L'enfance De Jean-Jacques Rousseau, Comédie En
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Orages_11_V8 07/03/12 15:00 Page211 L’EnfancedeJean-JacquesRousseau, comédie en un acte, mêlée de musique de François Andrieux et Nicolas-Marie Dalayrac (éâtre Favart, 1794) présentationparGauthierAmbrus Crééeauéâtredel’Opéra-Comiquele4prairialenII(23 mai1794), L’Enfance de Jean-Jacques Rousseau d’AndrieuxetDalayracmarqueàsa manièreledébutdescélébrationspubliquesquientourentletransfertau panthéon des restes de Rousseau, exécuté le 20 vendémiaire an III (11 octobre1794).Maisdansl’intervallequiséparecesdeuxdates,la FranceauraassistéàlaFêtedel’ÊtreSuprême,traversélaGrandeTerreur etvécuavecsoulagementlachutedeRobespierre,le9thermidor.C’est diresicepetitopéra-comiquevoitlejourdansuncontextechargéparle poidsetlaversatilitédesévénementshistoriques.Salectures’entrouve frappéed’unedoublecomplexité :lapremièretoucheàl’appropriationde Rousseauparl’an II,lasecondeaupositionnementdumondedeslettres etdesartsfaceàlaTerreur. Quisontlesauteurs?Commençonsparlepluscélèbredesdeux,à savoirlemusicien.Nicolas-MarieDalayrac(1753-1809)estlecompositeur d’opéras-comiquesleplusprolifiquedel’entre-deuxsiècles.Sontalentdra- matiqueetsesmélodiessimplesluiontapportéunsuccèsrapideàlafin del’AncienRégime,dansdesœuvrescommeL’Amant Statue (1785)et Nina, ou la Folle par amour (1786).Autantdepiècesàintriguesroma- nesquesetsentimentalesquicontribuèrentàpopulariserl’opéra-comique. Dalayracfraieaussiparmilesfiguresdelaviedesidées.Inscritàlalogedes NeufsSœurs,ilauraitcomposé–selonpixerécourt–lamusiquesur laquellevoltaireyfutaccueillienavril 1778,puiscellepourlaréception Orages_11_V8 07/03/12 15:00 Page212 212 GAUThIER AMBRUS deFranklindanslesalondeMadamehelvétius1.LaRévolutionvoitsa carrières’épanouir,sansenmodifierbeaucouplatrajectoire.Lesœuvresse suiventàunrythmerapide,souventavecéclat,commepourCamille, ou le Souterrain (1791),quiexploitelaveine« noire »alorsenfaveurauprès dupublic.Dalayracs’assurelacollaborationdeslibrettisteslesplusenvue (Marsollier,Desfontaines,Monvel),maisiltravailleaussiavecdesdébu- tantsprometteurscommepicard.Ilestappréciédesparolierspoursavoir mettresonartauserviced’uneintriguedethéâtre2.Etlapolitique?Elle semblebienloindespréoccupationsd’unartistequi,commelaplupart desescollèguesmusiciens3,setientàl’écartdesclivagesdel’époque: « étrangeràtouslespartis,iln’existaplusquepourlacomposition. »4 MaiscontrairementàunGossecouunMéhul,iln’écritguèrepourles cérémoniesofficielles.C’estparunconcoursdecirconstancesquel’unde sesairs–tirédeRenaud d’Ast (1787)–devientavecdenouvellesparoles l’undesrefrainslesplusfameuxdelaRévolution,veillons au salut de l’em- pire,lorsqu’ilestjouéauxcôtésdeLa Marseillaise dansL’Offrande à la liberté arrangéeparGossec,lorsdesfestivitésquiaccompagnentlavictoire devalmyennovembre 1792.Celan’empêchepasDalayracdenourrirdès l’an IIlamassedesœuvres« patriotiques »,avecLa Prise de Toulon (1794), ouencorelecurieuxCongrès des rois defévrier 1794,œuvreécriteàplu- sieursmains,quiconnutlesfoudresdelacensurejacobinepoursonexcès demauvaisgoûtsans-culotte.Ilcomposaenoutredeuxairsdeguerre5 – dontl’unfortappréciéparConstantpierre6 –etunemusiquepourcélé- brerl’ÊtreSuprême,dontonignoresielleajamaisétéexécutée7.Mais 1 René-CharlesGuilbertdepixerécourt,vie de Dalayrac,paris,Barba,1810,p. 31.Mais l’informationestsujetteàcaution(voirCharlesporset,« NicolasDalayracetlalogedes NeufsSœurs »,dansNicolas Dalayrac. Musicien murétain, homme des Lumières,Muret, SociétéNicolasDalayrac,1991). 