BULLETIN D’INFORMATION

Décembre 2018 N°76

SOMMAIRE

- André Japy p. 1 à 14 - La ligne Marseille-Alger (1923-1927) p. 15 à 21 - Vie du CAF p. 22 à 24 - Accident Bahreïn 12 juin 1950 p. 25 à 27 - Chronique aérophilatélique p. 28

André JAPY (1904-1974)

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Remerciements Beaucoup de personnes ont participé à cet article consacré à André Japy, et il faut les en remercier avec une vive émotion pour les moments passés avec eux : Noëlle Japy dont le beau-père Albert Japy était aussi un aviateur, mais a dû reprendre des fonctions dans la société Japy. Fidèle amie, elle m'a fait découvrir l'empire Japy en me prêtant le livre "Les Japy Destinées d'une famille comtoise" et en me faisant rencontrer son fils Nicolas.

Nicolas Japy : acteur majeur de la mémoire d'André Japy : Il veille activement à la restauration du Simoun qui devrait faire prochainement son premier vol, il renforce les liens entre les japonais de Kansaki et les français de Beaucourt, il facilite la diffusion du livre Les ailes blessées1 rédigé par Chiaki Gondo qui a rassemblé les souvenirs des derniers témoins de l'accident du mont Sefuri.

Philippe Busch qui vient de sortir un excellent livre2 sur la vie d’André Japy. Sa collecte des écrits de Japy a été essentielle pour citer André Japy en décrivant son vécu d'une façon à la fois précise et passionnante.

Dominique Petit qui a, comme toujours, veillé à la cohérence et participé activement à la mise en forme (les attaches de son épouse à la famille Japy l'ont largement motivé !).

Jean-Pierre ARAGNETTI

1 Les Ailes blessées, le sauvetage d’André Japy sur le mont Sefuri, par Chiaki Gondo publié par l’Association des descendants de Frédéric Japy, Montbéliard (2016) 2 André Japy, Pilote de records (1904-1974), par Philippe Busch aux éditions de l’officine (2018)

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André Japy Par Jean-Pierre ARAGNETTI « Le Lindbergh français »3

Famille protestante installée depuis le 16ème siècle dans la région de Belfort à Beaucourt, la famille Japy a marqué l’histoire industrielle française. En industrialisant les processus de fabrication horlogère, Frédéric Japy4 (1749-1812) est le patriarche fondateur d’un empire industriel, mais aussi un précurseur dans les domaines de l’organisation du travail et de la vie sociale ouvrière au 19ème siècle. Il se plaisait à énoncer : "je veux que mes ouvriers ne fassent avec moi et les miens qu'une seule famille. Mes ouvriers doivent être mes enfants et en même temps mes coopérateurs". En 1810 alors que Napoléon 1er veut le faire comte il répond : "Sire je vous remercie, mais ne puis accepter car je ne pourrais plus m'adresser à mes ouvriers de la même façon pendant les repas". Frédéric Japy s'attache à transmettre ces valeurs à ses enfants qui diversifient les productions5, et prolongent cette philosophie au-delà des changements politiques durant le 19ème siècle jusqu'à Henri Japy qui la protège en s'opposant souvent aux idées du conseil de gérance de la Société "Japy Frères". Son fils Fernand Japy continuera la défense de ces idées : à ses funérailles6, un délégué syndical déclare : "il fut pour toute la population un protecteur et un ami, pour tous les malheureux le bienfaiteur le plus discret." André Japy, est né le 17 juillet 1904 à Beaucourt, fils de Fernand Japy. Après ses études secondaires il intègre à Paris l'Ecole Supérieure d'Aéronautique, dont il sort avec le diplôme d'ingénieur, qu'il complète par une licence en sciences de la météorologie et un certificat de mécanique des fluides. Peu attiré par une carrière dans l’entreprise familiale, André montre un goût prononcé pour la vitesse et la solitude. Il se passionne pour les motos, l'automobile puis l'aviation, influencé par son frère ainé Albert, ancien observateur au sein de l’escadrille MS 140 durant la Première Guerre Mondiale, breveté pilote en 1927, propriétaire du Farman 200 F-AJDO dès 1929, et qui sera président de l’aéro-club de Belfort jusqu’à la seconde guerre mondiale. André Japy restera toute sa vie un pilote méticuleux, navigateur hors pair préférant la lignée des aviateurs aventuriers à celle des pilotes "de ligne".

André Japy, l'homme des grands raids 1932 Avec pour moniteur Guy Bart7, il obtient le 24 mars 1932 à Orly son brevet de pilote "tourisme avion" (n°762), et dès le 4 juin, il achète un De Havilland DH.60 Gipsy-Moth équipé d’un moteur de 85 ch (immatriculé F-AMAR ex G-ABXC), dont il profite pour voler à sa guise : "À cette époque, j'habitais Belfort, je possédais un petit Moth 60 et partais par tous les temps pour ne pas rater un week-end à Paris. C'était un excellent entrainement et plus d'une fois j'ai dû me poser en campagne; excellent exercice !" Du 12 au 23 septembre, il effectue seul un voyage en Pologne (Poznań, Varsovie) via Stuttgart et Berlin, puis vers Amsterdam afin de se préparer aux grands raids.

3 Baptisé ainsi par les journalistes de l’époque. 4 Un intéressant musée à Beaucourt lui est consacré http://www.beaucourt.fr/action_sociale/musee_japy.htm. 5 Horlogerie, quincaillerie, machines à écrire, machines à café, les fameuses pompes Japy, etc… 6 Tombé au champ d’honneur le 13/08/1914 lors des combats du moulin de la Caille (68 - Montreux- Jeune) dans les premiers jours de la guerre 14-18. 7 Il formera aussi Maryse Bastié.

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1933 : les premiers grands raids Du 15 au 25 avril il effectue à bord de son Gipsy-Moth un raid de 9400 km autour de la Méditerranée en 71 heures de vol : Belfort, Avignon, Naples, Athènes, Benghazi, Tripoli, Gabès, Alger (20 avril), Oran, Rabat. Le retour Oran - Lyon - Paris le 24 avril en 12h25 de vol constitue une performance remarquable. Retour à Belfort le 25 avril. "Le beau voyage en URSS" Départ du Bourget le 13 août à l'aube aux commandes de son Gipsy-Moth, arrivée à Berlin après 7h10 de vol en raison d'un fort vent de face. Le 14, départ à 6h30 de Tempelhof pour Moscou en suivant l'itinéraire des avions de la Deruluft8 .Un vent contraire l'oblige à une escale à Königsberg, puis Kovno (aujourd’hui Kaunas en Lituanie). Le 15, départ en matinée pour Moscou qu’il atteint après 6h30 de vol : "en arrivant à Moscou j'ai survolé un terrain sur lequel plusieurs pentamoteurs étaient rangés, l'après-midi j'assiste à un saut de démonstration de 40 parachutistes qui s'élancent simultanément munis de parachutes de couleurs différentes pour atterrir parfaitement en les manœuvrant en vol". Le 17, Moscou - Leningrad en 6h30 de vol. Le 18, départ vers Stockholm, mais une météo très mauvaise l’oblige à voler à très basse altitude et faire escale à Tallin (Estonie) avant d’atteindre Stockholm. Le 19 Stockholm - Oslo. Le 20 août, Oslo - Amsterdam - Paris : craignant de manquer de carburant après 10h30 de vol, il se pose en pleine campagne à proximité de Compiègne près d'une pompe à essence avant de rejoindre Le Bourget en 1h de vol.

1934 Le challenge "Paris-Saigon" ou "Coupe du Président de la République" consiste à effectuer le parcours -Indochine dans un maximum de 360 heures avec un avion de poids à vide inférieur à 550 kg avant le 1er février 1934. Trois pilotes s'inscrivent : Maryse Hilsz, Joseph Chartoire et … André Japy avec son Gipsy-Moth. Parti d'Orly le 26 janvier à 10h53, Japy atterrit à Marignane à 17h, et en repart le lendemain à 6h27 pour atteindre Gabès en Tunisie à 21h. La tentative tourne court le 31 en Syrie où il tombe en panne. Aucun des engagés ne réussit le challenge. Japy cède son Gipsy-Moth à l'aéro-club de Damas. Au retour de ce voyage il s’engage dans une formation méthodique d'amélioration de ses performances, et de maitrise des paramètres de vol. Pour des raisons de coût et de conditions météorologiques, il choisit l'Angleterre afin de s’entrainer au P.S.V. (pilotage sans visibilité). "Après quelques vols de nuit, je me suis entrainé d'une façon graduelle et rationnelle : Paris- Oslo-Paris, Paris-Oran-Paris, Paris-Tunis-Paris. Je calculais chaque fois un itinéraire qui comportait environ 200 km de plus que le précédent pour vérifier aussi le rayon d'action exact de mon appareil ".

