Crimes Contre L'humanité : Barbie, Touvier, Bousquet, Papon
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Dans la même collection PLON/LIBÉRATION L'Histoire secrète de la dissolution, 1997. Crimes contre l'humanité Ouvrages de Sorj Chalandon Enfants de l'ombre, Marval, 1993 (avec Marie d'Origny) Rouge, Columbia, P.A.U., 1993 (avec Jean-Jacques Goldman et Lorenzo Mattoti) Sorj CHALANDON Pascale NIVELLE Crimes contre l'humanité Barbie - Touvier Bousquet - Papon Préface de Robert BADINTER Plon/Libération © Plon, 1998 ISBN : 2-259-18869-9 Remerciements Le chroniqueur judiciaire n'est jamais seul sur son banc. Avant d'entrer dans la salle d'audience, au moment d'écrire, après les débats, il est nourri d'échos et de conseils, entouré de toute la mécanique humaine qui fera de ses mots la matière d'un journal. Aux relecteurs attentifs, aux metteurs en scène, du chef de service aux cor- recteurs et des secrétaires de rédaction aux rédacteurs en chef, merci. Merci aussi à tous les journalistes de Libération qui ont travaillé en marge de la production quotidienne, éclairant ces chroniques de leur savoir ou de leur regard. Et tout particulièrement Annette Levy-Willard, qui a enrichi les procès Barbie, Touvier, Papon et l'affaire Bousquet de nombreuses contributions, nous permettant de publier des documents d'Histoire et des pièces de dossier très souvent inédits. Merci aux historiens Henry Rousso, qui a suivi pour Libération l'intégralité du procès Touvier, et aussi Denis Peschanski, Robert O. Paxton et Pierre Laborie. Enfin, l'expression de notre gratitude va à Serge Klarsfeld, président de l'Association des Fils et Filles de déportés juifs de France, qui a toujours été attentif à nos questions et Elie Wiesel, qui nous autorise à publier l'intégralité du témoignage qu'il n'a pu lire, procédure pénale oblige, devant la cour d'as- sises de Lyon, à l'occasion du procès Barbie. UN ACQUIS DE JUSTICE Avec cet ouvrage, Sorj Chalandon et Pascale Nivelle nous offrent une vision complète de l'épreuve la plus difficile qu'ait affrontée la justice française depuis la fin de la guerre d'Algérie : le jugement des crimes contre l'humanité commis en France pendant l'Occupation. Ces poursuites avaient, dès l'origine, suscité une singu- lière coalition d'adversaires et de sceptiques. Nombreux étaient ceux qui voyaient, dans ces entreprises judiciaires, plus de risques que de profits. Les prudents murmuraient : « Pourquoi prendre le risque de faire revivre un passé si cruel et, à certains égards, honteux pour la conscience nationale ? » Mieux valaitdans leslaisser mémoires les années ou les confiernoires auxde l'Occupationseuls travaux desenfouies histo- riens. Les gardiens du mythe gaulliste n'étaient pas les moins inquiets. La version officielle d'une nation refusant Vichy, d'une Résistance soutenue par le peuple entier, l'épopée de la France combattante n'allaient-elles pas être altérées par la cruelle lumière des audiences ? La Résistance elle-même ne risquait-elle pas d'apparaître, à l'occasion de ces procès, plus complexe que l'image d'Épinal pieusement entretenue dans les discours. À juger Barbie, l'on pouvait voir surgir le fantôme de Jean Moulin et l'interrogation complaisamment entretenue, sur les circonstances de son arrestation. À juger Papon, comment ne pas évoquer les rapports complexes entre la Résistance et l'administration, faisaienten un temps aussi oùactes certains de résistants. fonctionnaires servaient Vichy et Au sein même de la communauté juive, des voix s'éle- vaient pour exprimer leurs doutes. Le sort d'une collectivité tout entière vouée à l'extermination s'avérait si atroce que la condamnation de quelques bourreaux et de leurs complices, après tant d 'années écoulées, pouvait apparaître dérisoire. A poursuivre quelques vieillards, n'altérait-on pas la signification quasi mythique de la Shoah, épreuve sans pareille du peuple juif qui le marquait à tout jamais du sceau du martyr ? D'autres Juifs nourrissaient leurs réticences de considéra- tions plus traditionnelles. À faire renaître, dans le prétoire, les temps de l'exclusion et de la haine, ne risquait-on pas de réveiller aussi, dans les esprits et les sensibilités, le sentiment trouble que les Juifs n'appartenaient à la communauté nationale qu'en vertu de principes abstraits ou de règles de droit, et qu'ils demeuraient à part du reste des Français. Pareille survivance de l'attitude des « Israélites » français d'avant-guerre, soucieux de ne rien marquer dans leur atti- tude qui puisse les distinguer comme juifs dans la com- munauté nationale, pouvait apparaître comme un compor- tement frileux que l'Histoire avait condamné. Mais c'était précisément d'Histoire, et de la plus douloureuse qui soit, dont il s'agissait dans ces procès. Et cette singularité-là efficacité.contribuait à nourrir le scepticisme sur leur utilité et leur Car, ce dont la justice avait à connaître pour la première