L'exposition “De La Construction Au Récit. Être De Son Temps
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journal de l’exposition CAUE de Haute-Savoie 24 05 2016 de la construction être au récit de son temps L’exposition “De la construction au récit. Être de son temps et de son lieu pour l’architecte du XXe siècle” revient sur la manière dont, en France, les architectes du début du XXe siècle et se sont confrontés aux besoins de leur époque et à la spécificité des lieux. Le parcours de l’architecte Albert Laprade (1883-1978) éclaire la diversité des enjeux auxquels font face les architectes de cette époque. de son lieu Du témoignage à l’essai théorique, le journal de l’exposition propose d’approfondir certaines des thématiques de l’exposition à travers les propos d’architectes, d’historiens, de chercheurs… pour l’architecte du xx e siècle Entre inventaire L’expérience Laprade et Prost, Habitations collectives Le relevé d’architecture, Biographie sélective et pittoresque. de Charousse. du Maroc à Génissiat, par Albert Laprade un projet en questions des œuvres d’Albert L’architecture rurale De l’in situ au musée du sol des villes (1950) • p. 8, 9 sous le regard Laprade sous l’œil des Montagnard entretiens aux édifices par Laurent de Villard de Honne- • p. 14, 15 architectes modernes avec Sylvestre Meinzer Hodebert Le lieu et l’architecture. court par Patrick Thépot par Claire Rosset et Cécile Lapouge • p. 6, 7 Promenade en compa- • p. 12, 13 • p. 2, 3 • p. 4, 5 gnie de John Ruskin par Arnaud Dutheil • p. 10, 11 par Claire Rosset Claire Rosset est doctorante en architecture depuis trois ans au sein du laboratoire Les Métiers entre inventaire et pittoresque. commissaire de l’exposition de l’Histoire de l’Architecture, édifices-villes- territoires de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble. Sa thèse de doctorat est l’architecture rurale conduite sous la direction de Catherine Maumi, en partenariat avec le CAUE de Haute-Savoie, dans le cadre d’une convention Cifre. Elle assure le commissariat de l’exposition “De la construction au sous l’œil récit. Être de son temps et de son lieu pour l’architecte du XXe siècle” à partir du travail des architectes modernes scientifique issu de sa recherche. Dans une lettre manuscrite adressée à Albert Mais, même si Georges-Henri Rivière semble nombreuses planches de croquis, entièrement re- Laprade le 9 février 1942, un certain M. Carnot l’oublier, l’habitation et les modes de vie popu- couvertes de dessins à main levée, proposent une écrit : “Ci joint le petit opuscule rassemblant les laires intéressent également les architectes. Déjà vision pittoresque des régions, c’est-à-dire non instructions données aux enquêteurs sur l’archi- en 1875, Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc affir- seulement inattendue et charmante, mais qui dérive tecture régionale et que je vous avais promis. Il mait : du regard du peintre, loin du travail “impersonnel” est, je crois, de nature à apaiser définitivement “Certes, il est fort bon, fort utile même de visi- de l’Enquête. les craintes que vous aviez manifestées. Vous ver- ter Pompéi et de rapporter de cette ville gréco- rez qu’il s’agit, comme je vous le disais, d’un tra- romaine des études pleines de charme, mais il se- vail scientifique, systématique et impersonnel. rait non moins bon et utile de savoir comment “et donner Je serais d’ailleurs très heureux d’avoir votre d’autres civilisations, plus rapprochées de nous, à penser” sentiment à ce sujet. Nous en reparlerons1.” habitants d’autres climats, ont su élever leurs de- Comme promis, le courrier est accompagné meures ; comment chaque jour amène, par suite de Un bilan de l’Enquête est tiré dès 1943 par les ar- du document Enquête sur l’architecture régio- changements dans les habitudes, certaines modifi- chitectes. Dans la revue professionnelle Techniques nale. Instructions pour les enquêteurs du chan- cations à ces demeures, afin de les rendre plus & Architecture, l’Enquête apparaît non plus comme tier 14252 qui présente les enjeux d’une enquête commodes et plus conformes aux besoins du mo- une simple enquête ethnologique exécutée techni- sur la maison traditionnelle ainsi que les prin- ment ; comment l’Anglais, (…), a su, de tout temps, quement par les architectes, mais également comme A C cipes et méthodes pour la conduire. donner à son habitation des dispositions parfaite- pouvant servir lors de la Reconstruction : “Donnant Le Chantier intellectuel et artistique 1425 ment en harmonie avec ses mœurs, comme le Belge, une vision plus claire du passé, cette documenta- B dit “Enquête sur l’architecture rurale”, est ini- le Danois, le Suisse, l’Allemand, comprennent les tion permettra, nous l’espérons, d’en tirer une saine D tié à partir de 1941 par le musée des Arts et tra- constructions privées, sans se préoccuper plus qu’il leçon pour l’avenir19.” L’enseignement de