1935 : record de vitesse sur le trajet Paris - Saigon Il achète un monoplan Caudron C.600 Aiglon équipé d'un moteur Renault Bengali Junior 4Pgi de 100 ch immatriculé F-ANVB, et met immédiatement en pratique sa formation afin de se préparer aux grands raids. Le 21 août, il effectue le trajet Paris - Oslo et retour dans la journée : décollant de Paris à 3h15 il atteint Oslo à 10h30, d'où il repart à 11h35 pour se poser au Bourget à 19h30 (2 880 km en 15h10 de vol à la vitesse moyenne de 192 km/h).

8 La Deruluft (Deutsche-Russische Luftverkehr A.G.) est une compagnie aérienne russo-allemande (à parité 50-50) fondée en 1921, qui exploita jusqu’en 1937 des lignes entre l’Allemagne et l’URSS.

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Le 1er septembre, il effectue un aller et retour Paris - Oran dans la journée (3050 km en 16h25 de vol à la vitesse moyenne de 190 km/h), suivi le 22 septembre par un Paris - Tunis - Paris dans la journée (3400 km en 17h05 à la vitesse moyenne de 199 km/h). "Je veux aller encore plus loin pour montrer les capacités de l'aviation moderne". Le 12 décembre, seul à bord de son Caudron Aiglon F-ANVB, André Japy décolle d’Orly à 12h30 en direction de Saigon pour tenter de battre le record établi sur le parcours par Goulette et Lalouette en novembre 1930 (5 jours et 4 heures sur un Farman 197). Une prime de 150.000 F est accordée par le Ministère de l’Air à qui battrait le record avant le 31 décembre 1935. Japy fait escale à Marseille puis Alexandrie, Damas, Karachi le 14, et se pose à Saigon le 16 à 3h23 (heure de Paris). Les 10150km ont été parcourus en 3 jours et 15 heures, battant ainsi largement le record. Japy devient ainsi le "Lindbergh français" à 31 ans avec un brevet de pilote de seulement 3 ans. Suivons-le durant sa quatrième nuit : Les six premières heures au départ de Calcutta me furent légères. Le court sommeil de la nuit me valait cette euphorie mais la chaine des sommets de Birmanie haute de 3000 m se rapprochait, l'altitude me rendit à ma fatigue. La chaine franchie la descente vers Bangkok me devint très pénible, le sommeil m'assaillait. Je dormais une seconde pour me réveiller la seconde suivante avec la sensation d'avoir perdu conscience plusieurs minutes, et le chronomètre qui ne bougeait pas semblait vouloir me condamner pour l'éternité à cet état second chevauchant le rêve et la réalité. Mon appareil lui aussi tombait de sommeil, ses commandes épousaient mes défaillances. Je piquais de la tête, lui aussi. Le moteur s'emballait et changeait de son. Cette dissonance me réveillait. Le temps de remettre l'avion en ligne de vol et me revoilà reparti au pays du néant instantané. Heureusement que pour me rappeler que je volais, une couche de crasse vint se former au-dessus de moi. Un suprême effort et je reprends possession de tous mes moyens parce qu'il le faut. Et voici Phnom Penh que je repère dans une éclaircie. Je suis en Indochine, mais contrairement à la joie escomptée à Paris, une mauvaise humeur terrible m'envahit "comme c'est idiot, ce voyage !" … J'atterris à Saigon de plus mauvaise humeur que jamais. Fort heureusement personne n'est là pour m'attendre : les feux étaient préparés pour la nuit suivante …! Il quitte Saigon le 19 pour le voyage retour. Le 29 au décollage de Bagdad sur un terrain détrempé, de la terre glaise pénètre dans les carénages de ses roues et freine le Caudron qui heurte un mur en bout de piste et capote. André Japy est indemne, mais le Caudron est en morceaux. Le même jour Antoine de Saint-Exupéry et Provost quittent le Bourget pour s’attaquer aussi au record, mais leur Caudron ne dépassera pas la Libye. André Japy rentre par les lignes d’Air-France et atterrit au Bourget le 6 janvier 1936.

1936 André Japy poursuit sa formation et participe à un stage de voltige Morane Saulnier de cinq heures de vol en double et solo : son professeur Georges Détré valide le niveau atteint qui lui sera fort utile dans les conditions de vol qu'il rencontrera. Du 27 avril au 7 mai il effectue une période de réserve militaire sur Morane 630 avec plusieurs épreuves de pilotage. Le 31 juillet : il décolle de Guyancourt sur le Caudron C.631 F-ANXA Simoun en direction d’Alger, où il se pose vers midi après 5h03 de vol à 275 km/h de moyenne. Après une escale de 58 minutes à Alger, le retour vers le Bourget est effectué en 5h48.

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Le 6 août 1936, il veut relier Paris à Moscou sans escale, et décolle du Bourget à 21h30 aux commandes d'un Caudron C.631 Simoun F-ANXA. Après avoir volé toute la nuit, les conditions météorologiques le contraignent à se poser à Velikié Louki à 400 km de Moscou, qu’il n'atteindra que le 7 août à 12h40. Le 8 août 1936, le vol retour Moscou - Paris (2475 km) est effectué sans escale en 9h50.

Le 25 octobre : Course aérienne Paris - Saigon - Paris Cette course est organisée par l'Aéro-Club de France qui fixe le règlement suivant : la course est ouverte aux avions en possession de leur certificat de navigabilité et équipés d'une radio de bord. L'équipage exigé est de trois à quatre hommes. Les concurrents doivent suivre l'itinéraire emprunté par les avions commerciaux d'Air France avec, à l'aller comme au retour, deux points de contrôle obligatoires à Bagdad et Karachi. En dehors de ces deux villes les équipages peuvent se poser où bon leur semble. Une escale neutralisée de 48h est prévue à Saigon. Le classement en fonction de la vitesse réalisée doit permettre l'attribution de trois prix, un premier de 850.000 F, un second de 550.000 F et un troisième de 400.000 F. Pour être classés, les concurrents doivent être de retour à Paris avant le 9 novembre à 6h00. Dix équipages se sont inscrits, mais par suite de retards de fabrication et de mise au point des appareils, ils ne sont plus que trois au départ. Cette épreuve d’environ 23000 km est la plus longue de la planète. Elle doit permettre de préparer une compétition encore plus exigeante, un tour du monde en 1937. Les trois équipages concurrents sont :  Maurice Arnoux9 commanditaire, André Japy pilote, Jérome Micheletti radionavigant, sur le Caudron-Renault Goéland type C.444 n°7/7268/5, bleu pâle, F-AOMS équipé de deux moteurs Renault 6Q de 220 ch sans compresseur. Sorti d'usine le 29 aout 1936 c'est l'avion de démonstration de la Société Caudron. Il est doté d'un équipement adapté aux grands raids (réservoir supplémentaire, TSF, etc.).  Michel Détroyat et Gaston Dumon pilotes, Louis Agnus mécanicien radionavigant, Henri Desseigne mécanicien, sur l’unique Breguet 470 T Fulgur, F-APDY (puis EC-AHC durant la guerre d’Espagne) à deux moteurs Gnome & Rhône 14 Kdrs de 800 ch.  Roger Bril et Léon Challe pilotes, Pierre Henry radionavigant, sur le Caudron-Renault C.448 n° 11/7272, bleu foncé et blanc, F-AOMX, équipé de deux moteurs Renault 6Q 02/03 de 220 ch avec compresseur, baptisé Ric et Rac et propriété de Roger Bril.

