Populations Stigmatisées À La Périphérie Algéroise Entre Citadinité Problématique Et Recherche D'identités. Le Cas De
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Populations stigmatisées à la périphérie algéroise entre citadinité problématique et recherche d’identités. Le cas de la Cité des 617 logements à Draria LEÏLA MSILTA Doctorante de Sociologie à l’Université d’Alger [email protected] INTRODUCTION Le présent article se situe dans la continuité d’un premier travail1 que nous avions mené sur une petite bourgade de la banlieue Ouest d’Alger, la commune de Draria. Notre analyse du mouvement vigoureux d’urbanisation qu’elle avait vécu en l’espace de quelques années seulement, caractérisé par l’installation dans des lotissements d’habitat individuel de populations plus ou moins aisées provenant dans leur majorité des quartiers centraux d’Alger, nous avait permis de constater un certain nombre de phénomènes particuliers. Parmi ces derniers, le développement de processus de construction d’identités d’appartenance à la commune elle-même et aux différents lotissements résidentiels, devenus, au gré de leur peuplement et de leur consolidation sociale, des quartiers pourvus de fortes identités symboliques positives. Entre autres choses qui avaient attiré notre attention, figurait le constat de l’existence d’une représentation partagée par tous les nouveaux résidents, quelle que soit la qualité du fragment urbain dans lequel ils résidaient : ils étaient convaincus d’appartenir à une catégorie d’urbains « supérieure », celle ayant eu la chance à la fois de sortir de la promiscuité populaire du centre-ville (d’Alger) et d’occuper un espace urbain privilégié. Nous avions remarqué aussi que cette conscience, ce sentiment de supériorité sociale, était abondamment alimentée par un fait particulier : l’installation de populations relogées issues de différents bidonvilles algérois dans une cité d’habitat collectif érigée à l’entrée de Draria, qui avait été vécue comme une véritable agression symbolique. C’est dans ce contexte que nous avons cherché à comprendre la manière dont ces nouvelles populations bidonvilloises, objet de mépris et de stigmatisation, ont négocié leur intégration sociale et symbolique à cet environnement particulier éminemment hostile. Sur la base de l’exploitation d’une enquête qualitative conduite auprès des habitants de ce grand ensemble d’habitat collectif (la Cité des 617 logements) ayant regroupé des populations relogées issues de diverses opérations de recasement de bidonvilles, « cités de transit » et autres immeubles menaçant ruine, nous avons essayé de déconstruire et reconstruire le discours des enquêtés, par le repérage des mots qu’ils utilisent le plus souvent pour exprimer leur stigmatisation, mais également les significations qu’ils donnent à l’urbanité et à la citadinité en relation avec leur vécu actuel et leur passé résidentiel. Notre hypothèse de travail s’est articulée autour de l’idée qu’il fallait rechercher le principe de la construction de ces discours à l’intersection de deux logiques : la première résultant de la nécessité de construire un entre-soi protecteur par le renforcement des critères de reconnaissance et d’appartenance à des groupes homogènes et forts par le partage d’une même histoire et mémoire urbaine, la seconde découlant de la nécessité ressentie par les populations stigmatisées de produire un discours de retournement de la stigmatisation collective dont elles font l’objet. 1 Dans le cadre de notre Mémoire de Magister sur la même commune, intitulé « Les stratégies de promotion sociale à travers l’appropriation de l’habitat individuel dans un espace périphérique fragmenté. Sud-Ouest d’Alger, le cas de la commune de Draria » (2004). Photo 1. Le quartier « Cité des 617 logements », Draria, Alger. Source : Google Earth 2008. I. LA MÉTHODOLOGIE UTILISÉE La commune périphérique sur laquelle nous avons mené nos recherches se caractérise par une nette fragmentation socio-spatiale selon la typologie d’habitat, mais aussi selon la composition sociale des quartiers. Ainsi donc, pour comprendre la dynamique de construction des identités à l’intérieur de chaque fragment résidentiel et les dynamiques d’interaction entre les différentes constructions symboliques en concurrence dans la globalité de l’agglomération, il nous a fallu mettre en œuvre des méthodes privilégiant le qualitatif sur le quantitatif. Nous avons donc prioritairement entrepris des entretiens individuels et collectifs. Cependant, nous ne présenterons dans cet article que les résultats des enquêtes réalisées dans un seul fragment résidentiel très particulier, celui de l’habitat collectif, à savoir la « Cité des 617 logements ». Ces résultats sont issus de données que nous avons collectées lors de deux enquêtes distinctes : une première, de type quantitatif et qualitatif, réalisée en 2003 et