journal de l’exposition

CAUE de Haute-Savoie 24 05 2016 de la construction être au récit de son temps

L’exposition “De la construction au récit. Être de son temps et de son lieu pour l’architecte du XXe siècle” revient sur la manière dont, en France, les architectes du début du XXe siècle et se sont confrontés aux besoins de leur époque et à la spécificité des lieux. Le parcours de l’architecte Albert Laprade (1883-1978) éclaire la diversité des enjeux auxquels font face les architectes de cette époque. de son lieu Du témoignage à l’essai théorique, le journal de l’expo­­sition propose d’approfondir certaines des thématiques de l’exposition à travers les propos d’architectes, d’historiens, de chercheurs… pour l’architecte du xx e siècle

Entre inventaire L’expérience Laprade et Prost, Habitations collectives Le relevé d’architecture, Biographie sélective et pittoresque. de Charousse. du Maroc à Génissiat, par Albert Laprade un projet en questions des œuvres d’Albert L’architecture rurale De l’in situ au musée du sol des villes (1950) • p. 8, 9 sous le regard Laprade sous l’œil des Montagnard entretiens aux édifices par Laurent de Villard de Honne- • p. 14, 15 architectes modernes avec Sylvestre Meinzer Hodebert Le lieu et l’architecture. court par Patrick Thépot par Claire Rosset et Cécile Lapouge • p. 6, 7 Promenade en compa- • p. 12, 13 • p. 2, 3 • p. 4, 5 gnie de John Ruskin par Arnaud Dutheil • p. 10, 11 par Claire Rosset Claire Rosset est doctorante en architecture depuis trois ans au sein du laboratoire Les Métiers entre inventaire et pittoresque. commissaire de l’exposition de l’Histoire de l’Architecture, édifices-villes- territoires de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble. Sa thèse de doctorat est l’architecture rurale conduite sous la direction de Catherine Maumi, en partenariat avec le CAUE de Haute-Savoie, dans le cadre d’une convention Cifre. Elle assure le commissariat de l’exposition “De la construction au sous l’œil récit. Être de son temps et de son lieu pour l’architecte du XXe siècle” à partir du travail des architectes modernes scientifique issu de sa recherche.

Dans une lettre manuscrite adressée à Albert Mais, même si Georges-Henri Rivière semble nombreuses planches de croquis, entièrement re- Laprade le 9 février 1942, un certain M. Carnot l’oublier, l’habitation et les modes de vie popu- couvertes de dessins à main levée, proposent une écrit : “Ci joint le petit opuscule rassemblant les laires intéressent également les architectes. Déjà vision pittoresque des régions, c’est-à-dire non instructions données aux enquêteurs sur l’archi- en 1875, Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc affir- seulement inattendue et charmante, mais qui dérive tecture régionale et que je vous avais promis. Il mait : du regard du peintre, loin du travail “impersonnel” est, je crois, de nature à apaiser définitivement “Certes, il est fort bon, fort utile même de visi- de l’Enquête. les craintes que vous aviez manifestées. Vous ver- ter Pompéi et de rapporter de cette ville gréco- rez qu’il s’agit, comme je vous le disais, d’un tra- romaine des études pleines de charme, mais il se- vail scientifique, systématique et impersonnel. rait non moins bon et utile de savoir comment “et donner Je serais d’ailleurs très heureux d’avoir votre d’autres civilisations, plus rapprochées de nous, à penser” sentiment à ce sujet. Nous en reparlerons1.” habitants d’autres climats, ont su élever leurs de- Comme promis, le courrier est accompagné meures ; comment chaque jour amène, par suite de Un bilan de l’Enquête est tiré dès 1943 par les ar- du document Enquête sur l’architecture régio- changements dans les habitudes, certaines modifi- chitectes. Dans la revue professionnelle Techniques nale. Instructions pour les enquêteurs du chan- cations à ces demeures, afin de les rendre plus & Architecture, l’Enquête apparaît non plus comme tier 14252 qui présente les enjeux d’une enquête commodes et plus conformes aux besoins du mo- une simple enquête ethnologique exécutée techni- sur la maison traditionnelle ainsi que les prin- ment ; comment l’Anglais, (…), a su, de tout temps, quement par les architectes, mais également comme A C cipes et méthodes pour la conduire. donner à son habitation des dispositions parfaite- pouvant servir lors de la Reconstruction : “Donnant Le Chantier intellectuel et artistique 1425 ment en harmonie avec ses mœurs, comme le Belge, une vision plus claire du passé, cette documenta- B dit “Enquête sur l’architecture rurale”, est ini- le Danois, le Suisse, l’Allemand, comprennent les tion permettra, nous l’espérons, d’en tirer une saine D tié à partir de 1941 par le musée des Arts et tra- constructions privées, sans se préoccuper plus qu’il leçon pour l’avenir19.” L’enseignement de l’Enquête ditions populaires, sous la direction de l’ethno- ne convient de ce qui s’est fait à Rome ou en Grèce, réside bien dans la mise en relation d’un habitat, logue Georges-Henri Rivière3. L’Enquête il y a plus de deux mille ans11.” de modes de vie et d’un territoire. Il permet alors soustrait, à partir de 1942, une cinquantaine aux architectes d’affirmer : “Mais nous savons déjà, d’architectes au Service de travail obligatoire nous autres gens de cette enquête, qu’il n’y a pas en les mobilisant pour conduire des investiga- “un travail scientifique, lieu, alors qu’il s’agit de faire du neuf, de se tourner tions à travers la France. Ces derniers sont sol- systématique et impersonnel” vers un passé qui meurt20”. Nombre des architectes licités par les ethnologues pour leur sa- de l’Enquête s’engageront d’ailleurs dans la Re- voir-faire spécifique : le relevé d’architecture. L’investigation de l’architecture rurale précède construction avec des projets modernes. A titre Ils produisent ainsi une documentation illustrée donc largement les démarches engagées en 1942 d’exemple, nous pouvons citer la reconstruction du précise et codifiée. par l’Enquête d’une part et par Albert Laprade village du Bosquet, conduit par l’urbaniste Paul Cette année 1942, Albert Laprade publie, d’autre part. Cependant, l’une et l’autre semblent Dufournet et constituant une équipe d’architectes quant à lui, les deux premiers Albums de cro- révéler des attitudes différentes vis-à-vis de ce composée d’anciens collaborateurs de quis4 consacrés à la “petite architecture5” à tra- corpus : “un travail scientifique, systématique et et de membres du Chantier 1425, reconnus alors vers différentes régions de France et, plus tard, impersonnel12”pour les architectes de l’Enquête et pour leur connaissance du monde agricole21. du bassin méditerranéen. La parution de ces ou- un travail “résultat tantôt d’une science extrême, Les Albums de croquis d’Albert Laprade, quant vrages, en nécessitant un important travail de tantôt de la plus divine innocence13” pour Albert à eux, participent à la construction d’une image des redessin, mobilise l’agence Laprade dès 1939 et Laprade. différentes régions de France et du bassin méditer- constitue un moyen de pallier le chômage intel- L’Enquête relève en effet d’une méthodologie ranéen. En s’éloignant d’une représentation codi- lectuel de la seconde guerre mondiale. Le hui- clairement énoncée, proche des enquêtes ethnolo- fiée et précise de l’architecture, ils s’attachent à tième et dernier album, consacré à , est giques, afin de produire une documentation homo- figurer “l’ambiance de la vie de nos ancêtres” à publié en 1967. gène14 sur tout le territoire français étudié. L’étude partir de “constructions [qui] faisaient toujours procède par des monographies de maisons dont le corps avec le paysage urbain ou rural, pleines choix était laissé aux architectes-enquêteurs, mais d’impondérables accords avec le voisinage par les “des logis modestes, qui devaient constituer un échantillon représenta- matériaux, les volumes, les percements, conçues des logis comme les autres” tif des maisons les plus ordinaires. Chaque étude pour jouir de la nature, mais sans égoïsme, sans répond à une structure systématique, tant dans le dissonance, sans muflerie, toujours admirablement Si, comme semble l’indiquer la correspondance, format (taille du papier, nombre de croquis, inscrites dans la topographie, et parfaitement Albert Laprade a des “craintes” vis-à-vis de la échelles des relevés) que dans les renseignements orientées22”. L’enseignement de la maison rurale mise en place de l’enquête, c’est que le Chantier oraux ou d’archives récoltés. Une monographie comme la leçon du passé sont dans les Albums lar- 1425 s’intéresse aux “modestes maisons des petites présente donc une étude de la maison dans son en- gement idéalisés. Avec des planches dont l’espace villes et de la campagne6” quand les Albums de vironnement, une description des bâtiments, une de la feuille est totalement occupé par des croquis, croquis présentent “des logis modestes, des logis analyse sur l’adaptation au milieu et un historique. Albert Laprade propose une image globale d’un comme les autres7”. La maison rurale semble alors La chercheuse Marie-Noële Denis rappelle que “cet lieu recomposé, où se juxtaposent le profil d’une au cœur des questionnements des architectes de ensemble devait permettre, au-delà d’une descrip- rue et le détail d’une vasque de fontaine, une archi- l’Enquête comme d’Albert Laprade. Les 1481 mono- tion contemporaine, de tracer les variations dans tecture parfois habitée de personnages anachro- graphies (enquêtes exhaustives)8 issues de l’En- le temps et dans l’espace de l’habitat, son évolution niques dessinés par sa fille, Arlette Barré-Laprade. 