Conférences En Français
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Conférences en français La mission à la lumière de l’Apocalypse johannique Par Paulin Poucouta Le terme mission vient du latin mittere et des verbes grecs pempein, apostellein, et également exapostellein qui désigne l’envoi, la délégation, l’ambassade. Cette expression utilisée dans le langage courant est reprise dans la Bible pour désigner l’envoi par Dieu de messagers, de son propre fils et de l’Église pour faire connaître et faire réaliser son plan de salut et d’amour. Mais, nous avons dans la Bible une diversité de théologies missionnaires qui s’élaborent chacune à l’intérieur d’une situation concrète, en réponse à des enjeux perçus par l’écrivain biblique et les communautés auxquelles il s’adresse. Chaque auteur exprime différemment la responsabilité d’annoncer l’Évangile, selon sa situation, ses origines et sa perspective théologique1. Dans le cadre de la célébration du centenaire de la publication par le Pape Benoît XV de la Lettre Apostolique Maximum Illud, pour redynamiser la responsabilité missionnaire de l’annonce de la Bonne Nouvelle, il convenait d’en retrouver le souffle biblique. Pour cela, la réflexion théologico – biblique a surtout convoqué les évangiles synoptiques2, les écrits pauliniens, mais surtout le livre des Actes des apôtres dont la structure et la thématique sont fortement missionnaires3. Pour notre part, nous nous proposons de convoquer un livre auquel on ne se réfère pas spontanément lorsqu’on parle de la mission, il s’agit de l’Apocalypse johannique. Certes, le vocabulaire missionnaire de l’envoi y est quasi absent. Pourtant, l’auteur pose la question de la mission de l’Église dans un contexte de tourmente et de fragilité. Pour l’exprimer, Jean s’éclaire de l’expérience et du langage de la tradition juive, particulièrement de la menorah4. Mais, cette expérience est revisitée à la lumière de l’événement pascal. Notre propos comprendra deux grands moments. Dans un premier temps, avec Jean, nous explorerons l’expérience missionnaire du Premier Israël. Ensuite, nous verrons comment 1 Cf. Lucien LEGRAND, Le Dieu qui vient, la mission dans la Bible, Paris, Desclée, 1988. 2 Cf. Claude TASSIN, « Disciple – missionnaire. Qu’en dit l’évangile de Matthieu ? », in Spiritus, 235, juin 2019, p. 177 – 188. 3 Cf. Michel DUBOST, La mission aujourd’hui. Une mission pratique des Actes des apôtres, Paris, Mame, 2019. 4 Cf. Paulin POUCOUTA, Perspectives missionnaires de l’Apocalypse, Paris, Cerf, 1989. Du même auteur, l’Église dans la tourmenté. La mission dans l’Apocalypse, Kinshasa, Épiphanie, 1989. le visionnaire de Patmos reprend cette expérience pour dire la mission d’une Église qui traversent des moments de turbulence. N’est – ce pas un peu comme la nôtre aujourd’hui ? 1. L’expérience missionnaire du Premier Israël 1. L’élection comme mission de service La mission d’Israël est liée à l’élection. En effet, gratuitement et par amour, Dieu s’est choisi un peuple et scelle une alliance avec lui (Dt 7, 7-11). Cependant, l’élection n’est pas un privilège, mais une mission. Israël doit témoigner au cœur des nations d’une communion au Dieu unique, vivant et vrai, qui ouvre à la fraternité universelle. Le peuple choisi est chargé de porter aux nations le droit et la lumière, soit en allant vers elles, soit en les attirant « vers la montagne de la maison de Dieu » (Is 2, 2). Pour cela, Israël doit être pour les autres peuples un modèle. Il doit sans cesse se convertir à la sainteté et à la tendresse de Dieu. Ce qui se traduit dans des structures de justice. Lorsqu’il l’oublie, Dieu appelle et envoie des prophètes avec la mission de le lui rappeler de manière ferme, « qu’il n’écoute ou qu’il ne t’écoute pas » (Ez 3, 11). Mais, malgré l’appel des prophètes, Israël avait fini par céder à la tentation du pouvoir et du paraître, comme les autres nations. L’expérience désastreuse de l’exil sera l’occasion de lui rappeler que sa mission est d’être une servante. Ce que traduisent les quatre chants du serviteur dans le Deutéro – Isaïe. Comme le serviteur, Israël ne s’appuie que sur Dieu. Il est au service du droit et de la justice. Il réalise sa mission avec force et modestie, fermeté et douceur (Is 42, 1-7). Il aura à rassembler non seulement Israël, mais l’ensemble des nations et leur annoncer le salut de Dieu (Is 49, 1-9). La mission est exigeante. Pourtant, le serviteur garde confiance en Dieu et il soutient les faibles (Is 50, 4-11). Enfin, la mission conduit le serviteur au don total de sa vie, en solidarité avec les multitudes. Par la grâce de son Seigneur, sa souffrance est un sacrifice rédempteur (Is 52, 13 - - 53, 12). 