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Fig. 1 : Le projet "Grands sites" de 1977

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Fig. 3 Le projet en 1995 et le cadre légal

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Lapointe du Raz, (Finistère, ): aménagement modèle ou modèled'aménagement? ThePointe du Raz(Finistère, France) : exemplaryplanning or a planningmode/ ?

Bernard FICHAUT• Université de Bretagne Occidentale, GÉOLITIOMER-Brest-UMR 6554-CNRS Littoral. Environnement, Télédétection, Géomatique BP 817 - 29 285 - BREST Cedex - France Max JONIN•, Maurice LE DÉMÉZET* Institut de Géoarchitecture, BP 809 - 29 285 - BREST Cedex- France Frédéric BIORET• Université de Bretagne Occidentale. GÉOSYSTÈME-UMR 6554-CNRS Littoral , Environnement, Télédétection, Géomatique BP 809 - 29 285 - BREST Cedex - France *Société pour /'Étude et la Protection de la Nature en Bretagne.

Résumé : La pointe du Raz. extrême avancée de la Bretagne-Sud dans l'océan Atlantique, représente un site paysager célèbre , de grande portée symbolique. Une importante fréquentation touristique de longue date (800 000 personnes par an), en l'absence de toute gestion a entraîné une forte dégradation. L'intérêt d'une réorganisation et d'une réhabilitation est apparu depuis longtemps déjà, bien que diversement partagé. En 1977 , le site est déjà retenu dans une première opération "grand site national". La direction départementale de !'Équipement propose un projet de réhabilitation qui est unanimement rejeté par les acteurs locaux. En 1989, le site est de nouveau retenu parmi les grands sites nationaux dont la réhabilitation est prioritaire. Un nouveau projet s'élabore avec l'assentiment des acteurs locaux. Pourquoi ce revirement ? Sur ces douze années, quelles évolutions , quels changements dans le contexte général de l'environnement, dans le contexte local, chez les acteurs impliqués, dans le projet lui-même ? Le projet actuel envisage des aménagements lourds en site classé (loi du 2 mai 1930) et en zone littorale sensible (loi Littoral, 1986) . Il implique fortement l'État à travers le ministère de l'Environnement et le Conservatoire du Littoral. L'exemplarité est-elle bien celle que les acteurs affichent ? Mots-clés : Aménagemenr - Loi Littoral - Site classé

Abstract : The "pointe du Raz", the western extremity of in the Atlantic Ocean, represents a well-know landscape of great symbolic importance. Subjected to a heavy frequency of tourist visits (800 000 p.a .) for many years, the absence of any management has led to serious degradation. The need to reorganise and rehabilitate the site has been apparent for a long time, although not uniformly recognised . In 1977, the site was already included in an initial operation as a "grand site national" (important national site) . The "direction départementale de l'Equipement" proposed a rehabilitation project which was unanimously rejected by local representatives. In 1989, the site was again identified as one of the "important national sites" which should receive priority in the rehabilitation programmes . A new project was prepared with the agreement of local representatives. Why this change ? During these twelve years, what changes had taken place in the general environmental context , in the local context, among the relevant actors. and in the project itself? The present project envisages some major improvements on the classified site (loi du 2 mai 1930) and in the sensitive coastal zone (Littoral law, 1986). It heavily involves the state through the Ministry of the Environment and the Conservation agency for the coastal zone (Conservatoire du littoral). The examplarity of this action, is it really what the relevant actors claim? Keywords : Planning - Littoral Law - Classified site

L'extrémité du , pointe sud du Finistère, est un des sites touristiques les plus célèbres et les plus visités de France. Elle est constituée de deux pointes rocheuses granitiques, les pointes du Van et du Raz, encadrant un profond rentrant, la baie des Trépassés. Les pointes sont constituées de falaises abruptes et élevées. Le plateau sommital, dont l'altitude oscille entre 50 et 70 m environ, est très exposé aux vents et aux embruns dans les parties les plus avancées. Dans les secteurs non dégradés par les actions anthropiques, les sols peu profonds et peu évolués, de type ranker, portent une végétation de lande rase, plus rarement de pelouse. Le littoral de la baie est constitué d'un cordon de galets qui barre une dépression. Il protège un massif dunaire surtout étendu vers le sud, et un étang de barrage entouré d'une zone humide annulaire dans la partie centrale.