à laquelle nous avons personnellement contribué à l’occasion d’une recherche menée dans le cadre du programme PRUD2 (passation des questionnaires et réalisation des entretiens). La seconde enquête, exclusivement qualitative, sous forme de récits de vie et d’entretiens individuels et collectifs, a été menée dans le cadre de notre projet de recherche personnel (Thèse de Doctorat en Sociologie). En ce qui concerne le déroulement de la seconde enquête, limitée à la Cité des 617 logements, nous avons réalisé pour l’instant une dizaine d’entretiens et de récits de vie. Certains de ces entretiens ont été menés en groupe, notamment quand il s’est agi de jeunes de 2 PRUD : Programme de Recherche pour le Développement Urbain. Dans le cadre de l’équipe EMAM de l’UMR CITERES (Université de Tours et CNRS) et sous la direction de F. Navez-Bouchanine, une recherche collective a été entreprise sur L’Entre-deux des politiques institutionnelles et des pratiques habitantes (en cours de publication). L’équipe algérienne, coordonnée par Madani Safar Zitoun et Abderrahim Hafiane, a produit un rapport intitulé L’Entre-deux dans les opérations de relogement en Algérie : l’émergence problématique d’un tiers acteur urbain, Alger, 2003, ronéo (pp. 92-125 du rapport général). La Cité des 617 logements est l’un des sites étudiés parmi plusieurs autres ayant servi au relogement dans la capitale ; d’autres sites ont été étudiés à Annaba, dans l’est du pays. la Cité. Cette méthode a été adoptée en toute connaissance de cause dans la mesure où elle nous permettait de faire la distinction entre les représentations individuelles et les constructions symboliques collectives. Nous nous sommes appuyée dans cette démarche sur les travaux de S. Duchesne et de F. Haegel, qui justifient dans leur ouvrage l’usage de l’entretien collectif : « En choisissant de recueillir du discours dans le cadre d’un groupe, qui plus est dans le cadre d’un groupe partageant une expérience ou une identité communes, on peut, en toute logique, privilégier l’analyse de ce qui est partagé (ou de ce que ne peut pas l’être) dans le groupe. L’entretien collectif permet d’accéder au sens commun, aux modèles culturels et aux normes » (S. Duchesne et F. Haegel, 2008, pp. 35-36). Dans cette optique, l’entretien individuel permet quant à lui de cerner les divergences d’opinions qui existent entre les individus dans le groupe. Ainsi donc, la combinaison des deux méthodes s’est avérée éminemment utile dans notre situation dans la mesure où : « Le cumul dans une même enquête d’entretiens individuels et d’entretiens collectifs se justifie aisément, du fait de la complémentarité des deux types d’entretien. Certes, si l’on cherche à recueillir le plus d’informations ou des éléments très approfondis à l’échelle individuelle, mieux vaut procéder à des entretiens individuels ; tandis que si l’on vise la dimension sociale et collective des systèmes de significations, mieux vaut avoir recours à des entretiens collectifs. Mais idéalement, n’est-ce pas vers ce double horizon que la recherche devrait tendre ? » (S. Duchesne et F. Haegel, 2008, pp. 40-41). Les catégories d’interlocuteurs que nous avons choisi d’interviewer dans un premier temps sont très différenciées : des hommes jeunes ou vieux, des femmes jeunes ou plus âgées, des enfants, etc. Ils appartiennent à des profils sociaux variés : chômeurs, salarié(e)s des secteurs public ou privé. Les uns sont célibataires, les autres marié(e)s. Nous avons également interrogé des enfants scolarisés et des étudiants, ainsi que des femmes au foyer, etc. Nous envisageons dans l’avenir d’intégrer d’autres catégories, comme les commerçants travaillant dans le quartier, les usagers de l’espace public ou encore les clients qui n’habitent pas dans les lieux, mais qui les fréquentent. II. LA CITÉ DES 617 LOGEMENTS : UN QUARTIER COMPOSÉ ESSENTIELLEMENT DE POPULATIONS RELOGÉES 1. Le concept de quartier Nous avons adopté la définition du quartier qui nous a semblé la mieux correspondre à la complexité des phénomènes que nous analysons, dans la mesure où elle combine les caractéristiques d’ordre spatial et celles d’ordre plus immatériel. Selon B. Moulin (2001, p. 51), « le quartier n’est donc pas seulement un espace géographique aux limites précises mais un espace sociogéographique, voire historico-sociogéographique. Pour autant, c’est un espace identifié, mais comment et par qui ? Le quartier est défini autant par des formes et des structures que par des représentations, des pratiques, une histoire. Ces composantes en interrelation définissent l’ensemble continu appelé quartier ». En ce qui concerne la dimension matérielle, morphologique en quelque sorte, du quartier, c’est-à-dire la délimitation de ses frontières physiques, la situation assez nette. La Cité des 617 logements est en effet un grand ensemble d’habitat collectif qui tranche nettement