Le château de Marly Et ce lieu si brillant que Louis avait embelli, sera rendu sans doute aux oiseaux marécageux auxquels on l'avait enlevé,

Comte d'Hézecques Notes et documents des musées de France 29

Stéphane Castelluccio Chargé de recherche au C N R S

Le château de Marly sous le règne de Louis XVI

Étude du décor et de l'ameublement des appartements du Pavillon royal sous le règne de Louis XVI

Prix Paul Cailleux 1991 En couverture : Pierre-Denis Martin, Vue générale du château et des jardins de Marly en 1724 @ Édition de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1996 49, rueJrt/gnne Marcel, 75001 Paris -1SSN':'0?1Ç5V/1 "ISBN-; : - li 8-253-8 Préface 5

La vie de cour, de Louis XIV à Louis XVI, était toujours une longue itinérance au sein de laquelle Versailles devenu le siège du Gouvernement, devint un port d'attache d'abord choisi, bientôt subi. Aux « grands voyages » institutionnels à Compiègne, Fontainebleau et Saint-Germain, Louis XIV ajouta des étapes plus pri- vées à Trianon ou Marly. Louis XV allongea coûteusement la liste avec Choisy, Bellevue, Meudon, Saint-Hubert, tandis que Louis XVI l'imita plus modestement avec Rambouillet et Saint-Cloud. Guerres et révolutions, vandalisme et cupidité ont eu raison de cinq de ces châteaux. S'il fallait établir un palmarès des résidences royales disparues de la cou- ronne parisienne, il n'est pas douteux que Marly arriverait en tête de nos regrets, tant sa conception était originale, et même si à travers la rivalité entre les deux com- plices obligés qu'étaient Jules Hardouin Mansart et André Le Nôtre, avait pu se glisser quelques souvenirs italiens de la Villa Rotonda, de la Villa d'Esté et de la Villa Aldobrandine à Frascati. Trop privés, conçus par Louis XIV « pour ses amis », moins d'une centaine de personnes, ce palais d'Armide et ce jardin d'Alcine, où la pluie ne mouillait pas, furent sitôt la mort du Roi un chef-d'œuvre en sursis. Saint-Simon le défendit quand le Régent prétendit raser ce « palais des fées, unique en toute l'Europe en sa forme, unique encore par la beauté de ses fontaines, unique aussi pour la réputa- tion que celle du feu Roi lui avait donnée ; que c'était un des objets de la curiosité de tous les étrangers de toutes qualités qui venaient en France ; que cette destruc- tion retentirait par toute l'Europe avec un blâme [... ] que toute la France serait indignée de se voir enlever un ornement si distingué ». Le charme de Marly devait opérer longtemps encore. Si le pavillon royal malgré les aménagements de ses appartements exigus ne fournissait que des pos- sibilités relatives de confort, le parc était là, toujours plus beau avec ses eaux et ses bosquets où une pléiade de divinités rustiques semblaient devoir poursuivre sans fin leurs courses et leurs jeux. Les craintes de Saint-Simon se réalisèrent un siècle plus tard. Aujourd'hui Marly est toujours ressenti comme un grand absent. Mais cette absence n'est pas un vide car jamais les historiens ne se sont autant intéressés à ce domaine dont l'espace donne à rêver et qui fait épisodiquement l'objet d'une trop courte sollici- tude des pouvoirs publics. Il reste d'un côté le site, presque intact, de l'autre les sculptures, épargnées par la tourmente et, au centre, un musée-promenade gar- dien de la mémoire. Dans ce concert discret l'évolution de Marly sous Louis XVI n'avait pas encore été étudiée, alors que la vie de cour, telle que l'avait voulue Louis XIV, y brillait de ses derniers feux. Il faut savoir gré à Stéphane Castelluccio de l'avoir entreprise car tout ce qui permettra la résurrection de Marly est salutaire. Christian BAULEZ Conservateur en chef au musée national du château de Versailles et des Trianons : j > 6 Sommaire

5 PRÉFACE 9 REMERCIEMENTS 11 AVERTISSEMENT 1 Introduction ' 12 HISTOIRE DU CHÂTEAU 14 LE CHÂTEAU DE MARLY PENDANT LE RÈGNE DE LOUIS XVI 36 LE CHÂTEAU DE MARLY PENDANT LA RÉVOLUTION 2 Décor et ameublement du pavillon royal CHAPITRE 1 Le rez-de-chaussée 48 PRÉSENTATION 50 LES VESTIBULES 64 LE SALON 80 L' 81 La Chambre du Roi 93 Le Cabinet du Conseil 100 L'Antichambre ou Pièce à la Poudre 108 LES CABINETS EN ENTRESOL DE L'APPARTEMENT DU ROI 109 L'Entresol 114 Le Grand Cabinet 122 Le Cabinet de Retraite 127 L'APPARTEMENT DE LA REINE 128 L'Antichambre 132 La Chambre de la Reine 142 Le Cabinet Bas 150 LES CABINETS ENTRESOLÉS DE L'APPARTEMENT DE LA REINE 152 Le premier cabinet entresolé 154 Le deuxième cabinet entresolé î 157 Le troisième cabinet entresolé | 160 L'APPARTEMENT DE LA COMTESSE DE PROVENCE f 162 L'antichambre 1: 164 La chambre 170 Le cabinet 173 L'APPARTEMENT DU COMTE DE PROVENCE '74 La première antichambre 75 La seconde antichambre 176 La chambre " 79 Le cabinet 182 L'APPARTEMENT DE LA COMTESSE D'ARTOIS 184 La première antichambre 185 La seconde antichambre '87 La chambre 190 Le cabinet 7

CHAPITRE Il Le premier étage 194 PRÉSENTATION 200 L'APPARTEMENT DE MADAME ÉLISABETH 201 L'antichambre 203 Le grand cabinet ou cabinet des Nobles 206 La chambre 209 Le cabinet de retraite 212 LE PETIT APPARTEMENT DU ROI 213 La Pièce des Buffets 216 La Salle à Manger 219 La Pièce du Tour 224 LES APPARTEMENTS Nos 9, 1 0 et 11 225 L'appartement n° 9 226 L'antichambre 227 Le grand cabinet 229 La chambre 231 Le cabinet de retraite 234 Les appartements n';- 10 et 11 235 La première antichambre des appartements ncs 10 et 11 235 La seconde antichambre des appartements nos 10 et 11 236 Le grand cabinet des appartements nos 10 et 11 237 La chambre de l'appartement n° 10 239 Le cabinet de retraite de l'appartement n° 10 24CJ La chambre de l'appartement n° 11 24' Le cabinet de retraite de l'appartement n° 11 244 L'APPARTEMENT DU COMTE D'ARTOIS 245 La première antichambre 245 La seconde antichambre 246 La chambre 250 Le cabinet 3 Conclusion 254 257 SOURCES IMPRIMÉES 258 BIBLIOGRAPHIE 260 CHRONOLOGIE DES TRAVAUX RÉALISES DANS LE PAVILLON ROYAL 261 CALENDRIER DES VOYAGES DE LA COUR AU CHÂTEAU DE MARLY 262 INDEX 8 Remerciements 9

Je tiens à exprimer toute ma grati- extérieures à l'École nationale du tude à Christian Baulez, Patrimoine. Conservateur en chef au musée Henri-Jean Schubner, directeur du national du château de Versailles Département de minéralogie du qui m'a permis de consulter sa Muséum d'histoire naturelle. documentation et dont les conseils Jacques Tassinari, directeur de la et la bienveillance m'ont été particu- maison Tassinari et Chatel. lièrement précieux pendant mes Jean Vittet, Inspecteur au Mobilier recherches. national. Je tiens également exprimer ma Je remercie également les nom- reconnaissance à Daniel Alcouffe, breuses personnes dont j'ai sollicité Conservateur général chargé du le concours lors de mes recherches département des Objets d'Art du dans les archives, bibliothèques et musée du Louvre, pour son aide musées. Parmi elles, je citerai plus et son soutien au cours de mon particulièrement, aux Archives travail. Nationales : Michèle Bimbenet- Qu'ils en soient ici remerciés. Privat, conservateur : Nicole Felkay, conservateur; Danielle Gallet, Il m'est agréable de remercier conservateur; Anne-Marie Joly, aussi : secrétaire de documentation ; Roland Bossart, documentaliste au Brigitte Labat-Poussin, conserva- musée national du château de teur. Ainsi que Tamara Préault, Versailles. archiviste et bibliothécaire de la Yves Carlier, conservateur au Manufacture de Sèvres ; Germaine musée national du château de Matthieu, conservateur de la biblio- Fontainebleau. thèque municipale de Besançon ; Jean Coural, administrateur général Yves Bottineau, professeur à l'uni- du Mobilier national. versité de Paris-X Nanterre. Jean-Paul Desroches, conservateur au musée Guimet. Je tiens à exprimer ma reconnais- Pierre Ennes, conservateur au sance et ma gratitude à la département des Objets d'Art du Fondation Paul Cailleux et aux musée du Louvre membres du Comité du Prix Jean-Jacques Gautier, Inspecteur Cailleux pour la confiance et l'hon- au Mobilier national. neur qu'il m'ont fait en m'attribuant Gilles Huot, HDL Design. ce prix. Marie Lionnard, à la Réunion des Musées Nationaux. Gérard Mabille, conservateur en chef au département des Objets Je remercie ma mère, ma sœur et d'Art du musée du Louvre. Christophe David qui ont accepté Bruno Pons (t), conseiller pour la tâche ingrate de la relecture et de la recherche et les relations la correction du manuscrit. 10