2. La mission comme lumière des nations Dans les deux premiers chants (Is 42, 1-9 ; 49, 1-6 ; 50), le serviteur a la mission d’être lumière des nations : « ...C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre » (Is 49, 6//42, 6-7). L’identification du serviteur est très discutée. S’agit-il d’un individu, ou figure -t-il toute la communauté d’Israël ? Les targumîm développeront l’aspect individuel : ainsi le Targum d’Isaïe 50, 10 identifie le serviteur au prophète. Les targumîm d’Isaïe 42, 1 et 43, 10 voient en lui le Messie. Pour certains commentateurs, l’individualité fortement marquée du serviteur fait penser qu’il s’agit d’une personne : le prophète, Cyrus... D’autres estiment que c’est la vocation missionnaire de l’ensemble du peuple qui est ici visée La Septante suggérera également l’aspect collectif en identifiant le serviteur à Jacob, l’autre nom d’Israël. En fait, la figure reste ouverte aux deux possibilités d’interprétation : mission individuelle et/ou communautaire. Mais cet appel à la mission est interprété de deux manières différentes. En effet, pour les uns, le peuple était appelé à sortir de ses frontières pour aller porter la lumière aux autres nations. Cette perspective sera essentiellement celle de la diaspora juive où l’on note une intense activité prosélyte, accompagnée d’une littérature missionnaire très fournie, particulièrement avec la lettre d’Aristée, Flavius Josèphe5, Philon6, et les Oracles Sibyllins. Ces écrits, issus essentiellement du judaïsme hellénistique, avaient pour objectif de balayer les préjugés des non-juifs à l’égard du judaïsme, de rendre accessible la foi juive aux Grecs en conciliant le judaïsme et la philosophie grecque. Ainsi, pour l’auteur juif des oracles sibyllins, si Israël reste un peuple élu, il doit être pour les nations un modèle et doit amener les peuples au culte du vrai Dieu7. Néanmoins, ce courant, diversement apprécié par les historiens8., était considéré par beaucoup, particulièrement les Juifs de la Palestine, comme une déviation. Pour eux, « la raison d’être du peuple élu est d’exister ; sa présence rend compte de la divinité de Yahvé, sa vie proclame tout ce que Dieu est pour lui et pour l’univers »9. Deux textes parallèles y font nettement écho : Is 2, 2-5 //Mi 4, 1-3 : « Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la maison de Yahvé sera établie en tête des montagnes et s’élèvera au-dessus des collines. Alors toutes les nations afflueront cers elle (...) » (Is 2, 2). Pour Israël, Sion est la ville-lumière d’où le Seigneur irradie le monde entier. Alors les peuples se mettent en branle et font pèlerinage vers Jérusalem pour contempler cette lumière : « Debout ! Resplendis ! Car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire de Yahvé. Tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre et l’obscurité sur les peuples, sur toi se lève Yahvé, et sa gloire sur toi paraît. Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante » (Is 60, 1-3). 5Josèphe, Flavius, Contre Apion, Paris, Les Belles Lettres, 1950. 6 Philon d’Alexandrie, La vie de Moïse, (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie 22), Paris, Cerf, 1967. 7 Oracles Sibyllins, III, 219-247 ; 573-600. 8 Cf. Marcel SIMON, « Sur les débuts du prosélytisme juif », Hommage à Dupont-Sommer, Paris, Villeneuve, 1971, p. 509-520. 9 Robert MARTIN-ACHARD, Israël et les Nations, la perspective missionnaire de l’Ancien Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1959, p. 30. 3. Israël, Lumière des nations a) les candélabres dans le judaïsme Pour dire sa mission comme lumière, Israël va se servir de la symbolique liturgique de la menorah, le chandelier dont les sept lampes devaient brûler du soir au matin (Lv 24, 3), trois la journée et quatre la nuit, dans le temple. La menorah est ainsi le symbole de la lumière qui brille sans cesse. Celle-ci figure d’abord Dieu lui-même (cf. Ps 36, 10) et ses manifestations (cf. Ps 104, 2 ; Ez 43, 2). Mais si Dieu est lumière, il demande à son peuple de briller à son tour. La menorah a ainsi une double signification : elle représente non seulement Dieu, mais également son peuple. Cela est évident dans le texte de Zacharie (Za 4, 3ss). La position du chandelier est également très significative. En effet, la menorah est placé devant le voile (Ex 26, 35 ; 40, 24), que les lampes éclairent (Ex 25, 37). A son tour, le voile renvoie la lumière au chandelier. Il ne faut pas chercher le sens allégorique de chaque détail de la symbolique, mais s’attacher au sens global, à savoir que le peuple doit être le reflet de la lumière de Dieu.