INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

CORRESPONDANTS - CORRESPONDENTS Iris BERLAZKY,Historian in Charge of the Holocaust Oral History Training Workshop, Hebrew University, Jerusalem - Israel ; Sidney BOLKOSKY,Professor of History, University of Michigan- Dearborn - College of Arts, Sciences and Letters, Dearborn - U.S.A. ; Paula J. DRAPER, Ph. D. (History), Independent Scholar,Toronto - Canada ; Hubert GALLE, Maître de Conférences, Université Libre de Bruxelles - Belgique ; Carla GIACOMOZZI, Stadtarchivarin der Stadtgemeinde Bozen - Italien ; Henry GREENSPAN, Consulting Psychologist and Lecturer in Social Science, Residential College - University of Michigan,Ann Arbor - U.S.A. ; Judith HASSAN,Director of Services for Holocaust survivors, refugees and their family based at Shalvata - Therapy Centre of jewish Care, Founder of the Holocaust Survival Centre, London - UK ; Massimo IANETTA, Cinéaste, Collaborateur associé, Fondation Auschwitz,Bruxelles - Belgique ; Giuseppe PALEARI, Hauptbibliothekar der Stadtbibliothek der Gemeinde Nova Milanese - Italien ; Roger SIMON, Professor, Department of Curriculum Teaching and Learning - Ontario Institute for Studies in Education - University of Toronto - Canada ; Stephen SMITH, Director,Beth Shalom Holocaust Memorial Centre, Nottinghamshire - UK ; Nina TOUSSAINT,Cinéaste, Collaboratrice associée, Fondation Auschwitz - Belgique ; Alexander VON PLATO,Geschäftführender Direktor des Institut für Geschichte und Biographie der FernUniversität Hagen - Deutschland ; Jacques WALTER, Professeur, Centre de Recherche sur les Médias - Université de Metz - France.

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION - EDITORIAL OFFICE Josette ZARKA (France) ; Yannis THANASSEKOS (Belgique) ; Anne VAN LANDSCHOOT (Belgique) ; Carine BRACKE (Secrétariat Fondation Auschwitz - Belgique).

VENTES ET ABONNEMENTS - SUBSCRIPTIONS AND SINGLE COPIES Editions du Centre d’Etudes et de Documentation Fondation Auschwitz, 65 rue des Tanneurs,1000 Bruxelles - Belgique Tél. : (02) 512 79 98 Fax : (02) 512 58 84 e-mail : [email protected]

Abonnement annuel (2 numéros) - Annual rates (2 issues) : Frais de port inclus / including postage Europe : 30, 49 ¤ - Autres/Others : 1340FB (US $34)

Ce numéro a été coordonné et réalisé par Madame Anne Van Landschoot, Collaboratrice scientifique à la Fondation Auschwitz, Mesdames Carine Bracke et Nadine Praet, Assistantes techniques et administratives - This number have been realized and coordinated by Mrs. Anne Van Landschoot, Scientific Assistant at the Auschwitz Foundation, Mrs. Carine Bracke and Mrs. Nadine Praet, Technical and Administrative Assistants. Les articles publiés dans le Cahier International sur le témoignage audiovisuel n’engagent que la responsabilité des auteurs - The articles published in the International Journal on audio-visual Testimony are under the responsibility of the authors. ISSN = 0772-652X © Centre d’Etudes et de Documentation - Fondation Auschwitz Bruxelles 1999

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ACTES DE LA / PROCEEDINGS OF

Troisième Rencontre Internationale sur le témoignage audiovisuel des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis

Third International Meeting on the audiovisual Testimony of Survivors from Nazi Concentration and Extermination Camps

organisée sous l’Egide de / Under the Aegis of : UNESCO Ministre-Présidente du Gouvernement de la Communauté Française de Belgique Ministre de la Politique Scientifique du Gouvernement Fédéral de Belgique Goethe-Institut Brüssel Centre Simon Wiesenthal - Bureau européen Union des Comités Internationaux des Camps de Concentration Nazis Comité International d’Auschwitz Comité International de Buchenwald-Dora Comité International de Dachau Comité International de Mauthausen Comité International de Natzweiler-Struthof Comité International de Neuengamme Comité International de Ravensbrück Comité International de Sachsenhausen Avec l’Aide de / With the support of : Fonds National de la Recherche Scientifique Ministère de l’Education, de la Recherche et de la Formation de la Communauté Française - Direction Générale de l’Enseignement secondaire Ministère de la Culture et de l’Education Permanente de la Communauté Française Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne Commissariat Général aux Relations Internationales de la Communauté Française de Belgique Ministère des Finances - Loterie Nationale Banque Nationale de Belgique Banque Bruxelles Lambert

BRUXELLES, 11 - 12 - 13 JUIN/JUNE 1998

INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

Sommaire - Contents

Allocutions d’ouverture - Opening Speeches Madame Laurette ONKELINX (p. 11) Ministre-Présidente du Gouvernement de la Communauté Française de Belgique, représentée par Monsieur Simon BOUAZZA Monsieur Yvan YLIEFF (p. 13) Ministre de la Politique Scientifique du Gouvernement Fédéral de Belgique Monsieur Serguei LAZAREV (p. 15) Chef de l’Unité pour la Paix et la Tolérance à l’UNESCO Baron Paul HALTER (p. 17) Président de la Fondation Auschwitz

Présentation des travaux - Presentation of the issue

YANNIS THANASSEKOS Du recueil des témoignages à leur mise en œuvre Rigueur scientifique et exigences éthiques (p. 21)

ANNE VAN LANDSCHOOT (p. 27)

Jeudi 11 juin 1998 - Thursday 11 th June 1998 Exposé des rapports quantitatif et qualitatif sur les témoignages réalisés depuis la Deuxième Rencontre Audiovisuelle Internationale (mai 1996) Quantitative and qualitative Reports about the Testimonies realized since the Second International Audiovisual Meeting (may 1996)

JOANNE RUDOF What next ? Preserving recorded Testimonies for the Future ...... 31

MANETTE MARTIN-CHAUFFIER Septante témoignages Bilans et réflexions ...... 37

MICHEL ROSENFELDT Développement quantitatif et qualitatif de notre programme audiovisuel depuis 1996 ...... 43

— 5 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL

ANITA TARSI On the Israeli Project The Eyewitness, the Interviewer and the Historian ...... 49

IZIDORO BLIKSTEIN Analyse sémiotique et linguistique des témoignages de survivants juifs non-allemands, résidents au Brésil Etude comparative entre les survivants allemands et non-allemands . . . . 53

CATHY GELBIN Concluding Remarks on Potsdam’s «Archive of Memory» ...... 59

NATHAN BEYRAK The Holocaust as seen through the Eyes of Bystanders and Collaborators ...... 65

ANNE VAN LANDSCHOOT D’un témoignage à l’autre : quelles démarches pour quelles réalisations ? ...... 69

DISCUSSION GÉNÉRALE General Discussion ...... 75

Vendredi 12 juin 1998 - Friday 12 th June 1998 Matinée du Samedi 13 juin 1998 - Morning of Saturday 13 th June 1998 Recherches scientifiques et pédagogiques en cours. Propositions sur les orientations à donner aux recherches à venir Scientific and pedagogical research carried out at the moment. Propositions for the orientations of future research

JACQUES WALTER Pour une périodisation des témoignages de survivants à la télévision . . . 91

ROGER SIMON «What Happens When We Press Play ?» Future Research on the Substance and Use of Holocaust Audiovisual Testimony ...... 103

JOANNE RUDOF Present Research and Future Challenges ...... 113

— 6 — INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

LILIANA PICCIOTTO FARGION Expériences et réflexions sur le témoignage audiovisuel en Italie ...... 119

ALBERTA STRAGE Opportunities Lost and Found a Review of the British Experience . . . . 127

HÉLÈNE WALLENBORN Le témoignage audiovisuel et le paradigme en histoire ...... 131

IRIS BERLATZKY Characteristic Features of Child-Survivors Testimonies as They appear in their Narration ...... 139

JOSETTE ZARKA Analyse comparative des réactions à la «pollution mortifère» La mort dans l’âme ...... 147

ANITA TARSI Integration of Oral Testimony in a planned Curricula Two examples ...... 157

JOANNE RUDOF Beyond Research : Education and Popular Culture ...... 161

CARLA GIACOMOZZI GIUSEPPE PALEARI Un sujet d’éducation : les camps Les expériences de deux municipalités italiennes ...... 165

GEOFFREY HARTMAN Survivors Videotestimony Challenges and Limits ...... 169

DENISE VERNAY «Mémoires de la déportation» Un Cédérom sur la déportation partie de France ...... 173

JOSETTE ZARKA Pollution humaine : promiscuité et proximité...... 177

IZIDORO BLIKSTEIN La crédibilité des témoiganges des survivants et le négationnisme au Brésil : le cas des publications de la «Revisão Editoria» ...... 185

RÉGINE WAINTRATER Enjeux et dangers de l’entreprise testimoniale ...... 191

— 7 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL

DISCUSSION GÉNÉRALE General Discussion ...... 199

Après-midi du Samedi 13 juin 1998 Afternoon of Saturday 13 th June 1998 Coordination des travaux et discussions sur le Cahier International. Propositions rédactionnelles et diffusion Coordination of the work and discussions about the International Journal. Propositions concerning the edition and the distribution

YANNIS THANASSEKOS Historisation et rapport existentiel à l’événement Le Cahier International comme «milieu de mémoire» ...... 221

ALBERTA STRAGE Future Possibilities for the International Journal ...... 225

MANETTE MARTIN-CHAUFFIER Quelques thèmes de recherche ouverts par la juxtaposition des divers témoignages de rescapés ...... 227

IZIDORO BLIKSTEIN The thematic Prospectives and the Role of Cahier International for the Development of interdisciplinary Studies of the Testimonies of Nazi concentration and extermination Camps Survivors ...... 231

DISCUSSION GÉNÉRALE General Discussion ...... 233

— 8 — Allocutions d’ouverture Opening Speeches Séance d’ouverture. De gauche à droite/From the left to the right: Monsieur Serguei Lazarev, Chef de l’Unité pour la Paix et la Tolérance à l’UNESCO, Monsieur Simon Bouazza, Représentant Madame la Ministre-Présidente Laurette Onkelinx, Monsieur A.Willy Szafran, Président de séance, Monsieur Yvan Ylieff,Ministre de la Politique Scientifique, Baron Paul Halter, Président de la Fondation Auschwitz.

