50 génies du luxe plaisirs & loisirs

César ritz (1850-1918)

barbe-nicole Clicquot-Ponsardin (1777-1866) Le vin, c’est moi ! L’hôtelier qui a établi aimait à répéter la en Elle a fait du paraphrasant Louis XIV les codes des palaces Extrême confort, service changé, et il maîtrise parfaitement les codes de la grande bourgeoisie. le raffiné, gastronomie : Lorsque, quatre ans plus tard, on lui en 1898, le Ritz de Paris propose le poste de directeur général du Grand Hôtel de Monte-Carlo, César Ritz fleuron du luxe hisse l'hôtellerie vers ne choisit pas : il répartit son temps entre de nouveaux sommets. Lucerne, l’été, et Monaco, l’hiver. C’est là qu’il fait la rencontre d’un jeune maître queux, Escoffier, qui organise de grands à la française dîners à Paris, Londres et Berlin. Il le re- crute pour relancer l’établissement un ien ne prédestinait César peu vieillissant. La table du Grand Hôtel Ritz à devenir l’un des devient rapidement courue, ce qui con­ Chef d’entreprise à poigne, la veuve Clicquot grands innovateurs du forte Ritz dans l’idée que la gastronomie a innové en cave et exporté son champagne Sur ce portrait peint luxe. Né en 1850 au fin fond est une composante essentielle de l’hô- par Léon Cogniet vers des alpages suisses, l’homme qui a in- tellerie. «L’association de Ritz et d’Escof- 1855, la veuve Clicquot R jusqu’à Saint-Pétersbourg et New York. ressemble à une reine venté le palace moderne grandit au fier compte parmi les événements les plus assise sur son trône. ­milieu des chèvres, avant d’être placé en heureux de leurs vies», notera sa veuve apprentissage comme dans dans un livre consacré à son mari. En une auberge à l’âge de 14 ans. L’expérience 1890, Ritz prend la direction du Savoy, à est loin d’être concluante, mais ce cadet Londres, et il confie celle du restaurant à de treize enfants n’a d’autre choix que de son chef préféré. Il a alors acquis suffi- continuer à travailler. Et puis, César Ritz samment d’expérience, à Paris, Baden- st-ce le fait d’avoir dû surmon- se sépare de ses associés pour créer sa procédés de fabrication qu’elle n’a de cesse commercialiser les cuvées Veuve Clicquot. est ambitieux. Il persévère donc, et gravit Baden (où il a racheté un hôtel avec Escof­ ter en 1805 la perte prématu- propre affaire à laquelle elle accole son nom d’améliorer. Au début du XIXe siècle, la qua- Dans l’une des lettres qu’il lui envoie à un à un les échelons, devenant serveur, fier) et Monaco pour savoir ce qui fait le rée de son mari, François ? de jeune fille («Veuve Clicquot Ponsardin»). lité de la production demeure en effet très , ce fidèle commis-voyageur l’in- puis maître d’hôtel dans un restaurant charme et la distinction d’une adresse D’avoir dû s’imposer à 27 ans Elle se recentre sur le marché national, tout aléatoire. Les levures favorisent la forma- forme que des faussaires locaux usurpent ­parisien. Et enfin directeur, en 1877, de ­remarquable : le sens de l’élégance et la Eà la tête d’une entreprise de négoce de vin de même élargi aux départements belges, tion de filaments gélatineux qui troublent son nom. Et ce pour proposer «un infâme l’Hôtel National de Lucerne. En un peu qualité du service, qui doit être efficace de Champagne à une époque où les femmes hollandais et allemands annexés par le pre- le champagne et en altèrent la saveur. Pour mélange de vins de Graves, de Sauternes, plus de dix ans son univers a radicalement et attentionné, sans être servile. Et il le étaient confinées au rôle de mère et mier Empire. Mais cela ne lui suffit pas : elle limiter ce risque, il faut effectuer de fasti- d’eau de bouleau et de liqueur» qui se vend d’épouse ? Toujours est-il que sur le célèbre brûle de reconquérir le marché phare que dieuses et longues manipulations. Ainsi les «comme du pain chaud», s’indigne-t-il. La rotonde portrait où elle pose pour le peintre Léon constitue la Russie. En juin 1814, alors que employés dans les chais doivent-ils tourner Qu’importe