Charles Trenet UN GENRE EN SOI 1913–2001 « La Nouvelle Génération N’Ose Plus Dire Qu’Elle Fait Des Chansons : on Fait Des Titres

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Charles Trenet UN GENRE EN SOI 1913–2001 « La Nouvelle Génération N’Ose Plus Dire Qu’Elle Fait Des Chansons : on Fait Des Titres Charles Trenet UN GENRE EN SOI 1913–2001 « La nouvelle génération n’ose plus dire qu’elle fait des chansons : on fait des titres. Je ne sais pas s’ils sont cotés en Bourse. » Charles Trenet TRENET EN 20 titres 1937 « Je chante », C’est le 25 mars 1938 qu’il débuta « Fleur bleue » de plain-pied pour un « seul en scène » 1938 retentissant à l’ABC, en première partie « Y’a d’la joie », de Lys Gauty – un mois auparavant, « La Polka du roi », « Boum ! » Maurice Chevalier, l’insigne vedette qui avait accepté l’une de ses compositions, 1939 « Ménilmontant », « Y’a d’la joie » (1936), l’y avait convié afin « Le Soleil et la Lune », de le présenter à son public. Ce soir du « Mam’zelle Clio » 25 mars, répondant aux exhortations du 1938 public trépignant, au lieu de chanter deux « La Romance de Paris » chansons, Trenet en avait enchaîné cinq. 1942 Les jours d’après, la presse relatait cet « Débit de l’eau », engouement phénoménal – Le Petit Pari- débit de lait », sien, sous la plume de Louis-Léon Martin : 1946 « Il s’est passé une manière d’événement « La Mer » vendredi dernier, à l’ABC. Un poète du 1950 tour de chant s’y est révélé dans une at- « Mes jeunes années » mosphère d’enthousiasme unanime […] » ; 1951 Le Figaro, sous celle d’André Warnod : « L’Âme des poètes », « Dans les pharmacies », « Charles Trenet, un tout jeune homme, « La Folle Complainte » À ses débuts, coiffé de son blond et rose, vigoureux, une vivacité, légendaire chapeau. 1952 une ardeur, une santé de jeune animal « La Jolie Sardane » en liberté. Il chante des chansons dont il 1955 a composé les paroles et la musique […]. « Moi, j’aime ère de la chanson française mo- Il les chante en artiste de music-hall, pas le music-hall » derne à la postérité vérifiée dès la du tout en chansonnier, il danse, il se tré- 1956 moitié des années 1930, Charles mousse. Il fait de grands gestes, il ôte et « Route nationale 7 » P Trenet en changea non seulement la remet sur sa tête un curieux petit chapeau 1957 tournure musicale mais aussi celle des de feutre. Il est charmant. » « Douce France » lyrics. 1959 Quiconque avait été présent attestait « Le Piano de la plage » De 1932 à 1936, auprès de Johnny Hess, de cette fièvre spontanée et, en proue, pianiste d’origine suisse, il avait écumé en Mitty Goldin, le directeur de l’ABC, qui duo les cabarets parisiens, Le Fiacre, Le l’avait reconduit pour présenter trois mois Bœuf sur le toit, retenu par Henri Varna plus tard son tour en vedette. au Palace pour la Revue des moins de trente ans. Intervenants ponctuels sur Déjà surnommé « le Fou chantant » Radio Cité, Charles et Johnny servaient par le patron d’un cabaret de Marseille alors le swing, la couleur favorite des où il se rodait, dans la foulée, Trenet avait zazous. reçu le Grand Prix du disque décerné par 10 CHARLES TRENET tude échevelée sur scène égratigne les réfractaires à cette nouvelle donne. Sous l’Occupation, en dépit des restrictions en cours, il se prolonge dans la veine jazzy, zazou. Bientôt amené à déchanter, il est sommé de démontrer aux autorités de Vichy sa non-judéité – un ignoble comble à revers. En continuité, sans en mesurer l’impact, il boucle une sorte d’hymne à la solde à peine voilée des chantiers de jeunesse, maréchalistes par essence : Ci-dessus. En plein « Boum ! », « La Marche des jeunes ». Prolixe, ins- en 1938. tinctif – « Je fais des chansons comme Ci-contre. Romance de Paris, le pommier fait des pommes ! » –, il ne de Jean Boyer, l’un des quatre s’était pas retenu. films que Trenet tourna entre 1941 et 1943. Pour s’être rendu à un concert en Allemagne flanqué d’autres artistes, dont Édith Piaf, à la Libération, d’une manière l’académie Charles Cros pour sa chan- arbitraire, il se vit infliger huit mois d’inac- son explosive, « Boum ! » Dès cette date « Charles Trenet, un tout tivité convertis en trois. De cette période et jusqu’en novembre 1999, où il s’exhiba jeune homme, blond et rose, discutable, nous préférerons retenir durant trois récitals d’adieux à la salle qu’elle vit fleurir « La Romance de Paris » Pleyel, il ne quitta plus jamais son rang vigoureux, une vivacité, (1941), « Que reste-t-il de nos amours ? » de vedette, passé de celui d’outsider épié, une ardeur, une santé de (1942), « Douce France » (1943), compo- en 1937, à celui de référence, la même jeune animal en liberté. sée avec Léon Chauliac, gravée en 1947 année. – un encouragement subliminal à la Ré- Il fait de grands gestes, sistance, même