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MUSÉES ET MONUMENTS DE FRANCE PUBLIE SOUS LA DIRECTION DE PIERRE LEMOINE ÉDITÉ AVEC LE CONCOURS DE LA RÉUNION DES MUSÉES NATIONAUX ET DE LA FONDATION PARIBAS

LE CHÂTEAU DE VERSAILLES LE MUSÉE NATIONAL DES CHÂTEAUX DE VERSAILLES ET DE TRIANON

PIERRE LEMOINE Inspecteur Général honoraire des Musées de France

@ ii EDITIONS DE LA RÉUNION DES MUSÉES NATIONAUX ; ; ALBIN MICHEL La Fondation Paribas et la Réunion des musées nationaux ont apporté conjointement leur concours à la réalisation de ce troisième volume de la collection Musées et Monuments de France. Cette initiative marque la volonté de Paribas d'être associé à la pré- sentation au public français de chefs-d'oeuvre du patrimoine culturel universel. Les actions de mécénat engagées par Paribas s'inscrivent dans une longue tradition : voulant apporter sa contribution à une meilleure insertion du monde économique dans son environnement social, scientifique et culturel, Paribas s'est, depuis de nombreuses années et au-delà de nos frontières, attaché à encourager l'innovation scientifique, la conservation du patrimoine culturel et la création artistique. Cette démarche s'est confirmée et développée avec la création, début 1984, de La Fondation Paribas. Outre ses interventions dans le domaine social, cette Fondation s'efforce, en soutenant plus particulièrement les initiatives des jeunes, de promouvoir la recherche scientifique et technique, de favoriser l'expression artistique et culturelle.

Couverture : RÉPARATION FAITE À LOUIS XIV PAR LE DOGE DE GÊNES DANS LA GRANDE GALERIE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES, LE 15 MAI 1685. Frontispice : LOUIS xiv, par Lorenzo Bernini en 1665. (Ç) Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1987 10, rue de l'Abbaye, 75006 Paris © 1987 MUSÉES ET MONUMENTS DE FRANCE PARIS I.S.B.N. : 2-7118-2-134-X (broché) 2-226-028-14-5 (relié) TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION LES ORIGINES 7 LE CHÂTEAU DE LOUIS XIII 8 LES PREMIERS TRAVAUX DE LOUIS XIV 9 LE CHÂTEAU-NEUF 13 L'EXTENSION DU CHÂTEAU 17 LA CAPITALE DU ROYAUME 28 L'ŒUVRE DU XVIIIe SIÈCLE 30 TRIANON 32 LE MUSÉE NATIONAL 34 LE GRAND APPARTEMENT 39 LA GRANDE GALERIE OU GALERIE DES GLACES 57 LA CHAPELLE ROYALE 65 L' 69 LE PETIT APPARTEMENT DU ROI 89 L'APPARTEMENT DE LA REINE 93 LES APPARTEMENTS DU DAUPHIN, DE LA DAUPHINE ET DE MESDAMES DE FRANCE 103 L'OPÉRA ROYAL 119 LES JARDINS 123 LE GRAND TRIANON 133 LE PETIT TRIANON 145 LA GRANDE ÉCURIE 153 Le Château de Versailles vers 1668 - Ce tableau de Pierre Patel montre avec une grande précision l'aspect que présentait le château après les premiers travaux or- donnés par Louis XIV en 1662 : l'espla- nade circulaire avec ses obélisques, l'avant- cour bordée par les nouveaux bâtiments des communs, et le château de Louis XIII, conservé mais embelli ; à droite, on distin- gue le bâtiment de la Grotte de Théthys avec son réservoir ; les jardins ont déjà leurs proportions définitives et le perce- ment du Grand Canal est amorcé. INTRODUCTION

Le château de Versailles est, sans doute, la résidence royale la plus célèbre du monde, mais sa réputation et la fascination qu'il exerce ne sont peut-être pas dues uniquement à la splendeur de son architecture, de sa décoration intérieure et de ses jardins : au-delà de ces apparences, si magnifiques soient-elles, l'observateur attentif perçoit, en effet, une signification historique et un symbolisme profond qui donnent à la création de Louis XIV sa véritable dimension. Par son histoire et son destin, ce château est non seulement la plus somptueuse des demeures, mais encore et surtout un monument qui porte l'empreinte d'une pensée politique cohérente et qui exprime un programme artistique, économique et intellectuel, élaboré en un temps où la France