L’AMENAGEMENT DE LA AU MOYEN AGE

La Boutonne a servi très tôt de voie de communication de la région de Saint-Jean d'Angély vers la vallée de la et la mer. La découverte d'une monnaie gauloise d'Armorique à Tonnay-Boutonne, non loin de la rivière 1, ne peut à elle seule fournir la preuve d'un ancien trafic maritime et fluvial. Nous n'avons pas non plus la certitude que les Vikings aient remonté la Boutonne pour piller l'abbaye de Saint-Jean d'Angély. Mais dès le XI e siècle, lorsque les écrits deviennent moins rares, il est certain que la rivière a été utilisée par la navigation commerciale, et principalement pour l'expédition des vins de Saint-Jean d'Angély. L'existence d'un trafic fluvial donnait l'occasion de créer des taxes sur les marchandises qui transitaient par la rivière. La commune de Saint-Jean et les seigneurs de Tonnay-Boutonne ne s'en privèrent pas, mais l'objet de cet article n'est pas de suivre la rivalité qui les opposa pour la possession des droits sur la navigation. Nous ne parlerons donc que de l'aménagement de la rivière, en nous limitant à sa portion navigable. Les autorités riveraines et principalement celles de Saint-Jean d'Angély furent donc amenées à aménager le cours de la Boutonne pour que « les vaisseaux puissent aller et venir par ladite rivière et pour attirer les marchands étrangers qui viendront au pays acheter vins et autres marchandises à la ville et au pays », ainsi que l'exprimait un maire de Saint-Jean d'Angély 2. Très tôt cette ville eut un port; on en trouve mention dans une charte de la fin du XI e siècle, citant le « moulin du port »3. En 1208, le seigneur de Tonnay-Boutonne créait un port et un marché au pied de son château 4. Ce port avait un « quai », une levée de terre, peut- être soutenue par une maçonnerie; un texte de 1315 cite en effet un « quai » de Tonnay- Boutonne appartenant au prieur de Surgères 5. Dans les années 1360, la commune de Saint- Jean d'Angély faisait aménager le nouveau port de l'Orgueillet non loin du château 6, près de l'actuel pont Merzeau. On avait sans doute élargi le lit de la rivière, construit des quais et bâti des entrepôts. Mais, avec un débit assez réduit, la Boutonne coulait dans une large vallée marécageuse, de sorte que sa profondeur était faible, tout juste suffisante pour des barques à fond plat; en outre la navigation devait certainement être interrompue pendant plusieurs mois à l'étiage d'été. Au Moyen Age on demandait aussi aux rivières de faire tourner des moulins, mais la Boutonne, au débit lent, s'y prêtait mal car il fallait barrer le cours principal pour obtenir un courant convenable dans le bief de dérivation qui entraînait le moulin. C'était incompatible avec la navigation. Aussi, à une exception près, on ne construisit pas de moulins sur le cours principal en aval de Saint-Jean d'Angély. Ce fut le seigneur de Tonnay-Boutonne qui, dans le

1 Roccafortis , Tome V, n° 29, janvier 2002, p. 61. 2 Registre de l'échevinage de Saint-Jean d'Angély, Tome II (Tome XXVI des Archives historiques de la Saintonge et de l'), p. 100. 3 Cartulaire de Saint-Jean d'Angély, Tome I, charte n° LIII. 4 Mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, année 1971, pp. 528 et 529. 5 Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, Tome XII, p.145. 6 Échevinage, Tome I (Tome XXIV des Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis) pp. 32-34.