2 R.-C.Guilbertdepixerécourt, op. cit.,pp. 37-40. 3 voirAdélaïdeDeplace,La vie musicale en France au temps de la Révolution,paris,Fayard, 1989etpourlecasexemplairedeGossec,ClaudeRolle,François-Joseph Gossec (1734- 1829). un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles x,paris,L’harmattan,2000. 4 R.-C.Guilbertdepixerécourt,op. cit.,p. 77. 5 parusrespectivementdanslestroisièmeetneuvièmelivraisonsduMagasin de musique à l’usage des fêtes nationales (juinetnovembre-décembre 1794). 6 Constantpierre,Les Hymnes et les chansons de la Révolution,paris,Imprimerienationale, 1904,p. 702. 7 ibid.,p. 692. Orages_11_V8 07/03/12 15:00 Page213 L’ENFANCE DE JEAN-JACQuES ROuSSEAu, COMéDiE EN uN ACTE 213 toutcela,sansautreadhésionquecelled’unartistecélèbrequisaits’adap- terauxexigencesimposéesparlesévénements,sanspartiprisnirejet–ou reniementsultérieurs,quandilécritaudébutdel’an IIIlamusiquedes Détenus, ou Cange, commissionnaire de Lazare,l’unedesœuvres-symboles deermidor8.Commesilasentimentalitémusicalequ’ilincarneétaitla caissederésonanced’une« opinionpublique »résistantauxsoubresautsde l’histoire.LamusiquedeDalayracs’associaitdoncfortbienàlavieetà l’œuvredeRousseau,dontellen’étaitpassansprolongerlesthéories,par- tageantenparticulierunmêmegoûtpourlaromance. Devantlerôleplastiqueducompositeur,c’estducôtédel’écrivainqu’il fautallercherchercequidistingueL’Enfance de Jean-Jacques Rousseau des autresproductionsdecettepériode.En1794,François-Guillaume-Jean- StanislasAndrieux(1759-1833)setrouvedansunesituationparadoxale9. Ilavaitété,toutcommeDalayrac,l’unedesjeunesgloiresdumondedes spectaclesd’avantlaRévolution.Sesdeuxpremièrescomédies -Anaxi- mandre, ou le Sacrifice aux Grâces (1780)etsurtoutLes étourdis, ou le Mort supposé (1787)–avaientfaitdeluil’undesrénovateursdelascènecomique, àl’imagedesonamiCollind’harleville,pourlequelilavaitduresteécrit unescènedeL’Optimiste.MaislaRévolutionétaitvenueinterrompreces débutsprometteurs.Elleavaittoutd’abordobligéAndrieux,quivoyaitsa carrièred’avocatcompromise,àchercherunmoyendesubsistancequ’il trouvafinalementen1791enétantnomméàlatêtedubureaudelaliqui- dationdesdettesd’état.S’ilavaitd’embléeprisfaitetcausepourl’ordre nouveau,ilsembleêtrerestéàdistancedesévénements,tantsurleplan politiquequelittéraire.Quecompose-t-ilaucoursdecesannées?Rienpour lethéâtre–sansdoutetropexposé–maisdeslivretssurdessujetsdansl’air dutemps,d’abordpourunopéradeLemoyne,Louis ix en égypte (1790, avecGuillard),puispourunopéra-comiquedeBerton,Les Deux Sentinelles (1791).L’opéraest-ilalorslagarantied’unecertaineprudencedansl’écri- turepourlascène?Lamusiqueoffre-t-elleunrefugeauxnostalgiquesd’un tempsquin’estplus?Andrieuxconfiesesopinionsmodéréesdansdebrefs poèmes–genreoùilexcelle–commeLes Français au bord du Scioto (1790) 8 voirOlivierBara,« L’imaginairescéniquedelaprisonsouslaRévolution.éloquenceet plasticitéd’unlieu commun »,dansLes Arts de la scène et la Révolution française,sousladir. dephilippeBourdinetGérardLoubinoux,Clermont-Ferrand,pressesuniversitairesBlaise- pascal,MuséedelaRévolutionfrançaisedevizille,2004,pp. 395-418. 