Trente-neuvième année N°163 Décembre 2018 Les Nouvelles (4ème trimestre) 6 Euros d’

La campagne électorale Le radicalisme à Hérat Les lithographies britanniques

ISSN 0249-0072 ISSN pendant le Grand Jeu Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan SOMMAIRE N°163 Terre de chaos ou d’espoir ?

POLITIQUE - Le radicalisme, la face cachée de Hérat n séjour en Afghanistan, fût-il court, est une bonne leçon. Tout d’abord, par Zaher DIVANTCHEGUI 3 disons que la peur ne vous étreint pas. Même si la guerre reste tou- - La campagne électorale à Kaboul Ujours aussi vive dans de nombreuses provinces, même si les attentats, par Etienne GILLE 6 souvent dramatiques, secouent périodiquement Kaboul, même si les habitants - Témoignages sur les élections 8 sont constamment sur le qui-vive, la vie continue avec ses embouteillages, ses cohortes d’écoliers et d’écolières allant étudier, ses distractions et ses engoue- ENSEIGNEMENT ments sportifs. - Rêves de jeunes filles Lors de mon dernier séjour, la préparation des élections donnait lieu à des propos recueills par Charline FERRAND spectacles surréalistes. Une débauche de candidats et de candidates avec et Frozan AFZALI 13 leurs posters, leurs professions de foi, leurs conférences électorales contras- DOCUMENTATION tait avec l’état d’abattement et de crainte qu’on pouvait imaginer prévaloir en - Le Centre de l’Afghanistan à l’Université Afghanistan et mettait en évidence le désir démocratique persistant de la po- de Kaboul (ACKU) pulation, malgré les désillusions passées. Malheur à ceux qui le décevraient à par Asef MEHRY 16 nouveau ! HISTOIRE Les élections elles-mêmes n’ont pas donné lieu aux scènes de « chaos » - Les lithographies britanniques que beaucoup de journalistes se complaisent à mettre en avant à longueur de de l’Afghanistan durant le Grand Jeu chroniques. Quand ce numéro des Nouvelles paraîtra, les résultats en auront par Geoffroy SCHOLLAERT 19 probablement été publiés, avec tous les risques de contestations, justifiées ou - Joseph Ahckin, 1939-1940 non, que l’on peut présumer. Espérons que globalement la nouvelle assemblée par Gilles ROSSIGNOL 23 nationale reflètera suffisamment la diversité afghane et comportera des leaders soucieux du bien commun. Ce serait certainement un pas vers la paix. Des conversations internatio- DERNIERES NOUVELLES nales ont lieu pour trouver une issue au conflit afghan. Les Russes, les Améri- Chronologie, brèves, publications 28 cains bien sûr, les Chinois, tous veulent parler avec les Tâlebân. Leur désinté- ressement dans l’affaire n’est pas évident. Qu’importe, s’ils sont intéressés à la «Ne laissons pas tomber d’Afghanistan» paix. Il faudra bien trouver une issue. La population afghane elle-même peut- tribune 36 elle rester à l’écart de ces consultations ? Les crimes commis à Djaghori, mais aussi dans beaucoup d’autres endroits, rendent difficile toute réconciliation. Mais on le verra aussi dans les pages suivantes, les jeunes élèves que nous rencontrons aspirent profondément à la paix. Oui, il est possible de construire quelque chose de beau à partir de l’innocence créative dont nous sommes témoins lors des journées de la paix organisées par AFRANE dans les écoles de son réseau. Messieurs nos dirigeants, oui, comme vous le demandent tous les amis de ce peuple souffrant, n’oubliez pas l’Afghanistan. Une paix et un avenir meilleur Photo de couverture : Palais de Chah Cho- y sont possibles. dja, lithographie de James Rattray, 19ème siècle, (voir article p. 19). Etienne GILLE 16 septembre Les Nouvelles d’Afghanistan bénéficient d’une aide financière En écrivant cet éditorial, je ne peux m’empêcher de penser à Kamal Naghchband, de l’ambassade de France en Afghanistan assassiné à Strasbourg, jeudi dernier. Originaire d’Afghanistan, il avait cru trouver en Adresse E-mail France un abri sûr et une vie paisible. Nous assurons sa famille de nos sentiments de [email protected] grande tristesse et de profonde sympathie. Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet : www.afrane.org 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

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Vue générale de Hérat. Photo DR Le radicalisme, la face cachée de Hérat

par Zaher DIVANTCHEGUI *

Auréolée de son passé culturel prestigieux, Hérat est la plus grande ville de l’ouest de l’Afghanistan. Avec une frontière commune avec l’Iran et le Turk- ménistan et avec un site industriel important Hérat est devenue le plus grand centre commercial du pays. S’y opposent différents courants idéologiques dont plusieurs sont fondamentalistes.

Prospère, aux yeux de la plupart des Afghans, la région des centaines de personnes visitent quotidiennement, de Hérat est une des régions les plus sûres de l’Afgha- a pris le feu. Les enquêteurs ont évoqué l’imprudence nistan. Si Hérat se porte mieux que la plupart des villes d’un commerçant comme étant l’origine de l’incendie. du pays, il n‘empêche qu’elle appartient à un pays en Cet évènement tragique a été commenté par les gens. guerre. L’insécurité, les attentats des kamikazes et bien Certaines versions reflétaient l’influence des partis -ra d’autres thèmes sociétaux font partie du quotidien des dicaux. Ainsi, un jeune garçon de douze ans vendant Hératis. Lors de mon voyage en aout 2018 à Hérat, par- des dragées prétendait que l’incendie était dû au non- mi tous les thèmes que j’ai abordés avec les personnes respect du hidjab par les femmes. Un jeune étudiant a rencontrées j’ai été particulièrement attentif à celui de contesté ses propos : « C’était une imprudence et l’in- la radicalisation. cendie n’a rien à voir avec la religion». Il a ajouté : ces Hérat porte en elle-même un antagonisme perma- propos sont propagés par les courants radicalisés et la nent. D’un côté une société prospère où il y a beaucoup population les répète naïvement. d’activités commerciales, culturelles, politiques, avec une jeunesse ouverte au progrès et qui veut avancer. De l’autre, le poids lourd de la tradition et la religion qui se manifeste parfois d’une manière radicale. Beaucoup Lors de mon séjour le « Market » Ferdowsi, le plus d’instituts fondamentalistes grand marché du textile et de l’habillement à Herat, que Nous avons observé de nombreux établissements re- ligieux non enregistrés, financés par l’extérieur. Selon *Président de l’Association Culturelle des Afghans de Strasbourg Aziza K. (une femme active de la société civile), dans la

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 3 POLITIQUE région ouest du pays plus de mille dispositifs religieux stade, lieu du non enregistrés sont recensés par les militants de la so- concert. ciété civile. Les étudiants avec qui nous avons abordé Si les mé- ce sujet montrent du doigt l’Arabie Saoudite, le Pakis- thodes d’en- tan, l’Iran, le Qatar et bien d’autres. Ces établissements seignement donnent un enseignement radicalisé et diffusent une de l’époque idéologie traditionnelle et, aux yeux de certains, hai- des Tâle- neuse. bân ont bien Plus largement, il existe des partis et des groupes été écartées avec des pensées radicalisées aussi bien au sein des uni- des écoles versités que des écoles ou autres institutions publiques a f g h a n e s , ou privées comme l’université Djami. certains es- M. Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut d’Etudes Ces partis sont bien présents sur la scène sociopo- saient de les Stratégiques. Photo Z. Divantchégui litique de la ville. Non seulement nous avons observé ressusciter leurs tracts, affiches, banderoles mais ils ont aussi leurs par différents moyens. Par ailleurs, « pour séduire des propres médias : télé, radio, journaux. Comme exemples Tâlebân, le ministère de l’enseignement supérieur pré- les étudiants m’ont cité les télévisions Eslah, Alghiyas conise des classes séparées filles et garçons pour six et Taban, les radios Coran et Emam Ghazali. Ces radios mille étudiantes et étudiants » déplore une jeune fille. sont les plus écoutées par les chauffeurs de taxi. La pression des Tâlebân est sensible dans les alen- tours de Hérat. Ils recrutent grâce à leur propagande mais aussi grâce aux soldes qu’ils proposent et qui sont bien supérieures aux salaires ordinaires. Pressions tous azimuts En ce qui concerne les partis extrémistes qui jouent Selon Hedayat, un travailleur social, ces groupes ont un rôle important, nous pouvons en citer deux exemples. trop de pouvoir et défient même le gouvernement. Par - Le Hezb ut-Tahrir est un parti international très exemple, début 2018, un terroriste recherché par la po- actif en Afghanistan. Il est basé essentiellement à Ka- lice s’est réfugié dans la mosquée Masdjed Ghudal de boul, mais sa branche ouest est très développée à Hé- la madrassa Darolulum Ahli Herat, au centre-ville. La rat. Lors d’une réunion du conseil ministériel, Abdullah police s’est rendue dans cette mosquée pour l’arrêter. Abdullah, chef de l’exécutif du gouvernement afghan, Les imams et leurs disciples ont manifesté : « Nous a qualifié le Hezb ut-Tahrir de plate-forme pour la pro- condamnons l’incursion du gouvernement dans les pagation du terrorisme. lieux sacrés ». Ce parti aurait des activités terroristes auprès des Hedayat dit que ces imams sans scrupules s’oppo- jeunes et dans les milieux universitaires1. Il préconise sent ouvertement à la musique, au port de certains vête- un calife dans le monde musulman. Chaque pays serait ments par les jeunes, au rasage qu’ils qualifient de bar- un gouvernorat provincial de ce califat. Ce parti aurait bares. Ils protestent en permanence contre les médias été fondé par un religieux arabe Cheikh Taqi al-Din, en qui jouent pourtant un rôle précieux dans ce pays. Ils 1953. Selon Aziza K. Le Hezb ut-Tahrir ne figure pas sont contre la télévision et même contre la prise de pho- dans le registre des partis politiques afghans mais il est tos. Paradoxalement, ils ont leur télé et d’autres médias. pourtant bien organisé. Selon elle, ce parti est un parti Malgré la protection de la police, le jeune Abdul illégal qui a des agissements bien structurés. Wahed Dadchani qui avait lancé ses chaussures sur - Le Djamiat Eslah est basé à Kaboul, mais il est Golboddin Hekmatyar (le chef du Parti Islamique) a actif dans toutes les grandes villes du pays. A Hérat sa été menacé en permanence. L’université privée a refusé branche Akhlaq wa Marefat (Éthique & Sagesse) est son inscription. Il ne pouvait plus se rendre dans son très active. Elle organise des conférences, des cours village. Sa famille a été sous la pression des islamistes. de religion, des rencontres, des débats et bien d’autres Finalement il a dû quitter le pays. activités. La plupart de ses adhérents sont des intellec- Un autre jeune diplômé cite un exemple : bien que tuels musulmans et des cadres comme des médecins, Hérat ait été la terre de la musique et du chant, il y a des enseignants, des ingénieurs, ou encore des hommes quelques temps des imams avec une centaine de sym- d’affaires qui financent ce parti. pathisants se sont rassemblés devant le grand stade de football, lieu d’un concert de Chafiq Morid, chanteur et artiste renommé qui voulait chanter pour les citoyens de la province. Ils ont réussi à faire annuler le concert. L’Institut d’Etudes Stratégiques Deux ans auparavant, les imams s’étaient opposés à un Avec trois personnes, nous sommes allés voir M. Erfan concert de Farhad Darya, célèbre chanteur afghan. En Erzaz, le responsable du comité régional de l’Institut guise de contestation une bombe avait explosé devant le d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan. Par le biais d’en-

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A gauche de la photo: M. Erzaz, lors d’une conférence de l’Institut d’Etudes Stratégiques. Photo Z. Divantchégui Conférence au comité régional de l’Institut d’Etudes Stratégiques d’Afghanistan. Photo Z. Divantchégui hadiths. Le reste selon lui est une invention des respon- sables religieux. Abû Hanîfa disait entre autres : « Si quêtes et d’autres recherches l’Institut a fait des travaux une fille a envie d’aller à l’école, ses parents n’ont pas remarquables. Dès l’abord, il nous émeut en rappelant le droit de l’en priver ». Ces propos dérangent les sala- qu’il y trois ans un étudiant de l’université d’Hérat avait fistes qui sont en principe contre l’éducation des filles rejoint les rangs de l’État Islamique (Daech) en Irak et par l’école laïque. qu’il a été tué dans les combats. « Le poids de radica- Le radicalisme en Afghanistan est inspiré par le sa- lisme inquiète tout le monde » dit-il. lafisme qui est monnaie courante dans les écoles- pa M. Erzaz précise : dans un travail de recherche l’Ins- kistanaises. Ces écoles influencent certains milieux is- titut d’études stratégiques d’Afghanistan a démontré lamiques. La dérive radicale en Afghanistan peut être que les courants radicalisés ont bien infiltré les univer- ainsi la conséquence de ces influences pakistanaises. sités, les établissements scolaires, les réseaux sociaux Dans l’éducation laïque, il y a en principe des et même les rangs des forces de police. échanges entre professeurs et élèves. Dans les écoles Dans les décrets du ministère de l’Education, nous religieuses l’apprentissage est vertical. Tout ce que le lisons que l’Education nationale est censée construire maître dit est irréversible et incontestable. La contesta- quatre écoles religieuses par an. Cela empêcherait que tion est interdite. les jeunes étudiants en théologie prennent le chemin Les prêcheurs des idées radicalisées s’opposent ou- des écoles extrémistes et surtout cela encouragerait des vertement à la modernité et à la démocratie. « Mais ils Tâlebân à éviter les écoles radicalisées pakistanaises. utilisent tous ces moyens pour arriver à leurs fins ». En 2015 selon un travail de recherche, à Hérat il y Certains groupes catalogués radicaux continuent leurs avait 29 écoles religieuses officielles et plus de mille manœuvres sous d’autre nom. La liberté d’expression non officielles. Ces écoles non officielles sont en crois- est ainsi au service des intégristes. sance régulière. Car il y a un exode de réfugiés vers Dans les rencontres que nous avons eues, ont été Hérat et leurs enfants prennent le chemin de ces écoles. évoqués les éléments suivants favorisant le radica- Les jeunes des régions en crise viennent à Hérat où ils lisme : trouvent plus de confort et moins de tensions. Un de ces - L’illettrisme. Malgré une petite amélioration, 71% centres est Darolulum Ahli Herat. Il appartient à Mao- (le taux pour les femmes atteint 86%) de la population lawi Djalilollah Maolawizadah, ancien juge suprême reste illettrée. C’est un terrain favorable pour semer des des Tâlebân. Ses enseignements sont indépendants de propagandes haineuses. ceux de l’Education nationale. L’Etat n’intervient pas - La pauvreté. C’est un fléau qui a des conséquences dans ses affaires. « Pire encore, il ne peut pas interve- graves. Selon les donnés de la Banque mondiale, 36,3% nir ». de la population afghane vit en dessous du seuil de pau- Un étudiant de l’université nous dit que des profes- vreté. 45,7% des Afghans sont au chômage. Les cou- seurs des universités publiques tiennent un discours ra- rants radicaux recrutent souvent parmi des gens vulné- dicalisé. Il y a une différence entre ce qui est dans le rables et désespérés. programme scolaire et ce qu’ils disent aux étudiants. - Les ingérences. Beaucoup d’Afghans disent que Il se souvient d’un professeur de tendance salafiste qui le radicalisme est financé tant par la production et le a tenu ouvertement des propos injurieux envers Abû commerce de la drogue que par des pays comme le Pa- Hanîfa (fondateur au 8ème siècle de l’école hanafite kistan, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe. de droit musulman). Or les Afghans sunnites sont ha- néfites. Abû Hanîfa est connu pour ses positions juri- 1- Ce parti ne préconiserait cependant pas la violence, selon Wikipédia diques ouvertes : il ne reconnaît qu’un nombre limité de (NDLR)

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 5 POLITIQUE La campagne électorale à Kaboul

par Etienne GILLE

Rue de Kaboul : débauche d’affiches électorales. Photo Afrane Après plusieurs années de report, les élections législatives ont pu finalement se dérouler le 20 octobre. La campagne électorale a montré qu’elles représen- taient quelque chose d’important pour la population. Etienne Gille, présent en Afghanistan avant ces élections, apporte son témoignage.

Ce qui frappe quand on arrive à Kaboul, c’est l’in- il fallait soit conserver sa place, soit en conquérir une vraisemblable floraison de portraits de candidats de pour le revitaliser. Les intimidations des Tâlebân n’ont toutes sortes dans les avenues de Kaboul. Il y a en effet pas réussi à étouffer le désir démocratique. 800 candidats pour 33 sièges, et chacun veut se faire La vigueur de la campagne est étonnante. En reve- connaître de tous. nant un jour de Dacht-e Bartchi, l’immense faubourg Cette floraison scandalise certains qui trouvent que hazâra de Kaboul, j’ai recueilli pas moins de trois tracts cet argent aurait pu être mieux utilisé en étant distribué de personnalités différentes distribués par des militants. aux pauvres. Ramazan Bachardoust (qui est un oppo- Des caravanes de candidats de toutes sortes sillonnaient sant notoire au sein du Parlement) en a pris le contre- la ville et il suffisait de tendre le bras pour avoir une pied en étant totalement absent de l’affichage, mais il profession de foi. distribue des tracts et des bons de soutien. Quoi qu’il en soit, beaucoup de personnes ont ma- nifestement pensé qu’elles avaient une opportunité à Les modalités du scrutin saisir en se présentant aux élections. Et que le Parle- Il s’agit d’un scrutin à un tour. Seront élus les can- ment, aussi discrédité soit-il, était un lieu de pouvoir où didats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Ce système est critiquable, mais n’est pas non plus sans « 800 candidats pour 33 sièges ». Photo DR intérêt. Dans une grosse circonscription comme celle de Kaboul elle favorise la présence de candidats très divers dont certains, peu connus, ont malgré tout leurs chances. Mais le mode de scrutin n’encourage pas la constitution de listes de candidats qui auraient un pro- gramme national. Le système conduit à un processus de vote assez burlesque. J’ai oublié de noter le nombre de pages que comporte un bulletin, mais il est de plusieurs dizaines, si bien que chaque affiche, chaque tract comporte le nu- méro du candidat, son logo (attribué par tirage au sort) et la page du bulletin où on peut le trouver.

6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 POLITIQUE a un sikh. Ramazan Bachardost a mené sa campagne de ma- nière très personnelle. Dans un mail qu’il a adressé à son fichier et il aurait dit la même chose à la télévi- sion, il a écrit : « prenez l’argent qu’ils distribuent ; mangez les palao qu’ils vous préparent, mais votez pour moi. » Les réunions électorales accompagnées d’un repas sont en effet fréquentes.