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Le site, et plus particulièrement la pointe du Raz, est très fréquenté depuis le début de ce siècle au moins. On estime à 800 000 par an le nombre de visiteurs sur cette pointe , contre 300 000 environ sur la pointe du Van. L'impact de cette fréquentation est remarquable. Divers aménagements ont été conçus en dépit du bon sens et sans aucun souci d'intégration paysagère, le tapis végétal a disparu ou est endommagé sur environ huit hectares . Depuis de nombreuses années, on s'intéresse régulièrement à la réhabilitation du site ; aujourd'hui, une opération est en cours de réalisation . Très médiatisée, coûteuse (50 MF environ), elle mobilise l'Etat, les collectivités territoriales, le Conservatoire du littoral. des mécènes . Est-elle exemplaire pour autant ? S'inscrit-elle en rupture par rapport aux modes d'aménagement des espaces côtiers qui ont eu cours durant les trente dernières années ? Il nous a semblé intéressant de confronter les projets et les idées pour tenter de répondre à cette interrogation.

I - UNE FRÉQUENTATION ANCIENNE La fréquentation et l'aménagement du site, et plus particulièrement de la pointe du Raz, datent de plusieurs décennies. En 1904, des documents photographiques atteste de l'affluence des visteurs au pied de la statue de Notre Dame des naufragés . En 1909, un poste de télégraphie sans fil est édifié sur l'extrémité de la pointe et, en 1910, on construit le sémaphore et des logements pour les gardiens. En 1930, on dénombre quatre hôtels et, avant-guerre, de nombreuses automobiles roulent et stationnent sur la lande . En 1929, dans le journal "l'Illustration", René Villard, dans un article intitulé Sauvons la pointe du Raz pose les problèmes dus à l'invasion par les touristes et évoque l'érosion du sol. Le tourisme est déjà critiqué, l'auteur parle des "magasins à souvenirs" et des "bibelots soi-disant bretons". Le Touring Club de France saisit le préfet du Finistère pour le classement du site. Celui-ci interviendra en 1942 mais ne concernera que la partie la plus avancée de la pointe (Fig. 3). Pendant la guerre, l'armée allemande occupe le site et y installe de nombreux ouvrages de défense. A leur départ les soldats les détruisent et brûlent tous les autres bâtiments à l'exception du sémaphore . Dès 1950, le tourisme reprend et des baraques s'installent, disséminées sur la lande en retrait du sémaphore. Le timbre poste gravé par Henri Cheffer en 1948 immortalise le paysage "sauvage" du site. Des photos aériennes de cette époque montrent que le couvert végétal de l'extrême pointe n'a pas encore disparu, et qu'il subsiste au moins de vastes îlots résiduels de lande rase. A partir de 1945, et pendant quinze ans, discussions, projets divers examineront la situation de la pointe du Raz et les problèmes liés à la fréquentation et à la dénudation du sol. En 1958, deux hôtels sont bâtis en plein site classé. En 1962, la cité commerciale est construite, elle aussi en site classé. Elle témoigne toutefois de la volonté de l'État d'aménager le site. Un parking de deux hectares est implanté sur la lande et recouvert d'un bitume rouge, peut-être supposé évoquer la couleur des bruyères en fleurs. Ce parking est payant en période estivale ; les recettes sont encaissées par la municipalité de . Parallèlement, la pointe du Van commence à être elle aussi fréquentée, mais les visiteurs y sont moins nombreux, la dégradation est moins rapide .

II - 1976, PREMIÈRE OPÉRATION "GRAND SITE", UN ÉCHEC En 1976, le ministre de la qualité de la vie décide de lancer des études expérimentales en vue de procéder à la remise en état de certain s sites prestigieux dégradés par une fréquentation humaine intensive et par des réalisations insolites . Cette opération dite opération Grands Sites est une mesure d'intérêt national qui doit assurer la protection du site mais aussi sa réhabilitation en lui redonnant son caractère naturel. L'ensemble constitué par les pointes du Raz et du Van et la baie des Trépassés, est retenu pour une étude pi!ote. Le préfet du Finistère conduit cette étude confiée à la direction d'un urbaniste en chef de l'Etat. Les principaux objectifs de l'opération visent à remettre le site en état, puis à le protéger, mais aussi à réanimer l'économie d'une région en voie de dépeuplement. Il s'agit de transformer le tourisme de passage en tourisme de séjour, en dotant cette partie du cap d'infrastructures touristiques légères mais dynamiques. Le parti pris d'aménagement adopté par le chargé d'étude consiste à reconstituer une large bande naturelle continue en arrière du trait de côte, par un repli généralisé des aménagement s et des axes de circulation automobile (Fig. 1) . Ce repli s'accompagne d'une remise en état des sites dégradés , de la réalisation d'un réseau de chemins et sentiers pédestres, de la mise en souterrain des réseaux de fils aériens .