Séance d’ouverture. De gauche à droite/From the left to the right:Monsieur Yvan Ylieff,Ministre de la Politique Scientifique, le Baron Paul Halter, Président de la Fondation Auschwitz. INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

SIMON BOUAZZA REPRÉSENTANT DE MADAME LAURETTE ONKELINX, Ministre-Présidente du Gouvernement de la Communauté Française de Belgique

Monsieur le Ministre Certains d’entre vous ont peut-être déjà de la Politique scientifique, pris connaissance du vote du décret Monsieur le Président, Suyckerbuyck intervenu hier au Parlement Messieurs les Ambassadeurs, de la Communauté flamande. Monsieur le Directeur, Je tiens, devant cette assemblée, à souligner Mesdames, Messieurs en vos rangs toute la stupéfaction ressentie par Madame et qualités, la Ministre-Présidente à ce propos et à vous Permettez-moi tout d’abord d’excuser l’ab- indiquer qu’elle ne manquera pas de prendre sence de Madame Laurette Onkelinx, toutes les dispositions légales visant à l’an- Ministre-Présidente du Gouvernement de la nulation de ce décret contesté. Communauté française de Belgique, retenue Ce triste épisode nous rappelle l’importan- par des engagements de dernière minute ce du témoignage, thème de cette Troisième auxquels elle n’a pu se soustraire. Rencontre Internationale organisée par la Croyez bien qu’elle aurait souhaité être à vos Fondation Auschwitz. côtés ce matin. Témoigner d’hier pour aujourd’hui, acte Ceci dit, Madame la Ministre-Présidente symbolique dont on éprouve d’autant plus m’a demandé de prononcer ces quelques la nécessité que la bête immonde rôde mots en son nom. encore et toujours.

— 11 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL

Témoigner, c’est opérer une recherche de nable, si ce n’est en élaborant, en tra- sens sur l’indicible. vaillant la réalité, en la mettant en pers- Témoigner, c’est accepter d’être nourri d’ex- pective ? Avec un peu d’artifice, donc. périences qui ne sont pas les nôtres, de res- J’imagine qu’il y aura quantité de témoi- sentir des émotions, d’appréhender des gnages... Ils vaudront ce que vaudra le réalités qui échappent au sens commun dans regard du témoin, son acuité, sa perspi- la mesure où ce vécu est précisément hors du cacité... Et puis il y aura des documents... commun. Plus tard, les historiens recueilleront, ras- Témoigner, c’est bâtir un pont où l’échange sembleront, analyseront les uns et les sera possible, où une parole ordonnée pour- autres : ils en feront des ouvrages savants... ra être construite, où les fissures de l’âme Tout y sera dit, consigné... Tout y sera pourront pudiquement se dévoiler, en attes- vrai... sauf qu’il manquera l’essentielle tent ces propos de Jorge Semprun : vérité, à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra jamais atteindre, «Nous étions en train de nous demander pour parfaite et omnicompréhensive qu’el- comment il faudra raconter pour qu’on le soit... nous comprenne. L’autre genre de compréhension, la véri- C’est une bonne question ; une des bonnes té essentielle de l’expérience, n’est pas questions. Le vrai problème n’est pas de transmissible...» raconter, quelles qu’en soient les difficul- tés. C’est d’écouter... Voudra-t-on écouter Témoigner comme moyen non pas d’al- nos histoires, même si elles sont bien longer la vie, mais de l’enrichir, de bâtir racontées ? même si c’est de manière parfois fragile, Cela veut dire quoi, ‘bien racontées’ ? comme le rappelle le suicide plus de 40 ans s’indigne quelqu’un. Il faut dire les choses après la Libération de Primo Levi, une trêve, comme elles sont, sans artifices ! «la trêve» pour reprendre un autre ouvrage de l’auteur de Si c’est un homme, la trêve C’est une affirmation péremptoire qui où l’on peut enfin reconstruire une société, semble approuvée par la majorité des où l’idée même de lendemain est possible, futurs rapatriés présents. Des futurs nar- une société plus juste, plus fraternelle. rateurs possibles. Le devoir de mémoire nous interdit certes Alors je me pointe, pour dire ce qui me tout abandon mais il nous invite aussi à paraît une évidence. Raconter bien ça veut réfléchir à l’absurde de la mort, en ce qu’el- dire : de façon à être entendu. On n’y le nous permet de donner un sens à notre vie parviendra pas sans un peu d’artifice. et à fonder notre liberté. Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art ! Mais cette évidence ne Par rapport au fascisme d’hier et d’aujour- semble pas convaincante, à entendre les d’hui, c’est au dernier homme, c’est-à-dire à protestations qu’elle suscite. J’essaie de chacun de nous, d’affirmer jusqu’à la dernière préciser ma pensée. La vérité que nous seconde «je ne capitule pas». avons à dire - si tant est que nous en avons Je vous remercie pour votre attention et envie, nombreux sont ceux qui ne l’auront vous souhaite, au nom de Madame la jamais ! - n’est pas aisément crédible... Ministre-Présidente, un excellent travail. Elle est même inimaginable... comment raconter une vérité peu crédible, com- ment susciter l’imagination de l’inimagi-

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YVAN YLIEFF Ministre de la Politique Scientifique du Gouvernement fédéral

Madame la Ministre-Présidente, fiée avec l’édition d’un Cahier International Monsieur le Président sur le témoignage audiovisuel. de la Fondation Auschwitz, Mesdames et Messieurs, Il est évident que dans notre société en plei- ne évolution technologique, les écrits ne Permettez-moi tout d’abord de vous remer- suffisent plus, à eux seuls, à la diffusion mas- cier de votre invitation à assister à l’ouverture sive des preuves que vous recueillez sur de cette Troisième Rencontre Internationale l’atrocité et la barbarie nazie et fasciste. de la Fondation Auschwitz et de me réjouir qu’elle se déroule pour la seconde fois à La recherche scientifique peut, et pourra Bruxelles. plus encore demain, offrir des moyens nou- veaux qui nous aideront à dénoncer les J’y vois la preuve de notre attachement com- thèses odieuses et quelques soi-disant his- mun au douloureux, mais indispensable toriens atteints, semble-t-il, du virus néo-fas- combat que vous menez et que nous sou- ciste et désireux de créer un scandale propice tenons pleinement. à la promotion de leurs productions et à Votre action grandissante et diversifiée pour une douteuse notoriété qu’ils n’auraient su la lutte contre l’horreur et le crime, la honte connaître autrement que par leurs discours et l’oubli, se doit d’être honorée, d’autant blasphématoires. Votre initiative permettra plus que cette année, elle s’est encore ampli- assurément aux étudiants et aux citoyens

— 13 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL

abusés de comprendre l’affreuse réalité des Je pense aux dérives nationalistes, racistes et faits. xénophobes qui conduisent finalement aux Des signaux prometteurs se sont déjà allu- actions génocidaires, aux thèses de «purifi- més : je pense à la repentance de la cation ethnique» et aux agressions territo- République française, par les voix de son riales. Président et de son Premier Ministre, sur Il y a réellement risque aujourd’hui que le régime de Vichy. Il en est d’autres, notam- l’Histoire se répète. ment les enquêtes sur le vol des biens des C’est pourquoi, l’action de votre Fondation Juifs assassinés ou déportés. Le chemin est reste indispensable, tant sur le plan du devoir cependant encore long pour arriver à une de mémoire que sur ceux de l’éducation condamnation unanime et sans réserve des civique et de la défense de nos régimes crimes et des atrocités perpétrés au nom de démocratiques. la race, de la religion ou du sol. Votre action, comme celle du Centre La démocratie court donc, aujourd’hui enco- d’Etudes et de Documentation Guerre et re, de graves périls. Sociétés contemporaines (CEGES) que je Des partis néo-nazis et d’extrême droite, suis fier de pouvoir compter parmi les éta- souvent voisins de nous, ou même chez blissements scientifiques placés sous ma res- nous, voient croître leur clientèle de maniè- ponsabilité, est donc plus que jamais re inquiétante. indispensable. Un chef de parti dont je ne veux prononcer D’autres initiatives, je pense notamment à le nom, n’a-t-il pas, et à plusieurs reprises, l’inauguration, hier matin, d’une salle déclaré que la tragédie des camps de concen- «Résistance et Déportation» au sein du tration et d’extermination n’était qu’un Musée royal de l’Armée et de l’Histoire «détail de l’histoire». militaire sont des moyens nécessaires pour Malgré ces propos monstrueux, cet homme entretenir la mémoire des citoyens, jeunes et est toujours en liberté et continue à faire moins jeunes. des émules. Je vous souhaite donc plein succès pour Le négativisme et le révisionnisme sont donc cette Troisième Rencontre Internationale encore bien présents, quoiqu’en pensent et un courage encore plus fort que celui certains. dont vous avez donné la preuve par le passé. De nouvelles dérives sont en outre à craindre Je vous salue avec l’espoir que nous parta- si la Justice continue, au nom de la liberté geons, j’en suis convaincu, de ne jamais d’opinion, à faire preuve de laxisme à l’égard revoir le passé déteindre sur l’avenir de liber- des tenants de ces thèses. té, de justice et de solidarité que nous vou- lons construire pour les jeunes générations. Par ailleurs, des comportements troubles resurgissent de manière de plus en plus répétée.

