N° 33 Théodore Jouffroy
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n° 33 Théodore Jouffroy PUBLIEE AVEC LE CONCOURS DU CNL ET DE L’UNIVERSITE DE PARIS X NANTERRE N° ISSN : 0296-8916 299 n° 33 Théodore Jouffroy: Textes réunis par Patrice VERMEREN TABLE DES MATIÈRES Francine MARKOVITS Éditorial............................................................................ I Patrice VERMEREN Le remords de l’école éclectique, précurseur de la synthèse de la philosophie et de la révolution ......... 5 Chryssanti AVLAMI Un philosophe philhellène .............................................. 33 Théodore JOUFFROY : comptes-rendus Œuvres complètes de Platon, traduites par Victor Cousin, troisième volume (Le Globe du 27 novembre 1824) .......... 63 Œuvres complètes de Platon, traduites par Victor Cousin, tome IV ; œuvres inédites de Proclus, philosophe grec du cinquième siècle, d’après les manuscrits de la bibliothèque royale de Paris, publiées par Victor Cousin. Le sixième volume est sous presse (Le Globe du 24 mars 1827) ............................................. 71 Jacques D’HONDT Hegel et Jouffroy............................................................... 81 Christiane MAUVE L’esthétique de Jouffroy : des promesses sans suites ? ... 99 Georges NAVET Le droit naturel des Eclectiques ...................................... 115 CORPUS, N° 33, 1997. 1 CORPUS, revue de philosophie Eric PUISAIS Jouffroy et Lerminier...................................................... 131 Sophie-Anne LETERRIER Jouffroy académique ..................................................... 145 Emile BOUTROUX De l’influence de la philosophie écossaise sur la philosophie française (1897)....................................... 161 Théodore JOUFFROY Méthode pour résoudre le problème de la destinée humaine (1831)................................................................. 181 Jean-Pierre COTTEN Bibliographie ................................................................. 205 Tribune Libre Emmanuel FAYE Lettre ouverte. Une récriture « néo-scolastique » de l’histoire de la métaphysique ..................................... 213 2 EDITORIAL L’annonce d’un congrès des sociétés de langue française à Laval* a donné lieu à un courrier des lecteurs. Il nous a semblé que c’était l’occasion d’ouvrir une « tribune libre » dans les pages de la revue Corpus et de favoriser ainsi un débat sur les orientations de la philosophie ou des philosophies contemporaines. On trouvera donc à la fin de ce volume un article d’Emmanuel Faye : une récriture « néo-scolastique » de l’histoire de la métaphysique ainsi que la reproduction de l’annonce du congrès qui se tiendra à Laval en 1998. On trouvera en outre à la page des tarifs de nouvelles dispositions pour les étudiants. Le responsable de ce numéro a délibérément choisi de placer les documents à la suite des articles qui y faisaient référence, sans les regrouper comme à l’ordinaire sous une rubrique spéciale. FRANCINE MARKOVITS * Voir le sommaire, ci-joint, à la fin du numéro. CORPUS, N° 33, 1997. LE REMORDS DE L’ÉCLECTISME, PRÉCURSEUR DE LA SYNTHÈSE DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA RÉVOLUTION ? PIERRE LEROUX, PROUDHON ET FERRARI LECTEURS DE JOUFFROY. De Buenos-Aires, le Père Vicente Lopez écrit au Dr Félix Frias en 1838 : « Cher ami, il me plaît de vous faire parvenir le livre Les Mélanges philosophiques de Mr Jouffroy. De quelles merveilles, Sr Félix, mon âme s’est régalée, grâce à la lecture de ce beau livre. Il a fallu qu’il se passe plusieurs jours pour que je me réveille du rêve dans lequel celle-ci m’avait plongé. J’en ai fait aussi plusieurs extraits qui servent à expliquer et approfondir d’autres doctrines de l’auteur dans son oeuvre : « Cours de droit naturel » que nous possédons1 ». Vicente Lopez est le traducteur de l’Introduction à la philosophie du droit de Lerminier, et aussi du Cours de droit naturel de Jouffroy et de son article sur « Le Bien et le Mal ». Quelque temps auparavant, Félix Frias a rencontré Alberdi, « qui était toujours dans ses théories antichrétiennes » et ne saurait le convaincre « avec sa religion philosophique ou plutôt son athéisme2 ». Le même Alberdi, en 1842, rédige un texte intitulé « Idées- pour présider à la confection d’un cours de philosophie contemporaine - Au Collegio de Humanidades - Montevideo » : il y écrit que « la philosophie, comme l’a dit le philosophe le plus contemporain, Mr Jouffroy, est à naître», et rapproche Leroux de Jouffroy, qu’il ne connaît que par les articles critiques de celui-là. Jouffroy est donc dans les années 1840 un enjeu philosophique et politique pour la jeunesse lettrée, qu’elle soit libérale ou socialiste, sur l’autre rive de l’Atlantique - en 1 Lettre de Vicente Lopez à Félix Frias, Archivo de la Nacion, manuscrits de la Biblioteca de la Nacion, 10498 (traduction Clara Arnaud). 