rayonnait en Europe d'une gloire sans égale. LES ORIGINES Le domaine royal de Versailles est situé au sud-ouest de Paris, dans une vallée que dominent trois légères éminences : c'est sur l'une d'entre elles que se dresse le château actuel. Ce fut de tout temps un pays de bois, d'étangs et de marécages, dont les derniers ne furent asséchés qu'au XVIIIe siècle ; le climat y est encore aujourd'hui un peu plus rude que celui de la capitale, pourtant à peine éloignée d'une vingtaine de kilomètres. L'étymologie du nom de Versailles a été longtemps controversée : cependant, si l'on se rappelle qu'un « versail » est une terre dont les mauvaises herbes ont été arrachées, il faut admettre que le château le plus prestigieux du monde doit son nom à des terrains défrichés. Ce défrichement dut avoir lieu après le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), attribuant au chef normand Rollon les riches territoires qui étaient situés à l'ouest de cette rivière et qui allaient former la Normandie. Quoi qu'il en soit, c'est en 1038 qu'apparaît la première mention du nom de Versailles, dans une charte de l'abbaye Saint-Pair de Chartres que signe, en qualité de témoin, un certain Hugo de Versaillis. C'est à cette époque également que doit remonter la fondation de la seigneurie et de la paroisse, consacrée à saint Julien. Les sires de Versailles sont de modestes seigneurs, mais ils sont les vassaux directs du Roi ; leur château, au pied duquel se pressent l'église et les maisons du village, est construit sur la pente méridionale de la butte où s'élève le château actuel et au sommet de laquelle on ne voit alors qu'un moulin. La guerre de Cent Ans ruine le village, que ses habitants abandonnent ; mais, dès la paix revenue, les maisons sont reconstruites, les chemins réparés, les terres remises en culture. Le château féodal, en ruine, est restauré par le sire de Soisy, nouveau titulaire du fief. Ce bâtiment a disparu depuis longtemps, mais un acte notarié nous permet de nous le représenter : il était composé d'un corps de logis principal de cinq travées et d'une aile en retour de trois travées ; le portail était encadré de deux tourelles, et le domaine comprenait encore un colombier, deux cours, un jardin, un clos, des étables, des moulins à vent, quatre étangs et 80 arpents de bois, prés, taillis et terres labourables. En 1561, Martial de Loménie de Brienne, secrétaire d'État aux Finances de Charles IX, devient l'unique seigneur de Versailles ; il agrandit considérablement la seigneurie, qu'il porte à 450 arpents, soit 225 hectares. Le village compte alors environ 500 habitants, et l'on y trouve quelques pauvres auberges où couchent les bouviers venant de Normandie et se rendant à Paris. Mais Brienne est assassiné au cours de la nuit de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572, et la seigneurie est rachetée à ses héritiers mineurs par Albert de Gondi pour la somme relativement importante de 35 000 livres. La famille de Gondi, originaire de Florence, est venue en France à la suite de Catherine de Médicis. Ses membres, protégés par la Reine et son fils Charles IX, ont amassé une fortune considérable, des honneurs et des titres. Le plus illustre d'entre eux est sans doute cet Albert de Gondi qui, peu de temps après l'acquisition de Versailles, sera fait maréchal de France et duc de Retz. Familier d'Henri III, il jouit aussi de la confiance du roi de Navarre, le futur Henri IV. Ce dernier, qui a déjà logé chez Brienne en 1570, séjourne chez Gondi du 7 au 9 juillet 1589. Devenu Roi de France, il reviendra de temps à autre à Versailles pour chasser, acceptant volontiers le souper que lui offre le duc de Retz. Le terrain, en effet, est très giboyeux, et le goût immodéré que les Bourbons auront toujours pour la chasse va décider du destin de Versailles.