— 14 — INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

SERGUEI LAZAREV Chef de l’Unité pour la Paix et la Tolérance UNESCO

Monsieur le Ministre, inouïes et a eu des conséquences désas- Monsieur le Président, treuses pour l’humanité. Cette guerre a été Excellences, le cadre d’une tragédie sans précédent : une Mesdames et Messieurs, entreprise systématique d’extermination totale du peuple juif, ce que l’on appelle la Laissez-moi tout d’abord vous dire la fier- Shoah, en hébreu : la catastrophe. La mémoi- té et le plaisir que j’éprouve à représenter re en reste vive et préoccupe en particulier l’UNESCO à cette Troisième Rencontre tous ceux qui travaillent à une culture de la Internationale sur «l’enregistrement audio- paix pour aujourd’hui et pour demain. visuel des témoignages des rescapés des camps de concentration et d’extermination «Les guerres prenant naissance dans l’es- nazis», organisée par votre Fondation, sous prit des hommes, c’est dans l’esprit des le patronage de l’UNESCO et celui de nom- hommes que doivent être élevées les défenses breux organismes politiques, internationaux de paix». Cette idée partagée par les repré- et privés. sentants des puissances alliées a permis la création de l’UNESCO et constitue son Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis objectif prioritaire. Depuis sa création, il y a la Seconde Guerre mondiale qui a causé plus de cinquante ans - elle est née en 1945, plusieurs dizaines de millions de pertes mais son Acte constitutif n’est entré en humaines, a provoqué des souffrances vigueur qu’en 1946 - notre Organisation se

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propose de contribuer au maintien de la dépend des décisions et des mesures prises paix et de la sécurité par les moyens de l’édu- aujourd’hui. Il incombe aux générations cation, de la science, de la culture et de la présentes de veiller à ce que les besoins et communication, afin d’assurer le respect intérêts des générations futures soient plei- universel de la justice, des droits de l’hom- nement sauvegardés. me et des libertés fondamentales pour tous, Ce devoir de responsabilité des générations sans distinction de race, de sexe, de langue ou présentes consiste autant à préserver l’envi- de religion. ronnement de la planète qu’à assurer la per- Au cours de l’histoire, l’incompréhension pétuation de l’humanité, à protéger le mutuelle des peuples a été toujours a l’ori- génome humain qu’à sauvegarder la biodi- gine des différends entre les nations qui se versité. sont souvent transformés en guerre. Notre C’est en ayant cela à l’esprit que les Etats Organisation s’attache donc à favoriser entre membres de l’UNESCO ont récemment les nations la compréhension mutuelle, le adopté une Déclaration sur les responsabi- dialogue, la tolérance et la connaissance de lités des générations présentes envers les l’autre et, à cette fin, veille à «faciliter la libre générations futures. circulation des idées, par le mot et par l’ima- ge», comme le précise son Acte constitutif. La construction d’un avenir solide pour les générations futures n’est possible qu’avec Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la mémoire. préserver les générations futures du fléau de la guerre est la mission essentielle fixée par Le temps passe, les témoins et les victimes la Charte des Nations Unies. Aujourd’hui, des crimes nazis s’en vont. Mais la mémoi- avec la fin de la guerre froide, on attend de re doit rester et être transmise aux jeunes l’Organisation des Nations Unies qu’elle d’aujourd’hui et de demain. Ils ont le droit déploie une dynamique et des moyens neufs mais également le devoir de savoir ce qui au service de sa mission fondamentale. Pour s’est passé il y a plus de cinquante ans ici remplir celle-ci, il ne s’agit pas seulement même en Europe afin que cela ne se repro- de changer les structures et manifestations duise plus ni ici ni ailleurs. institutionnelles de la guerre, de désarmer, il Témoins et victimes disparaissent, mais la faut aussi changer les systèmes de valeurs, les pellicule, la bande magnétique restent. Les attitudes, les comportements pour construi- technologies du 20e siècle permettent d’en- re, au quotidien, une culture de la paix. Il faut registrer les images et les paroles et de les changer de logique. transmettre dans leur intégralité aux géné- Cette transition d’une culture de la guerre et rations futures. C’est une tâche éducative de la violence vers la culture de paix a été d’une importance capitale. Qui dira les véri- retenue comme objectif prioritaire par la tés sur les camps sinon ceux qui y ont sur- Conférence générale de l’UNESCO en vécu ? Qui pourra décrire avec plus de 1995 : Année des Nations Unies pour la véracité les souffrance et les supplices sinon tolérance. L’UNESCO a également propo- ceux qui les ont subis ? sé que l’an 2000 soit l’Année internationale Les technologies audiovisuelles et vidéo de la culture de la paix, initiative qui a reçu modernes, l’Internet donnent la possibilité le soutien de l’Assemblée générale des de porter le message de mémoire et de véri- Nations Unies. té aux générations futures, et l’UNESCO La création d’un avenir solide fondé sur la vous encourage à suivre ce chemin. culture de paix pour les générations à venir

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BARON PAUL HALTER Président de la Fondation Auschwitz

Madame la Ministre, Vous vous souviendrez que les deux pré- Monsieur le Ministre, cédentes Rencontres ont été coorganisées Monsieur le Représentant en 1994 et 1996 avec nos amis de la de l’UNESCO, Fondation pour la Mémoire de la Messieurs les Représentants Déportation (). Les actes de ces deux des Corps diplomatiques, Rencontres ont été publiés en leurs temps1. Mesdames et Messieurs, Chers Amis, Cette continuité dans le travail mérite d’être soulignée. Grâce aux appuis bienveillants Je tiens à remercier tous ceux qui nous ont que nous accordent les institutions belges, aidé à organiser et à tenir cette Troisième européennes et internationales, nous sommes Rencontre Internationale consacrée à l’en- parvenus avec la petite équipe dont nous registrement audiovisuel des témoignages disposons - petite mais ô combien effica- des rescapés des camps de concentration et ce ! - à mettre sur pied un véritable réseau d’extermination nazis. international des équipes qui se consacrent

1 Maurice CLING et Yannis THANASSEKOS (sous dir.), Ces Visages qui nous parlent/These faces talk to us, Actes de la Rencontre Audiovisuelle Internationale sur le témoignage des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, Bruxelles-Paris, 1994 ; Yannis THANASSEKOS et Anne VAN LANDSCHOOT (sous dir.), Du témoignage audiovisuel/From the audiovisual testimony, Actes de la Deuxième Rencontre Audiovisuelle Internationale, Bruxelles-Paris, 1996.

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à ce travail extraordinaire d’enregistrement quand nous ne serons plus là. Soyez des témoignages des rescapés des camps de rassurés... je ne parle pas ici d’une mission de concentration et d’extermination nazis. surveillance et de contrôle que nous vou- drions exercer sur vos travaux maintenant Vous, les représentants de ces différentes que nous sommes encore là. Je parle de équipes, vous êtes les premiers à apprécier notre volonté de vous faire partager à jamais l’utilité et la portée de ce type de Rencontres. les valeurs positives qui sont les nôtres et qui Et je présume aussi que vous êtes les pre- sont issues de cette expérience extrême et tra- miers à apprécier les efforts de notre gique parmi toutes. Il n’y a pas de science Fondation pour les réaliser dans les sans conscience, a-t-on dit, et c’est vrai. Ici, meilleures conditions tant du point de vue de la conscience est celle des responsabilités la qualité du programme que du point de vue qui nous incombent, individuellement et de l’organisation pratique. collectivement, dans la transmission de cette Quant à nous, anciens déportés, notre satis- connaissance, ô combien complexe, issue faction de vous voir réunis autour de notre de l’expérience historique la plus tragique du vécu et de notre mémoire, est à la mesure de siècle. nos attentes qui sont énormes. Nos rangs Je tiens à remercier ici toute l’équipe de la s’éclaircissent d’année en année et nous Fondation : Anne Van Landschoot, Nadine sommes toujours dans l’angoisse du sort Praet, Carine Bracke, Yasmine Calliauw, que réservera la postérité à l’héritage, au tra- Michel Rosenfeldt, Daniel Weyssow, Martin gique héritage dont nous sommes les por- Schimrick, Christope Pausch, ainsi que son teurs. Cela ne va pas chez nous sans Directeur, Yannis Thanassekos, qui comme inquiétude. Que deviendra notre témoi- d’habitude nous ont préparé un programme gnage dans les mains des spécialistes que de qualité et bien chargé. vous êtes ? Dès lors que nous sommes tou- jours là, nous survivants des camps de Je ne peux donc plus que vous souhaiter concentration et d’extermination nazis, nous du bon travail pour ces trois jours et sans tar- avons comme mission non seulement de der, je passe la parole à Yannis Thanassekos vous livrer notre témoignage et notre et à Anne Van Landschoot qui vont nous mémoire, mais aussi de garantir l’éthique présenter les thématiques de nos assises. qui doit présider à la récolte et au traite- ment scientifique et pédagogique des maté- riaux que vous récoltez. Nous espérons que cette éthique sera aussi la vôtre demain

— 18 — Présentation des travaux Presentation of the issue

— 19 — Séance d’ouverture. De gauche à droite/From the left to the right: Monsieur Robert Steiner, Premier Collaborateur de l’Ambassadeur de Suisse, Monsieur Francesco Corrias,Ambassadeur d’Italie, Monsieur David Olvin,Ambassadeur de Grande-Bretagne, Monsieur Hofstätter,Ambassadeur d’Allemagne.