2 Lettre de Frias du 15 novembre 1838, citée par Jorge M. Mayer : Alberdi y su tiempo, Biblioteca de la Academia Nacional de Derecho y Ciencias Sociales de Buenos Aires, Abeledo-Perrot, seconde édition 1973, tome 1, page 195 note 213. Voir aussi Jose Ingenieros : La evolucion de las ideas argentinas, réédition Buenos Aires, Elmer 1957 tome 5 page 71 ; et Jorge Dotti : La letra gotica, Buenos Aires, Facultad de Filosofia y Letras, Uba, 1992, page 40, qui cite Alberdi évoquant Jouffroy comme « l’une des premières capacités philosophiques de ce siècle ». CORPUS, N° 33, 1997. 5 CORPUS, revue de philosophie Argentine, mais aussi au Chili3, à Cuba4, aux Etats-Unis5, comme en Angleterre, en Allemagne6, en Espagne7 ou en Italie8 -. En France, Jouffroy, à la même époque, est certes une référence universitaire et scolaire. Gustave Flaubert, se souvenant peut-être de sa propre initiation philosophique, évoque dans L’éducation sentimentale celle de Charles Deslauriers en ces termes : « Son père, pendant les vacances, le laissa au collège. Une traduction ouverte par hasard l’enthousiasma. Alors il s’éprit d’études métaphysiques ; et ses progrès furent rapides, car il les abordait avec des forces jeunes et dans l’orgueil d’une intelligence qui s’affranchit ; Jouffroy, Cousin, Laromiguière, Malebranche, les Ecossais, tout ce que la bibliothèque contenait y passa. Il ambitionnait d’être le Walter Scott de la France9». Mais Jouffroy apparaît aussi comme la lecture obligée de ceux qui, dans le corps social, comme Madame Gervaisais, l’héroïne du roman des Frères Goncourt, se piquent de philosophie : « Sur la petite étagère en bois tourné, attachée au mur par quatre tresses de soie jaune, étaient, à portée de sa main, ses livres amis, portant 3 Voir Andrés Bello : « Apuntes sobre la teoria de los sentimentos morales », dans El Araucano, Santiago de Chile, 6 novembre, 11 décembre 1846, 25 juin 1947, et Cécilia Sanchez et Carlos Ruiz : « L’éclectisme cousinien dans les travaux de Ventura Marin et d’Andrés Bello », dans Corpus n°18-19, 1991 pages 183-193. 4 Voir José de la Luz y Caballero y otros : La polemica filosofica (1832- 1840), réédition Editorial de la Universidad de La Habana, 1947, tomes III et IV, et Patrice Vermeren : « La philosophie de l’égalité et la question de l’émancipation », Actes du Colloque « l’Utopie », La Havane, Chaire Voltaire de l’Université, Cuba, 1997. 5 Introduction to ethics, including a critical survey of moral systems, translated from the french of Jouffroy, by William H. Channing, Boston, J. Munroe, 1848, 2 volumes 6 Sur ce point, voir les travaux de Ulrich J. Schneider (Université de Leipzig). 7 Voir les lectures des Ecossais par le philosophe catalan Marti de Eixala à travers Jouffroy, et les travaux de Jordi Riba (Université de Gérone). 8 Voir Salvo Mastellone : Victor Cousin e il Risorgimento Italiano, Firenze, Felice Le Monnier, 1955, et les travaux de Renzo Ragghianti (Ecole Normale Supérieure de Pise) et de Guido Oldrini (Université de Milan). 9 Gustave Flaubert : L’éducation sentimentale, Paris, Michel Lévy frères 1870, réédition Lausanne, Rencontre, 1968 page 252. 6 Le remords de lʼéclectisme ces noms graves : Dugald Stewart, Kant, Jouffroy10 » ; ou de ceux qui, comme l’ouvrier typographe Pierre-Joseph Proudhon, venu à Paris avec une bourse de l’Académie de Besançon pour poursuivre des études, veulent s’y initier11. Jouffroy, pour être de l’école éclectique et proche de Victor Cousin, n’en a pas moins aussi une autre image, et pour longtemps dans le XIX° siècle, que celle de professeur salarié. A quoi doit-il d’être élevé à la dignité de philosophe au delà des frontières du monde universitaire et de celles de la France ? Une révolution n’est possible que par la philosophie. Proudhon à son arrivée à Paris en décembre 1838, avait rendu visite à Jouffroy, franc-comtois comme lui, député de Pontarlier mais surtout pour lui l’auteur de « Comment les dogmes finissent ». Mais de même qu’il se tient à l’écart des soirées de son tuteur de l’Académie des Sciences morales et politiques, Droz, il refuse de voir Nodier, Baguet, Jouffroy : « Ma nomination par l’Académie n’a pas effacé mes souvenirs, et ce que j’ai haï, je le haïrai toujours. Je ne suis pas ici pour devenir un savant, un littérateur homme du monde : j’ai des projets tout différents. De la célébrité, j’en acquerrai, j’espère ; mais ce sera aux frais de ma tranquillité et de l’amour des gens12 ». Il fréquente les bibliothèques et lit Jouffroy, Cousin, Damiron, Thurot, de Cardailhac ; mais cette lecture le fatigue et le dégoûte des doctrines et des auteurs : il y perçoit une réciprocité édifiante de louanges et de flatteries qui ne les fait jamais, cantant et recantant, sortir en dehors de leur confrérie et le rend encore plus mutin et plus farouche qu’il n’était venu13. 10