Diva/Nina Simone : Sinnerman, Chemin Lé Long
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Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long http://7lameslamer.net/diva-nina-simone-sinnerman-chemin-2297.html Sinnerman, chanson culte Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long - La Réunion - Economie et société - Date de mise en ligne : dimanche 16 juin 2019 Copyright © 7 Lames la Mer - Tous droits réservés Copyright © 7 Lames la Mer Page 1/18 Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long « Sinnerman » est un chant hypnotique, initiatique. Quatre notes entêtantes, échevelées, qui tournent en boucle et montent comme la fièvre jusqu'à la transe. « Sinnerman » est une chanson culte, sanctuarisée par une pasionaria : Nina Simone. Voici l'histoire de « Sinnerman ». Voici l'histoire de la diva Nina Simone. Et voici « Sinnerman » en créole réunionnais. « Sinnerman » : une cavalcade au piano En 1965, Nina Simone a jeté un sort à un vieux gospel : « Sinnerman ». Elle a « inventé » une chanson culte : « Sinnerman », en la gravant sur microsillon [album « Pastel Blues »]. « Sinnerman », une cavalcade au piano, montant crescendo de la prière à la révolte. Depuis, « Sinnerman » est marqué du sceau indélébile de Nina Simone et son ombre plane sur toutes les reprises [nombreuses et de qualité inégale]. C'est un vieux gospel. Un spiritual traditionnel dont les origines remontent à la fin du 19ème siècle et se perdent dans la généalogie du negro spiritual des églises noires aux Etats-Unis. Il a inspiré Alvin Ailey, chorégraphe afro-américain, qui l'intègre dans son ballet « Revelations » — oeuvre engagée — créé le 31 janvier 1960 à New York [lire à ce sujet l'encadré à la fin de l'article]. Eunice Kathleen Waymon/Nina Simone, 8 ans. Une virtuosité entre jazz et classique Petite fille, Eunice Kathleen Waymon — qui ne s'appelle pas encore Nina Simone — côtoie pour la première fois « Sinner man » alors qu'elle accompagne sa mère, pasteur méthodiste, à l'office. Elle adopte cette chanson et ne la quitte plus. Devenue chanteuse-pianiste qui déploie sa virtuosité entre jazz et classique, entre blues et pop, elle l'inscrit à son répertoire, dans les années 1960, et l'interprète à la fin de ses Copyright © 7 Lames la Mer Page 2/18 Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long récitals. Et le « Sinner man » de l'église prend une nouvelle dimension : « Sinnerman » en un seul mot, longue course initiatique où un sentiment d'injustice et la révolte prennent le pas peu à peu sur le repentir pour aboutir à une transe libératrice. En 1962, elle l'enregistre au cours d'un concert à New York mais la chanson ne figure pas sur l'album qui suit : « Nina at the Village Gate ». Il faudra patienter encore trois ans pour que le miracle se produise. Juillet 1969, au festival panafricain d'Alger. Au pardon espéré, elle préfère le combat De ce chant-prière où il est question du pécheur implorant le salut au jour du jugement, Nina Simone fera un chant rebelle. Un hymne où son génie et sa colère se mêlent pour faire éclore un espace de contestation, de résistance, voire de subversion. Elle déconstruit le propos initial ainsi que la ligne mélodique, leur imposant une métamorphose progressive au fur et à mesure des [plus de] dix minutes que dure la chanson, et marque ainsi une rupture avec cette société où elle ne trouve pas sa juste place. Au pardon espéré, elle préfère le combat. Et toute son énergie y passera. Elle y mettra toute sa virtuosité. 3 mai 1963, Alabama. Nina Simone, activiste du mouvement des droits civiques Dans la société américaine alors gangrénée par la ségrégation, elle se positionne clairement comme une porte-parole, une activiste, qui se sert de sa voix, de son piano, de son talent et de sa notoriété comme autant d'armes qu'elle met au service du mouvement des droits civiques. Copyright © 7 Lames la Mer Page 3/18 Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long Elle rencontre Martin Luther King [1], fréquente Malcom X, Andrew Young, Lorraine Hansberry, James Baldwin [2] , Langston Hughes, Stokely Carmichaël, n'écarte pas l'idée d'avoir recours aux armes pour mener le combat de manière radicale, participe aux marches de Selma à Montgomery [7, 9 et 25 mars 1965], entame une grève des impôts pour protester contre l'effort de guerre au Vietnam, s'engage auprès des Black Panthers, etc. Une chanson plutôt qu'une balle Et Nina Simone devient la diva des « protest songs » : • « Mississippi Goddam » [1964] : chanson interdite, censurée. En Caroline du Sud, les disques ont été détruits. Nina Simone écrit cette chanson après l'attentat de Birmingham du 15 septembre 1963 contre une église baptiste fréquentée par des afro-américains. Cet attentat, qui tue quatre jeunes filles, a été perpétré par le Ku Klux Klan. Nina Simone raconte qu'elle a alors sérieusement