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Sur l'extrémité de la pointe du Raz, le projet propose de détruire le parking 1 300 m de route départementale à l'ouest de Lescoff, et tous les bâtiments existants à l'exception du sémaphore. Parallèlement , il est proposé d'étendre le site classé à l'ensemble du site inscrit en 1942. Plusieurs emplacements sont envisagés pour le transfert de la cité commerciale et du parking promus à destruction . L'un d'entre eux est la butte de Bestrée, mais il est jugé trop proche du site naturel et trop visible. On étudie aussi la possibilité d'intégrer les activités commerciales et hôtelières, dans le hameau de Lescoff, mais l'insertion paraît difficile et pose un problème insurmontable de gestion du stationnement. Finalement, un site est retenu juste au nord de Lescoff, sur une butte offrant une vue incomparable sur la baie des Trépassés, la pointe du Van et au delà, sur l'océan (Fig. 1). Le choix d'un emplacement "vue sur mer" va, a priori, à l'encontre d'une intégration dans le site. En fait, il consiste au contraire à intégrer le complexe touristique à une zone urbanisée étirée sur crête et visible des alentours. De même, il est prévu de réaliser une déviation permettant l'accès direct au parking et aux commerces en évitant la traversée de Lescoff . Dans la baie des Trépassés, en 1976 déjà, la dégradation du milieu naturel est importante . Le cordon de galets et la dune située en retrait sont utilisés comme un parking sauvage . Le cordon, compacté et surbaissé est menacé de rupture par d'éventuelles tempêtes lors de forts coefficients (Morel, 1995). De la dune originelle ne subsistent que quelques lambeaux dominés par un hôtel• restaurant situé face à la mer et quelques habitations mitant le paysage. Une route de transit sépare la frange littorale des milieux humides situés en retrait. Le projet propose, en plus des opérations de restauration du milieu naturel, de déplacer hôtel et habitations vers le nord du site et de détruire près d'un kilomètre de route en partie basse et sur le versant sud de la dépression pour recréer la continuité naturelle préexistante . Il est prévu de réaliser un axe de remplacement en arrière de l'étang de Laoual, en utilisant le tracé de chemins d'exploitation existants. Enfin, à la pointe du Van qui est le site le moins dégradé des trois, il est proposé de détruire les deux cents derniers mètres de la route d'accès au site ainsi que le parking contigu . Un nouveau parking est proposé en retrait, à proximité de secteurs déjà urbanisés . En 1977, le conseil général du Finistère donne un avis favorable au projet. Les élus locaux demandent à consulter la population et enregistrent les vives protestations des commerçants de la cité du Raz qui s'inquiètent des conséquences du déplacement de leurs activités . Le conseil municipal de Plogoff demande un temps de réflexion et projette d'élaborer des contre­ propositions. Cette première tentative de restauration visant à pérenniser la valeur patrimoniale d'un site prestigieux et surfréquenté, n'aboutira jamais. En effet, en 1979, après études et hésitations, EDF choisi le site de Plogoff pour l'implantation d'une centrale nucléaire. Le cap Sizun s'embrase et part en guerre contre l'État qui tente d'imposer ses projets . On connaît le succès de cette rébellion, le projet d'EDF est abandonné en 1981 au lendemain de l'élection présidentielle. La loi de décentralisation arrive en 1983, le projet Grand Site national est oublié, enterré . Sur le terrain, la situation demeure. La pointe du Raz n'est toujours pas gérée, les visiteurs continuent d'affluer, de piétiner, d'éroder. La municipalité de Plogoff encaisse les recettes du parking, sans le moindre réinvestissement dans une quelconque protection . En 1987, le site classé est agrandi dans de nouvelles limites qui intègrent largement la dimension paysagère et naturelle.