LE CHÂTEAU DE LOUIS XIII Henri IV est souvent accompagné du petit Dauphin ; celui-ci n'a que cinq ans lorsqu'il vient pour la première fois à Versailles, mais il s'attache vite à ce lieu dont l'aspect un peu sauvage convient à son humeur mélancolique. Devenu Roi, Louis XIII y revient fréquemment avec une suite réduite de familiers, au premier rang desquels figure le duc de Saint-Simon, le père du mémorialiste. Pendant longtemps, Louis XIII se contente, lorsque la chasse s'est trop prolongée, de coucher au château des Gondi ou parfois même sur la paille d'une méchante auberge. Il finit cependant par décider la construction, au sommet de la butte qui domine le château, d'un pavillon très modeste, entouré de quelques arpents de terre, où il se sente véritablement chez lui. Ce pavillon, composé d'un simple corps de logis de douze toises de long sur trois de large (environ 24 X 6 mètres) et de deux courtes ailes en retour, est édifié en 1623 ; rapidement transformé et agrandi, devenu méconnaissable, il reste pourtant le noyau initial autour duquel s'est développée la plus vaste résidence de la monarchie. Dans ce pavillon, le Roi ne dispose que de cinq petites pièces : antichambre, chambre, cabinet, salle et garde-robe ; quelques tapisse- ries, un meuble de damas vert ou de brocatelle, un billard et quelques LOUIS xiii, Roi de France et de Navarre coffres constituent l'essentiel du mobilier. C'est bien là ce « chétif (1601-1643), d'après Juste d'Egmont. château de Versailles », dont parle le maréchal de Bassompierre à l'Assemblée des Notables de 1627, « dont la construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre vanité » et que l'ambassadeur de Venise décrit comme « una picciola casa che fa fabricare a Versaglia per recreazione. » Mais ce simple pavillon se révèle vite insuffisant et, de 1631 à 1634, Louis XIII le fait agrandir sous la direction de Philibert le Roy : on l'élargit d'une toise du côté des jardins et on construit deux ailes en retour ; deux petites échauguettes coiffées d'un dôme de pierre relient les trois corps de logis, et la cour ainsi délimitée est fermée, du quatrième côté, par une étroite terrasse reposant sur des arcades fermées de grilles vert et or ; quatre pavillons décrochés se rattachent aux angles externes de la construction, et le tout est entouré d'un fossé que franchissent deux ponts ; précédant ce nouveau château, une avant-cour est bordée de deux petits bâtiments réservés aux communs. Avec ses toits d'ardoise, ses murs de brique rouge rehaussée par la pierre blanche des corniches, des pilastres d'angle et des encadrements d'ouvertures, le château de Louis XIII est caractéristique de cette architecture tricolore qui a été en faveur au début du siècle mais qui commence déjà à passer de mode ; il justifie en tout cas le mot de Saint-Simon qui, reprenant une expression de Sauvai, le qualifiera dédaigneusement de « petit château de cartes ». Transformé, embelli et noyé dans les immenses constructions de Louis XIV, il subsiste encore aujourd'hui et donne à la Cour de Marbre son cachet d'élégance un peu surannée. Louis XIII, en même temps qu'il reconstruit le château, acquiert de nouvelles terres qui arrondissent son domaine : le 8 avril 1632, il achète la seigneurie de Versailles au troisième fils du duc de Retz, Jean-François de Gondi, archevêque de Paris ; le 26 mai suivant, en présence du curé et des habitants du bourg, un millier de personnes en tout, les armes de France remplacent celles de l'archevêque au poteau du carrefour. La superficie du parc, entièrement clos de murs, correspond à peu près à celle des jardins actuels. Devant le château, s'étend un parterre de broderie que prolonge un petit bois percé d'allées en étoile et, au bout de la perspective centrale, est creusé un « rondeau » qui deviendra un jour le bassin d'Apollon. C'est dans cet ermitage, où il n'admet que très exceptionnellement la Plan du château de Louis XIII vers 1640. Reine et ses dames, que Louis XIII songe à se retirer dès que le Dauphin aura atteint sa majorité « pour ne plus songer qu'aux affaires de son salut. » Sa mort prématurée à quarante-deux ans, en 1643, ne lui permettra pas de réaliser son projet, et l'histoire de Versailles connaît alors une interruption d'une vingtaine d'années. Le nouveau Roi, qui est âgé de moins de cinq ans, n'y viendra pas avant l'âge de douze ans ; mais, peu à peu, il prend l'habitude d'y venir chasser une ou deux fois par an, soit seul, soit avec son frère. Il s'attache ainsi insensiblement à la petite maison de son père et, après son mariage en 1660, il commence à la transformer, préludant ainsi aux différentes campagnes de travaux qui s'étendront pratiquement sur toute la durée de son règne.

