Une Vue Pour Tous Et Pour L'éternité. La Vue De Pau: De L'émotion À La Patrimonialisation
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HÉLÈNE SAULE-SORBÉ Département d'Arts Plastiques. Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 Laboratoire SET-CNRS (UMR 5603). Université de Pau et des Pays de l'Adour Une vue pour tous et pour l'éternité. La vue de Pau: de l'émotion à la patrimonialisation RÉSUMÉ urbanística compleja? ¿Por qué sigue alimentando actualmente la ima- gen acuñada por las entidades políticas de la municipalidad de Pau y Cet article met en valeur les perceptions de la vue de Pau, trans- el Consejo general de los Pirineos Atlánticos? mises par les témoignages littéraires et artistiques du XVIIIe au XXe siècle. Des premières émotions visuelles, face à la chaîne de Pyrénées, ABSTRACT au classement des «Horizons palois», quel rôle ont joué les mots et les images, quelle en a été la teneur? Comment et pourquoi la vue dont A view for all for eternity. The view of Pau: from emotion to pa- tout le monde peut jouir aujourd'hui résulte d'une construction cultu- trimony.- This article highlights the multiple perceptions of the view relle et urbanistique complexe? Pourquoi alimente-t-elle aujourd'hui of Pau as transmitted by literary and visual works from the 18th to the l'image affichée par les instances politiques que sont la municipalité 20th centuries. From the first emotions evoked by the vision of the Py- de Pau et le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques? renean range to the classification of the horizon as seen from Pau what roles have the words and images played? And what sense have they conveyed? How has this universally accessible view affected the cons- RESUMEN truction of a cultural and urban complex? Why does it continue to Una vista para todos y para la eternidad. La vista de Pau: de la nourish the communication images of political entities, the municipa- emoción a la patrimonialización.- Este artículo valora las percepcio- lity of Pau and the General Council of the Atlantic Pyrenees? nes de la vista de Pau transmitidas por los testimonios literarios y ar- tísticos de los siglos XVIII y XIX. Desde las primeras emociones vi- Mots clé / Palabras clave / Key words suales frente a la cadena de los Pirineos, clasificadas como horizontes de Pau, ¿qué papel han jugado las palabras y las imágenes y qué con- Vue, perception, image. tenido han aportado? ¿Cómo y por qué la vista de la que puede disfru- Vista, percepción, imagen. tar hoy todo el mundo es el resultado de una construcción cultural y View, perception, image. I l'infini (Figs. 1 à 3). Ces montagnes dont Schrader a UNE VUE POUR TOUS souligné à juste titre qu'elles sont «les mêmes pour tous» sont un objet démocratique par excellence, objet UOI de plus public, de plus gratuit pour un indivi- d'appropriation par tout un chacun, pouvant fédérer les Q du que de se promener en ville et de jouir de la éléments divers d'une collectivité, voire devenir le sup- vue? La vue est à tout le monde… à plus forte raison port de projections variées (Figs. 4 et 5). Chacun de lorsque l'horizon dégagé offre la chaîne des Pyrénées nous peut déambuler en croisant ses semblables, s'arrê- dans un déploiement bleu pervenche d'est en ouest, à ter pour goûter la vue et se laisser envahir d'un senti- Ería, 73-74 (2007), págs. 253-271 254 ERÍA ment de bien-être dont les lignes qui suivent vont tâ- II cher de préciser la nature. Cela, les édiles locaux l'on FACE À LA VUE: L'EXPRESSION DE L'ÉMOTION compris et ne l'oublient pas lorsqu'il s'agit de prendre ESTHÉTIQUE des décisions et de faire des choix importants dans leurs projets urbanistiques. Comment, en amont d'opé- D'un point de vue méthodologique, deux sources rations d'aménagement ou de travaux de réhabilitations ont été privilégiées: littéraires et iconographiques. La paysagères, de multiples représentations subjectives, période privilégiée va de la fin du siècle des Lumières produites ou exprimées au fil du temps peuvent-elles aux premières décennies du XXe, elle correspond à anticiper, accompagner ou conditionner des stratégies l'avènement et l'âge d'or du tourisme pyrénéen. publiques en matière d'aménagement? Comment, s'ap- Les sources littéraires sont, pour l'essentiel, des ré- propriant la vue, le jeu des regards accumulés, des per- cits ou relations de voyages comme ceux de Godefroy, ceptions et des intelligences, a-t-il réussi à forger une Melling et Cervini; des «observations» relevées par image collective et symbolique, à donner valeur de pa- des érudits ou scientifiques tels que Ramond ou Schra- trimoine à ce qui n'est, au fond, qu'une émanation lu- der; des correspondances laissées par les voyageurs à mineuse? l'instar de Melling, Huet ou la Comtesse van der Stra- L'image mise en avant par Pau1, fondée sur sa vue ten; des recueils de souvenirs comme celui de Russell; incomparable embrassant la chaîne des Pyrénées, ne des conférences comme celle que prononça