III - 1989, LANCEMENT DE LA DEUXIÈME "OPÉRATION GRAND SITE" En 1989, une nouvelle opération Grand Site national est lancée et pilotée par le préfet du Finistère . Fort de l'échec précédent, celui-ci sélectionne, pour réaliser l'étude de faisabilité, un bureau d'étude, Campanile Cités Conseil, qui associe urbanistes et sociologues mais ne compte pas de naturaliste . Le but à atteindre est de persuader les acteurs locaux, notamment les élus et les commerçants, de la nécessité de déplacer la cité commerciale et de restaurer le site, et de leur faire comprendre qu'économiquement tout ceci est viable. Accessoirement, il convient aussi de trouver un nouvel emplacement qui satisfasse tout le monde. C'est chose faite en mai 1991. Le bureau d'études remet son rapport, consacré tout entier à la pointe du Raz, les autres composantes du grand site national passant à l'époque complètement à l'arrière plan.

Le site de remplacement proposé est en retrait de 800 m par rapport à l'initial, dans un petit vallon. Plusieurs options sont proposées pour l'implantation du bâti, dont certaines avec vue sur mer. Il est important de noter qu'aucune de ces options ne sera conservée pour le projet définitif. L'emplacement , par contre , ne sera plus jamais remis en question . En effet, les commerçants

Cahiers Nantais n° 47-48 306 renâclant à un recul jugé excessif, les élus et l'administration locale refuseront d'évoquer toute autre possibilité. Le choix arrêté est pourtant aisément criticable . Le vallon retenu est encaissé de moins de 10 m dans le plateau sommital de la pointe, à l'écart de tout site urbanisé, et dans le site classé quatre ans auparavant (Fig. 2). Plus à l'est, hors du site classé, il existe un autre vallon beaucoup plus marqué, contigu au hameau de Lescoff. Il aurait pu accueillir du bâti dans la continuité de l'existant.

□ Lande rase, pelouse □ Lande moyenne Lande hau te ~ . □• Friches , broussa illes eaudense tYiil Jard ins Couvert végétal dégradé •§ Routes, parkings Falaise D par la sur1réquentatlon □ tZl Future cité commerciale ~ Courbe de niveau , point coté

Fig. 2 : Pointe du Raz, la nouvelle cité et son environnement

En 1991, le Syndica t mixte pour l'Aménagement et la Protection de la pointe du Raz et du cap Sizun voit le jour, et devient maître d'ouvrage de l'opération . Il a pour président un élu local, ancien ministre, vice-président du conseil général du Finistère et du conseil régional, et réunit la ODE, le conseil général du Finistère, le Conservatoire du littoral, les élus locaux, des représentant s des commerçants et des mécènes . Une commission technique prépare les dossier s pour le syndicat. La Société pour l'étude et la protection de la nature en Bretagne (SEPNB) assiste aux réunions de cette commission, sans toutefois pouvoir participer aux prises de décisions. La maîtrise d'oeuvre générale des opérations revient à la ODE. Le bureau d'étude de la SEPNB se voit confier la maîtrise d'oeuvre des expérimentations de mise en défens et de revégétalisation et le suivi scientifique de la revégétalisation. Un nouveau bureau d'étude est chargé de peaufiner le projet et de préparer le concours d'architecte .

IV - LE PROJET DÉFINITIF A la pointe du Raz, le projet de Campanile Cités Conseil est repris et seulement retouché. Le parking et tous les bâtiments à l'exception du sémaphore sont détruits et reconstruits 800 m à l'est. La revégétalisation concerne environ 6 ha. La route est conservée pour permettre la circulation de navettes. Une étude de la SEPNB portant sur la sensibilité des milieux naturels ayant démontré la fragilité des landes rases situées au nord de la route, il est décidé de cantonner l'essentiel de la circulation piétonne vers le sud, dans des landes moyennes et hautes plus banales (Fig 2). La même étude ayant montré que l'emplacement du nouveau site correspond à des friches et broussailles, formations végétales peu intéressantes, les promoteurs de l'opération se trouvent confortés dans leur décision. Trois projets architecturaux sont proposés. L'un s'appuie sur le relief à l'ouest du vallon. L'autre s'inscrit dans le creux, en continuité avec le bâti clairsemé existant. Le troisième propose une porte de site sur la route actuelle . Sans discussion en commission technique, sans argumentation, les élus choisissent l'effet de porte. Ce choix définitif sera confirmé par le concours d'architecte qui retient un architecte local qui a le mieux affirmé cette option dans des formes assez classiques et donc acceptables par tous.