LES PREMIERS TRAVAUX DE LOUIS XIV Dès 1661, on aménage les intérieurs pour pouvoir loger au premier étage le Roi, la Reine et le Dauphin, au rez-de-chaussée la Reine-mère, le frère et la belle-soeur du Roi. Au milieu de chaque aile, se trouve un escalier : celui du Roi au nord, celui de la Reine au midi. Ils desservent deux appartements symétriques, comprenant chacun une antichambre, deux cabinets et une chambre, et séparés par un grand salon central qu'éclairent six fenêtres, trois sur la cour et trois sur les jardins. Quelles que soient les transformations ultérieures des apparte- ments royaux, leur emplacement ne changera plus : le Roi du côté du nord, la Reine du côté du midi. En 1662, on établit au premier étage un balcon en fer forgé qui fait le tour des façades sur les jardins, tandis que les peintres Charles Errard et Noël Coypel renouvellent la décoration intérieure. La même année, les communs de Louis XIII sont démolis et reconstruits légèrement en retrait : les nouveaux bâtiments, contenant les écuries au sud et les cuisines et offices au nord, délimitent une avant-cour que ferme une grille ornée des armes de France ; devant cette grille, une esplanade LOUIS xiv, Roi de France et de Navarre circulaire, dont les murs de soutènement se terminent par deux (1638-1715), par Charles Le Brun vers obélisques, descend vers la place d'armes vers laquelle convergent les 1665. trois avenues d'arrivée. Au cours des années suivantes, on entreprend la transformation des jardins. Le Roi confie la direction de ces travaux à André Le Nôtre qui Plan du château après les travaux de 1662 - L'avant-cour est bordée par les nouveaux bâtiments des communs, renfermant à gauche les écuries et à droite les cuisines et les offices ; elle est fermée par une grille reliant deux corps de gardes. A droite, on remarque la Grotte de Théthys.