Fig. 1 Plan et distribution des appartements du rez-de-chaussée du Pavillon royal, 1766. A.N. 01 1468.76

Pour faciliter la lecture des plans et descriptions, rappelons (Fig. 1) : Le vestibule Est est le vestibule du Le vestibule Ouest fait face à l'an- L'appartement rouge, puis n° 1, est côté de la chapelle et de la salle des cienne Perspective, entre celui du Roi dans l'angle Nord-Est. gardes. Placé entre l'appartement du l'appartement n° 3 et l'appartement L'appartement vert, puis n° 2, est Roi et l'appartement n° 4, il est le de la Reine. celui de la Reine, dans l'angle Nord- vestibule d'entrée du Pavillon royal. Le vestibule Sud, face à la Rivière Ouest. ' Le vestibule Nord, situé face aux entre les appartements n° 4 et n° 3, L'appartement aurore, puis n° 3, jardins entre les appartements du Roi abrite le billard. se trouve dans l'angle Sud-Ouest. et de la Reine, sert de salle à manger. L'appartement bleu, puis n° 4, est situé dans l'angle Sud-Est. i. Averti s s e m e n t 11

Conversion dans le système métrique Louis-François Boutheroue-Desmarais, des anciennes unités utilisées sous de 1778 au 8 août 1793. l'Ancien Régime1 : Nicolas-Michel Picard, dit Charpentier, 1 ligne : 0,00229 mètre du 8 août 1793 à l'aliénation du domaine, 1 pouce (12 lignes) : 0,02707 mètre le 11 germinal an VII (31 mars 1799). 1 pied (12 pouces) : 0,324 mètre Simon Deschamps est conservateur et 1 toise (6 pieds) : 1,944 mètre gardien du château pendant la Révolution. 1 aune : 1,18844 mètre (15/16 d'aune : 1,14 mètre) Se sont succédés comme concierges du château : L'orthographe originale des textes cités Hubert, de 1685 à décembre 1704. a été conservée. Des majuscules ont été Charles Hollande, de décembre 1704 adoptées pour la dénomination des à sa mort le 9 février 1743. pièces dépendantes des appartements Jacques Hollande, frère du précédent, royaux. du 9 février 1743 à sa mort le 26 janvier 1748. Charles Oudet, de février 1748 Au XVIIIe siècle, le contrôle du château à sa mort, le 27 septembre 1768. de Marly est tenu par les architectes sui- François Jean Estachon, vants : du 27 septembre 1768 à mars 1778. Jean Cailleteau de Lassurance, Jean François Bain, de 1724 à sa mort en 1755. du 1er avril 1778 jusqu'en 1788. Jacques-Germain Soufflot, du François Marc Bain fils, 25 septembre au 18 décembre 1755. de 1788 à 1795. Charles-Jacques Billaudel, du Joseph Le Page (ancien second 18 décembre 1755, à sa mort en 1762. garçon du garde-meuble de Marly), Ange-Antoine Gabriel, fils d'Ange-Jacques à partir du 28 ventôse an III Gabriel, de 1 762 à 1778. (20 mars 1795).

Liste des abréviations employées dans les notes : A.N. : Guiffrey : Archives Nationales. GUIFFREY (J.), Comptes des A.N., Min, Cen. : Bâtiments du Roi sous le règne de Archives Nationales, Minutier Louis XIV (1664-1715), Paris, Central. Imprimerie Nationale, 5 volumes, A.Y. : 1881-1901. Archives départementales des Guiffrey, Inv. G" : Yvelines. GUIFFREY (J,), Inventaire général du mobilier de la Couronne sous Louis B,N. ms. fr. : XIV, Paris, J. Rouam, 2 volumes, Bibliothèque Nationale, 1886. manuscrits français. B.N, Cab. des Est. : Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes. NOTES 1 Coural (J.), Mobilier P.V. vente : national, Soieries Empire, Procès-verbal de la vente Inventaire des collections du mobilier. publiques françaises, Paris, R.M.N., 1980, pp. 3O■ f3?r V— J, 1 -' Ulù, . 1 , , v. . 12 1 Introduction Histoire du château

Après avoir choisi le site en 1676, Louis XIV fit construire Marly sur les plans de Jules Hardouin-Mansart de 1679 à 1683, L'originalité essentielle du château réside dans son plan éclaté, composé du grand Pavillon royal destiné au Souverain et à sa famille, qu'accompagnent les douze petits pavillons des courtisans invités. Cette disposition au milieu des jardins est en rupture avec la tradition du château français entre cour et jardin. L'axe d'arrivée est perpendiculaire à celui des jardins et aucune cour ne pré- cède le Pavillon royal, situé non sur une hauteur mais au fond du vallon, Malgré les apparences, la tradition française est présente dans les jardins : le Pavillon royal en est le pivot ; c'est en son centre, dans le Salon, que se croisent l'axe d'arrivée et per- pendiculairement celui des jardins. La résidence royale, sur une hauteur, domine ces derniers comme il se doit. Conformément à l'usage, les axes, parterres et bas- sins... jusqu'à l'Abreuvoir ont été calculés pour mettre en valeur le Pavillon royal qui ferme la perspective au Sud. Sa disparition laisse un vide inesthétique sensible aujour- d'hui. Cette dépendance étroite entre les jardins et les pavillons entraîna l'abandon, dès le règne de Louis XIV, de tout projet d'agrandissement de ces derniers. Le plan du Pavillon royal constitue l'autre originalité de Marly, Mansart marque le centre de ce carré parfait par un Salon octogonal que desservent quatre vestibules dans les axes. Un appartement, simplement distribué en une antichambre, une chambre et un cabinet, minimum classique au XVIIe siècle, occupe chaque angle. Une distribution identique est adoptée après 1698 pour les logements des douze petits pavillons. Ces appartements réduits ne laissent place à aucune intimité. La vie en société fait que la noblesse est constamment sous les yeux du Souverain. Si pour Louis XIV, Marly est une résidence de détente non officielle, elle est avant tout un instrument politique de contrôle de la noblesse1. Compte tenu de la petitesse du château, un choix est nécessaire dans les invités pour les voyages qui commen- cent en septembre 1686. Une invitation est le reflet de la faveur royale. Pour cela, chacun doit faire une demande personnelle au Roi, le fameux « Sire, Marly? ». Louis XIV raye ensuite sur la liste les personnes qu'il refuse à leur grande mortification. Le Souverain flatte parallèlement sa noblesse en lui réservant exclusivement cet honneur. Une fois à Marly, il est interdit aux invités de découcher et aux non-invités de se présenter devant le Roi sans sa permission. Ceci justifie l'aspect du domaine et des jardins, repliés sur eux-mêmes, plus intimes, sans autre ouverture vers l'extérieur que la terrasse au- dessus de l'Abreuvoir, Fréquence et durée des séjours dépendent uniquement de la volonté royale. Dans les années 1686-1690, Louis XIV vient généralement trois jours, du mercredi au samedi ; à la fin du règne, il passe à Marly le tiers de l'année. Le Roi procure à ses hôtes tous les agréments et veut que l'on s'amuse. Les invités, ayant le sentiment d'être des privilégiés choisis dans l'élite, ont l'humeur joyeuse. Pour les jeux d'extérieur, mail, portiques et Ramasse, ancêtre de nos montagnes russes, sont à leur disposition. A l'intérieur, si le jeu reste l'activité domi- - 13