3 Georges-Henri Rivière (1897-1985) 9 Rivière Georges-Henri, “Avant- 16 Laprade Albert, Croquis. 3e Album, 23 ibid. quête analysant des constructions rurales à travers par rapport aux modifications des genres de vie, Par ce voyage à travers la “petite architecture”, est le fondateur du musée des Arts propos”, Arts et traditions populaires, Région du Midi, Paris, Vincent, Fréal vingt régions de France attestent de l’ampleur de des techniques agricoles, des structures sociales et Albert Laprade formule un souhait : “Puissent les et traditions populaires à Paris, décembre 1955, n° 4, p. 331. et Cie, 1952, s. p. A Extrait d’un carnet e 15 en 1937. Tout au long du XX siècle, 17 Laprade Albert, Croquis. de relevés de P. Desmarest, enquêteur cet intérêt. L’idéologie du régime de Vichy, en cher- familiales .” L’Enquête représente ainsi un des planches de ces albums être comme des idées et il est une personnalité centrale 10 Brunhes Jean, La géographie 1er Album, op. cit. du Chantier 1425 en Haute-Savoie. chant à construire l’identité culturelle de la France plus importants travaux de mise en inventaire de donner à penser23”. de l’ethnologie française, notamment humaine. Essai de classification Archives des Arts et traditions occupée à partir de la culture rurale, n’est sans la société rurale au début du XXe siècle. Ainsi, face à la maison rurale, les architectes autour des questions de muséologie. positive. Principes et exemples, Paris, 18 Laprade Albert, Croquis. 3e Album, populaires, Centre de Conservation Félix Alcan, 1910, 843 p. op. cit. et de Ressources du MuCEM, fonds doute pas étrangère à la mise en avant d’un tel su- Face à ce travail scientifique, la démarche de l’époque mettent en place des attitudes variées 4 Laprade Albert, Croquis. Enquête sur l’architecture rural — 4AH jet. Mais au-delà d’un opportunisme politique, l’in- d’Albert Laprade étonne. La publication des Albums et probablement complémentaires. Si certains 1er Album, Du Nord à la Loire, Paris, 11 Viollet-le-duc Eugène Emmanuel, 19 H. A., “Techniques locales”, Vincent, Fréal et Cie, 1942, s. p ; Habitations modernes, Paris, Techniques & architecture, 1943, B Extrait d’une planche térêt pour l’habitation populaire dans les années de croquis relève, en effet, d’une initiative person- cherchent à identifier dans l’architecture tradi- Laprade Albert, Croquis. 2e Album, éd. A. Morel, 1875. n° 11‑12, pp. 275‑276. d’analyse du “Prélèvement Vendée, 1940 s’inscrit dans la continuité des études folklo- nelle, ils connaîtront un important succès de li- tionnelle des caractéristiques et des fondements Région de l’Est, Paris, Vincent, Fréal Deux-Sèvres et Vienne”, dans le n° et Cie, 1942, s. p. 12 Lettre manuscrite de M. Carnot. 20 Pison Guy, “L’enquête d’archi- “Techniques locales” spécial Chantier riques, géographiques ou ethnographiques sur le brairie. Depuis son séjour au Maroc (1915-1920), pour la construction moderne, d’autres cherchent à voir note 1 tecture rurale du chantier 1425”, 1425, Techniques & architecture, 1943, monde rural. Georges-Henri Rivière rappelle Albert Laprade collecte, dans des carnets de poche, en faire le récit, scientifique ou fictif. 5 Expression issue d’une note Techniques et architecture, 1943, n° 11-12, p. 282 (auteur: Jean Bossu). même que “l’étude de la maison rurale relève pour des croquis d’architecture “de façon désintéressée biographique présentant Albert Laprade, 13 Laprade Albert, Croquis. Europe n° 11‑12, p. 312 et 324. Capa 1 Lettre manuscrite de M.Carnot, rédigée par lui-même en 1964, Archives méridionale et Asie mineure, Paris, le moins de trois disciplines : la géographie, l’his- pendant une vie entière, rapidement, pour [son] seul datée du 9 février 1942. Archives nationales, fonds Laprade / 403AP180 Vincent, Fréal et Cie, 1952, s. p. 21 Parmi les cinq architectes C Planche d’un carnet toire, l’ethnologie. S’agissant du domaine français, plaisir, parfois d’un train, d’un bateau, d’une auto nationales, fonds Laprade / 403AP190 de l’équipe initiale, nous trouvons de relevés in situ d’Albert Laprade. 6 Délégation générale à l’équipement 14 Les architectes devaient remettre Jean Bossu, enquêteur en Vendée, Aa/Capa/Aa XXe © ADAGP, Paris 2016 c’est à la première, depuis que Vidal de La Blache ou d’un car, au cours d’un congrès, de visites de 2 Délégation générale à l’équipement national et service des chantiers au Musée des arts et traditions Deux-Sèvres et Vienne, Louis Miquel, et Demangeon ont ouvert la voie, qu’on doit le plus chantiers éloignés, et surtout à l’époque d’une jeu- national et service des chantiers intellectuels et artistiques, Enquête populaire un journal de route, un enquêteur dans les Alpes-Maritimes D Planche d’un Album de travaux9”. Les tenants de l’école française de nesse studieuse16”. Dès 1939, il entame un impor- intellectuels et artistiques, Enquête sur l’architecture régionale. carnet de croquis, un carnet d’épreuves et les Basses-Alpes et Raymond Senevat, de croquis d’Albert Laprade. Laprade sur l’architecture régionale. Instructions pour les enquêteurs du photographiques et les monographies enquêteur en Basse-Normandie. Albert, Croquis. 2e album, Région géographie et de la géographie humaine ont ins- tant travail de tri et de redessin de ces relevés pour Instructions pour les enquêteurs chantier 1425, op. cit., p. 3 de maisons. in Dousson Xavier, “La reconstruction de l’Est, Paris, éd. Vincent, Fréal crit l’étude de l’habitat populaire dans le domaine les publier. Il cherche alors non seulement à du chantier 1425, Paris, Bernard frères, du village témoin du Bosquel dans et Cie, 1942 © ADAGP, Paris 2016 e 1941, 29 p. 7 Laprade Albert, Croquis. 2e Album, 15 Denis Marie-Noële, “L’Enquête la Somme après 1940. Récit, ambitions scientifique dès le début du XX siècle. Ils ont éga- “conserver la trace d’une infinité d’humbles chefs- Région de l’Est, op. cit. p. 7 d’architecture rurale (1940-1968), une et paradoxes d’une opération singu- lement largement contribué à construire l’idée que d’œuvre réalisés par de grands artistes qui s’igno- étape dans la construction de l’ethno- lière”, In Situ, revue des patrimoines 17 8 Raulin Henri, “L’architecture logie française”, in Du folklore à [en ligne], 2013, n° 21. ce sont les maisons rurales “qui portent et qui ex- raient et demeuraient ignorés ” mais surtout à rurale française. Une enquête nationale l’éthnologie, Paris, éd. de la Maison priment les caractères de cette dépendance vis-à- montrer “l’ambiance des villes anciennes, ou des inédite (1941-1948)”, Études rurales, des sciences de l’Homme, 2009, 22 Laprade Albert, Croquis. vis du cadre géographique10”. campagnes, et [à] rendre leur caractère18”. Les 1964, n° 13‑14, pp. 98. pp. 49‑62. 1er Album, op. cit. 2 3 entretiens Sylvestre Meinzer, arrière-petite-fille d’Albert Cécile Lapouge est responsable du musée Montagnard Laprade, a passé ses étés à Charousse, dans cet “esprit des Houches et guide conférencière. Après des études l’expérience par Claire Rosset communautaire familial” qui y réside. Elle revient plus d’histoire de l’art et archéologie, elle entre à tard pour un mémoire d’ethnologie sur les relations l’École du Louvre. Elle se spécialise en histoire des hommes/animaux domestiques en alpage dans arts d’Afrique, étudie la muséologie et la médiation de la vallée de Chamonix. Elle a coordonné l’ouvrage culturelle. Elle suit des cours sur les arts et familial sur L’Alpage de Charousse4. Aujourd’hui, elle traditions populaires. Elle intègre le musée Montagnard est réalisatrice et pratique le cinéma documentaire. en décembre 2014. Elle est actuellement en formation “Guide Pays de Savoie”. Charousse Plus d’informations sur le musée Montagnard des Houches: www.cc-valleedechamonixmontblanc.fr