passive –, suivant « Je Retour sur la construction d’une ex- il ôte et remet sur sa tête chante », écrite en collaboration avec ceptionnelle identité musicale et littéraire. un curieux petit chapeau de Paul Misraki, « Fleur bleue » (1937) et Si, en 1932, Pills et Tabet avaient insufflé feutre. Il est charmant. » une modernité dans l’air musical, grâce à Trenet, elle se gonflait d’une dimension André Warnod inusitée, révolutionnaire ! En ex-passager furtif du surréalisme – il avait publié dans Le Coq catalan, la revue d’Albert Bausil qui exposait les stances de Jean Cocteau et de Max Jacob –, dans l’art de trous- « Mamz’elle Clio » (1939) – que pour la ser un couplet en paroles, il inaugurait ritournelle, la romance ; sur le ton frôlant, un style exclusif. Max Jacob lui ayant « Douce France », sur celui du folklorique, soufflé : « Ne publiez pas vos poèmes, « La Jolie Sardane » (1952). En un éclair, chantez-les ! », il avait eu raison d’obtem- il avait éradiqué la chanson réaliste en pérer. Par les notes, en suppôt patenté du vogue jusqu’alors. swing, ce tempo binaire et souple débar- qué des États-Unis, il déflagrait pareil. Via La France de l’avant-Seconde Guerre son flux, son intuition de la syncope, mû mondiale vibre à sa cadence. Il avance en à l’égal par celle, innée, de la mélodie, il chanteur-phare dont les mots simples et se trouvait autant à son aise pour abor- les illuminations poétiques transcendent Charles Trenet, vedette des disques Columbia, der un opus enlevé – « Boum ! » (1938), les générations, encore que son atti- la firme américaine implantée en France. 11 CHARLES TRENET « C'est surtout les poètes qui m'ont enthousiasmé, les grands romantiques, Vigny et tout ça. J'ai admis les poètes nouveaux mais c'était autre chose. » Libération, 21 octobre 1999 En 1945, il consigne l’un de ses incon- testables chefs-d’œuvre d’un impact étrange et mélancolique, en marge de ses opus trépidants : « La Folle Complainte ». En vérité, ce n’était pas la première fois L’Américain Bobby Darin, l’un des innombrables interprètes de qu’il s’exprimait sur cette impédance, à « Beyond the Sea », l’adaptation de « La Mer ». considérer « Les enfants s’ennuient le di- manche » en date de 1939. Comme de Le Grand Café, s’être retranché en lui-même suite à ses ou des dangers de la convivialité « Le Soleil et la Lune » (1939). Entre 1941 déboires pendant l’épuration, il laissait au comptoir où les conteurs se noient. et 1943, il avait tourné dans pas moins de libre cours à ses réminiscences intimes. quatre films : Romance de Paris (1941) et Cette complainte dense, nostalgique, Frédérica (1942) de Jean Boyer, Adieu suggestive d’un temps d’hier auprès des de préciser, afférent aux soirs de repas- Léonard de Pierre Prévert et La Caval- siens, filtre la mort lente en action, la ten- sage bihebdomaires : « C’était le silence cade des heures d’Yvan Noé (1943). tation de disparaître. Premier étonné de total, on entendait le bruit du fer à repas- cette sensation ordinaire pour l’enten- ser glissant sur le linge. » deur, Trenet déclarait : « Beaucoup de gens ont découvert des tas de choses Pénétré de l’insignifiance d’être, à son que je n’y ai pas mises moi-même. » insu il se posait en médium d’une existence Dont acte. Pourtant, il ajoutait : « Il y trop sage pour être vécue vraiment. De a là des images précises que je n’ai même qu’enfant, dans sa famille, il s’était, pas inventées… » Et plus loin encore parfois, trouvé à l’étroit, à cette époque il ne se sentait plus de rester en France où il avait été humilié. Déjà, il songeait à re- partir d’un pied neuf, ailleurs, en Amérique du Sud où il s’envolerait bientôt. En 1946, il est de retour dans l’hexa- gone. Raoul Breton, son éditeur fétiche depuis ses débuts, s’émeut de savoir s’il possède de nouvelles chansons oppor- tunes comme les Français reprennent des couleurs, dorénavant friands de swing. Ef- fectivement, il en possède une, dont l’idée lui est descendue à bord d’un train vers Ci-dessus. Premiers succès, Montpellier, au passage de l’étang de premières réussites à la chaîne dont « Je chante ». Thau ; dont il a écrit les paroles, ébauché la musique avec Léo Chauliac, son pianiste, Ci-contre. Trenet et Piaf, une mélodie lente et vaste comme l’hori- son inconditionnelle, réunis le temps d’un disque dix titres, zon qu’elle suggère, celui de « La Mer » mais chacun de son côté. – le titre. Illico, Breton pressent la portée 12 CHARLES TRENET et Hardy, Mary Pickford, il y restera cinq ans, entre Hollywood et Broadway. En 1948, il chante à l’hôtel Plaza à New York, à Hollywood, au Lauren Theatre et à Boston, à l’Old South Theatre. Cepen- dant, « Revoir Paris » – du titre de sa chanson de 1947 – le taraude.
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