nante, les concerts succèdent aux représentations théâtrales, Mais l'atmosphère bon enfant d'une réunion entre amis est particulièrement sensible lors des carnavals ; ceux des années 1699-1700 sont les plus brillants. Saint-Simon, régulièrement invité, a laissé de savoureuses pages sur ces mascarades, théâtres de gaffes, niches ou taquineries parfois méchantes, impensables à Versailles, siège officiel de la Monarchie. Marly, œuvre d'art originale au but politique précis et efficace, connaît son apogée sous le règne de son créateur. Rapidement, Louis XIV apprécie de plus en plus le charme des jardins, dont il dirige étroitement l'élaboration et les modifications, et l'at- mosphère plus intime et moins officielle, Il quitte Marly le 10 août 1715, cinq jours avant la déclaration de la maladie qui l'emporte le 1er septembre 1715. Marly perd sous le règne de Louis XV son rôle politique vis-à-vis de la noblesse : soit le Roi ne le comprend pas, soit il ne veut pas le poursuivre. Le calme de la Régence montra le succès de la politique de Louis XIV : la docilité de l'aristocratie ne justifie plus une attitude aussi stricte. L'Étiquette du Roi-Soleil pour la liste est toujours en usage, mais dès le début des années 1730, Marly s'ouvre avec le principe des « polis- sons » ou « salonistes », Différenciés par une croix sur la fameuse liste, ces derniers ont la permission de venir jouer au Salon en présence du Roi, mais ne peuvent pré- tendre avoir un logement. De par l'affluence des demandes, certaines personnes se relaient tous les trois ou quatre jours dans un même appartement. En 1761, LouisXV autorise toutes les personnes « qui auront affaire, ou qui voudront faire leur cour » à venir à Marly sans permission. La fermeture totale de Marly pendant le séjour du Roi imposé par LouisXIV est révolue. Son aspect réservé à l'aristocratie disparaît pro- gressivement ; de plus, l'ampleur des sommes jouées dans le Salon attire de gros joueurs dont les louis d'or suppléent les degrés de noblesse. Pour loger une cour et une famille royale en expansion et devant l'impossibilité de modifier les pavillons sans compromettre l'unité de l'ensemble, on choisit de construire ou d'agrandir les pavillons des communs. Parallèlement, tous les appartements du Pavillon royal sont peu à peu entresolés à partir de 1738. En 1750, un étage sup- plémentaire éclairé par des vasistas, mais invisible des jardins, est ajouté au-dessus de l'attique. En 1724, Louis XV effectue son premier séjour à Marly, pour éviter une épi- démie de variole à Versailles. Le Souverain vient ensuite plus ou moins régulièrement tous les ans. Rapidement, ces voyages ont lieu en janvier-février dans la première moitié du règne, puis entre mai et juillet après 1750, mais les exceptions existent. Ce n'est plus la volonté royale qui les fixe. L'évolution de l'Étiquette et son ouverture progressive font perdre leur caractère intime et bonhomme aux séjours de Marly qui devient une résidence royale supplé- mentaire avec ses contraintes, certes moins pesantes que dans une résidence officielle. Louis XV, qui n'éprouve pas le penchant marqué de son aïeul pour Marly, lui préfère d'autres châteaux comme Choisy ou Bellevue. C'est avec Louis XVI et Marie-Antoinette que Marly luira de ses derniers feux. NOTES 1 Castelluccio, 1996. 14 Le château de Marly pendant le règne de Louis XVI

Fig. 2 Nicolas-Quinibert Foliot. Chaise du premier pavillon à droite en haut du château de Marly, n° 4407, livrée par Capin le 31 mars 1775. Musée des Arts Décoratifs, Inv. n° 23729.

Quand Louis XVI monte sur le trône, Marly ne peut plus évoluer architecturalement : toute la place disponible pour la création de nouveaux logements est occupée. Les seuls travaux de grande ampleur réalisés dans le Pavillon royal seront l'entresolement de la chambre de la Reine durant l'hiver 1780-1781. Les bâtiments sont désormais figés. Dans les pavillons, les modifications se limitent au mobilier : on remplace les meubles de damas cramoisi des quatre premiers pavillons des princes du sang. Commandés le 21 février 17741, Capin les livre le 31 mars 1775 : « Quatre meubles de toile de Perse encadrés de grande et petite bordure de même toile et bordé de crête de soie nuée consistant chacun en un lit, deux fauteuils en bergère, six chaises, un écran et deux rideaux de fenêtre », destinés aux princesses ; et « quatre autres meubles de toile de Perse fond blanc à bouquets noués par des rubans cramoisy encadré de bordure assortissante et bordés de crète de soye nuée consistant chacun en un lit, un fauteuil en bergère, quatre chaises, un écran et deux rideaux de fenêtre » destinés aux princes 2, Les quatre premiers meubles prennent place au premier étage des pavillons. Les meubles des princes sont disposés dans les appartements du rez-de- chaussée3. Une chaise d'un des meubles destinés aux princesses, avec une étiquette marquée « 1" pavillons à droite Chambre En haut », est actuellement conservée au . 15