L’architecte Albert Laprade arrive en Haute-Sa- musée est le même que celui des années 1970. Néan- voie au milieu des années 1920. Sensible à la de la vie … au musée moins, de nombreux dons et achats ont permis d’en- beauté du lieu et suite à une rencontre fortuite, il richir et de diversifier la collection initiale. achète sa première ferme d’alpage, à Charousse, Dans les années 1990, avec l’arrivée d’Yves Borrel sur la commune des Houches. Pendant cinquante “in situ”… Montagnard. à la présidence de l’association Dans l’temps, il y ans, il va s’atteler à préserver l’intégrité du lieu avec Sylvestre Meinzer avec Cécile Lapouge a eu vraiment le souhait de multiplier les exposi- face à la transformation de la société agropas- tions temporaires. En fonction de celles-ci, l’asso- torale. Il cherche ainsi à acquérir les différents ciation a acquis des objets ou des œuvres qui per- terrains de l’alpage, mais collecte également Claire Rosset CR De quoi hérite-t-on quand on Claire Rosset CR Qu’est ce que le musée Mon- mettaient d’illustrer un propos, de rendre compte les objets de la vie quotidienne. hérite de Charousse ? tagnard des Houches ? d’un savoir faire… Actuellement, la politique d’ac- Dans un texte intitulé “Le musée Monta- Sylvestre Meinzer SM J’ai grandi dans cette Cécile Lapouge CL Le musée Montagnard pré- quisition est en train d’être redéfinie. L’objectif gnard des Houches”, Arlette Barré, fille de l’ar- atmosphère de Charousse, au milieu de ces chalets, sente une importante collection de meubles, d’ob- reste néanmoins le même : constituer et conserver chitecte Albert Laprade, raconte : dans un lieu qui est donné, qui est extraordinaire, jets et d’ustensiles utilisés dans la Haute Vallée de une collection qui illustre les modes de vie d’autre- “En 1925, ayant acquis un chalet aux ‘Granges et en même temps qu’on ne sait pas trop situer. C’est l’Arve jusqu’en 1950 pour les tâches agropastorales, fois, l’histoire des Houches, l’évolution du village. des Chavants’ que son propriétaire voulait quit- le lieu où on grandit, et ça correspond parfaite- aussi bien dans les fermes de village que dans les CR Comment le musée s’inscrit-il localement ? ter, Albert Laprade a fait savoir à ses voisins ment à des récits un peu enchantés, des contes de chalets d’alpage. Il permet de comprendre les CL Je pense que le musée est un peu le gardien qu’il était acheteur des objets divers et ‘vieille- Michka… Et puis on découvre aussi ce rapport très modes de vie traditionnels en montagne, “de garder de la mémoire locale. Albert Laprade a eu l’intui- ries’ qui s’y trouvaient et qu’on se proposait de unique à la nature qui est, à Charousse, tellement trace” et “de garder mémoire” de la civilisation tion qu’il fallait conserver des objets de la vie quo- jeter. Ainsi est née cette collection conservée préservé par ce lieu puis cette volonté familiale de précédente aux Houches. Il témoigne des mutations tidienne et ne pas seulement s’attacher à préserver dans un chalet de Charousse préservé dans son conserver une forme - entre guillemet - d’authenti- de la société qui ont marqué notre territoire. l’architecture. Ce qui est intéressant, c’est que dans état initial, le chalet Thovex.1” cité. Donc on reçoit tout cela et en même temps, on CR Comment le musée Montagnard est-il né ? les objets qu’il a collectés, il n’a pas fait de tri Forme de musée privé, le chalet Thovex ex- se rend compte que ces chalets ont appartenu aussi CL L’avant-musée commence quand Albert esthétique, il les a vraiment gardés pour préserver pose une collection d’objets du quotidien glanés à des éleveurs de Vaudagne ou des Chavants… Laprade acquiert son premier chalet à l’alpage de la mémoire de ces modes de vie d’autrefois. Je à Charousse. Deux mannequins rescapés de l’Ex- CR Qui habitait alors Charousse ? Charousse dans les années 1920 et collecte, auprès pense que le rôle du musée Montagnard est de pour- position coloniale internationale de Paris SM Il y avait la fréquentation, à la fois rude et des habitants, les objets usuels de l’alpage. C’est la suivre cette démarche, de toujours être un témoin (1931), “têtes peintes de nègre, d’Indochinois2” enchantée, avec ces éleveurs qu’étaient Huguette et naissance d’une collection qui va être conservée de la mutation de la société agropastorale. habillés de “costumes savoyards”, animent l’en- Henri, qui avaient la ferme en haut. C’était telle- dans un premier temps dans un autre “musée”, si je Dans l’art populaire, certains objets ont une semble ! Cette mise en scène cherche à conserver ment la ferme d’Huguette et Henri qu’enfant, on ne puis dire, le chalet Thovex [à Charousse]. fonction “technique”. Ils sont là pour aider l’homme la trace des modes de vie en alpage qui, peu à peu, savait même pas que c’était à la famille, d’autant En 1977, pour éviter notamment le vandalisme, dans sa vie quotidienne. Et puis, il y a tous les ob- disparaissent. plus qu’elle avait gardé un aspect vraiment ancien, les vols et la détérioration de la collection, la fa- jets qui ont une fonction plus “symbolique”, qui sont Et dès 1937, M. Nadeau, journaliste, souligne intouché, habité par des générations de personnes mille Laprade, sous l’impulsion d’Albert Laprade et marqueurs de références sociales, qui accom- l’importance et le rôle d’un tel musée “dans la qui élevaient des vaches. On allait chercher le lait, de sa fille Arlette Barré-Laprade, en fait don à la pagnent les étapes de la vie, du “berceau à la haute montagne” : une sorte d’accord entre la famille et ces éleveurs : commune des Houches. L’association Dans l’temps tombe”. A D “Qui a vu le travail humain à travers les ils nous donnaient du lait en quantité voulue en est créée pour assurer la gestion de ce patrimoine, CR Qui s’intéresse à cette mémoire des modes siècles ? L’exploit anonyme et continu qui a échange des pâturages qui leur étaient laissés. l’objectif étant de le préserver, l’enrichir, l’exposer de vie d’autrefois ? précédé l’ère de la science ? Je l’ai vu ! Les questions qui se sont posées ensuite n’existaient et le valoriser. CL Depuis mon arrivée en 2014, j’ai essayé de B E Dans l’échancrure d’un col de montagne, à pas alors : l’entretien des champs, des maisons… On Elle a géré le lieu jusqu’au 1er janvier 2010 redéfinir la politique des publics et de mettre en une altitude de 1 700 mètres, entre le Prarion et voyait seulement cette utilisation belle, avec ces date à laquelle le musée Montagnard est passé sous place des visites et des ateliers adaptés aux be- C les Chavants, j’ai vu un de ces vieux chalets de vaches qui avaient des noms, des cloches, une atten- l’autorité de la communauté de communes de la soins et aux spécificités de publics très divers. haute-montagne, comme on en trouve de moins en tion… Vallée de Chamonix Mont-Blanc. Il fait aujourd’hui Beaucoup de touristes viennent, en famille notam- moins.3” CR Pourquoi être revenue en Haute-Savoie pour partie du réseau des musées de la vallée de Cha- ment, mais il était indispensable de mettre en place Depuis 1977, à l’initiative d’Arlette Barré, un mémoire en ethnologie ? monix. Nous travaillons toujours en étroite colla- des projets s’adressant à la population locale. Le la collection du chalet Thovex nourrit le musée SM J’ai fait de l’ethnologie, au départ, par cu- boration avec l’Association Dans l’temps. musée Montagnard doit être un lieu vivant favori- Montagnard des Houches et fait le récit d’une cer- riosité, pour l’exotisme. Et puis peut-être par pa- CR Comment est organisé le musée Montagnard sant les rencontres, les échanges et les découvertes. taine mémoire du lieu. resse, je suis venue en Haute-Savoie, sans savoir aujourd’hui ? Les enfants de l’école des Houches qui viennent quel sujet traiter. Je traînais toujours chez Huguette CL Le musée prend place dans l’une des plus chaque semaine sur le temps périscolaire me et Henri… Cette maîtrise s’est orientée assez vite anciennes maisons du chef-lieu, la maison de la semblent par exemple constituer un public très in- sur la relation des hommes aux animaux domes- confrérie du Saint-Nom de Jésus (XVIIIe siècle). Il téressant pour le musée aujourd’hui : un réel tiques et sur la manière dont les uns et les autres comprend, à l’étage, trois salles qui présentent la échange est possible et des liens forts entre eux et habitent en proximité dans la vallée de Chamonix. reconstitution de l’habitat traditionnel du chalet l’institution s’établissent. Ce qui m’a beaucoup intéressée c’est la question de Thovex, avec le pèle (la chambre et pièce à vivre), Le premier des projets mis en place interro- la mémoire des lieux et la mémoire des usages, le l’outa (la cuisine), et le sarto (cellier), ainsi que geait des enfants âgés de 7 à 10 ans sur la façon côté immatériel. Comment trouver un message ou deux salles dédiées aux expositions temporaires. dont l’homme a appréhendé et investi son terri- un sens derrière les espaces, le type d’organisa- Au rez-de-chaussée, sont exposés des objets relatifs toire. Nous avons travaillé sur les différents ni- tion… ? Je prenais conscience des réalités en fré- au traitement domestique du lait, aux modes de veaux d’habitat et d’exploitation. L’essentiel des quentant ces éleveurs et j’ai compris leur manière portage, aux travaux des champs et à l’immigration collections exposées provenant de l’alpage de Cha- de penser et de se représenter le monde. Les es- des Houchards au XIXe siècle. rousse, cela a été un bon point de départ. Au-delà paces domestiques, les espaces sauvages, la forêt... En 2013, des travaux ont été effectués, permet- du travail de médiation, les expositions que l’on De cette mémoire orale se déployait une certaine tant la création d’une salle de lecture gérée par propose évoquent aussi les mutations économiques vision du monde. l’association Dans l’temps et d’une salle de média- du territoire. Elles permettent de voir les subsis- CR Que reste-t-il de l’alpage de Charousse ? tion. Des vidéos évoquant la persistance des modes tances. SM Finalement, je crois que j’ai cherché un peu de vie d’autrefois (travail du lait, travail de la Le musée Montagnard est une sorte d’intermé- le type de vie qu’il pouvait y avoir ici, mais évi- laine) ainsi que des témoignages audio viennent diaire entre ce qui est en train de disparaître et ce demment tout change toujours. Charousse, si j’ai enrichir le parcours d’exposition. qui se maintient. L’ambition est bien là : donner à bien compris, c’était longtemps des chalets de CR Quelles sont les collections ? voir l’évolution des paysages à travers l’évolution mi-saison. Huguette et Henri, qui étaient pour moi CL Par la nature de ses collections, le musée de l’homme et de ses modes de vie. les agriculteurs, venaient ici tout l’été sans doute Montagnard est un musée ethnographique. Le don parce qu’ils avaient accès à tous les terrains. Laprade en est le socle. Il y a eu, de la part de 4 Barré (famille), L’alpage D Intérieur du chalet de Charousse, Paris, Suisse imprimerie, Thovex. Coll. Musée montagnard des C’était déjà un autre usage. Aujourd’hui, c’est Eddy l’association, la volonté de reconstituer le chalet 2014, 243 p. Houches © ADAGP, Paris 2016 qui s’occupe de l’alpage avec ses moutons… La Thovex, de façon assez précise. Et, dans l’esprit, le montagne est encore travaillée, c’est une de nos A L’alpage de Charousse E La collection du chalet 1 Barré Arlette, “Le Musée vers 1930 (cliché A. Laprade). Thovex: “vieux instruments savoyards”. préoccupations. montagnard des Houches”, in L’alpage Coll. Musée montagnard des Houches Photographie extraite de l’article Notre génération est consciente d’avoir hérité de Charousse, Paris, Suisse imprimerie, © ADAGP, Paris 2016 Nadeau, “Un musée dans la haute 2014, pp. 49‑51. montagne”, Le Progrès de Haute-Savoie, d’un trésor, pas seulement immobilier mais aussi B Une femme devant une ferme 12 février 1937 symbolique, dont nous devons être “dignes”. La 2 Barré Vincent, “Le chalet d’alpage de Charousse vers 1930 beauté de Charousse est l’œuvre de nombreuses Thovex, l’ancien musée”, in L’alpage (cliché A. Laprade). Coll. Musée de Charousse, Paris, Suisse imprimerie, montagnard des Houches © ADAGP, Paris générations, marquées par la ruralité et l’agricul- 2014, pp. 145‑147. 2016 ture et transmise par un aïeul clairvoyant, Albert 3 Nadeau, “Un musée dans la haute C La vie à Charousse devant Laprade. montagne”, Le Progrès de la Haute- le chalet Laprade, vers 1928 (cliché Savoie, le 12 février 1937 Tairraz). Archives familiales

