Marcel Cerdan Du Même Auteur
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MARCEL CERDAN DU MÊME AUTEUR La télévision à la chaîne Éditions Julliard, Paris, 1972. Marthe, les mains pleines de terre Éditions Pierre Belfond, Paris 1977. Les Zazous Éditions du Sagittaire, Paris, 1977. « Jean de Florette ». La folle aventure du film, en collaboration avec Jean- Michel Frodon Éditions Herscher, Paris 1987. JEAN-CLAUDE LOISEAU MARCEL CERDAN FLAMMARION © Flammarion, 1989. ISBN 2-08-066272-4 Imprimé en France 1 UNE NUIT DE RÊVE A JERSEY CITY Il est près de huit heures du soir. Le Holland Tunnel, une artère de céramique blanche logée sous l'Hudson, qui a été inaugurée il y a juste quelques semaines, pompe un flot ininterrompu de voitures dans le sud de Manhattan pour le déverser sur l'autre rive, à Jersey City. La chenille articulée pare-chocs contre pare-chocs proces- sionne au ralenti en direction du plus grand stade de la ville, le Roosevelt Stadium. Ce soir, des milliers de New-Yorkais se sont arrachés aux moiteurs lourdes de Manhattan, du Bronx, de Broo- klyn, pour vivre un événement qu'on promet riche en émotions fortes. 21 septembre 1948. Si tout se passe bien, dans quelques heures, à six mille kilomètres de là, la date pourrait bien devenir historique. La France entière est tournée, elle aussi, vers le Roosevelt Stadium où son idole, Marcel Cerdan, va livrer le combat de sa vie. Coincée dans la circulation, la Cadillac de Cerdan roule au pas. La gaieté un peu forcée qui y régnait en partant s'est peu à peu éteinte. Les conversations se sont effilochées, hâchées par une appréhension diffuse. Il n'y a plus rien à dire. Juste à essayer de rester calme. Marcel a l'air calme. Lucien Roupp, son manager, lui, gamberge. Dans quelques jours si tout se passe bien, il ne manquera pas de témoins pour apporter les retouches qu'il faut au tableau. On peut faire confiance à ce vieux renard de Lew Burston : « Avant le combat ? Marcel n'était pas plus nerveux que s'il s'était préparé pour une séance d'entraînement. » Après tout, il est le représentant de Cerdan en Amérique, et c'est ce qu'on attend de lui. Ici, défendre les intérêts d'un boxeur, ça consiste aussi à soigner son image. Burston en « rajoute » toujours un peu, mais il a indiscutablement la manière. Lorsque Marcel avait débarqué pour la première fois aux États-Unis — il y a deux ans déjà —, un journaliste lui avait demandé de définir son style. Lew avait traduit et donné la réponse, sa réponse, dans le même souffle : « American, American. He says he fights American. » Un peu plus tard, il était revenu à la charge, glissant en confidence à un reporter : « Cerdan n'est pas venu en étranger, il se sent comme un voyageur qui rentre, enfin, à la maison. » Lew trouvait toujours les phrases que les journalistes souhaitaient entendre. On pouvait lui faire confiance : demain, si tout se passe bien, il saura célébrer le Frenchie comme il le mérite... Assis sur la banquette arrière, dans un coin, le manager de Cerdan se dit alors qu'il n'aura, lui, jamais la manière. La légende, toutes ces histoires plus ou moins vraies qu'on colporte sur Cerdan où la boxe n'a pas grand-chose à voir, Lucien Roupp préfère les ignorer. A chacun son boulot. Il sait ce qu'on dit de lui. Chaque fois qu'il se laisse aller à dire ce qu'il pense, on lui fait comprendre qu'il manque singulièrement de fantaisie. Il passe pour l'éternel trouble-fête. Cela, à vrai dire, le préoccupe moins que l'insouciance de Marcel, cette façon qu'il a eu ces derniers mois de se reposer sur ses lauriers, de prendre les choses par-dessus la jambe. Dangereux, très dangereux. N'importe quel manager vous le dira : le don ne suffit pas. L'entraînement, c'est un travail long, intensif, minutieux. Il faut de la volonté. « De la volonté, tu comprends, Marcel ? » « Oui, monsieur Roupp, vous avez raison », répondait invariablement Marcel. Et puis, le lendemain, à la première occasion, il se défilait, bâclant l'entraînement pour retrouver plus vite ses copains. Cerdan avait fini par le payer. Battu par le Belge Delannoit en mai après un combat médiocre sur toute la ligne, indigne de lui. La revanche acquise à l'arrachée en juillet n'avait rassuré que ceux qui voulaient l'être. On ne s'était pas gêné pour dire que Cerdan était sur le déclin, que le meilleur de sa carrière était derrière lui. Les Américains avaient tout de même consenti à lui donner sa chance pour le titre mondial, du bout des lèvres, et en pensant sans doute que