musée des Arts Décoratifs (Fig. 2). Elle était en 1788 dans une des deux chambres de l'appartement du premier étage qui abritait deux personnes4. En 1769, ce pavillon était attribué au duc d'Orléans et au prince de Condé. Pendant l'été 1784, le meuble de perse de la chambre du premier étage du second pavillon du côté de Louveciennes, occupé par la duchesse de Bourbon, est rem- placé par l'ancien meuble de Madame Sophie, Le lit de gros de Tours broché « à bouquets détachés et bordure à treillage, le tout bien passé » est « refait à la moderne » ; les bois dorés des deux fauteuils et de l'écran sont renvoyés au Garde-Meuble le 24 octobre 1784. Leur étoffe sert à recouvrir les deux fauteuils, les quatre chaises et l'écran d,u meuble de perse des princesses en place dans cette chambre depuis 17755. Au rez-de-chaussée, un meuble de damas remplace celui de perse des princes qui prend place dans la chambre du premier étage du premier pavillon du côté de Louveciennes6. Cinq des huit meubles de perse des pavillons sont vendus en septembre 17937. Devant les ravages de l'humidité sur les étoffes des appartements, en 1784, Thierry de Ville d'Avray fait coller du papier peint simple, gris blanc à fleurs bleues dans les garde-robes ; à fond gris blanc à rayures et petites corbeilles de fleurs dans les chambres du premier étage des cinq premiers pavillons. Au rez-de-chaussée, l'humidité est telle que les papiers peints collés ne tiennent pas. Thierry, qui désap- prouve l'usage des bergames et des damas cramoisis, demande que les garde-robes des pavillons des seigneurs soient tendues de fleuret uni. En 1785, les bâtiments de service, Bâtiment rond, Bâtiment neuf, la Bouche du Roi... sont à leur tour tapissés de papiers peints8. Sous le règne de Louis XVI, les séjours à Marly sont traditionnellement fixés en mai-juin. Parfois la Cour s'y rend une seconde fois en octobre, comme en 1778 et 1779. La durée moyenne d'un voyage est d'une vingtaine de jours, ceux de plus d'un mois des années 1774 et 1776 restent exceptionnels. En 1774, la Cour voyage de château en château dans l'attente du nettoyage du château de Versailles de la variole dont mourut Louis XV. Louis XVI et ses frères, les comtes de Provence et d'Artois, ainsi que la comtesse d'Artois se font inoculer cette année-là à Marly9. La longueur du séjour de 1776 est due à une épidémie de rougeole sévissant à Versailles, que certains membres de la famille royale ont contracté, comme l'écrit Marie-Antoinette à sa mère le 14 juillet 1776 : « Madame ma très chère mère, nos rougeole sont finies le plus heureusement du monde, Celle du comte d'Artois a été plus effrayante d'abord [...]. La rougeole de Monsieur a été beaucoup moins forte et n'a donné aucune inquié- tude [...]. Nous sommes resté à Marly non seulement pendant la rougeole de mes frères et leur convalescence, mais jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de rougeole à Versailles 10 ». Malgré cet aspect traditionnel et réglé, les séjours de la Cour à Marly ne sont pas réguliers : il n'y eut pas de voyage en 1775 et 1777 et de 1782 à 1788. Le dernier eut lieu du 14 au 21 juin 1789. La liste pour le voyage du 25 avril au 22 mai 1779 est « fermée » le 23 avril, soit seulement deux jours avant le début du séjour. Plus de cent quarante personnes sont 16 acceptées. Après le voyage d'octobre 1778, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie, tantes de Louis XVI, ne participent plus aux séjours de Marly ; elles préfèrent le calme Le château de Marly de leur château de Bellevue. Le comte d'Artois s'absente souvent pour aller dîner ou pendant le règne de Louis XVI souper dans ses châteaux environnants tels Saint-Germain, Maisons ou Bagatelle11. Avec le retour de la Cour dans un château un peu négligé à la fin du règne de Louis XV, les livraisons et mouvements de meubles de plus en plus importants sur- chargent le garde-meuble de Marly. Le 4 juin 1778, on propose au comte d'Angiviller la construction d'un nouveau local placé « le plus près du château qu'il sera pos- sible ; la proximité rendant le transport des meubles moins dispendieux, les fatiguant bien moins et le service s'en faisant avec plus de célérité 12 ». L'endroit choisi, derrière « le Berceau de L'oisellerie », est à l'emplacement de l'ancien canal des Carpes et des deux volières 13, On désire, probablement pour des raisons d'économies, reprendre les anciennes fondations. Le bâtiment, appelé garde-meuble des Berceaux, est achevé en août 177814. La tradition des polissons héritée de Louis XV est toujours en vigueur, comme le précise Madame Campan : « Les hommes présentés, qui n'avaient point été invités à résider à Marly, y venaient cependant comme à Versailles et retournaient ensuite à Paris; il était alors convenu qu'on était à Marly qu'en polisson 15, » Sur la liste du séjour d'avril- mai 1779, les croix, au nombre de treize, sont uniquement inscrites à côté de noms de femmes. Une note en bas de page précise : « Celles qui sont marquées d'une Étoile sont celles à qui il ne faut pas donner de Logement et qui ne doivent venir que pour le jeu le soir16, » Marly perdit totalement sous le règne de Louis XVI l'aspect fermé voulu par Louis XIV. Lors du premier voyage de 1774, l'on présenta à Marie-Antoinette deux personnes qui jouèrent un rôle important dans sa vie : le joaillier Boëhmer qui, connais- sant les goûts de la Reine, lui présenta « six diamants, en forme de poires, d'une grosseur prodigieuse ; ils étaient parfaitement égaux et de la plus belle eau ». Ces boucles d'oreilles avaient tout d'abord été destinées à Madame du Barry avant la mort de Louis XV. Marie-Antoinette ne résista pas et les acheta sur sa cassette (augmentée par Louis XVI) afin de ne pas grever le Trésor royal. Le prix fut abaissé grâce au rem- placement de deux pierres par deux diamants de la Couronne ; le paiement s'étendit sur cinq années. La seconde personne, introduite par la duchesse de Chartres était la « marchande de modes » Rose Bertin qui régna sur la garde-robe de la Souveraine17. Louis XVI permit au public de se promener dans les jardins, même pendant les séjours de la Cour ; Madame Campan précise que « le dimanche et les jours de fêtes, les eaux jouaient, le peuple était admis dans les jardins et il y avait toujours autant de monde qu'aux fêtes de St, C/oud18 ». Il était d'usage de faire jouer les fontaines pour le public tous les dimanches et les jours de fêtes, depuis la Pentecôte à la fin de l'été. A quatre heures débutaient les eaux ordinaires (probablement les bassins de l'axe central). suivies à cinq heures précises des grandes eaux (probablement les fontaines des bosquets) 19, Leur succès est confirmé par le duc de Croÿ, le 24 mai 1778 : « Les jardins étaient garnis d'une multitude de monde20. » Cette permission n'était pas sans danger : début novembre 1778, plusieurs sculptures des jardins sont retrou- vées mutilées. Le 20 novembre, Bachaumont précise que « le dégât de Marly n'est pas aussi considérable qu'on l'avait craint : il n'y a que dix morceaux d'endommagés, dont seulement deux de prix, les lutteurs et le Méléagre, ce qui annonce que les bri- gands qui ont commis cette barbarie n'étaient pas connaisseurs. Tout le ravage a été fait à la chute du jour et en une demi-heure. On avait choisi le jour de la fête du lieu, 17 où les cabarets étaient plein de peuple21 », Le voisinage d'une résidence royale n'intimidait pas les habitants des environs, comme l'indique un avis, placardé en 1776, dans lequel le Directeur des Bâtiments du Roi fait « défense aux divers habitants de Marly Louveciennes et autres lieux de faire paître leurs bestiaux dans les bois, routes et avenues de l'abreuvoir de Marly, de déposer des immondices, d'enlever des branchages, et que les enfants et autres personnes s'at- troupent pour se baigner dans l'abreuvoir et la pièce ronde, ce qui détériore les berges et le fond... », Les parents des petits nageurs étaient menacés d'une amende de trois livres22. On peut douter tant du changement d'attitude des habitants que de l'appli- cation des amendes. Les personnes chargées de la garde du château prenaient également certaines libertés, parfois abusives. En 1784, le suisse de la Grille royale « par un abus aussi ridicule qu'ancien [...] fait de tous les logements une hôtellerie, Il y loge, il y donne à manger et à boire et en a les clefs et les passe-partout qui lui en pro- cure l'entrée », La Cour ne venant plus à Marly depuis trois ans, ce garde se crut plus libre et mit moins de discrétion dans son commerce. Bain demanda une soixan- taine de cadenas pour protéger les effets des vols et d'Angiviller fit prévenir le dit suisse qu'il porterait plainte s'il poursuivait son activité d'aubergiste 23, Depuis la fin du règne de Louis XIV, chaque membre de la famille royale emme- nait sa Maison. Une lettre de Boutheroue-Desmarais du 15 juin 1779 précise que Louis XVI « traite à lui seul et tous les jours toutte sa famille et partie de sa Cour, et qu'il ne vient plus ici d'autre Bouche que la sienne qui se trouve journellement surchargée 24 ». Les invités étaient à nouveau nourris aux frais de la Couronne, comme l'avait tout d'abord voulu Louis XIV Lors du voyage d'octobre 1779, la Bouche du Roi servit les tables suivantes : « Table du Roi de 30 couverts à souper avec la famille royale Table de 8 à 10 couverts en supplément lorsqu'elle sera demandée Diners particuliers de la Reine, de Monsieur, de Madame, de Monseigneur le comte d'Artois et de Madame la Csse d'Artois et de Madame Elisabeth 25, » Madame Campan cite les tables entretenues par le Roi à Marly : « Après les tables d'honneur, celle des aumôniers, des écuyers, des maîtres d'hôtel, etc., etc., étaient toutes assez magnifiquement servies pour que l'on trouva bon que les étrangers y fus- sent invités ; et presque tout ce qui venait de Paris était nourri aux dépens de la cour ». dans le pavillon de la Perspective « où plus de trente tables étaient splendidement ser- vies 26 ». En 1784, Thierry de Ville d'Avray fit tapisser la salle à manger de la Perspective d'un papier peint fond gris représentant le Temple de l'Amour encadré d'une bordure d'architecture 27, Le 21 septembre 1780, on suggéra à Louis XVI de simplifier le ser- vice sans augmenter la dépense : « Lorsque le feu Roi y allait avec sa famille, chacun y menait sa maison, mais il serait possible, en simplifiant encore le Service, de faire ces voyages sans augmenter de beaucoup la dépense, peut être même point du tout, Le Roi emmenant sa Maison peut la charger du Service de la Reine, Monsieur et Monsieur le comte d Artois peuvent faire la même chose pour le service des Princesses, tout se réunit le soir à la table du Roi, cette manière simple de servir à Marly, mettrait la Cour en état d'y aller quand elle voudrait26. » 18 Louis XVI dépassa cette proposition : lors du voyage du 13 au 31 octobre 1780, la Bouche du Roi se chargea non seulement des tables servies lors du voyage Le château de Marly d'octobre 1779, mais également de celles de la Maison de la Reine, ainsi que « de pendant le règne de Louis XVI toute la dépense du service des deux princes et princesses 29 ». Louis XVI décida que sa table « serait servie dans la même forme qu'à Choisy, c'est-à-dire les sceaux et bou- teilles sur la table, ce qui donne beaucoup d'aisance et exige moins de monde pour le service30 ». La présence des boissons sur la table et non plus sur un buffet, chacun se servant lui-même, simplifiait le service et permettait plus de liberté. La présence d'un buffet pour les boissons avant 1780, ainsi que la composition du menu iden- tique à ceux servis à Versailles indiquent que la même Étiquette était reprise à Marly, malgré son statut de résidence de campagne. Madame de Genlis précise que « le roi et la famille royale déjeunaient à midi dans le grand salon, les dames y étaient invi- tées31 ». Si la famille royale dînait dans le Salon, on peut supposer que le souper avait lieu dans le vestibule Nord, où l'estimation de 1788 mentionne les chaises destinées aux convives. Celles-ci étaient certainement transportées dans le Salon pour le dîner. Louis XVI ne poursuivit pas la tradition des soupers dans les cabinets. Aucun contem- porain n'en fait mention et les inventaires confirment l'absence de salle à manger, tant dans les cabinets entresolés du Roi que dans son Petit Appartement. L'orfèvrerie de table était toujours apportée de Versailles ou de Paris. Un texte de 1785 détaille la vaisselle nécessaire à la table du Roi « dans les Petits Voyages : 2 Pots à OllIe, 4 Terrines, 2 grands plats ovales, 2 moyens plats ovales de relevée, 2 grands plats ronds, 4 moyens plats ronds de relevée, 24 plats d'entrée, 16 plats de Rots, 18 plats d'entremets, 24 douzaines d'assiettes, 48 cuillères à ragoût, 24 dou- zaines de couverts complets 32 ». Ces transports augmentaient les risques de perte : cela se produisit au retour du voyage du 13 au 31 octobre 1780, comme en témoigne une lettre du 2 novembre adressée à Thierry de Ville d'Avray : « Au retour du voyage de Marly, Monsieur, il a été perdu sur la Route une Terrine d'argent appartenante au Roi et du poids de 30 à 35 marcs ; elle a été heureusement retrouvée par des garçons tapis- siers qui conduisaient une voiture de meubles dans une charette, leur voiture a été arrêtée par cette Terrine sur laquelle elle ne pouvait passer, l'Etui présentant une trop grande élévation, ce qui les a forcé à descendre de leur voiture pour voir ce qui l'arrê- tait ; de retour à Versailles, ils ont été déposer cette pièce d'argenterie qui est très belle et un peu gâtée au Greffe de la Prévosté où j'ai ordonné qu'elle resta déposée jus- qu'à ce qu'on se présentât pour la retirer33. » Ces incidents restaient malgré tout peu fréquents, mais ils furent peut-être la cause de l'envoi pour le voyage d'avril-mai 1781 de la vaisselle du comte de Provence et une grande partie de celle de la Reine 34 ! Il semble que cet usage resta exceptionnel, l'orfèvrerie du Roi étant généralement employée. Lors du dernier voyage de juin 1789, la famille royale mangea à la même table, servie par la Maison du Roi, également chargée de la table de huit à dix cou- verts des dames présentes 35, Le procès-verbal de vente du 28 frimaire an Il (18 décembre 1793) mentionne « un dormant de table en bronze doré d'or moulu garni de douze bobèches en cuivre doré et d'une petite corbeille de porcelaine avec fleurs artificielles et son étui ». Ce surtout de table, datant certainement du règne de Louis XV avec ses fleurs en por- celaine, prenait place soit sur la table du Roi ou celles des seigneurs. Les groupes de biscuit de Sèvres acquis par le Roi en 1780 et 1781 le remplacèrent peut-être 36, Le surtout de bronze doré fut retiré de la vente, personne n'ayant voulu renchérir, Finalement, le citoyen Michel en fit l'acquisition pour 250 livres, le 1er nivôse an Il (21 19 décembre 1793)37. Le jeu restait l'activité principale des séjours de la Cour à Marly, mais celui-ci atteignit des proportions jamais vues si l'on en croit les contemporains. Les parties de pharaon de Marie-Antoinette avec ses mises importantes attiraient des joueurs à la noblesse souvent inexistante comme en témoigne Madame Campan : « Pour jouer un si gros jeu au pharaon de la reine, il fallait un banquier muni de fortes sommes d'argent et cette nécessité faisait asseoir à la table de jeu, où l'étiquette n'admettait que les gens les plus titrés, non seulement M. de Chalabre qui en était le banquier, mais un simple capitaine d'infanterie retiré, qui lui servait de second [...]. Les gens riches et les gros joueurs de Paris ne manquaient pas une seule des soirées du salon de Marly et les sommes perdues ou gagnées étaient toujours considérables » Si l'Étiquette n'admettait au jeu que les personnes les plus titrées, la réalité faisait, pré- cise-t-elle, que « le soir, pour être admis au jeu de la reine, il suffisait à tout homme bien mis d'être nommé et présenté par un officier de la cour à l'huissier du salon de jeu ». Le jeu de Marly, devenu une institution, déplaçait des gros joueurs de Paris, attirés par les importantes mises au jeu de la Reine. L'accès au Salon, désormais ouvert à « tout homme bien mis », avait perdu son rôle symbolique de sanctuaire exclusivement réservé à la haute noblesse voulu par Louis XIV. Le Salon reste un spectacle apprécié. Les quatre balcons de l'attique sont réservés aux « femmes non présentées 39 ». En 1788, dix-huit tabourets sont mentionnés dans trois des quatre balcons accessibles40 ; les cuisines du Roi ne permettent pas l'accès au quatrième. La fureur du jeu à Marly fit céder Louis XVI à la tentation, comme le regrette Bachaumont le 9 novembre 1779 : « Pour la première fois de sa vie, Louis XVI a joué aux jeux de hasard au dernier voyage de Marly et a fait des pertes considérables, rela- tivement a ce qu'il risquait auparavant. On est fâché de le voir se départir de sa sagesse austère : on attribue ce changement au Maréchal duc de Richelieu, que S. M. ne pou- vait supporter, qu'elle méprisait, et qui à force de constance et de souplesse à vaincu cette répugnance 41, » Les pertes royales étaient en effet conséquentes comme le nota Louis XVI dans son journal des « dépenses personnelles Décembre 1779 : le 12, jai donné à Thierry que je lui devait de Marly 12.000 livres 42 ». Son premier valet de chambre lui avança certainement le montant des enjeux. L'aversion du Roi pour le jeu et son goût de l'économie firent qu'il ne persista pas. L'importance des sommes mises en jeu non seulement scandalisait le public, mais était également désapprouvée par le Roi qui prit des sanctions en 1781 : « On a joué un jeu d'enfer à Marly dans le dernier voyage, M. le Comte d'A*** perdit un jour trois mille louis. Notre famille est dans le malheur s'écria le Monarque, car j'ai perdu aussi un écu de six francs. Le gros ne commençait que lorsque S. M. s'était retirée. Averti de cette ruse, le Roi entra un soir vers minuit dans la salle, Il y avait sur la table des mon- ceaux d'or et des billets d'escompte. Il fit rafle de tout et ordonna que la confiscation fut distribuée aux pauvres. L'ancien proverbe qui dit que l'univers se conforme à l'exemple du maître, est ici en défaut. Rien ne corrige les joueurs43. » Il est tentant de rapprocher cet épisode d'une note du Roi dans son journal en mai 1781 : « Mes associés ont perdu à Marly au lansquenet 36.000 livres44. » Il s'agit probablement de la somme raflée sur la table. L'importance des mises entraînait des fraudes, comme le rapporte Bachaumont le 18 novembre 1778 : 20 « Tout le monde a su l'événement arrivé au jeu de Marly, de ce rouleau de Louis faux substitué à un véritable, C'est un Mousquetaire réformé nommé Le château Dulugues qui était l'auteur de cette fraude, il a été arrêté et enfermé, on de Marly pendant le règne assure qu'il avait été présenté le matin. Cette police est sans doute très de Louis XVI bien faite, mais il serait à désirer qu'on l'étendit aux Duchesses, qui journel- lement escroquent les joueurs crédules leur confiant leur argent. Cette filouterie se pratiquait dés le tems du feu Roi, qui en avait pris plusieurs en flagrant délit et les avait averties ; mais comme il n'y a rien de si impudent qu'une femme de cour, au moyen de l'impunité elles continuent. Dernièrement, Madame disait à Mrs. de Chalabre et Poinçot, les banquiers du jeu de la Reine : "On vous friponne bien, Messieurs, — Madame, nous ne nous en apercevons pas", lui répondirent-ils par décence : mais ils s'en aperçoivent très bien et n'osent le manifester45. »