4 5 par Laurent Hodebert Laurent Hodebert est architecte urbaniste et maître assistant en Ville et Territoires dans le département Laprade et Prost, La Fabrique à l’École Nationale Supérieure d’Archi- tecture de Marseille. Il est chercheur au laboratoire INAMA à l’ENSA Marseille, et doctorant à l’ENSA du Maroc à Génissiat, de Grenoble depuis novembre 2011 sous la direction de Catherine Maumi, avec un sujet de thèse Henri Prost, Architecture du sol urbain et territorial, du sol des villes 1910 – 1959. aux édifices

Albert Laprade et Henri Prost, de neuf ans son Albums de croquis, dont il publiera, en 1952, un taires modernes. Il travaillera à ce projet jusqu’à construite entre 1925 et 1929 et celle d’El Kansera aîné1, partagent des expériences communes pen- volume en partie dédié au Maroc8. son départ en France métropolitaine, en 1919, pour sur l’Oued Beth construite entre 1927 et 1934. Ces dant une décennie environ, de la formation à Pour répondre à cette tâche immense, Prost des raisons personnelles, ne pouvant pas terminer ouvrages nous montrent que l’urbaniste ne délaisse l’école des Beaux-Arts jusqu’aux plans des villes constitue autour de lui une équipe dont Laprade cette réalisation exemplaire d’un habitat populaire pas l’architecture, ni ne boude les ouvrages tech- nouvelles du Maroc. Laprade a dessiné pour assurera la direction, et qui dessinera le plan de pour le grand nombre, qui sera finalement achevée niques ancrés au fond des vallées. Il va s’y inscrire Prost, en participant au rendu de la “restaura- toutes les villes nouvelles qui vont être accolées par d’autres architectes. avec force et tact, dialoguant avec les roches des tion de Sainte Sophie de Constantinople” et au aux villes anciennes : Fez, Marrakech, Meknès, Ra- parois naturelles par ses ouvrages en béton, trou- projet lauréat pour le concours d’extension de la bat et . Ces plans furent exposés à la système de parcs et d’espaces publics, vant là une occasion de poser des objets techniques ville d’Anvers en 1910, dont il dira plus tard que foire de Casablanca en 1915, respectant le vœu du le plan de sur des lignes géographiques qu’il révèle autre- cela venait de révéler Prost “comme le premier Général de montrer la “conception primordiale de ment, aux même périodes, dans ses plans régionaux urbaniste du monde2”. Si le propos est largement créer des villes européennes en dehors des villes À Rabat, Prost dresse en 1915 un “plan des espaces pour la côte varoise et en région parisienne. exagéré, ce prix consacre les talents de Prost à indigènes” pour mieux les respecter. libres” qui, non seulement emprunte cette dénomi- Peu après son aîné et quelques années après une période où un groupe d’architectes formés aux Dans ce Service des plans de villes, Prost di- nation à son collègue Jean-Claude Nicolas Fores- son livre sur Lyautey, c’est en 1938 que Laprade Beaux-Arts va se révéler comme pionnier de l’ur- rige les grandes lignes, Laprade les met au point et tier12, mais intègre et élargit cette esquisse pour gagne le concours du barrage-usine de Génissiat, banisme en France et alors gagner des concours travaille à la définition de projets qui ponctuelle- en faire un plan exemplaire de l’application des ouvrage technique qui sera achevé une dizaine internationaux au début du siècle. Le “Maître ment s’y intègrent, à une échelle de quartier ou principes du paysagiste, mettant ainsi en place le d’années plus tard. L’architecte met en œuvre dans A B Prost”, fait partie de ce groupe d’intellectuels d’ensemble urbain. Nous allons en parcourir système de parc de la future capitale du Maroc13. cette opération une relation entre la dimension ter- français qui importe d’Allemagne et d’Angle- quelques-uns qui sont révélateurs à Rabat et Casa- Le plan d’aménagement de Rabat, finalement des- ritoriale de la vallée du Rhône et l’échelle d’un terre les principes d’un urbanisme efficace et blanca du travail de “l’agence Prost” à plusieurs siné en 1916, reprend cette organisation générale, ouvrage dont l’implantation et l’architecture fa- humaniste qu’ils vont appliquer aux colonies en échelles, des villes aux édifices. en disposant une série de jardins à l’intérieur et à briquent un nouveau paysage. Il le décrivait alors inventant une nouvelle forme de pratique pour les l’extérieur des remparts sur des points de vue en comme “un ensemble […] supposé devoir être une architectes, celle du dessin de la ville et du ter- services administratifs, hauteur ou dégagés sur le paysage. Une série d’ave- grande attraction touristique20” au rayonnement ritoire. grand parc central nues-promenades plantées, articule ces espaces à dépassant la vallée. Albert Laprade va participer à cette expé- la médina et à la ville nouvelle, notamment l’avenue Albert Laprade boucle ainsi un dialogue ar- rience urbaine coloniale alors que, blessé à la et nouvelle Médina à Casablanca de Casablanca (avenue de la Victoire et Annasr) qui chitectural et urbain avec son ancien “maître”, guerre en 1915, il est requis par Henri Prost qui C’est face à une situation chaotique que les archi- traverse le jardin d’essais14 pour rejoindre une celui qui lui aura montré la voie d’une architecture l’a fait demander pour le seconder au Service des tectes abordent la ville, “Casablanca était alors en porte dans les remparts, et le boulevard du Dar-El- ancrée au sol des villes et de leurs territoires. plans de villes au Maroc. Dans ses “Souvenirs pleine fièvre. C’était la cité champignon, genre Far- Maghzen (avenue Mohammed V) qui articule la Ré- d’un témoin”, sous-titre d’un ouvrage intitulé West9.” sidence générale, la mosquée et la gare vers la “Lyautey urbaniste3”, Laprade nous livre un Alors que Lyautey fait activer le positionne- médina située en contrebas. témoignage éclairant tant à propos de ses rela- ment du port et de la gare, Prost conçoit, avec son Cette disposition n’a pas été facile à mettre en tions avec Prost, l’architecte-urbaniste direc- équipe, un plan d’aménagement qui prend en compte place, Prost nous rappelle que “pratiquement, teur des Services d’architecture du Maroc, qu’avec les données du sol et du climat pour répartir de c’était impossible à réaliser de tous les points de C D le Maréchal Lyautey, Résident général du protec- chaque côté d’un axe central l’ossature viaire d’un la nouvelle ville15”, mais Laprade nous rapporte torat français au Maroc, initiateur et véritable plan qui doit négocier avec les bâtiments et les que “grâce à la méthode de redistribution urbaine, chef d’orchestre des travaux de transformation et voies existantes. À l’est le commerce et l’industrie le plan de Rabat fut […] rapidement écrit sur le de modernisation du pays, le “chef total, […] le et à l’ouest les quartiers résidentiels vers la mer, terrain. Prost s’était donné comme objectif de tirer constructeur” selon ses mots. au centre de ce plan, des terrains et baraquements le meilleur parti d’une exceptionnelle situation Pour Laprade, Prost fut l’homme de la situa- militaires seront déplacés pour faire place à la topographique.” Ainsi, le panorama sur la ville est tion, le “right man providentiel4” pour dessiner grande place centrale et aux futurs bâtiments des inscrit dans le plan par “trois parcs, formant trois les villes nouvelles, “un technicien de premier services administratifs. Prost expérimente ainsi les cônes de vues, le très beau panorama formé par les ordre”, apte à “débrouiller le chaos des villes”, principes d’un zonage fonctionnel, bien avant la deux villes sœurs de Rabat-Salé, villes toutes face à une situation difficile faite de coups France métropolitaine. blanches, encerclées par leurs remparts fauves, partis qu’ils auront à rattraper à Rabat et C’est sur l’emplacement de baraquements mili- bordées par l’estuaire du grand fleuve et l’Océan16.” E Casablanca. La maturation des projets lui a pris taires qu’allait s’installer le cœur du projet de la Laprade participe activement de cette aven- plus d’un an, et “après avoir bien examiné les ville nouvelle, la séquence centrale du plan. La- ture en dessinant le plan des Services administra- F données du problème, le sens probable et prade nous relate cet accord foncier “Le Résident, tifs du protectorat, installés en un point haut de la l’importance respective des principaux courants avec sa largeur d’esprit habituelle, fit abandonner ville, telle une cité-jardin administrative de “pa- de circulation, la position future des ports, des à la ville les énormes terrains achetés en 1912 par villons noyés dans la verdure17”, dans laquelle gares, la nature du sol, les vents régnants et les l’administration française de la Guerre, lors du s’installe la Résidence générale du Maréchal difficultés de réalisation, il put remettre au débarquement10.” Ainsi, précise-t-il, “À l’emplace- Lyautey dont il met au point le bâtiment et ses Résident ses premiers avant-projets.5” ment des baraques en planches et des guitounes jardins18. Projet sur lequel il va travailler des an- devait surgir bientôt le parc central avec ses vastes nées durant et dont il garde quelque amertume le travail quinconces pour les foires et expositions, ses ter- quant à son rapport avec Lyautey, “n’étant pas même de reconnaissance du sol rains de sports athlétiques pour les écoles, son invité à l’inauguration de la ‘résidence’, où j’avais grand terrain de football”, le parc de 15 hectares laissé tant de moi-même19”, mais qui reste un élé- 8 Les ouvrages, véritables 14 Les “jardins d’essais” ont 19 Laprade Albert, Lyautey E Résidence générale Au Maroc il s’agit donc d’équiper un territoire qu’il dessine entre 1916 et 1919 et qui prendra le ment essentiel du dispositif urbain installé par recueils de dessins annotés, plusieurs fonctions, celle de jardins urbaniste, op.cit., p. 3. du Maroc, à Rabat, 1919. Photographie quasi vierge de toute infrastructure, pas de routes, nom de “Parc Lyautey”. Celui-ci se situe derrière Prost : un balcon sur le paysage. sont publiés de 1942 à 1967. Concernant botaniques servant à acclimater 20 Citation de Laprade dans Culot extraite de l’article “La nouvelle de voies ferrées, ni de quartiers d’habitation mo- “la place monumentale étudiée par Prost, groupant le Maroc voir Laprade Albert, Croquis. des espèces exogènes aux colonies pour Maurice, Lambrichs Anne et Delaunay résidence générale de France au Maroc, Portugal, Espagne, Maroc, Paris, l’appro­visionnement en graines et Dominique, Albert Laprade. Architecte, à Rabat, exécutée sous la direction dernes, encore moins de règles urbaines. Laprade tous les édifices administratifs de la cité : hôtel des les barrages Vincent, Fréal et Cie, 1952. en plantes pour la Métropole, et celle jardinier, urbaniste, dessinateur, générale de Henri Prost”, L’Architecte, en témoigne : “Il n’y avait pas de législation, pas de Postes, modèle en tout point, clair, propre, pratique, esthétique d’embellissement des villes serviteur du patrimoine, Norma éd., 1926, p. 1 de Prost et Laprade 9 Laprade Albert, Lyautey nouvelles ; celui-ci a été esquissé Cité de l’Architecture et du Patrimoine, plan de nivellement, pas de relevé des terrains et que tout Français peut envier aux Casablancais ; urbaniste, op. cit., p. 8. par Forestier en 1914, voir note 12. 2007, p. 263. F Barrage sur l’Oued Beth des constructions existantes. Il eût fallu une armée palais de Justice, formant un magnifique fond de De retour au Maroc pour des missions ponctuelles, de l’usine hydroélectrique d’El de géomètres à Casablanca, à Rabat, à Meknès, à place […], Hôtel de ville de grande allure, Hôtel du de 1923 à 1934, Prost va travailler sur deux projets 10 ibid., p. 16. 15 Prost Henri, “Le développement A Photographie de la Kansera, Maroc, Henri Prost architecte, de l’urbanisme dans le protectorat Nouvelle ville indigène de Casablanca, 1926-1934. Fonds Prost, Aa/Capa/Aa XXe, Fez, partout à la fois.6” commandant de la subdivision, cercle militaire, de barrages “usines” hydroélectriques pour la val- 11 ibid., p. 16. du Maroc, de 1914 à 1923”, in Royer Jean vers 1917. Fonds Prost, Aa/Capa/Aa XXe, 343 AA 20/1. Avant de dessiner les villes nouvelles il faut théâtre, Hôtel du chef de la région, etc. ; tout cela lée de Sidi Said Machou sur l’Oum-er-Rebbia, (dir.), L’Urbanisme aux colonies et 343 AA 40/5. 12 Forestier Jean-Claude Nicolas, dans les pays tropicaux. Communications donc faire le repérage des sites, en relever la topo- concourant à donner à Casablanca une allure gran- 1 Royer Jean (dir.), L’œuvre de Grandes villes et systèmes de parcs, et rapports du Congrès international B Vue aérienne de la 11 graphie et les éléments remarquables, les équipes diose de capitale .” Henri Prost, architecture et urbanisme, Hachette, Paris, 1908, réédition de l’urbanisme aux colonies et dans Nouvelle ville indigène de Casablanca, e Paris, Académie d’architecture, 1960. présentée par Leclerc Bénédicte et les pays de latitude intertropicale, vers 1917. Fonds Prost, Aa/Capa/Aa XX , s’y employant : “Qu’il s’agisse de chemin de fer, de Un peu plus à l’est du nouveau centre de la ville S. Tarrago i Cid Salvador, IFA, Paris, La Cha­rité-sur-Loire, Delayance, 1932, 343 AA 40/5. préparer la pénétration de la voie normale, qu’il nouvelle, sur le tracé de la route de Marrakech et à 2 Laprade Albert, Lyautey Noma éd., 1997. p. 70. s’agisse, par des reconnaissances d’avions, de re- côté du palais du Sultan, se trouve le quartier dit urbaniste. Souvenirs d’un témoin, C Plan du parc Lyautey Paris, Horizons de France, 1934, p. 9 13 Hodebert Laurent, “Les influ- 16 Laprade Albert, Lyautey à Casablanca. Culot Maurice, Lambrichs pérer les forêts, les gisements de phosphates, les des “Habous”. Laprade travaille à partir de 1916 ences théoriques et pratiques du urbaniste, op.cit., p. 18. Anne et Delaunay Dominique, Albert ressources hydrauliques de la montagne, partout sur les grands tracés et les typologies de logements 3 Laprade Albert, Lyautey Système de parcs de Jean-Claude Nicolas Laprade. Architecte, jardinier, les officiers avaient le primordial souci de l’éco- qui doivent résorber le bidonville qui s’est accolé urbaniste. Souvenirs d’un témoin,Paris, Forestier sur le travail d’Henri Prost 17 Propos du Maréchal rapportés urbaniste, dessinateur, serviteur du Horizons de France, 1934 en France. Expériences croisées 1913- par Albert Laprade, in Laprade Albert, patrimoine, Norma éd., Cité de l’Archi- nomique.7”, tout en respectant les villes existantes. à la médina historique près du port. Inspiré par 1934”, LATCH, Cahiers thématiques n° 13 Lyautey urbaniste, op. cit. p. 21. tecture et du Patrimoine, 2007, p. 144 Et là ce ne sont pas les mots de Laprade, mais ses l’architecture locale qu’il a abondamment relevée 4 ibid., p. 14. “Paysage versus Architecture”, février 2014, pp. 85-95. 18 Voir Racine Michel, notice D Plan d’aménagement dessins qui en témoignent, saisissant “le charme par le dessin au début de son séjour, Laprade 5 ibid., p. 9-10 “Albert Laprade”, in Créateurs de Rabat comportant les points de vue des villes d’art du Maroc” et la beauté des archi- cherche ici à la fois la variété des plans et la sim- de jardins et de paysage en France remarquables à sauvegarder, signé Henri e e 6 ibid., p. 14. du début du XIX siècle au XXI siècle, Prost, vers 1916. Fonds Prost, tectures locales dans ses très nombreux croquis, plicité d’une architecture qu’il veut ordinaire et Arles, Acte sud, ENSP, 2002, pp. Aa/Capa/Aa XXe, 343 AA 45/1 relevés et aquarelles, annonçant ainsi ses futurs pleine de “charme”, tout en étant équipée de sani- 7 ibid., pp. 7-8. 186-192. 6 7 par Albert Laprade Albert Laprade dirige à partir de 1949 une collection intitulée “Documents d’architecture française habitations (1950) contemporaine”. À destination du grand public, cette collection présente des réalisations architecturales contemporaines par des courts textes descriptifs, collectives des photographies et des plans. Les thématiques soulignent la diversité des enjeux auxquels sont confrontés les architectes à la sortie de la seconde guerre mondiale : “Habitation”, “Habitations collectives”, “Bâtiments industriels et commerciaux”, “Habitations individuelles”, “Intérieurs”… Le texte d’Albert Laprade présenté ici est la préface du volume Habitations collectives, publiée en 1950.

