EXTENSION Dl PORT MYTILICOLE DE VIVIER S/ MER - (35)

Document Final de Synthèse

Elisabeth VEYRAT (Responsable d'opération, AFAN Grand-Ouest)

Novembre 1997 I I EXTENSION DU PORT DE VIVIER S/ MER - CHERRUEIX

Ille-et-Vilaine (35) Domaine Public Maritime Coordonnées Lambert : Abscisse : 297,65 / Ordonnée : 1108,60

Responsable de l'opération : Elisabeth VEYRAT (AFAN antenne inter-régionale Grand-Ouest)

L'opération archéologique : Autorisations de fouille : - n° 97.054 (1ère tranche, du 21/07/97 au 01/08/97) - n° 97.062 (2ème tranche, du 25/08/97 au 30/09/97) Nature de l'opération : Fouille d'évaluation / surveillance de travaux Raison de l'urgence : Travaux d'aménagement du port mytilicole Conducteur d'opération : Direction Départementale de l'Equipement Maîtrise d'ouvrage : Syndicat intercommunal mytilicole de la Baie Maître d'œuvre : Cabinet Stucky Financement : Syndicat intercommunal mytilicole / Etat

Intervenants administratifs : Service Régional de l'Archéologie : Anne VILLARD Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines : Michel L'HOUR Collaboration scientifique : Catherine BIZIEN-JAGLIN (Centre de Recherche Archéologique d'Alet) Olivier BAUCHET (AFAN Antenne Centre-Ile de )

Problématique archéologique : Zone d'estran à l'extérieur de la digue dite de la Duchesse Anne. Possibilité de structures archéologiques de nature maritime (épaves de transports maritimes) ou littorale (défense des rives) médiévales ou modernes. Résultats scientifiques : Pas de découverte archéologique dans la zone concernée par les travaux. Données géomorphologiques. SOMMAIRE

INTRODUCTION p. 1

CONTEXTE GÉOLOGIQUE ET GÉOMORPHOLOGIQUE p 2 1. Présentation générale p. 2 2. Evolution géologique et sédimentaire de la baie p. 2

CONTEXTE ÉCONOMIQUE p 9 1. La mytiliculture au Vivier s/ mer p. 9 2. Données environnementales p. 9

CONTEXTE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE p 11 1. L'occupation préhistorique p. 11 2. Protohistoire et période gallo-romaine p. 11 3. Période médiévale p. 12 4. La période moderne p. 14

L'OPÉRATION ARCHÉOLOGIQUE p 19 1. Justification du suivi archéologique des travaux p. 19 2. Mode opératoire p. 22

3. Les résultats scientifiques p. 23

CONCLUSION p 27

BIBLIOGRAPHIE p 28 Figure 1. Carte générale de la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel (à partir de la carte 1GN 2500è) introduction

Le présent rapport fait le bilan de l'opération archéologique conduite lors des travaux d'extension du port mytilicole des communes du Vivier-sur-Mer et de Cherrueix (Ille-et-Vilaine). Cet aménagement, réalisé dans la zone de l'estran sur la rive orientale du biez du Vivier, comprend la réalisation d'un terre-plein et de bâtiments, le creusement d'une tranchée de canalisation et le terrassement d'un bassin d'eau de mer sur une surface d'environ 1,5 hectare. Seul ce dernier aménagement a fait au demeurant l'objet d'un suivi archéologique.

La présence de structures historiques à proximité de la zone de localisation des travaux et la rareté des opérations d'archéologie préventive sur l'estran a conduit les services concernés du Ministère de la Culture à demander une opération archéologique préalable aux travaux de construction du port mytilicole du Vivier-sur-Mer. En vertu de la localisation du site dans le Domaine Public Maritime, le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous- Marines (DRASSM) a procédé à la première instruction du dossier. L'existence d'une circulaire interne du Ministère de la Culture déléguant aux Services Régionaux de l'Archéologie la gestion des dossiers archéologiques de la zone de l'estran lorsque l'utilisation des techniques de plongée n'est pas requise, a conduit le DRASSM à transmettre le suivi du dossier auprès du Service Régional de l'Archéologie de Bretagne.

Le terrassement de la réserve d'eau de mer du nouveau port mytilicole a été réalisé en deux tranches de travaux, soit du 21 juillet au 1er août 1997, puis du 26 août au 17 octobre 1997. Compte-tenu du calendrier de déroulement des travaux, de l'extrême mobilité des sols gorgés d'eau et du type de terrassement projeté, l'intervention archéologique s'est conformée aux souhaits du maître d'oeuvre en abandonnant toute opération préventive préalable par sondages mécaniques systématiques, au profit de la seule surveillance des terrassements. Celle-ci a été confiée à l'Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales (AFAN) qui a missionné l'auteur de ce rapport pour l'ensemble de la durée des travaux. Néanmoins, le retard pris dans le terrassement du bassin d'eau de mer, additionné à l'absence de découverte archéologique pendant les deux premiers mois de l'opération a conduit la surveillance archéogique a s'interrompre avant la fin des travaux de décaissement. Le suivi archéologique du creusement d'une tranchée d'adduction d'eau sur près d'un kilomètre dans la zone de l'estran, initialement planifié à la fin du terrassement du bassin, a également été abandonné au vu des résultats de la surveillance de ce dernier.

1 Bassins versants Baie du Mont Saint-Michel Sée : 472 km* 500 km2 (50 000 ha) Sélune : 1 014 km2 Couesnon : 1108 km* Guyoult : 69 km2

.. 1 5 km

Baie du Mont Saint-Michel • ' } Pointe de Champeaüx j , v

K . Pointe du Grouin • •• . ï T. ' çji^- T o o % j? Avranches xêfxlx1:''-' ' Partie lion estuarienne \ Partie estuarienne

Mont Saint-Michel

Le Vivier s-Mer/

iretagne

Estran Polders récents Marais salés 240 km2 (24 000 ha) 28 km2 (2 800 ha) 40 km2 (4 000 ha)

Marais de Dol : 120 km2 (12 000 ha) (marais blanc : 10 500 ha, marais noir : 1 500 ha)

Figure 2. La baie du Mont-Saint-Michel. (Publié par J.C. LEFEUVRE, Préface de Baie du Mont-Saint-Michel et marais de Dol ; milieux naturels et peuplements dans le passé, Les Dossiers du CeR.A.A., supplément n°R) CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE, GÉOLOGIQUE ET GÉOMORPHOLOGIQUE

1. Présentation générale

Le projet d'aménagement portuaire est localisé sur le territoire des communes du Vivier-sur- Mer et de Cherrueix, sur la frange septentrionale du marais de Dol, dans la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel (cf. Figure n°l). Les communes du Vivier-sur-Mer et de Cherrueix occupent respectivement les rives occidentale et orientale du biez du Vivier, ou chenal du Guyoult, exutoire de quatre des sept rivières principales du marais de Dol, soit, d'ouest en est, le Biez de Cardequin, le Guyoult, le canal des Planches et la Banche. Le biez, dont la présence a permis le développement du port du Vivier, a créé une petite zone estuairienne au contact de la Manche.

Inscrite depuis 1979 sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, la baie du Mont-Saint- Michel forme une entité environnementale et géomorphologique remarquable. Sa superficie de 500 km2, sa position au fond du golfe normano-breton et surtout l'importance de son marnage, exceptionnel en Europe et engendrant des conditions sédimentaires et maritimes spécifiques, ont justifié qu'y soit conduit depuis plusieurs années un vaste programme d'études pluridisciplinaires.

Conséquence directe du marnage, lequel peut atteindre une variation de hauteur d'eau de 13,60 mètres entre le niveau des plus basses et des plus hautes mers, une vaste zone intertidale occupe une grande partie de la baie. C'est en effet un estran d'environ 250 km2, large de huit kilomètres à la Chapelle-Sainte-Anne, qui se découvre au cours des grandes marées basses.

