MARAUSSAN, PRODUCTION Et PRODUCTEURS D'un PATRIMOINE SOCIAL
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
MARAUSSAN, PRODUCTION et PRODUCTEURS D'UN PATRIMOINE SOCIAL De la célébration historiographique au rite d'initiation Rapport final Dans le cadre de l'appel d'offre de la mission du Patrimoine ethnologique "Production, producteurs et enjeux contemporains de l'histoire locale" A.R.C.E. Richard LAURAIRE 1998 "Maraussan est la seule cave qui ait une âme; les autres caves de la coopérative, ce sont des usines à vin, de grands halls, du béton, il n'y a pas cette chaleur de Maraussan; on a la chance de l'avoir, il faut l'entretenir... C'est vrai , il faut en faire un Ueu assez permanent de vie culturelle. Le lieu est approprié. Avec un traitement doux... on voudrait réorganiser le hall, et replacer les grands foudres au centre, comme au début de la coopérative" Le directeur de la coopérative du Pays des vignerons d'Ensérune Maraussan, Janvier 1998 , Sommaire Introduction p. 05 1 - Anthropologie de la coopérative agricole. 1.1 - Organisation coopérative et viticulture p. 15 1.2 - La part honteuse des communautés viticoles : la coopérative ? p. 22 2 - Entre littérature et histoire locale, les vignerons. 2.1 - Le genre pastoral et la viticulture p. 33 2.2 - La coopérative et la littérature scolaire p. 36 3 - L'historiographie locale de Maraussan. 3.1 - La compulsion historiographique : la littérature grise p. 44 3.2 - L'historiographie de l'enracinement p. 65 3.3 - L'historiographie « bonne à penser » p. 71 3.4 - Les écritures révélées p. 91 4 - L'historiographie des étrangers : le colloque. 4.1 - De l'historiographie à l'événement culturel p. 100 4.2 - Les figures de l'historiographie coopérative p. 107 5 - De la « communauté délinquante » à la « communauté vertueuse ». 5.1 - Le coopèrateur du pays des « Vignerons d'Ensérune » : entre « l'historien local » et le « jardinier » de la nature p. 125 5.2 - Le rite de passage d'une nouvelle génération et l'historiographie p. 136 5.3 - Les exploitations variées de l'historiographie coopérative p. 142 5.4 - L'Alsace et quelques usages de l'historiographie locale p. 146 Conclusion p. 152 Bibliographie P- 158 Annexes P- 163 Introduction L'ethnologue qui accède pour la première fois à Maraussan est rapidement saisi par l'organisation du village. Une avenue longue et centrale, presqu'obligatoire, partage la commune en deux parties; ces parties nord-ouest et sud-est rassemblent chacune des époques différentes de création du bourg: d'un coté le centre ancien organisé autour de l'église et de la mairie, de l'autre une zone plus récente (sans que cela signifie contemporaine), où trône la vieille coopérative du début du siècle, zone gagnée depuis peu par la frénésie d'aménagement qui a conduit à y agglomérer: le terrain de boules, la salle pol>'valente, les services sociaux et la poste, dans la place laissée vacante par la démolition de l'ancienne gare de Maraussan et la ligne historique du chemin de fer d'intérêt local. Devant la vieille coopérative viticole et le nouveau siège coopératif intercommunal , s'étire une longue rue, baptisée bien sûr, rue "Jean Jaurès", au bout de laquelle une ancienne croix signale, qu'en dépit des convictions sociales et poHtiques des vignerons militants, la religion n'a pas perdu ici droit de cité ; et même mieux , qu'elle a su établir une forme de communication acceptée. Cette ancienne avenue joue le rôle des allées passagères où se promènent les habitants du village pendant les longues soirées de l'été; les jeunes mères et leurs enfants, les personnes âgées en particulier, viennent nonchalamment "prendre le frais" et jeter un regard sur l'un des lieux les plus actifs de Maraussan: la coopérative, espace traditionnel des hommes. Cet usage n'est pas si ancien; René Gibert signale^ l'ancienne fonction latente de ce "plan de la gare" où les jeunes filles du début du siècle venaient le dimanche après-midi se promener et rencontrer "par hasard" les jeunes hommes revenant de la ville par le train. Ici, contrairement à Béziers ou à nombre de villages viticoles, il n'y a pas une de ces larges "promenades" avec allée et contre-allée où Icf R. Gibert: 1989 , "Par les rues et par les chemins... Maraussan", Imprimé la bourgeoisie viticole pouvaient afficher dés le XIX° siècle les signes de son rang social dans une ostentation mémorable. Le choix du nom de rue "Jean Jaurès"^ n'est pas vraiment surprenant; il est un réfèrent presque obligé des villes languedociennes qui ont eu à organiser la signalétique de leur plan de circulation, sans avoir nécessairement d'état d'âme pohtique. En réalité, c'est l'absence de ce nom qui incline presque au soupçon idéologique... Ici, cette rue tient une place particulière^ parce qu'elle a permis d' accueillir Jean Jaurès en 1905. Cette "authenticité" éponymique n'est pas sans soulever d'autres questions sur les rapports plus généraux que cette commune entretient avec les héros de son histoire locale dont sa signalétique