Vue partielle de l’assemblée/The gathering. INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

YANNIS THANASSEKOS Directeur de la Fondation Auschwitz

Du recueil des témoignages à leur mise en œuvre. Rigueur scientifique et exigences éthiques

En septembre 1994, nous tenions à Paris, stimulations, s’entrecroisent inlassablement. en collaboration avec la Fondation pour la Le tout premier objectif poursuivi était Mémoire de la Déportation, la première donc, tout simplement, de faire connais- Rencontre internationale consacrée au témoi- sance, de nous connaître et nous reconnaître gnage audiovisuel des survivants des camps mutuellement comme autant de partenaires de concentration et d’extermination nazis. d’un vaste projet, d’un projet commun certes L’entreprise était, je l’avoue après coup, quant à ses intentions et motivations, mais périlleuse et aux aléas multiples. Dans ce nécessairement pluriel quant à ses présup- domaine, nous le savons, les enjeux de la posés, sa méthodologie et ses tonalités. mémoire sont tels qu’on pouvait s’attendre Jusqu’alors, le cloisonnement des différentes aux réactions les plus diverses : du scepti- initiatives était, pour ainsi dire, une nécessi- cisme généralisé à la protection jalouse des té. Il a rendu possible notre formation à un données, des craintes d’instrumentalisation type d’enquête relativement nouveau de aux soupçons de colonisation, de la rétention même qu’il a permis l’enracinement de ces documentaire à la préservation des autono- nouvelles pratiques dans des «milieux de mies et des positions laborieusement mémoire» spécifiques et variés. A la longue conquises. Comme dans tant d’autres toutefois, ce même cloisonnement a consti- domaines, ici aussi, dans le domaine mémo- tué une entrave majeure pour l’élargisse- riel, concurrences et émulations, rivalités et ment des horizons de la recherche et un

— 21 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL obstacle pour la diffusion et l’échange de d’un véritable réseau international regrou- nos expériences. Sous ce rapport il n’est pas pant les différentes équipes investies dans étonnant que la première Rencontre de 1994 cette extraordinaire et fascinante aventure. Je fut essentiellement consacrée aux aspects vous rappelle que cette deuxième Rencontre quantitatifs, évaluatifs et illustratifs de notre se clôtura par une sorte de Résolution travail. Mais, par delà ce premier aspect, confiant à la Fondation Auschwitz de cette première Rencontre nous a donné l’oc- Bruxelles la tâche difficile d’explorer les casion aussi de voir - telle fut en tout cas possibilités d’une telle réalisation notam- ma perception toute personnelle - la façon ment à travers la mise sur pied d’un Bureau dont les diverses cultures nationales et locales international de coordination et l’édition orientaient et déterminaient les contenus et d’un Cahier international entièrement consa- les formes de nos projets audiovisuels - et cré à l’étude du témoignage audiovisuel. j’entends par culture aussi bien les tradi- La tenue de cette troisième Rencontre et la tions nationales et locales que l’environne- parution, il y a à peine quelques jours, du ment institutionnel, social, politique et premier numéro du Cahier international, idéologique dans lequel nous opérons. Cette démontrent à suffisance me semble-t-il, que diversité constitue incontestablement une la Fondation Auschwitz a essayé, dans la source de richesse mais aussi un facteur qui mesure de ses possibilités, de satisfaire au amplifie à l’extrême la complexité des maté- mieux le souhait, si ce n’est le mandat, qui lui riaux audiovisuels récoltés. avait été confié il y a deux ans. Et je tiens ici En mai 1996 nous tenions notre deuxième à remercier tous ceux qui nous ont aidés Rencontre internationale sur ce même dans la réalisation de ce double objectif1. thème. Nous nous situions désormais sur un Il serait superflu, je pense, d’insister sur l’uti- terrain suffisamment connu. Les aspects lité d’un tel réseau et sur l’importance d’un quantitatifs et illustratifs qui avaient préva- tel Cahier qui permettront, j’en suis per- lu lors de la première Rencontre ont cédé la suadé, non seulement la circulation d’une place à des communications particulière- information désormais organisée mais aussi ment enrichissantes sur les aspects qualita- la création d’un espace d’argumentation et de tifs et méthodologiques de notre travail. réflexion collective largement interdiscipli- Cette réflexion de fond sur la probléma- naire. tique théorique et méthodologique du témoignage audiovisuel posé comme sour- Il est à noter que la tenue de cette troisième ce documentaire, a scellé, me semble-t-il, Rencontre ainsi que la sortie du premier une nouvelle étape dans le processus de numéro de notre Cahier se situent à un récolte, d’archivage et de consultation des moment crucial ou, pour être plus précis, à matériaux recueillis. Plus encore : compte l’interface de deux périodes : celle vers la tenu de la maturation des divers projets, fin de laquelle nous nous acheminons inexo- cette deuxième Rencontre nous a convain- rablement, à savoir la période de la récolte cus qu’il était désormais souhaitable et pos- des données issues de la mémoire vivante, et sible de jeter les bases de la constitution celle qui s’ouvre désormais devant nous, à

1 la Commission des Communautés européennes ; le Ministère de l’Education, de la Recherche et de la Formation de la Communauté française, Direction Générale de l’Enseignement secondaire ; le Fonds National de la Recherche Scientifique ; le Ministère de la Culture et de l’Education Permanente de la Communauté française ; le Commissiariat Général aux Relations Internationales de la Communauté française ; l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne ; le Ministère des Finances - Loterie Nationale ; la Banque Nationale de Belgique ; la Banque Bruxelles Lambert.

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savoir la période durant laquelle nous incom- taine dispersion n’est pas à exclure. Profitant bera l’immense responsabilité de mettre en de cette troisième Rencontre, il serait peut- oeuvre tant du point de vue scientifique que être utile d’essayer sinon de nous donner pédagogique la grande masse des matériaux quelques priorités du moins de nous pencher audiovisuels recueillis. Tel est du reste l’ob- sur la possibilité d’une hiérarchisation des jectif essentiel de cette Rencontre : réfléchir perspectives de recherche ou, si vous préfé- ensemble sur la nature des tâches que cette rez, sur un possible programme de nouvelle période nous assigne, réfléchir recherches et de publications coordonnées. ensemble sur les grandes orientations du La masse des matériaux audiovisuels récol- travail qui reste à faire afin de donner une vie tés est énorme et nous sommes, tout comp- nouvelle, une vie active dans la durée, à cet te fait, peu nombreux à nous y atteler. On impressionnant stock de mémoire vivante pourrait par exemple imaginer la possibili- mis à notre disposition. Tel est aussi l’objectif té de faire travailler sur une même piste de de notre Cahier qui est appelé à devenir le recherche plusieurs équipes, chacune tra- support collectif de cette entreprise d’en- vaillant sur ses propres matériaux. Une telle vergure. C’est pourquoi, le programme de démarche permettrait en effet non seule- ces trois jours de discussion n’a pas été éta- ment des confrontations méthodologiques bli comme cela se passe habituellement, à utiles mais aussi des études comparatives savoir à partir d’une problématique préala- qui pourraient s’avérer d’un grand apport blement définie par les organisateurs. Nous dans la compréhension des phénomènes avons suivi une toute autre démarche. En étudiés. fait, nous nous sommes limités à vous faire parvenir un cadre très général dans lequel Pour terminer j’aimerais faire deux obser- vous étiez sollicités à inscrire vos propres vations. La première concerne la nature des problématiques issues de vos expériences, pistes et des thèmes de recherche proposés. pratiques et préoccupations spécifiques. En les parcourant aussi bien au niveau du Nous n’avons fait que reprendre ces pro- programme de cette Rencontre qu’au niveau positions en essayant de les organiser aussi du Cahier, je ne peux m’empêcher de for- rationnellement que possible dans le temps muler une première remarque : alors que qui nous est imparti. Nous avons suivi exac- les approches psychologiques, littéraires, tement la même démarche pour la prépara- biographiques, sociologiques, communica- tion et la publication du Cahier international. tionnelles, ethnologiques et sémantiques y Ainsi que vous avez pu le constater, nous sont massivement représentées, celle de l’his- avons publié à la fin de ce premier volume toire - en tant que discipline - brille vrai- l’impressionnante liste des pistes et des ment par son absence. On dirait que la thèmes de recherche que vous nous avez remarquable interdisciplinarité à laquelle fait parvenir, pistes et thèmes qui seront nous oblige la nature même des documents présentés et explorés tout au long de cette et matériaux récoltés s’arrête net aux fron- aventure éditorialiste. tières de la discipline historique. C’est là je pense un constat et un problème qui méri- En parcourant notre programme et la table terait réflexion. Certes, nous sommes ici en des matières du Cahier, on est tout d’abord présence d’un vieux problème méthodolo- frappé par l’ampleur et la grande diversité des gique et épistémologique mais dont les pistes et des thèmes de recherche proposés. termes sont, je pense, depuis longtemps élu- Je dirais même que cette ampleur et cette cidés et largement dépassés. Depuis diversité sont telles que le risque d’une cer- longtemps, rien ne s’oppose plus,