Qui vote pour qui ? A Dacht-e Bartchi, il est frappant de constater qu’une fois franchi le rond-point de Kaboul qui y conduit, soudain toutes les figures changent et on ne voit plus guère que des affiches de candidats hazaras. Pourtant la province de Kaboul ne constitue qu’une unique circonscription, mais les candidats hazaras ont ma- Tract d’un candidat. Le recto est en pachtou et le verso en persan. En bas, de droite à gauche, la nifestement centré leur campagne sur les lieux de page du bulletin de vote où se trouve le candidat, puis son numéro d’ordre (447), puis sa photo puis son logo (tiré au sort). résidence hazara. Il y a donc un vote ethnique, mais pas seulement. Personne ne croyait il y a quelques mois que les Des membres de la classe moyenne m’ont dit vouloir élections, reportées à plusieurs reprises, pourraient voter pour Ramazan Bachardost, car il est intègre. Evi- avoir lieu. Un diplomate d’une ambassade européenne demment la réputation d’intégrité des candidats joue confiait d’ailleurs il y a quelque temps, qu’au fond, vu un rôle déterminant dans le vote, plus que les aspects le travail que faisait le Parlement, son renouvellement idéologiques. n’était pas une priorité. Le phénomène actuel n’en est Un chauffeur, Pachtoun brut de décoffrage, m’a dit que plus remarquable. qu’il voterait pour une femme. Beaucoup votent pour quelqu’un de leur entourage qu’ils connaissent. Les ré- sultats des élections sont donc largement imprévisibles, surtout à la marge, car les résultats autour de la 30 ème Les craintes sécuritaires place (en ce qui concerne Kaboul) seront sans doute On s’est d’ailleurs demandé jusqu’au bout si les élec- serrés. Personne ne se hasarde à prévoir la constitution tions pourraient se tenir. Les Tâlebân ont mené des du prochain Parlement. campagnes d’intimidation. Quelques jours avant le scrutin un dixième candidat a été tué dans un attentat. Des écoles abritant des centres d’inscription et de vote Qui ne vote pas ? ont été attaquées. Pour minimiser les risques, les écoles ont été mises en congé dès le lundi précédant les élec- Evidemment tout le monde ne vote pas. Un certain tions. nombre de gens ne se sont pas inscrits sur les listes élec- Certaines personnes ont préféré voter en fin de jour- torales, soit par peur des représailles annoncées par les née, une fois passés les risques d’attentat. Tâlebân, soit parce qu’ils se sont sentis floués lorsque, lors des dernières présidentielles, les résultats ont été redressés, conduisant à la victoire de Ghani. Beaucoup, inscrits ou non-inscrits, sont cependant Qui est candidat ? conscients que le fait de voter est un signe pour montrer Les candidatures sont très diverses. Il y a les anciens qu’on n’est pas d’accord avec les Tâlebân. candidats qui se représentent (mais tous les députés ne se sont pas représentés). Il y a des hommes d’affaires. Selon certains, cela pourrait conduire à un assouplisse- En province ment des lois concernant l’économie en diminuant les contraintes bureaucratiques (et la corruption qui y est Pas grand-chose à dire sur la province. A Bamyân liée). Il y a des hommes politiques ou des fils d’hommes même, on a vu des réunions électorales, regroupant politiques, comme le fils de Golbuddin Hekmatyar. Il y parfois un petit nombre d’hommes. J’ai assisté aussi a des jeunes. Il y a des femmes qui n’ont pas hésité à dans un hôtel de la ville au début d’une réunion électo- afficher leur portrait en grand, et même parfois en très rale tenue par une candidate femme et regroupant 200 grand. Il y a des progressistes et des réactionnaires. Il hommes. Il y avait un dispositif de sécurité mais relati- y a beaucoup de gens affichant leur qualité d’hadji. Il y vement modeste.

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Témoignages sur les élections

Les élections d’octobre ont donné lieu à des articles de presse qui, en France du moins, en ont surtout relevé les dysfonctionnements. Nous avons demandé à un certain nombre de connaissances comment cela s’était passé pour eux. Voici leurs témoignages bruts. Par discrétion nous n’avons indiqué que l’initiale du prénom de leurs auteurs. Si la plupart des points de vue expriment une certaine satisfaction, le plus dur reste à venir : la proclamation des résultats, qui ne manqueront pas d‘être contestés.

Les témoignages recueillis1 n’ont aucune valeur candidats jeunes et engagés était plus grand. De plus statistique. Le nombre des personnes interrogées est le nombre des candidats ayant fait des études, comme faible, leur origine sociale, quoique variée, n’est pas re- des professeurs d’Université, était remarquable. Quant présentative de la population, enfin seulement trois pro- aux candidates, même si leur nombre n’était pas de vinces sont concernées. Il n’en reste pas moins que ces même importance que celui des candidats, leur mince points de vue témoignent de la motivation de beaucoup présence a empêché la domination absolue des chefs. Il d’électeurs. y a même eu un candidat de la minorité sikhe. De mon point de vue, la candidature de personnes de différents groupes ethniques, races, religions, genres, et langues A Kaboul (Dacht-e Bartchi) peut rapprocher l’Afghanistan de l’unité nationale et Il s’agit d’un quartier hazara de Kaboul. aider à la diffusion des valeurs démocratiques. Témoignage en persan. Traduction : « Heureuse- Mais d’autre part, malheureusement, un certain ment, cette année, les élections comme les années pas- nombre d’individus riches et fils de chefs de guerre se sées se sont passées très bien et tout le monde a pu vo- sont aussi portés candidats. J’espère que de telles per- ter pour le candidat de son choix. De même, dans ma sonnes ne pourront pas entrer au Parlement. La com- famille tout le monde a pu participer aux élections et mission des élections n’étant pas indépendante comme voter pour le candidat préféré. En outre, le nombre des votants, contrairement à ce que Une longue file d’attente devant un bureau de vote Photo DR j’attendais, a été remarquable. Dans notre quartier la sécurité des bureaux de vote a été assurée par les forces gouvernementales et par les forces et les gens du lieu. Heureusement, le jour des élections il n’y a pas eu d’inci- dent sécuritaire à déplorer et les gens ont participé en toute tran- quillité à cet événement impor- tant. Pour les élections législa- tives de cette année le nombre de

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« On a pris mes empreintes digitales et photo- graphiées deux faces de la carte d’identité » Photo DR

elle devrait l’être, la probabi- lité qu’il y ait des fraudes est grande. Les riches et les chefs de guerre du djehad peuvent avec de leur argent et leur pouvoir politique s’impo- ser comme étant élus par les gens. Malgré toutes les difficul- tés, je suis optimiste en ce qui concerne l’avenir. J’accueille positivement les élections car les élections éclairent l’esprit des gens relativement à leur avenir politique et exercent les gens à la démocratie. A mon avis, les élections ne A Djalalabad sont pas seulement un événement politique mais sont Témoignage en persan. Traduction : « A Djalalabad, les aussi un événement culturel car les élections entraînent élections se sont bien passées. Les gens ont voté pour l’implantation de la culture démocratique dans la so- leur candidat. Ce fut un peu difficile, mais cela s’est ciété. » (A) bien passé. Moi aussi j’ai voté, pour un docteur. C’est quelqu’un de bien. On verra ce qui sortira des élections. Dans la province de Djalalabad, les gens, hommes A Djalalabad comme femmes, ont voté pour leur candidat. La diffi- « Les élections se sont très bien passées. J’étais prési- culté principale qui s’est présentée dans ces élections dent de site mais je vais partager mes réflexions en tant est que le nom de certains électeurs n’était pas inscrit que public. sur les listes et les gens ont été ennuyés. Les élections Je pense que les élections étaient très sûres et anti- ont duré deux jours et ces jours ont été des jours de corruption car personne ne pouvait voter deux fois. Les congé. » (N) mobiles biométriques étaient une très bonne idée. La sécurité était meilleure que ce à quoi nous pen- sions. Je pense que 90% des centres de vote étaient sé- A Bâmyân curisés. « Ici, à Bâmyân, malgré toutes les difficultés techniques On peut donc dire que les élections de 2018 ont été et logistiques, l’élection législative s’est bien passée. les plus sûres de l’histoire de l’Afghanistan. Nous espé- Mais moi-même, comme je n’étais pas enregistré pour rons un bon résultat. » (F) l’élection, je n’ai pas pu voter. En général, à Bâmyân la situation électorale n’était pas mal.» (N) A Bâmyân Témoignage en persan. Traduction : « Nous avons par- A Kaboul ticipé aux élections ainsi qu’un grand nombre de per- « Le samedi, 21 septembre, jour des élections, était dé- sonnes. J’étais à Bamyan et là beaucoup de gens ont claré jour férié par le gouvernement pour que l’on puisse voté. Il y avait sécurité et calme. A Chinia-e Takht (un voter dans les meilleures conditions de sécurité. Vers district éloigné), tout le monde a participé et les centres dix heures du matin je me suis rendu au Lycée Alfath, de vote étaient calmes et la sécurité était complète. » le bureau de vote où je m’étais fait inscrire. Quelques (M) minutes auparavant on avait entendu un bruit d’explo- sion. A l’entrée de l’école un policier, plutôt timide, m’a demandé si je voulais bien me laisser fouiller. Une for- A Kaboul malité toute simple. Les listes électorales avaient été « Nous n’avons participé, ni moi ni mon mari. Nous établies par ordre alphabétique. Les lettres de l’alphabet n’avons pas trouvé de personne fiable pour qui voter. » avaient été réparties entre quatre classes. La file où je (F) me suis inséré était de loin la plus longue. Un jeune

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Kaboul. Poster électoral d’un candidat qui s’affiche avec le portrait de Nadjibullah. Photo Afrane

cent quatre candidats. J’ai plongé mon doigt dans l’encrier disposé à cet effet et j’ai reçu mon carnet de vote plié. Je me suis dirigé vers l’isoloir et après avoir coché la case voulue j’ai glissé le bulletin dans l’urne. L’opération de vote proprement dite a duré cinq minutes au lieu des quarante secondes annoncées par le porte-parole de la commission électorale. Les opérations de vote ne se sont pas dé- roulées aussi bien dans tous les bureaux. Il y a eu des problèmes qui ont obligé la com- mission de prolonger les élections un jour de plus. Il y avait du mécontentement qui s’est homme entretenait son copain de l’imbécilité de cette exprimé avec véhémence comme il se doit dans ce méthode de classement. Les noms qui commencent par pays. Mais la plupart des commentateurs estiment que M et N sont de loin les plus nombreux. Or les stickers ces élections ont été de loin les plus régulières jamais collés sur les cartes d’identité qui tenaient lieu de carte réalisées en Afghanistan. électorale portaient des numéros. Cela aurait été telle- Il est à prévoir que les 2260 candidats perdants et ment plus judicieux de répartir les votants par numéro les partis politiques dont la plupart n’avaient pas osé d’ordre des stickers. Un peu plus loin, un autre se plai- présenter des candidats sous leur propre étiquette vont gnait à haute voix de la lenteur des opérations. Si une crier au voleur. On peut s’attendre à ce qu’il y ait des bombe explosait dans une file aussi longue ce serait compromis et des compromissions divers lors de la un véritable carnage. L’explosion qu’on venait d’en- proclamation des résultats, mais une chose est certaine. tendre était une petite mine magnétique qui avait sauté L’exercice de la démocratie est désormais une réalité en à la porte d’une école voisine. Il n’y avait que deux ou Afghanistan. » (N) trois blessés légers. Un peu plus loin dans la file : deux jeunes gens discutaient des élections indiennes. Là-bas le système est tellement bien fait que même les sans- abri des rues de Mumbai pouvaient voter sans problème A Kaboul (Dacht-e Bartchi) et il n’y avait aucune fraude. Après cinquante minutes Témoignage en persan. Traduction : « J’ai voté dans d’attente je suis entré dans la phase réelle du vote. Une un des bureaux de vote de Dacht-e Bartchi. Dans ce bu- personne scrutait ma carte d’identité et le sticker qui y reau, plus de 6000 personnes s’étaient inscrites. Le jour était apposé et un autre cherchait mon nom sur la liste. de l’élection il y a eu le rassemblement de beaucoup Après vérification d’identité et de la validité du sticker, de monde, mais les gens, dont moi-même, ont réussi à je suis passé à la table suivante où on a pris mes em- utiliser leur vote.» (H) preintes digitales et photographié les deux faces de la carte d’identité. Puis on m’a photographié. Sur la table A Kaboul voisine un autre préposé a plié le carnet de vote avec Témoignage en anglais. Traduction : « Finalement, j’ai les nom, photo, numéro d’inscription et logo des huit pu voter vers 7 h 30 du soir. Comme le matériel électo- ral manquait, notre bureau n’a commencé qu’à 10 h du Kaboul. Pléthore d’affiches électorales. Photo DR matin. Un grand nombre de votants attendait depuis 7 h du matin. Par ailleurs, il n’y avait pas assez de person- nel électoral pour effectuer le processus biométrique. Dans certains endroits, les élections ont été prolongées un deuxième jour. En fait à Kaboul, il n’y a pas eu d’incidents sérieux empêchant la tenue de l’élection. Hommes et femmes sont allés voter avec un moral élevé et un esprit réso- lu. » (Ch) « J’ai voté pour un bon candidat. La sécurité n’était

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Des Sikhs attendent leur tout pour voter. Photo DR

chose. Alors, j’ai attendu et je l’ai appelé une heure plus tard et toutes les heures. Tou- jours la même histoire, 100 à 150 personnes en attente. Je regardais la télé, voyais les re- portages et quelques incidents d’insécurité aussi. Vers 3h30 alors que je m’apprêtais enfin à y aller et que la file d’attente était toujours aussi longue, la Commission a an- noncé le prolongement jusqu’à 20 h. Du coup, je me suis dit j’y vais avant la tombée pas bonne au début : les gens rentraient dans la foule de la nuit. Et même là quand j’y suis allé, j’ai attendu sans être fouillés. Le centre a été ouvert une heure en 45 minutes en file d’attente. Ce n’était pas désagréable. retard. Les élections se sont prolongées un deuxième Il y avait des gens qui avait attendu 3 heures dans la jour chez nous aussi. Si dans tous les centres ça s’est matinée. L’inscription biométrique n’a pris qu’une mi- passé comme chez nous, on peut dire qu’il n’y a pas eu nute. Ce que je retiens, c’est que les gens ont osé malgré beaucoup de problèmes. » (H) les incidents de sécurité. Dans la file d’attente, avant moi, il y avait un copain qui bossait pour le ministère de « J’habite à Kaboul. J’ai voté pour les élections par- l’Intérieur. Lui, il avait accès à toutes les données des lementaires de l’Afghanistan qui ont eu lieu le 20 oc- incidents. Mais il avait attendu pendant deux heures le tobre. Le bureau de vote était très proche de chez nous. matin pour voter et pendant 45 minutes le soir. Je pense Quand je me suis levé, je suis sorti pour voir s’il y avait que les gens ont voté avant tout contre les Tâlebân. » quelqu’un devant le bureau de vote. Lorsque je suis ar- (Y) rivé devant le bureau, j’ai vu une longue queue. Tout d’abord, je suis resté dans la queue pour une heure mal- gré ma peur. Malheureusement, le bureau était fermé. Certaines personnes ont insulté le gouvernement. Je me Un témoignage divergent suis fatigué, je suis retourné chez moi. Mais avec beau- « J’ai quitté Kaboul lundi dernier, j’ai donc raté ces coup de difficulté, j’ai voté vers 19 h 30. Après le vote, élections. J’avais pourtant tellement envie de voter. je me sentais bien. » (N) J’ai suivi de près l’actualité et j’étais excitée les pre- « Malheureusement, je n’ai pas voté car j’avais ou- mières heures du matin en voyant les images sur les blié de faire mettre un autocollant sur ma tazkira (carte chaînes de télévision, les lignes d’attente devant les bu- d’identité). » (M) reaux de vote, dans les rues… Je croyais que les risques en votant étaient tellement élevés qu’il ne fallait pas « Moi, je n’ai pas voté car j’ai passé toute la journée attendre une grande participation. Mais non, ces deux sur la route entre Takhar et Kaboul. Je suis arrivée à 11 jours d’élections ont bel et bien montré que les Afghans h du soir. Dans un des bureaux de notre quartier il y a sont plus persévérants et résistants que ce qu’on croit. eu une explosion qui a fait 15 morts. F. m’a dit qu’elle J’ai vu beaucoup de photos sur Facebook, prises et a voté et que ça s’est bien passé. La procédure a mieux diffusées par des connaissances à Kaboul ou dans les fonctionné qu’à la dernière élection Par exemple, dans provinces. Si vous me demandez mes impressions, tout le bureau on cherchait le nom de la personne qui voulait d’abord c’est la prosternation devant les Afghans, qui voter sur la liste des inscrits. S’il n’y avait pas le nom de sont sortis malgré toutes les menaces sécuritaires. la personne sur la liste elle ne pouvait pas voter et il y a Mais de l’autre côté, c’étaient les élections les plus eu la machine à empreintes digitales aussi. » (Z) ridicules qui ont jamais eu lieu en Afghanistan, c’est ce « Ce jour-là, j’ai commencé à recevoir les alertes qu’on entend et lit ces jours-ci de la part des citoyens sécurité dès le matin et quasiment toutes les cinq ou dix afghans. Cela est dû à la gestion chaotique et imprégnée minutes, il se passait quelque chose, souvent une explo- de corruption du gouvernement et de la Commission sion, dans un bureau de vote ou à côté. En même temps, électorale, ce qui remet fondamentalement en question je voulais voter. J’ai demandé à mon voisin, qui était la légitimité de cet événement. observateur de mon bureau de vote, s’il avait voté. Il On trouve deux avis différents à propos du 20 oc- venait de rentrer, m’a montré son doigt2 et m’a dit qu’il tobre : 1) Les dirigeants afghans et les personnes appar- y avait trop de monde. Il avait utilisé un contact pour tenant à la classe gouvernante qui parlent avec un grand ne pas faire la queue. Je ne pouvais pas faire la même enthousiasme de la participation du peuple et la perçoi-

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 11 POLITIQUE vent comme un signe de l’instauration de la démocratie les bureaux de vote de deux écoles Mohammadiya et et une garantie pour l’avenir du pays. 2) Les électeurs Zaynab Kobra du 13ème district de Kaboul, des per- qui critiquent l’organisation et les insuffisances de ces sonnes liées aux quatre candidats puissants (les fils de élections. La Commission des plaintes électorales a deux leaders modjahed, un parlementaire actuel et un reçu des milliers de plaintes à propos des fraudes et homme d’affaire puissant) ont fermé les bureaux de d’autres problèmes concernant le vote. vote et ne laissaient pas entrer les observateurs d’autres Premier problème : l’ouverture tardive des bureaux candidats. Mon mari témoigne lui-même que des ob- de vote. De nombreux centres de vote sont restés fermés servateurs n’ont pas pu entrer dans un bureau de vote à jusqu’à 10h, ou 11h et dans certains centres jusqu’à 1h Karté 3 et qu’ils se plaignaient de la violence de la po- de l’après-midi, d’après les rapports de l’agence Tolo, lice à leur égard. f) le mauvais fonctionnement des ap- les témoignages des journalistes locaux (alors que le pareils d’enregistrement biométrique dans une grande scrutin devait commencer à 7h du matin). Ce qui a pro- partie des bureaux de vote. Au lycée Rabia Balkhi à voqué de longues files d’attente dans les rues et la frus- Karté 4 cet appareil ne fonctionnait pas du tout. A la tration de la population. Farahnaz Foroutan, reporter de mosquée Baqir-ol Olum, cet appareil fonctionnait mal, Tolo, a fait un reportage sur l’état des bureaux de vote ce qui allongeait la procédure de vote. dans l’ouest de Kaboul : aucun centre n’a été ouvert à Du fait de ces dysfonctionnements, de nombreux ci- temps ou avec un peu de retard. Elle s’est rendue dans toyens n’ont pas pu voter. Un ami qui habite à Bahador un bureau de vote d’un quartier lointain mais peuplé de Khan, à l’ouest de Kaboul a écrit à 4h de l’après-midi Bartchi. Il y a des dizaines d’habitants en attente mais sur sa page facebook qu’après s’être rendu quatre fois à 11h du matin, parmi les 33 employés de la Commis- au bureau de vote, il est retourné chez lui sans avoir pu sion électorale, seulement l’un d’entre eux était présent. voter. (…) Mon mari qui devait voter à la mosquée Mo- Pour cette raison ce bureau est resté fermé le premier hammadiya à Karté 3, s’y rend à 11h. du matin. Il quitte jour ! le lieu après 20 minutes d’attente en voyant le désordre Ce n’est malheureusement pas tout. Les problèmes et la longue file d’attente dans la rue. A 13h30, il s’y les plus importants : a) le manque de bulletins de vote rend une deuxième fois en espérant que la situation sera (…) b) l’envoi erroné des listes électorales. L’un des plus ordonnée, mais quitte le lieu sans pouvoir voter. amis qui devait voter au quartier 3, se rend compte que Une autre amie de moi, réussit à voter au bureau de vote la liste présente dans ce bureau de vote appartient à un de l’Université de Kaboul après quatre déplacements centre de vote de la province de Paktya ! Dans certains entre 8h du matin et 18h. bureaux de vote on a attendu la liste des inscrits pen- Tout ceci concerne la capitale. Imaginez la situation dant des heures. c). la discordance entre la liste élec- dans les provinces. (…) torale et la liste des personnes inscrites. Beaucoup de Ces élections m’ont déçue. Peu de personnes peu- gens n’ont pas trouvé leur nom dans la liste électorale vent faire confiance aux résultats de telles élections. » de leur bureau de vote, alors qu’ils avaient sur l’envers (B) de leur tazkera l’étiquette officielle de leur inscription. C’est le cas d’une de mes amies. d) Le désordre dans 1- Les témoignages sont dans l’ordre inverse de leur réception. Les premiers les lieux de vote. e) l’absence d’observateurs dans cer- reçus sont donc en fin d’article. tains bureaux de vote : un citoyen témoigne que dans 2- Quand on vote, on trempe son doigt dans de l’encre indélébile.