l’Enquête ditions populaires, sous la direction de l’ethno- ne convient de ce qui s’est fait à Rome ou en Grèce, réside bien dans la mise en relation d’un habitat, logue Georges-Henri Rivière3. L’Enquête il y a plus de deux mille ans11.” de modes de vie et d’un territoire. Il permet alors soustrait, à partir de 1942, une cinquantaine aux architectes d’affirmer : “Mais nous savons déjà, d’architectes au Service de travail obligatoire nous autres gens de cette enquête, qu’il n’y a pas en les mobilisant pour conduire des investiga- “un travail scientifique, lieu, alors qu’il s’agit de faire du neuf, de se tourner 20 tions à travers la France. Ces derniers sont sol- systématique et impersonnel” vers un passé qui meurt ”. Nombre des architectes licités par les ethnologues pour leur sa- de l’Enquête s’engageront d’ailleurs dans la Re- voir-faire spécifique : le relevé d’architecture. L’investigation de l’architecture rurale précède construction avec des projets modernes. A titre Ils produisent ainsi une documentation illustrée donc largement les démarches engagées en 1942 d’exemple, nous pouvons citer la reconstruction du précise et codifiée. par l’Enquête d’une part et par Albert Laprade village du Bosquet, conduit par l’urbaniste Paul Cette année 1942, Albert Laprade publie, d’autre part. Cependant, l’une et l’autre semblent Dufournet et constituant une équipe d’architectes quant à lui, les deux premiers Albums de cro- révéler des attitudes différentes vis-à-vis de ce composée d’anciens collaborateurs de Le Corbusier quis4 consacrés à la “petite architecture5” à tra- corpus : “un travail scientifique, systématique et et de membres du Chantier 1425, reconnus alors vers différentes régions de France et, plus tard, impersonnel12”pour les architectes de l’Enquête et pour leur connaissance du monde agricole21. du bassin méditerranéen. La parution de ces ou- un travail “résultat tantôt d’une science extrême, Les Albums de croquis d’Albert Laprade, quant vrages, en nécessitant un important travail de tantôt de la plus divine innocence13” pour Albert à eux, participent à la construction d’une image des redessin, mobilise l’agence Laprade dès 1939 et Laprade. différentes régions de France et du bassin méditer- constitue un moyen de pallier le chômage intel- L’Enquête relève en effet d’une méthodologie ranéen. En s’éloignant d’une représentation codi- lectuel de la seconde guerre mondiale. Le hui- clairement énoncée, proche des enquêtes ethnolo- fiée et précise de l’architecture, ils s’attachent à tième et dernier album, consacré à Paris, est giques, afin de produire une documentation homo- figurer “l’ambiance de la vie de nos ancêtres” à publié en 1967. gène14 sur tout le territoire français étudié. L’étude partir de “constructions [qui] faisaient toujours procède par des monographies de maisons dont le corps avec le paysage urbain ou rural, pleines choix était laissé aux architectes-enquêteurs, mais d’impondérables accords avec le voisinage par les “des logis modestes, qui devaient constituer un échantillon représenta- matériaux, les volumes, les percements, conçues des logis comme les autres” tif des maisons les plus ordinaires. Chaque étude pour jouir de la nature, mais sans égoïsme, sans répond à une structure systématique, tant dans le dissonance, sans muflerie, toujours admirablement Si, comme semble l’indiquer la correspondance, format (taille du papier, nombre de croquis, inscrites dans la topographie, et parfaitement Albert Laprade a des “craintes” vis-à-vis de la échelles des relevés) que dans les renseignements orientées22”. L’enseignement de la maison rurale mise en place de l’enquête, c’est que le Chantier oraux ou d’archives récoltés. Une monographie comme la leçon du passé sont dans les Albums lar- 1425 s’intéresse aux “modestes maisons des petites présente donc une étude de la maison dans son en- gement idéalisés. Avec des planches dont l’espace villes et de la campagne6” quand les Albums de vironnement, une description des bâtiments, une de la feuille est totalement occupé par des croquis, croquis présentent “des logis modestes, des logis analyse sur l’adaptation au milieu et un historique. Albert Laprade propose une image globale d’un comme les autres7”. La maison rurale semble alors La chercheuse Marie-Noële Denis rappelle que “cet lieu recomposé, où se juxtaposent le profil d’une au cœur des questionnements des architectes de ensemble devait permettre, au-delà d’une descrip- rue et le détail d’une vasque de fontaine, une archi- l’Enquête comme d’Albert Laprade. Les 1481 mono- tion contemporaine, de tracer les variations dans tecture parfois habitée de personnages anachro- graphies (enquêtes exhaustives)8 issues de l’En- le temps et dans l’espace de l’habitat, son évolution niques dessinés par sa fille, Arlette Barré-Laprade. 3 Georges-Henri Rivière (1897-1985) 9 Rivière Georges-Henri, “Avant- 16 Laprade Albert, Croquis.