9 Maurice Arnoux (1895-1940) : breveté pilote militaire le 24 mai 1916, il est d’abord pilote d’avion d’appui d’infanterie avant de passer dans la chasse en avril 1917, où il obtient 6 victoires. Devenu industriel à Montrouge, il continue à piloter. Breveté pilote civil en juillet 1926, il bat des records du monde de vitesse sur Caudon Rafale C.460, et remporte la coupe Deutsch de la Meurthe (1934). Le commandant Arnoux sera abattu le 6 juin 1940 sur son Morane MS406 à Angivillers.

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L’équipage du Caudron Goéland C.444 F-AOMS : de gauche à droite Maurice Arnoux, André Japy, Jérome Micheletti

Le 25 octobre 1936 à 6h00 le F-AOMX décolle du Bourget, suivi à 2 minutes par le Caudron F-AOMS de Japy qui survole Lyon à 7h58, Cannes à 9h05, puis aborde la Corse à 10h21. L’avion de Japy, signalé à 13h05 au nord de Brindisi, se pose à l’aérodrome de Tatoï, proche d’Athènes à 15h40. Le plein fait, il repart à 16h50, passe à la verticale de Nicosie à 20h30, puis de Damas à 21h55 où il se pose à 0h49, en tête de la course. En effet le Breguet F-APDY qui a décollé à 6h04 subit du mauvais temps au-dessus de l’Adriatique. Ses moteurs givrent. A cours d’essence, il doit se poser à 15h35 aux environs de Corinthe sur un terrain de secours où il ne peut pas faire le plein faute de carburant. Quant au Caudron, F-AOMX, confronté à des problèmes de train d’atterrissage, il doit rebrousser chemin. Une fois réparé, l’appareil quitte à nouveau le Bourget à 8h33. A 11h42, il se doit se poser à Turin par suite d’un défaut de lubrification moteur, et reprend à nouveau le chemin du retour en direction de Lyon-Bron où il fait escale pour la nuit. Après avoir fait le plein et s’être restaurés, Arnoux, Japy et Micheletti décollent de Bagdad, le 26 octobre à 1h45 pour rallier Karachi, la seconde escale obligatoire. Le vol se déroule dans de bonnes conditions jusqu’à ce qu’à 13h, au moment de se poser, Arnoux constate que la roue gauche du train d’atterrissage refuse de sortir de son logement. Les trois hommes tournent alors au-dessus du terrain pour consommer le reste de carburant et tenter soit d’extraire la roue récalcitrante de son logement, soit de rentrer la roue droite. Ils n’y parviennent pas et doivent atterrir sur une roue. L’aile gauche est brisée, l’hélice gauche est tordue et le fuselage endommagé. Arnoux, Japy et Micheletti sont indemnes, mais dans l’impossibilité de réparer, sont contraints d’abandonner alors qu’ils sont en tête de la course avec 2500 km d’avance sur Détroyat et son équipage.

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Le Breguet Fulgur se retrouve alors en tête. Une voiture arrivée d’Athènes avec du carburant lui permet de décoller de Corinthe le 26 octobre à 4h35 pour rejoindre Athènes à 5h20. Le plein complété, il prend à 6h22 la direction de Bagdad pour s’y poser à 12h46. Il redécolle pour Karachi, mais n’y parviendra pas. La rupture d’une canalisation d’huile contraint Détroyat et son équipage à abandonner la course à Bouchir vers 16h25. Un seul équipage reste encore en course, celui du Caudron F-AOMX, qui quitte Lyon-Bron, le 26 octobre à 8h pour Le Bourget où il arrive à 9h55. Après réparations, l’avion repart pour la troisième fois du Bourget, le 27 octobre à 10h31. Henry souffre d’une angine, Victor-Michel Beaufol, radiotélégraphiste à Air Bleu, et Rocroix, mécanicien prennent le relais au pied levé. Le nouvel équipage survole Ajaccio à 14h03, puis se pose à Tunis à 16h02 pour en repartir à 20h10. Le 28 octobre, à 7h30, le Caudron atterrit à Mersa Matruh (Egypte) et repart à 9h50 en direction de Bagdad. Après avoir fait escale à Bagdad à 20h08, Challe doit abandonner à Bassorah après l’éclatement d’une bielle de l’un de ses moteurs. Il n’y a plus de concurrents dans cette course, qui s’achève en fiasco…

Caractéristiques des 278 plis témoins :  La majorité des plis sont signés par M. Arnoux et par A.Japy. La plupart des enveloppes sont à entête de la société ARNOUX & MAUNY.  Timbre à date LE BOURGET - PORT AERIEN SEINE 25/10/1936 - 5 H  Griffe violette, de forme losange, sur cinq lignes :

COURSE AERIENNE PARIS - SAÏGON

ÉQUIPAGE

ARNOUX - JAPY

+ MICHELETTI + 25-10-36

 Timbre à date KARACHI AIR 26 OCT.36 frappé à l’envers sur un timbre indien de 3P  Griffe violette sur deux lignes : Voyage interrompu le 26-10-1936 à Karachi

On connait une carte postale oblitérée LE BOURGET - PORT AERIEN SEINE 24-10-1936 et KARACHI AIR 26 OCT.36 portant la mention manuscrite ‘‘Souvenir de raid interrompu’’ avec la signature d’Arnoux.

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Raid Paris – Tokyo et l'accident sur le mont Sefuri Le 15 novembre 1936, à 23h46 André Japy s'envole du Bourget à bord du Caudron C.631 Simoun F-ANXA10 équipé d’un moteur Renault 6Q-01 de 220 ch pour un nouveau défi : relier Paris à Tokyo en moins de 100 heures. N’ayant pas obtenu les autorisations pour survoler l’URSS, Il emprunte l’itinéraire sud, et fait escale pour avitaillement en carburant à Damas, Karachi, Allahabad et Hanoi, qu’il atteint 51 heures après son départ du Bourget : un nouveau record sur ce trajet, qui lui vaudra la coupe de Sibour. Il décolle de Hanoi 2h plus tard pour Hong Kong où il atterrit le 18 novembre à 17h10 (heure locale). A peine posé André Japy redécolle en direction de Tokyo, mais la météo se dégrade fortement et il doit faire demi-tour pour attendre une amélioration. Le lendemain 19 novembre à 5h25 du matin, après 13h d'attente qui lui ont permis de prendre un peu de repos, André Japy quitte Hong Kong pour parcourir les 2900 kilomètres le séparant de Tokyo, soit une dizaine d'heures de vol direct. Laissons le raconter : … " Ce jour-là, après avoir passé Shanghai, le temps s'est soudainement gâté. Outre la pluie, je volais contre un vent fort de 40 à 50 m/s et mon petit appareil a commencé à être secoué des deux côtés. J'avais l'impression qu'à tout instant nous allions être renversés, j'ai empoigné encore plus fortement le levier de pilotage. Après réflexion, afin d'éviter d'être trop secoué, j'ai réduit ma vitesse de 300 à 240 km/h. Mais le vent est devenu de plus en plus fort, rien ne semblait pouvoir arrêter ce ballotement…. J'avais pris l’ile de Kyushu pour objectif et suis arrivé non sans peine dans le département de Nagasaki, vers Nomozaki. Quel soulagement et quelle joie j'ai ressentis ! J’avais atteint le Japon. Lorsque soudainement, je me suis aperçu que je n'avais presque plus assez d'essence. Aller jusqu'à Tokyo étant devenu impossible, j'ai décidé de faire un atterrissage forcé quelque part. Au début j'ai pensé aller jusqu' Osaka mais j'ai réalisé que cela pouvait être dangereux de nuit aussi ai-je choisi l'aéroport le plus proche, celui de Fukuoka. J'ai commencé à perdre de l'altitude pour voler sous les nuages …. J'ai notablement réduit ma vitesse et mon altitude de façon à voler 200 - 300 m du sol pour trouver mon chemin. Après moins d'une heure, je me suis heurté à une épaisse couche de brouillard, j'ai vaguement distingué, entre les nuages et la couche de brouillard, le faite du mont Sefuri. J'ai immédiatement repris de l'altitude pour passer le sommet sans problème. J'allais passer la montagne lorsque je fus saisi et projeté dans une poche d'air, ce que nous craignons le plus. L'appareil a fait une chute de 100 m pour venir s'écraser sur le mont. C'est la fin ! En un instant mon corps a été saisi d'effroi. J'ai vu défiler devant mes yeux les visages de ma mère, de mon père et de mes amis … " Des villageois qui se trouvaient dans la forêt iront quérir des secours et rechercheront l'avion dans le brouillard en luttant contre la nuit proche. Ils retrouveront l'épave en se guidant sur les appels de Japy. Découvrant qu'il s'agit d'un étranger, ils décident de le descendre au village qu'ils atteindront après beaucoup d'efforts à 23h soit 6h après l'accident." S'ensuivra une démarche continue de solidarité au-delà des frontières et avec la ville de Fukuoka comme épicentre. Cette amitié perdure entre les villes jumelées de Kanzaki et de Beaucourt. Ils continuent à partager leurs souvenirs et renforcer leurs liens par des échanges de toutes formes : en 1995 une délégation japonaise de 33 personnes est venue à Beaucourt, puis en 1996 les beaucourtois sont venus au Japon pour célébrer les 60 ans de l'accident et remercier la population de son dévouement. Le sauvetage de Japy-san par des villageois japonais est merveilleusement raconté le livre de Chiaki Gondo Les Ailes blessées, le sauvetage d’André Japy sur le mont Sefuri.