La partie terrestre de la baie, formée des terres colmatées colonisées par l'homme, se compose principalement du marais de Dol et des marais de la zone orientale et des basses vallées des trois rivières, la Sée, la Sélune et le Couesnon (cf. Figure n°2). De loin le plus étendu avec 120 km2 contre 15 pour la partie Est, le marais de Dol regroupe deux entités géographiques différentiables par la nature du sol : marais noir tourbeux dans une petite partie sud et marais blanc à base de tangue argileuse dans une large zone nord.

2. Evolution géologique et sédimentaire de la baie

Le substrat de la baie du Mont-Saint-Michel est formé par des schistes briovériens anciens, et délimité par trois affleurements rocheux culminants à 80 m NGF : gneiss et schistes à l'ouest vers Saint-Malo et Cancale, granité au sud à Saint-Broladre et granité également à l'Est, vers Avranches et Champeaux (cf. Figure n°3).

Plusieurs études, conduites entre autres par Marie-Thérèse Morzadec-Kerfourn, Bruno Câline, Chantai Bonnot-Courtois et l'équipe du Centre Régional d'Archéologie d'Alet, se sont

2 1 V/A Schiste«

!*• * 1 Granite

Í ' 1 Auréole métamorphique associée au granite

h-»*--*-~| Micaschiste« et Cneiss

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1 • 1 j IXine« : % Terrains Quaternaire« 1 1 Polder« Ptc de Çhampeaux

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{' 1 Bancs sableux

Récif (bioconstruction) —

/ Cours d'eau Chenaux de marée ' Filandres Mcgarides Pie du Grouin . t: : ;'. Il Bouchots à moules t ,VJ Parcs à huitrea ligne du îéro marin

y Courbes topographiques (en m. NGF) & Villes Routes principales

\ S" '• Bec d'^daine/T VRANCHES

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X 4 4 4 4 Z7+ 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 o 4444 4 444 \ 4 4 4 4 4 4 Q> 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 DOL-DE-BRETAGNE 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 PONTORSON 4 4 4 4 4 4 s'''/'/ Figure 3. Géologie de la baie en 1979 (CALINE, B. - 1982) intéressées à la formation géologique et sédimentaire de la baie du Mont-Saint-Michel, tant en ce qui concerne son domaine maritime que la partie terrestre. Il n'entre pas dans le cadre de ce présent rapport de dresser un tableau exhaustif des caractéristiques géomorphologiques de la baie mais seulement d'en rappeler brièvement les principales données.

La transgression flandrienne : Au quaternaire, la transgression holocène ou flandrienne a généré un processus de colmatage de la baie par pulsations successives jusqu'à la période romaine. Les études menées dans le marais de Dol nous permettent d'identifier les principales phases du colmatage du marais (LAUTRIDOU, CLET-PELLERIN & MORZADEC, 1995, MORZADEC-KERFOURN, 1995). Depuis 8000 BP, période où le niveau marin était inférieur de dix mètres au niveau actuel, jusqu'à 2000 à 1400 BP, époque de la dernière transgression, ce sont aut total cinq phases actives de remontée des eaux marines qui ont eu lieu, séparées par des périodes de ralentissement pendant lesquelles la végétation s'est développée. L'épaisseur du sédiment rapporté pendant l'ensemble des phases de transgression marine, estimée à une quinzaine de mètres (LEGENDRE, 1993), a largement modifié la morphologie de la baie. Les indications stratigraphiques recueillies dans le marais de Dol ont mis en évidence un déplacement de la ligne de rivage de l'ordre de trois kilomètres en 1500 ans lors d'une phase transgressée datée aux alentours de 4500 BP (MORZADEC-KERFOURN, 1995).

Les apports sédimentaires marins : * Les tangues : Caractéristiques du haut-estran et du marais blanc de Dol, les tangues correspondent aux matériaux fins à très fins (moyenne de 30 à 90 um) rapportés lors des transgressions marines sur la zone supérieure de l'estran. Assimilées le plus souvent à une argile calcareuse assez finement litée, de teinte gris bleuté, elles peuvent également être de nature plus sablonneuse. La granulométrie des matériaux déposés est étroitement liée au caractère plus ou moins actif des phases transgressives, sédiments plus grossiers en phases rapides et plus fins lors des ralentissements transgressifs.

* Les cordons coquilliers : Les bancs de sable grossier et coquillier, se forment peu à peu par l'accumulation, sur la haute slikke et sur le schorre, de matériel bioclastique grossier, voire de coquilles entières, poussé par les eaux marines. Leur configuration généralement en cordon peut présenter des profils et des dimensions très variables. L'évolution des cordons coquilliers est très rapide dans le temps et plusieurs clichés aériens réalisés à quelques années d'intervalle montrent des changements nets. L'absence de bancs coquilliers au droit de la rive orientale du biez du Vivier, alors qu'ils sont très présents sur le haut estran à l'ouest, entre Vildé-la-Marine et , et vers l'est, de la Larronnière à la Chapelle Sainte-Anne, est mise sur le compte du contexte estuairien propre au Vivier.

4 LE DOMAINE INTERTIDAL SUPERIEUR LE DOMAINE INTERTIDAL MOYEN ET INFERIEUR

Unités dehaute-plage Sédiments cohésifs

sable graveleux i galets et coquilles tangue siIto-argileuse de la siikke et des placages o vaseux a- sable bioclastique moyen et grossier de bourrelet de plage d idem.mais ép. inf.à 30 cm b- idem.couvert par la végétation Unités de wadden • Sédiments arénitiques a-tangue argileuse et silteuse de schorre 1 Corophium b-idem.d'ancien schorre sablon {sable fin) d'estran * Arenicola ||| | ] tangue silteuse de haute-slikke • La ni ce E3 sable moyen d'estran (200 â 350 um) Accumulations coquillières a- sable bioclastique moyen de banc {350 à 800 um) b- idem.couvert de Lanice a- coquilles entières et sable bioclastique grossier de cordon b- sable bioclastique grossier d'avant-cordon Unités récifales accumulation coquillière au sein du schorre a- bioconstructions i Sabellaria b- idem.éparses Vasières en arriére des cordons El colonies de Lanice tangue silteuse et sablon tangueux de vasière immature (ép. inf.é 30 cm) CD sable bic et lithoclastique moy. et gros, de banc (350 â tangue argilo-si1teuse de vasière mature (ép. sup.à 30 cm) 3000 i,m) EU tangue argileuse de schorre de vasière sable bioclastique moyen d'estran (350 à 800 um) tangue silteuse de vasière Chenaux de marée

Figure 4. Carte sédimentologique de l'estran au Vivier (CALINE, 1982) Figure 5. Carte morpho-sédimer.taire de I 'estran au Vivier (BONNOT-COURTOÍS & LE VOI Figure 6. Evolution de l'estran au Vivier-sur-Mer depuis 1947 d'après les données de J. Le Rhun (1982) et la photographie aérienne IGN 1993 (BONNOT-COURTOIS & LE VOT, 1995) Les domaines maritimes de la partie occidentale de la baie :

La baie du mont-Saint-Michel se divise en trois domaines définis selon leur caractère submersible ou non par les eaux marines (CALINE, 1982). Le domaine supratidal. toujours exondé, pourrait correspondre à l'actuel marais de Dol si la digue n'en avait pas marqué artificiellement la limite. Le domaine intertidal ou l'estran est subdivisé en trois zones principales : le schorre ou haut- estran que les eaux n'atteignent qu'aux marées de vive eau, la haute-slikke et la slikke, formant X estran moyen, et couvertes à toutes les pleines mers et enfin la basse-slikke ou bas-estran, toujours recouverte à l'exception des basses mers de vive eau. Le domaine subtidal., correspond à l'ensemble de la zone marine ne découvrantjamais.

H.M. d* V.Z.

