LE BAPTÊME OU LA MORT : LE BLACK METAL DANS L’ART CONTEMPORAIN, NAISSANCE D’UNE NOUVELLE CATÉGORIE ESTHÉTIQUE Elodie Lesourd
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LE BAPTÊME OU LA MORT : LE BLACK METAL DANS L’ART CONTEMPORAIN, NAISSANCE D’UNE NOUVELLE CATÉGORIE ESTHÉTIQUE Elodie Lesourd « O Lucifer, seul et unique Dieu de mon âme, inspire-moi quelque chose de plus et tu verras comme je m’y plongerai »1. Cette prière de Mme de Saint Ange pourrait être celle, exaucée, des artistes contemporains qui voient dans le Black Metal une lumière inspiratrice. Satan leur a délivré la forme créatrice la plus extrême, la plus délétère mais peut-être aussi la plus riche. Agissant à la fois comme les corbeaux messagers d’Odin, Huginn et Muninn (la pensée et la mémoire), les artistes dissèquent un sYstème, explorent les mécanismes parfois obscurs qui régissent un ensemble, récupèrent le potentiel esthétique de leur cible et en proposent, par un déplacement du sujet et un changement d’état, une lecture nouvelle et améliorée. Mais utiliser cet artefact culturel comme référent ne revient-il pas à dire que le Black Metal lui-même n’est pas un art fini ? A-t-il besoin de se faire baptiser par l’art pour exister ? Si les deux champs culturels, art contemporain et Black Metal, qualifiés de high ou low, paraissent opposés voire contradictoires, qu’est-ce qui permet ou motive la collision des deux ? Ainsi, on peut se demander de quelle manière les artistes utilisent ce courant musical comme fondement thématique et structurel de leur œuvre. Une analYse visuelle des signes référents du genre peut nous permettre d’observer un principe de révélation opéré par l’art. Or reconnaître sous entend que cela soit connu, voir c’est savoir. Cette sémiologie révèle finalement une extension non négligeable du champ d’existence du Black Metal. Mais l’art a cette capacité de suggérer plus qu’il ne montre et par une herméneutique, le signe est dépassé. Si nombre d’artistes adoptent une approche phénoménologique envers ce genre, il semble qu’une analYse critique permet d’exploiter son potentiel caché. Il faut tenter de saisir l’insaisissable et d’exprimer l’inexprimable. L’art, comme tentative d'exégèse, serait peut-être son meilleur interprète. Enfin, si ce phénomène musical voit son champ de propagation élargi, il importe surtout aux artistes d’en faire une nouvelle catégorie esthétique. Quitter l’état hétérotopique pour devenir un genre idéal visé par l’œuvre. A notre besoin de rituel répond le Black Metal qui "dénoté" par l’art accède à l’infini. L’art contemporain à l’instar d’Olaf 1er, roi de Norvège (995-1000), sème la terreur par ses choix drastiques mais il offre à ce sujet ambigu la possibilité de s’étendre et de devenir une réelle « Gesamtkunstwerk ». Ce baptême n’est pas religieux mais plutôt philosophique et serait comme une immersion totale dans la pensée contemporaine. 1 Donatien Alphonse François, Marquis de Sade, « cinquième dialogue », La philosophie dans le boudoir (Londres : Aux dépens de la Compagnie, 1795) LES RÉFÉRENTS COMME MODE D’EXTENSION L’art contemporain est dépendant d’un sujet même lorsque le sujet est lui- même, qu’il se fonde sur un travail autotélique ou non, il s’agit toujours de dénotation. Avec l’arrivée des médias, l’art s’est tourné vers la culture populaire avec une appétence féconde. Il consomme et consume instantanément tout ce qui l’entoure et ce, non sans but critique. Le rock, de part son immédiateté, sa propension productive de sens, était déjà sujet, deux ans après sa naissance, aux expériences esthétiques de Ray Johnson - Oedipus (Elvis #1), 1956. Puis, avec l’arrivée du métal, expression d’un fort sentiment d’existence, c’est toute la culture underground qui s’est vue citée, analYsée et décortiquée. Dans cette logique postmoderne de citation, le Black Metal a été assez tôt perçu par quelques artistes comme sujet potentiel. Qu’ils soient voYants rimbaldiens ou rebelles inconscients, ces artistes s'engagent en faisant de ce mouvement musical l’objet de leur quête. Il s’avère que ce choix, périlleux sans doute, est d’une grande pertinence, car ceux-là savent les richesses essentielles que renferme un tel corpus. Plus que d’autres, le Black Metal accède par l’art et par un travail réflexif à un déploiement extraordinaire. Il est intéressant d’identifier avant tout qui sont ces chevaliers qui tentent de conquérir un univers trop peu défriché et déchiffré. Leur nombre s’est vu multiplié depuis 2005 et ce n’est que d’une manière non exhaustive que l’on en fera la présentation. Face à une tâche conséquente, certains mieux que d’autres réussissent le baptême du feu. Le Black Metal, dans sa deuxième période, est un produit scandinave, construit et conçu sur des fondements européens. Même s’il a acquis depuis une vingtaine d’années une réception internationale (on répertorie notamment des groupes