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En baie des Trépassés les propositions consistent uniquement à tenter de supprimer le stationnement sauvage sur cordon et sur dune bordière. Il s'agit d'un problème insurmontable, sauf par création d'aires de stationnement. En fait, la plupart du temps l'actuel parking de l'hôtel suffit largement à absorber le flot de véhicules, et il n'y a pas de problème de place, mais un simple problème de respect de la réglementation. En revanche, deux à trois fois par été, on compte jusqu'à quatre cents véhicules dans la baie, ce qui dépasse très largement les capacités d'absorption locales . Le projet prévoit donc d'optimiser l'utilisation du parking de l'hôtel, d'aménager du stationnement sur les bas-côtés de la route, et de créer un nouvel emplacement au sud de la baie, au beau milieu d'une dune perchée (Fig. 3). Il n'est pas sûr du tout que le site y gagne sur un plan esthétique. A la pointe du Van, l'actuel parking, qui consiste en un élargissement de l'extrémité de la voie d'accès, va être supprimé et remplacé par un nouveau parking plus vaste édifié juste en arrière sur une ancienne parcelle agricole, en plein site classé ! De même, toujours en site classé, et en un lieu vierge de toute construction, on va construire un pavillon d'accueil. Cette décision est purement politique, et consiste à offrir aux élus de Cléden-Cap-Sizun, commune où se situe la pointe du Van, une version miniaturisée de la cité commerciale de la pointe du Raz. À aucun moment, il n'y aura de variantes proposées à ce projet global. Les consultations, notamment celles des commissions départementale et supérieure des sites se feront sur ces seules propositions. L'étude d'impact, comme dans la plupart des cas, justifiera le choix, ignorant toute autre solution éventuellement moins contraignante pour le site classé . Les seules péripéties seront dues aux inquiétudes et exigences des commerçants, ou consisteront à satisfaire les demandes de modification de détail de la commission supérieure des sites, en alourdissant à chaque fois la facture. Alors que le projet s'élabore, le syndicat mixte développe une communication exemplaire qui se traduit notamment par l'intervention d'un grand mécène national, la Fondation Gaz de France, et le soutien de l'hebdomadaire Le Point. D'articles en interviews, tout le monde ne parle que de cette restauration exemplaire. Les journalistes invités sur le site rapportent ce qui leur est dit sans chercher à approfondir. Même Le Monde et Combat Nature sont sous le charme. Comment nager à contre-courant ? Entre 1977 et le rejet du projet l'État, et 1990 avec le projet médiatisé des élus, les choses ont bien changé. La décentralisation est intervenue, et le pouvoir local a grandi. Un élu de poids a pris le dossier en mains, pesé sur les choix et porté le projet. L'environnement est devenu un enjeu économique. Les paysages, la nature sont devenus une ressource naturelle exploitable et cela d'autant plus qu'il semble y avoir un public demandeur et exigeant. Après avoir aménagé les campagnes et les villes, la montagne et le littoral, c'est l'aménagement de la nature qui s'amorce . Et si finalement, au delà du discours, des formes et des modes, les acteurs d'aujourd'hui ne répondaient pas aux problèmes posés par le tourisme autrement que ceux d'hier confrontés à la même situation ? En 1990, comme en 1962, au nom de la protection du site, on bétonne, sans génie , à l'intérieur du site.