1 - U.H. de M. E. Schorre ' toaute- [slikke

1 slikke P.M. de M.E. Estran sablonneux fl.M. de V.E. OU et Estran sableux "'aute-plage slikke (baie de Cancale) et sableuse basse-elikke (baie de Cancale)

Haut-estran Estran moyen Bas-estran Domaine subtidal Domaine intertidal supratida ou marin Subdivision du domaine littoral (CALINE, 1982)

Au droit du Vivier-sur-Mer, les différents domaines maritimes se succèdent selon une pente régulière et modérée de l'ordre de 3% :

* Domaine intertidal supérieur : le schorre Large de quelques centaines de mètres seulement à l'ouest du biez du Vivier, le schorre s'étend à l'est du chenal sur près d'un kilomètre vers le nord, formant ainsi la Pointe aux Herbes. C'est dans cette zone que les travaux d'aménagement du nouveau port mytilicole doivent avoir lieu. L'accumulation préférentielle de matériaux marins sur la rive orientale du biez du Vivier par rapport à sa rive ouest semble causée par les vents dominants de secteur ouest, qui repoussent les eaux chargées de sédiments vers l'Est du chenal. On considère qu'entre 1979 et 1993, le schorre de la Pointe aux Herbes a ainsi progressé d'une centaine de mètres vers le Nord, soit d'environ sept mètres par an (BONNOT & LE VOT, 1995). Dans le même temps, le schorre voisin de la Larronnière a eu tendance à régresser fortement (cf. Figure n°6). Seules les marées d'un coefficient supérieur à 104 peuvent atteindre la partie haute du schorre, établie aux cotes 6,50 m à 7,00 m NGF. Ces terrains constitués par des sédiments argilo- silteux, plus rarement sablonneux, stabilisés, sont recouverts de végétation halophile, essentiellement de salicorne, de soude marine et d'obione. D'un intérêt économique faible, ils ne sont guère exploités que pour l'élevage des moutons de pré-salé et pour l'édification des gabions de chasse au canard.

7 * Domaine intertidal moyen et inférieur : la slikke (le blanc en nom local) Alternativement découverte et recouverte à chaque marée, la slikke se caractérise par l'absence de végétation, la présence d'un sédiment sablonneux calcaire formé au moins à 50% de matériaux bioclastiques et une forte occupation animale, essentiellement composée de vers et de mollusques. Des placages de tangue silto-argileuse assez volatile forment des levées de chenaux caractéristiques en travers de l'estran. Les pêcheries, implantées autour de la cote -3,00 m NGF, et les bouchots, localisés plus bas jusqu'à -6,00 m NGF, occupent la partie basse de la slikke.

Le chenal du Vivier :

Le biez du Vivier, isolé dans la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel, forme un petit complexe estuairien. Bien que la présence de vannes sous le Pont d'Angoulême ait considérablement limité l'apport d'eau douce des quatre cours d'eau d'évacuation du marais de Dol, le chenal du Vivier garde une place non négligeable dans la dynamique sédimentaire locale, coupant transversalement l'estran et formant un milieu de circulation des matériaux sédimentaires. La présence de la Pointe aux Herbes sur sa rive orientale, sans équivalent sur l'autre rive, et l'absence de bancs coquilliers au droit du Vivier sont les conséquences directes de l'influence du biez. Encaissé et méandreux immédiatement en aval du Pont d'Angoulême, il présente ensuite, consécutivement à l'augmentation progressive de la pente, un cours plus droit et moins profond sur le moyen-estran (cf. Figure n°5).

8 CONTEXTE ECONOMIQUE

A l'exception du port du Vivier-sur-Mer, la rareté des havres de la baie du Mont-Saint- Michel, depuis Cancale jusqu'à la Normandie, n'implique pas, loin s'en faut, une inexploitation des ressources maritimes. L'utilisation intensive et permanente de l'estran pour y pratiquer la pêche, par des pêcheries fixes ou la récolte des coquillages, est un caractère majeur de l'activité économique de la baie. Mais le développement récent des activités de conchyliculture a marqué un pas décisif dans l'utilisation des ressources maritimes. L'ostréiculture à Cancale et la mytiliculture au Vivier ont causé un changement radical des paramètres de productivité et de modes d'exploitation des deux produits.

1. La mytiliculture au Vivier-sur-Mer

Implantée dans la baie en 1954, à l'initiative de producteurs originaires de la baie d'Oléron, la mytiliculture locale s'est hissée en quarante ans à une position déterminante. Avec 10 000 tonnes produites par an, elle participe dorénavant pour un quart à la production nationale de moules de bouchot. Marginalement implantée à Saint-Benoit-des-Ondes, Hirel et à Cherrueix, la grande majorité des soixante huit entreprises mytilicoles est installée au Vivier-sur-Mer, dans des ateliers situés sur les deux rives du chenal (cf. Figure n°5). Les entreprises sont regroupées au sein d'un Syndicat Intercommunal mytilicole la Baie du Mont-Saint-Michel.

Souvent dénommés la "plus grande forêt de Bretagne" en égard à leurs quelques 300 000 pieux de chêne, les bouchots du Vivier-sur-Mer s'étendent sur 270 km de lignes (cf. Figure n°l). Le cycle d'immersion et d'émersion de chaque ligne ou bouchot varie selon sa localisation plus ou moins basse sur l'estran. Des cordes auxquelles sont fixées de jeunes moules, les naissains, sont enroulées autour de chaque pieu d'une même ligne disposée Nord/Sud. Les moules, une fois atteinte une longueur minimale de 4 cm, sont récoltées le long de chaque pieu et rapportées aux ateliers pour y être stockées et conditionnées.

2. Le projet d'aménagement du nouveau port

Grâce à un équipement opérationnel, notamment des bateaux amphibies en aluminium équipés de grues, pouvant manœuvrer à basse mer comme à pleine mer, la mytiliculture de la baie est performante tant sur le plan des modes de production que de la rentabilité.

Les ateliers du Vivier souffrent pourtant d'une pénurie d'eau de mer, liée autant à l'éloignement des eaux libres qu'au caractère turbide des eaux du biez Guyoult, mélangées aux eaux de drainage du marais de Dol. L'utilisation d'eau de mer, indispensable pour le stockage des moules, est seule à même de combattre une contamination éventuelle des coquillages dans la baie. En cas d'indice

9 de pollution, seul le placement des moules dans un bassin d'eau de mer pourrait permettre d'évacuer les agents contaminants en laissant les coquillages filtrer des eaux saines.

Compte-tenu des difficultés d'approvisionnement en eau de mer, la création d'une réserve d'eau de mer sur le Domaine Public Maritime a été pendant de nombreuses années au cœur des projets des mytiliculteurs de la baie. Un premier plan, conçu en élévation afin d'éviter le pompage de l'eau de la réserve, a été refusé aux termes de la loi "littoral". Une fois admis l'impératif de concevoir un bassin excavé, de façon à ne pas perturber la vision de la baie, l'existence d'une digue périphérique de 1,40 m de hauteur a été acceptée, afín de protéger le bassin lors des grandes marées de vive eau.

Le projet d'aménagement prévoit la construction d'un bassin d'eau de mer nécessitant le terrassement de 17 000 m3 jusqu'aux cotes 5,00 m et 5,50 m NGF (le terrain naturel étant à la cote 6,80 m), la mise en place d'une canalisation d'eau allant puiser l'eau de mer 900 mètres au nord dans le biez du Vivier, la construction de quinze nouveaux ateliers et bâtiments dans le port Est du Vivier et la réalisation de nouveaux axes de circulation pour les bateaux amphibies des mytiliculteurs. D'un budget total de 59 millions de francs, les travaux seront financés par le Syndicat intercommunal des mytiliculteurs de la baie et par des fonds publics (plan européen PESCA, Conseil Général, Conseil Régional et Etat). La part du budget payée par le Syndicat intercommunal sera remboursée par les entreprises, en fonction du nombre de pieux de bouchots que chacune possède dans la baie.

10 CONTEXTE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE

1. L'occupation préhistorique

La plus ancienne implantation humaine connue du marais de Dol est attestée par le site du Mont-Dol, qui fit l'objet d'une fouille à la fin du siècle dernier. Le gisement a livré des niveaux du paléolithique moyen et supérieur. C'est à ce jour la seule occupation préhistorique avérée de la baie du Mont-Saint-Michel.

La transgression flandrienne, en faisant remonter depuis 8000 BP le niveau de la mer d'une dizaine de mètres, a considérablement modifié la ligne du rivage et la physionomie du paysage pour les périodes plus récentes.