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méthodologiquement parlant - sauf sans cette tragédie collective au coeur du XXe doute de vieux réflexes positivistes et insti- siècle, a eu pour conséquence l’irruption tutionnels - à exploiter ce type de matériaux massive de la mémoire sur l’avant-scène dits «volontaires» d’un point de vue pro- publique. Plus qu’un phénomène objectif, la prement historique. Pourtant, notre pro- mémoire s’est vue attribuée le statut d’une gramme en témoigne à suffisance, peu valeur suprême à l’aube de laquelle on devrait d’entre nous se montrent sensibles à un tel appréhender, comprendre et juger les enjeu, un enjeu majeur pourtant pour l’ave- effroyables trous noirs de notre passé proche. nir de notre documentation audiovisuelle. Je On assista alors à un extraordinaire mou- pense qu’il serait plus que nécessaire d’inclure vement de «mémorialisation de l’histoire». aussi, dans le cadre des recherches que nous Accusant le coup, l’histoire s’est mise, depuis allons programmer, des historiens de métier lors, au travail et, rattrapant le retard pris, elle afin de démontrer concrètement, c’est-à- opéra des avancées non négligeables dans dire empiriquement, la légitimité et la vali- la plupart des domaines que la hardiesse de dité des documents audiovisuels comme la mémoire avait puissamment contribué à source historique incontournable si l’on mettre à nu. Aujourd’hui, plusieurs indices veut vraiment accéder à une compréhen- l’attestent, c’est le retour quelque peu ven- sion élargie des crimes et génocides nazis. Je geur de l’histoire sur des terrains où la ne fais que poser un problème et ouvrir une mémoire se croyait encore détentrice et question. garante de la vérité. Aussi, un mouvement inverse se dessine, celui d’une historisation Cette considération me permet de passer à accélérée de la mémoire. De nombreux his- ma deuxième observation avant de laisser la toriens n’hésitent plus à exprimer à voix parole à ma collègue Anne Van Landschoot. haute ce qu’ils pensaient sans doute depuis Elle concerne une double question, métho- longtemps à voix basse, à savoir qu’ils n’ac- dologique et déontologique, double question cepteraient plus désormais de se sentir «sous qui ne manquera pas d’être notre compagne haute surveillance» dans l’exercice même tout au long du travail qui nous attend. de leur discipline. Ils réclament séance tenan- L’évolution plus que tourmentée des rap- te la fin du règne de la mémoire et le passa- ports entre histoire et mémoire nous a appris, ge prompt à celui de l’histoire. Bref, après le surtout ces dernières années, qu’il nous faut temps de la mémoire et de la commémora- à tout prix éviter de nous enfermer dans le tion, voilà venu, enfin, le temps salutaire de piège mortel d’une fausse alternative : celle l’histoire. Ce n’est certes pas un repli fri- qui nous imposerait en quelque sorte de leux au carré du vieux positivisme - bien choisir entre rigueur scientifique et fidélité à qu’un tel retour ne soit pas tout à fait exclu la mémoire. Or nous savons qu’une certai- - mais c’est sûrement un retour défensif au ne historiographie, notamment en France, socle protecteur de la rigueur historienne n’a pu échapper à ce piège. L’affaire Aubrac sensée faire face à ce qu’on qualifie de plus et le Procès Papon, illustrent, parmi de nom- en plus comme étant les «abus» et les «mys- breux autres incidents, non seulement un tifications» de la mémoire. J’ai parlé tout à malaise croissant au sein de la communau- l’heure de la nouvelle période qui s’ouvre té historienne et chez les témoins, mais aussi devant nous, celle qui nous impose des l’ouverture d’une nouvelle étape des ten- tâches nouvelles du point de vue de la mise sions, des crispations et des conflits renou- en oeuvre scientifique et pédagogique des velés entre mémoire et histoire. Il y a une documents audiovisuels récoltés. Or, cette vingtaine d’années la difficulté d’assumer nouvelle période est, pour les historiens,

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celle précisément du passage de la mémoire eux ont la désagréable impression que nous à l’histoire, c’est-à-dire, celle d’un dépasse- les érigeons en «objets» d’étude et que nous ment progressif de la mémoire au profit disséquons leurs «dépositions» selon des d’une historisation en profondeur des phé- méthodes et des règles largement extérieures nomènes qui nous préoccupent. Nous à leurs intentions premières. C’est là une sommes, avec retardement, au centre du objection qui doit retenir toute notre atten- débat qu’avait déclenché, il y a plus de dix tion, tant du point de vue de la forme que du ans maintenant, le plaidoyer Pour une his- contenu même de notre démarche. Il est torisation du IIIe Reich de l’historien alle- vrai en effet que, lorsque les résultats de ce mand Martin Broszat. Du point de vue de la type d’enquêtes entrent dans le circuit de discipline historique, ce fut l’historien Saul la discussion et de la diffusion scientifiques, Friedländer qui s’était alors chargé de don- ils requièrent par là une certaine autono- ner la réplique. Aujourd’hui, c’est à nous, mie dont l’exercice est susceptible, dans bien héritiers de la mémoire, à qui revient l’obli- des cas, de heurter la sensibilité des acteurs- gation de donner la réplique mais, cette fois- témoins. L’analyse et l’interprétation de leurs ci, du point de vue de la mémoire. Les pistes témoignages risquent ainsi de leur appa- et les thèmes de recherche tels qu’ils se pro- raître comme un «corps» étranger, artifi- filent à travers nos Rencontres et les contri- ciellement greffé à leurs préoccupations et butions du Cahier, démontrent à suffisance attentes. C’est un problème majeur qui doit me semble-t-il, que la mémoire peut par- faire l’objet d’une discussion suivie avec les faitement s’émanciper du traquenard que rescapés eux-mêmes pour éviter tout mal- lui tendent la gesticulation rituelle et les ins- entendu et toute ambiguïté. La vérité comme trumentalisations identitaires pour accéder partage constitue, nous semble-t-il, le pivot au statut d’un objet d’étude à part entière sus- même de la relation qui préside à la réalisa- ceptible d’être traité avec toute la rigueur tion de nos entretiens audiovisuels. Il faut qu’exige la démarche scientifique et ce, dans qu’on puisse honorer ce «contrat de vérité» un grand nombre de disciplines. En tout jusqu’aux limites extrêmes de nos analyses état de cause, il est nécessaire de rappeler, je et interprétations. Nous touchons ici à des pense, aussi bien aux historiens qu’aux spé- problèmes de déontologie et d’éthique scien- cialistes d’autres disciplines qui voudraient tifiques qui doivent baliser avec rigueur les bien se pencher sur nos questions, que les chemins complexes de notre entreprise. Car, garde-fous habituels de la rigueur scientifique si nous ne parvenons pas à établir solidement n’ont jamais été suffisants pour nous immu- un juste équilibre entre les exigences de la niser contre toutes sortes de dérives, par- rigueur scientifique et celles de l’éthique, il fois les plus inattendues. Maintes y aura lieu de craindre le pire dans les deux controverses historiographiques l’attestent sphères : retraumatiser le survivant en lui à suffisance. faisant revivre la dépossession subie par l’ex- périence concentrationnaire d’une part et, de Sous ce rapport, nous devons être particu- l’autre, côté chercheur, inhiber ses légitimes lièrement attentifs à une question qui pré- intérêts heuristiques en culpabilisant toute occupe grandement nombre de survivants tentative d’interprétation. Cette remarque relativement à notre travail. En effet, très doit être prise d’autant plus en considération souvent, ceux-ci s’inquiètent de «l’avenir» du que nous nous situons au seuil d’une impor- document-témoignage qu’ils nous ont confié tante mutation du contexte interprétatif, dans une relation, il est vrai, fortement mar- mutation prévisible et souhaitable du reste. quée d’intersubjectivité. Certains d’entre En effet, les chercheurs qui se sont aventu-

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rés jusqu’ici dans le délicat et difficile travail point le cas pour beaucoup d’entre eux d’analyse et d’interprétation des témoignages aujourd’hui, mais il y aurait lieu d’être moins audiovisuels étaient, en règle générale, ceux- optimiste pour l’avenir et ceci «non pas sous là mêmes qui avaient été activement et direc- l’empire d’un désir conscient de rejeter l’hor- tement impliqués dans le processus de reur du passé, mais parce que l’esprit humain, production du témoignage lui-même. Bien selon une inclination qui n’a rien à voir avec que leur travail n’était nullement exempt les circonstances nationales, préfère s’arrêter de la double tension que je viens d’évoquer, à ce qui est normal plutôt qu’à ce qui est ils étaient néanmoins mieux «équipés» pour anormal, à ce qui est compréhensible plutôt l’affronter dans la mesure précisément où ils qu’à ce qui est opaque, à ce qui est compa- étaient, en tant qu’interviewers, des co-pro- rable plutôt qu’à ce qui défie toute compa- ducteurs du récit et donc du sens. Or, dans raison, à ce qui est supportable plutôt qu’à la période qui s’ouvre devant nous, ce ce qui est intolérable»3. Je pense à sa suite que contexte interprétatif est appelé à changer. En ce nouveau contexte interprétatif sera peut- effet, ceux qui, dans les prochaines années, être gros en promesses mais aussi plein vont entreprendre des recherches systéma- d’écueils. Relativement à ce qui nous pré- tiques sur les documents audiovisuels accu- occupe - à savoir le travail sur les témoi- mulés seront, dans leur majorité, des gnages, notamment audiovisuels - il va de soi chercheurs extérieurs au processus testi- que côté «inhibitions interprétatives», cette monial et par conséquent extérieurs au pro- génération de chercheurs sera sans doute cessus de production du récit en tant que mieux placée que nous pour scruter les traces sens. Dans l’une de ses lettres à Martin de la mémoire mais le bénéfice de cette «dis- Broszat, Saul Friedländer évoque cette tanciation» peut devenir aussi source de inquiétude relative à l’attitude qu’adoptera dérives, voire d’abus. Et le plus effroyable des dans quelques années le groupe d’âge de abus serait celui qui confirmerait, post mor- chercheurs dont la relation existentielle avec tem, la peur et les angoisses de tous ceux l’événement sera fortement émoussée, voire qui nous ont si généreusement confié leur inexistante : «Ce qui est déterminant, c’est parole, à savoir savoir celles d’une postérité l’attitude adoptée à l’égard de la même pério- capable, y compris parée de ses habits scien- de par les groupes d’âge qui suivent le nôtre tifiques, de leur infliger une deuxième mort. [...]. Les historiens que comportent ces groupes franchissent-ils la ligne qui sépare une perspective déterminée existentielle- ment et un point de vue scientifique déta- ché ?»2. Certes, selon Friedländer, ce n’est

2 M. BROSZAT/S. FRIEDLÄNDER, «De l’historisation du national-socialisme. Echange de lettres», Lettre du 31.12.87, Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n° 24, avril-septembre 1990, p. 80. 3 ibid., pp. 85-86.