141 courant du XII e siècle, installa des moulins un peu en amont de son château. Il fit donc construire un barrage en travers de la rivière. Les barques passèrent sans doute par un autre bras, celui qu'on appelait la Vieille Boutonne dans lequel la profondeur était moindre. Il ne fait aucun doute que les commerçants de Saint-Jean virent ces constructions d'un mauvais œil. Lorsque le roi Jean Sans Terre accorda le statut de commune à Saint-Jean d'Angély, en 1199, les bourgeois disposèrent désormais d'une institution capable de défendre leurs intérêts. Dès 1208, associés au prieur de Tonnay-Boutonne et à la population de ce bourg, qui, pour des raisons diverses, étaient mécontents des moulins, ils obtinrent que le seigneur, Raoul de Machecoul, démolisse barrage et moulins et s'engage à ne pas les reconstruire. La commune de Saint-Jean attachait tant d'intérêt à ces destructions que le maire, Bertrand de Torse, vint en personne assister à la cérémonie de signature de la charte par laquelle Raoul confirmait ses engagements 7. Mais, à cet endroit, les berges appartenaient au prieur, et bientôt les moines reconstruisirent barrage et moulins. Une autre preuve de l'importance de la fréquentation de la rivière à cette époque nous est donnée lorsqu'en 1242 Louis IX, qui se trouvait à Saint-Jean d'Angély à la tête de son armée, donna l'ordre de rassembler un grand nombre de barques pour amener ses soldats jusqu'à la Charente. On sait qu'il préféra finalement se diriger vers Taillebourg par voie de terre. A l'issue de cette guerre Louis IX confia le gouvernement de la région reconquise à son frère Alfonse et, pour ce qui nous concerne, fit entrer la châtellenie de Tonnay-Boutonne dans le domaine royal. Alfonse accorda aux habitants de Saint-Jean d'Angély l'autorisation de mener leurs vins jusqu'à la mer. Mais le barrage de Tonnay-Boutonne, reconstruit par le prieur, gênait la navigation. Alfonse envoya en inspection, en 1247, les châtelains de Niort et de Saint-Jean d'Angély, tous deux fonctionnaires comtaux, pour voir comment supprimer les entraves à la navigation qui existaient à Tonnay-Boutonne 8. Ce fut sans doute au vu des résultats de cette visite que la commune de Saint-Jean fut autorisée à faire démolir ces obstacles 9. La navigation dut prendre un grand essor, car, en 1269, Alfonse affermait les droits du port de Tonnay-Boutonne pour un montant annuel de 72 livres, somme importante à l'époque 10 . La seconde moitié du XIII e siècle et la première du XIV e furent en effet dans nos régions une période de paix et de prospérité. Les Angériens exportaient leurs vins jusqu'en Flandre en les faisant transiter par . En 1246, Alfonse fit construire un pont à Tonnay-Boutonne 11 ; il ne s'agissait sans doute que d'un pont sur le bief du moulin car il n'avait coûté que 70 sous; un texte de 1379 parle d'ailleurs de ce « pont du moulin ». C'est peu après qu'un pas décisif fut effectué pour améliorer la navigation sur la Boutonne avec la construction d'écluses. C'est la charte de Philipe le Bel 12 autorisant en 1310 la commune de Saint-Jean d'Angély à percevoir un péage de 12 deniers sur chaque tonneau de vin empruntant la Boutonne qui nous apprend l'existence d'une écluse (des portes, dans le langage du temps) au port de l'Orgueillet et d'une autre à non loin du confluent. Les produits du péage devaient notamment servir à financer des travaux de maintenance des écluses et de la rivière. Puisque ces écluses avaient besoin de réparations, c'est qu'elles étaient

7 Voir note 4 de la page précédente. 8 Comptes d'Alfonse de Poitiers (Tome IV des Archives historiques du Poitou), p. 169. 9 Manuscrit mentionné dans le Bulletin des Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, Tome VII, p.11 . 10 Correspondance administrative d'Alfonse de Poitiers, n° 1116. 11 Comptes d'Alfonse de Poitiers, p. 130. 12 Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, Tome XII, p. 59.

142 construites depuis déjà un certain temps: ce ne pouvait être plus tôt que dans les années 1260, époque de construction du port de l'Orgueillet. Ces deux écluses appartenaient donc à la commune de Saint-Jean, qui vraisemblablement les avait fait construire. L'écluse du port était certainement celle qu'on appelait « les portes de Malpertuis »; cette écluse avait en 1332 un garde commun avec celle de Bernouet 13 située à un kilomètre seulement en aval, et qui, semble-t-il, n'existait pas encore en 1310. En 1387, les portes de Malpertuis, faisant double emploi avec celles de Bernouet et n'étant plus entretenues, furent volontairement démolies. L'écluse de Tonnay-Boutonne ne pouvait être citée dans la charte de Philippe le Bel, car à ce moment-là, elle faisait partie du domaine royal. Elle avait dû être construite à la même époque que celle de Champdolent dans l'intention de réguler tout le cours navigable de la Boutonne et de permettre aux bateaux de circuler désormais en toute saison. Elle était située en amont du port, associée au barrage et aux moulins. En 1347, le roi Jean le Bon enleva l'écluse de Champdolent aux Angériens pour la remettre au seigneur de Tonnay-Boutonne, ainsi que le cours de la rivière entre ce bourg et Champdolent. Il punissait ainsi les premiers et récompensait le second pour leurs conduites 14 pendant l'offensive du comte de Derby . En 1372, lors de la reconquête de la Saintonge par du Guesclin, le seigneur de Tonnay-Boutonne se battit aux côté des Anglais tandis que les bourgeois de Saint-Jean se ralliaient au roi de . Celui-ci les remercia en leur rendant le cours de la rivière et les portes de Champdolent et en leur donnant celles de Tonnay- Boutonne; nous ne connaissons ni le texte ni la date de cette décision, mais constatons le fait en 1380 15 . On note aussi qu'à ce moment-là les moulins de Tonnay-Boutonne n'appartenaient plus au prieur du lieu mais à la commune de Saint-Jean, le prieur ayant cependant droit à une rente de 55 livres. Pendant cette guerre les moulins furent ruinés et les écluses se détériorèrent. Dès 1380, la commune de Saint-Jean s'efforça de rétablir les moulins. Mais les incursions anglaises persistantes et le refus du prieur de réduire sa rente retardèrent le début des travaux. En 1393 enfin, les Anglais étaient écartés, le roi avait donné de l'argent pour les moulins et les portes, et le prieur avait consenti à la réduction de sa rente à 25 livres; la commune de Saint-Jean put faire exécuter les travaux. A l'automne 1395, les moulins fonctionnaient mais étaient sujets à des incidents qui entraînaient de fréquents déplacements du maire à Tonnay-Boutonne. En outre la rivière s'envasait et la navigation devenait difficile. Aussi en 1397 l'échevinage prend une décision drastique qui montre à quel point la navigation sur la Boutonne est vitale pour la ville. Tous les revenus de la commune seront pendant trois ans affectés « aux réparations de la rivière Boutonne et non ailleurs »16 . Les moulins seront enfin réparés ainsi que l'écluse voisine endommagée, cette fois par « ceux qui avaient passé sans brevet et sans payer la coutume en cassant et faussant la clavure des portes ». Il fallut remplacer la clavure et « y coudre un éperon pour que le fermant de ladite clavure ne soit pas si tout levés »17 . Mais le revenu annuel de la rivière qui, moulins compris, s'élevait en 1398 à 77 livres 18 n'était toujours pas suffisant. Aussi, en 1399, le maire demanda-t-il aux échevins leur accord pour lever exceptionnellement 300 écus d'or (environ 700 livres) pour la réparation de l'écluse