Le fait qu'un mousquetaire réformé ait été pris en flagrant délit confirme l'accès qua- siment libre du Salon de Marly à la fin de l'Ancien Régime. Mais comme l'indiquent les témoignages, la femme du comte de Provence et les duchesses n'étaient pas au- dessus de tout soupçon, Le 27 novembre, Bachaumont nota la réaction des banquiers : « Les banquiers du jeu de la Reine, pour obvier aux escroqueries et filoute- ries des femmes de la Cour qui les trompent journellement, ont obtenu de S.M. qu'avant de commencer, la table serait bordée d'un ruban dans son pourtour et que l'on ne regarderait comme engagé pour chaque coup que l'argent mis sur les cartes au-delà du ruban. Cette précaution préviendra quelques friponneries, mais non celles exercées envers les pontes cré- dules qui confient leur argent aux Duchesses, et que plusieurs nient avoir reçu lorsque leur carte gagne46 » Malgré sa bonne volonté, Louis XVI ne put contenir cette passion du jeu. Parallèlement, le billard revenait à la mode. Louis XVI et ses frères s'y affrontaient quelquefois, mais cette tentative de diversion ne les détourna pas des jeux d'argent47. L'allégement de l'Étiquette reste le charme principal de ces séjours, comme en témoigne un texte du 21 septembre 1780 : « Le voyage de Marly n'est effectivement point extraordinaire [...]. Le Roi a seulement la bonté d'y permettre plus de liberté à cause de la campagne 48. » Cette liberté est très appréciée de Marie-Antoinette, qui se permet des fantaisies irréalisables à Versailles. On vit le retour des loteries, telle celle tirée en mai 1778 à l'occasion « d'une petite fête, donnée samedi à Marly par le Roi à la Reine, en félicitation de sa grossesse. Il y a eu surtout un Café tenu par les plus jolies dames de la Cour et une Loterie, dont le gros lot était un diamant de 500 louis 49 », Marie-Antoinette est alors enceinte de Madame Royale. Ce « café » eut du succès, car lors du voyage d'octobre 1778, « dans les derniers jours, la Reine avait établi un espèce de café où les Seigneurs et Dames se rendaient le matin en chenille, toute éti- quetre en était bannie, chacun y était avec la liberté accoutumée à cette sorte de Maison. On se mettait a une petite table et on se faisait servir ce que l'on voulait50 ». Pour ces cafés, appelés « dé/euner anglais », Riesener livra le 5 octobre 1 778, « 8 tables en guéridons de bois d'acajou, dont quatre à dessus de marbre blanc veiné, Environnée d'une Balustrade en cuivre en couleur d'or. 4 dites à dessus de bois d'acajou ». Ces déjeuners continuèrent lors des voyages suivants : Riesener fournit deux autres tables d'acajou à dessus de marbre blanc, les 30 mars 178052 et 30 décembre 1 780 : « Livré le 30 Xbre. pour le service de la Reine à Marly. 21 Une table de bois d'acajou moucheté de 4 pieds 4 pouces de diamètre, ayant deux dessus dont un au milieu en marbre blanc venne, environné d'une balustrade de bronze doré. L'autre dessus de bois d'acajou moucheté ayant de même une grande balustrade au pourtour de 13 pieds 4 pouces de circonférence, le tout découpé à jour en forme des oves, le pieds en carré et en forme de guène, ayant un tabletes de même bois, environné d'une troisième balustrade et orné de sabot, chapitaux et plusieurs tiges ornant tous les angles et des moulures ciselés en feuilles de lorier qui encadre tous les panneaux, au pourtour de la table, tout de bronze cizelé et doré d'or moulu, pour ce la somme de 1586/. »

