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LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 11 JANVIER 2002 DOSSIER ESSAIS Sous le signe de Paris : Guerre et terrorisme : le grand œuvre André Glucksmann, de Karlheinz Stierle François Heisbourg, Page II Michael Barry, Philippe PATRICK CHAMOISEAU HISTOIRE Muray, Emmanuel Goujon... LE MONDE DES LIVRES DE POCHE Page IV Logiques de résistance Page IX Page XI Pages V à VIII Pierre Senges oiseaux, les insectes, les serpents ment à miner toute une civilisa- dans le Jardin botanique pour disséminer les pollens d’al- tion urbaine est-il salubre ou de Grenoble. lergies, encourage la prolifération non ? Ce cinglé vise-t-il à transfor- des algues tueuses et étudie leur mer sa ville peuplée d’endormis, a acheminement sans obstacles de de résignés, et d’aigris sans fou- des instruments de vengeances, la mer aux lavabos. gue en jardin d’Eden ? Est-ce un de pieds de nez ou d’attentats Le délire de cet adventiste pour paradis dont il plante les racines, expédiés à d’anciennes connais- qui le lierre grimpant constitue après avoir envisagé de lever une sances honnies. Dans Ruines-de- une armée des ombres est prétex- armée de révolutionnaires chena- Rome, qui joue encore sur l’inven- te à cours de jardinage autant que pans, de conduire une croisade Pierre Senges, taire encyclopédique, la profu- d’insurrection ; il vous apprend à tel le joueur de flûte de Hamelin sion verbale ludique et érudite, faire la différence entre laurier entraînant dans son sillage la hor- l’utilisation d’un corpus scientifi- sauce et laurier rose. C’est un his- de des révoltés bougons et des que pour refaire le monde, l’im- torien redoutable qui vous rappel- contribuables contrariés, de pro- précateur misanthrope est un le qu’en 1897, aux Etats-Unis, la voquer une crue d’eaux dorman- employé du cadastre qui sème la jacinthe d’eau causa tant de tes emportant portefeuilles, mauvaise graine. Millénariste dégâts (« invasion, débordements, ministres et marchands de bien décidé à activer le processus de chaussées rompues, accrocs divers, dans un inexorable raz de marée, l’Apocalypse, il se mue en jardi- cultures étouffées sous le poids de d’improviser une fronde de chif- nier prédateur. C’est un insoumis, la mauvaise herbe ») que le secré- fonniers convertis à l’urgence un fonctionnaire incorrect. Devin tariat d’Etat à la guerre envoya d’un recyclage écologique et pervers, élucubrateur d’oracles sur le terrain des anciens soldats moral ? catastrophes, régisseur de prophé- du général Grant. Ce coquin Binant subtilement les champs ties macabres, criminel de la mau- entretient par ailleurs une idylle de l’ambiguïté, octroyant à son vaise augure, il lit la Bible à platonique avec sa voisine de insurgé des traits de caractère l’envers. potager, surnommée dame- fleur bleue et des fantasmes à Ce solitaire, « célibataire que les d’onze-heures, dont il imagine la l’eau de rose, Pierre Senges ne chats finissent par quitter l’un nudité d’après le linge qu’elle fait résout pas la question du bien et après l’autre comme les chèvres de sécher sur son balcon, et dont il du mal. Cette restitution de la sau- Seguin », et qui a « même renoncé se demande si elle partagerait sa vagerie considérée comme un des fascination pour l’ac- beaux-arts suggère l’irruption du couplement des lom- meilleur et du pire, la sédition Jean-Luc Douin brics. Il ne dédaigne libératrice comme l’extermina- pas d’être poète, se tion insidieuse, le pieux prosélytis- à l’achat d’un poisson rouge de prenant pour un Arcimboldo du me comme le fascisme de routi- peur qu’il ne devienne, à [son] jeu agraire et parsemant ses plate- ne. Au fil de sa recension, Senges contact, neurasthénique »,s’aper- bandes de chimères florales. Le cite l’herbe-à-tous-maux, capable la révolution çoit un beau jour qu’un pépin, un paragraphe qu’il consacre aux de soigner toutes blessures, mais noyau négligemment planté au impatientes n’y-touchez-pas, qui nul ne sait si celui qui applique- pied d’un immeuble, une fois ger- le voit penché sur les bulbes et rait ce remède au pied de la lettre mé, fait pénétrer ses racines sous duvets, attentif à faire le tour des en ferait un remède toxique ou les fondations, pousse dans les gaines, oser des frottis, expert en un aphrodisiaque, un poison ou SYLVAIN FRAPPAT POURcaves, « LE MONDE » encercle les parkings, s’in- vaginules, gorges, calices, pétales un élixir de jouvence. troduit dans les bouches d’aéra- et sépales, ne laisse aucun doute tions, lézarde les façades. S’inves- sur ses fantasmes érotiques. (1) Verticales 2000. « Points » Seuil, P 941. tissant dès lors d’une mission radi- Il est une question que le lec- calement rédemptrice («couvrir teur se posera tout au long de ce RUINES-DE-ROME la ville sous la masse végétale »), programme de mutinerie par le de Pierre Senges. cet hurluberlu à mine de Tourne- sabotage végétal : cet acharne- Ed. Verticales, 252 p., 15 ¤. sol s’enivre de nomenclatures botaniques, choisit les fougères « pour leurs noms de succubes », La révolution cherche inspiration et idées de greffe dans les friches des cimetiè- res, « auprès des concessions per- pétuelles tombées en déshérence ». Il profite de ses nuits blanches pour aller marcotter en douce dans les jardins publics, transfor- mer les rosiers en réseau de ron- ces et d’épines ; lance des galets par les plantes contre la vitre des serres afin d’ouvrir un passage aux lierres, l’une de ses armes destructrices ; aux cactus et aux philodendrons ; par les plantes Un jardinier entreprend elle prolifère de préférence sur les ensemence clandestinement la façades dévastées et les décom- terre de ses voisins en lançant des de planter bres ; elle doit son nom – symboli- graines à l’aide d’un élastique, ou que – aux tableaux des peintres les crachant « en direction du de mauvaises graines du XVIIIe siècle qui, à l’image meilleur point de chute » après d’Hubert Robert, firent de l’objet avoir initié leur germination par l y aurait aujourd’hui sur et d’étouffer une ville archéologique un ornement pictu- la salive. Terre deux cent quarante mille ral et s’inspirèrent des fouilles Ce semeur de troubles à la Iespèces végétales. Pierre Senges sous la végétation. d’Herculanum pour composer « chorégraphie comique d’éleveur en honore deux cent trente-huit, des paysages de la Rome antique de poules » compte sur l’éclabous- égrenant les charmes vicieux de Avec ce roman étonnant, décadente, sites de cités sacca- sure des autos roulant dans les fla- la renoncule scélérate et de la cen- gées, de ruines envahies d’herbes. ques pour arroser la garance au taurée chausse-trape, de l’ache « Ruines-de-Rome », Les lecteurs du premier roman bord des autoroutes, et sur la pat- rampante, la coquecigrue, la de Pierre Senges, Veuves au te levée d’un épagneul pour queue-de-scorpion, ou du silène on retrouve avec bonheur maquillage (1), savent l’art (jubila- mouiller ses mimosas le long des attrape-mouche, du sarrasin de toire) et la manière (litanique) grands boulevards. Il niche en sif- Tartarie, du désespoir des singes. la nature subversive avec lesquels cet adepte des exer- flotant ses glands dans les pans A-t-il pour autant signé un her- cices de haute voltige littéraire de mur, les barbacanes et les bier sélectif ? Et pourquoi a-t-il de Pierre Senges. célèbre ses cérémonies funèbres. chantepleures, mais aussi dans choisi d’ériger la ruine-de-Rome En quatre cent quatre-vingt-dix- les bureaux à bonne épaisseur de a ou cymbalaire des murailles en Un manuel d’horticulture neuf paragraphes déclinés com- moquette, sous les couvertures, couverture ? Il s’agit d’un roman me dans un film de Peter Gree- tapisseries ou coussins de salles orchestré comme un subversif semant les racines d’une naway, il décrivait le lent protoco- d’attente, fauteuils dont la cha- manuel d’horticulture, dont les le taxidermiste selon lequel six leur de tous ceux qui y prendront plantes sont les actrices d’un mutinerie jubilatoire femmes à vocation de mantes reli- place attiseront le processus de la minutieux travail de sape, et où le gieuses déchiquetaient (à sa forêt vierge. Il déplore la dispari- Guerre narrateur (faux père tranquille) et d’une apocalypse demande) le corps d’un scribe tion des enragés qui, jadis, soule- conte sa diabolique mise en place grincheux et se servaient de ses vaient les pavés au pied-de-biche d’un chaos. La ruine-de-Rome botanique organes prélevés un à un comme en faisant face aux compagnies aux feuilles palmatilobées est de cadeaux empoisonnés, sordi- républicaines, mobilise les et terrorisme www.lemonde.fr 58e ANNÉE – Nº 17717 – 1,20 EURO - FRANCE MÉTROPOLITAINE -- VENDREDI 11 JANVIER 2002 FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI Droits des handicapés L’euro est-il inflationniste ? b b a Les députés L’enquête du « Monde » révèle quelques dérapages des prix dans le petit commerce Laurent Fabius mettent fin promet d’être « vigilant » b Les économistes estiment qu’il n’existe pas de risque d’une relance à l’arrêt Perruche de l’inflation b La hausse des prix n’a été que de 1,4 % en 2001 b Bon départ pour les soldes en euros HUIT JOURS après l’arrivée des Le ministre de l’économie, Lau- a pièces et billets en euros, la ques- rent Fabius, reconnaît l’existence L’enfant handicapé tion commence à se poser : le passa- de « quelques dérapages », dont cer- LAURENT PHILIPPE ge à la monnaie unique risque-t-il tains ont justifié la saisine des ne pourra plus de relancer l’inflation ? Pour l’ins- observatoires départementaux de DANSE tant, la réponse est négative selon l’euro.