moyenne ou la classe ouvrière, il est des gammes Un problème est assez particulier en France, problème infiniment plus difficile, que de se dé- de ‘standing’ extraordinairement variées. celui du chauffage. La France ne dispose que de fendre contre le froid. Le désir de hausser la qualité de l’habitat de- charbon peu abondant et cher, d’électricité égale- Ainsi la Maison des Hommes pose des pro- vait conduire à un confort généralisé avec W.C. ment chère et toujours distribuée avec parcimonie blèmes multiples et il serait essentiel au départ de individuel, évier, lavabos avec eau courante froide pour le chauffage domestique. En sorte que pour connaître à fond les habitudes des usagers. La vie et chaude, bac à laver, douche (ou baignoire), vide- avoir un foyer unique, beaucoup de familles de d’un jeune intellectuel, d’un jeune architecte par ordures, voire avec ascenseur, chauffage central ou condition modeste sont obligées de vivre en saison exemple, ayant une femme élégante, pas d’enfants, chauffage urbain, etc… Malheureusement on se froide, c’est-à-dire pendant près de huit mois, dans et beaucoup de relations, n’a aucune espèce de rap- heurte vite à des prix tels que la location de ces leur cuisine. port avec celle d’un ménage d’ouvriers au budget logements, avec taux d’intérêt même très réduit, Nous voyons même des personnalités émi- étriqué, avec beaucoup d’enfants et vivant une vie effraye ‘la masse’ habituée à des loyers d’un prix nentes organiser leur cuisine avec un soin méticu- strictement familiale. Un intérieur d’une femme dérisoire. leux pour y vivre, mais pour une autre raison : la coquette, ne travaillant pas, qui est ‘servie’, et pour On a pu même dire, en plaisantant, que tel disparition des domestiques qui a transformé la laquelle l’argent ne compte pas, ne doit ressembler grand ‘collectif’, jugé parfait, ne sera accessible maîtresse de maison en ‘bonne à tout faire’. De en rien à l’intérieur d’une femme qui travaille du- qu’à des trafiquants ou à des ‘stars’ richement en- toute façon la ‘salle d’eau’ pour bouillir et laver le rement. Faire la maison qu’on aimerait soi-même tretenues. En effet, le confort très moderne et très linge, et un séchoir, soit dans un grenier, soit en habiter, peut conduire à de terribles erreurs si les poussé coûte extrêmement cher. Au surplus, la plu- extérieur et rendu invisible par un caillebotis de futurs habitants sont dans la nécessité de vivre une part des aspirants-locataires n’en demandent pas béton sont indispensables. Cet attrait vers la cui- vie totalement différente de la vôtre. On pourrait Récemment, le Maître Le Corbusier, devant un aé- tant. Aussi les petits immeubles à 2 ou 3 étages sine est surtout sensible dans le Nord, où l’on souffre même dire que, faute d’avoir vécu la vie provin- ropage d’architectes les plus éminents, expri- au-dessus du rez-de-chaussée, conçus avec un en hiver non seulement du froid mais de l’humidité, ciale, on court le risque d’être totalement à côté de mait le désir de voir s’instituer des enquêtes confort minimum et pouvant être loués aux prix les et les populations septentrionales, pourtant rudes, la question en donnant des directives hors du réel. sérieuses pour connaître ‘les besoins profonds’ plus bas, sont très demandés et devraient donner s’avèrent particulièrement frileuses. Si l’on admet Des normes trop strictes et trop uniformes de l’Homme quant à sa Maison. Cette idée, en ap- lieu aux plus importantes réalisations. les chambres glacées pour la nuit, par contre la peuvent amener à de graves malentendus. Chaque parence paradoxale, si l’on songe à la multitude On a usé de beaucoup d’ingéniosité pour es- cuisine, où bout sans arrêt l’eau chaude pour le province a ses besoins et ses habitudes résultant du de maisons reconstruites depuis cinq ans, est sayer de faire baisser le prix des bâtiments par une café, est toujours la pièce essentielle. La maisonnée climat, de la nature du travail, des activités éco- bien au contraire une idée lumineuse. standardisation intensive, on a beaucoup poussé la y entoure le feu comme il y a des milliers d’années. nomiques. En effet, avant de ‘construire la Maison des préfabrication en tout, mais, jusqu’à présent, il ne Dès le saut du lit, tout le monde accourt vers la Et de plus, il faudrait bien étudier le budget Hommes’, si l’on s’enquiérait de leurs besoins ! semble pas que le mouton à cinq pattes ait été dé- seule pièce chaude qui sera le refuge de la famille des Hommes, chiffrer les charges des ‘collectifs’, En France, il suffit d’être né dans la pauvreté, couvert. Ce qui est ‘bien’, coûte toujours assez cher. jusqu’au coucher. La vie serait déjà très changée si, adapter les habitations aux habitants et non les dans l’une quelconque de nos provinces, pour don- Ce qui est économique à l’excès, donne souvent des sur le fourneau, étaient branchés deux radiateurs habitants aux habitations. En un mot, le bon sens ner aussitôt sans crainte d’erreur, la conclusion déboires. La solution ‘la meilleure marché’ s’avère susceptibles de chauffer suffisamment la pièce doit reprendre le dessus. d’une pareille enquête. parfois à la longue ‘la plus chère’, parce que fra- commune et la salle d’eau, mais ce fourneau avec Cela étant, on pourrait dès maintenant formu- De toute ancienneté, les Français ont rêvé de gile, parce que réclamant de coûteux frais d’entre- radiateurs n’est jamais compris dans l’équipement ler bien d’autres pronostics pour demain. Il est cer- la maison individuelle bien solide avec un jar- tien, parce que tombant en ruine au bout de dix ans. de l’immeuble. Le chauffage central demeure le tain que la France sera vite essoufflée financière- din clos de murs, où chacun vit rigoureusement Il faut bien se mettre dans la tête qu’il en est des rêve de tous, mais si on interroge les ‘travailleurs’, ment si elle veut continuer à faire des maisons ‘chez soi’, à sa guise, hors de toute surveillance maisons comme des souliers. Il y en a à tous les ceux-ci vous indiquent qu’il leur est impossible de optima. Une infime aristocratie de bénéficiaires des tiers, cultivant fleurs, légumes et fruits, éle- prix et, comme disent les bonnes gens, on en a tou- réserver les sommes voulues pour avoir ce plaisir. sera dans la joie, alors qu’une immense majorité de vant poules et lapins, tandis que les enfants jours pour son argent. Dans un pays étranger, nous D’autres chapitres de budget leur semblent plus postulants risque d’attendre longtemps son tour. Le prennent leurs ébats dans l’enclos. Des ascen- voyions récemment des maisons ‘très bon marché’. indispensables, et notamment une bonne nourriture. mieux serait de loger non pas magnifiquement x dances paysannes millénaires ont ainsi façonné Il fallait voir la qualité des bois ! Occupées depuis Cette nécessité d’avoir chaud, mais au moindre milliers de ménages, mais de loger simplement les instincts profonds. De plus, les Français sont, 15 jours par des ouvriers pauvres, ces maisons prix, centre l’intérêt de la famille sur la cuisine au mais décemment x milliers de ménages multipliés par essence, économes, prudents. Ils adorent s’avéraient des taudis garantis pour bientôt. moins de septembre à juin, c’est-à-dire pendant 9 par deux, en commençant par les ménages sans toit avoir des provisions d’avance, du charbon, du Après la guerre précédente, nous avons vu les mois sur 12. Aucune ménagère n’admettra d’avoir et les locataires actuels des taudis. Il est vraisem- bois, des pommes de terre, des haricots, un jam- architectes s’enthousiasmer pour tel ou tel type de deux feux allumés à la fois, un dans l’alcôve-cui- blable qu’une évolution se fera par la suite dans ce bon, du vin, sans compter des bouteilles, des bou- construction, pour tel ou tel matériau. Rapidement, sine, et un dans la grande salle commune. sens.” chons, des ficelles, des emballages, des vieux la désillusion est venue, donnant de cruels démen- Pour l’instant, cuisine de moyenne grandeur, chiffons ‘qui peuvent servir’. D’où ce goût parti- tis à des publicités pré-triomphantes. Dès mainte- ou alcôve-cuisine donnant sur une grande salle culier pour les greniers, les caves, les celliers, nant, d’autres expériences, à peine vieilles de 2 ou commune, se partagent les suffrages des archi- les débarras, les placards. Ajoutons à ces don- 3 ans, naguère si prônées, laissent entrevoir des tectes. Mais les femmes, principales usagères, au- nées l’amour-propre extraordinaire de la ména- échecs. ront le dernier mot et dicteront bientôt leurs volon- gère française. Elle trouve qu’il vaut mieux Aux périodes d’après guerre correspondent tés. ‘faire envie que pitié’. Elle ne veut pas qu’on pé- cycliquement des crises d’orgueil extraordinaires. La disparition généralisée des domestiques nètre dans sa vie intime, qu’on voie son linge très Celle actuelle bat les records de la précédente. laissant à la mère de famille une besogne écra- raccommodé, ses assiettes parfois ébrêchées, sa L’intelligence (enfin) vient d’apparaître sur la terre sante, aura même sur les plans futurs de singulières nourriture parfois modeste, les lits pas faits. Et et des prodiges nous sont promis. Et puis un beau incidences. Jadis les cuisines étaient du côté de la par contre elle veut que l’étranger, survenant à jour, le vieux ‘bon sens’, tourné en dérision, se ven- vilaine vue, et au Nord. Avec la vulgarisation des l’improviste chez elle, trouve un intérieur im- gera et tôt ou tard par des biais, réapparaîtra frigidaires nous sommes persuadé que plus tard, on peccable. comme une nouveauté étonnante, une vérité pas tel- mettra dans des bâtiments ayant façades au Sud et Les citadins de vieille souche, les intellectuels lement absurde. au Nord, les cuisines-salles à manger, avec la et les gens distingués, peuvent sourire de cette Dans leur ensemble, les nouvelles construc- chambre des enfants, en place d’honneur, c’est-à- conclusion à de multiples enquêtes du Nord au Sud, tions collectives françaises sont avant tout carac- dire à Midi, tandis que les ex-pièces nobles (le de l’Est à l’Ouest, chez des ci-devant bourgeois, térisées par beaucoup de sérieux, par la recherche salon, la salle à manger) et la chambre principale chez des ouvriers, ou même chez de très économi- du solide, du pratique. Elles auront l’avantage de des parents, passeront au Nord. Situation pas tel- quement faibles : en Province les choses sont comme durer longtemps, mais par suite d’une certaine in- lement détestable, si on a au surplus l’argent voulu cela. Ajoutons que de telles données sont valables discipline surtout chez les enfants, terriblement pour payer le combustible. Se défendre contre la en maints pays. ‘diables’, on ne peut espérer ‘les entourages’ si poé- chaleur coûte d’ailleurs plus cher et représente un Mais c’est dire la Révolution que représente tiques des maisons collectives suisses, hollan- A Couverture de l’ouvrage. dans les habitudes françaises la construction mas- daises, suédoises, où de longue date une clientèle Bourget Pierre et Laprade Albert sive d’immeubles collectifs. Les besoins de loge- payant des loyers élevés semble attachée à la (dir. collection), Habitations collec- tives, Paris, éd. Jacques Vautrain, ments sont tellement immenses, pressants, la for- beauté des pelouses, des arbres et des fleurs. coll. “Documents d’architecture tune du pays après deux longues guerres s’est Les plans des maisons françaises ne diffèrent française contemporaine”, 1950, 96 p. tellement amenuisée, que les Pouvoirs Publics ont pas sensiblement des plans des maisons étrangères. été dans la nécessité de développer considérable- Ici et là même désir d’éviter la place perdue, bien A ment la construction d’habitations collectives, so- que dans une maison on puisse dire que les occu- lution qui s’impose en certaines villes, du fait de la pants savent à merveille tirer parti du moindre rareté des terrains, du prix élevé des nouvelles voi- centimètre carré. Quant aux façades, elles sont ries. variées à l’infini, tant le pays regorge de beaux L’effort a particulièrement porté sur des mai- matériaux et les plus divers : pierre de taille, moel- sons pour classes moyennes, ou classes ouvrières lons, briques, enduits, éléments de béton préfabri- très évoluées. Nous disons classes avec un s, car à qués et bouchardés, métal, etc… l’intérieur d’une classe typique comme la classe 8 9 par Arnaud Dutheil Arnaud Dutheil est originaire du Sud-Ouest. Il fait des études d’architecture et d’aménagement le lieu et l’architecture. directeur du territoire à Nantes. Il dirige le CAUE de la Sarthe puis occupe les mêmes fonctions en Haute-Savoie du CAUE de Haute-Savoie depuis 2000. Il anime plusieurs actions en faveur de promenade en compagnie la reconnaissance de l’architecture du XXe siècle. de John Ruskin