Le 20 avril 1779, l'orfèvre Auguste fournit l'argenterie nécessaire à ces cafés : « Vermeil gravé aux armes du Roi et 3 Couronnes Quarante huit Cuillères à caffé à filet dans un Etuy couvert de peau de mouton rouge 6m 3° Argent blanc gravé idem deux grands pots au lait, contenant chacun trois pintes, pesant ensemble 14, 5. 5. Deux boëtes à Thé de forme ovale ouverture sur le côté avec leurs cou- vercles rond pesant ensemble 4. 3, 4 112, Une grande bouilloire à cilindre pour le thé à 3 Robinets à tête d'aigle porté sur 3 pieds à Consoles et surmonté d'un grand couvercle qui s'enlève pour mettre l'eau, un second couvercle pour mettre le feu dans le cilindre et 1 second couvercle à tourniquet pour procurer plus ou moins de chaleur, il y a une anse mobile à tête de compas avec manche de bois de gayac pesant net 29. 5. Trois caffetières de deux tasses en forme de Bouillote sans pied à manche de bois de gayac pesant ensemble 4. 5. Deux autres caffetières de trois tasses de même forme à manche pareil pezant ensemble 3, 6. 1. Une caffetière pareille de 6 tasses pesant net 3, 2. 7 112, 66. 2. 7. »