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ANNE VAN LANDSCHOOT Collaboratrice scientifique à la Fondation Auschwitz

Comme vous l’aurez constaté à la lecture du cette Troisième Rencontre sera donc consa- programme de cette Troisième Rencontre crée à la mise en commun de nos proposi- Internationale, les travaux qui seront pré- tions et réflexions sur les recherches sentés ici s’articuleront autour de trois thé- scientifiques et pédagogiques qui ont été matiques principales : la première portera menées et celles qui sont en cours de réali- sur l’évolution quantitative et qualitative sation ou qui sont encore à l’état de projet. des témoignages réalisés depuis notre Deuxième Rencontre en 1996 ; la deuxième Mais si une telle orientation semble effecti- s’attachera à nous présenter les résultats des vement s’imposer aux travaux qui se dérou- recherches entreprises sur ces témoignages leront durant ces trois jours, notre Rencontre ainsi que les orientations à donner aux développera d’autres aspects de notre travail recherches à venir qui y seront consacrées ; sur les témoignages qui ne peuvent, pen- la troisième thématique développera les sons-nous, échapper aux réflexions qui divers aspect de la coordination de nos tra- seront menées ici. Il s’agit tout d’abord de la vaux au niveau international, au moyen mise en commun de nos réalisations en notamment du Cahier International sur le matière de recueil, d’archivage et de diffusion témoignage audiovisuel. des témoignages : combien d’enregistre- ments ont été réalisés jusqu’ici ? Quels sont Comme Yannis Thanassekos nous l’a déjà les problèmes méthodologiques rencontrés suggéré lors de son présent exposé, le point quant à la réalisation de ces enregistrements, central de cette Rencontre se situe, nous leur conservation, leur accessibilité ? ... Il semble-t-il, dans l’élaboration d’une réflexion s’agit ensuite de notre échange de vues et de commune sur les orientations à donner aux suggestions sur la coordination de nos tra- recherches à venir sur le témoignage audio- vaux au niveau international : que penser visuel des rescapés. Une part importante de de l’édition du Cahier International ?

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Comment concevoir la programmation des affirmons finalement notre tâtonnement prochains numéros ? Comment envisager dans ce domaine. Comment définir le travail une collaboration plus concrète de nos que nous avons effectué jusqu’ici sans, par équipes au niveau international ? exemple, émettre quelque doute à l’égard du devenir matériel des témoignages réali- Certes, ces questions ont déjà fait l’objet de sés ? Comment qualifier notre travail alors maintes discussions lors des deux précé- même que nous sommes pour la plupart dentes Rencontres et peut-être semblera-t- en proie à maintes hésitations lorsqu’il s’agit il dérisoire, voire inutile, de revenir sur des de déterminer, entre autres, la juste place de questions dont nous savons que la résolution nos interviewers dans les nos enregistre- pose problème. Comment, en effet, traiter de ments ? Comment prétendre à une coor- la conservation des enregistrements réali- dination internationale efficace de nos sés sans répéter inlassablement les mêmes travaux alors que certaines équipes cher- questions de coûts financiers et de longévi- chent encore à structurer leur propre travail té technique, indépendants finalement de et à lui donner cohérence ? notre volonté ? Comment envisager la coor- dination de nos travaux sans éviter d’être C’est à croire que cette série d’hésitations, confrontés aux problèmes récurrents de d’errements et de piétinements fait partie méthodologies distinctes, d’objectifs diver- intégrante de notre travail... Et si la grande gents, ... qui, même s’ils font toute la riches- richesse des enregistrements que nous réa- se de nos Rencontres, cristallisent parfois lisons se situe incontestablement dans la nos discussions ? fixation des récits des expériences de la cri- minalité nazie par ceux qui l’ont vécue, ces Il nous a cependant paru opportun et impor- témoignages peuvent également représenter tant de s’attarder à nouveau à ces questions, pour nous un instrument de travail extra- de suivre l’évolution qu’elles ont connue ordinaire dans la mesure où ils fixent préci- depuis nos deux précédentes Rencontres, sément nos propres incertitudes via la vidéo. non pas tant pour qu’elles trouvent ici enfin Outre le récit de vie du rescapé qui se livre une solution - ce qui serait probablement à son interlocuteur et au spectateur, l’enre- illusoire - mais pour qu’elles (re)surgissent, gistrement vidéo permet en effet également s’expriment, se posent, sous la forme d’un de préserver nos attitudes vis-à-vis du nouveau partage de nos expériences. Car témoin, les relations que nous entretenons c’est sans doute par l’expression même des avec celui-ci, les mouvements de la caméra problèmes que nous rencontrons dans notre qui se cherche, nos objectifs et démarches travail, la répétition de leur formulation, méthodologiques, ... tout ce qui finalement leur (re)mise en questions et leur mise en construit, avec le récit du rescapé, le témoi- commun - indépendamment des solutions gnage1. Aussi sommes-nous sans cesse qui pourraient y être apportées - que nous confrontés à l’évolution de notre travail, ce gardons conscience que ce que nous pro- qui constitue, je pense, un privilège métho- duisons lorsque nous réalisons des témoi- dologique extraordinaire que nous nous gnages n’est ni chose acquise ni cause devons d’exploiter. gagnée : en formulant les problèmes qui sont liés à l’enregistrement et au traitement de ces témoignages, en les répétant, nous

1 Voir notamment James YOUNG, «Les témoignages audiovisuels de l’Holocauste : Rendre à l’histoire les visages de la mémoire», Cahier International. Etudes sur le témoignage audiovisuel des victimes des crimes et génocides nazis, n°1, Bruxelles, juin 1998, pp. 83-102.

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Exposé des rapports quantitatif et qualitatif sur les témoignages réalisés depuis la Deuxième Rencontre Audiovisuelle Internationale (mai 1996) Quantitative and qualitative Reports about the Testimonies realized since the Second International Audiovisual Meeting (may 1996)

Président : Professeur Dr. A. Willy SZAFRAN Service de Psychiatrie - A.Z. - Vrije Universiteit Brussel De gauche à droite/From the left to the right:Monsieur Daniel Wildman,Historien et observateur suisse, Madame Cathy Gelbin, Dr. M.A. (Moses Mendelssohn Zentrum).

De gauche à droite/From the left to the right:Madame Josette Zarka, Professeur Emérite de psychologie (Université de Paris X), Madame Joanne Rudof,Archiviste (Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies). INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

JOANNE RUDOF Archivist Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Yale University - U.S.A.

What next ? Preserving recorded Testimonies for the Future

The Fortunoff Video Archive for Holocaust At the present, few of our affiliates are still Testimonies began recording the video tes- actively taping. We continue to record tes- timonies of survivors, rescuers, liberators, timonies at Yale, though on a greatly reduced partisans, resistants, bystanders, refugees level than we did two years ago, which is and escapees from Nazism and those in simply a function of diminishing demand. hiding in 1979. We have amassed a collection We record the testimonies of any witness of almost 4,000 witness accounts, approxi- who contacts us, as we have in the past. We mately 10,000 hours. Of those, 341 have do not have an outreach program of any been recorded by Yale or accessioned into kind : witnesses contact us or are referred to our collection since May 1996, the date we us. At present we are recording less than last reported to this gathering. I have to one fourth the number of testimonies a year point out to this group, as I did in May of than we had been prior to 1996. 1996, that we are now or have been for- The affiliate projects which are still actively mally affiliated with thirty-seven organiza- taping are the following : the Milan Simecka tions in North America, South America, Foundation in Bratislava, Slovakia ; Europe and Israel. Additionally, in part- Fondation Auschwitz in Brussels ; on a nership with the United States Holocaust minimal basis, Moses Mendelssohn Zentrum Memorial Museum we have had taping pro- in Berlin ; Ramapo College in Mahwah, jects in Israel and eastern Europe. New Jersey ; Stockton State University in

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New Jersey ; and the Holocaust Resource projects keep a copy of the testimonies they Center of the North Shore, Peabody, record for local use. Some examples are the Massachusetts. Since May 1996 we have availability of the testimonies recorded in continued our taping project in partnership London in the National Sound Archives, with the United States Holocaust Memorial those in Paris in the National Archives, in Museum in Israel, coordinated by Nathan Berlin in the Wansee House Museum, in Beyrak who will report details of that work Baltimore in the Meyerhoff Library of the to you. The 341 testimonies accessioned in Baltimore Hebrew University, and so on. I the past two years are from Slovakia, visited our affiliate project in Bratislava this Yugoslavia, the Czech Republic, Germany, past February to attend a book publication Israel, Ramapo College, Chicago, Brussels, party. This event was unexpectedly, incred- and France. ibly meaningful to me. One of the project’s interviewers, Peter Salner, wrote a book I think it is important to recap some of our based on the testimonies which was pub- other major projects to provide a sense of the lished by a major academic press in Slovakia. scope of our collection. We have accessioned The party was attended by many survivors, just under 600 testimonies recorded by the both those whose testimonies had been Museum of Jewish Heritage-A Memorial to recorded and those who had chosen not to the Holocaust, our affiliate project in New participate, as well as most of the inter- York City. While they are no longer active- viewers, the foundation staff and university ly videotaping, I am pleased to inform you faculty who were colleagues of those that the central parts of the exhibits in the involved in the project. There were several recently opened museum are testimony hundred people as well as the television and excerpts. Other major taping projects include press reporters. I cannot begin to tell you 107 testimonies from the British Video how important this event was, particularly Archive for Holocaust Testimonies ; 136 for the survivors. I witnessed how the tes- from the Témoignages pour Mémoire our timony project and the resulting book legit- antenne in Paris ; 51 from the Moses imated and validated their experiences. I Mendelssohn Zentrum in Berlin ; 42 from was so moved by their thanks, when I the Milan Simecka Foundation in Bratislava ; believe we can never thank them enough 90 from Vancouver, British Columbia, for what they have shared with us. This Canada ; 143 from Baltimore ; 113 from local effect will probably not be measured or Ramapo ; 22 from Argentina ; 13 recorded recorded outside of that room, outside of the in Bolivia ; and hundreds more from our personal sense of those survivors, in a former many other affiliated projects. We have been Soviet bloc country, finally receiving some recording in Israel since 1980. 75 testimonies recognition, both collective and individual of were recorded in the early 1980’s with Beth what they had experienced. I was both Hatefusoth ; 203 which we have processed embarrassed and humbled by their grati- (there are many more) recorded in partner- tude, and very proud of having, in a very ship with the United States Holocaust small way, participated in this project. Memorial Museum. As part of the same partnership, we have recorded 25 testimonies in Poland, 32 in Belarus, and 42 in Ukraine. I will not repeat here the information I pro- vided two years ago concerning our method- The communitarian aspect of our affiliate ology, since it is available in the published projects has been a cornerstone of our work form of that conference. What I do want to from the very beginning. All of our affiliate report may seem only tangentially related to