Les Nouvelles Afrane Permanence: 16 passage de la Main d’Or -75011 Paris d’Afghanistan Tel. : (33) 01.43.55.63.50 La revue LES NOUVELLES D’AFGHANISTAN est une revue trimes- L’association Amitié Franco-Afghane (Afrane) a été fondée au début trielle éditée par AFRANE (Amitié Franco-Afghane). Les opinions de 1980, en réponse à l’occupation militaire de l’Afghanistan par les émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Titres et sous- Soviétiques. Organisme d’aide humanitaire, Afrane ne souhaite qu’ai- titres sont de la responsabilité de la rédaction. der les Afghans et ne se situe dans la mouvance d’aucun parti poli- tique. Elle soutient à présent prinicipalement des projets éducatifs. Abonnement France et U.E. - 4 numéros ...... 22 € Adhésion avec abonnement à la revue Abonnement de soutien France et U.E. - 4 numéros ...... 40 € Les Nouvelles d’Afghanistan ...... 48 € Abonnement France et U.E. - 8 numéros ...... 42 € Adhésion de soutien (avec abonnement) à partir de ...... 60 € Autres pays -4 numéros ...... 32 € Adhésion seule (sans abonnement) ...... 28 € Autres pays -8 numéros ...... 60 € DON (déductible de l’impôt dans les limites prévues par la loi) (un reçu sera adressé sur demande) ...... € NOM ...... Prénom...... Adresse...... NOM ...... Prénom...... Tél ou email...... Adresse...... Tél ou email...... Tout règlement à l’ordre d’AFRANE, merci. 12 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 ENSEIGNEMENT

Rêves de jeunes filles

Propos recueillis par Charline FERRAND et Frozan AFZALI *

L’équipe d’AFRANE à Kaboul a rencontré un groupe d’adolescentes de deux écoles de Tcharikar à 70 kilomètres au nord de Kaboul. Elles ont parlé libre- ment et confié quelles étaient leurs difficultés et leurs aspirations. Loin d’être abattues par l’adversité, elles conjuguent innocence et détermination. Et elles sont très attachées à leur culture.

Un mardi matin de novembre, dans une classe de fran- L’assemblée comptait aussi de futurs professeurs (« Je çais de 9ème année, à Tcharikar. Accueillies par des veux être une bonne professeure, pour enseigner dans jeunes filles d’une quinzaine d’années nous lançant un les provinces isolées car toutes les filles doivent avoir appuyé « Bonjour !!! Comment ça va ? », presque sans accès à l’éducation »). aucun accent – presque –, nous prenons place. Large Deux d’entre elles rêvent de devenir médecin « pour sourire aux lèvres, concentrées et attentives aux ques- résoudre les problèmes des gens », « créer un hôpital tions que nous sommes venues leur poser, elles échan- en l’honneur de mon grand-père mais je le sais c’est gent quelques regards furtifs avec leurs professeures, un chemin difficile qui demande beaucoup de travail ». avant que ne débute le jeu des questions/réponses en Enfin, parmi les rêves évoqués, celui de devenir français et dari. Complicité évidente entre elles. Am- présidente d’Afghanistan : « Je travaillerais beaucoup biance apaisée et chaleureuse. pour promouvoir les femmes, empêcher la fuite des cer- veaux, la migration et donner des facilités pour les gens Alors, à quoi rêvent-elles ces jeunes filles d’ici. Je créerais des universités pour supprimer le chô- de Tcharikar, en 2018 ? mage ! ». Un beau programme ! « Moi, je veux être dentiste parce que j’adore ! Mais… tu n’as pas peur du dentiste ? Non, non, je n’ai pas peur, j’adore aller chez le dentiste ! » et toi ? « -Moi Vos rêves, désirs pour l’avenir sont divers je voudrais être professeure de langue française car je et tous très ambitieux ! Comment alors agirez- voudrais aller à Paris ». vous en faveur de la paix dans votre pays ? Une autre de ces jeunes élèves voudrait devenir Là encore, les réponses fusent : « J’aime la paix, je avocate pour défendre les droits des femmes ici, en n’aime pas la guerre car nous sommes fatiguées de la Afghanistan (« L’Islam a donné des droits, une égalité guerre », « Moi je crois qu’il faut travailler à l’unité, à aux femmes et aux hommes mais en vrai, elles n’ont la solidarité dans mon pays, car comme cela, personne aucun droit, il n’y a aucun respect pour elles. Dans ne pourra nous attaquer ». La place des femmes est beaucoup de provinces, les femmes sont considérées évidemment interrogée : « On doit aussi travailler en- comme inférieures »). Pour certaines, ce sont des rêves semble pour apporter l’égalité entre les hommes et les de journalisme qui les habitent, pour communiquer « à femmes ». Certaines – les plus militantes – proposent tout le monde » sur ce qu’il se passe en Afghanistan. d’agir immédiatement : « On pourrait créer une cam- pagne de sensibilisation en direction des élèves dans tous les lycées de Tcharikar pour transmettre cette idée 1- Membres de l’équipe d’AFRANE à Kaboul. de paix aux parents et aux familles ! »

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« J’aime la paix, je n’aime pas la guerre car nous sommes fatiguées de la guerre ». Photo Charline Ferrand

La liberté du danger. Alors je respecte les décisions de ma famille c’est d’aller à l’école et je me sens libre. » Une autre, sûre d’elle : « Quand je regarde la so- Après avoir parlé de l’avenir, de vos rêves ciété, moi je ne préférerais pas être un homme ! ». Les et désirs, parlons de vous, aujourd’hui. autres jeunes filles semblaient tout à fait d’accord avec Vous sentez-vous libres ? ce propos : « Nous aussi, on est contentes d’être des Toutes celles qui s’expriment semblent pouvoir femmes ! La religion a donné beaucoup de valeur aux jouir d’une certaine, voire totale, liberté : « Oui, car je femmes, elle leur a donné des « sentiments humains ». peux étudier et aller à Kaboul (la professeure : et aller On ne pourra jamais changer cela, on ne pourra jamais à Kaboul pour passer le Delf ?! car moi je ne le peux leur enlever leur sensibilité de mères ». pas !) » ; « Moi, je me sens libre dans mes décisions, ma Quant à la nature de cette liberté, pour certaines, famille est toujours d’accord avec moi ! » ; « La liberté « la liberté est une valeur donnée par Dieu, c’est un pour moi c’est de pouvoir venir à l’école, rentrer à la droit pour chacun. Si quelqu’un empêche cette liberté, maison et suivre les cours supplémentaires : alors oui, alors il commet un crime. » je suis libre ! » ; « Moi je suis libre mais j’ai obtenu ma liberté en gagnant la confiance de ma famille. J’ai res- Beaucoup se considèrent libres par leur accès à pecté les règles : je ne me maquille pas, je porte le hi- l’éducation, leur possibilité d’aller à l’école. A la ques- jdab pour sortir, je n’ai pas ajouté dans mon téléphone tion de savoir si elles se sentent libres de s’exprimer, la d’autres numéros que celui de ma famille : maintenant réponse est assez largement positive. Ainsi pour elles, j’ai davantage de droits et d’autorisations ». il n’existe pas de différence entre filles et garçons à l’école. Une autre de ces jeunes élèves en revanche ne se sent pas libre : « Je ne peux pas aller à Kaboul car après l’attentat suicide à l’IFA , je n’ai plus eu le droit d’y aller. Cette décision m’empêche d’aller loin… ». Quelle liberté avez-vous Une seconde fond en larmes : « J’ai la liberté de faire par rapport à votre futur mariage ? des études mais après je ne pourrai pas exercer un tra- « Moi j’ai la liberté de choisir mon mari ! ». « Pour vail, je devrai rester à la maison donc je ne suis pas moi, c’est autant une décision des femmes que de la vraiment libre. A quoi ça sert ? » Les professeures, de famille ». s’empresser de répondre : « ça va changer ! c’est déjà en train de changer ! » « Je ne pourrai pas choisir mon mari mais c’est mieux ainsi car la famille a l’expérience, elle sait ce Sa camarade tente, elle, de justifier ces interdits : qui est bien pour mon avenir ». « Si on a beaucoup d’interdits c’est pour nous protéger

14 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 ENSEIGNEMENT

« Pour elles, il n’existe pas de différence entre filles et garçons à l’école ». Photo Charline Ferrand

A présent, quels sont vos loisirs, vos occupations un moyen d’aider les familles, la société ». quand vous n’êtes pas à l’école ? « L’école, c’est ma deuxième maison, je participe à A cette question, le sport à la maison a rencontré un toutes les activités et quand je rencontre un problème, franc succès ! On pratique ainsi à Tcharikar la corde à j’échange avec les professeurs. C’est un lieu d’échange sauter, le basket (« sur la terrasse, avec ma sœur »), la où je me sens tranquille ». course à pieds (« dans les collines avec ma mère, après « J’y apprends deux choses : l’éducation et la mo- la lecture du Coran et la prière »). Au-delà du sport, ralité. Si dans une famille, on manque d’éducation, on les loisirs de ces jeunes filles résident dans la lecture apprend les deux à l’école. » du Coran, les travaux de la maison (des loisirs comme « C’est un endroit qui donne accès à l’égalité, où les autres donc…), la lecture (Quel est ton dernier livre il n’y a pas de différence entre riches et pauvres et qui lu ? « L’histoire des papillons »), les jeux vidéos, des nous prépare pour notre avenir ». émissions religieuses à la télévision. Une seule parmi elles avait un compte Facebook ! « Il y a une grande différence entre une femme qui reste à la maison et une femme qui va à l’école : à l’école on reçoit beaucoup d’informations, utiles pour Et l’école alors, notre vie ». comment la percevez-vous ? « Quand on regarde notre école, elle est très équipée , Là encore, des réponses pleines de tendresse, de ca- on doit en profiter et bien se concentrer sur notre tra- ractère, d’espoir, de confiance en l’avenir et de lucidité : vail ». « C’est un lieu pour apprendre », « Une garantie pour l’avenir », « Un fruit sucré que l’on va goûter plus Une heure d’échange, des témoignages sincères, tard ». parfois tristes, parfois innocents ; touchants, toujours, « Au-delà des études, l’école est un moyen de prépa- parsemés de (sou)rires et de larmes. Face à elles, ce rer l’avenir par les « choses de la vie », les choses sur sont l’empathie et l’admiration qui sont tout à la fois la société que l’on y apprend aussi ». convoquées. « L’école est un lieu qui fait sortir des cendres, du malheur ». « Pour moi, c’est un moyen de socialisation car on n’a pas le droit d’aller ailleurs. » « Les femmes qui n’ont pas pu aller à l’école à 1- Diplôme de langue française. l’époque des Tâlebân le regrettent aujourd’hui : c’est 2- Institut français d’Afghanistan. 3- Le lycée Hora Djalali fait en effet partie des lycées bien équipés.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 15 DOCUMENTATION

Le Centre de l’Afghanistan à l’Université de Kaboul (ACKU)

par Asef MEHRY*

L’ACKU a été créé à (Pakistan) en 1989 comme Centre de Res- sources et d’Informations (ARIC) d’ACBAR1 par Nancy Hatch Dupree décédée en septembre 2017 (voir notre numéro 158). Mme Dupree était une partisane très active de l’éducation et de l’alphabétisation. Elle a voulu rassembler de la documentation sur l’Afghanistan à l’intention des organisations d’aide na- tionales et internationales travaillant en Afghanistan et rendre ces documents accessibles aux décideurs, aux personnels humanitaires, aux autres personnes et institutions travaillant en Afghanistan. Le Centre s’est vite développé.

Le but ultime de Nancy était d’établir ce Centre en nant comme une institution indépendante de recherche Afghanistan, ce pays qu’elle aimait tellement et dans sur le campus de l’Université de Kaboul. Ce nouveau lequel elle avait passé des décennies de sa vie, explo- bâtiment a permis à l’ACKU de développer de façon rant et travaillant en faveur de sa culture et de sa popu- continue ses objectifs en matière de programmes et lation. En 2005, l’ARIC devint le Centre de l’Afgha- d’augmenter sa collection gigantesque de documents nistan à l’Université de Kaboul (ACKU). Sur la base sur l’Afghanistan. d’un accord avec l’Université de Kaboul et le Ministère L’ACKU abrite plus de 160 000 documents sur afghan de l’Enseignement Supérieur, les collections de l’Afghanistan, qui couvrent des collections rares de l’ACKU furent temporairement entreposées à la biblio- journaux, magazines, livres, rapports de recherche, en- thèque centrale de l’Université de Kaboul. La même registrements audio et vidéo de musique traditionnelle année, en juillet, la totalité de la collection de l’ACKU afghane et de folklore ainsi que des milliers de tableaux fut déposée à la bibliothèque centrale de l’Université rares concernant la politique afghane, l’économie, la de Kaboul. poésie, l’histoire, la littérature et l’anthropologie. Ces documents sont en farsi, pachto, anglais et certains en russe ou en français. 160 000 documents L’ACKU est fier de jouer un rôle vital dans le déve- En 2007, le Président de l’Afghanistan donna son loppement universitaire, le partage de l’information et accord pour la construction du bâtiment de l’ACKU, fi- de la recherche culturelle dans le domaine de l’éduca- nancée par le ministère de l’Enseignement supérieur, au tion et dans les institutions d’enseignement supérieur sein de l’Université de Kaboul. En mars 2013, l’ACKU grâce à ses archives importantes concernant les études termina la construction du bâtiment dont l’architec- sur l’Afghanistan. L’ACKU est heureux de conserver ture est exceptionnelle. L’ACKU fonctionne mainte- l’héritage culturel de l’Afghanistan et d’ouvrir la voie pour des conférences universitaires en Afghanistan. Outre ses bureaux administratifs, l’ACKU com- * Directeur de la Communication et de la Recherche d’ACKU. prend trois départements spécialisés principaux : la bi-

16 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 DOCUMENTATION

Le bureau où travaillait Nancy Dupree et sa photo qui veille sur le Centre. Photo Charline Ferrand

bliothèques et archives dans le monde, l’ACKU a reçu récemment deux copies des documents numérisés de la Bibliothèque du Congrès et de la Bibliothèque Numéri- sée Mondiale. Ces données contiennent plus de 163 000 pages (2935 articles) ainsi que les références biblio- graphiques. Ces documents sont disponibles en ligne par l’intermédiaire de la base de données en ligne de l’ACKU. Au même moment l’ACKU a aussi numérisé bliothèque/archives, l’ABLE (Box Library Extension un total de 917 259 pages couvrant 51 885 documents program) et le département recherche et communica- de recherche. Ces documents sont aussi disponibles sur tion. la base de données de l’ACKU. La bibliothèque de l’ACKU est en lien avec des ins- titutions nationales et internationales travaillant dans 70 000 documents le domaine des accessibles en ligne bibliothèques La bibliothèque est le centre principal de l’ACKU ‘‘ Acku organise et des systèmes avec plus de 160 000 documents sur des thèmes variés des dizaines d’archivage. d’études concernant l’Afghanistan. 70 000 de ces docu- Il s’agit d’ins- ments sont accessibles en ligne. Grâce à l’acquisition d’exposition titutions exer- de documents anciens et nouveaux, à la mise en cata- en faveur d’une çant en Afgha- logue et à la numérisation, le département de la biblio- nistan même, thèque a rendu des milliers de documents accessibles culture de la paix telles que la aux chercheurs, aux spécialistes, aux étudiants et au Bibliothèque public qui visitent régulièrement les riches archives de et de la tolérance ‘‘ Publique de l’ACKU pour les lire et mener des recherches. Des cen- l’Afghanistan, taines d’étudiants, chercheurs et membres de la faculté la Bibliothèque Centrale de l’Université de Kaboul, les consultent quotidiennement l’ACKU en ligne ou utili- Archives Nationales de l’Afghanistan, le musée de Ka- sent ces documents pour des travaux scolaires et pour boul, etc., et d’institutions internationales, par exemple la recherche. l’Université de l’Arizona (support technique et numéri- L’ACKU a acquis 40 815 documents au cours des sation), la Librairie du Congrès U.S, l’IFLA (Internatio- quatre dernières années ; ceux-ci sont catalogués et ac- nal Federation of Library Associations) et l’Association cessibles aux étudiants, membres de la faculté et cher- Américaine des Bibliothèques. cheurs indépendants. De façon similaire, le Box Library Extension pro- De plus, dans le cadre de son partenariat avec les bi- gram de l’ACKU, connu sous le nom ABLE, fut éta-

Un lieu inspiré et inspirant Au beau milieu du campus de l’université de Kaboul, l’ACKU. Le bâtiment en lui-même étonne par sa structure tant moderne que traditionnelle, sobre et surprenante, laissant présager une belle rencontre. Dès les premiers pas, c’est un sentiment d’apaisement qui vous envahit. De petites briques sombres et délicates aux murs, une lumière tamisée, de grandes baies vitrées bordant un patio où quelques arbres accordent, le temps d’un thé au soleil, un peu d’ombre aux étudiants, garçons et filles, ou chercheurs de passage. Des tapis afghans – évi- demment – et surtout des photos. Superbes photos, tour à tour historiques, contemporaines ou hors du temps. Cette première découverte laisse place à une autre, bien plus impressionnante : des pièces, des couloirs, des dédales emplis d’ouvrages, articles de journaux, cartes, publica- tions en tout genre. L’Afghanistan à travers les époques, observé par mille regards, du scientifique au poétique en passant par le fait journalistique. Une formidable mémoire prête à livrer ses secrets à qui veut bien prendre le temps de les écouter. Charline Ferrand

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 17 DOCUMENTATION

En juillet 2018, l’ACKU a lancé le premier Festival du Roman pour les Enfants et Jeunes Adultes. Ce festi- val visait à améliorer et enrichir la culture de la lecture et de l’écriture chez les enfants et les jeunes adultes ; ceci en identifiant et en encourageant les auteurs potentiels et créatifs d’ouvrages pour enfants et jeunes adultes, en incluant la culture de la lecture et de l’écriture chez les auteurs afghans, avec le message de l’alphabétisation et de la paix. Ce festival a eu un impact extraordinaire sur la littérature pour enfants en Afghanistan et a encou- ragé de nombreux auteurs à écrire pour les enfants et les jeunes adultes. Dans le cadre de son mandat d’améliorer la culture La salle d’étude de la bibliothèque. Photo Charline Ferrand universitaire au sein des institutions universitaires en Afghanistan, bli tout d’abord à Peshawar en 1996 afin de fournir l’ACKU propose des cours d’alphabétisation et du matériel de lecture aussi une méthodo- aux enfants privés d’une éducation de qualité. Le pro- logie de recherche, gramme ABLE a été activement impliqué dans le déve- des méthodes cri- loppement de l’alphabétisation en Afghanistan depuis tiques de la ré- plus deux décennies. A Peshawar, l’ACKU a mis du flexion et de la lec- matériel de lecture à la disposition des enfants étudiant ture, des analyses dans des écoles pour immigrés gérées par des agences documentaires et d’aide nationales ou internationales. Au cours de deux des cours pour les décennies d’aide ininterrompue en faveur de l’amélio- étudiants et les ration de l’alphabétisation, l’ACKU a aidé des milliers membres de la fa- d’enfants afghans à acquérir les compétences de base culté de l’Univer- pour lire et écrire. sité de Kaboul ainsi que pour d’autres universités situées Livret pour enfants. Photo Charline Ferrand à Kaboul. Ces cours Des milliers de livres aident les étudiants distribués en province en termes de bases de recherche universitaire et les pré- Au cours des cinq dernières années, le programme parent à la rédaction de leur thèse de diplôme univer- ABLE a conçu et édité des centaines de livres d’alpha- sitaire. bétisation pour les enfants et les jeunes adultes. Ces L’ACKU organise et accueille d’innombrables livres sont distribués dans chacune des 34 provinces conférences universitaires, séminaires de recherche et aux bibliothèques ABLE qui se trouvent dans les écoles lancements de livres sur des sujets tels que la politique, des communautés et écoles publiques., les mosquées et l’histoire, la littérature, l’anthropologie et d’autres dis- les autres organisations qui travaillent avec les commu- ciplines. nautés. Chaque jour, des centaines d’enfants et d’élèves Afin d’améliorer la culture de la paix et - delato (garçons et filles) ainsi que le public se rendent dans ces lérance, l’ACKU dirige aussi des dizaines d’exposi- bibliothèques, y apprennent de nouvelles connaissances tions sur l’art, l’histoire de l’Afghanistan, l’éducation et se développent. des jeunes filles, les droits des femmes, les droits de L’ACKU se félicite d’avoir joué un rôle important l’Homme, la justice et la tolérance dans la société. pour le développement de la lecture parmi la jeune gé- A une époque où l’information est devenue cruciale nération des élèves afghans qui avaient difficilement pour le développement des sociétés, l’ACKU rend ac- accès aux livres. En outre, sur la base de l’engagement cessible une quantité énorme de documents sur l’Afgha- de l’ACKU pour améliorer la lecture et l’alphabétisa- nistan, à destination des spécialistes, des étudiants et du tion en Afghanistan, l’ACKU a aussi aidé les Centres public. Ainsi, l’ACKU non seulement réalise la vision de Lecture des Communautés en fournissant des livres de sa fondatrice Nancy Hatch Dupree mais contribue pour enfants et pour adultes. L’ACKU a récemment fait aussi conformément à son slogan à construire une na- don de 500 exemplaires de matériel pédagogique à un tion grâce au partage de l’information. centre de lecture pour filles dans la partie ouest de Ka- boul, qui avait été frappé par l’explosion d’une bombe 1- Agency Coordinating Body for Afghan Relief and Development. Re- groupe plus d’une centaine d’ONG nationales ou internationales travaillant provoquant la mort de très nombreux élèves. en Afghanistan.