10 Cet avion est prêté à Japy par la société Caudron. Genin et Robert avaient établi (18-21 décembre 1935) un nouveau record de rapidité le record sur le trajet Paris - Tananarive en 57h35 (8900 km) à bord de ce même Caudron-Renault Simoun F-ANXA « Gody Radio » alors peint en bleu. Japy l’avait fait repeindre en rouge.

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Caudron C.631 Simoun F-ANXA de Japy.

L’épave du Caudron C.631 Simoun F-ANXA après son accident sur le mont Sefuri.

André Japy est descendu sur un brancard, pour être ensuite emmené en ambulance à l’hôpital de Fukuoka.

1937

Le 17 avril 1937 André Japy atterrit au Bourget après sa convalescence et retrouve sa mère et tous les officiels venus le féliciter. Il aura relié la France au Japon en 75 heures et 15 minutes sur un parcours de plus de 14 000 km. Le record ne sera pas battu.

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Istres - Djibouti : record de distance pour avions légers Le 6 novembre il annonce se rendre à Istres pour terminer les préparatifs d'un nouveau record de vitesse sur Paris - Saigon sur le Caudron C.600 Aiglon à moteur Renault de 100 ch F-ANSI, qui lui a été prêté par l’aviatrice Andrée Dupeyron. En réalité, il décolle d’Istres le 30 novembre à 9h37, traverse la Méditerranée, survole l’Egypte puis le Soudan anglo-égyptien et se pose à Djibouti le 1er décembre à 13h30 heure locale (11h30 GMT) en établissant un nouveau record international de distance pour avions légers11 : 5100 km parcourus en 25h53 à 196 km/h de moyenne.

"Ce vol n'a pas été aisé. Après mon décollage avec une charge de 2300 kg qui m'oblige à rouler sur plus d'un kilomètre avec un avion qui ne donne que 60 ch, j'ai volé à basse altitude jusqu'aux Bouches de Bonifacio. Au début de la nuit comme j'approche de la Sicile je suis assailli par une pluie, et quelle pluie! Cela coulait jusque dans la carlingue. Je dois m'enfoncer entre deux colonnes noires et lutter contre les violentes dépressions. La grêle crépite sur les ailes avec un bruit qui couvre celui du moteur. Lorsque j'aborde la Tripolitaine mes ailes meurtries portent la trace de cette lutte de plusieurs heures. Je trouve alors comme une récompense des vents favorables continus au-dessus du désert. Je survole le Nil jusqu'à la mer Rouge. Là de petites émotions: alors que je survole Le Caire, je m'aperçois que la température monte terriblement: 45°, 55° et même 70°, je me prépare à sauter en parachute … puis tout s'est arrangé … et je me pose soulagé d'avoir évité la panne carburant car mes réserves étaient plus que critiques!" Le 3 décembre décollage de Djibouti à 6h pour un retour vers la France via Massaoua, en faisant escale au Caire et à Tunis d'où il décolle le 6 à 9h35. Il était attendu vers 13h à Marignane mais n'arrivera qu'à 16h20 au grand soulagement de tous. Que s'est-il passé ? Je volais très bas pour éviter d'être déporté. Je pique droit vers l'Ouest, mais la tempête faisait rage. La bourrasque devait atteindre 200 km/h, et mon "Aiglon" avait peine à résister aux rafales. Fortement balloté, tout craquait à bord. Jeté à droite, à gauche, piquant dans des trous, je lutte désespérément contre les éléments déchainés. A un moment donné, j'eus l'impression très nette que mon avion allait se disloquer. J'avais perdu tout contrôle de mon appareil et de mes instruments de bord. Je crus que c'était la fin. Je fermais les yeux. Pourtant l'avion tient le coup mais j'avais perdu Bonifacio de vue. J'avais été entrainé « en peine gomme » à 220 km/h en deçà de la Corse. Je reviens longer la côte et tente de franchir le cap, je réussis dans une lutte acharnée et me dirige vers les côtes françaises, toujours dans la tourmente qui se calme un peu à une centaine de kilomètres de Marignane … Djibouti et le Japon ne sont rien à côté de ce voyage Tunis - Marseille.

11 Ce record a été homologué comme « record international de distance pour avions monoplace de moins de 6,5 l de cylindrée ». Il a en outre bénéficié d’une prime de 150.000 Francs du Ministère de l’Air.

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Le 20 décembre décollage d'Istres à 14h47 avec Morizot comme passager pour tenter de battre le record de distance pour avion léger cette fois avec passager. Il se pose le 21 à Wadi Halfa (terrain d’Imperial Airways au Soudan) à 7h45 (GMT) soit 3643 km parcourus en 17h15. Au retour ils doivent se poser près de Tripoli en panne d'alimentation d'essence : "La canalisation d'essence est rompue mais l'appareil est miraculeusement intact. Toutefois nous sommes obligés de le faire transporter à l'aérodrome de Tripoli car le décollage est impossible dans la palmeraie. Réveillon passé autour du moteur: cambouis au caviar, essence au champagne. La vie est quand même belle. Espérons repartir demain." Le 31 décembre, Japy conclut l’année avec deux autres records : d’abord le record international d’altitude pour avion monoplace de 9 litres de cylindrée (4900 m), puis le record d’altitude pour avion multiplaces (5118 m). Plis du raid Istres - Djibouti - Istres - Vol Aller

Pli signé A. Japy ayant effectué les trajets aller et retour. Cachet spécial du vol aller. Oblitérations : départ Istres 30/11/37 - 8h10, arrivée Djibouti 01/12/37, retour Istres 06/12/37 - 18h05.

- Vol retour

Pli signé A. Japy ayant effectué le trajet retour. Cachet spécial du vol retour avec date erronée (1397). Oblitérations : départ Djibouti 03/12/37, arrivée Istres 06/12/37 - 18h05.

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L’erreur de date (1397 au lieu de 1937) sur le cachet commémoratif spécial fut découverte et corrigée lors de l’oblitération des plis. Seul un petit nombre de plis (moins de 100) porte le cachet corrigé (1937).

Pli du vol retour avec le cachet spécial du vol retour beaucoup plus rare avec date corrigée (1937). Oblitérations : départ Djibouti 03/12/37, transit Marseille 07/12/37, arrivée Dunkerque 08/12/37.

On peut trouver également quelques plis non philatéliques transportés sur le vol retour :

Pli non philatélique transporté sur le vol retour. Oblitérations : départ Djibouti 03/12/37, arrivée Istres 06/12/37-18h05. Affranchissement : 15,65 F (5,55F au recto + 10,10F au verso) : lettre 0,65F* + surtaxe aérienne 5 x 3F/5g). Note* : l’affranchissement lettre pour la France pour 25g aurait dû être de 0,90F (20- 50g) et non 0,65 F (0-20g)

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1938 Le 26 janvier, le prix Henry-Deutsch-de-la-Meurthe 1937 est décerné à André Japy pour son raid Istres - Djibouti. En mars la Fédération Aéronautique Internationale lui remet la médaille Louis Blériot pour l'ensemble de ses exploits. La société anonyme des Etablissements Japy Frères est confrontée à d’importantes difficultés financières qui conduisent à l’entrée au capital de la société Worms & Cie afin d’éviter un dépôt de bilan. André Japy doit consacrer plus de temps à la société familiale. 1939, l’occupation, puis la "retraite" … En avril 1939 André Japy teste un nouvel avion de Grand Raid : le Caudron C.860 F-ARER équipé d’un moteur Renault 6Q-03 développant 240 ch et dont l'autonomie doit d’atteindre 7.500 km (cet appareil sera affecté au CEMA - centre d'essais du matériel aérien - de Villacoublay actif de 1936 à 1940).

