre à lui Rouben Harutyunyan au duduk (flûte à bec à huit trous, sept devant et un sur l’arrière) et à la zurna (flûte à anche double se terminant par une perce conique). Cette imprégnation, cette fusion entre une musique devenue savante (le jazz) et une expression traditionnelle (la musique arménienne) devient l’une des marques de fabrique de sa musique. «New Era» enregistré en trio en 2007 avec François Moutin (contrebasse) et Louis Moutin (batterie), auxquels se joint pour deux titres, comme dans «World Passion», un joueur de duduk, en l’occurrence Vardan Grigoryan, poursuit le chemin entamé par son prédécesseur. De cet album, Bob Hatteau écrit que «nourris d’influences variées, les thèmes du pianiste ont des points communs avec ceux des boppers: ils sont courts et rythmiques. Dans l’ensemble, les motifs mélodiques sont 2 Tigran (photo: Vahan Stepanyan) réussis («Leaving Paris») et les influences arméniennes ajoutent une touche piquante («Gypsyology»)». Et d’ajouter que «sorti pendant son ‹exil› en Californie, «New Era» est empreint d’une nostalgie saine («Forgotten World»): le passé est présent, mais sans vains regrets». «Red Hail» (2009, avec un groupe nommé Aratta Rebirth) vient, sinon brouiller les pistes, du moins faire la démonstration que Tigran sait emprunter des chemins différents. C’est la voix d’Areni Agbabian (chanteuse venant du monde classique mais connaissant à la perfection le répertoire traditionnel arménien, formidable sur «Sogher Jan (Dear Sogher)» ouvrant l’album) qui marque ici de son empreinte la musique du pianiste. Il explore également l’univers saturé d’une musique plus proche du rock, voire du métal: «Red Hail» peut, par instants, évoquer King Crimson, notamment dans «The Glass- 3 Hearted Queen». «A Fable» (2011) vient confirmer que l’univers d’Hamasyan est un monde éclectique. Quatre albums, quatre univers allant du trio jazz ‹classique› à la musique populaire en passant par des accents rocks et, pourtant, au fil des écoutes, une grande cohérence qui émerge de cette musique au centre de laquelle se place sans conteste l’Arménie natale, source de toute une écriture qui irradie l’œuvre entière. «L’Arménie est une source d’inspiration pour moi. Une grande partie de cette inspiration vient de là. C’est vraiment une part importante de moi. Ma musique est très influencée par la mu- sique populaire mais aussi par la culture populaire arménienne, la littérature, l’architecture…» Musique parfois extrêmement complexe (les rythmes des danses peuvent être en mesures irrégulières), la musique traditionnelle arménienne est un mélange de musique folklorique et de musique sacrée. L’un des instruments emblématiques en est le duduk (ou doudouk). Essentiellement modale (on compte huit modes différents dans le chant arménien), cette tradition musicale est sans cesse présente dans la musique de Tigran, que ce soit en relisant des chants ou danses folkloriques ou bien en composant des pièces aux saveurs modales qui, parfois, rappellent Bartók, voire Moussorgski. L’Arménie imprègne non seulement les harmonies, les mélodies ou la poésie sous- jacente de la musique de Tigran mais aussi son timbre. «Pour les arrangements que j’ai réalisés pour «Zada es» et «Aparani par», explique Hamasyan dans les notes de pochette de «New Era», je voulais avoir un son arménien authentique en ayant un musicien folklorique arménien jouant l’instrument lead en lieu et place d’un sax ou d’une guitare mais j’avais besoin de quelqu’un qui puisse improviser également. Quand j’ai imaginé cela, la seule personne qui me soit venue à l’esprit fut Vartan (Vardan) [Grigoryan] parce qu’il est l’un des plus étonnants improvisateurs au Duduk et à la Zurna.» (Ma traduction. On ne peut que conseiller d’aller écouter de toute urgence le magnifique album de Grigoryan «In the Shadow of the Song».) En résumé, «chacun de nous doit se rappeler d’où il vient pour conserver ses traditions, parce que ce qui fait que le monde est 4 Tigran beau, c’est la diversité entre les traditions des différentes cul- tures.» Et si Hamasyan sait se souvenir de son Arménie natale, il n’oublie pas non plus ce qui a forgé