Lorsque l’on travaille dans un Conseil d’Archi- nalité culturelle et psychologique, personnelle et le lieu crée diversité par rapport à l’existant mais de la re- tecture d’Urbanisme et de l’Environnement, la collective. l’architecture cherche de l’essence du lieu. Le projet puise sa question du lieu est centrale et toutes les mis- force dans un fondement culturel ancré dans un lieu sions tentent d’apporter une réponse. Ainsi l’exa- l’architecture crée Albert Laprade est l’archétype de l’architecte du (terroir) et dans l’identique qui n’est pas la répé- men des projets, avant ou pendant l’instruction le lieu XXe. Formé aux Beaux-Arts il se confronte aux nou- tition, ni le pastiche. L’identité est le point de dé- des permis de construire, suscite de nombreux veaux programmes de la modernité, participe à la part qui révèle ce que nous sommes.12” débats passionnés qui portent sur la façon dont Concevoir un projet dans un site amène l’architecte valorisation d’architectures régionales par ses le futur bâtiment dialogue avec son site d’im- à confronter sa perception du lieu futur à celles de albums de croquis et vient se ressourcer réguliè- l’architecture est une plantation. son client, des administratifs qui instruisent son rement dans une ferme d’alpage aux Houches. Il émotion De même, la faisabilité d’un futur équipe- permis de construire, des élus qui autorisent la distingue très clairement le régional du vernacu- ment public passe toujours par l’étude du site à construction, des usagers et des riverains. Le débat laire et à l’occasion de l’Exposition universelle de Chacun a pu vivre ce moment où, découvrant un différentes échelles qui font émerger des pres- est donc normal et nous comprenons bien que si la 1937 souligne à quel point la maison présentée par bâtiment, la perception d’une harmonie particu- criptions afin de garantir une certaine qualité recherche d’un compromis satisfaisant tous les Henry Jacques Le Même8 est savoyarde. Celle-ci est lière domine tout autre sentiment. Aucune explica- sociale, environnementale, paysagère. Enfin acteurs permet d’éviter les atteintes importantes à parfaitement moderne par son programme et les tion ni aucun raisonnement rationnel ne sont né- l’accompagnement de la décision des élus et notre cadre de vie, il est souvent une renonciation techniques mises en œuvre, elle est “hors-sol” cessaires dans cette interaction entre l’édifice et d’autres acteurs prévoit souvent des visites de et porte le risque d’une banalisation de nos pay- puisque présentée à Paris, mais parfaitement iden- la personne qui le parcourt. Cette émotion, c’est réalisations similaires qui, examinant ce qui sages par l’absence de positionnement. tifiable comme appartenant au territoire alpin. celle qui submerge John Ruskin lorsqu’il désigne est transposable, butte sur la relation spécifique Les architectes ont de tout temps tenté de ra- L’architecture régionale relève de qualités for- le campanile de Giotto à Florence comme l’œuvre liant la construction à son environnement. Le tionaliser ce débat pour éviter le relativisme d’un melles qui satisfont une attente culturelle sans être architecturale la plus aboutie. Il énumère les ca- lieu est donc une question importante qui mobi- jugement qui permet de déterminer si un bâtiment issue des techniques, matériaux et usages vernacu- ractéristiques qui justifient rationnellement ce lise de nombreuses personnes et d’ailleurs, dans s’accorde ou non à un lieu. Ainsi la géométrie, in- laires. choix et le lecteur est tenté de le suivre dans sa son article 1er, la loi sur l’Architecture rap- troduite comme modèle par les grecs puis les ro- La mise en place de la protection des monu- démonstration, quand au détour d’une phrase, il pelle que l’insertion harmonieuse des projets mains permet de dépasser la perception subjective ments historiques au XIXe puis l’intérêt suscité par révèle que, depuis son enfance, la fenêtre de sa architecturaux est d’intérêt public1. en introduisant un développement théorique de la l’architecture rurale au XXe montrent à quel point chambre ouvre sur cet édifice. Son jugement fait pensée du lieu. De même, la question du style tente nos sociétés sont sensibles aux architectures an- mémoire de son histoire personnelle, l’architec- le lieu : une question d’insertion, d’agglomérer la logique de composition architec- crées dans un temps et dans un lieu. Cette culture ture de la Cathédrale et ses abords étant l’univers une réponse juridique ? turale avec la “prise de site”. Elle est perpétuée par patrimoniale fait partie des filtres d’appréciation familier dans lequel il a grandi et à partir duquel l’enseignement de l’École des beaux-arts et d’une des projets d’aujourd’hui, conçus pour des fonctions il a découvert le monde. Émotion n’est pas raison, L’apparition d’un bâtiment dans un paysage, dans certaine manière le mouvement moderne qui, lui nouvelles et répondant à des critères économiques l’architecture étant faite par des hommes au ser- une rue ou un quartier bouleverse un équilibre qui aussi, impose ses règles et relègue la question du et techniques actuels. Plus récemment le patri- vice d’autres hommes. “L’architecture c’est pour ne manque pas d’interroger les repères des habi- site à une contingence locale. Cette rupture entre moine s’est élargi au champ environnemental ras- émouvoir. L’émotion architecturale, c’est quand tants. Le nombre de recours contre des permis de architecture-pensée et architecture-perçue semble semblant la biodiversité, la consommation énergé- l’œuvre sonne en vous au diapason d’un univers construire et le foisonnement des associations de définitive au XXe siècle avec l’opposition carica- tique, la santé… Tous ces thèmes convergent vers un dont nous subissons, reconnaissons et admirons les défense de l’environnement attestent de la sensibi- turale entre moderniste et régionaliste puis au- retour du régional compris comme la possibilité lois.13” affirme Le Corbusier après John Ruskin. lité des populations à la transformation de leurs jourd’hui entre mondialiste et localiste. Il y aurait d’une parfaite adéquation entre l’homme et les res- lieux de vie. La production importante du siècle ainsi aux extrêmes, une idée qui serait que l’archi- sources disponibles au plus proche de ses besoins dernier a alimenté un débat permanent autour de tecture ferait le lieu et une autre que le lieu impo- et de sa culture. l’insertion ou de l’intégration des projets, la légis- serait une architecture. Chaque projet est l’occa- Dans cette recherche d’accord entre l’architec- lation prévoyant même le refus des autorisations sion pour l’architecte d’établir un positionnement ture et la société, des démarches se multiplient de construire par l’article R 111-27 (anciennement entre ces deux bornes. autour de l’idée d’une “architecture bienveillante R 111-21) : “Le projet peut être refusé ou n’être ac- Lorsque Marcel Breuer5 (1902-1981) conçoit la pour l’homme et son écosystème” selon les mots de cepté que sous réserve de l’observation de pres- station de sports d’hiver de Flaine en Haute-Savoie Philippe Madec9. Des territoires se distinguent par E criptions spéciales si les constructions, par leur (1960-1976), son architecture révèle à toutes les des approches qui privilégient les matériaux lo- B F situation, leur architecture, leurs dimensions ou échelles la radicalité du site, créant un lieu qui caux, les savoirs-faire, les performances tech- A C l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édi- n’existait pas auparavant. La minéralité du béton niques, les traditions. Le Vorarlberg (Autriche) en D fier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte étant de même nature que la montagne alentour, premier lieu et son architecte phare Hermann Kauf- au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, c’est uniquement la forme architecturale qui crée mann qui, revendiquant un fort ancrage local, af- aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi une forte tension, accentuée en quelques points, firme sur son site internet : “Nous voulons trouver qu’à la conservation des perspectives monumen- comme le surplomb de l’hôtel “Le Flaine” au-dessus des solutions d’avenir pour la construction en bois tales.” d’une falaise. À l’opposé, Luc Schuiten6, en imagi- et les fournir au grand public. Nous sommes par- L’idée d’insertion, au sens où la construction nant la cité végétale, milite pour la disparition de ticulièrement intéressés par la performance du n’aurait pas d’impact, est évidemment un leurre et l’architecture sous un couvert végétal : la nature processus de construction et plus particulièrement le regard porté sur le rapport qu’établit la rétablissant en quelque sorte un ordre que l’homme par les systèmes innovants de construction en bois construction avec son environnement est profondé- aurait perturbé, génère un lieu avec ses propres avec le plus haut degré de préfabrication pos- ment culturel et expérimental. Dans son livre “Les règles. À Flaine, l’architecte gouverne la puissance sible.10” Sur cette approche d’identité contempo- sept lampes de l’architecture” John Ruskin2, ex- et le sublime alors qu’il récolte la beauté des raine, Les Grisons (Suisse), sont particulièrement plore largement cette question soulignant “(…) formes naturelles dans la cité végétale. Gouverner, reconnus par la production de l’architecte Peter comment chaque forme d’architecture noble incar- récolter, “telles sont les deux grandes lampes de Zumthor11 et plus récemment par Gion Caminada. 4 Édouard François, né en 1958, 9 Philippe Madec, né en 1954 A Hôtel “Le Flaine”, architecte à Paris, travaille notamment en Bretagne vit à Bruxelles. Il est Marcel Breuer architecte, Flaine nait en quelque sorte le régime politique, la vie, l’architecture” écrit John Ruskin. Celui-ci, lors d’une rencontre, partage les pensées à promouvoir une architecture-verte. architecte et urbaniste installé à (Haute-Savoie) © CAUE 74 / Romain l’histoire, et la foi des nations.3” Le paysage nous Il n’existe plus de territoire sans présence qui conduisent sa pratique : “L’image architectu- La vidéo de sa conférence donnée à Paris et à Rennes. Il est promoteur de Blanchi Annecy le 10 avril 2014 est disponible l’éco-responsabilité. Propos extraits ressemble se constituant par l’accumulation des humaine construite, mais certains bâtiments rale vient de la raison et pas de la recherche d’un sur www.caue74.fr de la conférence donnée à Annecy B Hôtel “Fouquet’s interventions successives. Les règlements des do- donnent un sens particulier au paysage, indiquant quelconque effet. La différence ne naît pas de la le 5 avril 2016. Barrière”, Édouard François, Paris cuments d’urbanisme fixent un cadre limitatif et comment l’homme habite le lieu. L’échelle d’inter- 5 Marcel Breuer, né en Hongrie en © Maison Édouard François 1 La loi n° 77-2 du 3 janvier 1902, est mort en 1981 aux États-Unis. 10 Hermann Kaufmann, né en 1955 peinent à donner les paramètres d’un rapport qui vention est parfois importante, l’architecture et le 1977 sur l’architecture est à l’origine Architecte et designer, il est l’un en Autriche, est un architecte C Coupe paysagère avale est appréciatif. Dépasser ce débat est complexe : il lieu ne faisant qu’un. Quand Albert Laprade inter- de la création des CAUE. Son article des pères du modernisme. Il fut élève du Voralberg qui place au centre de du barrage-usine de Génissiat 1er affirme: “L’architecture est une au Bauhaus de Dessau, en Allemagne. sa pratique l’habitat écologique (projet), Albert Laprade architecte, situe l’architecture comme devant être “asservie” vient à Génissiat pour construire un barrage, il est expression de la culture. La création et la mise en œuvre du bois. Injoux-Génissiat (Ain) Archives CNR au paysage, le patrimoine naturel ou bâti étant conscient de l’esprit du temps qui exalte, magnifie architecturale, la qualité des 6 Luc Schuiten, est un architecte www.hermann-kaufmann.at © ADAGP, Paris 2016 supposé porter des valeurs que les nouvelles le progrès (et l’énergie) et célèbre la nature en constructions, leur insertion harmo- belge, né le 8 janvier 1944 à Bruxelles. nieuse dans le milieu environnant, Ses travaux sur la cité-végétale sont 11 Né en 1943, Peter Zumthor D Pavillon de la Savoie, constructions semblent anéantir. L’arrivée d’un bâ- s’adressant au Rhône comme à une personne. Au- le respect des paysages naturels particulièrement diffusés. La vidéo de est un architecte suisse qui exerce Henry Jacques Le Même architecte, timent dans un site ne se fait pas par simple dupli- jourd’hui encore, la puissance, au sens de John Rus- ou urbains ainsi que du patrimoine sont la conférence qu’il a donnée à Annecy principalement dans les Grisons. Exposition internationale des arts et d’intérêt public.” le 14 avril 2015 est disponible sur La qualité de ses interventions lui techniques de la vie morderne (1937), cation de son environnement ou par un encadre- kin, est perceptible et impose une forme de contem- www.caue74.fr vaut une renommée internationale. Paris Photographie extraite de ment réglementaire et le travail d’Edouard plation respectueuse. “Examinons donc cette 2 John Ruskin (1819-1900) est l’ouvrage Favier Jean, Rapport général 4 un écrivain, poète, peintre et critique 7 Ruskin John, op. cit., p. 115 12 Gion Caminada, né en 1957 dans de l’Exposition internationale, François pour l’hôtel Fouquet’s Barrière (2006), à puissance et cette majesté que la nature elle-même d’art britanique. Il est considéré les Grisons, s’y est installé archi- Paris, éd. a. sinjon, 1937, pl. 15 l’angle de la rue Quentin Bauchard et de la rue daigne accepter des œuvres humaines, et voyons comme un des précurseurs de la pensée 8 Henry Jacques Le Même tecte depuis 1998. Il est particulière- (cliché Baranger) Capa Vernet à Paris, l’illustre parfaitement. Il reprend quel est le sublime qui se dégage des masses éle- moderne en art, aux origines du (1897-1997) est un architecte installé ment reconnu pour ses interventions mouvement Arts and Crafts. à Megève. Il présente notamment le sur l’architecture vernaculaire. Propos E Étables et abattoir 7 la façade haussmannienne que nous attendions plus vées par toute l’énergie endurante de l’homme… ” pavillon de la Savoie au Centre régional recueillis lors d’un voyage d’étude à Vrin, Gion. A. Caminada architecte, ou moins consciemment dans ce quartier (qui en est 3 Ruskin John, Les Sept lampes de l’Exposition internationale des arts dans les Grisons les 19, 20 et 21 Les Grisons (Suisse) © CAUE 74 de l’architecture, Paris, M. Houdiard, et techniques modernes de Paris, en septembre 2013. pourtant dépourvu !) et la plie à la fonctionnalité 2011 (1re éd. 1849), p. 215 1937. F Campanile de Giotto, d’un hôtel actuel. Le résultat nous renvoie à nos 13 Le Corbusier, Vers une archi- église Santa Maria del Fiore, Florence contradictions et à ce qui constitue notre person- tecture, Paris, G. Crès et Cie, 1923 (Italie) 10 11 par Patrick Thépot Patrick Thépot, est architecte d.p.l.g. – c.e.a.a. Il est chercheur au laboratoire Les Métiers le relevé d’architecture, de l’Histoire de l’Architecture, édifices-villes- territoires, où il étudie et interroge, depuis de nombreuses années, le rôle du dessin et du relevé un projet en questions dans l’histoire de la conception architecturale. Il enseigne à l’ENSA Grenoble depuis 1983 et exerce sous le regard de comme architecte praticien. Villard de Honnecourt