2. Protohistoire et période gallo-romaine

Si les 38 pêcheries fixes en bois reconnues en prospection aérienne dans la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel, entre Saint-Méloir-des-Ondes et Cherrueix, restent non datées, la pêcherie de Saint-Jean-le-Thomas, située à une dizaine de kilomètres au nord du Mont-Saint- Michel, dans le département de la Manche, a pu faire l'objet d'une datation C14. Sa chronologie 1490 ± 110 av. J.C. la rattache à la période de l'Age du Bronze (L'HOMER, 1995). Elle est implantée à la cote 1,00 m NGF, soit plus haut sur l'estran que les pêcheries actuellement localisées dans la partie occidentale de la baie (cf. Figure n°3).

Les travaux de prospection systématiques menés par le Centre Régional d'Archéologie d'Alet ont permis de repérer, dans les parties orientale et occidentale du marais de Dol, une douzaine de sites de briquetage de sel ignigène, exploités probablement à la Tène finale et jusqu'à la fin de l'époque gallo-romaine (communes de la Fresnais, la Gouesnière, Hirel, Roz-sur-Couesnon, Saint- Méloir-des-Ondes et le Vivier-sur-Mer). Ces ateliers, situés sans doute à l'origine en bord de grève, exploitaient les ressources naturelles de l'endroit. L'argile marine locale, la tangue, était utilisée pour façonner les creusets de cuisson, dans lesquels l'eau de mer était placée. Après la cuisson dans un four, le sel pouvait être récupéré une fois l'eau de mer évaporée. La dimension assez réduite des ateliers de briquetage et la présence sur les sites de niveaux de tangue marine entre les différentes phases d'occupation semblent montrer un caractère temporaire de ces installations artisanales, déplacées selon les besoins le long du littoral (BIZIEN-JAGLIN, 1995).

Le site du Vivier-sur-Mer, seul gisement archéologique de la commune reconnu à ce jour, a été découvert au lieu-dit le Haut de la Grève, proche de l'actuel rivage (cf. Figure n°l). Il est attesté par des découvertes de surface, plusieurs fragments de briquetage et de rares tessons datés de la Tène finale et du 1er siècle après J.C.

11 3. Période médiévale

Evoquer le peuplement médiéval de la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel amène obligatoirement à s'intéresser aux caractéristiques physiques et sédimentaires de l'endroit. Implantées entre une grève à la fois providentielle et difficile, et un arrière-pays marécageux exigeant des soins incessants, les populations du Vivier et des communes voisines ont dû sans cesse lutter contre les eaux. La poldérisation précoce des terres de l'Est, l'assèchement des sols et le drainage des eaux intérieures des marais y ont tout autant joué que la protection contre l'irruption marine.

L'endiguement du marais de Dol : La présence de plusieurs cordons coquilliers fossiles, s'élevant à 8,00 m NGF, et s'étendant sur une vingtaine de kilomètres de Chateau-Richeux à la Chapelle-Sainte-Anne, a servi de base à la construction d'une digue fermant la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel. Si les datations C14 réalisées sur les premiers cordons avancent une création entre 660 et 740 apr. J.C., les premiers travaux d'endiguement, datables du Xlè siècle, semblent avoir été implantés sur un second cordon matérialisé au cours du IXè siècle (L'HOMER, CALINE, BONNOT, 1995). VEnquête par tourbe de Henri II Plantagenêt dresse en 1181 un inventaire des biens de l'archévêque de Dol et mentionne les verdières qui sont situées depuis le Couesnon et les vieilles digues jusqu'à la mer (A.D. 35. G163), signalant ainsi l'existence déjà ancienne de la digue.

L'endiguement contre les irruptions marines a nécessité de combler les vides entre les bancs coquilliers discontinus, d'occlure les chenaux de marée et les criches, et de limiter les ouvertures aux seuls exutoires principaux du marais. Il semble que le Guyoult ait débouché aux environs de Saint-Benoit jusqu'à sa canalisation au XlIIè siècle, date à laquelle il est dévié vers le Vivier (cf. Figure n°l). Autre cours d'eau drainant du marais, la rivière de Vildé-Bidon, débouche à l'ouest de Saint-Benoit. Canalisée également au XlIIè siècle, elle devient le Biez Jean. Le troisième cours d'eau, le Meneuc, débouche au Pont-Benoit jusqu'au XlIIè siècle. La canalisation de la rivière de Vildé-Bidon aura pour conséquence le raccordement du Méneuc au Biez Jean nouvellement nommé et la fermeture de son ancien exutoire à Pont-Benoit. Ainsi, jusqu'au XlIIè siècle, les principales rivières du marais de Dol s'évacuaient à proximité de Saint-Benoit-des-Ondes. La présence de nombreuses pêcheries anciennes au droit de Saint-Benoit est probablement à mettre en relation avec ce contexte estuairien favorable aux activités de pêche (L'HOMER, CALINE, BONNOT, 1995).

Selon les mêmes auteurs, des ruptures de la digue au cours des Xllè et XlIIè siècles auraient causé la réfection des zones détruites par des empierrements. Il semble que la digue ait fait l'objet de travaux au moins jusqu'au XVIè siècle, ce qui lui a valu son nom de "digue de la Duchesse Anne". Les administrations des XVIIè au XlXè siècle mentionnent toutefois des inondations des marais et

12 des réfections de la digue. En 1853, on signale encore sur les 33 km de digues, 18 km en perré, 5 km en enrochement et 10 km en dune et terre (MEURY et SORRE, 1980).

La colonisation du marais : Les phases de peuplement du marais restent encore peu connues. Il semble que le cordon littoral et la région du Mont-Dol forment les premières zones d'implantation médiévale, peut-être dès les IXè et Xè siècles. L'étude toponymique des lieux-dits du marais de Dol montre la diffusion des suffixes -¿ère, -erie, -ais et -aie, rattachables aux périodes Xlè - XHIè siècles (, 1995). Les plus anciennes archives disponibles datent du Xllè siècle. L'Enquête par tourbe de 1181 mentionne les communes de Cherrueix, le Vivier, Saint-Broladre, Hirel, la Fresnais et , sans que leur statut soit identique. Saint-Benoit, Hirel et Cherrueix, paroisses dès le Xllè siècle, sont démembrées peu après au profit de la création de nouvelles unités. Vildé-Bidon et Vildé-Marine appartiennent toutes deux au domaine des Templiers. L'Enquête par tourbe mentionne la présence d'une pêcherie à Cherrueix, approvisionnant l'archevêque de Dol en aloses, esturgeons et turbots. Plusieurs autres pêcheries sont également mentionnées dans la baie, notamment entre Saint-Benoit et Hirel, à l'emplacement présumé des anciens estuaires du Guyoult et du Méneuc. Un texte de 1145 cité par CHEDEVILLE (1995) signale que Jean de Dol donne à La Vieuville la moitié de la coûtume des poissons qu'il avait à Hirel, à savoir 25 harengs à prendre le mercredi et le vendredi sur chaque petit bateau (navicula).

Le démembrement des paroisses littorales de Cherrueix et d'Hirel et la mention fréquente dans les archives, plus encore que des productions agricoles du marais, des produits de la pêche, qu'il s'agisse de pêche aux filets, aux engins ou de simples droits de warec, suggère un dynamisme de l'implantation humaine sur le cordon littoral, cela plus précocément que dans l'intérieur du marais. L'accessibilité aux produits de la pêche et l'endiguement continu sur plusieurs dizaines de kilomètres, qui offre tout autant un axe de circulation que la protection des marais, ont certainement justifié cette implantation littorale précoce.