va donner ici toute la mesure de son génie. Il commence par établir des parterres de gazon ou de fleurs au pied de chacune des trois façades extérieures du château, en ayant soin d'en varier la forme et le profil. Si, du côté du nord, le parterre descend en pente douce vers un bassin, du côté du midi il est parfaitement horizontal et s'arrête à une balustrade d'où la vue plonge sur un parterre en contrebas ; la dénivellation est rattrapée par deux escaliers entre lesquels se développe le bâtiment de l'Orangerie. Du côté de l'ouest, Le Nôtre adoucit la pente trop raide du terrain, élargit l'allée centrale et relie entre eux les différents niveaux par des rampes et des emmarchements : ainsi se dessine déjà le visage définitif des jardins. Parallèlement à ces travaux, s'achève la construction -de deux petits édifices qui comptent parmi les créations les plus originales de ce temps. La Ménagerie, au fond du parc, est à la fois un pavillon de repos et un établissement scientifique où sont élevés et étudiés des animaux rares ou exotiques. Près du château, la Grotte de Théthys est un bâtiment cubique dont l'intérieur est tapissé de rocailles, de coquillages, de cristaux et de nacre, et où l'eau jaillit de toute part ; des statues de marbre complètent le décor, en particulier l'admirable groupe d'APOL- LON SERVI PAR LES NYMPHES DE THÉTHYS, par lequel Girardon et Regnaudin ont voulu rivaliser avec les plus grands chefs-d'œuvre de la sculpture antique. C'est dans ces jardins en pleine mutation que le Roi donne, à quatre Vue du château du côté du midi, par ans d'intervalle, deux fêtes dont la somptuosité et l'éclat frappent les Van der Meulen vers 1665 - On aperçoit contemporains et dont le souvenir nous éblouit encore : en mai 1664, la première Orangerie et, à droite, les les « Plaisirs de l'Ile enchantée » et, le 18 juillet 1668, le « Grand maisons du bourg groupées autour de divertissement royal », sans doute la fête la plus extraordinaire que l'église paroissiale Saint-Julien. Louis XIV ait jamais offerte. Le château vu du côté des jardins vers 1675 - Cette peinture un peu naïve montre la façade occidentale du Château-Neuf, édifié à partir de 1669. On peut voir la terrasse du premier étage, encadrée par les deux pavillons abritant les trois dernières pièces du Grand Appartement de la Reine à droite et du Grand Appartement du Roi à gauche. LE CHÂTEAU-NEUF Versailles n'est donc encore qu'un séjour de fêtes, mais sa célébrité ne cesse de grandir et l'on pressent que cette nouvelle maison royale est appelée aux plus hautes destinées. D'ores et déjà, son exiguïté et les inconvénients qui en découlent rendent indispensable son agrandis- sement. Le Roi charge donc son Premier Architecte, Louis Le Vau, de donner les plans d'un nouveau château. C'est ici que se pose la question de la conservation ou de la destruction éventuelle du « château de cartes ». Ce problème a toujours divisé les historiens de Versailles, mais il n'est peut-être pas impossible, en s'appuyant sur les différents projets connus et en analysant les données de la chronologie du règne, de déterminer avec vraisemblance ce qu'ont pu être les intentions réelles de Louis XIV. Dans un premier temps, le Roi décide de conserver, au moins provisoirement, le « château de cartes » en l'enveloppant sur trois côtés, vers les jardins, d'une nouvelle construction qui lui est adossée à l'ouest mais qui s'en écarte au nord et au midi pour délimiter deux cours intérieures. Ainsi, les séjours du Roi ne seront pas interrompus pendant la durée des travaux et, lorsque ceux-ci seront achevés, il pourra quitter ses anciens appartements et livrer à la démolition le château de son père. On distingue donc désormais le Château-Vieux et le Château-Neuf, et seul le caractère provisoire du premier peut expliquer les différences d'échelle et de style entre deux édifices que l'on a accolés tant bien que mal l'un à l'autre, mais que l'on ne s'est pas soucié d'harmoniser. Mais le Roi ne peut se contenter indéfiniment d'une solution bâtarde : le style archaïsant du château de Louis XIII, déjà démodé en 1634, ne saurait en aucune façon satisfaire un jeune souverain qui rêve d'un palais plus vaste et plus conforme à ses goûts, un édifice qui porte la marque de son temps. Il convient, à ce propos, de faire bon marché de l'argument