André Japy devant le Caudron C.860 F-ARER

Incorporé en mars 1940 comme lieutenant dans une escadrille, il est démobilisé en juin et se marie le 14 décembre à Nice avec Anna-Lisa Johnson. Après le départ Pierre Pucheu12, PDG des établissements Japy pour devenir ministre de Pétain, André et Albert Japy doivent prendre la direction pour gérer au mieux les rapports avec l'occupant tout en sauvant les emplois. En 1945 André Japy s'inscrit comme membre de la Société des Océanistes. Il est engagé au service météorologique de Papeete dont il prendra la charge pendant 17 ans en s'impliquant dans la vie locale, utilisant son Piper pour des opérations humanitaires, facilitant la construction de pistes d'atterrissage dans les iles. Il reviendra en France où il décèdera d'une crise cardiaque le 10 octobre 1974.

12 Pierre Pucheu sera secrétaire d'État à la Production industrielle, secrétaire d'État à l'Intérieur, puis ministre de l'Intérieur du gouvernement de Vichy (avant Pierre Laval). Fin 1942, il tentera de changer de camp, mais sera finalement condamné et fusillé à Tunis le 20/03/1944.

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La ligne MARSEILLE - ALGER Par Alain CORNU 1ère partie, les essais (1923-1927)

La bretelle Casablanca - Oran inaugurée par les lignes Latécoère le 6 octobre 1922 permet de relier Toulouse à Oran par la voie aérienne. Ce trajet via Casablanca est cependant peu satisfaisant car considérablement plus long que la voie directe puisqu’il faut encore emprunter une voie de chemin de fer longue de 350 km pour atteindre Alger.

En novembre 1922, P. G. Latécoère profite des difficultés de la Compania Aero Maritima Mallorquina13 pour prendre une participation majoritaire dans cette société en échange de la mise à disposition de matériels et de personnels. Son projet est de relier Barcelone à Palma de Majorque, pour ensuite prolonger la ligne vers Alger. Il confie au pilote Achille Enderlin14 la remise en service de la ligne Barcelone - Palma de Majorque arrêtée depuis le mois d’août 1922. Les appareils mis à disposition sont les hydravions Lioré et Olivier LéO H13 n° 22, 23 et 24, qui ne sont guère plus chanceux que leurs prédécesseurs, les Savoïa 16 italiens. Le vol Barcelone - Palma de Majorque et retour des 12 et 13 avril 1923 (Pilote Raymond Clerc, radio Munar) se termine en effet par la perte du LéO H13 n°22 immatriculé E-AEAE.

13 Cette compagnie espagnole exploitait la ligne Barcelone - Palma de Majorque avec des liaisons quotidiennes sur des hydravions Savoïa 16, mais deux accidents avec perte des appareils et des équipages (8 avril lors des essais, puis le 15 août) entrainent le retrait de l’autorisation d’emploi de ce matériel italien. 14 Achille Enderlin (1893 - 1927). Pilote d’origine alsacienne ayant combattu dans l’armée allemande. Devenu chef pilote à la SIDAL, il trouvera la mort avec le pilote Mercier, le radio Mattei et les mécaniciens Perret et Berdin en s’écrasant aux environs de Vitrolles le 31 décembre 1927 à bord du prototype Laté 23-01.

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Le 16 mai 1923, Pierre-Georges Latécoère tente et réussit un voyage Marseille - Barcelone (sur un Breguet 14), puis Barcelone - Palma de Majorque - Alger sur le LéO H13 n°24 F-AFDH (pilote Enderlin, radio Munar, mécanicien Gauthier). Comme souvent, P.G. Latécoère fait preuve d’autant de courage que les équipages qui affrontent les dangers de la ligne.

Pierre-Georges Latécoère à son arrivée à Alger le 16 mai 1923 à bord du LéO H-13 F-AFDH

Avec le soutien de l’Espagne, la Compania Aero Maritima Mallorquina est autorisée à reprendre l’exploitation de la ligne Barcelone - Palma de Majorque sans restriction pour l’emport de passagers et de messageries. Le 7 juin 1923, la ligne Barcelone - Palma de Majorque est officiellement rouverte par Enderlin avec Beppo de Massimi et Julien Pranville comme passagers à bord du LéO H13 n°24 F-AFDH. La ligne Marseille - Perpignan est ouverte le 14 juillet en correspondance avec la ligne Toulouse - Barcelone. Compte tenu de ses débuts mouvementés, cette ligne rencontre peu de succès auprès des passagers, et l’absence de subventions conduit finalement la Compania Aero Maritima Mallorquina à déposer son bilan fin juillet 1923.

En 1925, P. G. Latécoère reprend son projet de joindre Alger, mais en créant cette fois une ligne au départ d’Alicante. L’ouverture de la ligne est réalisée le 15 mai avec retour le 19 par l’équipage Louis Mingat et Lacoste à bord du LéO H13-3 n°53 F-AHBH.

15 mai 1925 : le LéO H13-3 F-AHBH n° 53 dans le port d’Alger

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Pli Alger – Paris transporté sur le vol d’ouverture de la ligne Alger – Alicante sur le LéO H13-3 n°53 F-AHBH . Oblitérations départ Alger 18/05/25, arrivée Paris 22/05/25.

Cette fois encore les résultats se révèlent décevants. Le manque de fiabilité du matériel entraine des incidents et accidents qui font perdre confiance aux utilisateurs. Le 26 juin 1925 L’hydravion LéO H13-3 n°53 F-AHBH parti d’Alger s’écrase à Alicante sur le Paseo de los Martires après avoir heurté le paratonnerre de la coupole d’un édifice, alors qu’il s’apprête à amerrir dans le port. Projeté hors de l’habitacle, le radio Joseph Salvadou est tué sur le coup, et le pilote Louis Mingat trouve la mort dans les débris qui s’abattent sur l’esplanade déclenchant un incendie.

Accident du LéO H13-3 n°53 F-AHBH ; équipage Mingat - Salvadou Pli au départ Alger 24/06/25, courrier distribué en France à partir du 29/06/25 dans enveloppe de réexpédition

Trois autres incidents et accidents (19 et 26 novembre, 19 décembre 1925) heureusement sans conséquences pour les équipages, affectent encore la ligne Alicante - Alger qui est définitivement fermée le 19 décembre 1925.

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En 1926, P. G. Latécoère en tant qu’administrateur de la Compagnie Aérienne France - Algérie15 s’entend avec la SNAé (Service de la Navigation Aérienne) pour entreprendre des essais entre Marseille et Alger avec possibilité d’escale à Palma. Deux hydravions sont prévus à cet effet : un bimoteur Laté 21, et un SPCA 63 Météore (trimoteur construit par la Sté Provençale de Construction Aéronautique). Pour toucher les subventions gouvernementales, il est stipulé que la compagnie devra effectuer 7 voyages aller-retour complets d’ici à la fin de l’année 1926.

Le Laté 21 Le radio F. Urvoy est couché sur la coque.

La première liaison a lieu le 11 septembre sur l’hydravion Laté 21 F-ESDH (pilote A. Enderlin, radio F. Urvoy, mécanicien E. Béral). Parti de Marseille à 6h50, l’équipage amerrit à Alger à 12h18. Le retour a lieu le lendemain : départ d’Alger à 8h, arrivée à Berre à 15h10. Le premier vol avec courrier témoin est effectué le 17 septembre sur l’hydravion Laté 21 F-ESDH (pilote Enderlin, radio Condon, mécanicien Villette).

Pli Marseille (17/9/26 - 4h) - Alger (18/9/26 - 12h), griffe ronde de l’Aéroclub de Provence, griffe de vol spécial organisé par l’Aéroclub de Provence, mention manuscrite et signature du pilote Enderlin, mention dactylographiée sur 2 lignes Premier voyage / MARSEILLE ALGER.