Tony Zale n'allait en faire qu'une bouchée. N'importe, avec ce championnat du monde, les Français s'étaient repris et avaient recommencé à rêver. C'est la voix de Marcel qui a tiré Lucien Roupp de ses pensées : — Il faut que je gagne, lance-t-il à Jo Rizzo qui conduit. Tu comprends, la France compte sur moi, hein, et Marinette, et les enfants ! Puis, après un bref silence, il ajoute avec un clin d'œil : — Y también, la que tú conoces. « Et puis, tu sais qui. » Bien sûr, qu'il sait, Jo. Tout le monde sait. Mais personne ne se risque à faire un commentaire. Pas le moment de parler d'Édith Piaf ! On approche maintenant du Roosevelt Stadium. A intervalles réguliers, on voit des policiers à cheval et des motards. Plus de cinq cents ont été mobilisés pour canaliser les spectateurs et assurer le service d'ordre de la soirée. Aux dernières nouvelles, chez les bookmakers, la cote est à 8 contre 5 en faveur de Zale. C'est lui le favori. Les journalistes spécialisés ne donnent pas cher des chances de Cerdan. Dan Parker, le célèbre chroniqueur du Daily Mirror affirme : « Il ne fait aucun doute que Zale mettra Cerdan K.-O. » Et Joe Williams renchérit dans le World Telegram : « Quand on voit le Français aussi aimable, aussi souriant, aussi sympathique, on a envie de crier au bout de quelques instants : " Vas-y, Marcel ! Mais, quand je me pose la question : Quels sont ses atouts pour gagner ? Je suis obligé de constater que je n'en vois pas. C'est pourquoi je crois fermement en la victoire de Zale. » Roupp s'est fait traduire tous les articles de la presse new-yorkaise. Agacé d'abord, il a finalement considéré que c'était une bonne chose. Marcel n'est jamais plus déterminé que lorsqu'on doute de lui. Le ton sur lequel il a dit : « Il faut que je gagne. » !... Roupp se sent rassuré. Aussi loin qu'il remonte, il ne se souvient pas l'avoir vu aussi épanoui à la veille d'un combat capital. Les trois dernières semaines ont été décisives. Cerdan est métamorphosé. Il y a deux jours, il a lancé le plus sérieusement du monde à son ami, René Dunan, de France-Soir : « J'ai une confiance qui m'étonne moi- même. » Le genre de phrases qui font les gros titres dans les journaux depuis des lustres. Pour une fois, ce n'est pas une invention de journaliste. Marcel l'a dit. Et elle reflète tout à fait la réalité. En quatorze ans de carrière professionnelle, il n'a sans doute jamais montré un tel acharnement à l'entraînement. Pas une fois, il n'a laissé échapper sa plainte favorite : « Vous allez me surentraîner, monsieur Roupp... » Il a retrouvé tous ses moyens et au-delà. Cerdan s'est totalement remobilisé. Il était temps... Quand la Cadillac se range enfin dans le parking réservé aux acteurs de la soirée, Lucien Roupp ne pense plus du tout aux mois difficiles qu'il a traversés depuis un an. Les doutes, les angoisses, la peur d'échouer si près du but. La rage qui l'a pris en lisant que lui « le manager à la figure triste, le Don Quichotte du coin des rings » n'était plus à la hauteur de la situation et, qu'à cause de lui, Cerdan allait peut-être rater sa fin de carrière. Toutes ces critiques terribles que l'on répète dans son dos, une espèce de cabale orchestrée par Dieu sait qui — Roupp a sa petite idée —, c'est du passé. En tout cas, on ne pourra rien lui reprocher, cette fois. Hier, dans la soirée, il bataillait encore avec les matchmakers. De l'avis même de Lew Burston, il s'en est bien tiré. Des heures de discussion pied à pied pour déjouer une manœuvre de dernière minute concernant la bourse que devait toucher Marcel. Gus Lesnevitch, l'adversaire de Joe Walcott dans l'autre combat-vedette de la soirée, avait déclaré forfait, parce que, paraît-il, il s'était cassé un orteil à l'entraînement. Peut-être bien qu'il s'agissait d'un forfait diplomatique, car le niveau des locations n'étant pas ce que les organisateurs espéraient, il était difficile de payer quatre boxeurs vedettes sur les recettes. Peut-être... Toujours est-il que l'on voulait réduire le cachet de Cerdan. Roupp a tenu bon. Au bout du compte, Cerdan touchera vingt pour cent de la recette (au lieu des dix-sept prévus) avec un minimum garanti de 40 000 dollars (soit seulement 5000 de moins que la somme fixée par contrat). Non, décidément, on ne pourra rien reprocher à Lucien Roupp. C'est l'attente, surtout, qu'il faut redouter. Cerdan ne l'a jamais très bien supportée. Deux heures de cache-cache usant avec la concentration, de grands vides vertigineux, jusqu'à la nausée parfois.