traditionnel selon lequel Louis XIV a conservé le château de Louis XIII « par piété filiale » : en fait, il n'a pratiquement pas connu son père, mais en revanche il porte une affection déférente et admirative à sa mère Anne d'Autriche, que son époux a rendue très malheureuse. Cependant, la construction du Château-Neuf s'achève à peine que commence la guerre de Hollande. Or, ce sera une habitude constante chez Louis XIV que d'interrompre les campagnes de construction pendant toute la durée des opérations militaires, l'effort financier portant alors essentiellement sur la guerre, et de consacrer au contraire toutes ses ressources aux Bâtiments pendant les périodes de paix. Le traité de Nimègue, signé en 1678, prélude à une trêve de dix ans, que le Roi met à profit pour construire la Galerie des Glaces, les deux ailes du Midi et du Nord, la Grande et la Petite Écurie, le Grand Commun et la nouvelle Orangerie. Cette extension considérable du château correspond, nous le verrons, à la décision de Louis XIV de transférer à Versailles le siège de la Cour. Cependant, Mansart travaille au « grand projet », qui vise à mettre en harmonie les façades des cours avec celles des jardins ; mais la guerre de la Ligue d'Augsbourg interrompt à nouveau les travaux. Ceux-ci reprennent dès la signature des traités de Rvswyk en 1697. Le Roi entreprend alors la construction de la chapelle et la mènera à bien malgré la reprise des hostilités déclenchées par la succession d'Espagne. C'est là l'unique exception à la règle que nous venons d'énoncer, mais elle peut s'expliquer aisément : Louis XIV vieillit et il ne veut pas mourir avant d'avoir élevé, dans le château qui est devenu sa résidence principale, un sanctuaire digne du Roi Très Chrétien. La guerre de la Succession d'Espagne ne s'achève qu'en 1713, deux ans à peine avant la mort du Roi. Celui-ci n'est donc pas parvenu à réaliser le « grand projet » dont il rêvait : il le lègue à ses successeurs, qui n'y parviendront pas davantage. Ainsi Versailles, tel Janus, présentera pour toujours deux visages différents à ses visiteurs : en fait, il s'agit bien d'un bâtiment inachevé, formé de deux châteaux encastrés l'un dans l'autre - ce qui explique et justifie la célèbre critique de Saint-Simon : « Le beau et le vilain, le vaste et l'étranglé furent cousus ensemble. » Il convient de revenir au Château-Neuf, dont la construction s'étend de 1668 à 1670, mais dont la décoration, tant extérieure qu'intérieure, se poursuivra tout au long de la décade suivante. Contrairement au « château de cartes », c'est un palais de pierre blonde, dont les toits plats sont dissimulés par une balustrade hérissée de trophées et de pots à feu. La façade principale, à l'ouest, comporte une terrasse centrale, encadrée de deux gros pavillons, et cette disposition, qui n'est pas sans rappeler le « casino » de la Villa Borghese à Rome, donne à la nouvelle construction un caractère italien et baroque, accentué encore par les avant-corps à colonnes surmontés de statues qui rythment ses trois façades. L'étage noble est entièrement occupé, de part et d'autre de la terrasse, par les nouveaux appartements du Roi et de la Reine, comprenant chacun six pièces principales. On les baptise Grands Appartements pour les distinguer de ceux du Château-Vieux avec lesquels ils communiquent et qui deviennent les Petits Appartements ou « appartements de commodité » des souverains. Pour leur décoration, on fait appel aux matériaux les plus précieux : marbres polychromes, bronzes et bois dorés, tentures de velours brodé ou de brocart. C'est Charles Le Brun qui est l'ordonnateur général du décor : il supervise le travail des peintres, des sculpteurs et des ornemanistes, il leur indique les idées qu'ils devront développer, il fournit aussi bien le projet d'un plafond ou d'une statue que le dessin d'un tapis ou d'une serrure ; son prodigieux génie inventif lui permet de varier à l'infini les divers éléments du décor tout en lui imprimant le caractère d'homogénéité qui définit un style. Le mythe d'Apollon détermine les thèmes principaux du décor des Grands Appartements. En effet, dès son adolescence, Louis XIV a choisi le Soleil pour emblème et il a lui-même expliqué, dans ses Mémoires, la raison de ce choix : « La devise que j'ai toujours gardée et que vous voyez en tant