Le Vivier : Mentionné dans l'Enquête par tourbe de 1181, le Vivier n'y apparaît pas en tant que paroisse. C'est pourtant sans doute une paroisse au siècle suivant lorsque son église est dédiée à Saint-Nicolas, patron des marchands, des marins et des pêcheurs. Il semble bien que le Vivier, à la suite de la canalisation du Guyoult, devienne un port actif de commerce côtier destiné à transporter les productions agricoles du marais de Dol, au point même que Philippe le Bel s'y serait intéressé en 1296. Au tout début du XlVè siècle, une bulle de Boniface VIII le place sur un même plan qu'Hirel. En 1516, le Vivier est signalé comme parochia de Vivario Hireilli, signifiant alors qu'il s'agit d'une paroisse née du démembrement de la paroisse d'Hirel (CHEDEVILLE, 1995).

13 En dehors de la découverte dans la seconde moitié du XlXè siècle de monnaies mérovingiennes sur la plage du Vivier et de la mise au jour de nombreuses billes de bois à sept mètres de profondeur lors du creusement des fondations du nouveau Pont d'Angoulême, destiné à remplacer l'ancien Pont du Bec-à-l'Ane (ROBIDOU, 1893), aucune découverte archéologique tangible n'est venue encore éclairer notre connaissance de la commune à l'époque médiévale.

Deux gisements archéologiques de surface sont localisés sur la commune de Cherrueix, à proximité du site d'aménagement mytilicole. Au lieu-dit la Grosse Roche, la mise en évidence de briques, de pierres et de céramiques laisse envisager une datation médiévale ou moderne. Les fragments de céramique vernissées et les tuiles plates à crochet découvertes à la Métrie permettent d'avancer une datation d'époque moderne (cf. Figure n°l).

4. La période moderne

Si les sources archéologiques restent muettes en ce qui concerne l'histoire moderne du Vivier, les archives écrites et iconographiques permettent de restituer quelque peu les caractéristiques de la paroisse. La population de la ville montre une relative stabilité jusqu'à nos jours : si des 200 feux recensés en 1667, il n'en reste que 100 feux en 1774, on note un accroissement régulier de la population jusqu'en 1872 avec le chiffre de 1000 habitants. L'installation d'entreprises mytilicoles au Vivier depuis les années cinquante a permis d'enrayer la chute de population amorcée au début du XXè siècle. On compte ainsi encore 914 habitants en 1982.

Les archives de l'époque moderne nous renseignent sur les pêcheries de la baie. La décision du Conseil d'Etat en 1726 de procéder à la destruction de la majorité des 41 pêcheries de l'amirauté de Saint-Malo est à cet égard la source la plus informative puisqu'elle nous informe à la fois sur la localisation de celles-ci et sur leurs dimensions (A.D. 35. 9 B 5). Quatre bouchots (entendus dans le sens des pêcheries à pannes de bois disposées en V) abandonnés et six autres en activité sont ainsi inventoriés sur le territoire de Cherrueix, dont deux sont situés près du biez ou courant d'eau du Vivier. Au Vivier, c'est à dire sur la rive occidentale du biez, ce sont cinq bouchots qui sont mentionnés, dont deux à l'état d'abandon. Il est possible de penser que plusieurs de ces pêcheries occupent encore l'estran de nos jours (cf. Figures n°l, 4 & 5).

Les digues sont régulièrement mentionnées dans les archives, notamment à l'occasion des inondations du marais en 1604-1606, 1629 et 1715. Une requête de 1715, adressée à l'Etat par maistre Bonaventure Carron, habitant de Cherrueix, fait état des grandes dépenses occasionnées par l'entretien des digues et des cours d'eau du marais et décrit le système de fermeture des digues (A.D. 35. G 163)... (les eaux douces du marais) sécoulent...peu à peu dans la mer par le moien des portes

14 Figure 7. Extrait de la Carte particulière des côtes et parties des marais de Dol en Bretagne, dressée en 1734 par J.J. Rufflet (B.N.F. Cartes et plans, Ge Sh 44.2,9)

Figure 8. Plan du bourg de Cherrueix, des villages de la Larronnière et de la haute-Rue, et de la digue depuis le Vivier jusques a la chapelle Ste-Anne, avec les maisons et salines qui occupent la dite digue, et

des grèves au devant d'icelle, comme elles se trouvent au 1er may 1749 (A.D. 35. G 380 G).

15 de fer qui coustenl encore beaucoup au dites paroisses à entretenir, lesquelles portes sont pratiquées dans la digue et souvrent par le poids des eaux douces lorsque la mer est retirée, et se ferment de mesme lorsque la mer monte en sorte qu'elle nentre point dans le marais... On voit là un mécanisme simple d'ouverture et de fermeture reposant sur la seule pression de l'eau. On peut néanmoins être sceptique en ce qui concerne la durabilité des portes en fer en milieu marin et leur bon fonctionnement en cas d'accumulations de dépôts vaseux rapportés par les marées.

Une carte générale de la baie du Mont-Saint-Michel dressée par J.J. Rufflet en 1734 mentionne la présence d'anciennes digues très au Nord, à mi-hauteur entre les pêcheries de l'estran et la digue délimitant le domaine terrestre (cf. Figure n°7). Cette mention est à rapprocher des termes de la requête de maistre Bonaventure Carron qui signalait en 1715 ...Cette grève etoit mesme autrefois très reculée de la digue qui subsiste aujourd'hui comme il paroist par des vestiges des anciennes digues qu'on y découvre en différens endroits. Ces deux documents sont les seuls à suggérer la présence de digues vestigiales plus au Nord de l'endiguement continu qui a perduré jusqu'à nos jours.

Plusieurs documents du XVIIIè siècle permettent de restituer la morphologie et le trafic du port du Vivier. Il est probable que, depuis la canalisation du Guyoult vers le Vivier au XHIè siècle, la disposition du port a peu changé, tout au moins jusqu'à la deuxième moitié du XlXè siècle, date de la construction du Pont d'Angoulême. C'est en tout cas ce que semble suggérer la comparaison des plans du XVIIIè siècle avec un plan cadastral de 1812 :

Figure n°9. Détail du plan de 1749. Détail du plan cadastral du Vivier de 1812 (A D. 35. G 380 G) (Mairie du Vivier)

Le plan de la côte depuis le Vivier jusqu'à la Chapelle Sainte-Anne, daté de 1749 (A.D. 35. G 380 G), représente un cheminement méandreux du Guyoult en aval du pont du Vivier, ménageant ainsi une anse large et profonde (cf. Figures n°8 & 9). Le port est indiqué plus au Nord, signe probable d'un envasement du fond de la baie. La mention des grèves vertes est-elle identique aux

16 "verdières" des textes médiévaux, ce qui montrerait une extension du schorre et des herbus par rapport à la physionomie actuelle, ou bien plutôt un terme pour désigner la haute slikke ? Elle suggère en tout cas que l'accès au port du Vivier n'était possible que par un chenal nécessitant un entretien régulier.

Le registre des capitaines et patrons conservé aux Archives Départementales (9 B 549) fait état des mouvements du port du Vivier dans les années 1740 à 1748. Le dépouillement des entrées et sorties du port entre avril 1740 et avril 1741 fournit de précieuses indications sur le frêt transporté, le tonnage des bateaux et la fréquentation du port au XVIIIè siècle. En un peu plus de douze mois, 74 bateaux de commerce entrent au Vivier, ce qui représente une moyenne d'une arrivée tous les cinq jours (cf. Figure n°10). L'étude des bateaux montre par ailleurs que seuls 18 unités, venues pour 12 d'entre elles des ports de Saint-Malo et Saint-Servan et pour le reste des ports de Brest, Paimpol et de ports normands, participent au commerce du Vivier. Il s'agit de très petits bateaux, d'un tonnage de 4 à 18 tonneaux seulement. Les bâtiments provenant de ports bretons arrivent au Vivier très majoritairement sur lest pour y charger essentiellement du cidre et dans une moindre mesure du bois. Il est intéressant de noter que les transport de bois de construction navale sont exclusivement destinés aux ports de Saint-Malo et de Saint-Servan, dont les chantiers navals actifs au XVIIIè siècle demandent un approvisionnement régulier en matériaux. Les bateaux en provenance des ports normands de Régneville et de Grimouville transportent pour leur part de la chaux au Vivier et en repartent à lège, les terres de l'Avranchin et du Bas-Cotentin fournissant leur cidre et leur propre bois à "bâtir" (cf. Figures n°l 1 & 12). Au total, sur 74 transits, seuls trois d'entre eux emportent une cargaison commercialisable à l'aller et au retour. L'étude de ce document nous informe sur le rôle économique joué par le port du Vivier. Important certes pour le débouché des produits agricoles de l'arrière-pays, le port demeure de dimension restreinte et limité essentiellement à un cabotage côtier, sans doute en grande partie à cause des conditions difficiles d'accès pour des navires de moyen tonnage.