15 Filiale de la Compagnie Générale d’Entreprises Aéronautiques (CGEA)

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L’autre courrier, celui-ci bien connu, est organisé à l’occasion des Journées Aéropostales au départ de Marseille le 17 novembre 1926 (initialement prévu le 13, le vol est retardé au 17 du fait des mauvaises conditions météorologiques). Le vol retour est effectué le 20 novembre. L’hydravion utilisé est le trimoteur SPCA 63-01 Météore F-ESEK piloté par Ernest Burri (l’immatriculation d’essai F-ESEK deviendra F-AIFN).

Le SPCA 63-02 F-ESEL Météore (deviendra F-AIFO) copyright © coll. Laurent Albaret, DR

A l’occasion de cette liaison, une série de 3 vignettes (1F, 1,50F et 2F) est émise par l’Aéro-Club de Provence. Ces vignettes existent dentelées et non-dentelées. Quelques vignettes non dentelées ont été surchargées « Garros 1913 ». De nombreuses cartes spéciales (121), enveloppes spéciales (225) et plis ordinaires (1060) sont préparés et transportés sur le vol aller Marseille - Alger. Le courrier est revêtu de la griffe spéciale avec 2 ailes de l’Aéro-Club de Provence.

Carte spéciale transportée lors du vol aller Marseille - Alger, avec les 3 vignettes. Oblitérations : départ Marseille 13/11/26 puis 17/11/26 ; arrivée Alger 17/11/27.

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642 plis ordinaires, cartes et enveloppes spéciales ont été transportés avec les 3 vignettes. La sous-estimation de la demande de vignettes conduit les organisateurs à apposer des demi-vignettes (sur 174 plis), puis aucune vignette (sur 590 plis). Un cachet de contrôle est alors apposé pour oblitérer les demi-vignettes ou remplacer les vignettes.

Enveloppe spéciale Alger - Marseille avec les 3 demi-vignettes et cachets de contrôle.

Pli ordinaire Alger - Marseille sans vignettes, avec cachet de contrôle.

Enveloppe spéciale Alger - Marseille signée Ernest Burri avec les 3 vignettes surchargées Garros 1913

Pli du vol retour Alger - Marseille

Oblitérations : départ Alger 19/11/26

(la traversée retour initialement prévue le 19 a été reportée au 20 en raison du mauvais temps) ; arrivée Marseille 20/11/26-14h.

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Cette série d’essais prend fin en décembre 1926.

Après étude des résultats, la Compagnie reçoit une subvention de la part du SNAé, qui demande cependant à Latécoère une nouvelle série de vols d’essais à effectuer à partir d’avril 1927. En effet, concurremment à l’itinéraire déjà étudié (Marseille - Alger et retour avec escale facultative à Palma), il lui est demandé d’étudier un itinéraire-bis via Saint-Laurent-de-la- Salanque et Palma. Les essais commencent le 8 avril 1927. On ne connait que très peu de courrier transporté lors de ces vols d’essais.

Pli transporté sur le vol retour le 11 avril 1927 sur le Laté 21bis F-AIHN. Pilote A. Enderlin, copilote R. Vanier , mécanicien E. Béral. Après une escale forcée près de Saint-Laurent-de- la-Salanque, l’hydravion parvient à Marseille le 12/04/27.

Enderlin ayant été nommé chef pilote de la SIDAL (Société Industrielle des Avions Latécoère), Charles Poulin devient responsable de la ligne et de l’hydrobase de l’Agha à Alger. Le 2 mai 1927 le SPCA 63-1 Météore F-AIFN est victime d’un accident : après avoir décollé d’Alger, il doit se reposer presque aussitôt. Alors que le pilote Louis Larmor remet plein gaz pour reprendre l’air, l’appareil capote et coule à pic. Le pilote ne peut évacuer son poste et périt noyé. Le mécanicien Vincent Riera est blessé, le radio Pierre Ducaud est indemne. D’autres incidents suivent. Ils vont entrainer la perte de deux hydravions Laté 21 bis avec le pilote Leclaire aux commandes : le 21 mai le F-AIHP tombe en mer au sud de Minorque, et le 27 mai le F-AIIE est détruit au décollage de Barcelone. Ces accidents n’engendrent heureusement pas de pertes humaines.

En dépit de tous ces déboires, la convention entre l’Etat et la Compagnie France - Algérie est signée le 1er août 1927, et entérinée le 9 septembre par le Conseil des Ministres.

Depuis le 20 septembre 1927 la CGEA est devenue la CGA (Compagnie Générale Aéropostale) présidée par Marcel Bouilloux-Lafont, qui entreprendra le développement commercial de la ligne Marseille - Alger, objet de la seconde partie à venir de cet article.

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LA VIE DU CAF

Le mot du président

Nous recevons régulièrement des compliments pour la qualité des articles publiés dans nos bulletins, mais également le souhait de recevoir le bulletin imprimé en couleurs et/ou au format A4. Chaque fois que nous avons étudié les conséquences d’une réponse positive à ce souhait, nous avons dû renoncer du fait de l’impact économique : envolée des coûts d’impression et d’envois postaux, avec pour conséquence une augmentation importante de la cotisation. Certaines personnes sont attachées au support papier, d’autres apprécient les possibilités qu’offre le support numérique : lecture sur écran, possibilité d’imprimer certaines pages en couleurs et au format A4, archivage sur ordinateur, gain de place physique dans les bibliothèques,…

Lors de la dernière assemblée générale du CAF, il a donc été décidé d’offrir à nos membres la possibilité de recevoir à partir de 2019 le bulletin de notre association par internet sous forme d’un fichier PdF, sans pour autant contraindre les personnes attachées au support papier.

En contrepartie des économies de frais de reproduction et postaux que cette solution permettra de réaliser, les membres ayant choisi cette option « tout internet » se verront offrir une réduction substantielle de leur cotisation 2019.

Comme vous le constaterez sur l’appel de cotisation 2019, chaque membre a désormais la possibilité de choisir entre 3 options : 1. Continuer de recevoir le bulletin, les ventes et autres documents diffusés par le CAF comme aujourd’hui par voie postale : cotisation annuelle 30€ pour les membres résidant en France, 35€ pour les membres résidant hors de France.

2. Continuer de recevoir le bulletin, les ventes et autres documents diffusés par le CAF comme aujourd’hui par voie postale + par mail sous forme de fichiers PdF : cotisation annuelle 30€ pour les membres résidant en France, 35€ pour les membres résidant hors de France.

3. Recevoir le bulletin, les ventes et autres documents diffusés par le CAF sous forme de fichiers PdF uniquement : cotisation annuelle 20€ pour les membres résidant en France ou hors de France.

Afin de permettre à chaque membre finaliser son choix en toute connaissance de choses, à l’occasion de l’appel des cotisations 2019, nous adressons ce bulletin de décembre 2018 tout à la fois sous forme papier et sous forme numérique à tous les membres disposant d’une adresse mail.

Ce choix sera valable pour toute l’année 2019, mais vous pourrez modifier votre choix en 2020 si vous le souhaitez.

Le choix internet implique de nous tenir au courant de modifications éventuelles de votre adresse mail.

Je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année.

Dominique PETIT

Nouvelles adhésions Depuis août 2018, nous avons eu le plaisir d’accueillir deux nouveaux membres et nous leur souhaitons la bienvenue : N° 993 : M. Gérard R. DAVID (Ile-de-France) N° 929 : M. Flavio RICITELLI (Italie) - réinscription

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Au palmarès des expositions philatéliques ITALIA 2018 Exposition Philatélique Internationale (23 - 25 novembre 2018)  A 73 : Bulletin du CAF en classe littérature Calendrier des expositions à venir comprenant de l’aérophilatélie  30 et 31 mars 2019 : exposition régionale « Boulogne-Billancourt : 80 ans de philatélie », et congrès du Groupement des Associations Philatéliques de Paris-Ile de France (GAPHIL) à Boulogne-Billancourt (92).  26 au 28 avril 2019 : AeroBerlin 2019 à la mairie de Berlin-Schöneberg. Exposition à l’occasion des 100 ans de la poste aérienne en Allemagne et des 70 ans du pont aérien de Berlin. Le congrès de la FISA se tiendra à cette occasion. http://www.aeroberlin2019.de/PH0WelcomeF.php .  7 au 10 juin 2019 : Phila-France 2019 à Montpellier. A cette occasion se dérouleront le 92ème championnat de France de philatélie et le congrès de la FFAP.  10 au 13 octobre 2019 : Phila-Sens 2019, exposition interrégionale à Sens (Yonne) sur le thème de la poste aérienne. Le CAF sera particulièrement impliqué lors de cette exposition.