de lieux devait représenter en quelque sorte les devoirs d'un prince et m'exciter moi-même éternellement à les remplir. On choisit pour corps le Soleil qui, dans les règles de cet art (c'est-à-dire le Blason), est le plus noble de tous et qui, par la qualité d'unique, par l'éclat qui l'environne, par la lumière qu'il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu'il fait de cette même lumière à tous les climats du monde, par le bien qu'il fait en tous lieux, produisant sans cesse et de tous côtés la vie, la joie et l'action, par son mouvement sans relâche où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable dont il ne s'écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image du monarque. » Ces lignes admirables, qui expriment mieux que tout commentaire la haute idée que Louis XIV se fait de ses devoirs et de ses responsabilités, éclairent le sens profond et expliquent le symbolisme de Versailles : Palais du Soleil, il est l'éclatante illustration de la magnificence et de la justice royales, de l'ordre souverain et de l'harmonie du bon gouvernement. Le décor des Grands Appartements est donc inspiré par les dieux et les déesses qui ont donné leur nom aux différentes planètes connues : de même que celles-ci gravitent autour du Soleil, de même les salles de Diane, de Mars, de Mercure, de Jupiter, de Saturne et de Vénus encadrent, dans l'appartement du Roi, la salle d'Apollon, qui est la Plan du premier étage du château en 1674 - Les nouvelles constructions de Le Vau enveloppent sur trois côtés le château primitif qui est lui-même relié aux communs de 1662. Les Grands Apparte- ments du Roi et de la Reine se développent au nord et au midi dans le Château-Neuf, de part et d'autre d'une terrasse sur laquelle ouvrent les « appartements de commodité » des souverains, aménagés dans le Château-Vieux.

chambre avant de devenir la Salle du Trône. Les plafonds, ornés par les élèves de Le Brun de peintures entourées de stucs dorés, reproduisent le modèle créé par Pietro da Cortona, quelques années auparavant, dans l'appartement des Planètes du Palais Pitti à Florence : la figure de la divinité en occupe le centre, tandis que ses attributs ou emblèmes évoquent les activités qu'elle patronne - chasse, navigation, guerre, commerce, arts et sciences ; quant aux tableaux des voussures, ils sont, sous le voile transparent de l'histoire antique, autant d'allusions aux grandes actions du règne. Un fastueux mobilier d'argent ciselé enrichit les salles du Grand Appartement du Roi, où Louis XIV expose également sa collection de bustes antiques et les grands tableaux des peintres vénitiens et bolonais qu'il affectionne particulièrement et qui font aujourd'hui la gloire du Louvre. Au rez-de-chaussée, le Roi fait aménager un Appartement des Bains où se manifeste son goût pour le confort le plus raffiné et le luxe le plus délicat. Pour accéder aux Grands Appartements, deux nouveaux escaliers sont construits symétriquement, de part et d'autre de la Cour Royale : celui de la Reine, au midi, existe toujours, mais le Grand Degré du Roi, au nord, a malheureusement été détruit sous Louis XV. C'était l'escalier le plus monumental du château, celui qu'empruntaient les cortèges des ambassadeurs se rendant à l'audience royale : Le Brun y avait multiplié les marbres polychromes, le bronze doré et les peintures en trompe l'œil qui lui conféraient sa magnificence baroque et faisaient de cet « Escalier des Ambassadeurs » un extraordinaire morceau de bravoure. Le Grand Degré du Roi ou Escalier des Ambassadeurs (maquette) - Ce majestueux escalier conduisait au Grand Appartement du Roi. Le sol et les murs étaient revêtus de marbres polychromes ; le décor peint - figures allégoriques, perspectives feintes, tapisseries en trompe l'œil - était l'œuvre de Le Brun. La niche du palier, surmontée d 'un buste de Louis XIV, abritait une sculpture antique. MAURY-IMPRIMEUR S.A. 45330 Malesherbes Photographies : Hugo Maertens Réunion des musées nationaux et : Marc Arenas (p. 72, 74, 78, 79) Jean-Claude Varga (intérieur du dépliant) Giraudon (p. 20) (c) Vu du ciel par Alain Perceval @ (p. 24-25, 26-27) Mise en page : Mark Verstockt Dépôt légal : 2e trimestre 1987 Imprimé en France Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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