17 Mouvements du port du Vivier (avril 1740 - avril 1741), d'après le registre des capitaines et patrons (AD. 35, 9 B 549) :

Date entrée eu N° Nom Port cf attache Port Provenance Fret aller Destination j Frêt retour Vivier 1 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 11-Avr Saint-Malo | Cidre 2 Le Saint- Yves ? 7 tx Saint-Malo sur lest 13-Avr Saint-Servan Cidre 3 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 18 tx Saint-Servan Vin 15-Avr Saint-Servan Bois 4 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 26-Avr Saint-Malo Cidre 5 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 3-Mai Saint-Servan Cidre 6 La Françoise Saint-Malo 8 tx Saint-Malo Vin 10-Mai Saint-Malo Bois 7 Le Saint-Nicolas Brest 11 tx Brest Futailles vides 11-Mai Brest Cidre 8 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 18 tx Saint-Servan sur lest 11-Mai Saint-Servan Bois et pierres de moulin ? 9 Le Jacques Saint-Malo 10tx Saint-Malo sur lest 13-Mai Brest Cidre 10 Le Jean-Bapt. Grimauville 10 tx Grimauville 30 barriques de chaux 24-Mai Grimauville sur lest 11 Le Charles Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 27-Mai Saint-Malo Cidre 12 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Malo sur lest 8-Jun Saint-Malo Cidre 13 La Françoise Saint-Servan 8 tx riviére de Dinan Vin 10-Jun Saint-Servan ? 14 La Jeanne-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 23-Jun Saint-Servan Cidre 15 La Françoise Saint-Servan 8 tx Saint-Servan sur lest 25-Jun Saint-Malo Cidre 16 Le Jean-Bapt. Grimouville 10 tx Grimouville Chaux 5-Jui Grimouville sur lest 17 Le Charles Grimouville 7 tx Grimouville Chaux 5-Jul Grimouville sur lest 18 La Françoise Saint-Malo 8 tx Saint-Malo sur lest 9-Jul Saint-Malo Cidre 19 Le Chartes Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 13-Jul Saint-Malo Cidre 20 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 14-Jul Saint-Malo Bois à navire 21 La Françoise Saint-Malo 8 tx Saint-Malo sur lest 21-Jul Saint-Malo Cidre 22 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Malo sur lest 22-Jul Saint-Malo Cidre 23 Le Jacques Saint-Malo 10 tx Saint-Malo sur lest 22-Jul Brest Cidre 24 Le Saint- Nicolas Brest 11 tx Brest sur lest 22-Jul Brest Cidre 25 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 29-Jul Saint-Malo Bois de navire 26 Le Jean-Bapt. Grimouville 10 tx Grimouville Chaux 30-Jul Grimouville sur lest 27 Lolivier Paimpol 7 tx Portrieux sur lest 10-Aoû Portrieux Cidre 28 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 11-Aoû Saint-Malo Bois à navire 29 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 22-A oû Saint-Malo Bois à navire 30 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 6-Sep Saint-Malo Bois de navire 31 Lolivier Paimpol 7 tx Paimpol sur lest 13-Sep Portrieux Cidre 32 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 22-Sep Saint-Malo Bois à navire 33 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 28-Sep Saint-Malo Bois dormeau 34 La Marie Loûs Paimpol 4 tx Paimpol sur lest 30-Sep ? Cidre 35 Lolivier Paimpol 7 tx Paimpol sur lest 30-Sep ? Cidre 36 Le Jean-Bapt Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 6-Oct Saint-Malo Bois à navire 37 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 6-Oct Saint-Servan Cidre 38 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 18 tx Saint-Servan sur lest 20-0ct Saint-Servan Bois de navire 39 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint- Cast sur lest 25-Oct Saint-Malo Planches 40 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 18 tx Saint-Malo sur lest 28-Oct Saint-Malo Ormeaux 41 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 7-Nov Saint-Servan Cidre 42 Le Don de Dieu Saint-Malo 8 tx Saint-Malo sur lest 7-Nov Saint-Malo Cidre 43 Le Jean-Bapt Saint-Malo 18tx Saint-Malo sur lest 10-Nov Saint-Malo Bois de navire 44 La Françoise Saint-Malo 8 tx Saint-Malo sur lest 18-Nov Saint-Malo Cidre 45 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 18-Nov Saint-Malo Cidre 46 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 18 tx Saint-Servan Fûts 22-Nov Saint-fíriac Douillon 47 La Françoise Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 26-Nov Saint-Malo Cidre 48 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 3-Déc Saint-Servan Bois de navire 49 Le Charles Marie (Saint-Servan) 8 tx Saint-Malo sur lest 22-Déc Saint-Malo Cidre 50 Le Don de Dieu Saint-Malo 8 tx Saint-Malo sur lest 22-Déc Saint-Malo Cidre 51 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 22-Déc Saint-Servan Cidre 52 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 31-Déc Saint-Malo Cidre 53 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 12 tx Saint-Malo sur lest 1-Jan Saint-Malo Cidre 54 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 1-Jan Saint-Servan Cidre 55 Le Pierre Saint-Servan (8 tx) ? sur lest 10-Jan Saint-Malo Cidre 56 Le François Saint-Servan 4 tx Saint-Malo sur lest 13^Jan Saint-Malo Cidre 57 Le Charies-Marie Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 28-Jan Saint-Malo Cidre 58 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 28-Jan Saint-Malo Cidre 59 Le Jean-Bapt. Saint-Servan 12 tx Saint-Malo sur lest 31^J an Saint-Malo Cidre 60 La Suzanne Saint-Servan 10 tx Saint-Malo sur lest 31^Jan Saint-Malo Cidre 61 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan sur lest 31-Jan Saint-Servan Cidre 62 Le Don de Dieu Saint-Servan 10tx Saint-Malo sur lest 31-Jan Saint-Malo Cidre 63 Le Pierre Saint-Malo 18 tx Saint-Malo sur lest 4-Fév Saint-Malo Cidre 64 Le Charles-Marie Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 8-Fév Saint-Malo Cidre 65 Le Jean-Marie Saint-Servan 11 tx Saint-Servan Vin, eau de vie 13-Fév ? Le reste de sa charge de vin et d'eau de vie 66 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo Frêt 15-Fév Saint-Malo Cidre 67 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 27-Fév Saint-Malo Cidre 68 La Françoise Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 28-Fév Saint-Malo Cidre 69 Le Jean-Bapt. Saint-Malo 12 tx Saint-Malo sur lest 11-Mar Saint-Malo Cidre 70 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 13-Mar Saint-Malo Cidre 71 Le François Regneville 7 tx Regneville Chaux 28-Mar Regneville sur lest 72 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 8-Avr Saint-Malo Cidre 73 La Suzanne Saint-Servan 10 tx Saint-Malo sur lest 17-Avr Saint-Malo Cidre 74 Le Pierre Saint-Servan 8 tx Saint-Malo sur lest 20-Avr Saint-Malo Cidre Figure 10. Figure 11. Ports commerçant avec le Vivier en 1740-1741 D'après le registre des capitaines et patrons de 1740-1741 (A.D. 35. 9 B 549)

Le Vivier (1740-1741). Répartition du frêt aller Le Vivier (1740-1741). Répartition du frêt retour Divers, indéterminé 4% xrVin/ea. , u d,e vi. e 4,„%, Indéterminé 3% Lest 7% Chaux 7%

Bois 22%

Lest 86% Cidre 67%

Figure 12. Répartition du frêt maritime à destination et au départ du Vivier D'après le registre des capitaines et patrons de 1740-1741 (A.D. 35. 9 B 549)