Relever est un acte simple. La succession des opé- tarque qui mêlent pyramide, soleil et ombre dans nos notes jusqu’au résultat final10”. Le problème du de nous affranchir, ils supposent une perpendicu- rations qui s’y déploient nous entraîne toutefois l’observation critique d’une histoire d’angles. Il choix de l’échelle se pose et Villard de Honnecourt laire préexistante dont Villard de Honnecourt dans un monde où abstrait et concret se confondent. s’agit de mesurer légitimement la hauteur d’un édi- nous offre le tracé constructif d’une voussure à garde le secret. Toute l’attention semble portée sur Ce monde où la géométrie, inventée dit-on pour fice inaccessible dont l’ombre portée devient le l’échelle grandeur nature [E. Une corde partant le pivot légèrement décalé par rapport à l’horizon- mesurer le sol afin qu’il soit chaque année, après passage à l’accessible par la projection du sommet d’un point fixe centré entre les deux arcs devient le tale organisant la base des deux piliers. Comme chaque crue du Nil, de nouveau transformé en au sol. En un schéma réduit qui fait appel à la lien qui vérifie les angles de la trompe de la vous- pour lui octroyer une indépendance dans la ma- terre nourricière, permet aussi la construction science mathématique, le modèle donne naissance sure pendante. Dans la pratique, pour tendre la nœuvre, ce cylindrique devient l’appui indispen- en hauteur des plus grands édifices comme nous au module. L’échelle change mais l’angle est corde, l’opération devait s’effectuer au sol, donc sur sable qui articule la canne dans l’espace devenant le montre l’architecte Villard de Honnecourt conservé. Dans cette opération, il est important de un plan horizontal. Villard de Honnecourt, qui avait l’objet de l’ingénieux transfert. La colonne primi- dans ses carnets du XIIIe siècle. Une équerre de noter que les triangles sont d’abord rectangles forcément une compréhension exemplaire de la tive située entre les deux arcs jumelés pourrait visée, un fil à plomb, une canne de mesure sont avant d’être semblables. Pythagore avant Thalès. taille des pierres, et donc du tracé au sol en cor- s’apparenter à celle moins rustique et d’un ordre les outils du relevé pour le chantier. Ils créent Leurs rapports nous transportent de l’intangible au respondance avec la verticale à construire, nous codifié par Philibert de l’Orme12. Elle nous rap- aussi l’espace mental du projet d’architecture. tangible. L’opposition initiale réside entre ce que ramène l’horizontale à la verticale. Entre grave et pelle l’origine de l’architecture qui avant d’être de Pour illustrer notre propos, par le biais d’un re- l’on peut voir et ce que l’on peut toucher. “La vue est léger, par rabattement, se dessinent, en ce qui sera pierre était de bois ainsi que l’histoire de l’archi- dessin, le releveur agenouillé et la tour qu’il va un tact sans contact4”, nous voyons le point culmi- nommé des siècles plus tard géométrie descriptive, tecture de Choisy le décrit encore au XIXe siècle13. mesurer sont extraits d’un des folios du carnet de nant inaccessible et pourtant nous ne pouvons le toutes les séparations linéaires qui procurent l’as- Le choix de ce pilier de substitution ne va pas si l’architecte médiéval [C. Nous pouvons ainsi toucher. Dans cet échange d’interceptions, par ré- semblage des éléments constructifs. La géométrie loin, sa représentation mal dégrossie n’est là que nous poser cette question : de quelle façon un re- duction, la mesure résulte de la hauteur recherchée. revient au premier plan pour répondre à tout tracé pour montrer qu’il est condamné à disparaître levé est-il mis en œuvre ? Nous entrons alors de Le concept des triangles semblables emprunté au indispensable à la réalisation de l’œuvre. après avoir rempli son rôle. Sa participation éphé- plain-pied dans l’espace de la fabrication du théorème de Thalès permet de nous situer dans mère permet le départ de la corde qui ne demande relevé en laissant volontairement aux savants l’espace en un voyage qui conduit à la mesure. de la pensée assemblée qu’à se tendre pour rayonner depuis un clou plutôt spécialistes de l’architecture du Moyen-âge la Ainsi, la philosophie du fondateur de l’école de aux actions pratiques affirmé. partie supérieure du folio1. Cette interrogation Milet anime le petit releveur agenouillé de Villard Toutes ces opérations inscrites dans le bas du nous projette d’abord face à l’édifice à relever de Honnecourt pour nous rappeler toute l’impor- En regardant plus précisément cette partie infé- folio en provenance des actions mesurées du monde alors que rien n’existe encore sinon l’édifice tance d’une prise de mesure et la tour crénelée en rieure du folio, tout ce qui est dessiné à plat, c’est- extérieur sont inséparables de la connaissance lui-même, situé dans son contexte en une spatia- est le prétexte. à-dire sans relief ou sans épaisseur, nous plonge pour mener à bien un relevé d’architecture. Et si les lité qui nous englobe. Tout reste à faire avant dans le monde intérieur de la pensée qui renferme trois temps dissociés de ces processus respectent d’obtenir cette finalité dessinée qui deviendra “c’est ainsi que l’on monte deux piliers l’abstraction [B. Le triangle du releveur, les deux un ordre hiérarchisé pour obtenir une finalité des- le début d’un accomplissement à interpréter. Un d’une (même) hauteur piliers dont l’un est en attente d’une arase et la sinée, nous ne pouvons oublier que ces élaborations univers tridimensionnel s’inspirant du réel est sans plomb et sans niveau5” voussure pendante sont des outils de pensée avant deviennent le début d’autre chose afin d’orienter et donc à construire dans une totalité virtuelle par ou d’établir le rapport indispensable à la mesure et de continuer une pensée qui ne demande qu’à s’ou- des allers/retours permanents entre le monde la question du report ses prolongements. Par une opération mentale, ces vrir pour déployer de nouvelles hypothèses et sont sensible et celui de l’intelligible. Cette ap- Le report de la mesure est une transposition qui outils nous font sortir du folio sans nous isoler le propos du projet d’architecture. proche physique/métaphysique convoque les participe aussi d’un voyage cependant dissem- complètement de la réalité afin de parvenir à actes essentiels que sont la mesure, le report et blable du précédent. Le même devient autre tout en connaître les propriétés de ce qui nous entoure. le tracé. étant le report de l’origine. Une mesure identique à Cette recherche par la connaissance entretient un Au premier regard, dans l’alliance subtile la source se trouve transportée pour être répétée. premier apport d’un rapport nouveau. de l’écrit et du dessin de la partie basse du folio, Par ce transfert, Villard de Honnecourt nous en- D’une autre façon, tout ce qui est montré en le petit personnage agenouillé semble être l’ac- traîne dans les techniques de chantier qui seront perspective dite naturalis11 ou en relief, nous pro- A B teur principal [B. L’architecture représentée poursuivies par Brunelleschi à la Renaissance. jette en profondeur dans le monde extérieur des pourrait n’être que décor ou simple mise en scène. Avant qu’il conçoive le célèbre dôme de Santa Ma- actions pratiques. Ce passage du dedans au dehors C D Si nous observons plus attentivement les édifica- ria del Fiore, l’architecte florentin réalise pour est à considérer tel un échange où réside une tran- tions proposées, elles racontent en fait plusieurs Santo Jacopo sopr’Arno une première coupole a saction. Ce pacte nous permet de reconsidérer le E actions spécifiques qui nous confrontent à une creste e vele6 construite sans cintres et sans écha- relevé comme une traduction de l’espace édifié qui trilogie dont l’ordre de lecture nous invite à une faudages partant du sol. Ce procédé sollicitait passe par une représentation dessinée via la me- chronologie des opérations mises en œuvre dans l’usage d’une canne tournant sur elle-même pour sure. Et nous pouvons dissocier l’acte de la prise l’acte du relevé. Par subdivision en blocs sépa- assurer le report des mesures et anticipait, en ré- de mesures des dimensions reportées. Voir, toucher rés, les textes inscrits se décomposent en trois duction, l’ingéniosité de la grande coupole propo- ou entrer en contact avec la réalité physique sont temps et viennent en aide au lecteur pour identi- sée pour la cathédrale toscane. L’ingenium7 et l’in- des expériences de la connaissance. La prise de fier un ordre d’interventions parfaitement dis- ventio8 de l’ami Alberti sont à l’œuvre pour nous mesures nous oblige à nous situer dans l’espace et tinctes. De ces inscriptions en vieux français, faire réfléchir sur tout transfert. les dimensions arpentées donnent les rapports qui nous ne garderons que la traduction. Elles sont à En s’affranchissant du niveau indispensable à existent entre l’édifice et ses parties dont l’ensemble considérer comme des instructions riches d’en- l’équilibre d’une construction par la perpendicu- s’inscrit dans le lieu. seignement indissociables des dessins qui leur laire, Villard de Honnecourt nous permet de sup- Pour ce qui apparaît semblable à du relief, correspondent. C’est ce que nous allons tenter poser que la colonne qui sert de modèle et celle qui nous avons en entrée le petit releveur agenouillé d’examiner. reste à édifier sont déjà toutes deux dressées à la qui trouve son équilibre en croisant les bras. Sa verticale [D. Entre les deux colonnes, un pivot ar- tête se redresse pour mieux pointer le faîte de la 3 Serres Michel, Les origines 9 “Par chu tail om vosure pendant B Détail de la partie “de cette façon on prend la hauteur ticule une canne de mesure pour nous orienter du tour et si nous ne voyons l’œil qui vise le sommet, de la géométrie, Paris, Flammarion, traduit par de cette façon on taille inférieure du folio 20v – planche 40. d’une tour2” ou la question de la prise fini, qui sert de référence, au non fini en attente nous en comprenons la trajectoire grâce à l’hypo- 2004, p. 195 une voussure pendante” in Bechmann Docci Mario, Maestri Diego, Storia del d’une arase. Et nous pouvons évoquer cet acte au- ténuse du triangle qui donne la direction à suivre. Roland, Villard de Honnecourt, op. rilevamento architettonico e urbano, 4 ibid., p. 194 cit., p. 195 Editori Laterza, 1993, p. 55 de mesure tant dans l’espace d’une construction en cours que Et la tour elle-même, d’un appareillage sommaire, Dans l’action de déterminer la valeur de dimen- sur une feuille de papier lorsque le report de la donne à lire un petit clocher en terminaison. Il est 5 “(P)ar chu mont om dous piliers 10 Thépot Patrick, “Relever c’est C Manuscrit, folio 20v done hautece sens plom et sens nivel révéler le site”, in Queysanne Bruno, – planche 40. Bechmann Roland, Villard sions, la prise de mesure coïncide avec un dépla- mesure met en lien les points qui préfigurent l’édi- l’inaccessible qui devient accessible pour relier le est traduit par c’est ainsi que l’on L’architecture inquiétée par l’œuvre de Honnecourt, la pensée technique cement immatériel. L’intervention réclame un aller fice, par plans orthogonaux, en attente d’une exis- ciel et la terre. Et à une échelle plus réduite, le monte deux piliers d’une (même) hauteur d’art, Montpellier, éd. de l’Espérou, du XIIIe et sa communication, Paris, et un retour que nous devons imaginer suivant un tence à lire à plat. sommet et le sol s’ajustent par la mesure. Quant au sans plomb et sans niveau” in Bechmann 2015, p. 129 Picard, 1991, p. 140 Roland, Villard de Honnecourt, trajet triangulé qui emprunte aux sources de la fil à plomb et au niveau, dont il nous est proposé op. cit., p. 148. Il est à noter que 11 Damisch Hubert, L’origine D Le report de la mesure géométrie et aux enseignements de notre jeunesse “de cette façon on taille une voussure le terme colonne n’est pas utilisé de la perspective, Paris, Flammarion, pour l’arase en attente. Thépot 1 Bechmann Roland, Villard mais le terme pilier. Nous conservons 1987, p. 7 Patrick, dessins à l’encre de chine sur conjugués : le théorème de Thalès. D’un point fixe pendante9” ou la question du tracé de Honnecourt, la pensée technique du néanmoins colonne pour ce texte. calque qui nous représente, nous formulons une demande XIIIe et sa communication, Paris, 12 Summerson John, Le langage Picard, 1991, pp. 219-224. L’auteur 6 Argan Giulio Carlo, Bru- de l’architecture classique, Paris, E Le tracé de la voussure à un autre point qui, lui, est éloigné. La distance Le tracé synthétise les mesures relevées et désor- relate avec une infinie précision nelleschi, Paris, Macula, 1981, p.154. L’Equerre, 1981, p. 98 pendante. Thépot Patrick, dessins qui les sépare devient l’intervalle à interpréter en mais reportées en reliant point par point chaque comment le document est passé sous un (Dans son ouvrage cité en référence, à l’encre de chine sur calque une restitution qui est la mesure attendue. De ce partie du corps arpenté. Le chemin suivi révèle pro- éclairage ultra-violet et sous une Roland Bechmann décrit précisément 13 Choisy Auguste, Histoire de lumière à infra-rouge en une confronta- le système de perche sur pivot utilisé l’architecture, tome I, Genève-Paris, va-et-vient naît l’espacement dans l’écart qui nous gressivement l’édifice par des lignes a priori abs- tion avec différentes thèses expli- par Brunelleschi, p. 150) Saltkine Reprints, 1987 (réimpression divise de l’objet mesuré. L’ensemble s’inscrit dans traites. Cette abstraction est nécessaire et devient catives. de l’édition de Paris, 1899), p. 3 7 Alberti Leon Battista, une épure, c’est-à-dire un plan qui se soumet aux la condition indispensable pour projeter les points 2 “(P)ar chu prent om le hautece La peinture, (texte latin, traduction A Le releveur agenouillé lois de la géométrie par le biais de triangles [A. mesurés en langage qui est celui du dessin. “Par une done toor est traduit par de cette française, version italienne, éd. de et la tour crénelée. Thépot Patrick, Au paragraphe “de la pyramide au tétraèdre : ori- volonté condensée, nous transformons le grand façon on prend la hauteur d’une tour” Thomas Golsenne et Bertrand Prévost dessins à l’encre de chine sur calque in Bechmann Roland, ibid., p. 156. revue par Yves Hersan)t, Paris, Seuil, gine optique3”, Michel Serres décrit deux légendes monde en petit monde. Il est mis à plat avec suffi- 2004, p. 340 liées à la géométrie d’un fond commun homothé- samment d’imagination pour prévoir ainsi tout ce 8 ibid., p. 349 tique. Elles sont celles de Diogène Laërce et Plu- qui sera nécessaire lors de la transformation de 12 13 Biographie sélective des œuvres