13 Échevinage, Tome I, p. 58. 14 Charte reproduite par Massiou, « Histoire de la Saintonge et de l'Aunis », Tome III, p. 60. 15 Échevinage, Tome I, p. 237. 16 Ibid. , Tome II, pp. 25 et 26. 17 lbid , p. 65. 18 Ibid. , p. 66.

143 de Bernouet et le curage et l'entretien de la rivière. Pour financer cette somme importante, une « taillée » allait très rapidement être levée, « bien diligemment, sans nul épargner, et chacun doit payer son taux », dit le compte rendu de la délibération 19 . Les travaux furent exécutés, mais le curage en aval des portes de Champdolent rencontra des difficultés en raison de l'opposition du seigneur du lieu qui prétendait que ce cours lui appartenait. Un autre ouvrage a été réalisé au Moyen Age. Il s'agit de la chaussée, longue d'à peu près 1 000 mètres, traversant la vallée marécageuse de la Boutonne, qui permettait à Tonnay- Boutonne de communiquer avec la terre ferme de la rive gauche; elle aboutissait au Port- l'Aubier, paroisse d'. Du côté de Tonnay-Boutonne elle amenait à un embarcadère d'où l'on traversait la rivière en barque et plus tard en bac. Cette chaussée, qui conserva sa forme primitive jusqu'en 1840, était composée d'une levée avec un pont sur la Vieille Boutonne et trente-cinq ponceaux (appelés arceaux au Moyen Age) placés sur des coupures permettant le passage de l'eau. Aussi l'appelait-on les Arcades. Des auteurs l'ont comparée à la chaussée Saint-James de Taillebourg. Aucun texte ne dit quand cette chaussée fut construite, mais il est certain qu'elle existait en 1467, puisqu'un article de l'inventaire des archives du comté de Taillebourg mentionne le pont sur la Vieille Boutonne 20 . Ce sont certainement les seigneurs de Tonnay-Boutonne et de Taillebourg qui l'ont conjointement fait édifier, puisque sa partie sud se trouve sur le domaine de la châtellenie de Taillebourg. Il se pourrait qu'elle ait été élevée à la fin du XIV e siècle, car en mars 1398, on voit le maire de Saint-Jean d'Angély se rendre à Tonnay-Boutonne tout spécialement pour demander au seigneur que « les arceaux du péré fussent fermés afin que l'eau ne se perdît pas et que les moulins mouldissent mieux »21 . Ce péré, coupé de plusieurs arceaux, équipés de vannes comme ce texte nous l'apprend, pourrait être la chaussée des Arcades récemment construite, car il n'avait encore jamais été question de ce péré dans les registres de l'échevinage, pourtant prolixes sur l'écluse et les moulins de Tonnay-Boutonne. Deux ports, trois écluses, le barrage et les moulins de Tonnay-Boutonne, la grande chaussée traversant les marais en face de ce bourg, telle est la part du Moyen Age dans l'aménagement de la Boutonne, artère vitale pour Saint-Jean d'Angély. On ne trouve aucune mention de travaux ou simplement de projets d'assèchement dans la vallée. La tâche, à laquelle les moines défricheurs des XI e et XII e siècles ne s'étaient pas attaqués devait paraître démesurée. Il faudra attendre un siècle ou deux pour que cette idée germe dans des esprits entreprenants.

Claude Thomas

19 Ibid. , pp. 100 et 101. 20 Inventaire des titres du comté de Taillebourg., AHSA, Tome XXXIV, p. 237. 21 Échevinage, Tome II, p.52.

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