48 LOPÉRATIONARCHÉOLOGIQUE

1. Justification du suivi archéologique des travaux

Dès la connaissance du projet d'aménagement portuaire prévu dans le Domaine Public Maritime en face de la commune de Cherrueix, mais intéressant le port mytilicole du Vivier-sur- Mer, les autorités archéologiques compétentes ont demandé un contrôle archéologique des travaux. L'existence d'un port au Vivier, attesté depuis le XlIIè siècle et la présence contiguë d'une digue historiquement connue imposaient en effet qu'un tel projet d'aménagement fasse l'objet d'une opération archéologique préventive. Compte-tenu du processus de continentalisation du schorre au Vivier et des caractéristiques de l'implantation humaine ancienne, l'opération archéologique avait pour objet de déterminer la présence éventuelle de structures essentiellement maritimes. La possibilité de découverte d'épave de bateau, n'ayant pu, par suite d'une avarie de gouvernail ou poussé par les vents d'ouest, entrer au port du Vivier et s'échouant sur la plage à l'est du chenal d'accès, représentait un risque archéologique justifiant d'un suivi des travaux. La présence de la digue immédiatement plus au sud semblait également autoriser la possibilité de découverte de structures de défense du littoral, d'aménagement de la digue par système de fascines, de pilotis ou d'empierrements. La possibilité de découverte d'installations halieutiques était pour sa part plus hypothétique, compte-tenu de l'emplacement du site très en arrière de la zone connue de localisation des pêcheries. Enfin, si l'on considérait la mention de vieilles digues abandonnées très au Nord du rivage actuel, on devait également prendre en considération la possibilité toutefois hypothétique de structures d'habitat sur le site. Les caractéristiques très humides du terrain semblaient par ailleurs indiquer la bonne conservation des matériaux en bois, en cas de découverte archéologique.

Le projet d'aménagement prévoyant un terrassement de la réserve d'eau de mer sur une profondeur allant de 1,30 m à 2,30 m par rapport au terrain naturel, il était possible que les travaux ne portent que sur des sédiments rapportés récemment sur le site. Mais notre connaissance des caractéristiques de sédimentation du schorre se montre difficile à appliquer au paysage ancien. Si, comme l'avanceC. BONNOT-COURTOIS, on considère que le taux de sédimentation verticale du schorre dans la baie est de 1 à 2 cm par an, il est beaucoup plus délicat d'extrapoler sur les évolutions historiques, liées à l'existence éventuelle d'aménagements anciens inconnus.

Compte-tenu de ces différents facteurs, il a donc été décidé de procéder au suivi archéologique des travaux. Le maître d'oeuvre ayant souhaité qu'aucun sondage archéologique préventif ne soit mené sur le site de façon à ne pas fragiliser un terrain dont les caractéristiques laissaient craindre un mauvais comportement au terrassement, il a été déterminé de procéder à une surveillance des travaux pendant la durée du terrassement de la réserve d'eau de mer.

19

Figure • Vue aérienne avant travaux (vers le Sud/Sud-Ouest). Au premier plan, la Pointe aux Herbes, devant le port mytilicole Est du Vivier (cliché C. Bizien-Jaglin, 23/07/97).

Figure 15. L'effondrement des parois du fossé longitudinal de la réserve d'eau de mer (vers le Sud-Est). Au premier plan à l'arrière, les remblais déposés à l'emplacement des futures digues du bassin. A l'arrière plan, la digue de la Duchesse Anne. 21 2. Mode opératoire

Les travaux de terrassement de la réserve d'eau de mer ont été menés en deux tranches, du 21 juillet au 1er août 1997, puis du 26 août au 17 octobre 1997. La surveillance archéologique a été effectuée jusqu'au 28 septembre 1997, date initialement prévue de la fin des travaux de terrassement. L'absence de découverte archéologique dans la moitié de la superficie déjà décapée n'a pas justifié la poursuite d'un contrôle archéologique des terrassements ultérieurs. Au total, ce sont 34 journées de terrain et 5 jours de rédaction du DFS qui ont été consacrés à l'opération du port du Vivier.

Les premiers travaux ont concerné le creusement d'une tranchée de canalisation de vidange, longue de 130 mètres, allant de la réserve vers le biez du Vivier (cf. Figure n°13). Réalisé dans des conditions d'urgence liées au calendrier des marées et au risque d'irruption marine dans la tranchée, le terrassement a été mené jusqu'à la profondeur de 3,90 m NGF en bord de chenal. Une pente à 4/1000 a été ménagée vers la réserve. D'une largeur au fond de deux mètres, la tranchée mesurait jusqu'à huit mètres en tête. La présence de matériaux rapportés sur les coupes et les effondrements de parois n'ont pas permis de procéder à l'enregistrement des coupes, tout au plus a t-il été possible de faire quelques observations géomorphologiques et de vérifier l'absence de tout matériel archéologique conséquent. La présence d'une couche homogène d'argile verte a été remarquée à partir de la cote 4,15 m NGF. Au dessus de cette couche, des dépôts de sablon et de silt argileux lités parfois oxydés s'organisent horizontalement. Un niveau de coquilles de fausses-palourdes du type des scrobiculaires, majoritairement disposées à plat, est observable à la cote 5,70 m NGF.

Le terrassement de la réserve d'eau de mer, dont les dimensions intérieures sont de 190 m x 95 m, a été débuté par le creusement d'un fossé longitudinal, de 180 mètres de longueur, orienté Est/Ouest (cf. Figures n°13 & 15). Prévu initialement à la cote 4,50 m NGF, il a été terrassé jusqu'à la cote 5,00 m NGF, soit à 1,80 m sous le terrain naturel. La nature boulante des matériaux décaissés, contenant de 30 à 50% d'eau, a causé l'effondrement des parois au fur et à mesure des travaux et le retard du planning initial de terrassement. Si ce retard a empêché la surveillance archéologique de s'exercer pendant toute la durée du décapage, il a néanmoins été possible de contrôler l'avancée des travaux dans les extrémités occidentale et orientale ainsi que dans la partie sud, laquelle représentait, compte-tenu de la présence proche de la digue de la Duchesse Anne, un risque archéologique majeur. Seule la partie médiane septentrionale a été terrassée sans surveillance archéologique. L'ensemble du bassin d'eau de mer a été décapé par une pelle mécanique équipée d'un godet à lame d'une largeur de 2,15 m.

22 1 : 5,75 m NGF X. 2 : 5.50 m NGF

Figure 16. Relevé des pierres de granité mises en évidence dans la partie Nord-Ouest du bassin. Echelle: 1/1 OOè. 3. Les résultats scientifiques

Les observations archéologiques qui ont pu être conduites sont fort limitées. Il faut préciser que celles-ci n'ont pu être pratiquées que dans les coupes, lorsque leur accessibilité l'autorisait, et en fond de décapage, à la cote 5,50 m NGF. Le travail de la pelle mécanique ne permettait pas en effet de procéder à des observations à des profondeurs intermédiaires, dans la mesure où aucune découverte tangible n'est venue justifier l'interruption de la pelle. Au bilan, aucun indice de site archéologique n'a pu être mis en évidence.

Il faut malgré tout signaler la découverte de nombreux blocs de granité dans la partie nord- ouest du bassin, aux environs des cotes 5,50 m - 5,70 m NGF (cf. Figure n° 16). Leurs dimensions vont jusqu'à 70 x 50 et 90 x 40 cm pour les plus massifs, les plus petits ne mesurant pas plus de 15 cm de longueur. Plusieurs dizaines de pierres ont ainsi pu être observées, à plat ou montrant un fort pendage, noyées dans un sédiment silteux beige sans aménagement ni organisation apparente.

Quelques blocs montrent un certain équarrissage, l'un d'entre eux présentant l'ébauche d'un trou cylindrique, profond de 10,5 cm et d'un diamètre de 4 cm, ménagé le long de sa face plane à partir de l'arête.

30 cm

La destination de ces pierres demeure évidemment énigmatique. Il est tentant d'y voir, compte-tenu de la situation du site, un approvisionnement destiné à la réfection de la digue. Eu égard à la dispersion des pierres sur une distance de vingt à trente mètres, il est difficile de considérer en celles-ci les vestiges d'un frêt maritime.