V - LE PROJET, LA LOI Resitué dans le cadre d'une opération Grand Site, le projet est incohérent. La solution adoptée va aboutir à la construction de 3 000 m2 de bâtiments et d'un parking de 900 places , en site classé (loi de 1930) à la pointe du Raz. A la pointe du Van, vierge de construction en dehors de la chapelle de Saint They, un parking paysager, une voie d'accès et un pavillon d'accueil vont être édifiés, encore en site classé. Dans la baie des Trépassés , on conserve un hôtel bâti sur la dune, et on y rajoute une aire de stationnement. Tout cela a nécessité l'autorisation du ministre de l'Environnement qui l'a donnée en personne lors d'une visite sur place. On retrouve la logique qui a présidé à toutes les interventions antérieures, elles aussi localisées dans ou en limite de site classé. Les choix actuels ne sont légitimés que par la destruction de l'ancienne cité et la revégétalisation des secteurs dégradés. Le préfet est chargé de veiller à la mise en conformité des Plans d'occupation des sols (POS) ou des Plans cadres des communes avec la loi Littoral de janvier 1986. Dans le département du Finistère, il délègue cette tâche à la ODE, qui charge des bureaux d'étude indépendants de procéder à la délimitation des espaces remarquables tels qu'ils sont définis par l'article L. 146.6. de la loi. Sur les communes concernées par le projet, la ODE a refusé la proposition du bureau

Cahiers Nantais n° 47-48 308 d'étude et a procédé elle-même à la délimitation en excluant du périmètre remarquable et strictement inconstructible tous les espaces pressentis pour les aménagements (Fig. 3). La construction de la cité commerciale se réalise en contradiction avec toutes les règles et les principes d'urbanisme qui font qu'actuellement on cherche à densifier le bâti existant. Si éventuellement l'emplacement de la cité n'était pas remarquable au sens de l'article 146.6, il n'en constitue pas moins un espace proche du littoral que la loi ne recommande pas expressément d'ouvrir à l'urbanisation. Ce projet réalisé, il sera bien difficile de s'opposer aux demandes de constructions entre la cité et Lescoff, demandes qui se justifieront au nom de la densification du bâti existant. La commission départementale des sites a accepté ce projet par 10 votes contre 5. Que peut-elle désormais refuser en zone littorale sensible ?

VI - CONTINUITÉ ? RUPTURE ?

La pointe du Raz, site naturel remarquable, souffre de l'impact du tourisme depuis qu'il existe. Avec une belle constance au cours du siècle, collectivités territoriales et administrations n'ont pas voulu ou n'ont pas su prendre en charge la gestion du site dans l'intérêt prioritaire du patrimoine naturel. Il est intéressant de souligner la modernité du projet de réhabilitation proposé par l'État en 1977 qui reste une vraie solution dans l'optique de la sauvegarde du site. Son ambition était claire, nettement en rupture avec les conceptions de l'époque en matière d'aménagement, l'ensemble du front de mer était rendu aux paysages naturels. Le projet en cours de réalisation par les élus, par son choix délibéré de maintenir et de développer l'accueil touristique et les commerces à l'intérieur du site, constitue plutôt un mauvais exemple type, et s'inscrit dans la continuité de pratiques dépassées. En rupture avec les règles habituellement admises de l'aménagement des sites sensibles, il handicape, qui plus est, l'évolution des installations dans le cas probable d'une augmentation du nombre de visiteurs. Par sa médiatisation au niveau national et l'affichage du large consensus entre les acteurs, le projet souhaite affirmer son exemplarité par la publicité, alors qu'à l'analyse, il représente dans son approche et dans les choix faits, un modèle qu'il serait regrettable de voir reproduit sur les autres pointes rocheuses de Bretagne. La réhabilitation de la pointe du Raz n'est en fait qu'un aménagement guidé par une préoccupation économique à l'échelle du cap Sizun, et non le fruit d'une réflexion fondée sur l'approche méthodologique de la gestion d'un espace naturel à forte valeur patrimoniale.

Biblographie

MOREL V., 1995, Impact des actions anthropiques sur les cordons de galets, Hommes et Terres du Nord, 1995, 1-2, pp. 58-64 . BCEOM, 1992, Projet de réhabilitation du site classé de la pointe du Raz, de la baie des Trépassés et de la pointe dt Van, 30 p. CAMPANILE CITÉS CONSEIL, 1991, Projet Grand Site National, pointe du Raz-Cap Sizun, 58 p. DÉPARTEMENT DU FINISTÈRE, 1977, Opération Grands Sites . Pointe du Raz, baie des Trépassés, Pointe dt Van, propositions d'aménagement, Ministère de la Culture et de l'Environnement, 54 p. SEPNB- DDE, 1992, Pointes du Raz et du Van, baie des Trépassés, sensibilité des milieux aux aménagements , propositions de gestion de la fréquentation, 14 p, 3 cartes hors texte.

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