Publications  HISTOIRE DES VOLS POSTAUX EN URUGUAY (1910-1950) par Lionel Pastre Depuis les débuts de l’aviation, l’Uruguay a fait voler des avions et leur a très vite confié une mission primordiale : convoyer le courrier. Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet et bien d’autres ont sillonné son ciel sous la bannière de l’Aéropostale, avant que les compagnies locales se créent et rivalisent avec les compagnies aériennes américaines et européennes. Très bel ouvrage de 116 pages abondamment illustrées (255 illustrations) publié chez Bleu Ciel Diffusion : broché couverture souple, impression en couleurs sur papier couché 115 g/m2, format 21 x 29,7 cm. Vous pouvez commander cet ouvrage au prix spécial de 18 € (franco de port) pour les membres du CAF directement auprès de Lionel Pastre [email protected] .

 ESCALE SUR LES ROUTES DU CIEL, DE LATECOERE A AIR FRANCE, par Martine Laporte aux éditions Michel Lafon. 258 pages. 33 x 28 cm. Prix : 39,95 €.

Articles aérophilatéliques dans d’autres publications  Icare décembre 2017 n°234, et juin 2018 n°236 : l’aviation civile en Indochine (1945- 1954) par Vital FERRY.  L’Écho de la Timbrologie novembre 2018 n°1933 : «L’Aéro-Club de France : une institution plus que centenaire !» par Laurent ALBARET.  La Philatélie Française (revue de la FFAP) novembre - décembre 2018 n°685 : « Costes et Bellonte en 1929 : record du monde de distance » par Serge KAHN. Service cessions  La cession de décembre 2018 est jointe au bulletin. Elle comprend 120 lots de 10 € à 700 € avec de nombreux plis très variés et intéressants. Profitez-en !  La prochaine cession sera couplée au bulletin de mars 2019. Si vous souhaitez nous confier certains lots, merci de contacter directement Michel Nempon ([email protected] Tel: 03 21 96 76 19). Les lots seront reçus jusqu’au 16 février 2019. Les lots en mauvais état, tachés ou déchirés seront refusés. Evitez les lots composés.

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CERCLE AEROPHILATELIQUE FRANÇAIS Siège social : 32 avenue de Normandie - 78000 VERSAILLES Tel: 01 39 63 33 48 / 06 08 41 46 97. Email: [email protected] Site internet: www.aerophilatelie.fr & Twitter : https://twitter.com/aerophilatelie

Membre de FFAP (Fédération Française des Associations Philatéliques), FIP (Fédération internationale de Philatélie), FISA (Fédération Internationale des Sociétés Aérophilatéliques), GAPS (Groupement des Association Philatéliques Spécialisées).

COMITE D’ADMINISTRATION

Président : Dominique PETIT, vice-président de la FISA. 32 avenue de Normandie - 78000 VERSAILLES [email protected]

Président d’honneur : Gérard COLLOT, 25 bis rue Victor Hugo - 78230 LE PECQ [email protected] .

Vice-président : Jacques RENAUD, juré national, conseiller pour les expositions philatéliques, 15 rue du Bocage - 92310 SEVRES. Tel : 06 66 26 23 96

Secrétaire : Michel NEMPON, responsable du service cessions. 54 rue Malherbe - 62100 CALAIS. [email protected] Tel: 03 21 96 76 19

Trésorier : Guy VANDENBULCKE Résidence de Clairefontaine 114, 45 bis route de Clairefontaine - 14800 TOURGEVILLE [email protected] Tel: 02 31 98 54 41 / 06 75 06 64 75

Communication : Jean-Pierre ARAGNETTI, Résidence Dauphine, rue de la Croix Rouge - 78430 LOUVECIENNE [email protected] .

Réseaux sociaux : Laurent ALBARET, 223 avenue Daumesnil - 75012 PARIS [email protected] .

Service documentation : Jean HOUDRE, 104 avenue Pasteur 10400 - NOGENT SUR SEINE [email protected] .

Service petites annonces : Dominique TALLET, 6 rue du Petit Buscon - 47310 ESTILLAC [email protected] .

Autres membres du Comité d’Administration: Jean-Daniel AYACHE, Jean-Luc MONFLEUR, Lucien TOUTOUNJI. ------Vérificateur aux comptes : Pascal HOUE . Webmestre : Patrice TRZECIAK [email protected] .

REUNIONS MENSUELLES Restaurant "Au Pied de Cochon", 6 rue Coquillière, 75001 PARIS Prochaines dates de réunions : 19 janvier, 16 février, 16 mars, 20 avril, 18 mai, 15 juin. Un moment d’échange et de convivialité. Venez nombreux !

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Courrier accidenté à Bahreïn 16 Par Jean-Daniel AYACHE 12 juin 1950

Si les enveloppes-postales avaient la faculté de parler, celle-ci aurait beaucoup à raconter…

Elle a été postée à Nouméa le 7 juin 1950 et adressée en recommandé à Paris au sénateur de Nouvelle-Calédonie, Henri Lafleur. Tout d’abord, son affranchissement est peu banal. La lettre pèse en effet 25 grammes comme indiqué au crayon. Il faut donc lui appliquer le tarif à 3F, assez rare, du deuxième échelon de poids correspondant à la tranche de poids comprise entre 20 et 50 grammes des lettres du régime franco-colonial du 17 juillet 1940. A cela s’ajoutent la taxe de recommandation de 4F et surtout la surtaxe aérienne du 14 avril 1950 qui est de 11F par 5 grammes, soit 55F pour cette lettre du 5ème échelon (d’un poids compris entre 20 et 25 grammes). La lettre est donc affranchie à 62F, ce qui représente alors un montant relativement élevé comparé au tarif normal d’une lettre pour la France par la voie maritime qui est de 2F. C’est pourquoi l’expéditeur prend le soin d’utiliser le beau timbre de poste aérienne à 50F représentant un avion survolant la baie de Saint-Vincent. L’avion, un SE.161 « Languedoc »17, n’a jamais survolé Nouméa que sur ce timbre ! La lettre a été déposée à la poste de Nouméa la veille du départ de l’avion d’Air France pour Saïgon, où est assurée la correspondance avec l’avion pour Paris. En effet depuis le 30 septembre 1949, Air France exploite toutes les deux semaines un vol opéré en DC4 depuis Nouméa (La Tontouta) à destination de Saïgon via Brisbane, Darwin et Batavia (devenu Djakarta). Le jeudi 8 juin 1950 en fin de matinée, 6 passagers embarquent pour Paris à bord du DC4 F-BELJ (celui qui a inauguré la ligne 8 mois auparavant). Parmi eux, deux religieux et deux religieuses partent en pèlerinage pour Rome à l’occasion du Jubilé de 1950. Il s’agit du R.P. François-Xavier Luneau, missionnaire à Canala qui conduit la délégation, du R.P Luc Amoura, un des deux premiers prêtres kanak, de Mère Guy, supérieure des Sœurs de Saint Joseph de Cluny, et Sœur Marguerite-Marie de la léproserie de Ducos. On compte aussi parmi ces passagers l’adjudant-chef Jacques Heitzler et un pharmacien de Tahiti, M. Gaudin, qui vient d’arriver à Nouméa par le « Ville d’Amiens », navire des Messageries-Maritimes18. Le samedi 10 juin en début d’après-midi le DC4 arrive à Saïgon. Le Constellation qui devait les amener à Paris est immobilisé à Calcutta par une panne technique. Un DC4 est mis en place pour acheminer les passagers de Saïgon à Paris. Nos Calédoniens bénéficient ainsi d’un transit supplémentaire d’une journée à Saïgon. Le dimanche 11 juin au matin ils embarquent à bord du DC4 F-BBDE avec de nouveaux passagers dont un haut fonctionnaire français chargé d‘une mission diplomatique en Indochine, d’un journaliste et du directeur d’un grand hôtel de Saïgon. Le vol s’effectue sans encombre jusqu’à Calcutta et Karachi. L’escale suivante était habituellement Bassorah, mais depuis le mois de mars Air France ainsi que les compagnies britannique et américaine, avaient pris la décision de se poser ailleurs et en particulier à Bahreïn, au bord du golfe Persique, à la suite de la demande faite par les autorités irakiennes de Bassorah d’exiger un certificat de baptême pour tous les passagers, y compris ceux en transit, interdisant aux juifs le passage par l’Irak19. Après une traversée de 5h30 de vol depuis Karachi, le commandant Jean-Marie Sladek, pionnier de l’aviation avec 17 000 heures de vol et figure des Lignes Aériennes Militaires de la France Libre20 et de l’histoire d’Air France, est aux commandes du DC4. Il fait nuit, le temps n’est pas particulièrement mauvais, mais la visibilité est réduite par la brume et l’aérodrome ne dispose pas d’aide à l’atterrissage sans visibilité. Le commandant Sladek effectue le passage