songé à s'emparer d'un fusil pour tuer un blanc au hasard dans la rue. Mais son mari [et manager], Andrew Stroud, parvient à la convaincre de canaliser sa colère à travers son art en écrivant une chanson. Une chanson plutôt qu'une balle. Cette chanson a également été inspirée par Medgar Wiley Evers, militant noir américain, défenseur des droits de l'homme et membre de la National Association for the Advancement of Colored People [NAACP], assassiné par un suprémaciste blanc membre du Ku Klux Klan, le 12 juin 1963 à Jackson. Nina Simone interprète « Mississippi Goddam » à l'occasion de la célèbre marche de Martin Luther King, de Selma à Montgomery, le 25 mars 1965. Elle raconte qu'après avoir chanté cette chanson, elle était tellement en colère que sa voix a cassé. • « Strange Fruit » [3] [1965] : chanson écrite en 1937 par Abel Meeropol suite à une scène de lynchage en 1930 dans l'Indiana : deux adolescents afro-américains, Thomas Shipp et Abram Smith, ont été arrêtés, soupçonnés de vol à main armée, d'assassinat d'un travailleur blanc et du viol de sa compagne. Ils sont extraits de la prison par la foule et pendus à un arbre. La chanson « Strange Fruit » a été sanctuarisée par Billie Holiday en 1939. • « Four women » [1966] : nouvelle chanson inspirée par l'attentat du Ku Klux Klan le 15 septembre 1963. La bombe qui explose à l'entrée de l'église baptiste de la 16e rue [Birmingham, Alabama], tue quatre jeunes femmes : Addie Mae Collins, Carole Robertson, Cynthia Wesley et Denise McNair. On compte une vingtaine de blessés. La chanson est censurée dès sa sortie. • « Backlash Blues » [1967] : poème de Langston Hughes. • « Why ? (The King of Love Is Dead) » [1968] : chanson écrite suite à l'assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968 à Memphis [Tennessee]. • etc. Copyright © 7 Lames la Mer Page 4/18 Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long « Sinnerman », au pouvoir hypnotique Et le charisme de Nina Simone imprime ainsi son ascendance sur « Sinnerman ». Nina s'approprie cette chanson jusqu'à en faire un « objet sacré » — et intimement lié à sa personne — qui traversera les frontières et les époques, bousculera les esprits, tout en gardant intact son intrinsèque pouvoir hypnotique. Lorsqu'elle enregistre son magistral « Sinnerman » en 1965, elle assomme et éclipse d'un coup toutes les versions antérieures et impose une pression terrible à ceux qui s'y essaieront après elle — sans exception. Seul le « Sinnerman » de Nina passera à la postérité pour devenir une des plus grandes chansons de tous les temps. Un monument qui a envoûté des générations, et encore aujourd'hui. 1999 : les premiers symptômes de la fièvre « Sinnerman » S'ouvre alors une « ère » de fascination/sidération d'une trentaine d'années, pendant laquelle toutes les tentatives de reprises par d'autres interprètes sont rendues caduques ou voient leur portée neutralisée par la puissance de l'interprétation de Nina qui écrase tout autour d'elle. Nina a sanctuarisé « Sinnerman ». Seuls parviennent à tirer leur épingle du jeu ceux qui s'éloignent délibérément de la version de Nina, à l'image des Bob Marley, Wailers, et autres Peter Tosh qui transposent leurs adaptations dans la veine du reggae. Copyright © 7 Lames la Mer Page 5/18 Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long Cette période d'« incubation » — sorte d'hibernation de trois décennies — s'observe surtout dans le champ cinématographique au sens large du terme. Révélé et popularisé au coeur des sixties, ce n'est qu'en 1999 que le « Sinnerman » de Nina fait irruption dans la sphère du 7ème art quand le réalisateur américain John McTiernan le choisit pour la bande-son du remake de « L'Affaire Thomas Crown ». La thématique du péché/pécheur/sinnerman est soulignée par l'apparition, dans plusieurs scènes, du célèbre tableau de René Magritte, « Le fils de l'homme », avec la symbolique de la pomme verte cachant le visage. "L'affaire Thomas Crown", 1999. Rene Russo et "Le fils de l'homme" au mur, tableau peint en 1964 par René Magritte. En 20 ans, « Sinnerman » utilisé plus de 40 fois à l'écran Et la fièvre « Sinnerman » s'empare des écrans. La brèche est ouverte ! Les décennies 2000 et 2010 verront alors un véritable déferlement de « Sinnerman » sur les écrans : en 20 ans, le « Sinnerman » de Nina est utilisé plus de 40 fois par des réalisateurs tant au cinéma qu'à la télévision [voir encadré plus bas] avec un pic dans les années 2006/2007 [10 fois en 2 ans]. Cet emballement sur les écrans autour de « Sinnerman » participe à une lame de fond qui ramène cette chanson culte de l'histoire de la musique, du blues et du jazz, sur le devant de la scène internationale. Et plus de cinquante ans après son enregistrement en 1965 par Nina Simone, « Sinnerman » apparaît aujourd'hui comme au premier jour, diamant sur lequel glissent les années.