son identité: le jazz. 5 Tigran L’univers du jazz Si ses héros en jazz se nomment Bud Powell, Art Tatum ou Herbie Hancock, Monk semble jouer un rôle particulier dans l’univers de Tigran. Est-ce parce qu’il reçut – parmi les multiples 6 récompenses qu’il a déjà engrangées – un premier prix à la Thelonious Monk Jazz Competition qui lui ouvrit les portes de l’University of Southern California de Los Angeles? Quoiqu’il en soit, un spectateur avisé soulignera que lorsque le héros du clip vidéo de «Road Song» (dernier single en date à l’heure où j’écris) fait ses bagages, il emporte avec lui – référence fortement soulignée – un seul album: «Thelonious Monk Orchestra at Town Hall» (les fidèles de la Philharmonie se souviennent sans aucun doute de la belle lecture qu’y fit récemment Jason Moran de cet album mythique). Dès «World Passion», avec «What is This Thing Called Love», les standards peuplent les albums du mu- sicien. Dans «New Era», deux standards viennent, en dehors des musiques traditionnelles, côtoyer ses propres compositions «Well you needn’t» de Monk et «Solar» de Miles Davis. C’est «Someday My Prince Will Come», devenu un classique du jazz depuis que Brubeck s’en empara en 1957 («Dave Digs Disney» – sans ou- blier Miles qui en fit un titre d’album…), que l’on retrouve dans «A Fable»: une vidéo sur youtube en montre même une version électrique jouée à La Maroquinerie (Paris) en novembre 2011. «A Fable» ou la consécration Disque auréolé d’une Victoire du Jazz (catégorie meilleur artiste étranger), «A Fable» est l’album de la consécration. Tigran, seul au piano, donne même de la voix, chantant sur quelques-uns des titres. L’Arménie une fois encore, apparaît comme le point nod- al de sa musique. Le titre même de l’album y fait implicitement référence. Tigran explique en effet qu’il est inspiré par deux con- teurs arméniens très appréciés du 13e siècle: Vardan Aygektsi et Mkhitar Gosh, souvenirs des lectures d’enfance du pianiste (un re- cueil, regroupant des textes de ces deux poètes, intitulé The Fables of Medieval Armenia fut même un temps disponible uniquement en anglais semble-t-il). «A Fable» s’ouvre par «Rain Shadow», pièce qui, dans certains de ses accents, nous ramène aux danses roumai- nes de Bartók. Débutant sur l’album comme un antique disque vinyle dont les sillons craquent, cette composition (improvisa- tion?) a fait l’objet d’une vidéo en noir et blanc où Tigran, sur un piano droit désaccordé, livre une version magique et d’une poésie pure de cette pièce d’ouverture. 7 «Victoria» «Victoria» pourrait être purement anecdotique si la bande origi- nale n’avait été composée et arrangée par Jan Bang, Erik Honoré, Gaute Storaas et Arve Henriksen, et publiée sur le très dynamique label norvégien jazzland recordings (une fois encore on ne peut que conseiller à l’auditeur curieux d’aller entendre «Liarbird» d’Ola Kvernberg). Basé sur le roman de Knut Hamsun, le film, sorti en 2013, est réalisé par Torun Lian. Si Tigran n’y apporte aucune composition, sa contribution en qualité de pianiste y est remarquable. «Shadow Theater» – Tel est l’intitulé du présent concert ainsi que de son nouvel album. À l’heure où j’écris, le nouvel opus du pia- niste prodige n’est pas encore paru. Seul le clip vidéo du single «Road Song» circule sur la toile et donne un avant-goût de ce que sera vraisemblablement l’album (j’écris ces lignes avant la sortie prévue le 26 août): un univers encore tout à fait personnel qui, bien qu’empreint des mêmes couleurs que le précédent album, explore de nouveaux horizons. Les chansons folkloriques arméniennes ainsi que les chants reli- gieux y trouvent encore une place de choix même si le titre lui- même renvoie (l’electronic press kit – EPK – que l’on peut voir sur le net en montre quelques images) au ‹théâtre d’ombres›, «monde minimal et faux mais qui exprime la vérité à travers ce mensonge» (Tigran Hamasyan). Cette culture théâtrale n’est pourtant pas typiquement arménienne. On sait – et il est depuis 2009 inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO – que ce théâtre d’ombres est plutôt l’expression d’une culture héritée des Turcs.