Schrader date pas d'hier et surtout ne date pas de l'aménagement en 1997; des journaux de voyage (Lefèvre, Stendhal, urbain du site. Elle se précise comme pour la plupart Hugo) ou d'artistes (Gélibert, Devéria), des ouvrages des vieilles stations touristiques à la fin du siècle des didactiques tel celui du peintre et théoricien du paysa- Lumières, dans le regard des voyageurs2: regards ani- ge Valenciennes. Nous y avons relevé les épithètes més de curiosité et aptes à l'émotion esthétique, re- qualifiant la vue, les figures de style donnant forme à gards que la peinture de paysage a préparés à accueillir son évocation (métaphore, comparaison), l'emploi d'un la beauté naturelle des contrées traversées. La capitale vocabulaire relevant du domaine de l'expression artisti- béarnaise étale alors ses quartiers sur la terrasse allu- que, la verbalisation des effets produits par la vue, les- viale qui, rive droite, domine le gave. La bordure et le quels peuvent être concrets, pragmatiques, psychologi- décrochement de terrain qui dévale vers les berges ne ques, etc. sont pas encore aménagés. Les sources iconographiques regroupent quant à elles les représentations artistiques du panorama de Pau, qu'il s'agisse d'œuvres originales (dessins, aquare- 1 Pau est la préfecture du département des Pyrénées-Atlantiques (64), au- lles, tableaux à l'huile) ou d'images multiples comme trefois appelé Basses-Pyrénées. la lithographie, émanant d'artistes amateurs confirmés 2 Ainsi que le note M. Papy dans «Aux origines du boulevard des Pyré- ou de professionnels. Elle ont fait l'objet d'une analyse nées», in CATALOGUE (2000; pp. 15-25): «le boulevard, une fois achevé, ne reçut plastique (composition, ligne, couleur), et sont contex- guère la visite des habitants de la cité. Edifié pour la clientèle, il ne fut pendant longtemps utilisé que par elle. On ne le relia d'ailleurs au centre qu'en 1930. Les tualisées par rapport aux principes et théories en vi- Palois continuèrent à vivre en tournant le dos à la montagne». gueur au moment où elles ont été produites. UNE VUE POUR TOUS ET POUR L'ÉTERNITÉ. LA VUE DE PAU: DE L'ÉMOTION À LA PATRIMONIALISATION 255 FIGS 1 à 3. Vues depuis le Boulevard des Pyrénées, photo- graphies H. Saule- Sorbé. III Sur le plan du registre esthétique, nous pouvons re- LA CONSTRUCTION LITTÉRAIRE DU lever l'emploi du qualificatif «pittoresque» (Melling, PANORAMA DE PAU Lefèvre, Murray), puis celui de «sublime» (Valencien- nes), ou encore d'«orné» (Murray). Quelle que soit la période et l'origine géographique et socio-professionnelle des auteurs, l'enthousiame est Pour ce qui est du registre plastique, c'est-à-dire unanime. d'un vocabulaire à consonance artistique, nous trou- vons les concepts d'«impression» (Huet, Viollet-le- Duc, Schrader), d'«illusion» ou encore d'«apparence» (Schrader), de «contraste» (L. van der S.), mais aussi 1. UNE VUE QUALIFIÉE l'idée d'un écart, d'une spatialité qui s'interposent entre sujet qui regarde et objet regardé: «se détache» (Asa A. Un vocabulaire récurrent Dix), «recul» et «distance» (Schrader, Peyré). Des ef- fets, «pureté», «transparence» (Viollet-le-Duc), «vapo- Les épithètes flatteurs appartenant au champ lexical reux» (Taine), sont également ressentis. D'un point de de la beauté et de l'exception pleuvent, de même que vue plus formel, résonent les termes de «tableau» les formes superlatives: «rare» (Godefroy), «magnifi- (Chausenque, Melling); de «formes», «variété» (Va- que» (Lefèvre, Bascle de L.), «belle» (Anonyme, La- lenciennes), «silhouette» (Forbes); de «large, ouverte martine), «splendeur» (Lefèvre), «superbe» (Chau- [plaine]» (Murray), de «succession» (Murray), «bor- senque), «remarquable» «icomparable» (Murray), der» «bordure» (Murray, Taine), ainsi que des images: «admirable» (Stendhal, Hugo), «merveilleux» (Rus- «chaîne ininterrompue» (Murray), «traînée de vapeur» sell). Ils qualifient la perception globale du paysage «stries blanches à l'horizon» (Hugo). dominé par la ligne des sommets. Une traduction linéaire du panorama s'appuie sur Dans ses Observations publiées en 1789, Ramond des expressions choisies comme «contours déchique- de Carbonnières est le premier à donner le ton d'une tés», «linéament d'un bleu pâle» «dentelure» «décou- appréciation plus intimiste, réservée à l'entrelacement pure aérienne» (Schrader), «festons sans nombre» des côteaux, c'est-à dire une zone humanisée offrant un «feuille de décoration» (Lefèvre, Viollet-le-Duc), «lig- équilibre entre culture et nature. Ainsi l'adjectif «déli- ne dentelée» (Barrès). cieux» auquel il a recours se retrouve-t-il chez ses lec- teurs de la génération suivante, soit des voyageurs éru- Viennent enfin les évaluations chromatiques: «bi- dits comme Melling et Cervini, ou encore Chausenque; garrés» «rouge sang» (Lefèvre), «pourpre» (Russell) dans le même ordre d'idées, on rencontre le terme (par comparaison «la palette est bien froide, les cou- «gracieux» chez Gélibert et chez le jeune H.