9 Surlavieetlacarrièred’Andrieux,voirlanoticed’AlphonseTaillandierdansLa Liberté de penser (t.v,paris,1849,pp.128-147et233-250). Orages_11_V8 07/03/12 15:00 Page214 214 GAUThIER AMBRUS et,plusengagé,uneépître au Pape (1790ou1791)quifutmaintesfois réimprimée,etlueàlaSociétépopulairedesMontagnardsdeprovinsen 1792.L’anticléricalismeéclairédecetextesusciteraunerépliquedeFabre d’églantine–l’ennemideColind’harleville–intituléeavecironieRéponse du pape à F.-G.-J.-S. Andrieux (1791).petitepolémiqueviteoubliéequi n’estpourtantpassansintérêt,carellepermetdemieuxsituernotreauteur danslesenjeuxdutemps.L’épisodeillustrefortbiencequiséparehommes delettres« girondins »et« jacobins »,favorableslesunsetlesautresàla Révolution,maisàdesdegrésinégaux:l’auteurduPhilinte de Molière reprochesarcastiquementàceluidesétourdis demeneruncombatd’ar- rière-gardelorsqu’ils’attaque,aveclaphilosophiedevoltaireoudeDide- rot,aupouvoirdespréjugés,alorsquelesconditionsdubonheurde l’hommerelèventdelapolitiqueetdesrapportsdeforcequil’accompa- gnent.Maispeut-êtreles« Feuillants »commeluitrouvent-ilsleurcompte àtromperainsil’opinion.L’accusationétait-elleàprendreausérieux?Quoi qu’ilensoit,onvoitAndrieuxdémissionnerdesesfonctionsadministratives aprèslecoupd’étatcontrelesGirondinsdu31 mai1793.Ilseretirealors pourplusieursmoisdanslemanoirdecampagneducherCollin,auxenvi- ronsdeparis,oùtousdeuxoccupentleurtempsenpromenadesetcolla- borationspoétiques10.Détailintéressant,ilsontpourvoisinOlivierde Corancez,quiavaitétél’unedesdernièresfréquentationsdeRousseauetse feraledéfenseurdesamémoireàlafinduDirectoire. Lasuiteestplusobscure.DansquellescirconstancesAndrieuxregagne- t-ilparisaudébutde1794?Etcommentsedécidelacollaborationavec Dalayracpourunopéra-comiquesurRousseau?A-t-ilvoulu,parcrainte d’êtreinquiété,montrersabonnevolontéenverslesautoritésdel’an II,en employantsontalentdepoèteàuneœuvredepropagande11 ?Lecomitéde salutpublic,àtraverslacommissiond’instructionpubliquequ’ildirigeait, 10 François-Guillaume-Jean-StanislasAndrieux,« NoticesurlavieetlesouvragesdeCol- lin-harleville »,dansŒuvres,paris,Nepveu,1818-1823,t. Iv,pp.64-73. 11 Outrelessynthèsesanciennesd’henriWelschingeretpauld’Estrée,voirnotamment MartinNadeau,« Lapolitiqueculturelledel’an II:lesinfortunesdelapropaganderévo- lutionnaireauthéâtre »,Annales historiques de la Révolution française,no 327,2002;Serge Bianchi,« éâtreetengagementsurlesscènesdel’an II »,dansLittérature et engagement, sousladir.deLaurentLotyetIsabelleBrouard-Arends,presseuniversitairesdeRennes, 2007;MarjorieGaudemer,« Ladramaturgiepropagandiste:l’exempledelaTerreur », dansLe éâtre sous la Révolution. Politique du répertoire (1789-1799),sousladir.deMar- tialpoirson,paris,Desjonquères,2008. Orages_11_V8 07/03/12 15:00 Page215 L’ENFANCE DE JEAN-JACQuES ROuSSEAu, COMéDiE EN uN ACTE 215 avaitrequisleconcoursdeshommesdelettresafinqu’ilsparticipentau renouvellementdesmœursetdesidées.Certainsfurentdirectementsolli- cités12 (ilenfutainsid’Arnault13 etdepigault-Lebrun),d’autresproposè- rentspontanémentleursservices,commeéodoreDesorgues,futurauteur del’Hymne à l’Être Suprême,Dorvignyetpeut-êtreCollind’harleville14.