en Colombie aussi bien qu’à Taïwan) les artistes eux sont exclusivement occidentaux. Cette donnée, faussée certainement par des divergences de marché, montre simplement que les artistes traitent a priori d’un sujet qu’ils connaissent parce qu’ils le comprennent. L’Europe apparaît d’abord comme un terreau fertile à sa propagation. La Norvège a vu naître le Black Metal. Comme nous le verrons ensuite, c’est naturellement là-bas que l’on découvre les premières tentatives plastiques inspirées de l’esthétique du mouvement. Mais les points extrêmes révèlent la puissance même du sujet. Alors que l’artiste australien Tony Garifalakis, (né en 1964) a pu observer le mouvement avec un regard d’adulte, le jeune américain Grant Willing (né en 1987) constate les faits résiduels et puise dans un passé aux allures de ruines. Cela démontre la possibilité pour deux générations différentes de donner une vision potentiellement tout aussi intéressante. Le Black Metal fascine les artistes au-delà des événements originels. Torbjørn Rødland, à l’aube d’un travail photographique réaliste et violent, semble être le premier artiste à avoir témoigné d’une sensibilité proche de celle du Black Metal. En viking modeste, il se photographie en 1993 sous les traits d’un éphèbe romantique esseulé, envahi par un sentiment de contradiction, tiraillé entre l’appel de la nature et le monde moderne, comme « une querelle entre le vieux monde et le nouveau »2 qui serait l’unique raison des désordres de la psYché. La série In a Norwegian Landscape (1993-1995) dévoile nombre des préoccupations et des codes visuels similaires aux intentions des premiers groupes norvégiens. Il partage avec les musiciens de la scène le même « Kairos ». Ils savaient que quelque chose allait se passer, à cet endroit, à ce moment. Ce n’était pas contingent mais nécessaire. Comme le cas de Rødland le démontre, les artistes contemporains touchés par cette culture sont en général de la même génération que les musiciens dont ils récupèrent le travail. Sans tomber dans une hagiographie inutile, comprendre ce qui incite ces artistes à travailler une telle matière vile passe par une identification globale de ces acteurs. Mais il s’agit avant tout de repérer les référents. Pour beaucoup, l’art ne fait que révéler des points inhérents du Black Metal, certains artistes s’inspirent des stratégies et de l’iconologie, d’autres le questionnent et le poussent dans ses retranchements. Les approches sont assez diverses mais s’accordent souvent sur des analYses d’éléments précis. Figure 1. Torbjørn Rødland, In a Norwegian Landscape 16, 1994, c-print, 140 x 107 cm Image courtesY Nils Stærk, Copenhagen. 2 Friedrich Nietzsche « A propos des humeurs », avril 1864, Premiers Ecrits, 1994, Paris, Le Cherche- midi Précisons tout d’abord que le Black Metal autopsié par les artistes est essentiellement celui de la deuxième période, mais quelques-uns n’oublient pas pour autant les racines nourricières du genre : la première vague. L’artiste bulgare Georgi Tushev, dans une peinture déconstructiviste de 2006, donne un visage morcelé mais puissant au groupe Venom. Malgré une trame géométrique effaçant le signe, l’image Y trouve paradoxalement toute sa force. L’intellectualisation par le biais de l’abstraction n’atteint pas le Black Metal mais le sublime. Adam Sullivan, cite également un groupe de la première vague, Celtic Frost au même titre que Joseph Kosuth comme influences majeures. En plaçant ces influences sur le même niveau, Sullivan suggère qu’il existe une porosité entre le Black Metal et l’art contemporain, voire même, que le Black Metal comme objet de pensée3 peut être pris au sérieux. Dans ses découpages et ses collages comme The real Voice, (2009), il présente une vision épurée du mouvement pour n’en garder qu’un essentiel édulcoré par l’utilisation des couleurs étrangères aux codes du genre ainsi qu’une réduction du signe. L’histoire de la seconde vague, celle qui a sorti le mouvement de l’ombre d’une cave, s’est vu appropriée par les artistes comme étant le signifiant le plus immédiat et peut-être le plus évident. Dans la mesure où la musique est immatérielle, ineffable, les artistes se tournent en premier vers des éléments concrets comme des faits historiques, pour évoquer ce mouvement. Les événements caractérisant cette deuxième vague sont vite devenus des mYthes et l’art, bien sûr, participe à la construction de cette mYthologie. En 2005, Banks Violette récupère l’esthétique minimale d’un édifice dévoré par les flammes, dans son œuvre Untitled (Church), se dévoilant ainsi sous les traits du narrateur. Mais il n’oublie pas que l’essentiel de l’acte plastique est de transformer de simples anecdotes en actes conséquents. S’appuYant sur la pochette du EP Aske de Burzum (Deathlike Silence Productions, 1993), sa démarche démontre le potentiel contenu sur ces supports de l’œuvre Black Metal.