fois, c'était de crimes commis près d'un demi-siècle aupara- vant. Une sorte de gêne naissait à voire ces vieux messieurs dans le box répondre des crimes commis par les jeunes hommes qu'ils avaient été, qu'on voyait pleins de force et de morgue sur les photographies de l'époque, en uniforme d'officier SS, de milicien, ou de préfet. Pour apprécier leurs actes, il fallait nécessairement les replacer dans leur cadre historique. Bien des preuves avaient disparu. La plupart des témoins étaient morts, et les juges ne pouvaient appréhen- der la réalité complexe de l'époque que par les travaux des historiens. On reconstituait à grand-peine, à travers un demi-siècle, un temps disparu pour décider du comporte- ment criminel de certains de ses survivants. La justice peut contribuer à l'Histoire, comme ce fut le cas à Nuremberg. Mais la justice s'inscrit dans le présent, dans le moment même où les juges apprécient les actes dont l'accusé répond. Cette rupture entre le temps des faits et le temps du jugement apparaissait à certains comme incompatible avec l'exigence d'un procès équitable. Enfin, au sommet de l'État, les présidents successifs de la V République ne s'avéraient guère enclins à ressusciter, à l'occasion de ces procès, une époque douloureuse pour la France, où les Français s'étaient entre-déchirés, et où les crimes de l'occupant avaient suscité, chez quelques-uns, une complicité active et, chez beaucoup, de l'indifférence. L'épuration avait eu lieu, elle était achevée depuis long- temps, et il ne convenait pas de rouvrir des dossiers clos, ou d'entreprendre des poursuites là où elles n'avaient pas été jugées utiles. La grâce octroyée en 1963, par le général de Gaulle, aux chefs de la Gestapo en France, Oberg et Knochen, témoignait de cette volonté que les pages les plus noires de l'histoire franco-allemande fussent à jamais tour- nées. La grâce de Touvier, milicien condamné à mort par contumace à la Libération, par le président Pompidou, pro- cédait du même désir d'oubli. Par communauté de généra- tion et d'expérience, le président Mitterrand partageait les mêmes vues. Paradoxalement, l'effet de la grâce de Touvier fut à l'opposé des vœux de son auteur. Elle parut une provo- cation à l'égard des victimes de l'Occupation et suscita, par réaction, une volonté de voir poursuivis et condamnés ceux qui avaient échappé à la sanction de leurs crimes. Cette exigence d'une justice, même tardive, à l'encontre des criminels du temps de l'Occupation, était nouvelle. Elle prenait sa source dans la prise de conscience, à travers des recherches historiques originales, de ce qu'avait été le comportement des autorités de Vichy au regard des juifs pendant l'occupation. Longtemps occultée, ensevelie dans un silence complaisant et général, la contribution de l'État français à la persécution et à la déportation des Juifs de France apparaissait peu à peu en pleine lumière, comme une épave rouillée que l'on verrait émerger des profon- deurs du passé qui l'avait engloutie. A mesure que cette connaissance progressait, que les crimes apparaissaient dans leur étendue, l'exigence de justice se faisait plus forte. Par un paradoxe apparent, elle s'avérait la plus intense chez les enfants de déportés dont Serge Klarsfeld, l'inlassable cher- cheur de vérité, apparaissait comme le champion. Car, comme le disait l'un d'eux, le travail de deuil n'avait jamais pu s'accomplir dans le cœur et l'âme de ceux qui avaient vu disparaître leurs parents dans la nuit des convois et des camps d'extermination, sans cesser, même contre toute évi- dence, d'attendre secrètement un retour impossible. Ainsi, la plaie secrète, jamais refermée, nourrissait en eux une douleur toujours présente et une soif de justice, à défaut écouléesd'espérance. ? Mais comment l'assouvir après tant d'années La notion nouvelle en notre droit des crimes contre l'hu- manité fournit aux victimes les moyens d'agir. Apparu lors des procès de Nuremberg, le crime contre l'humanité n'y avait guère retenu l'attention. C'était aux crimes contre la paix, aux crimes de guerre de tous ordres commis par les nazis, que s'étaient attachées les autorités alliées. Les crimes contre l 'humanité, par leur définition même, concernaient, au premier chef, les Juifs. Certes, d'autres populations, notamment les Tziganes, avaient été massacrées par les nazis. Mais, par son ampleur, son organisation et la barbarie de sa mise en œuvre, la persécution et l'extermination des Juifs en Europe occupée, constituait une entreprise crimi- nelle sans pareille. Tous les Juifs étaient voués, par Hitler et les nazis, à la mort parce que nés Juifs. C'était bien l'huma- nité tout entière qui était atteinte en la personne de chaque enfant juif jeté vivant dans la chambre à gaz. Ce génocide immense ne devait pourtant pas, au lende- main de la guerre, intéresser au premier chef la justice qui poursuivait les criminels nazis et leurs complices dans les pays occupés.