d’Albert Laprade H

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1880 1900 1920 1940 1960 1890 1910 1930 1950 1970

1883 1925 1931 1935 1938 1942 1949-1958 1951 1957 Naissance à Buzançais Arrivée à l’alpage Musée permanent 1933 “L’Architecture dans “L’Architecture dans Laprade Albert, Cité administrative Bourget Pierre et Laprade Albert, (Indre) de Charousse, Les Houches des colonies, Exposition “L’Architecture dans nos provinces françaises. nos provinces françaises. Croquis. 1er Album, Du Nord de (Nord) Laprade Albert (dir. col- Croquis. 4e Album, Région (Haute-Savoie) coloniale internationale, nos provinces françaises. L’œuvre de Pouradier-Duteil L’œuvre de Ch. Bourgeois à la Loire, Paris, Vincent, avec Georgette Becker lection), Maisons familiales, du Centre, Paris, Vincent, 1907 Paris L’œuvre de M. Jacques dans le Dauphiné (en dans la région Lille- Fréal et Cie, 1942 et Jean Brunot [R Paris, Jacques Vautrain, Fréal et Cie Diplômé de l’École 1925 • avec Léon Jaussely Allemand à Béthune”, collaboration avec Raymond Roubaix-Tourcoing”, coll. “Documents d’architec- des beaux-arts de Paris Le pavillon du Studium et Léon-Emile Bazin [H L’Architecture, n°4 Busse)”, L’Architecture, n° 8 L’Architecture, n° 3 1942 1950 ture française contem- 1958-1962 (atelier Gaston Redon) Louvre, Exposition Laprade Albert, Commandeur poraine” Membre du conseil inter­nationale des arts 1931 1933 1935 1939-1950 Croquis. 2e Album, Région de la Légion d’honneur de l’Académie d’architecture 1910 déco­ratifs et industriels Le pavillon du Maroc, “L’Architecture dans “L’Architecture dans Barrage-usine de de l’Est, Paris, Vincent, 1952 Membre de la Société modernes, Paris [D Exposition coloniale nos provinces françaises. nos provinces françaises. Génissiat (Ain) Fréal et Cie [O 1950 Laprade Albert, 1962 des architectes diplômés internationale, Paris L’œuvre de Léon Le Bel, L’œuvre de Lachaud • avec Léon-Emile Bazin Bourget Pierre et Croquis. 3e Album, Région Monument de par le gouvernement (SADG) 1925 • avec Robert Fournez [I à Grasse (A.-M.)”, et Legrand, en Bretagne”, et Pierre Bourdeix [N 1943-1951 Laprade Albert (dir. col- du Midi, Paris, Vincent, Lamartine, Tresserve Jardin des Nymphéas, L’Architecture, n° 5 L’Architecture, n° 10 Inspecteur général lection), Habitations Fréal et Cie (Savoie) 1916-1917 Exposition internationale 1931-1932 1939 des Beaux-Arts col­lectives, Paris, Jacques Nouvelle ville indi- des arts décoratifs et Magasins Office central 1933-1937 1937 “L’Architecture dans Vautrain, coll. “Documents 1952 1963 gène, Casablanca (Maroc) industriels modernes, Paris électrique, boulevard Ambassade de France, Le pavillon de l’Irak, nos provinces françaises. 1945-1956 d’architecture française Laprade Albert, Président de Service des plans de villes Haussmann, Paris Ankara (Turquie) Exposition internationale L’œuvre de Pierre Drobecq Atelier des mélanges, contemporaine” Croquis. Europe méridio- l’Académie sous la direction d’Henri 1925 • avec Léon-Emile Bazin [J des arts et techniques dans le Nord”, usine Kleber-Colombes, à nale et Asie mineure, Paris, Prost [A Jardin des Oiseaux, 1934 de la vie moderne, Paris L’Architecture, n° 2 Colombes (Hauts-de-Seine) 1950 Vincent, Fréal et Cie, 1952 1967 Exposition internationale 1932 Immeuble 76 et 76bis • avec Léon-Emile Bazin [M • avec Bruno Philippe et Bourget Pierre et Laprade Albert, 1918-1924 des arts décoratifs Inspecteur principal rue de Rennes, Paris 1939 Jean Vernon [P Laprade Albert (dir. col- 1953 Croquis. 5e Album, Région Résidence générale de et industriels modernes, de l’enseignement artistique • avec Léon-Emile Bazin [K 1937 “L’Architecture dans lection), Intérieurs, Paris, Maison de la France de l’Ouest, Paris, Vincent, France, Rabat (Maroc) Paris [E Le pavillon de nos provinces françaises. 1946-1958 Jacques Vautrain, coll. d’Outre-mer à la Cité Fréal et Cie Service des plans de villes 1932-1960 1934 la Langue française, L’œuvre de Pierre Drobecq Architecte en chef de “Documents d’architecture universitaire internatio- sous la direction d’Henri 1928-1929 Architecte en chef des Immeuble du Journal Expo­sition internationale dans le Nord”, la Reconstruction dans française contemporaine” nale, Paris 1967 Prost [B Garage Citroën, Bâtiments civils et palais L’Écho du Nord, Lille (Nord) des arts et techniques L’Architecture, n° 2 le Nord et au Mans (Sarthe) • avec Bruno Philippe et Laprade Albert, rue Marbeuf, Paris nationaux avec Léon-Emile Bazin de la vie moderne, Paris 1951 Jean Vernon [S Croquis. Paris. Quartiers 1916-1921 • avec Léon-Emile Bazin [F et Ernest Willoqueaux [L • avec Léon-Emile Bazin 1939 1947-1952 Bourget Pierre et du Centre, les Halles, Parc Lyautey, place 1933 “L’Architecture dans Usine-barrage de Laprade Albert (dir. 1954-1961 le Marais, Paris, Vincent, des services administratifs, 1929 Membre du comité de 1934 1937 nos provinces françaises. Seyssel (Haute-Savoie) [Q collection), Bâtiments Usine hydroélectrique, Fréal et Cie Casablanca (Maroc) Restauration du chalet rédaction de la revue “L’Architecture dans Colonne de la Paix, Hôtel de l’Écho du Nord. industriels et commerciaux, La Bâthie (Savoie) Service des plans de villes de la famille Laprade, L’Architecture d’aujourd’hui nos provinces françaises. Exposition internationale MM Laprade, Bazin et 1949 Paris, Jacques Vautrain, • avec Rogatien de Cidrac 1978 sous la direction d’Henri Les Houches (Haute-Savoie) Quelques récentes des arts et techniques Willoqueraux, Architectes”, Bourget Pierre et coll. “Documents d’architec- [T Décès à Paris Prost [C • avec Viggo Féveile [G 1933 constructions en Bretagne. de la vie moderne, Paris L’Architecture, n° 3 Laprade Albert (dir. col- ture française contem- “L’Architecture dans M. G.-R. Lefort, architecte”, • avec Léon-Emile Bazin lection), Habitation, Paris, poraine” 1955-1966 1923 1929-1930 nos provinces françaises. L’Architecture, n° 11 1942-1964 Jacques Vautrain, coll. Cité administrative de Membre fondateur Maison de Cuba, L’œuvre de M. Le Même, Rénovation de l’îlot “Documents d’architecture la ville, boulevard Morland, du Groupement des archi- Cité universitaire à Mégève (Haute-Savoie)”, insalubre n° 16, Paris française contemporaine” Paris tectes modernes inter­nationale, Paris L’Architecture, n° 2 • avec Pierre Fournier et René Fontaine 14 15 L’exposition Les thèmes Bibliographie

De la construction au récit. Être de son temps et L’architecture se montre : Albert Laprade de son lieu pour l’architecte du XXe siècle les expositions universelles Laprade Albert, Lyautey urbaniste. Souvenirs Au début du XXe siècle, suite à la révolution L’architecture est une des attractions cen- d’un témoin, Paris, Horizons de France, 1934 industrielle, le développement des villes met les trales des grandes expositions du début du XXe Laprade Albert, Croquis. 1er Album, Du Nord architectes face à de nouveaux programmes, véri- siècle. Les nations, les régions, les cultures, les à la Loire, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1942 tables projets de modernité : la transformation des savoir-faire... se racontent, se montrent, s’exposent. Laprade Albert, Croquis. 2e Album, modes de vie, l’essor des infrastructures (indus- Du dessin au pavillon, les architectes donnent à Région de l’Est, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1942 trielles, urbaines, touristiques…) ou encore l’habi- voir le récit d’un lieu fictif et temporaire, renou- Laprade Albert, Croquis. 3e Album, tat et la production de logements pour le grand velé à chaque exposition. Région du Midi, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1952 nombre. L’échelle nouvelle des ouvrages architec- La modernité : Laprade Albert, Croquis. Europe méridionale turaux a modifié la façon d’habiter les territoires. habiter le XXe siècle et Asie mineure, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1952 Dès lors, les architectes modernes sont souvent ac- La transformation des modèles architecturaux Laprade Albert, Croquis. 4e Album, cusés d’être en rupture avec l’histoire et la géogra- vise à l’édification d’un habitat qui corresponde Région du Centre, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1957 phie des lieux. Leurs productions semblent vouloir aux besoins de l’époque tout en tirant parti du site. Laprade Albert, Croquis. 5eAlbum, être à tout prix de leur temps” plutôt que de leur Les architectes construisent pour “l’Homme mo- Région de l’Ouest, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1967 lieu”. derne”. Ils cherchent à inventer les formes de la Laprade Albert, Croquis. Paris. Quartiers Le parcours d’un architecte comme Albert modernité, libérées de l’ornement classique ou pit- du Centre, les Halles, le Marais, Paris, Vincent, Fréal Laprade (1883-1978) permet de dépasser cette op- toresque. et Cie, 1967 position et de revenir sur la manière dont, en L’architecture sans architecte : France, les architectes du début du XXe siècle se relever et révéler l’existant Contexte sont confrontés aux besoins de leur époque et à la L’architecture traditionnelle est source d’en- Barré (famille), L’alpage de Charousse, Suisse spécificité des lieux. Au-delà d’une production mo- seignements multiples. L’architecte s’y intéresse imprimerie, Paris, 2014 derne allant du garage automobile rue Marbeuf tant pour comprendre les modes de vie populaires Culot Maurice, Lambrichs Anne et Delaunay, (Paris) au barrage de Génissiat sur le Rhône (Ain), que pour en tirer des enseignements constructifs, Dominique, Albert Laprade : architecte, jardinier, Albert Laprade porte une attention particulière à d’implantations, de savoir-faire... La maison est urbaniste, dessinateur, serviteur du patrimoine, l’architecture traditionnelle notamment à travers alors l’édifice qui incarne le mieux la relation de Paris, Norma éd., Cité de l’architecture ses Albums de croquis. Il revient également régu- l’homme à son environnement. et du patrimoine, 2007 lièrement dans les Alpes du Nord où il a Nouveaux programmes, Doyon Georges et Hubrecht Robert, progressivement acheté l’alpage de Charousse (Les nouvelles techniques L’architecture rurale et bourgeoise en France. Houches, Haute-Savoie) dont il a cherché à Les paquebots, les avions, les autos sont les Étude sur les techniques d’autrefois et leurs préserver l’unité du lieu. grands symboles du début du XXe siècle, “l’Esprit applications à notre temps, Paris, Vincent, Fréal De la construction au récit… cette exposition nouveau” de la modernité. La forme de ces ou- et Cie, 1942 interroge la manière dont les architectes parti- vrages exprime leur fonction. En apprenant à les Dufournet Paul, Pour une archéologie cipent à l’élaboration d’une “culture du lieu” qui regarder, l’architecte tire les leçons de l’indus- du paysage : une communauté agraire sécrète comprend celui-ci à la fois comme site de projets, trialisation, loin des ornements classiques de l’ar- et organise son territoire, Paris, A. et J. Picard, comme territoire de nouvelles découvertes et chitecture. 1978 comme imaginaire à construire. Du détail au paysage : Guadet Julien, Éléments et théorie la question de l’échelle de l’architecture, Paris, Aulanier et Cie, 1901 La montagne fascine les intellectuels dès le Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, e XVIII siècle. La curiosité pour la “Nature”, le su- G. Crès et Cie, 1923 blime et le pittoresque des paysages alpins fait Le Corbusier, Congrès international place à une curiosité plus scientifique pour la géo- d’architecture moderne, La charte d’Athènes, graphie, la géologie. Les architectes y feront l’ex- Paris, Plon, 1943 périence du grand paysage mais, aussi, la décou- Letrosne Charles, Murs et toits pour les pays e verte de différentes cultures d’habiter. Au XX de chez-nous, Paris, Niestlé, 1923 siècle, le développement de la villégiature, des Loos Adolf, Paroles dans le vide (1897-1900) : sports d’hiver ou encore de l’hygiénisme, accroît chroniques écrites à l’occasion de l’exposition l’intérêt des architectes pour les territoires mon- viennoise du Jubilé (1898) ; Autres chroniques tagnards. des années 1897-1900 ; Malgré tout (1900-1930), L’architecture en débat : Paris, éd. Ivrea, 1994 l’avènement de la publication Raulin Henri, L’architecture rurale française. Si les revues d’architecture se développent Savoie, Paris, Berger-Levrault, 1977 e massivement à la fin du XIX siècle et au début du Rudofsky Bernard, Architecture without e XX siècle, les architectes investissent également architects. A Short Introduction to Non-Pedigreed la presse généraliste, particulièrement les publi- Architecture, New-York, The Museum of Modern cations illustrées. En commentant les transforma- Art, 1964 tions de l’environnement, des territoires et des mo- Viollet-le-Duc Eugène Emmanuel, Habitations des de vie, la presse grand public s’appropriera modernes, Paris, éd. A. Morel, 1875 aussi les grands débats architecturaux.

L’exposition Crédits photographiques Remerciements Partenaires de l’exposition Commissariat Fonds Laprade © ADAGP, Paris 2016 Luc Barré, Vincent Barré, Sylvestre La commune de La Bâthie (Savoie), Claire Rosset, doctorante Les documents graphiques et photogra- Meinzer et la famille Barré-Laprade; la Compagnie nationale du Rhône, en architecture / CAUE 74 phiques proviennent, dans la majorité Yves Borrel et Cécile Lapouge la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Comité de pilotage des cas, de publications d’époque du musée Montagnard des Houches; le ministère de la Culture et de Arnaud Dutheil, Dominique Leclerc et des archives d’Albert Laprade: Henri Massenet et les Archives la communication / DRAC Auvergne- et Dany Cartron / CAUE 74 Fonds Laprade”, cotes 403AP (Archives nationales — site de Fontainebleau; Rhône-Alpes, l’ANRT / Cifre. Conception exposition nationales) et cotes 317AA (Académie Hélène Maurin et les Archives Scénographie: Sara de.Gouy, designer d’architecture/Cité de l’architecture départementales de Haute-Savoie; © Tous droits réservés / mai 2016 d’espace / architecte et du patrimoine/Archives d’archi- Simon Vaillant et la Cité Design graphique: Bureau 205 tecture du XXe siècle). de l’architecture et du patrimoine / Fabrication Centre d’archives d’architecture Menuisier-agenceur : À mi-bois Les différentes institutions concernées du XXe siècle; Impression et marquage: Adzo par l’iconographie apparaissent Laurent Hodebert, Catherine Maumi en abrégées dans l’exposition: et Patrick Thépot du laboratoire Journal de l’exposition Cité de l’architecture et du patri- les Métiers de l’Histoire de l’Archi- Coordination moine: Capa; tecture, édifices-villes-territoires Claire Rosset / CAUE 74 Académie d’architecture/Cité de (ENSA-Grenoble). Auteurs l’architecture et du patrimoine/ Arnaud Dutheil, Laurent Hodebert, Archives d’architecture du XXe siècle: Cécile Lapouge, Sylvestre Meinzer, Aa/Capa/Aa XXe. Claire Rosset, Patrick Thépot Design graphique Bureau 205 Impression et fabrication Imprimerie Brailly

Livret enfants Écriture et recherche iconographique Agnès Millet, Dany Cartron, Claire Rosset / CAUE 74 Design graphique Bureau 205 Impression et fabrication Imprimerie Brailly

Signature provisoire: le nom de la Région sera fixé par décret en Conseil d’État le 1er octobre 2016 après avis du Conseil Régional