après tout : la contrefaçon centrale du Ritz de Cogniet, Barbe-Nicole Ponsardin, veuve l’Empereur vient tout juste d’abdiquer, elle légèrement chaque bouteille d’un quart de est la rançon de la gloire et Veuve Clicquot Londres qui Clicquot, laisse clairement deviner son ca- envoie un bateau chargé de 75 tonneaux à tour une fois par jour pour faire tomber ces fait grandir la sienne en s’adaptant aux surplombe ractère de femme à poigne. Et du caractère, la cour du tsar Alexandre Ier, qui fêtera la filaments dans le goulot et obtenir un vin goûts de chaque nation. Aux Russes, la la réception. il en ­fallait pour transformer l’entreprise fa- victoire contre Napoléon en bu- plus clair et d’un meilleur goût maison champenoise vend un vin très su- miliale fondée en 1772 par son beau-père vant son breuvage. Ayant grillé après retrait de la capsule et du cré et mousseux qui arrose joyeusement en l’une des plus prestigieuses et impor- la politesse à la concurrence, le La veuve dépôt. Avec son chef de cave les convives. Aux Anglais, il faut proposer td tantes maisons de champagne. De fait, la vin «Klikofskoe» (traduction de ­réinvestit ses Antoine-Aloys de Muller, la un vin «pas trop doux». Un autre talent de production, qui avoisinait 100 000 bou- Veuve Clicquot) devient vite bénéfices en veuve innove pour simplifier la patronne est de savoir choisir avec dis- o n do l teilles par an quand elle prend les com- ­synonyme de champagne à achetant de cette opération. Le tandem met cernement ses collaborateurs. Après le mandes en 1805, atteint 750 000 bouteilles Saint-Pétersbourg et Moscou. Il grandes vignes au point des tables de remuage décès accidentel de son vendeur interna- à son décès en 1866. Le Veuve Clicquot est s’imposera aussi comme l’in- de la région inclinées et perforées de trous : tional de choc Louis Bohne, elle recrute alors devenu l’un des fleurons du luxe et de vité vedette des nombreux ban- il suffisait d’y insérer les bou- Edouard Werlé. Cet autre Allemand qui l’art de vivre à la française à New York, quets et bals donnés lors du teilles et de faire tourner la table lui est tout aussi dévoué la sauve d’une 2,75 Londres ou Saint-Pétersbourg. Congrès de Vienne. pour obtenir un résultat plus fiable avec diversification mal maîtrisée dans la le ratio de Pourtant, cette carrière de chef d’entre- Femme d’affaires avisée, la veuve beaucoup moins d’efforts. banque d’affaires. Grâce à son soutien, la personnel par prise ne démarre pas sous les meilleurs Clicquot réinvestit ses bénéfices dans l’ac- Pour protéger sa marque, la patronne veuve Clicquot parvient à rembourser Chambre pour e auspices. Au début du XIX siècle, la quisition de vignes donnant les meilleurs poursuit en justice avec acharnement tous tous ses créanciers et propose à Werlé de l sp le r itz rel 2015, r édé i c mau quot/f avoir droit à conjoncture s’assombrit à mesure que les crus de champagne et d’autres vins (à ceux qui tentent de la contrefaire, change à devenir à 30 ans son ­associé alors qu’elle guerres napoléoniennes ferment des dé- Bouzy, Verzy, Verzenay, Avize et sur la Côte chaque saison les étiquettes et publie des en a 54. La relève assurée, elle se retire l’appeLlation bouchés aux produits français. Après sa re- des Blancs…) jusqu’à détenir plus de annonces dans la presse pour mettre en dans le somptueux château de Boursault palace traite commerciale de Russie en 1809, la 500 hectares. Celle qui sera bientôt rebapti- garde sa clientèle. Rien n’y fait, on trouve qu’elle a fait édifier pour sa fille et où elle depuis 2010 veuve tente de repartir sur de nouvelles sée par ses contemporains la Grande Dame des copies jusqu’en Russie, que sillonne décédera à 89 ans. ● s : © sp v e uv cl i c

bases. Soucieuse de son indépendance, elle de Champagne s’intéresse en parallèle aux ­inlassablement Louis Bohne, chargé d’y  Frédéric Brillet p hoto 86 Capital Dossier spécial Décembre 2015 Capital Dossier spécial Décembre 2015 87