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today’s topic. However, if we do not discuss professional meetings such as the Society it, there will be no testimonies about which of American Archivists, professional litera- to report in future years. I want to first dis- ture, and routine contact with Yale librari- qualify myself as a technical expert, although ans who were dealing with preservation I am going to speak to you about a techni- issues everyday, quickly provided me with cal topic. an understanding and caused me to become alarmed. My crash education brought me the I also want to thank Chris Burns, the Video realization that our offices were a terrible Archive manager, for compiling and writing place for videotapes - room air conditioners, some of the information contained herein. I uncontrolled heat during the winter, open am not here as a doomsayer, but I do want windows, lack of humidity control, carpet- you each to go home reasonably worried ing, wooden shelving - all of which are list- and concerned about the long term viabili- ed as undesirable elements for videotape ty of your collections, at least worried storage. It was not a total disaster since all of enough to begin informing yourselves from the masters were in temperature and humid- the preservation literature and/or to con- ity controlled vaults ; however, the duplicates sult with preservation experts. and VHS use copies were all in the Video We knew many years ago that videotape is Archive offices. We quickly moved all of an ephemeral medium. This is not a secret, our duplicating masters to another vault but it is not often discussed. However, it is area, significantly prolonging their longevity. recognized within the community of When we began recording in 1979, U-Matic archivists and technicians concerned with or 3/4’’ videotape was the industry stan- longevity. In the United States, the National dard, the workhorse of the industry with the Archive’s Commission on Preservation and largest machine population. More than sev- Access and many professional groups such enty-five per cent of our collection was as the Association of Moving Image recorded on this format. By the early 1990’s, Archivists, the Society of American it was becoming clear that this was soon Archivists and others have been seriously going to be obsolete. It is vital to under- discussing and writing about videotape stand that even if the recorded materials are preservation for well over twenty years. in outstanding condition, if there are no Even the popular press occasionally sounds machines on which to play them, all is lost. a warning. I have seen articles in the New As the playback equipment becomes increas- York Times1 and even our own local press2. ingly unavailable, technicians no longer When we began recording witness testi- know how to deal with it, and repair of the monies, no one seemed concerned about machines becomes difficult, if not impossi- preservation. Everyone was too excited ble, since replacement parts are no longer about the new technology which allowed the available from manufacturers. It is neither inception of such projects. When I came to realistic nor cost effective for every archive the Video Archive at Yale some fourteen to stockpile enough obsolete machines for years ago, they were taking the standard both playback use and to bastardize for precaution of duplicating every testimony. repair parts. The newer formats, Betacam SP As a historian, I had not thought about in particular, were being embraced by more preservation issues before. Attendance at and more commercial television stations.

1 Laurence M. FISCHER, «Memories Linger but the Tapes Fade», New York Times, November 28, 1993, p. F 9. 2 Wallace IMMEN, «Jury still out on life of videotapes», New Haven Register, December 18, 1993, p. 32.

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This much improved format was signifi- article notes the headlong, world wide rush cantly more expensive than the older U- to digitize everything but warns that «up to Matic. By the mid-nineties, the price had 20% of the information carefully collected come down to a reasonable level. Yale on Jet Propulsion Laboratory computers bought Betacam SP recording equipment during NASA’s 1976 Viking mission to in 1995, and has used it for all of our testi- Mars has been lost.» POW, MIA records monies recorded since that time. This, how- and casualty counts from the Viet Nam war ever, is not «the» answer, since we know it on Defense Department Computers, and too will become obsolete in time. almost 3,000 computer files of student records at Pennsylvania States University What is of great concern is the incredible and «[...] are no longer accessible because of rapid proliferation of new and improved missing or outmoded software»4. formats. While U-Matic was standard for about fifteen years, experts estimate the The article goes on to point out the three newer technologies will only be standard issues which I have begun to discuss here for about five years. What next ? DVD - today : physical deterioration ; technical Digital video disc ? D2 ? D3 ? Digital Beta ? obsolescence ; and the lack of industry stan- And what will be the impact of : HDTV - dards. I find it ironic that one of the new high definition television ? We simply do technologies mentioned in the article is the not know. What preservation experts do permanent storage of historical documents know is that right now, there is no one solu- by converting them from digital back to tion, no panacea, no magic pill. And woe to analog recording formats. An equally impor- those who claim that digitization is the solu- tant and complex issue when dealing with tion. Video producers and manufacturers digitizing video is that of compression. are concerned with the here and now, not I do want to mention the physical environ- with longevity. The very small community ment in which the tapes are stored. The of archivists and preservationists have little Business Week piece I previously mentioned power in the marketplace compared to the notes «under less-than-optimal storage con- vast number of consumers, so there is little ditions, digital tapes and disks, including or no new product development concerned CD-ROMS and optical drives, might dete- with preservation. The professional literature riorate about as fast as newsprint - in 5 to 10 is filled with disaster stories and warnings years. [...] Experts are beginning to realize about digital technology at the present time. that stray magnetic fields, oxidation, humid- There is no industry standard. There is no ity and material decay can quickly erase the one product that has enough of a machine information stored on them»5. I am very population. Seldom is this topic even dis- pleased to report to you that we have begun cussed outside of the very small communi- our preparations to move all of our masters, ty of archivists or preservationists. our restoration masters, and our original I was recently encouraged to see an article in duplicates to a new Yale shelving facility. Business Week, «Data Storage : From Digits As I mentioned previously, these are present- to Dust»3. I encourage you to read the entire ly stored in temperature and humidity con- piece, just to begin your education. The trolled vaults - about 68 degrees Fahrenheit

3 Marcia STEPANEK, «Data Storage : From Digits to Dust», Business Week, April 20, 1998, p. 128. 4 Ibid. 5 Ibid.

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and 50% humidity. The new facility will with essential data for future preservation be much closer to optimum conditions : 50 planning. The intended result is to provide degrees Fahrenheit, 35 per cent humidity, Betacam SP copies which look as much as with particulate air filtration. We are present- possible like the originals rather than like a ly bar coding all of our cassettes and cassette current recording. Altering the appearance cases to prepare for the move to this new of an archival master destroys or obfuscates facility. important information about the circum- stances of the original recording. Copies All of this is only the tip of the iceberg, in made for video productions, documentaries, terms of preservation issues, but it is an ice- CD-ROM or other uses can always use berg about which we all must become appropriate enhancements, while the orig- expert, or, to use a metaphor from this year’s inal historical record is maintained intact. popular American movies, our priceless his- We are convinced that enhancement tech- torical collections will end up like the nologies will improve with time and there is «Titanic». We at Yale have just completed the no reason to commit our master tapes to first phase of a major preservation project. current technologies in an era when the We have restored and reformatted more options are changing so rapidly. Restoration than 1,000 cassettes during the last six is a cautious approach guided by a conser- months, all of those testimonies which we vative philosophy. We believe it is the only recorded from 1979 through 1987. We have appropriate way to safeguard the signifi- also begun to do the same for some of the cant value of our collection. testimonies recorded by our affiliate projects. It is a costly process, both in terms of dollars and cents and staff time. My message today is a challenge. What we all have done already is extraordinary. Many I emphasize the importance of the restora- of us have been recording survivors and tion aspect of the process. It would be total- witness accounts of the Holocaust for almost ly inadequate to simply try to copy the twenty years. However, we would be remiss tapes onto Betacam SP. Duplication is a if we do not go on to assure that this work strategy of mass production : transferring all will not disappear due to less than ideal the tapes to a new format as quickly as pos- storage conditions or technical obsoles- sible to try to make the copies look as good cence. We committed ourselves to video in as possible by today’s standards. Restoration 1979. It would be irresponsible not to pre- is the approach of an art conservationist : serve that aspect of our work. Transcripts of examining each tape, cleaning it, duplicating the videos are a totally inadequate answer. it so it will look and sound the way it did They do not preserve the faces, the body lan- when originally recorded. We have con- guage, the tone of voice, the hesitations, the tracted with a restoration company which silences, all of which entirely change the carefully assesses the condition of every meaning of the mere words captured in a cassette, cleans the masters using non-inva- transcript. While these words do contain sive processes, configures the playback decks important information, the intimacy, the to provide optimal outcome, and electron- sense of getting to know someone, the per- ically improves the signal without altering sonal encounter are vital components of the the original look and sound. As essential video testimonies which can never be cap- element of their work is that they docu- tured in the written format. Those of us ment every step of the process in a condition who have seen the impact of the testimonies report for every cassette which provides us on researchers, on students, on general

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audiences well realize that we have the lenge seriously. However, we cannot do it potential to powerfully influence many gen- alone ; we need the help of everyone else erations to come, but only if we meet this who is doing this work. I urge you to take preservation challenge. Preservation is not this responsibility seriously now, because «sexy». It is hard work and it costs a great if you wait, it may be too late. deal of money. We found that donors were more than willing to help fund our preser- vation project when the grave consequences of not doing this work was explained. We at Yale’s Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies have taken this chal-

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MANETTE MARTIN-CHAUFFIER Présidente de la Commission Audiovisuelle Fondation pour la Mémoire de la Déportation - France

Septante témoignages Bilans et réflexions

Pour commencer, il convient de rappeler le (d’après le Comité d’Histoire de la principe même de la vidéothèque «Mémoire Deuxième guerre mondiale) : Vivante» que la Fondation pour la Mémoire • ceux qui ont été de la Déportation a adopté en 1992. pris dans une rafle, environ 9.000 Son ambition première était d’aborder dans arrêtés sans motif sa diversité le plus grand nombre possible des • ceux qui ont été aspects de la Déportation partie de France : arrêtés pour des environ 8.000 déportation de persécution avec un but, la raisons politiques solution finale, et déportation de répression (dont des communistes) qui visait surtout les résistants. • les juifs non résistants, environ 76.000 Depuis la fin de la guerre, le nombre des déportés parce (dont 50.000 déportés partis de France a fait l’objet d’af- qu’ils étaient juifs étrangers) firmations très fantaisistes et il a paru indis- • les détenus de droit pensable de faire des recherches sérieuses. On commun environ 1.000 n’aura jamais qu’une approximation car les • les Résistants parmi Allemands ont tout fait pour détruire les lesquels également preuves de leur forfait. Cependant, à force de des juifs et des environ 42.000 recherches, on peut désormais cerner la communistes question. • pour des raisons Parmi les déportés on peut distinguer : indéterminées environ 5.000