Il a été mis en évidence, dans la partie nord du site, une série de traces grises variablement oxydées, plus ou moins parallèles et sinueuses, approximativement disposées Nord/Sud (cf. Figure n°13). La distance entre deux traces est souvent comprise entre 1,50 m et 3 m. Attestées à la profondeur maximale du terrassement, soit à la cote 5,50 m NGF, il est impossible de préciser leurs limites supérieure et inférieure. Il est probable qu'il s'agisse là de petits chenaux naturels d'évacuation des eaux du schorre.

Plusieurs perturbations quadrangulaires, de 1,00 x 2,00 m et 0,90 x 1,30 m pour deux d'entre elles, ont été observées jusqu'à la cote 5,50 m NGF (cf. Figure n°13). Le remplissage hétérogène,

23 Figure 1?. Détail coupe sud de la tranchée de canalisation de vidange (Alt. moyenne : 5,20 m NGF) Le litage en couches fines des tangues argileuses, silteuses ou sablonneuses indique une sédimentation lente en eau calme.

Figure 18. Réseau polygonal de fentes de dessication, signe d'une émersion prolongée du sol. (Alt. : 5,50 m NGF)

lk mélangeant un silt argileux gris à du sable grossier, du gravier et des fragments végétaux décomposés, suggère le caractère contemporain de ces structures. Deux fonds de fosses de forme ovoïde ont été mises en évidence dans la partie sud-est du bassin (cf. Figure n°13). Les dimensions maximales conservées sont de 58 x 72 cm pour la plus petite, et de 90 x 180 cm pour la seconde. Leur fond, rond et assez régulier, se trouve à la cote 5,32 m NGF pour la première , et à la cote 5,38 m NGF pour la plus grande. Elles sont creusées dans une argile silteuse beige et remplies par un sédiment silteux gris comprenant plusieurs fragments de scrobiculaires, de moules et d'huitres plates, ainsi que quelques brindilles. La présence de coquilles de moule parait suggérer une datation récente, consécutive à l'introduction des bouchots dans la baie.

L'ensemble des observations géologiques qui ont pu être réalisées montre une stratigraphie homogène horizontale des dépôts, sans hiatus ni pendage qui aurait pu révéler l'existence d'un chenal fossile. Sous une couche argileuse végétalisée d'une quarantaine de centimètres d'épaisseur, les niveaux de tangue sont fortement lités et alternent sédiments argilo-silteux, silteux et sablonneux (cf. Figure n°17). Les prélèvements effectués par S. LE GRATIET ont montré que, d'une couche à l'autre, de 20 à 92 % des matériaux ont une fraction granulométrique inférieure à 40 pm. Cette granulométrie est typique d'un sol de schorre. Les niveaux coquilliers, essentiellement de scrobiculaires ou fausses-palourdes entières, attestent plus d'accumulations détritiques causées par la montée des eaux marines, que d'animaux conservés en position de vie. Un niveau coquillier continu sur l'ensemble du site semble pouvoir être mis en évidence aux alentours des cotes 5,60 m / 5,70 m NGF. D'autre part, et dès le premier mètre supérieur, les coupes montrent la présence de conduits verticaux de vers arénicoles. La coupe Nord de la petite tranchée implantée au nord-ouest du bassin, afin de permettre la pose d'ouvrages de pompage, a montré la présence de plusieurs niveaux silteux noirs lités entre les cotes 5,25 m et 5,85 m NGF. Cette teinte noire, s'évanouissant au contact de l'air, est causée par un phénomène de réduction chimique, sans doute dû à la présence de sulfures de fer dans le sédiment (analyse réalisée par S. LE GRATIET et Ch. BONNOT-COURTOIS). Cette coupe a permis d'observer la présence de la marne verte, précédemment attestée dans la partie ouest de la tranchée de la canalisation de vidange, en dessous de la cote 4,48 m NGF. Aucun niveau de tourbe, à l'exception de rares inclusions centimétriques, ni de sable n'ont été mis en évidence dans l'emprise de la réserve d'eau de mer. Cette absence, tout à fait opposée à ce qui existe à l'intérieur du marais de Dol, confirme le caractère distinct de la sédimentation au Nord et au Sud de la digue. Il s'agit bien ici d'un schorre certes continentalisé, mais d'influence totalement maritime. Plus anecdotiquement, signalons la découverte de réseaux polygonaux de fentes de dessication, les mud-cracks, apparus de façon localisée, à la cote 5,50 m NGF, à l'est du bassin (cf. Figure n°18). Ils attestent d'une surface de sol ayant séché à l'air libre avant d'être recouverte par une montée ultérieure de l'eau (CALINE, 1982).

25 Figure 19. Vue aérienne après le terrassement du bassin (vers le Nord). A gauche du bassin, le port mytilicole Est. A l'arrière, l'axe de la tranchée d'adduction d'eau de mer traversant la Pointe aux Herbes jusqu'au biez du Vivier, (cliché C. Bizien-Jaglin, 10/10/97).

Figure 20. Vue aérienne prise au jusant, après le terrassement du bassin (vers le Nord-Est). (cliché C. Bizien-Jaglin, 10/10/97).

26 CONCLUSION

Il est toujours délicat d'avoir à conclure sur une opération préventive n'ayant pas donné lieu à la découverte de vestiges archéologiques. Aurait-il été nécessaire d'excaver plus profondément pour accéder aux couches anciennes, ou bien ce schorre n'est-il qu'une création récente postérieur aux périodes historiques ? Pourtant la présence, immédiatement au sud de la digue de la Duchesse Anne, qui culmine de nos jours encore aux environs de 8,00 m NGF, nous fournit un calage fiable. Il est difficile de considérer qu'à quelques dizaines de mètres en avant de la digue, le sol historique ait été beaucoup plus bas que de nos jours. L'ensemble des profils longitudinaux topographiques levés sur le schorre et la slikke de la partie occidentale de la baie du Mont-Saint-Michel montrent une pente régulière et uniforme. La digue, assise sur un cordon fossile, n'a jamais dû dépasser la cote 8,00 m NGF, altitude suffisante pour empêcher l'irruption marine lors de toutes les marées.

Lors des marées hautes de vive eau, l'arrivée en général lente et non agressive des eaux sur le haut schorre créé bien plus un phénomène de sédimentation, engendrant l'exondement progressif des terres du schorre, qu'un processus d'érosion. Le litage des couches de tangue, plus ou moins argileuses, silteuses ou sablonneuses, mais dont la granulométrie est en général inférieure à 40pm, illustre cette sédimentation progressive du schorre vers la continentalisation. Il reste pour autant bien délicat d'évaluer l'importance des dépôts marins devant la digue depuis la période moderne. L'horizontalité des couches sédimentaires et l'absence de paléochenaux, ce sur 320 mètres de longueur Est/Ouest de coupes stratigraphiques sont des données à intégrer au vaste programme d'étude de l'évolution du marais de Dol mis en place par le CeRAA.

Reste que le facteur aléatoire de découverte archéologique, sur une zone ancienne d'estran, n'a pas joué en faveur de notre opération archéologique. La présence d'une épave de bateau ou d'un aménagement littoral, à proximité de la zone décapée n'est pourtant pas à exclure. L'absence de vestiges anciens sur le site réjouira cependant les aménageurs du projet car il est certain qu'une découverte aurait sans doute notablement retardé les travaux, attendus depuis de longues années par les mytiliculteurs de la baie. On peut cependant le regretter car notre connaissance des transports maritimes anciens, en particulier du cabotage côtier, et des aménagements littoraux des côtes ponantaises, n'est à l'heure actuelle étayée par aucune source archéologique. Il est à cet égard assez paradoxal de constater que l'importance du littoral maritime aux époques anciennes, confirmé par l'implantation sélective des premiers villages du marais de Dol sur le cordon littoral, n'est toujours pas représentée dans les découvertes archéologiques..

27 BIBLIOGRAPHIE

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