18 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 HISTOIRE Les lithographies britanniques de l’Afghanistan durant le Grand Jeu

par Geoffrey SCHOLLAERT *

Intérieur du Palais de Chah Chodja. James Rattray, 19ème siècle.

Le féru d’histoire de l’Afghanistan les a certainement observées ou du moins entraperçues lors de ses nombreuses lectures. Elles ont été un support à notre imagination dans la découverte de l’Afghanistan. G Schollaert nous détaille dans quelles circonstances elles ont vu le jour.

Les lithographies sont présentes dans plusieurs ou- donc d’imprimer sur papier, à l’aide d’une presse, un vrages de référence sur l’histoire afghane et sont sou- écrit, un dessin, tracé à l’encre grasse, au crayon gras vent riches d’enseignements. Si elles ont notamment sur une pierre calcaire. Très majoritairement en noir, permis d’ouvrir visuellement l’Afghanistan aux lec- la lithographie peut néanmoins être polychrome. On teurs du XIXème siècle, elles naissent également dans parlera alors de chromolithographie. Par extension, le un contexte particulier, celui du Grand Jeu . Elles té- terme lithographie s’est mis à désigner l’écrit, le dessin moignent souvent des pérégrinations de leurs auteurs en reproduit sur papier par le procédé de la lithographie. La Asie centrale, s’inscrivent résolument dans leur époque lithographie est née à Munich, en Allemagne, en 1796 et poursuivent des fins multiples. et serait due à l’imprimeur praguois Aloys Senefelder. La lithographie a connu son apogée au XIXème siècle. Uniquement adaptée à la reproduction d’illustra- Une révolution tions, elle permet l’essor de la diffusion du texte illus- de l’art graphique tré. Les dessins, les partitions, les schémas, les cartes, jusqu’alors rares dans les ouvrages vont ornementer Avant de développer en quoi la lithographie nous a per- les livres, offrir un rendu visuel à l’écrit ou complé- mis de parfaire notre connaissance de l’Afghanistan, il ter graphiquement un texte. Durant ce siècle, elle sera nous apparait important d’en définir les termes. Etymo- notamment utilisée par les peintres romantiques (Théo- logiquement, « lithographie » se compose de lithos (la dore Géricault), les impressionnistes (Edouard Manet) pierre) et de graphein (écrire). Elle désigne en fait deux et les affichistes (Henri de Toulouse-Lautrec). Au début éléments : le procédé technique d’impression et l’œuvre du XXème siècle, les plus grands artistes tels Pablo Pi- qui est née de cette même technique. Le procédé permet casso, Henri Matisse ou Marc Chagall reprendront cette 1- Ancien chef de mission d’Afrane en Afghanistan. Auteur de nombreux technique et connaitront un succès certain. Jusqu’alors articles pour Les Nouvelles d’Afghanistan. procédé par excellence de la reproduction des images,

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 19 HISTOIRE la lithographie laissera sa place, au milieu du XXème Anonyme. ème siècle, à la technique de l’offset dont elle est à l’origine. Alexandre Burnes, 19 siècle. Son succès, comparativement aux techniques de gravure utilisées jusqu’alors, tient à sa relative facilité d’exécution. L’artiste peut dessiner sur la pierre comme Travels into Bokhara, il a l’habitude de le faire sur du papier, avec relative- traduit en français par ment peu de contraintes techniques, quoi qu’il doive « Voyage à Bukhara dessiner en inversant la droite et la gauche. Les pierres ». et les plaques de métal peuvent être réutilisées après En 1836, Alexan- impression, moyennant respectivement un polissage ou der Burnes est char- un nettoyage au moyen d’une solution acide. gé de négocier avec les khans de Kaboul et . Il ren- contre Dost Moha- Une fenêtre med Khan et estime sur le monde que les Britanniques La lithographie au XIXème siècle a notamment ser- peuvent trouver un terrain d’entente avec lui. Ses supé- vi à illustrer les récits de voyage très en vogue à cette rieurs ne sont pas convaincus de sa fiabilité et décident époque et intervient donc, pour le sujet qui nous oc- de détrôner Dost Mohamed au profit de Chah Chodja, cupe, dans le contexte du Grand Jeu. Les lithographies alors exilé au Pendjab. Alexander Burnes accompagne ayant pour sujet l’Afghanistan sont très majoritairement en 1839 l’expédition visant à installer Chah Chodja à le fait de voyageurs, de militaires, d’intellectuels bri- Kaboul. Il y restera à ses côtés en tant que résident an- tanniques ayant pris part, peu ou prou, aux différentes glais. Il décédera de manière dramatique en novembre campagnes qui ont traversé l’Asie centrale. Certains 1841 dans la capitale afghane. Son récit Cabool, publié auteurs et artistes nous ont d’ailleurs laissé des œuvres à Londres en 1842 – traduit en français par « Mission à de grande qualité, au style propre et représentant des Kaboul. La relation de Sir Alexander Burnes » – décrit sujets récurrents aisément reconnaissables : le voyage et relate la mission diplomatique effectuée entre 1836 et 1838. Ces deux ouvrages sont richement illustrés de nom- Sir Alexander Burnes breuses lithographies. Celles-ci représentent des indi- vidus, majoritairement anonymes, plus rarement des Explorateur et voyageur britannique, envoyé d’abord groupes, et divers paysages naturels ou urbains. Cer- comme cadet aux Indes en 1821. En 1828, il est se- taines lithographies ont été colorisées pour illustrer les cond chef de l’état-major. En 1830, il est chargé d’une éditions plus tardives. mission diplomatique auprès du radjah de . Son succès lui permet d’être autorisé à voyager en Asie cen- trale. Il y explore notamment le Turkestan, Boukhara, Balkh et certaines zones de l’Afghanistan. Cette expé- Sir Vincent Eyre rience sera relatée de manière exhaustive en 1834 dans Le major Vincent Eyre (1811-1881) était un officier de l’Armée des Indes. Envoyé à Kaboul en avril 1840, il ème Les idoles géantes de Bâmyân. Alexandre Burnes, 19 siècle. sert la Couronne britannique en tant qu’officier d’in- tendance durant la première guerre a n g l o - a f g h a n e (1839-1842). En jan- vier 1842, Vincent Eyre alors officier d’intendance, et sa

Portrait d’Akbar Khan. Vincent Eyre, 19ème siècle.

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Hayder Khan de . James Rattray, 19ème siècle.

afghane (1839- 1842) et est notamment sta- tionné à Ghazni en 1839/40 et à Kandahar en 1841. Il est l’auteur de Scenery, Inhabi- tants & Costumes, of Afghaunistaun from drawings Scène de captivité. Vincent Eyre, 19ème siècle. made on the spot2, publié initialement en 1847 et réédité en 1848. James Rattray y a réalisé famille sont capturés par le Général Mohammed Akbar les esquisses lors de ses séjours en Afghanistan. Celles- Khan et fait prisonniers pendant neuf mois. ci ont servi de modèle à plusieurs artistes. Robert Car- Durant sa captivité, Vincent Eyre a tenu un journal, rick, lithographe et graveur britannique, en a réalisé décrivant ses expériences, et l’a illustré de différents la plupart. Les paysagistes William Walton, Frederick croquis. Ceux-ci représentent généralement des gradés William Hulme et le lithographe Edmund Walker ont britanniques et leurs épouses, mais aussi des officiers également participé au rehaussement des œuvres de afghans, tel le célèbre portrait traditionnellement consi- James Rattray pour les publications. Contrairement déré comme étant celui d’Akbar Khan. Plusieurs pay- aux lithographies majoritairement illustratives de cette sages, notamment de la vallée de Bamiyan, ont aussi été époque, les planches présentes dans son ouvrage sont représentés. Le manuscrit a été envoyé clandestinement l’objet de nombreux commentaires, explications et des- en Inde et a été publié en février 1843 sous le titre : criptions. Costumes tribaux, lieux cultuels, sites mili- The military operations at Cabul, which ended in the taires ou vues urbaines constituent l’ensemble de cette retreat and destruction of the British Army, with a jour- œuvre collaborative. Des données historiques et ethno- nal of imprisonment in Afghanistan, traduit en français logiques sont également développées et ont largement par « l’Armée anglaise en Afghanistan ». L’ouvrage a contribué à la diffusion de la connaissance de l’Afgha- suscité rapidement un immense intérêt et sera réédité nistan dans les milieux intellectuels britanniques. dans une version augmentée par sa main en 1878. Vin- cent Eyre et sa famille ont été secourus et libérés en septembre 1842 par Sir George Pollock. Son œuvre li- Le docteur Sir James Atkinson thographique, initialement réalisée en noir, retouchée et Contrairement aux auteurs précités, James Atkinson colorisée plus tard, témoigne d’une grande délicatesse (1780-1852) n’a pas porté les armes. S’il a fait partie et d’un sens graphique certain. de l’armée britannique, c’est avant tout en qualité de chirurgien et de lin- guiste. Après avoir James Rattray officié en Inde - pen Tout comme Alexander Burnes et Vincent Eyre, James dant plus de trente Rattray était un militaire de carrière. Après plusieurs ans en tant que mé- années de decin, étudié les service en langues orientales Inde, il et traduit plusieurs participe à œuvres littéraires la première persanes (notam- g u e r r e ment une partie a n g l o - du Chah Namah en 1814), il rejoint

Costumes tribaux. Guerriers. James Rattray, James Atkinson, 19ème siècle. 19ème siècle.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 21 HISTOIRE

gie, de la linguistique, de l’anthropologie, des sciences humaines. La volonté était de collecter, classifier et contrôler l’information sur la région et ses cultures. Ce n’est ainsi pas un hasard si de nombreux intellectuels étaient intégrés aux différentes expéditions. En ce sens, on observe des similitudes avec l’expédition en Egypte de Napoléon.

Orientalisme et récit de voyage Parallèlement, en Europe se développent deux phéno- mènes qui se renforcent mutuellement. L’orientalisme et le récit de voyage. Ces deux approches sont large- ment antérieures au XIXème mais connaissent un essor important suite à l’accroissement des connaissances et Vue de Kaboul depuis le fort de Bala Hissar. James Atkinson, 19ème siècle. aux évolutions techniques dans de nombreux domaines. Le mouvement orientaliste, né un siècle plus tôt, connait son apogée. De nombreux domaines artistiques sont l’Armée des Indes en 1838 et est nommé chirurgien touchés, mais ce sont surtout la littérature et la peinture en chef de la division du Bengale. Il participe à l’ex- qui engendrent les plus belles œuvres. L’Orient, souvent pédition britannique visant à déloger Dost Mohamed. fantasmé, plait, intrigue, passionne. Dans ce contexte, Rappelé en Inde en décembre 1840 et échappant à la la reproduction d’œuvres réalisées sur le terrain a un déroute de l’armée britannique, il publie en 1842 son succès certain. Quant aux récits de voyage, ils naissent journal The Expedition into Afghanistan3. L’ouvrage avec le Devisement du monde de Marco Polo (XIIIème débute par un chapitre sur les raisons de l’expédition siècle) mais l’expansion coloniale européenne du XI- - la menace russe pour l’Afghanistan -, puis par une Xème siècle lui donne un souffle nouveau. Le récit, histoire de Chah Chodja et de la dynastie des Dorranis. contrairement au roman, se base sur le réel, apporte un Les autres chapitres décrivent l’avancée de l’armée des témoignage, rend compte d’impressions, d’aventures, Indes sur Kandahar, la marche vers Ghazni, la prise de de l’exploration de contrées lointaines. Il raconte une Kaboul et l’expédition vers Djalalabad. vérité mais est enrichi de jugements, de points de vue Homme de lettres mais aussi dessinateur talentueux, ou de réflexions personnelles. Les témoignages rédigés James Atkinson a croqué de nombreuses scènes durant sur place connaissent non seulement un succès dans les son expédition. En 1842 également, il publie : Sketches milieux intellectuels mais aussi auprès du grand public. from Afghanistan (Esquisses de l’Afghanistan)4, com- Les ouvrages consacrés au Grand Jeu et agrémentés pilant 25 planches illustrant surtout l’armée des Indes de lithographies concourent à renforcer ces deux phé- en campagne dans des paysages principalement ruraux. nomènes artistiques européens. Ils apportent ainsi un Ses dessins sont d’une grande finesse et d’une grande témoignage personnel, visuel sur une région du monde précision. Les jeux d’ombre et de lumière donnent aux encore mal connue. Enfin, le développement de la li- planches une atmosphère onirique. Sir James Atkinson thographie et la possibilité de diffuser des illustrations est considéré comme un pionnier de la recherche orien- à grande échelle et à faible coût préfigurent la place de tale qui permit une meilleure connaissance de la culture l’image dans nos sociétés. L’image va ainsi acquérir persane et afghane en Grande–Bretagne et au–delà. peu à peu une place prépondérante dans les livres de toute nature et plus globalement dans nos sociétés. Au-delà du contexte militaire Loin d’être exhaustive – citons également Sir Claude 1- «Le Grand Jeu» désigne la rivalité coloniale entre la Russie et la Grande- Martin Wade, Lockyer Willis Hart et John Frederick Bretagne en Asie au XIX e siècle. Irwin -, cette liste témoigne du contexte dans lequel les 2- Ce livre n’a pas été traduit en français. Le titre peut être compris par : lithographies concernant l’Afghanistan ont vu le jour, « Paysages, habitants et costumes de l’Afghanistan, à partir de dessins réa- lisés sur le terrain ». celui du Grand Jeu. Les Britanniques occupent en effet 3- The Expedition into Afghanistan: notes and sketches descriptive of the la région durant tout le XIXème. Les œuvres lithogra- country contained in a personal narrative during the campaign of 1839 & phiques qui nous sont parvenues sont donc logiquement 1840, up to the surrender of Dost Mohamed Khan. (L’expédition en Afgha- nistan : notes et esquisses descriptives du pays, dans un récit personnel de la quasi exclusivement britanniques. Si elle nait dans un campagne de 1839 et 1840, jusqu’à la capitulation de Dost Mohamed Khan. contexte militaire, la lithographie s’inscrit ici dans un 4- Certaines esquisses représentent des scènes croquées également dans projet plus vaste, celui du développement de l’archéolo- l’actuel Pakistan : Quetta, Rorhi ou l’Indus.

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Joseph Hackin 1939-1940

par Gilles ROSSIGNOL*

Le hasard a mis entre les mains de l’auteur divers documents concernant Jo- seph Hackin durant la période allant de février à avril 19401. Ils dévoilent un aspect méconnu de la personnalité de l’ancien chef de la Délégation archéolo- gique française en Afghanistan.

Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre décla- bas où vous serez plus utile qu’à la tête d’un bataillon rent la guerre à l’Allemagne, qui vient d’envahir la en dépit de votre désir si nettement exprimé. J’aurais Pologne. Joseph Hackin se trouve alors à Kaboul. Il y voulu vous voir attaché militaire à Kaboul, mais je me poursuit ses campagnes de fouilles, notamment à Be- suis heurté à un certain nombre de difficultés. » gram, capitale d’été des rois kouchans, où il a mis au Sans en avoir le titre, Hackin en exercera pourtant jour, deux ans auparavant, un fabuleux « trésor ». les fonctions. Pour conforter sa position auprès des au- Né Luxembourgeois en 1886, naturalisé français en torités afghanes et britanniques, il sera d’ailleurs pro- 1912, Joseph Hackin a effectué en 1914-1918 ce que posé pour être nommé, « à titre fictif », au grade de chef l’on a accoutumé d’appeler « une brillante guerre » sur de bataillon6. le front d’Orient. Il la termine comme lieutenant, trois Perruche lui annonce ensuite qu’il sera rattaché fois blessé, décoré de la croix de guerre et de la Légion à l’état-major du Théâtre d’opérations au Moyen- d’honneur. Une correspondance s’est engagée avec les Orient (TOMO) à Beyrouth, dont le chef est le général autorités militaires à Paris concernant son affectation. Weygand, mais il lui précise qu’« il est bien entendu, et je le répète à Gasser7, que vos informations seront en double : un exemplaire pour le général Weygand et un exemplaire pour l’E.M.A. 5ème Bureau S.R. » Per- Plus utile à Kaboul ruche ajoute que Hackin rencontrera prochainement le Parallèlement à ses activités d’archéologue et de chef de poste S.R. [services de renseignement] à Bey- conservateur du musée Guimet, d’ancien membre de la routh, le commandant Bertrand, ainsi que le comman- « Croisière Jaune » et d’ancien directeur de la maison dant Antoine Poidebard. Celui-ci est un personnage franco-japonaise de Tokyo, Hackin est aussi capitaine original : jésuite, ancien aumônier militaire, il est un de réserve. À la déclaration de guerre avec l’Allemagne, pionnier de la reconnaissance archéologique aérienne il a demandé à être affecté dans une unité combattante, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord8. mais cela lui a été refusé. Le commandant André Per- Perruche détaille ensuite à Hackin ce qu’il attend ruche, adjoint au chef du 5ème Bureau2 lui écrit le 26 de lui : des informations sur le Turkestan russe et la février 1940 : « J’ai suivi indirectement ou directement possibilité d’y faire de la propagande, sur les Bast- votre activité par Pelliot3 et Stern4 ainsi que Marx5, et matchis9 réfugiés en Afghanistan, et sur d’éventuelles nous avons tous été d’accord pour vous maintenir là- menées soviétiques de nature à inquiéter l’Inde britan- nique. L’existence du Pacte germano-soviétique, signé en août 1939, faisait en effet de Staline un allié objectif * Ancien président d’AFRANE, auteur de Afghanistan Chroniques d’his- toire, Ceredaf, 2018 d’Hitler mais, dans tous les cas, l’URSS apparaissait

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Beyrouth 1939. Derrière le général. Weygand (au centre),l e capitaine Roger Gasser, le correspondant de Joseph Hackin. « Il est bien entendu, et je le répète à Gasser, que vos informations seront en double : un exemplaire pour le général Weygand et un exemplaire pour l’E.M.A. 5ème Bureau S.R. »