16 Reprise d’un article paru dans la revue du club philatélique de Nouvelle-Calédonie, Le Cagou n° 81, 1er trimestre 2018 17 Information de Gérard COLLOT 18 Philippe GODARD, Le Mémorial Calédonien, Tome V, Nouméa 1976, pp. 432- 455. 19 Le Monde, 18 juin 1950, n° 1677. 20 Bulletin d’Information du CAF n° 75 d’août 2018, page 25.

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réglementaire au-dessus du terrain et demande à la tour, ce lundi 12 juin à 21h15, les consignes d’atterrissage dont « le dernier calage atmosphérique, de manière à ce que l’altimètre de l’avion marque zéro lorsque l’avion est arrêté au parking. »21 Il entame alors son virage et se place face à la piste. Train et volets sont sortis. Le copilote égrène à haute voix les altitudes : 1200, 1000, 800 pieds (soit 250 mètres). A cette indication le commandant Sladek aperçoit tout à coup la crête des vagues à quelques mètres sous lui. Il tire désespérément sur le manche. Le mécanicien remet les gaz mais le lourd DC4 n’a pas la capacité de réagir suffisamment rapidement. L’appareil heurte la mer et se disloque à environ 5 km de l’entrée de la piste. La mer envahit la cabine et les quelques passagers encore valides après le choc se jettent à la mer en cherchant à s’agripper à tout objet qui flotte. Des hélicoptères, des canots et des navires partent immédiatement à la recherche de survivants mais le vent qui souffle des côtes d’Arabie emporte avec lui des nuages de sable qui réduisent considérablement la visibilité. La houle qui grossit épuise les quelques survivants. A l’aube, seuls six d’entre eux seront repérés et repêchés (deux membres d’équipage, dont le commandant Sladek, et quatre passagers). L’accident a fait 46 victimes dont, on ne le sait pas encore tout de suite, les 6 Calédoniens. Un des rescapés racontera qu’il a dû son salut à un sac postal qui flottait et sur lequel il a pu se cramponner. Ce sac contenait-il notre lettre ? Sans attendre, une commission d’enquête de l’aviation civile française est constituée et envoyée sur place. Elle arrive deux jours plus tard, le 14 juin, et immédiatement celle-ci s’interroge car ce soir-là, un autre DC4 d’Air France, immatriculé F-BBDM venant lui aussi de Karachi, appelle à 21h41, la tour de Bahreïn et demande les consignes d’atterrissage. Quelques instants plus tard ce deuxième DC4 percute lui aussi la mer en approche de la piste. Des 51 occupants de l’avion, seuls 14 seront sauvés. Cette série noire fait la une des journaux. On met en avant la mauvaise visibilité lors d’une approche de nuit, mais sans conviction. Faute d’éléments, on échafaude des hypothèses qui deviennent presque des certitudes. Il ne peut s’agir que d’un sabotage ! Un sabotage politique contre la présence de la France en Indochine : n’y avait-t-il pas d’ailleurs à bord du premier DC4 un haut fonctionnaire venu préparer une négociation avec les Etats d’Indochine ? On spécule aussi sur un possible sabotage lié au trafic des piastres. On insinue que l’hôtelier de Saïgon serait au centre de ce trafic, on imagine que le journaliste monté à bord aurait découvert des informations sensibles… Dès le 18 juin, la commission d’enquête estime que parmi les différentes causes possibles de la catastrophe, une erreur d’altimètre est l’hypothèse la plus vraisemblable, venue soit des indications émises du sol, soit des calculs faits à bord. Les membres de l’équipage d’Air France qui s’est posé, de jour, quelques heures auparavant en provenance du Caire affirment en effet que les données fournies par la tour étaient complètement erronées. Le témoignage du commandant Sladek, miraculeusement rescapé de l’accident, est particulièrement précieux pour comprendre ce qui a dû se passer. Vital Ferry, dans sa publication22, explique ce qui s’est produit : « Les avions, tous deux en configuration train sorti, ont percuté la mer en approche par visibilité réduite…Rien ne permet de contrôler l’information fournie par la tour. Le radar sonde du premier avion était en panne. L’hypothèse la plus plausible (euphémisme diplomatique) concerne une erreur altimétrique d’autant que l’indicateur de pression installé dans la tour, récemment climatisée, pouvait fournir une indication peu conforme avec la pression atmosphérique extérieure sur l’aérodrome. » La pression atmosphérique aurait dû être relevée à l’extérieur du bâtiment et non à l’intérieur…. Le 14 juin arrive à Nouméa une dépêche d’agence de presse selon laquelle « le courrier Saïgon-Paris d’Air France a dû effectuer un amerrissage forcé dans le Golfe Persique quelques minutes avant l’escale de Bahreïn». Quelques heures plus tard on annonce qu’il y aurait 39 disparus. On ignore le sort des 4 religieux si connus en Nouvelle-Calédonie. L’angoisse monte et ce n’est que le 17 juin à Nouméa que la disparition des 6 passagers embarqués à la

21 Les Douglas DC4 à Air France (1946-1973), Revue Icare n° 237, juin 2016, page 68. 22 Vital FERRY, Les Douglas DC 4 à Air France (1946-1973), Revue Icare n° 237, juin 2016, page 70.

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Tontouta est officiellement confirmée. Cette tragédie a marqué profondément l’histoire de l’Eglise catholique en Nouvelle-Calédonie. Quant à notre lettre, elle a pu être récupérée sans trop de dommages. Elle ne porte au verso que quelques traces d’un séjour dans l’eau. A son arrivée en France elle reçoit la griffe « courrier accidenté » spécifique à cet accident. Elle est ensuite distribuée à son destinataire le 20 juin 1950.

Lettre recommandée de Nouméa du 7 juin 1950 pour Paris, adressée à Henri Lafleur, sénateur de Nouvelle-Calédonie. Lettre par avion de 25 grammes, affranchie à 62 F. Accidentée à Bahreïn le 12 juin. Griffe « courrier accidenté ».

Au verso, cachet d’arrivée à Paris le 20 juin 1950. Marques d’un séjour dans l’eau.

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CHRONIQUE AEROPHILATELIQUE Par Jacques RENAUD

Depuis 1929, le Graf Zeppelin effectuait des vols de propagande en particulier sur les Alpes Suisses. Le 12 octobre 1930, il fit un voyage circulaire Friedrichshafen-Berne-Bâle- Friedrichshafen. Un passager qui s’était offert le voyage prit le dirigeable à Friedrichshafen (sa base de départ) pour Berne.

Il confia sa carte postale affranchie au tarif forfaitaire de 1RM (2RM pour les lettres) à la poste de bord du dirigeable qui apposa le cachet « Luftschiff Graf Zeppelin 12-10-1930 ». Le cachet suisse de couleur rouge « Bern-Flugplatz / Zeppelinpost » fut apposé à l’arrivée à Berne. Les véritables cartes de passagers écrites ne sont pas courantes, mais celle-ci a une destination plutôt rare (Compagnie Agricole d’Annam à Ea Noët, province de Darlae, Indochine Française).

Son acheminement (1 mois) fut probablement le suivant : Berne-Lyon- Marseille par le train, embarquement sur le paquebot Azay-le-Rideau des Messageries Maritimes avec arrivée à Saigon Central le 10 novembre 1930, puis transport par le train jusqu’à Nhatrang et la route pour arriver à Ninh Hoa (Annam) le 13/11/1930.

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