Le tout était serré dans « un coffre en bois de chêne [...] couvert de cuir de porc noir; ferré d'équerre, bandes, portant et touret fermant à serrures à moraillon garni avec deux clefs, le tout de fer poli, compartimenté et doublé en peau de chamois54 ». Suite à une demande de Thierry de Ville d'Avray, une liste de l'argenterie du château de Marly fut dressée le 4 avril 1784, sur laquelle figurait le déjeuner ci-dessus, déclaré « en état de servir et nécessaire à conserver ». Renvoyé au garde-meuble de Versailles le 10février 178555, Marie-Antoinette demanda en septembre 1786, qu'il « soit trans- porté partout où elle se rendra ». Il prit place une dernière fois sur la table de la Reine lors du séjour de la famille royale à Saint-Cloud en été 1790, où il fut envoyé le 5 juin 1790, pour retourner à Versailles après le départ des Souverains 56, Le 16 sep- tembre 1793, une des tables livrées pour le Café de la Reine est mentionnée comme étant « en plus » dans le garde-meuble des Berceaux 57, Cinq d'entre elles sont adju- gées les 27 brumaire (17 novembre 1793) et 5 frimaire an Il (25 novembre 1 793) aux citoyens Michel et Mary58. 22 Le 29 mai 1778, la Reine, enceinte, écrit à sa mère : « Madame ma très chère mère, toutes les bontés et la joie que ma chère maman me marque sur mon état pré- Le château de Marly sent me comble de reconnaissance, et me le rendent encore plus précieux s'il est pendant le règne de Louis XVI possible. Je continue toujours à me porter à merveille et n'ai pas la moindre incommo- dité. Nous sommes à Marly depuis dix jours. C'est un lieu charmant, j'en profite beaucoup pour me promener à pied, surtout le matin. Cela me fait grand bien et ne me fatigue pas trop, quoique je grossisse étonnament, ne me serrant point du tout que ce qu'il faut pour me soutenir, » Les promenades à pied sont une de ses distractions préférées, facilitées par un appartement au rez-de-chaussée et la réapparition des carrioles des- tinées aux promenades, présentes sous le règne de Louis XIV mais qu'aucun contemporain ne signalait à l'époque de Louis XV. Inutile de par l'absence de la Cour après 1781, l'une d'elles fut renvoyée au Garde-Meuble de la Couronne le 6 juillet 1784 : « Une cariole à deux places, garnies de ses carreaux et de son rideau au pour- tour; le tout de damas cramoisi avec frange et molet d'or » Dans une lettre du 12 juin 1778, également adressée à l'impératrice Marie-Thérèse, Marie-Antoinette précise : « Je me porte très bien, et le voyage de Marly, où il faisait le plus beau temps du monde, m'a fait grand bien. Je logeais en bas : cela fait que je me promenais à toutes les heures du jour, surtout le matin à neuf ou dix heures60. » Pour agrémenter la terrasse entou- rant son appartement, Marie-Antoinette y avait fait placer en juillet 1774 quatorze orangers « d'environ 4 pieds de haut » (1,30 mètre), complétés un mois plus tard par « deux lauriers roses à fleurs doubles61 », Cette liberté, la Souveraine en profitait pleinement : lors de son premier séjour en tant que Reine en 1774, elle voulut voir le lever du jour. Ce fait fut repris et noirci par des libellistes comme en témoigne Madame Campan : « La reine eut l'idée de se donner une jouissance fort innocente ; elle n'avait jamais vu le lever de l'aurore : comme elle n'avait plus d'autre permission à obtenir que celle du roi, elle lui fit connaître son désir. Il consentit à ce qu'elle se rendit à trois heures du matin sur les hauteurs des jardins de Marly ; et malheureusement, peu porté à partager ses plaisirs, ii fut se coucher. La reine suivit donc son idée ; mais comme elle prévoyait quelques inconvénients à cette partie de nuit, elle voulut avoir avec elle beaucoup de monde et ordonna même à ses femmes de la suivre. Toute précaution était inutile pour empêcher l'effet de la calomnie, qui dès lors cherchait à diminuer l'attachement général qu'elle avait inspiré. Peu de jours après, il circulait à Paris le libelle le plus méchant qui ait paru dans les premières années du règne. On peignait sous les plus noires couleurs une partie de plaisir si innocente qu'il n'y a point de jeune femme vivant à la campagne qui n ait cherché à se la procurer La pièce de vers qui parut à cette occasion était intitulée : Le lever de l'aurore » Madame de Genlis se fait l'écho de l'atmosphère de ces séjours, à l'occasion de son premier voyage en 1 774 : " Le roi, dans la première année de son règne alla à Marly pour s'y faire inoculer. Toutes les princesses furent de ce voyage, et j'y allai avec madame la duchesse de Chartres, Le voyage fut très brillant, et je m'y amusai beaucoup. J'y courus un très grand danger, ainsi que madame la duchesse de Chartres. Un jour nous étions au rez-de-chaussée, assises à côté l'une de l'autre sur un canapé, au-dessus duquel était, derrière nous une grande glace, Nous nous trouvions en face d'une porte qui donnait sur la terrasse, M. le duc de Chartres et M. de Fitz-James s'amusaient à tirer au blanc, au pistolet chargé à balle ; ils étaient placés vis-à-vis de nous, 23 mais nous tournant le dos. Une balle allant frapper une statue de marbre fut renvoyée par ricochet dans notre salon et cassa, à deux doigts de nos têtes, la glace qui était derrière nous. On m'avait d'abord logée à Marly dans une chambre assez vilaine, et qui n'était séparée que par une mince cloison du logement de madame de Valbelle, dame du palais, de sorte que nous nous entendions mutuelle- ment d'une manière fort incommode, surtout n'ayant ensemble aucune liaison. En rentrant chez moi les soirs après souper, je faisais communé- ment de la musique deux bonnes heures avant de me coucher Un soir entre onze heures et minuit, que suivant ma coutume je jouais de la harpe, et que je déchiffrais une sonate, M. d'Avaray, à ma grande surprise, entra tout à coup dans ma chambre, et vint me dire tout bas que la reine était chez madame de Valbelle, pour m'entendre jouer de la harpe. Aussitôt je me mis à jouer tout ce que je savais de mieux en pièces et en morceaux de chant, ce qui dura une heure et demi sans interruption, car j'attendais que le mouvement dans la chambre voisine m'apprit que la reine s'en allait; mais le silence y était absolu. Enfin, réellement fatiguée, je m'arrêtai, Alors on m'applaudit très vivement et à plusieurs reprises, et M. d'Avaray vint me remercier de la part de la reine, et me dit en son nom mille choses obligeantes. Elle me les répéta le lendemain quand j'allai faire ma cour. Elle fut si satisfaite de ma harpe et de mon chant, que j'eus dans ce moment toute facilité de me faire admettre dans son intérieur, en consentant à jouer dans ses petits concerts particuliers, où elle-même chantait. J'aurais été secondée par madame de Lamballe, qui me le conseillait ; mais j'avais assez de chaînes pour n'en pas désirer d'autres : celle-là m'aurait pris un temps énorme, et elle aurait par conséquent bouleversé toutes mes études, qui ont toujours fait le véritable charme ou toute la consolation de ma vie. Au bout de quinze jours, on m'annonça que je serais logée dans un des charmants pavillon du jardin. Ce pavillon, pareil aux autres, contenait deux logements, l'un, très beau, au rez-de-chaussée, et l'autre, fort inférieur, au-dessus, mais très joli. Ce fut celui-là qu'on me donna; M. le prince de Condé occupait l'autre, Aussitôt qu'il sut que j'allais venir dans ce pavillon, il se hâta de déménager et de prendre le petit appartement pour me laisser le plus beau, que, malgré ma respectueuse résistance, il me força d'accepter63, » La pièce où étaient assises la duchesse de Chartres et Madame de Genlis est le cabinet de la comtesse de Provence, seule pièce à posséder un canapé sous une glace, face au parterre Sud où se trouvaient des statues de marbre. Madame de Genlis fut logée dans le pavillon du prince de Condé, le second du côté de Louveciennes. L'appartement du rez-de-chaussée est en effet plus confortable que celui du premier étage, avec une antichambre, une chambre et un salon de compa- gnie, absent à l'étage supérieur64. Les appartements, à l'exception de ceux des Souverains, sont réduits à la dis- tribution minimum. La réflexion de la princesse Palatine le 6 décembre 1687, est toujours applicable sous le règne de Louis XVI : « A Marly, [...] tout est pour le public65. » Lors du voyage du 13 au 31 octobre 1780, le nombre d'invités augmenta et l'Éti- quette fut plus pesante, ce qui n'enchanta pas Marie-Antoinette66, comme elle en témoigne dans une lettre du 7 mai 1781, adressée à la princesse héréditaire de Hesse-Darmstadt : « J'ai été désolé Madame de n'avoir pas pu répondre tout de suite 24 à votre charmante lettre ; mais nous sommes depuis quinze jours ici, à Marly, où il y a beaucoup de monde, et où l'on a pas un moment à soi67. » Le château de Marly Ceci est confirmé par Madame Campan qui remarque que « Louis XIV avait établi pendant le règne de Louis XVI pour ces voyages un genre de représentation différent de celui de Versailles, mais encore plus gênant. Le jeu et le souper avaient lieu tous les jours et exigeaient beaucoup de toilettes 68 ». Ceci influait sur les commandes aux tailleurs. Ainsi, dans les prévisions des vingt et un habits pour la garde-robe de la Reine pour le printemps 1782, il est indiqué : « 5 grands habits dont 1 pour Pâques 1 second moins riche pour la Quasimodo les deux qui sont à la garde-robe en feront 4 et 3 autres moindres Ne choisir essentiellement que celui de Pâques et un autre moins beau sans dorure et différer les autres jusqu'à que l'on sache s'il y aura voyage de Marly 8 robes sur grand panier en soierie // y en a 4 à la garderobe en crêpe mousseline et perse 8 sur considération aussi en soierie Il y en a 3 en perse et mousseline brodé à la garderobe Pour les robes, il en faudra moins s'il n'y a pas de Marly. N'en choisir actuellement que 3 de chaque sorte, et réserver à choisir le reste selon qu'il y aura ou non voyage de Marly 69 », La suppression d'un voyage à Marly entraînait la division par deux des commandes, ce qui est considérable. La magnificence de la Cour notée par les contemporains n'était pas surestimée, car bien qu'elle soit à « la campagne », « la cour s'y tient avec apparat70 » : « Pendant la moitié du règne de Louis XV, les dames portèrent encore l'habit de cour de Marly, ainsi désigné par Louis XIV, et qui différait peu de celui adopté pour Versailles : la robe française, à pli dans le dos et à grands paniers remplaça cet habit, et fut conservé jusqu'à la fin du règne de Louis XVI. Les diamants, les plumes, le rouge, les étoffes brodées et lamées en or faisaient disparaître jusqu'à la moindre apparence d'un séjour champêtre; mais le peuple aimait voir la pompe de ses souverains et d'une cour brillante défiler sous ces ombrages. Après le dîner et avant l'heure du jeu, la reine, les princesses et leurs dames, roulées, par des gens à la livrée du roi, dans des carrioles surmontées de dais richement brodés en or parcouraient les bosquets de Marly 71. » Ce luxe est confirmé par Madame de Genlis : « On n'y était point en grand habit, ni même le soir au jeu, mais on s'y paraît beaucoup, et avec une grande magnificence72. » Sous le règne de Louis XVI, la musique n'a plus la faveur. Les papiers des Menus Plaisirs ne précisent ni la fréquence des concerts, ni leur emplacement, ni le réper- toire joue. Louis-François Métra écrit le 24 mai 1 779 : « Il y a à Marly, appartement, concert et jeu, outre le spectacle français et italien alternativement73. » Aucun texte ne précise si ces concerts ont lieu trois fois par semaine comme sous le règne de Louis XV. Le Salon, qualifié de Salon de musique, supplante apparemment le vestibule Sud ; un plus grand nombre de personnes pouvaient ainsi assister aux concerts. Ceux-ci ne sont pas toujours aussi formels. Ainsi en 1778, 292 livres sont versées par LHuitier, caissier des Menus Plaisirs, « aux cors de chasse extraordinaires qui ont joué pen- . dant une promenade de nuit à Marly74 ». Seule Madame de Genlis fait allusion aux 25 « petits concerts particuliers » dans les « intérieurs » de la Reine « où elle-même chan- tait », Ces concerts de harpe, dont la vogue avait détrôné le clavecin, prenaient certainement place dans le Cabinet bas de l'appartement de la Reine. Ces divertis- sements, auxquels Marie-Antoinette participait activement, n'étaient ouverts qu'à un petit nombre d'amateurs. La comédie, absente sous le règne de Louis XV, tient une place importante à partir de 1778, année de la construction d'un théâtre dans le bosquet de Bacchus, Marie- Antoinette désirant donner quelques « petites fêtes75 ». Le décor extérieur de la salle se compose de châssis peints d'une fausse charmille ; la décoration intérieure est rythmée de pilastres ioniques de faux marbre brèche violette. Ce premier théâtre construit à la hâte se révélant exigu, le tapissier Dècle monta une scène dans le Salon du Pavillon royal pour la dernière semaine du séjour, du 1er au 6 juin 1778. Il rap- pelle le théâtre de Bérain utilisé sous le règne de Louis XIV. Son auteur est le peintre Mazière, qui le décrit ainsi dans son mémoire : « Pour un petit Théâtre monté dans les appartements, fait une avant scène neuve pour les mesures du Salion ; composé de deux montants, la traverse du haut et celle du bas, et d'un grand Plafond décoré des mon- tants en grands panneaux en marbre, avec moulures taillées ; un entablement complet, l'architrave, la frise et la corniche ; et sur le plafond, une grande voussure, toute la frise et fond de panneaux en prime d'améthiste et de lapiste /lapis/, et tout le reste en marbre blanc ; toutes les moulures taillées et rehaussées d'or; les Panneaux remplis de grands Trophées de Musique en rehaussés d'or; en dessus de la traverse du haut, une grande Lyre soutenue par des Enfants et des branches de Lauriers, le tout enrehaussé d'or 76, »