Il y arrive via l’Inde, par avion, le 13 mars, muni d’un copieux rapport manuscrit en deux parties. La première se rapporte à l’Inde bri- tannique, et plus particulièrement à la frontière Nord-Ouest, où Hackin décrit les troubles in- cessants auxquels doivent faire face les Britan- niques, ainsi que les liens unissant les tribus de part et d’autre de la ligne Durand. Il signale que les Soviétiques pourraient trouver des avan- tages à fomenter des rébellions sur cette partie de l’empire des Indes, et indique qu’un Russe parlant couramment le pachto et le dari a été ar- rêté le 25 février 1940 près de Shabkadar, à 25 km au nord de Peshawar, alors qu’il cherchait à pénétrer sur le territoire de la tribu des Mohmands. comme une puissance hostile aux démocraties occiden- La seconde partie du rapport, la plus dense, est tales. Ainsi s’expliquait probablement l’insistance des consacrée à l’Afghanistan. Hackin explique qu’il a ses services français pour obtenir des renseignements sur entrées au plus haut niveau de l’État, notamment au- l’action de l’URSS en Afghanistan et à ses pourtours. près du Premier ministre, Hachem Khan : « Je connais S’agissant de l’Iran, où œuvrait un attaché militaire personnellement le Premier ministre depuis 1925, et français, Perruche explique qu’il y a récupéré un agent les attentions dont je l’ai entouré alors qu’il résidait travaillant naguère pour les services de renseignements en France avec son frère ([devenu ensuite] le roi Na- polonais. Il indique aussi qu’il « y a envoyé Girshman10 dir Shah, assassiné en 1933) en demi-exil, l’a beaucoup entre autres et je ne sais trop ce que vous en pensez touché. » Ces relations privilégiées agaçaient d’ailleurs (…) Dites-moi votre avis, je le crains un peu (votre Jean-Baptiste Barbier, ministre de France de 1937 au avis) ! » Il semblerait que le caractère un peu exalté de début de 1940, qui se sentait dépossédé de ses préroga- Girshman et ses imprudences verbales aient été redou- tives protocolaires. tés, comme cela devait se vérifier par la suite. Girshman Le Premier ministre, avec une poigne de fer, ne s’em- devait en effet diriger la DAFA à partir de 1941, mais, barrassait pas de sentiments pour assurer l’autorité de pour diverses raisons, il déplut aux autorités afghanes l’État. La famille Tcharkhi, fidèle au roi Amanollah, en qui demandèrent son rappel et refusèrent de le recon- avait été la victime, et de sanglantes répressions avaient duire à la tête de la DAFA en 194511. suivi l’assassinat de Mohammad Aziz Khan, frère du roi, à Berlin le 6 Perruche précise enfin qu’il met à la disposition de Hachem Khan., que Hackin connaissait depuis 1925 Hackin, dans un premier temps, la somme considérable juin 1933, puis de 50 000 francs12 pour ses dépenses et l’éventuelle ré- celui de Nader munération d’informateurs, à justifier par « une comp- Chah lui-même tabilité simple ». Il ajoute qu’il s’efforce de lui obtenir le 8 novembre un poste de radio pour communiquer avec Beyrouth. suivant13. Hackin Le capitaine Hackin prend très au sérieux sa tâche. Il décrit pourtant occupe en effet une position stratégique pour observer Hachem Khan ce qui se passe aux confins de l’empire des Indes et de comme « un l’Union Soviétique. Il joindra d’ailleurs à son premier homme remar- rapport une carte extrêmement détaillée de l’Afghanis- quable, malheu- tan, avec l’état des routes et l’indication des principaux reusement mal groupes ethniques. secondé ». Selon l’archéologue, « le gouver- nement actuel, Le gouvernement afghan composé en par- Le 5 mars, il reçoit un télégramme de Paris le convo- tie de membres quant à Beyrouth « pour une étude archéologique ». de la famille ré-

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Fouilles du site de Begram, 1939 (ci-dessus). A droite, Joseph Hackin examinant une plaque d’ivoire trouvée à Begram,1937; « Vous serez plus utile à Kaboul ». Photos DAFA

gnante, est (…) divisé par une grave querelle qui met aux prises, d’une part le ministre de la Guerre, S.A.R. Shah Mahmoud Khan, demi-frère du premier ministre, cun effort pour rénover et accroître l’armement ». Il et, d’autre part, S.A.R. le général Daoud Khan14, ne- ajoute qu’« il est fâcheux (…) que quelques chefs des veu du Premier ministre et fils du Serdar Mohammed tribus loyales aient été admis dans les rangs de l’armée Aziz Khân, frère aîné de S.M. Nadir Shah et du pre- et pourvus de commandements qu’ils sont incapables mier ministre, assassiné à Berlin en 1933. Le ministre d’assurer. » de la Guerre ne favorise pas, de l’avis du général Daoud Khân, la modernisation de l’armée (…), ne faisant au- Soulignant la communauté de pensée entre Daoud et son demi-frère, le sardar Naïm15, ministre de l’Éduca- Deux artéfacts du Trésor de Begram : à gauche : Déesse fluviale, 1er siècle ; à droite : tion, Hackin précise toutefois que « bien que le prince vase bleu à décor de résille, 1er siècle. Photos Musée Guimet. Daoud ait fait son éducation en France, il sembl[e] plu- tôt incliner du côté allemand, sans excès toutefois, le trait dominant de son caractère paraissant être une xé- nophobie marquée». S’agissant du ministre de l’Écono- mie nationale, Abdul Madjid Zaboli, homme d’affaires prospère, créateur de la Banque centrale d’Afghanistan, il le décrit comme « notoirement germanophile ». Dans une lettre ultérieure, il précisera que Zaboli « a partie liée avec les Allemands, dont il a favorisé toutes les en- treprises. »16 « Dans l’ensemble, poursuit Hackin, le gouverne- ment n’est pas populaire. Les expériences onéreuses qu’il a eu l’occasion de faire pendant ces dernières an- nées avec l’aide de techniciens européens, allemands en majorité, n’ont pas été très satisfaisantes quant aux résultats. Les ponts construits à grands frais ont été em- portés par la première crue, par contre les barrages n’ont pas retenu l’eau qu’ils devaient capter, la construction des usines se poursuit avec une extrême lenteur (coton, sucre, savon, etc.). Mais rien n’endigue la montée des prix. L’augmentation du prix des denrées de première nécessité crée dans les villes un mouvement de fort mé- contentement. »

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Kaboul dans les années 1930. Photo G. Dollot

de tout autre gouvernement ; peu lui importe si, par ce moyen, il peut as- souvir sa vengeance. Gholam Siddiq est anglophobe et francophobe. Si des troubles éclatent dans le nord de l’Afghanistan, Gholam Siddiq ne sera pas loin. » Dans une note, Hac- kin estime que « Gholam Siddiq a été l’instigateur direct de l’assassinat de Mohammed Aziz Khan, frère aîné du roi Nadir Shah, et de l’assassinat de Nadir Shah ». Dans le cas où la menace sovié- Hackin abordera ensuite les sujets intéressant en tique se préciserait, Hackin observe toutefois que les priorité les services français de renseignement : les ten- Britanniques, très impopulaires dans les milieux na- tatives soviétiques et allemandes pour interférer dans tionalistes, ne pourraient pas prendre d’initiatives trop les affaires afghanes. voyantes pour aider le gouvernement afghan à y parer. Il suggère, dans cette hypothèse, que la France puisse « fournir une aide matérielle discrète à l’Afghanistan ». Les menées soviétiques S’agissant des intentions de l’URSS, il signale que « le gouvernement des Indes est nettement conscient Les turbulents Basmatchis du danger qu’une menace russe, intervenant sous le ca- Dans son rapport de mars 1940, Hackin signale que des mouflage d’une révolution intérieure afghane, pourrait troubles dus aux Basmatchis ont lieu dans le Ferghana, faire courir à l’Inde ». Il admet toutefois que « cette ancien khanat de Kokand. Agissant par petits groupes éventualité reste imprécise » et qu’il serait « préférable de cavaliers, ils harcèlent les postes tenus par de petites de songer aux moyens de parer à une menace soviétique garnisons soviétiques. Il existe en outre à Tachkent un marquée sur l’Afghanistan. » La propagande soviétique foyer d’agitation ; ses meneurs sont peu nombreux mais est en effet active dans le nord, et en 1931, l’URSS a en- actifs, au point de déléguer un de leurs membres à Ka- couragé, selon Hackin, une insurrection séparatiste me- boul, Kuchur Mohammad, chargé d’entrer en contact née par Ibrahim Beg. Hackin observe toutefois qu’en avec les réfugiés ouzbeks. Dans son rapport d’avril, raison des famines survenues dans les Républiques so- Hackin mentionne d’autres actions des Basmatchis dans viétiques d’Asie centrale17, « l’afflux en Afghanistan de les districts de Rochan et de Chighnan, limitrophes du réfugiés Turkmènes et Uzbeks a contre battu très effica- Badakhchan ; ils ont également délégué en Afghanistan cement la propagande bolcheviste ». un émissaire pour recruter des Ouzbeks réfugiés. Hackin donne alors d’intéressantes précisions sur Hackin limite toutefois la portée de ces troubles : le rôle de Gholam Seddiq Tcharkhi, frère de Gholam « Je n’ai pas l’impression que ce mouvement insur- Nabi exécuté sur ordre de Nader Chah. Il rappelle que rectionnel (…) puisse mettre en danger la domination l’URSS pourrait soutenir un parti d’Ouzbeks et de Turk- russe, mais il inquiète suffisamment les autorités- so mènes pour fomenter des troubles, comme cela avait viétiques pour représenter aux yeux du gouvernement été le cas « en 1929, dans le temps que Gholam Nabi, afghan une opportune diversion à ses soucis. Les auto- ancien ministre d’Afghanistan à Paris, tentait de rame- rités soviétiques ont considérablement renforcé la garde ner l’ex-roi Amanullah sur le trône. Des jeunes Afghans de la frontière russo-afghane et apporté de sévères res- qui se trouvaient alors dans l’entourage de Gholam trictions à la circulation. » Nabi m’ont donné des détails sur l’aide russe fournie aux partisans d’Amanullah dans le nord de l’Afghanis- tan. Si Gholam Nabi, mis à mort sur l’ordre de Nadir Shah à Kâbul en 1932, n’est plus là pour reprendre une La pression allemande agitation de cet ordre, son frère Gholam Siddiq, animé Au début de 1940, Hackin estime le nombre d’Al- d’un farouche esprit de vengeance, est toujours prêt à lemands présents en Afghanistan à 150. Il craint que agir et serait l’homme des Soviets, qu’il soit question quarante autres « techniciens » ne les rejoignent pour d’une restauration amanulienne ou de l’établissement préparer une action majeure : « Avec les Allemands

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magne menaçait de durer était alors largement répan- due. En mai-juin 1940, la déroute franco-anglaise fut pourtant aussi soudaine que spectaculaire… Le 5 juillet, Hackin télégraphia son ralliement au général de Gaulle. Il quitta Kaboul pour Londres le 18 août en compagnie de son épouse, « Ria »19, de l’ar- chitecte de la DAFA, Jean Carl, et d’André Beaudouin, 20 Signature de Joseph Hachkin, 1934. professeur au lycée Esteqlal . Le 24 février 1941, mu- nis d’un ordre de mission du chef de la France libre, Hackin et son épouse périrent dans le torpillage du « du type de ceux que nous avons ici, il faut s’attendre Jonathan Holt », sur lequel ils avaient pris place pour à tout », écrit-il. Il envisage l’éventualité d’un coup se rendre en Inde. Apprenant la nouvelle à Londres, le de force avec la complicité des Afghans germanophiles, fidèle Jean Carl se donna la mort. qui aboutirait à porter au pouvoir des nationalistes pre- nant aussitôt position contre l’Angleterre. Il considère 1- Ces documents proviennent d’archives conservées par le colonel Paul que cette probabilité est mince, mais rappelle « qu’un Paillole (1905-2002), l’un des chefs des services secrets français avant et pareil coup a failli réussir en 1916, à l’instigation de von pendant la seconde guerre mondiale. 2- Une réforme était intervenue en 1939. Les activités du 2è Bureau avaient Niedermayer et de von Hentig (actuellement l’un des été scindées. Le 5è Bureau, nouvellement créé, dirigé par le futur général directeurs de la section d’Asie à la Wilhelmstrasse) ». Louis Rivet (1883-1958), chapeautait l’ensemble des services de rensei- De fait, la mission conduite par les deux hommes, ac- gnement. 3- Paul Pelliot (1878-1945), sinologue, membre de l’Académie des inscrip- compagnés par des officiers turcs, avait clairement eu tions et belles-lettres. pour objet d’obtenir de l’émir Habibollah une interven- 4- Henri Stern (1902-1968), archéologue, spécialiste des mosaïques de Mé- 18 tion militaire contre l’Inde britannique . L’émir s’en diterranée orientale et de l’art islamique primitif. était tenu à une stricte neutralité entre les belligérants, 5- Jean Marx (1884-1972), chartiste, chef du service des œuvres françaises tout comme devait le faire le gouvernement afghan lors à l’étranger au ministère des Affaires étrangères. de la seconde guerre mondiale. 6- Lettre de demande du général commandant le TOMO au général en chef Gamelin, Cabinet n°5/W.P, (sans quantième dans la copie) avril 1940. Les Allemands mènent également des actions de 7- Le capitaine Roger Gasser était le chef de cabinet de Weygand. propagande suivies et efficaces. Selon Hackin, de nom- 8- Antoine Poidebard (1878-1955) était très utile à l’armée en Syrie car breux « techniciens » allemands sont des agents d’in- ses reconnaissances permettaient de suivre les déplacements des nomades fluence, ce qui rejoint l’opinion du ministre anglais de toujours turbulents dans ce qui était alors un protectorat français. 9- Les Basmatchis, musulmans turcs et ouzbeks, s’étaient révoltés en 1921 l’époque, Frazer-Tytler. Hackin signale que des tracts contre les Bolcheviks. Ils continuèrent à susciter des troubles longtemps pro allemands en persan ont été répandus dans le ba- après leur défaite en 1922. zar de Kaboul. La légation anglaise a obtenu de faire 10- Roman Girshman (1893-1979), d’origine ukrainienne, s’était réfugié en interdire ces distributions, mais les « agents allemands France après la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Cet archéologue devint un spécialiste de l’Iran ancien. Membre de l’Académie des inscriptions et ne se sont pas tenus pour battus et distribuent actuelle- belles-lettres. ment des cartes portant des légendes en allemand (…) 11- Voir notre Afghanistan Chroniques d’histoire, Ceredaf, 2018, pp. 102- montrant que la situation de l’Allemagne est différente 103. et plus favorable qu’en 1914, que la manœuvre d’en- 12- Correspondant au pouvoir d’achat d’environ 2 millions d’euros suivant le tableau de conversion de l’INSEE. cerclement a échoué et que l’Allemagne doit vaincre ». 13- Voir dans Afghanistan, chroniques d’histoire, « Une année terrible : Hackin souligne que le bulletin d’information en 1933 », pp. 71-77. persan diffusé par Radio Berlin le soir à 9h30 est très 14- Il s’agit de Mohammad Daoud (1911-1978), futur premier ministre et écouté : « Il exerce, écrit-il, une action particulièrement président de la République. Il était alors chef de l’armée. 15- Mohammed Naïm Khan (1911-1978), futur ministre des Affaires étran- préjudiciable à nos intérêts. Beaucoup de gens simples gères. s’imaginent ici que c’est une émission du poste de Kâ- 16- Lettre à Gasser, (sans quantième) avril 1940. Sur la germanophilie de bul. Il va sans dire que les Allemands ne font rien pour nombreux dirigeants afghans, voir Farhang, Afghanistan, les cinq derniers détromper des naïfs qui admettent sans discussion les siècles, II, pp. 114-120. pires énormités. Les Allemands, qui connaissent ce pu- 17- Ces révoltes étaient dues à la famine. En Ouzbékistan 1,4 million de personnes en moururent sur un total de 4 millions. blic dépourvu de tout esprit de critique, forcent la note 18- Le général Oscar von Niedermayer (1885-1948) était professeur de tac- dans des proportions invraisemblables et ils réussissent. tique. Il mourut dans une geôle russe. Werner Otto von Hentig (1886-1984), Personne n’accorde la moindre importance aux émis- diplomate, occupa différents postes à la Wilhelmstrasse. Après la guerre, il fut ambassadeur de la RFA en Indonésie, puis, en retraite, conseiller de la sions en langue persane du poste de Delhi.» Celles-ci famille royale d’Arabie saoudite. sont d’ailleurs souvent brouillées, et Hackin soupçonne 19- Diminutif de Marie Hackin (1905-1941). Comme son mari, elle fut les techniciens allemands travaillant à la centrale élec- nommée compagnon de la Libération par décret du général de Gaulle en trique de Pul-e Khumri d’en être responsables. date du 13 mai 1941. 20- Avec le grade de commandant, il devint le directeur de l’école des ca- L’opinion suivant laquelle le conflit avec l’Alle- dets de la France Libre, futurs officiers, à Malvern (Worcestershire).

Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 27 Dernières nouvelles

blessés. Chronologie Le district de Demirdâd (prov. de War- dak) tombe aux mains des Tâlebân. - Le 10 : Près de 60 policiers et soldats sont tués dans les provinces Sar-e Poul longue maladie. Agé d’un peu plus de 70 Septembre 2018 (où des Tâlebân s’emparent d’une base ans, il avait fondé dans les années 1980 le militaire), de Kunduz, de Samangan et de - Début septembre : Une sévère séche- réseau éponyme pour lutter contre la pré- Djaozdjân. resse sévit actuellement en Afghanistan, sence de l’URSS en Afghanistan ; il était à - Le 11 : A 70 km de Djalâlâbâd, dans le touchant 15 000 villages dans la province la tête d’un puissant réseau armé islamiste district de Mohmand Dara, l’attaque d’un centrale de Bâmyân, et quelque 3000 fa- faisant partie des Tâlebân. Des rumeurs groupe de personnes manifestant contre la milles dans la province de Ghor. Selon les avaient annoncé sa mort en 2008 déjà, puis nomination d’un nouveau chef de la police Nations unies, dans l’ouest du pays, 275 en 2015 sans qu’elle soit confirmée. Depuis fait 68 tués e 165 blessés. L’attentat est re- 000 personnes ont dû quitter leurs villages. plusieurs années, ses fils avaient pris la re- vendiqué par Daech. L’Afghanistan, où près de 20 millions de lève et dirigeaient les opérations. - Le 12 : Réunis à Kaboul, des politiciens personnes dépendent de l’agriculture, a en- Les forces afghanes reprennent le district et dirigeants afghans de divers mouvements registré une baisse de 45% de sa production stratégique de Nahrin (prov.de Baghlân). agricole cette année. Au total, 2,2 millions politiques demandent de revoir l’accord de personnes sont touchées par la séche- A l’occasion de la Journée internationale bilatéral de sécurité signé entre l’Afgha- resse dans le pays. de l’alphabétisation, le ministre afghan nistan et les États-Unis le 30 septembre Dans la province de Badghis, environ 40% par intérim de l’Éducation déclare qu’ac- 2014, compte tenu de la détérioration de du bétail aurait été perdu en raison du tuellement 3,7 millions d’enfants (soit la la situation sécuritaire du pays. Parmi ces manque de pâturage et de fourrage. moitié des enfants de 7 à 17 ans) sont pri- personnalités, on compte l’ancien président Le 23 septembre, le gouvernement amé- vés d’école en raison du conflit, de la pau- Hâmed Karzaï, Sebghatullah Modjadeddi ricain annonce une aide de 44 millions de vreté et de la discrimination à l’égard des (Front de libération nationale), Mohammed dollars en faveur des familles touchées par filles. On estime que 31% de la population Mohaqeq, 2e adjoint du chef de l’exécutif, la sécheresse. adulte sont analphabètes et environ 83% Pir Sayed Hamed Gailani (Front national - Début septembre : Depuis janvier 2018, des femmes. islamique). 492 343 réfugiés afghans sont rentrés - Le 5 : A Kaboul, 20 personnes sont tuées - Le 16 : Les Tâlebân dynamitent un d’Iran. « La plupart des rapatriés d’Iran et 70 blessées dans un double attentat dans grand pont reliant 40 villages isolés au dis- sont des jeunes qui ont émigré en Iran un club sportif du quartier chiite de Dacht-e trict de Markaz-e Baghlân. pour chercher du travail, mais en raison Bartchi. Parmi les victimes figurent deux - Le 18 : La Direction de l’état civil en des sanctions frappant l’Iran et de l’effon- journalistes accourus sur les lieux. L’atten- Afghanistan met fin au processus de distri- drement de la monnaie iranienne, ils sont tat est revendiqué par l’État islamique. bution de la carte d’identité nationale (taz- rentrés au pays », a déclaré le ministère aux Selon le Bureau de la coordination des kira) suite au désaccord sur l’utilisation du Réfugiés. Selon l’OIM, l’Iran accueille ac- affaires humanitaires de l’ONU, plus de terme « Afghan » comme nationalité. tuellement 2,14 millions d’Afghans. 200.000 personnes ont été contraintes de- - Le 19 : A New Delhi où il reçoit le prési- - Le 1er : La réhabilitation de la route puis le début de l’année de quitter leurs dent Achraf Ghani, le Premier ministre in- du col du Salang a commencé. Le tunnel villes ou leurs villages en Afghanistan dans dien Narendra Modi déclare que l’Inde est du Salang, 2,67 km, construit par l’Union le contexte de la lutte contre les Tâlebân. A prête à entreprendre différents projets : bar- soviétique en 1964, relie le nord du pays mi-août, la prise éphémère de Ghazni par rage de Chahtout, énergie solaire et pompes à Kaboul. les Tâlebân a chassé plus de 30 000 per- à eau, approvisionnement d’eau potable et - Le 2 : Le général américain Austin sonnes de leurs foyers. En 2017, l’ONU développement rural, ainsi que livraison de Scott Miller prend la tête des forces amé- avait dénombré 450 000 personnes dépla- 1000 bus. ricaines et de l’Otan en Afghanistan. Il suc- cées à l’intérieur du pays pour cause d’in- - Le 20 : Entre janvier et mi-août 2018, cède au général John Nicholson. Il promet sécurité. la Turquie a vu arriver près de 60 000 mi- d’intensifier ses efforts pour renforcer les - Le 6 : L’ambassadeur d’Afghanistan à grants afghans. La majorité vient d’Iran, où forces afghanes. Pékin déclare que la Chine va former des les conditions deviennent plus précaires vu - Le 3 : Dans la province de Koundouz, troupes afghanes sur le sol chinois afin de les difficultés économiques de ce pays. des militants afghans de la marche en fa- lutter contre Al-Qaïda et l’État islamique. Un rapport publié par le ministère veur de la paix déclarent que les Tâlebân - Le 7 : Le secrétaire américain à la afghan de l’Économie établit que 2399 les ont empêchés de se déplacer dans des Défense Jim Mattis arrive à Kaboul pour ONG sont enregistrées auprès du ministère zones de la province sous leur contrôle où une visite surprise au cours de laquelle (dont 288 ONG étrangères), employant ils n’ont pas pu délivrer leur message de il rencontre Achraf Ghani et le nouveau 84 000 personnes, dont 24 000 femmes. paix. commandant des forces américaines et de Ce rapport a pour objectif de renforcer la Avec l’arrivée d’un premier groupe de l’Otan. transparence et la responsabilité des ONG 100 soldats britanniques, sur les 440 sol- La diplomate australienne Ingrid Hay- dans le pays et d’encadrer leurs activités à dats supplémentaires prévus à la demande den est nommée représentante spéciale de l’avenir. des USA, le nombre total du personnel mi- la Mission d’assistance des Nations unies - Le 21 : Le secrétaire d’État américain litaire britannique en Afghanistan s’élève à en Afghanistan (MANUA). Mike Pompeo annonce officiellement la 1100, le troisième en importance derrière - Le 9 : A Kaboul, un kamikaze à moto nomination de Zalmay Khalilzad au poste les USA et l’Allemagne. se fait exploser près d’un convoi de parti- de représentant spécial pour les pourparlers - Le 4 : Les Tâlebân annoncent la mort sans du commandant Massoud qui commé- de paix en Afghanistan. Z. Khalilzad, d’ori- de Djajâluddin Haqqani, suite à une moraient sa mort en 2001 : 7 morts et 24 gine afghane, fut ambassadeur des USA en

28 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 28 Chronologie

Afghanistan de 2007 à 2009. la même époque. manitaire de l’UE en faveur de l’Afghanis- - Le 23 : Abdullah Abdullah assiste aux tan pour 2018. USA à la 73e Assemblée générale des - Le 7 : Zalmaï Khalilzad, représentant Nations unies ; Achraf Ghani a annulé sa spécial des Etats-Unis en Afghanistan, visite, Donald Trump ayant refusé de le Octobre chargé de diriger les efforts de paix en rencontrer. - Le 2 : Dans le district de Kama (prov. de Afghanistan, arrive à Kaboul ; il poursuivra - Le 25 : Au cœur de Kaboul, Amnesty Nangarhâr), un attentat-suicide visant un ensuite sa mission au Pakistan, aux Émirats International dévoile une peinture murale meeting électoral fait 13 tués et 43 blessés. arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite. dédiée à la mémoire de Chah Marai, pho- L’Italie prévoit de réduire le nombre de Le 8 octobre, il demande aux Tâlebân et au tographe légendaire de l’Agence France ses troupes servant en Afghanistan au sein gouvernement afghan de constituer chacun Presse tué avec neuf journalistes lors d’un de l’OTAN de 900 à 800 soldats à fin oc- une équipe de négociateurs pour le proces- attentat. tobre. sus de paix. - Le 26 : La mission d’assistance de - Le 3 : A ce jour, 366 ressortissants l’ONU en Afghanistan enquête sur la mort afghans, tous des hommes, ont été ren- de 12 civils tués le 22 septembre lors d’un voyés par l’Allemagne dans leur pays bombardement et de 9 autres tués dans des d’origine depuis le début des expulsions en conditions similaires la veille, lors d’une décembre 2016. frappe aérienne dans la province de War- - Le 5 : A Washington, des responsables dak au cours d’opérations menées par les du gouvernement afghan et de la société forces gouvernementales. Environ 7% londonienne Centar Ltd. signent un accord de toutes les pertes civiles dans le conflit portant sur le début des travaux d’explora- afghan au cours du premier semestre 2018 tion dans les principales mines d’or et de ont été causées par des opérations aé- cuivre de la province de Badakhchân. La Z. Khalizad à Kaboul. Photo DR riennes. mine de Balkhâb pourrait contenir plus de - Fin septembre : Au moins 8 050 civils 100 tonnes de cuivre. - Le 9 : Dans la province de Helmand, afghans ont été tués ou blessés au cours La Commission européenne accorde un attentat dans une permanence électorale des neuf premiers mois de l’année et près 20 millions d’euros supplémentaires à fait huit morts dont le candidat aux élec- de la moitié ont été victimes d’attentats l’Afghanistan, dont la situation humani- tions parlementaires Saleh Mohammad suicide ou de mines artisanales, selon taire s’est détériorée depuis début 2018 en Asikzai. l’ONU. Ce bilan correspond à peu près à raison notamment d’une grave sécheresse. Les affrontements entre les Tâlebân et celui de 2017, qui était de 8084 victimes à Cela porte à 47 millions d’euros l’aide hu- les forces afghanes ont fait 249 233 dépla-

LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°163 29 29 Chronologie Brèves économiques

cés dans le pays entre le 1er janvier et le 7 Les brèves de ce trimestre confirment que l’Afghanistan reprend petit à petit dans les relations octobre 2018, selon un rapport du Bureau interrégionales le rôle qui lui est dévolu par la géographie, avec à la manœuvre ses puissants voi- de la coordination des affaires humanitaires sins (Chine, Inde) ou ses interlocuteurs principaux (Etats Unis), recherchant à infléchir la position des Nations unies. du Pakistan. Si les positions de l’Inde et de la Chine sont attendues, la décision des Etats-Unis Samira Asghari, 24 ans, ancienne joueuse d’alléger une partie des sanctions contre leur adversaire iranien pour préserver les intérêts éco- de l’équipe nationale afghane de basket- nomiques de l’Afghanistan surprend. Les enjeux du commerce régional sont conséquents pour ball, est élue nouveau membre au sein du l’Afghanistan, comme l’illustrent partiellement les recettes de transit attendues sur la nouvelle ligne Comité international olympique. Elle vit en électrique (rubrique investissements). A noter aussi, la place prise désormais par l’Afghanistan Iran. dans les exportations mondiales de safran (rubrique agriculture), place qui met en évidence les ré- - Le 10 : Le gouvernement italien promet sultats de la politique de développement de cette production depuis 2002. Nouvelle positive, alors une aide de 13 millions d’euros pour plu- que l’importance croissante de l’émigration économique (rubrique divers) illustre plus que jamais sieurs projets de reconstruction à Bâmiyân, l’urgence du développement économique. R. L. notamment la préservation du site antique de Chahr-e Gholghola. RELATIONS INTERNATIONALES - Le 11 : Des chefs de partis et mouve- - Le 6 novembre, Etats-Unis ont annoncé discrètement une exemption significative au volet de ments politiques ainsi que des membres sanctions imposées la veille à l’Iran et à ses partenaires économiques : Washington ne visera du Parlement réunis à Kaboul annoncent pas le port iranien de Tchabahar. le lancement de la « Grande Assemblée de Washington reconnaît dans le même temps que ce port est trop important pour ses alliés régionaux, l’Unité nationale » et discutent des moyens l’Inde et surtout l’Afghanistan. Washington tolérera également la construction d’une ligne ferroviaire entre de mettre fin à la guerre et d’assurer une Chabahar et l’Afghanistan voisin, ainsi que la livraison au port de biens « humanitaires ». Kaboul sera, paix durable. enfin, autorisé à poursuivre ses importations de produits pétroliers iraniens. (Le Monde 09/11) - La Chine et le Pakistan ont indiqué qu’ils envisageaient d’étendre leur projet bilatéral de déve- loppement d’infrastructures à l’Afghanistan. Selon eux, Kaboul accueillera le prochain round d’un dialogue de coopération trilatéral sur la paix et la sécurité avec Beijing et Islamabad. La Chine pourrait proposer un financement pour relier une auto- route pakistanaise aux villes de Djalâlâbâd et de Kandahar. Les Chinois aident le Pakistan à construire l’autoroute reliant la ville de Peshawar au port de Karachi, que Kaboul utilise pour ses échanges inter- nationaux. L’autoroute proposée fournirait une route plus courte pour l’Afghanistan au port de Gwadar exploité par la Chine. (VOA 02/11) - L’ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, John Bass, a déclaré que le Pakistan s’était Principaux protagonistes de la Grande Assemblée de montré disposé à discuter de la reprise du commerce entre l’Afghanistan et l’Inde via le Pakistan l’Unité nationale. Photo DR par voie terrestre. Depuis des années, le Pakistan n’a pas autorisé le transport des marchandises indiennes vers l’Afghanistan sur son territoire. «L’intensification des échanges commerciaux dans les Les Tâlebân autorisent le Comité inter- deux sens, la connectivité accrue entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud et l’Afghanistan sont autant d’oc- national de la Croix-Rouge à reprendre casions manquées si le Pakistan se concentre uniquement sur le maintien du statu quo», a-t-il déclaré. ses activités en Afghanistan, arrêtées il y a (Tolo News 16/09) deux mois. - Les échanges entre l’Afghanistan et l’Inde ont récemment augmenté de 43%, avec un volume total - Le 13 : Dans la province de Takhâr, un de plus d’un milliard de dollars. (Pajhwok Afghan News 26/10) rassemblement pour l’élection d’une candi- - La deuxième édition du Salon international du commerce et de l’investissement entre l’Inde et date est touché par l’explosion d’une moto l’Afghanistan, à Bombay, qui s’est achevé le 16 septembre, a été un grand succès. Le volume des piégée : 9 morts et 32 blessés. échanges bilatéraux entre l’Afghanistan et l’Inde est actuellement de 900 millions de dollars et devrait - Les 14-15 : Les forces afghanes re- atteindre 2 milliards de dollars d’ici à 2020. (Tolo News 17/09) prennent aux Tâlebân 40 villages dans le Source principale : le Bulletin du CEREDAF district de Darra-e Souf Pâyin (prov. de Sa- mangân). - Le 18 : A Kandahar, lors d’une réunion - Le 20 : Elections pour le renouvelle- reau de vote fait 15 morts (10 civils et 5 avec le commandant des forces de l’OTAN, ment des 249 sièges du Parlement. policiers) et 37 blessés. le général Scott Miller, une fusillade dans le palais du gouverneur fait plusieurs 8,9 millions d’électeurs afghans sont ap- Sur les 7000 bureaux de vote, 2000 sont morts, dont le général Abdul Razeq, chef pelés aux urnes pour renouveler les 249 restés fermés pour des raisons de sécurité. de la sécurité de Kandahar, le général Ab- sièges de la chambre basse du Parlement. Les Tâlebân avaient annoncé qu’ils re- dul Menem, chef du renseignement, et le Ils doivent faire leur choix parmi 2 500 courraient à la force pour faire échouer le gouverneur de Kandahar. L’attentat est candidats, dont 16% de femmes, soit 417 processus démocratique. Quelque 54 000 revendiqué par les Tâlebân. L’attaquant candidates. 20% des sièges du Parlement membres des forces de sécurité sont dé- était un garde du corps du gouverneur. On sont réservés aux femmes. Dans ce pays ployés pour sécuriser 5100 centres de vote. en guerre depuis plus de quatre décennies, compte plusieurs blessés. Les résultats ont attendus courant no- - Le 21 : Le taux de participation est plus elles sont plus nombreuses que précédem- ment à se présenter (405 femmes en 2010) vembre (la date de proclamation a été en- fort que prévu : environ 3 millions de vo- suite repoussée à la mi-décembre).. tants (45% des inscrits). Plus d’un million malgré les risques qu’elles encourent. d’électeurs ont voté à Kaboul ; en province Ce scrutin a été repoussé depuis près de L’élection présidentielle, elle, doit avoir la participation a été plus faible. trois ans. lieu le 20 avril 2019. Pour ces deux premières journées de vote, A Kaboul, un attentat-suicide dans un bu- on a compté 49 morts (38 civils et 11 membres des forces de sécurité) et une cen- dahar votent pour les élections législatives mollah Abdul Samad Sani et le mollah Mo- taine de blessés. une semaine après le reste du pays, pour hammad. Capturé par les agences de sécu- Les Tâlebân enlèvent 125 enseignants des raisons de sécurité après la mort du rité à Karachi en février 2010, le mollah et membres du personnel administratif du chef de la police le 18 octobre. Baradar a fait partie des quatre personnes département de l’Éducation du district de - Le 29 : Le Pakistan aurait libéré de ayant contribué à la formation des Tâlebân Giru (prov. de Ghazni) prison l’ancien chef adjoint des Tâlebân en 1994. Il a rejoint sa famille à Karachi. - Le 26 : Les 566 000 électeurs de Kan- Mollah Abdul Ghani Baradar, ainsi que le - Le 31 : Un kamikaze attaque un bus

30 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 30 Brèves économiques Mémoire

INVESTISSEMENTS - Une entreprise turque va investir 1,6 milliard de dollars dans un projet de ligne de transport d’électricité impliquant le Turkménistan, l’Afghanistan et le Pakistan, dans le cadre d’un accord si- gné le 7 novembre à Kaboul. L’Afghanistan et le Pakistan recevront 1 000 mégawatts d’électricité par an. Elle nous a En outre, l’Afghanistan recevra 100 millions de dollars par an en frais de transit. La ligne qui parcourra 750 km en Afghanistan devrait être achevée dans trois ans. (Pajhwok Afghan News 07/11) quittés - Des représentants du gouvernement et des membres de la fonderie Khan Steel à Kaboul ont posé la première pierre de la deuxième phase de l’entreprise, qui sera achevée dans trois mois. Khan Steel investira 20 millions de dollars dans le projet. Une fois le projet achevé, 1 000 emplois Marguerite REUT nouveaux seraient créés. La société produira jusqu’à 400 tonnes d’acier par jour couvrant ainsi 20% de l’acier importé par l’Afghanistan. Les responsables de Khan Steel ont exhorté le gouvernement à les Marguerite Reut nous a quittés ce 18 aider à participer à l’extraction du minerai de fer de Hadjigak. (Tolo News 02/10) octobre. Elle a laissé des traces sans jamais s’imposer mais beaucoup de sillons sont restés dans une multitude de personnes et de régions. AGRICULTURE Son origine dans le Jura français près de la -- Selon le ministère de l’Agriculture, l’Afghanistan produit 1,7 milliard de litres de lait chaque année Suisse où elle naquit en 1924 l’a fait vivre entre et il faudra encore sept ans pour être autonome dans ce secteur en investissant 300 millions de dollars. les langues et les cultures, sa mère provenant Le pays importe plus de 40% de ses besoins en produits laitiers. (Tolo News 25/10) de Suisse, son père un fromager du départe- - En pleine saison de la récolte du safran, le ministère de l’Agriculture a déclaré que les agriculteurs ont ment du Doubs. La famille émigra en 1940 sous récolté 13 tonnes de safran cette année, contre 10 tonnes l’an dernier. Plus de 12 tonnes ont été récol- l’occupation allemande vers la Suisse où les tées dans la province de Hérat. L’an dernier, 8 tonnes ont été exportées. L’Afghanistan est le troisième parents reprirent une fromagerie. Marguerite producteur mondial de safran au monde après l’Iran et l’Inde. (Tolo News 30/11) fut envoyée chez deux tantes en Thurgovie dans l’est de la Suisse, puis elle fit une école com- merciale à Zurich, d’où elle garda des amitiés de DIVERS longue durée. Pour soigner sa mère déjà âgée - Le nombre de réfugiés afghans renvoyés d’Iran vers l’Afghanistan a atteint 495 000 depuis elle prit un appartement au centre historique de janvier 2018. Et de moins en moins d’Afghans se voient accorder l’asile dans le monde entier. «La Berne, qui devint plus tard sa résidence, qu’elle plupart des rapatriés d’Iran sont des jeunes qui ont fui en Iran pour chercher du travail, mais en raison de ne quittera qu’en 2017 pour un home. Sa fa- problèmes économiques récents en Iran et de l’effondrement de la monnaie iranienne, ils sont rentrés au mille pou- pays», a déclaré le ministère aux Réfugiés. (Ariana News 09/09) vait compter - Le 9 octobre, le ministère de l’Éducation et le ministère des Technologies de l’information et de sur le sou- la Communication ont signé, avec deux entreprises de télécommunications, des contrats pour tien de Mar- faciliter, via la téléphonie mobile, l’accès aux salaires et les dépenses de 119 000 enseignants guerite, qui fonctionnaires. vers la fin de Ce système a notamment pour but de lutter contre la corruption et le détournement des salaires. (Tolo sa vie jouit News 09/10) à son tour des soins de Source principale : le Bulletin du CEREDAF la nouvelle génération familiale. La vie transportant des employés de la prison de dans une salle des fêtes où quelque 1000 adulte de Marguerite débuta au service de la Pol-e Tcharkhi près de Kaboul : 7 morts et oulémas s’étaient réunis pour célébrer la diplomatie suisse dans l’Allemagne dévastée 5 blessés. naissance du prophète Mahomet fait 55 où, de par sa parfaite maîtrise de trois langues Cinq chefs tâlebân incarcérés à Guanta- tués et 70 blessés. L’attentat n’est pas re- elle aida au soutien ou au rapatriement de ci- namo sont relâchés ; ils auraient rejoint les vendiqué. toyens suisses, d’abord à Hambourg, puis à Berlin en blocus soviétique. Au service de la dirigeants tâlebân au Qatar, dans le cadre - Le 23 : Dans le district d’Ismail Khel diplomatie suisse elle fut ensuite en poste à des efforts pour relancer les pourparlers de (prov. de Khost), un kamikaze se fait ex- Téhéran, puis Paris, où elle eut la chance d’en- paix en Afghanistan. ploser pendant la grande prière dans une tamer une carrière universitaire en langues mosquée d’une base militaire. L’attaque orientales, ethnologie, histoire, géographie. fait au moins 26 morts et une cinquantaine Marguerite couronna ses études avec une thèse Novembre de blessés. sur tous les métiers de la soie en Afghanistan. Les forces de sécurité font face à des Son stage à Téhéran avait en effet enflammé - Le 9 : Moscou accueille des pourparlers sa passion pour l’Iran, l’Afghanistan, le Kurdis- de paix sans précédent sur l’Afghanistan, pertes record. Depuis le début de 2015, date à laquelle les forces afghanes ont pris tan. Souvent elle s’est trouvée des occasions trente ans après la défaite essuyée dans le de voyage dans des endroits qui - semble-t-il pays par l’URSS. L’opération viserait no- le relais des troupes de combat de l’OTAN – étaient très dangereux ou exigeants. Margue- tamment à contrer l’influence américaine dirigées par les USA, près de 30 000 sol- rite en profitait pour combiner ses talents d’ex- en Asie centrale. Sous l’égide du ministère dats et policiers ont été tués, a révélé ploratrice-ethnologue avec son engagement des Affaires étrangères russe, la conférence Achraf Ghani. pour les personnes déplacées ou en détresse réunit pour la première fois des talebân – - Les 27-28 : A Genève, se tient la 13e matérielle ou psychique. Cet engagement l’a que Moscou classe parmi les organisations conférence internationale sur l’Afghanis- conduite à participer activement à plusieurs tan, sous l’égide du Gouvernement afghan organisations liées de différentes manières aux terroristes – et le Haut Conseil de paix, une réfugiés fuyant des guerres ou des persécutions instance liée au gouvernement afghan. Afin et des Nations Unies, et en présence des donateurs internationaux. Les thèmes sont en religion, politique nationaliste ou maintes de mieux asseoir sa «Pax russica», Moscou autres raisons. Elle a ainsi participé avec un a invité les onze pays de la région, dont la les efforts pour la paix et le développe- enthousiasme communicatif à de nombreuses Chine, le Pakistan et l’Iran, ainsi que les ment. Le président Achraf Ghani et Abdul- associations humanistes comme par exemple cinq représentants tâlebân basés au Qatar lah Abdullah, le chef de l’exécutif, dirigent l’Association Suisse des Amis de l’Afghanistan, dirigés par Cher Mohammad Stanekzai. Le la délégation afghane. Madera, Afrane. BODS, Aide aux réfugiés. Nous Haut Conseil de paix (Kaboul) dirigé par exprimons notre gratitude à Marguerite pour Faits et dates relevés son engagement et son amitié. Hadji Din Mohammad s’est adjoint un co- par Micheline Centlivres-Demont mité ad hoc formé par l’ancien président (base : le Bulletin du Ceredaf, divers sites, ainsi Pierre HÖGL, pour l’Association suisse des Hamid Karzaï. que Afghanistan Analysts Network) amis de l’Afghanistan. - Le 20 : A Kaboul, un attentat-suicide

LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°163 31 31 Attaque sur Djaghori La plupart des provinces afghanes sont l’objet d’offensives soit des Tâlebân, soit de Daech, causant de nombreuses vic- times, dans les rangs de la police et des forces armées, mais aussi dans la population civile. Les civils sont souvent des victimes collatérales, mais parfois aussi elles sont visées par les assaillants pour les dissuader de soutenir le gouverne- ment ou en représailles de l’avoir soutenu. Dans le cas des attaques contre les Hazâras, il y a plus. Souvent les Tâlebân, et plus encore Daech, considèrent qu’en tant que chiites ils doivent être combattus, voire même éliminés. L’attaque survenue le 7 novembre et les jours suivants sur Djaghori, au sud de Ghazni, un district habité par des Hazâras, a alarmé cette ethnie et nous avons reçu des alertes poignantes. L’armée afghane semble avoir repris la situation en mains peu après l’offensive des Tâlebân. Nous publions ci-dessous des extraits des messages reçus.

Mail du lundi 12 novembre « Les Tâlebân ont brûlé des maisons de civils sées de Hazaras soutenant le gouvernement. « Les Tâlebân massacrent des centaines mais nous n’avons pas d’informations précises Ils utiliseraient des armes modernes et des ap- de civils dans plusieurs districts du Hazaradjat sur le nombre de morts et de blessés », déclare pareils à vision nocturne. (Ourozgan Khas, Djaghori et Mâlestân). Des le chef adjoint de la police provinciale. - Environ 60 Tâlebân ont été tués lors d’une milliers de familles ont quitté leur domicile et se Les Tâlebân démentent viser une race, une frappe aérienne des forces étrangères visant sont réfugiées dans les montagnes pas loin de ethnie ou une confession en particulier. Les un convoi sur une route reliant les provinces de chez elles. Leurs villages sont détruits et deve- attaques visent «les positions du régime de Ghazni et d’Orouzgân. nus zones de guerre. Ces trois districts sont loin Kaboul et des mercenaires américains à Dja- - Le 14 : Le ministre de l’Intérieur rejette les de Kaboul. (…) Ils sont au centre de l’Afgha- ghori», affirmations selon lesquelles les combats dans nistan, encerclés par les zones contrôlées par - Le 11 : Des Tâlebân prennent d’assaut le dis- les provinces d’Orouzgân et de Ghazni seraient les Tâlebân. trict de Djaghhori tuant quelque 70 civils (en une «guerre ethnique», mais il indique que des « (En 2002) les Hazaras ont rendu leurs majorité des Hazaras) et 27 forces afghanes. pays de la région et les terroristes tentent de armes aux autorités de Kaboul, suite à l’arrivée Selon un responsable local, des agents étran- manipuler ces combats pour qu’ils soient consi- des Occidentaux. Beaucoup d’entre eux ont pris gers dirigent la bataille des Tâlebân. D’autres dérés comme tels. De son côté, le ministre de le chemin de l’école pour étudier ou ont quitté combats se déroulent dans le district de Mâles- la Défense déclare que des combats sont en l’Afghanistan pour se réfugier en Australie ou en tân. Le chef d’état-major de l’armée afghane cours dans au moins dix provinces et que le Europe ; dans les villages, il reste beaucoup de déclare que des forces supplémentaires ont été niveau de menace dépasse les capacités du femmes et d’enfants, avec peu d’hommes. déployées dans la province de Ghazni. Selon gouvernement. Les Hazaras sans armes sont incapables lui, au moins 200 Tâlebân ont été tués lors des - Le 19 : Après deux semaines de conflit les dis- de faire face aux Tâlebân qui sont bien armés, affrontements dans Khas Orouzgân ces der- tricts de Djaghori et de Mâlestân sont complète- attaquent les villages la nuit et sont équipés de niers jours. ment libérés des Tâlebân. Mais beaucoup d’ha- caméras thermiques nocturnes. Les Tâlebân Des centaines de manifestants défilent à Ka- bitants sont traumatisés et hésitent à regagner tuent dans ces villages les Hazaras, récupèrent boul, près du palais présidentiel, en signe de leur domicile par crainte d’une nouvelle attaque. leurs biens et mettent le feu aux maisons. Ils protestation contre ce qu’ils qualifient de négli- Selon un rapport de l’ONU, 60 à 70% des ha- gagnent chaque jour du terrain en exterminant gence de la part du gouvernement. Ils accusent bitants de ces deux districts ont été déplacés les civils. Les images que j’ai reçues et que celui-ci de ne pas assurer suffisamment de sé- de leurs foyers à cause de la guerre et de la je vois sur les réseaux sociaux sont terribles. curité dans les régions centrales du pays, no- violence. Ainsi, 930 familles (soit 6 510 per- (…) Hier soir dans un village nommé Angouri tamment dans les districts de Khas Orouzgân, sonnes) sont arrivées à Bâmyân et 4 000 autres et dans un autre nommé Houtqol, il y a eu plus de Mâlestân et d Djaghori, qui abritent principa- (24 000 personnes) se sont réfugiées à Gha- de 200 civils tués par les Tâlebân. Les antennes lement des Hazaras zni. D’autres encore ont rejoint Kaboul. Il y a téléphoniques ont été brûlées . Les hommes qui - Le 13 : Des milliers d’Afghans se sont réfu- une forte solidarité des populations hazaras qui sont restés dans leur village pour les protéger giés cette semaine à Ghazni pour échapper aux accueillent, à Kaboul, Bâmyân, Ghazni, les per- ont été massacrés. combats en cours dans les districts de Djaghori sonnes venues de Djaghori et les logent dans Mail du 15 novembre et de Mâlestân. Les Tâlebân avec l’appui de les mosquées… En revanche, sur la route, il Mon frère est dans la montagne de Dah- certaines communautés pachtounes affrontent y a beaucoup de difficultés : le coût du trajet marda. Ma sœur l’a eu au téléphone. Dans les depuis près d’une semaine des unités des Djaghori - Ghazni aurait presque été multiplié forces spéciales afghanes soutenues par l’ar- villages qui sont sous le contrôle des Tâlebân, par 1000 ! les habitants sont obligés de faire à manger mée américaine, ainsi que des milices compo- pour eux et les hommes doivent les suivre pour faire la guerre au gouvernement. Errata Actuellement, Dahmarda est encerclé par Dans le compte rendu que nous avons publié dans notre dernier numéro à propos du livre du Général les Tâlebân. Ceux-ci ont envoyé une lettre pour Lamballe, deux lignes ont malencontreusement sauté au montage. Nous présentons nos excuses d’une demander aux villageois de se rendre. Les gens part au Général Lamballe et d’autre part à Régis Koetschet l’auteur de la note. Nous restituons ci-des- de Dahmarda n’ont pas accepté et ne sont pas sous le paragraphe qui a été amputé. descendus de leurs montagnes. Peu d’hommes « La haute opinion dans laquelle il tient le peuple pachtoun lui fait en revanche sous-estimer peut-être les sont à Dahmarda, ils ont très peur et sont peu fractures et la complexité de cet ensemble de tribus. Ce dernier ne représente pas un bloc homogène et armés. Ils ne savent pas quoi faire ! Les Tâle- ne saurait être assimilé dans sa totalité à la mouvance talibane ni à l’insurrection antigouvernementale, bân sont nombreux et très bien armés. pas plus qu’à un peuple où primerait l’idéologie sur le nationalisme. » D’autre part dans le même numéro, des erreurs se sont glissées dans les tableaux des pages 4 à 6. Voici pour compléter la chronologie des faits Dans le tableau 1, le nombre total de demandeurs d’asile en 2017 était de 649 900 personnes (et non établie d’après le Bulletin du CEREDAF : 659 900). Dans le tableau 3, le nombre total de demandeurs d’asile en 2014 était de 64 811 (et non de 64 251). Le nombre de réexamens pour les Afghans en 2016 était de 38 (non de 68). Dans le tableau 4, le - Le 7 novembre : Les Tâlebân déclarent avoir nombre total d’admissions en 2017 était de 23 958 (et non de 21 958). pris le contrôle de 25 avant-postes des forces Enfin, un lecteur attentif a découvert dans notre numéro 152 de mars 2016 une référence erronée de sécurité dans le district de Djaghori. dans un article de Pierre Lafrance, p 22 citant un exergue du livre de Gaït Archambeaud : « Dieu ne - Le 8 : Des forces spéciales sont déployées modifie rien en un peuple avant que celui-ci ne change ce qui est en lui-même. » La référence exacte est Coran XXXIII 11. pour protéger des Tâlebân la minorité hazara Nous prions nos lecteurs de nous excuser pour ces erreurs. de ce district.

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Articles de Zeina Abrached, éd. Glénat (sept 2018), - Flight Risk: The Coalition’s Air Advi- ISBN : 2203177233 sory Mission in Afghanistan, 2005–2015, - « Afghanistan : ce à quoi tentent d’aboutir - Religions of the Hindukush : The Pre- de Forrest L. Marion, Naval Institute les négociations secrètes entre les Talibans islamic Heritage of Eastern Afghanistan, Press (octobre 2018), 352p., ISBN : 978- et les États-Unis », entretien avec Jean-Syl- de Karl Jettmar, Orchid Press (juin 2018), 1682473368 vestre Mongrenier, in Atlantico 06/08 525p., ISBN : 978-9745241275 - Afghanistan War: A Documentary and Re- - « La Chine courtise les talibans afghans - Homo itinerans : La planète des Afghans, ference Guide, de Ryan Wadle, Greenwood en organisant de réunions secrètes », blog d’Alessandro Monsutti, PUF (sept. 2018), Publishing Group Inc (octobre 2018), 392 de Silk Road, in Mediapart 08/08 261p., ISBN: 9782130801238 (voir recen- p., ISBN : 978-1440857461 - « Je n’ai jamais vu une sécheresse pa- sion pages précédentes) - The United States and the Taliban Be- reille. Jamais nous n’avions eu à fuir le vil- - Aux royaumes des insoumis (Afghanis- fore and After 9/11, de Jonathan Cristol, lage ou à vendre le bétail dans le passé » in tan Carnets de reportages 1979-1989), de Birkhauser Pub. (octobre 2018), 110p., Sciences et Avenir 09/08 Pascal Manoukian, éd. Eric Bonnier (oct. ISBN : 978-3319971711 - « En Afghanistan, Daech dresse des en- 2018), 126p., ISBN : 978-2367601496 - America in Afghanistan: Foreign Po- fants-soldats », par Margaux Benn, Le Fi- - Revolutions and Rebellions in Afghanis- licy and Decision Making from Bush to garo 13/08 tan : Anthropological Perspectives, sous la Trump, de Sharifullah Dorani, I.B.Tauris - « A Herat, l’influence iranienne est om- direction de M. Nazif Shahrani et de Robert Pub. (novembre 2018), 240p., ISBN : 978- niprésente », pat Louis Imbert, Le Monde Canfield, Indiana University Press (oct. 1784539986 17/08 2018), 448p., ISBN : 978-0253033925 - Afghanistan: A History from 1260 to the - « A l’ouest de l’Afghanistan, la présence - Taliban pastis, de Yves Bourny, (no- Present, de Jonathan Lee, Reaktion Books iranienne devient menaçante », pat Louis vembre 2018), 340p., ISBN : 978- (novembre 2018), 784p., ISBN : 978- Imbert, Le Monde 17/08 1731275226 1789140101 - « Afghanistan : comment expliquer la - The Politics and Economics of Drug résilience des talibans » par Bernard Du- Production on the Pakistan-Afghanistan Les dates de parution des livres ne sont données paigne, in theconversation.com, 22/08 Border, d’Amir Zada Asad et Provost Ro- qu’à titre indicatif. S’informer auprès des édi- - « En Afghanistan, l’Iran accroît son aide bert Harris, Routledge (juin 2018), 156p., teurs. Pour une bibliographie plus complète, aux talibans », par Benn Margaux, Le Fi- ISBN : 978-1138707672 consulter Le Bulletin du Ceredaf. garo 18/09 - « L’Iran sème les graines d’un Hezbollah afghan », par Benn Margaux, Le Figaro 18/09 - Afghanistan : les chiites de Kaboul pren- Notes de lecture nent les armes », par Sonia Ghezali, La Croix 20/09 - « Ahmad Massoud : l’héritier du lion », The Islamic State de plusieurs facteurs. L’auteur mentionne Gaëlle Legenne, reportage Reza, Paris la volonté de disposer d’une base durable Match 05/10 in Khorassan et d’un nouveau centre régional moins - « Chassés par la sécheresse, des paysans S’il a subi de sévères revers en Syrie et exposé, la présence sur le terrain de très afghans subissent la misère des camps de en Irak en 2017, avec notamment la perte nombreux groupes djihadistes que l’IS-K déplacés », AFP/La Croix 11/10 de Raqqa et de Mossoul, l’État islamique peut fédérer et utiliser dans la lutte contre - « À Kaboul, la vie malgré quarante ans –Daech – renforce son implantation plus à les forces régulières des États, la possibilité de violences et de larmes », par Jean-Marc l’est. Les groupes insurrectionnels réunis d’avoir recours à des financements privés Gonin, Le Figaro 18/10 sous la bannière de l’État islamique-Kho- en provenance du Pakistan et des États - « La mort du seigneur de Kandahar », par rassan (ci-dessous IS-K) sont aujourd’hui du Golfe. Avec Emmanuel Derville, Le Point 24/10 actifs sur un vaste territoire allant de les Tâlebân en - « Elections en Afghanistan : les talibans l’Iran à l’Inde du Nord, des anciennes Ré- Afghanistan, les au centre du jeu politique » par Jacques publiques soviétiques d’Asie centrale à relations sont Follorou, Le Monde 27/10 l’Afghanistan et au Pakistan. C’est la na- complexes, et - « Sécheresse : climat de tensions en ture de l’IS-K, ses objectifs, son mode de la différence Afghanistan », par Solène Chalvon-Fioriti, recrutement, ses sources de financement entre les deux Libération 07/11 qu’expose et analyse Antonio Giustozzi m o u v e m e n t s - « Afghanistan : Ghazni-Kaboul, l’auto- dans un livre brillant, précis et terriblement djihadistes est route de la peur », AFP/Le Point 07/11 bien informé. fort bien analy- - « En négociant avec l’étranger, les tali- A. Giustozzi, professeur au King’s sée par l’auteur bans veulent délégitimer le gouvernement College à Londres, est connu comme spé- : face aux pre- afghan », interview d’Amin Tarzi, Le cialiste de l’insurrection tâlebane ; il est miers, l’IS-K Temps, 26/11 l’auteur d’une dizaine d’ouvrages essen- se montre plus tiellement consacrés à l’Afghanistan. Le centralisé, exi- dernier en date se fonde sur plusieurs en- geant davantage de discipline de la part de quêtes de terrain, et en particulier sur 121 ses membres ; il ne dispose pas des mêmes Livres interviews effectuées en Afghanistan et assises locales et tribales que les Tâlebân. au Pakistan parmi les membres de l’IS-K, Par ailleurs, l’IS-K, par son radicalisme, est - Counternarcotics lessons from the U.S. les forces de sécurité et les notables vivant plus à même que ses concurrents de rallier experience in Afghanistan, de Office of dans les régions à forte présence insurrec- d’autres groupes insurrectionnels ; il est The Investigator General, CreateSpace tionnelle. davantage centré sur l’action et sur les ap- Inde-pendent Pub. Platform (août 2018), La présence de l’IS-K est attestée en titudes militaires de ses recrues. Enfin, son 272p., ISBN : 978-1722208615 Afghanistan depuis 2014 ; issue à l’ori- financement repose moins sur la taxation - Prendre refuge, BD de Mathias Enard et gine d’Al-Qaida, son implantation résulte des villageois et davantage sur des apports

LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°163 33 33 DERNIERES PUBLICATIONS

extérieurs. phie que l’auteur interroge sans concession Murmures de guerre Dans l’environnement afghan, on peut : une interprétation clanique et tribale de la comprendre que l’unification des divers société périmée, un imaginaire humanitaire « Murmures de guerre » de Masood groupes djihadistes et une alliance durable en résonance avec un « imaginaire colo- Khalili, récemment publié aux Éditions avec les Tâlebân restent un objectif difficile nial », un développement rural qui via le Erick Bonnier, est un livre à part. Dans à atteindre ; en ce moment l’IS-K et les Tâ- NSP (National Solidarity Program) nourrit sa préface, Pilar Hélène Surgers, auteure lebân sont en phase d’affrontement. de fausses légitimités et de vraies concur- de « Massoud au cœur » et du « Jardin de Par ailleurs, les États de la région sont rences. Au bout du compte, des « moder- Massoud, une solution afghane », le juge « préoccupés par la présence de l’IS-K, ce nités contestées », et un pouvoir irrigué par indispensable ». De nombreux lecteurs par- qui fait que ce dernier joue un rôle majeur des « réseaux » commerciaux, armés, hu- tageront cet avis. dans le jeu compliqué de relations entre manitaires et migratoires. Masood Khalili, né en 1950, est le fils acteurs régionaux et même entre grandes C’est sur ces migrants d’hier, d’au- du grand poète Oustad Khalilullah Khalili puissances, l’Arabie saoudite, l’Iran, la jourd’hui et de demain que la réflexion est (dont des « Quatrains et autres poèmes » Russie, la Chine et les USA. La Russie est la plus novatrice. Le mouvement est ap- ont été publiés dans une traduction fran- çaise, en 2012, à L’inventaire – un livre inquiète de la présence djihadiste dans les pelé à perdurer du fait d’une combinaison 1 États de l’Asie centrale ; les USA alliés de de facteurs : insécurité persistante, retour magnifique ). Après des études de sciences l’Arabie saoudite sont attentifs au rôle de en force des Tâlebân et essor de Daech, politiques en Inde, il s’engage dans la « l’Iran en Afghanistan. Quant à la Chine, échec de la démocratisation, profonde crise résistance » contre l’occupation soviétique soutien du Pakistan, elle s’inquiète de l’ac- du marché du travail, économie des stupé- dans les rangs du Djamiat, effectuant de tion possible de l’IS-K contre ses projets fiants, croissance démographique et -urba nombreuses missions diplomatiques et de grande voie continentale traversant la nisation désordonnée, conditions d’accueil séjours « à l’intérieur » avec les modjahe- région. Redoutant davantage l’expansion de plus en plus défavorables en Iran et au din. Le 9 septembre 2001, il est au côté du de l’IS-K que les Tâlebân, la Russie, mais Pakistan. commandant Ahmed Châh Massoud lors aussi l’Iran chiite soutiennent localement À l’aide de vignettes ethnographiques de l’attentat qui coutera la vie à ce dernier. les seconds contre les premiers. qui chacune raconte une histoire, une ren- Pour sa part, gravement blessé, il se remet- L’ouvrage remarquable d’Antonio contre, un portrait, Alessandro Monsutti tra et représentera désormais la République Giustozzi donne des clés pour la compré- montre que cette mobilité n’est pas nou- islamique d’Afghanistan comme ambas- hension des enjeux présents dans cette par- velle – pour les Hazaras à Quetta, elle sadeur, d’abord en Inde, en Turquie et au- tie du monde. Il fournit au lecteur cartes, est plus que centenaire, qu’elle apparaît jourd’hui en Espagne. diagrammes, listes des très nombreux parfois comme un rite de passage, qu’elle La vie de la famille de l’auteur des groupes djihadistes qui y sont implantés. permet de répar- « Murmures » tout comme celle de son Ce dernier trouvera sur ce thème, aussi tir les risques épouse Soheila croise l’histoire de l’Afgha- brillant que nouveau, l’origine des sources et que bien sûr nistan. À plusieurs reprises, on lui parlera utilisées par l’auteur dans de très nom- elle est longue et au cours de ce périple de la pendaison en breuses notes. éprouvante. En 1919de son grand-père, Mohammad Hu- sain Khân, Mustoufi ul Mamalek (ministre Pierre CENTLIVRES (Novembre 2018) fin de compte, elle témoigne de des Finances), que le roi Amanullâh accu- la mise en place sera d’être responsable de l’assassinat de - The Islamic State in Khorassan, Afghanistan, d’un véritable « son père Habibullâh. En dépit de son très Pakistan and the New Central Asian Jihad, par système transna- haut rang, le corps ne sera jamais rendu à Antonio Giustozzi, Londres, Hurst & Company, la famille. Au Nouristan, c’est au souvenir 2018. 292 p. £ 35.00 ISBN 978-1-84904-964-1 tional ». Pour l’au- de la famille de son épouse qu’il sera fait teur, cet Homo référence. Celle-ci appartient à une grande Itinerans affiche famille nouristanie dont on évoque le sou- une modernité historique, loin de la clas- venir à la veillée. sique vision opposant tradition à moder- On l’aura compris, « Murmures de Homo Itinerans nité. Il n’est ni « une abstraction poétique, guerre – lettres à ma femme – Afghanistan Sous le titre énigmatique « Homo Itine- ni un idéal–type ; il décline des formes à - été 1986 » est un exercice singulier. On ne rans, la planète des Afghans », Alessandro la fois de pouvoir et de subversion liées à s’attend guère à voir un Afghan donner du Monsutti, désormais professeur à l’Institut l’imposition universaliste qui inspire l’ef- « ma chérie » à sa compagne du fond d’une de hautes études internationales et du dé- fort de reconstruction de l’Afghanistan et vallée glaciale du Nouristan. Tel est pour- veloppement de Genève, revisite dans cet la manière dont l’asile est conçu au niveau tant le fil conducteur de ce livre intimiste ouvrage une vingtaine d’années d’études international». où, comme le laisse entendre sa préfacière, de terrain autour de ce nouvel « astre » et L’Homo Itinerans est créatif et, en se on regarde avec la jumelle par ses deux de ses habitants voyageurs. déclarant, comme le vieil homme rencon- bouts, des larges cimes enneigées au creux C’est que pour l’auteur, loin d’être un tré à Bâmyân « être d’où il va », il inscrit sombre d’une tchaikhana de fortune, du pays enfermé dans ses montagnes et son pleinement l’Afghanistan dans les enjeux souffle céleste de Roumi aux mots simples statut d’État tampon, l’Afghanistan, « es- locaux et globaux du monde contemporain. des dictons villageois. pace ouvert sur l’extérieur, arène où se sont La démonstration d’Alessandro Cadrés avec profondeur par la préface affrontées les grandes idéologies des deux Monsutti est percutante et stimulante. Elle de Pilar Hélène Surgers et la postface de siècles passés », projette désormais sa cen- n’efface pas pour autant la remarque que Jean-Paul Kowaliski, ces « Murmures » se tralité aux quatre coins du monde. lui fait l’un de ses interlocuteurs : « Je me présentent comme des lettres personnelles Aussi, sur les traces de ces Afghans sens triste d’être un vagabond. » à Soheila, des fragments d’un journal de bord, un récit du quotidien qui relate une souvent hazaras, Monsutti entraine le lec- Régis KOETSCHET teur, de Djaghori à New York, de Quetta en mission effectuée du 1er juillet au 14 sep- Nouvelle Zélande, de Mechhed à Calais. tembre 1986, du Pakistan au Badakhchan Le voyage part de Kaboul où la recons- - Homo Itinerans, La planète des Afghans par et retour, partiellement en compagnie du truction post conflit développe une philoso- Alessandro Monsutti, 266p, PUF, 2018. grand journaliste écossais, Sandy Gall, au-

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teur notamment d’ « Afghanistan Agony of guerre : la « moumlayi », substance qui - Un islam omniprésent : celui du quo- a Nation » et de G. Whitney Azoy, auteur suinte des rochers en haute altitude, appa- tidien avec ses djinns, ses tombeaux soufis de « Bozkachi, jeu et pouvoir en Afgha- raît comme un remède miracle. « Il y a des et ses croyances populaires. « J’ai fait la nistan », traduit en français dans « les milliers d’années, les hommes remarquè- prière de l’aube dans une pauvre mosquée Essais du Capucin ». Deux mois et demi rent que les animaux blessés grimpaient aux fidèles peu nombreux. L’ombre que de marches épuisantes, de cols qui n’en au sommet des montagnes pour lécher une projetaient sur le mur ces hommes grands finissent pas, d’hommes et de femmes ren- sorte de goudron brun qui s’écoulait des et minces avait quelque chose d’extraor- contrés au gré des étapes, modjahedin ou fissures des rochers. » La posologie est de dinaire. » Mais aussi dans l’Etat autopro- réfugiés, notables ou villageois, dans une prendre des cubes macérés au petit déjeuner clamé du Nouristan du Maolawi Afzal, nature grandiose, inondée de soleil ou tran- dans un bol de lait chaud. Autre technique, un islam salafiste importé du Pakistan ». sie de froid, striée par les tirs des hélicop- suivre un oiseau blessé. « Suis-le et observe L’attitude arrogante de trois jeunes arabes tères soviétiques. Au bout du chemin, un de quelle plante il se nourrit ; elle nous sera provoquera un clash avec l’auteur. commandant Massoud qui se raconte. Et également utile pour traiter nos maux. » toujours, toujours la poésie. Parfois, il faut faire appel au barbier qui, Le commandant Massoud Bref, plus de 500 pages d’une ran- outre couper cheveux et barbe, « répare les Reste enfin le commandant Massoud. donnée dans laquelle nombre de lecteurs os cassés, les luxations et les entorses, pra- Au poignet, une montre de marque qu’il des Nouvelles d’Afghanistan se retrouve- tique les circoncisions et arrache les dents retire quand il fait un exposé. Les cheveux ront. D’autres l’auront vécue de l’arrière, gâtées. » À ce propos, une scène d’antholo- soigneusement peignés et les vêtements d’autres parmi les plus jeunes l’imagine- gie se passe au Nouristan. Rien n’apaise la propres. S’il ne manque aucune des cinq ront, la reconstruiront. D’une pureté simple souffrance du villageois chez qui l’auteur prières, c’est celle de l’aube qu’il préfère. et exaltante, cette « marche vers la liberté passe la nuit. Entre dans la hutte un guéris- À son issue, il s’autorise un court sommeil. », pour reprendre les mots de l’auteur, est seur chevelu et couvert de talismans. Il fait Quand il parle, il apprécie que son interlo- porteuse d’espoirs. Mais la mélancolie et asseoir le patient devant lui, l’incite à avoir cuteur reste figé. les doutes se cachent à peine derrière la « le courage d’un modjahed » et farfouille Il se prépare lui-même sa tasse de café beauté des paysages et la générosité des dans sa mâchoire avec « la confiance d’un lyophilisé, écrasant avec soin poudre et personnages salués. Avicenne. » Après avoir débiné les prati- sucre avant de verser l’eau bouillante. Les De ma lecture, je retiens un foisonne- ciens de Kaboul et fait valoir que son père, canards sauvages volant en escadrilles haut ment de visages et de lieux, d’efforts et sans être mé- dans le ciel sont ses oiseaux préférés. Au de souffrances, de pauvreté et de dignité, decin, traitait combat, ses jumelles à la main, il dirige d’euphorie et d’espoirs, que Masood Kha- vingt-cinq pa- l’opération et en contrôle tous les aspects. lili nous fait partager avec sensibilité et in- tients par jour, Il approuve l’attitude du professeur Rab- telligence. il enjoint un pa- bani conseillant de garder de bonnes rela- On relèvera, parmi tant d’autres, cer- rent de chevau- tions avec l’ISI (services de renseignement tains de ces « moments »: cher les épaules pakistanais). - Une plongée dans la vie quotidienne avec de son patient, Il s’inquiète de l’après-guerre. « Nous ses multiples aphorismes ; quelques-uns prononce des devrions travailler, poser les fondations à la volée : en voyage, rêver d’un cheval paroles divines de la paix ; toute situation d’après-guerre porte chance et d’un chameau, malchance. et, d’un mou- est encore plus difficile que la guerre elle- Même géographie pour le furoncle que vement précis, même, particulièrement pour l’Afghanis- l’on soigne avec une décoction d’oignons, extrait la dent tan, étant donné sa position géographique fesse droite, on devient riche, fesse gauche, malade qu’il brandit sanguinolente devant aux enjeux stratégiques complexes.» Une pauvre. Un jour Masood Khalili voit voler l’assistance. « Dieu te bénisse, barbier fois la liberté reconquise, la stabilité néces- haut un couple d’aigles dans un ciel d’un chirurgien-dentiste. » sitera « un puissant leadership politique. » bleu de fer. « Selon nos traditions, l’aigle - Des violences et des souffrances récur- Alors qu’à l’approche de la rivière Ku- n’est pas seulement roi, il est faiseur de roi. rentes : ici, une veuve qui, hagarde, che- nar, la longue randonnée touche à sa fin, un Notre peuple conserve cette croyance que mine avec son père estropié à la recherche débat s’ouvre à l’étape sur les priorités du si Dieu veut faire un roi d’un pauvre, il lui de ses fils enrôlés de force. Là, le corps djihad. Pour Masood Khalili, il faut se li- envoie d’abord un aigle le couronner en d’un violeur d’enfant pendu à un mûrier. bérer d’abord des Soviétiques, pour le reste songe. Je me rappelle que petit mon père - Des traces de France : qu’il s’agisse on verra. Un ancien prend alors la parole : me disait : « Mon fils, vis comme un aigle de la présence de Médecins Sans Fron- « C’est simultanément que nous devons même si ce n’est que pour une nuit. Ne vis tières ou de Pierre, un ami journaliste. Son travailler, nous libérer de l’ennemi inté- pas comme un corbeau même si c’est pour nom de guerre est Hussain, il entretient rieur tout en combattant pour nous libérer un siècle. » de bonnes relations avec tous les partis de de l’ennemi extérieur. » - Le lourd tribut payé par les animaux : la résistance. « Jovial, c’est un Français Trente ans ont passé depuis ces « Mur- dans la montagne, les pattes des chevaux typique qui parle et se comporte comme mures ». Mais leur résonance reste intacte et des ânes tremblent d’épuisement et nous. » Influence française encore avec dans un Afghanistan où « ennemis intéri- de peur. Certains chutent de centaines de les blagues échangées avec Massoud sur le eurs et extérieurs » n’ont pas disparu mais mètres, tels « de grands jouets ». « Un des collège Esteqlâl. Pour Massoud, « c’était où la poésie demeure le guide. cavaliers, raconte l’auteur, m’a affirmé que un merveilleux lycée, les élèves étaient Régis KOETSCHET parfois un cheval est si terrifié ou épuisé, intelligents et même brillants, nous avions qu’il préfère se suicider. D’un bond, il se d’excellents professeurs afghans et fran- - Murmures de guerre – lettres à ma femme – jette dans le vide pour y mourir et ne plus çais, l’ambiance était jeune et studieuse. » Afghanistan – été 1986, par Masood Khalili, avoir à faire aux souffrances infligées par Alors que l’auteur le taquine sur ce lycée Editions Erick Bonnier 560p.,2018. la montée du col. » Les pistes de rocailles pour nantis, le commandant Massoud fait sont tâchées du sang des sabots. Seules les valoir, en riant, qu’en plus des enfants bien chèvres dansent et se « donnent le spec- nés, il y en avait d’autres recrutés pour 1- Voir notre numéro 142. tacle de leur aisance. » leurs seules capacités intellectuelles. Au - Une pharmacopée de tradition et de rang desquels bien sûr il se place.

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« Ne laissons pas tomber l’Afghanistan » !

Le journal Le Monde a publié le 27 novembre sur son site lemonde.fr une tribune écrite à l’initia- tive d’AFRANE par « des membres d’ONG, d’anciens diplomates et des artistes » qui appellent les autorités françaises à « réévaluer la politique française à l’égard de l’Afghanistan. Nous remercions Le Monde de nous avoir autorisés à la publier dans nos colonnes1.

En tant qu’amis de longue date de l’Afghanistan, impli- contraire. Et les milliers de jeunes Afghans arrivant en France qués dans des actions de solidarité avec ses populations, nous après avoir perdu tout espoir dans leur pays trouvent chez nous nous inquiétons de l’apparente prise de distance de la diplo- le plus souvent de la solidarité et de l’amitié. Par leur venue, ils matie de la France à l’égard de ce pays, pourtant situé au cœur témoignent que leur pays a un immense besoin de soutien pour des crises et des recompositions à l’œuvre dans cette partie du lui permettre d’échapper à l’emprise des démons intérieurs et monde. Dit plus brutalement, l’Afghanistan a-t-il disparu des extérieurs. Comment rester sourds à leur appel ? radars français ? La France et l’Afghanistan sont liés par un traité d’amitié La France devenue si peu généreuse ? et de coopération signé en 2012. Les deux pays entretiennent Nous n’ignorons pas que la France ne peut pas être par- une relation fidèle bientôt centenaire, portée par « l’esprit » tout. Mais n’est-elle plus en capacité d’honorer même ses trai- comme l’avait dit le général de Gaulle. L’éducation en a été le tés d’amitié ? Est-elle devenue si peu généreuse qu’elle n’en- socle, et les commémorations de Mai-68 ont permis de rappe- tend plus les demandes pressantes d’une population qui n’en ler que c’est à cette époque que Georges Pompidou avait posé peut plus de se trouver prisonnière du jeu de ses voisins et des la première pierre du nouveau bâtiment du prestigieux Lycée grandes puissances ? Esteqlâl. L’archéologie et ses trouvailles remarquables en ont Nous appelons les autorités françaises à réévaluer leur po- constitué un autre fondement. litique à l’égard de l’Afghanistan. Nous attendons notamment d’elles la réaffirmation que la France reste aux côtés des Afghans Relations au point mort et entend respecter ses engagements. Outre qu’elle ne serait pas L’exposition qui vient de se tenir au Musée de l’ordre de la dénuée de réalisme, une telle attitude serait conforme à notre Libération autour de Joseph Hackin [« De l’Asie à la France histoire et à nos valeurs. Comme jadis nous voulons crier : « Ne libre. Joseph et Marie Hackin, archéologues et compagnons laissons pas tomber l’Afghanistan » de la Libération », jusqu’au 16 septembre 2018] a souligné la profondeur de cette démarche culturelle. Les deux peuples se sont aussi rencontrés dans les heures sombres de l’occupation AFRANE (Amitié Franco-Afghane) ; Barmak AKRAM, Cinéaste ; Fran- soviétique, avec le travail des « French doctors » qui restent çoise BARTHELEMY, Présidente d’AMA ; Philippe BERTONECHE, Pré- encore aujourd’hui dans la mémoire de la population afghane. sident d’AFRANE ; Alain BOINET, Fondateur de Solidarités Interna- Enfin, le sacrifice de quatre-vingt-dix soldats français au ser- tional ; Guy CAUSSE, Médecin (MDM) ; Guilda CHAHVERDI, Femme vice de la paix domine la décennie 2004-2013 de l’engage- de théâtre ; Eric CHEYSSON, Chirurgien, Président de la Chaîne de ment militaire de la France. l’Espoir ; Stéphane CRESCITZ, Président de MRCA ; Louis DE BROIS- Où en est-on à présent ? Les relations franco-afghanes sont SIA, Ancien ambassadeur ; Emmanuel DELLOYE, Ancien diplomate ; au point mort. Les insurgés en faisant exploser en mai 2017 André DE MARGERIE, Membre d’AFRANE ; Bernard DUPAIGNE, un camion chargé d’explosifs à proximité des ambassades occi- Ethnologue ; Dominique DUPUY, Présidente de Mères pour la Paix ; dentales ont réussi à réduire la présence française : transfert du Odile FAURE-OBERLIN, Médecin (MRCA) ; Patrice FRANCESCHI, service culturel à Paris, délocalisation de la Délégation archéo- Ecrivain ; Philippe GAUTHIER, Directeur de production dans le cinéma logique française et de l’Agence française de développement, ; Etienne GILLE, Ancien président d’AFRANE ; François GRUNEWALD, gel de facto du traité d’amitié, division par deux des crédits Directeur général et scientifique du Groupe URD ; Chekeba HA- alloués à la coopération et aux projets de développement, si- CHEMI, Présidente d’Afghanistan Libre ; Françoise HOSTALIER, Pré- lence des autorités françaises concernant l’Afghanistan. Quant sidente du club France-Afghanistan ; Régis KOETSCHET, Président au dialogue politique de haut niveau il paraît bien insuffisant de MADERA ; Pierre LAFRANCE, Ambassadeur de France ; Véra au regard des enjeux : sécurité régionale, lutte contre la radica- MARIGO, Présidente du CEREDAF ; Ehsan MEHRANGAIS, Président lisation, consolidation de l’état de droit, protection des biens Afghanistan Demain ; Louis MEUNIER, Ecrivain ; Pierre MICHELETTI, culturels, réchauffement climatique. Enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble ; Anne NIVAT, L’Afghanistan, décrit il y a peu comme un lieu décisif pour Grand reporter ; Philippe OBERLIN, Médecin (MRCA) ; Jean-Jacques la paix mondiale, semble avoir disparu des préoccupations des PERENNES, Dominicain ; Jean-Pierre PERRIN, Journaliste et écrivain ; dirigeants français. A-t-il disparu aussi du cœur des citoyens Yves QUERE, Membre de l’Académie des Sciences ; REZA, Photojour- français ? Le nombre d’émissions, de publications et de mani- naliste ; Gilles ROSSIGNOL, Ecrivain, ancien président d’AFRANE ; Fa- festations culturelles qui lui sont consacrées semble prouver le himeh ROUBIOLLE, Vice-Présidente du club France-Afghanistan ; May SCHINASI, Historienne ; Alain THIOLLIER, Ancien diplomate ; Vincent 1- Le titre et les sous-titres sont de la rédaction du Monde. La liste des SCHNEITER, Ancien diplomate ; Christiane THIOLLIER, Fondatrice de signataires comporte plusieurs signatures supplémentaires par rapport à la l’Asiathèque ; Frédéric TISSOT, Médecin-Diplomate ; Mohammed ZA- liste publiée dans Le Monde. HER, Président de l’ACAS

36 Les Nouvelles d’Afghanistan n°163 36 Directeur de la publication : Etienne Gille - Rédacteur en chef : Les Nouvelles d’Afghanistan n°162 Etienne Gille - Maquette : Alain Marigo - Iconographie : Véra Marigo