routière offre un premier aperçu. On voit rapidement que Maraussan a organisé la signalétique de son plan urbain et des documents qui en rendent comptent, avec un "esprit de système" rare, qui provoque la curiosité de l'ethnologue. Depuis quelques années, les plans de villes destinés au grand public sont se multipliés avec l'augmentation du nombre des agglomérations et le développement du péri-urbain; ils sont même devenus des documents qui ont acquis une fonction particulière. Longtemps ils n'ont concerné que les communes ayant une taille critique et s'en tenaient à signaler la convergence arbitraire d'une topographie et d'un ordre de signes : les noms de rue (et de réseau'*). Au fond, dans ce choix, la commune fondait non seulement son adhésion à la rationalité urbanistique de l'orientation mais signalait encore sa participation à l'ordre républicain en citant, de manière conventionnelle les grands héros quand ce ne sont pas les grandes dates ou monuments de notre République, saupoudrée ci et là de références toponymiques. Ces exercices sélectifs aux critères visant 2 comme Marcellin Albert du reste. 3 Un événement passé permet d'en vérifier la consistance: en 1985, un ancien président du Foyer Rural avait organisé une messe en plein air, à l'extérieur de la coopérative prés de cette rue qui dessert largement les bâtiments coopératifs: une lettre de dénonciation d'un libre-penseur, distribuée à tout le village dénonça l'incompatibilité qu'il y avait à organiser une telle manifestation dans ces lieux et provoqua un véritable scandale. '^ Cf F Goledzinowski: "Signalisation et désorientation dans le métro" in Revue Communication et langage''n°55 / 1983, et Marc Auge : 1986 "Un ethnologue dans le métro" Hachette. la recherche d'une évidente universalité et la plus grande efficacité mnémonique, ont accepté des interprétations locales ; ils autorisent désormais des sélections de noms de rue qui convoquent d'anciennes figures régionales du panthéon républicain quand ce ne sont pas des notables locaux, des artistes et des savants reconnus. L'exemple des villes-frontières aux noms de rues idiomatiques montre bien cette concession à un univers de référence régionalo- national. Pourtant ces figures républicaines des noms de rue (et de leur plan) comme du reste les célébrités régionales, en devenant plus diffusées, sont condamnées à devenir probablement plus abstraites et plus détachées de leur espace d'application. Cette dilution des grands referents est soulignées par divers indices. Premier indice: depuis quelques années, les plans qui constituent dans ce sens des écritures ordinaires hagiographiques ont glissé hors du registre exclusif du plan urbain pour côtoyer le domaine du "guide" en se parant de nouvelles préoccupations historiogra- phiques, quelquefois-même en "première de couverture". Par un effet de capillarité inattendue, les guides touristiques (-les derniers guides bleus par exemple-) ont quitté cette forme allusive et légère d'une historiographie officiant comme décor du voyage touristique pour se glisser dans des formes plus académiques; les textes y sont écrits par des historiens ou des ethnologues; il en est ainsi en particulier du dernier guide bleu du Languedoc-Roussillon. Par contraste, les plans-guides plus frustes sont donc souvent chargés de donner la géographie appliquée de leur espace en même temps qu'ils peuvent prétendre représenter et ramasser les temporalités les plus significatives de 1' histoire locale, comme si le sens "local" du lieu ne pouvait plus être atteint par le seul effet de localisation. On peut se demander si cet effet d'un local inaccessible mais d'autant plus recherché par ces plans-guides, ne contamine pas l'espace urbain lui-même et son ordre signalétique et historique des noms de rue en leur enlevant toute profondeur temporelle ? Car les plans de ville ne sont jamais que la réinterprétation des "cartes mentales" qui organisent notre rapport à l'espace urbain. Deuxième indice: le choix de noms de rue est devenu, depuis une trentaine d'années, un prétexte pour exalter le localisme sous une multitude de formes, quitte à rompre avec l'honorabilité traditionnelle des héros républicains nationaux; on y cottoie des 8 artistes, des félibres ou des tenements oubliés que la consultation des archives locales a permis d'exhumer. Dans l'Hérault, Ganges, Pézenas, Béziers, Agde ou Séte ont ainsi baptisé les noms de leur rue de quelques uns de leur héros ou artistes locaux, mais ces choix se limitent à quelques rues en nombre très limité. Et en effet, ces tendances ont affecté de manière inégale nos cités. Si les plans des petites villes n'ont pas l'ambition signalétique de nos technopôles et se contentent souvent d'une communication moins riche, les identifiants que mettent en scène leurs noms de rue (ou la géographie locale) y sont affichées de manière comparable, avec des versions que les mairies successives se sont appliquées à multiplier quand elles ne se les sont pas disputées.