Ces spectacles eurent beaucoup de succès, trop pour Papillon de la Ferté : « Ce qui est fâcheux, c'est que cela se passe à un moment où l'on est très embarrassé pour payer les fournisseurs et autres77. » Le théâtre du bosquet de Bacchus est agrandi pour le séjour du 7 au 28 octobre 1778, durant lequel six comédies sont données les 12, 21, 23, 24 et 26 octobre. Leur coût arrache quelques gémissements à Papillon de la Ferté : « // y a eu, depuis le 12 octobre jusqu'à ce jour [13 novembre], quatorze spectacles, tant à Marly qu'à Versailles et chez la Peine, en comédies, actes d'opéra, bouffons, ballets, ce qui ne diminue pas la dépense, tant pour le fond de la chose, que par les petits théâtres qu'il a fallu faire, soit à Versailles, soit à Marly. Tout cela ne plaît pas beaucoup à la Finance, et m'amuse encore moins, car le public se plaît à augmenter encore énormément ces sortes de dépenses 78, » Le voyage du 25 avril au 22 mai 1779 fut fort animé. La salle a été agrandie, consolidée et couverte d'ardoises. Extérieurement, le décor de fausse charmille peint en trompe-l'œil est conservé dans le but de fondre le théâtre dans la végétation du bosquet. Sa décoration intérieure, entièrement renouvelée, représente : « Un Bosquet de Maroniers fleuris, les arbres groupes, et entre lesquels sont pratiquées les loges, lesquelles sont distribuées et couronnées par des pavillons en baldaquins d'étoffe fond rose, broché d'or : les Rideaux retroussés et attachés aux arbres par des guirlandes de fleurs coloriées ; entre chaque arbre, des médaillons au chiffre du Roi & de la Peine [...] ; 26 le plafond faisant un ciel pur et serein, L'avant-scène représentant un Gd pavillon, imitant une tente soutenue sur de grand montants en forme Le château de balustre, enrehaussé de franges d'or [...]. Une fausse avant-scène, de Marly pendant le règne posée en place des premiers chassis avec son plafond, représentant le de Louis XVI rideau d'avant-scène retroussé en étoffe bleu brochée d'or, et bordé de frange et glands d'or79, » Une partie de cette décoration, comme les baldaquins de soie rose brochée d'or sur- montés de bouquets de plumes d'autruche, est démontable afin d'en assurer la conservation pendant l'absence de la Cour, le site de Marly étant humide. Cette année-là, deux maisons de bois reliées entre elles par une galerie sont mon- tées sur le parterre Sud du Pavillon royal. Une « gallerie traversante le bois » lie ces deux maisons au théâtre. Des spectacles sont donnés tous les deux ou trois jours environ, les 25, 26, 28 avril, les 3, 5, 12, 15 17 et 19 mai. Aucune tragédie n'est représentée, les spectacles sont uniquement composés de comédies de Molière, de ballets, de pastorales ou d'opéras-comiques. Les décors employés proviennent des fonds des Menus Plaisirs. Ils sont apportés d'autres théâtres comme Fontainebleau ou Versailles, comme le « rideau de place publique des comédies pour le théâtre de Fontainebleau » ou le « Salon pour les pièces de Molière ». On ne crée qu'un seul décor pour un opéra-comique joué à Marly, Zémire et Azor de Marmontel et Grétry, repré- senté le 12 mai de la même année. C'est le salon de diamants du palais d'Azor, décor probablement réutilisé par Marie-Antoinette dans son théâtre du château de Trianon. Ces représentations sont très appréciées, mais Métra précise qu'« à minuit, tout doit cesser et chacun se retire80 ». Cette règle était-elle effectivement suivie à la lettre ? Marly atteignit alors l'apogée de sa faveur. Ces spectacles ne contribuèrent pas à assainir les finances des Menus Plaisirs. Papillon de la Ferté écrivit le 1e' juillet : « J'ai pu m'occuper des dépenses du voyage de Marly et de la salle qui coûtera plus de 12.000 livres, sauf le réglement, et pour laquelle il n'a rien été donné par la Finance81. » Malgré cela, les représentations continuèrent lors des séjours de 1780 et 1781. Le théâtre fut démonté au début de l'année 1786. Au début des années 1770 avec les mariages des frères du Dauphin, des pro- jets de fêtes apparurent dont aucun ne vit le jour. Papillon de la Ferté mentionne le premier projet le 23 janvier 1771, lors de la présentation au Roi à Marly par le maré- chal-duc de Duras, Premier Gentilhomme de la Chambre en service, du programme des fêtes pour le mariage du comte de Provence : celles-ci se seraient partagées entre Versailles et Marly. Bien qu'en mars Louis XV désirât que la fête de Marly ait lieu, elle fut supprimée en avril au grand soulagement de Papillon de la Ferté que la dépense faisait frémir. Le feu d'artifice prévu fut tiré le lendemain à Versailles. Ce projet réap- parut en mai, avec une fête projetée pour le 20 juin suivant ; Papillon écrit avoir fait de son « mieux pour l'empêcher, et je crois avoir réussi62 ». Ses arguments, certaine- ment d'ordre financier, furent persuasifs et la fête n'eut pas lieu, Quatre ans plus tard, en 1775, une fête chinoise est projetée dans les jardins pour le mariage de Madame Clotilde avec le prince de Piémont, futur Charles-Emmanuel IV, roi de Sardaigne. Papillon de la Ferté, déjà effrayé par les dépenses des bals de la Reine, en tremble d'avance. Le 25 mars 1775, il fait part au duc de Duras de ses « tristes réflexions sur une dépense aussi considérable pour quelques bals et l'ai fort exhorte de se tenir en garde sur toutes les demandes qui pourront lui être faites, surtout pour la fête de Marly où l'on se propose déjà de donner une loterie pour les . Dames de la Cour ». Le duc lui répond deux jours plus tard, qu'il a « pris toutes les 27 précautions pour être sûr de la qualité et du prix des objets qu'il destinait pour les pré- sents83 ». Les premières fournitures arrivent dès la fin de l'année 1774 : des étoffes roses et bleues imprimées « en or à grand branchage ayant un dragon volant et des fruits des Indes dans le dessein » sont fournies par Rocquet. Deux caisses de vases de verres de couleurs pour l'illumination, sont importées d'Angleterre, Leur convoie- ment de Calais à Paris avait été confié « à la garde de Dieu et à la conduite d'Antoine Harlet84 ». En septembre 1774, trois travées de la salle chinoise prévue pour la fête, tendues de l'étoffe imprimée, sont montées pour rendre compte de l'aspect final85. Finalement, Louis XVI décide en juin 1775 que les fêtes qui « devaient avoir lieu à Marly pour le mariage de Madame Clothilde ne se célébreraient pas, attendu les cir- constances ; qu'on emploierait cet argent à indemniser les pauvres malheureux66 ». Sur quoi Papillon de la Ferté renchérit le 14 juillet 1775 : « J'ai fort exhorté Monsieur le Maréchal à faire en sorte d'éviter la fête de Marly, en lui conseillant d'en rester cette année, sur ses lauriers » : le Sacre de Louis XVI avait eu lieu la veille, 13 juillet87. Non seulement la fête fut annulée, mais le voyage également. Lidée d'une grande fête à Marly n'était pas abandonnée : le 1er mai 1775, Papillon de la Ferté écrit que lors d'une réunion des Menus Plaisirs chez le maréchal de Duras, « M. Laujon y a lu un plan de divertissement pour Marly qui ne m'a pas paru aussi plai- sant qu'à /'auteur88 », On peut rapprocher ce plan d'un « Projet d'une fête de nuit dans les jardins de Marly », non daté et non signé, qui présente Marly comme un site idéal de par sa disposition en amphithéâtre. Le Pavillon royal, les douze pavillons, la Pièce des Vents, le Miroir, la terrasse de l'Abreuvoir jusqu'au bassin hors du parc sont illu- minés avec des terrines de suif, des girandoles de fer-blanc garnies de lampions et des ifs en transparent. Les berceaux entre la Pièce des Vents et les premiers pavillons reçoivent des bocaux de verre, probablement de couleur, complétés par des giran- doles. Aux berceaux entre les douze pavillons sont suspendus des lustres de fer, tandis que des festons et guirlandes de lanternes, rythmés par des lustres, éclairent ceux en retour vers l'Abreuvoir. Dans les bosquets est établie « une foire composée de toutes nations, et dont la décoration est de peu de dépenses, soit en faisant des pavillons légers dans le goût chinois, soit en établissant des tentes d'étoffes, soit en jet- tant d'un arbre à l'autre des toiles retroussées autour des arbres, et des cordons artistement noués et garnis de glands [...]. L'on pourrait y établir des boutiques où les acteurs principaux des trois spectacles pourraient y jouer des rôles, y débiter des scènes, et y chanter des couplets analogues à la fête ». Lauteur propose également la mise en place de deux théâtres, l'un pour la Comédie-Française, l'autre pour l'Opéra- Comique, de part et d'autre du Pavillon royal. Enfin, sur le bassin du Miroir naviguent « une vingtaine de batteaux qui auraient servis sur le canal de Versailles, parmi les- quels en serait un plus grand capable de contenir une trentaine de cors de chasse et clarinette, on en garnirait cette pièce, et tous ces petits batteaux garnis de lanternes se promèneraient, et feraient divers mouvements et évolutions ». L auteur prend bien soin de préciser que cette fête coûterait peu, car tous les éléments, étoffes, giran- doles, lanternes, bateaux... proviennent des magasins des Menus Plaisirs. De plus, une grande partie des lustres et des girandoles nécessaires a déjà « servi pour le mariage de Monsieur le Dauphin », Deux dessins de la collection Pierre-Adrien Pâris représentent une décoration de fête pour les jardins de Marly, très proche de celle décrite dans ce projet '(Fig. 3 et 4). Réunion des Musées Nationaux

Notes et documents des musées de France

Repas royaux, subtilités parfois cruelles de l'étiquette, détails des décors voulus par Louis XIV pour ce grand salon dans lequel plus tard, Madame de Pompadour s'enrhuma, réveils de Marie-Antoinette avant l'aube pour une promenade au lever du soleil, nous n'ignorons rien de la vie de la cour "en vacances" à Marly. Les descriptions vives et poétiques, comme la réconsti- tution précise des décors et du mobilier du pavillon royal sont le fruit de l'étude scientifique des archives, des inventaires royaux et des témoignages des contemporains. L'abandon du château com- mencera dès le milieu du règne de Louis XVI, la destruction des jardins et la dispersion des meubles sera l'œuvre de la Révolution. Les bâtiments seront détruits sous le Premier Empire.

Distribution Seuil Prix : 350 F ISSN : 0293-6771 ISBN : 2-7118-3253-8 SN 00 3253. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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