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On considère actuellement deux grandes retenus et de consacrer à cette vidéothèque catégories de déportés : de vrais moyens financiers et professionnels. • les juifs de France Pour la compléter et recueillir le plus grand non résistants, arrêtés nombre possible de témoignages qui ne parce qu’ils étaient pouvaient être retenus dans le projet lourd juifs dont seulement environ 76.000 «mémoire vivante», fut décidée la réalisa- 2.500 environ sont tion d’une simple et légère audiothèque. revenus (déportés de Lancée par Maurice Cling et réalisée d’une persécution) manière totalement décentralisée par les • les autres, sans associations territoriales de déportés sur distinction des raisons tout le territoire français, cette audiothèque qui les ont fait arrêter a déjà retenu quarante-neuf témoignages dont environ 35.000 environ 65.000 sonores. sont revenus (déportés Mais revenons à la vidéothèque. de répression) Chaque témoignage filmé est un récit per- Deux grandes catégories qui comportent sonnel tourné en continuité, réalisé de la en réalité bien des «mémoires» : nationales, manière la plus simple et selon le principe de étrangères, patriotiques, résistantes, juives, la non-directivité, de manière à laisser au antifascistes, d’otages, etc. témoin la plus grande liberté d’expression. Le témoin qui est toujours filmé chez lui, dans Répondre avec seulement le témoignage des son cadre personnel, est prié avant l’entretien survivants d’aujourd’hui est en réalité une de ne rapporter que des faits qu’il a vécus lui- vraie gageure : je crois qu’il faut bien obser- même, les souvenirs qui lui sont propres. ver que les déportés étaient issus de tous les Il parle comme il se souvient. Il a en face de milieux, qu’ils représentaient tous les âges, lui non pas un historien ou un journaliste qu’ils appartenaient à des catégories très dif- tenté de poser des questions pour obtenir les férentes, que leurs motivations étaient très réponses qu’il connaît, mais un bon pro- diversifiées, et que par ailleurs, cinquante fessionnel de l’audiovisuel qui se doit d’in- ans après, nous n’avons comme choix que tervenir aussi peu que possible dans la ceux qui avaient 20 ans à l’époque. En pre- conduite de l’entretien. De nombreux plans nant en compte également que les rescapés fixes. Tous les effets évités. des camps de concentration sont souvent ceux qui ont bénéficié du privilège d’être Le cadre est chronologique. employés dans des services intérieurs au camp : cuisine, infirmerie, bureaux, entretien Il a été décidé de suivre chaque destin indi- des locaux, plomberie, électricité, etc. et que viduel dans sa globalité. La partie antérieu- ceux qui partaient travailler dans les kom- re à la déportation - enfance, milieu familial mandos extérieurs étaient plus exposés, c’est et social, convictions, études, vie active - est parmi eux que la mortalité a été la plus forte. partie intégrante de chaque itinéraire. La déportation reste évidemment le coeur du Notre première ambition confrontée à un propos : arrestation, internement, trajet, arri- indispensable réalisme a donc été forcément vée en camp, vie quotidienne, transferts réduite et nous avons décidé de recueillir divers, marches de la mort, libération. Mais au moins cent témoignages avec l’exigence le retour, l’après-déportation ne sont pas absolue de diversifier le plus possible les cas négligés non plus. La part dévolue, à chacune

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de ces séquences reste évidemment à la libre tères à retenir, des 4.500 noms qui avaient été appréciation du témoin. occultés, on en arriva à 256 fiches. Il ne s’agit en aucun cas de faire une émission Le groupe des cinq déportés fut alors char- de télévision, mais plutôt de recueillir des gé d’aboutir à une réduction drastique : de archives brutes enregistrées selon le temps 256 fiches passer à 120 noms (pour tenir choisi par le témoin : en général de six à compte du fait que notre vidéothèque se huit heures recueillies sur deux ou trois réalisant sur plusieurs années, il fallait mal- jours de tournage. heureusement prévoir des maladies et des Les rushes - c’est-à-dire les enregistrements décès) ce qui, en fait, laissait le choix d’un bruts - sont conservés dans leur intégralité et déporté sur deux. seront éventuellement accessibles aux cher- A une première liste de 53 noms qui fut cheurs qui voudraient à un certain moment d’abord retenue par la commission unanime, vérifier sur le matériel complet et intact telle fut ajoutée une seconde liste de 67 noms, dis- ou telle réaction du témoin. cutée, elle, fiche par fiche : il s’agissait d’as- Pour rendre les témoignages plus aisément surer un certain équilibre entre tous les lisibles, un léger toilettage est effectué sur la paramètres retenus : sexe, profession, date et copie et sur la copie seulement : il s’agit tout lieu d’arrestation, organisation d’apparte- au plus de supprimer les temps morts non nance, circonstances d’arrestation (rafle, signifiants, les redites, les hésitations, les fins dénonciation, otage, droit commun, objec- de bobines et les interventions du réalisateur teur, homosexuel), internement, camp prin- si cela est possible. Supprimer aussi, quand cipal, kommando, otage, type de déportation le témoin le demande, certains éléments de (N.N, juif résistant, tzigane, expériences son témoignage qu’il ne souhaite pas rendre particulières, chambre à gaz, plusieurs camps, immédiatement accessible, ce qui se pro- prison, médecin, résistance dans le camp), etc. duit quelquefois. Maurice Cling, l’un des déportés, pensait que la proportion d’étudiants et de collé- [116 noms] giens était trop importante. Le général Rogerie, autre déporté, insistait lui La Fondation relayée par tous ses corres- sur la mobilisation importante de la jeunes- pondants - Fédérations, Associations, se et faisait observer : Amicales - a distribué dans la France entiè- re un questionnaire détaillé à remplir par • que sur les 600.000 jeunes qui ont été chaque déporté, volontaire pour témoigner. envoyés au STO, un certain nombre parmi eux ont terminé leur séjour dans Au mois d’août 1993, près de 4.500 fiches les camps de concentration, étaient de retour - à ramener à cent noms. • que 30.000 jeunes environ sont passés en Entre temps, une commission de la vidéo- Espagne pour rejoindre l’Afrique du thèque avait été mise en place. Elle rassem- Nord parmi lesquels près de 2.000 ont blait à côté de quatre historiens de l’Institut été arrêtés et déportés, d’Histoire du Temps Présent (I.H.T.P), cinq déportés dont plusieurs connus pour leurs • que d’autres étaient dans le , travaux sur la déportation. Et qu’il n’y avait pas à s’étonner d’avoir C’est au groupe des historiens que revint une proportion importante d’étudiants le premier travail de réduction. Après une ou de collégiens, catégorie de Français discussion serrée avec les déportés sur les cri- idéalistes et sans contraintes familiales.

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Ce sont précisément ces jeunes qui restent • 31 main-d’oeuvre qualifiée (dont les encore vivants en raison de leur âge à étudiants et les collégiens) l’époque. •18 ouvriers On en resta à 67 noms mais qui furent légè- • 2 professeurs rement modifiés avec les motivations sui- vantes : • 6 résistants clandestins • Diminuer le pourcentage des cadres, • 11 techniciens et cadres des professions libérales et des étudiants. • 7 employés de bureau • Diminuer le nombre de policiers ou de • 6 commerçants, artisans, professions gendarmes. libérales • Diminuer le nombre de religieux. • 9 médecins, infirmières, étudiants en • Choisir des professions particulières ou médecine inattendues : une femme de ménage, un • 3 pasteurs ou prêtres sabotier. • 2 paysans • Augmenter ou introduire des profes- • 2 gendarmes sions importantes : mineurs, cheminots, • 3 militaires paysans. • 1 pointeur à bord , 1 commissaire-chef, • Augmenter les isolés par rapport aux 1 inspecteur de police judiciaire, 1 fores- mouvements organisés. tier, 1 sabotier, 1 culottier, 1 femme de • Augmenter le nombre de femmes juives ménage par rapport aux hommes juifs. • 3 cheminots • Augmenter la proportion des hommes • 2 mineurs. résistants par rapport aux femmes résis- tantes. Les engagements de départ sont extrême- ment divers : Front National, parti com- • Augmenter le nombre des étrangers muniste, jeunesses communistes, F.T.P.F., résistants, espagnols en particulier. MOI, B.C.R.A., Mouvements Combat, • Augmenter le nombre de femmes juives Libération-Nord, Libération Sud, Défense étrangères par rapport aux juifs fran- de la France, Armée Secrète, auxquels s’ajou- çais. tent une quarantaine de réseaux divers. Le 13 juin 1996 enfin, les 116 noms de la Tous les camps importants sont présents vidéothèque sont définitivement arrêtés, les avec une représentation particulière pour 4.386 fiches restantes étant mises à la dis- Buchenwald, Auschwitz, Mauthausen, position de l’audiothèque. Sachsenhausen, Ravensbrück, Dora, Celle liste de 116 noms comprend : Neuengamme, Bergen-Belsen. • 89 hommes et 27 femmes 80 kommandos sont évoqués. • 76 résistants, 21 résistantes 130 lieux d’internement sont cités dont •11 juifs et 7 juives Fresnes (32 déportés), Compiègne (44), Drancy (12), Romainville (13), la Santé (5), • 2 otages, 2 prisonniers de guerre, le Fort du HA (5), la prison de Bayonne 2 «politiques» (4), la prison de Rennes (2), Montluc (6), la Les professions au moment des arrestations prison du Cherche-Midi (5), Loos-les-Lille sont extrêmement diverses : (4), Angers (3), Lubeck (3), Schirmek (3),

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Clermont-Ferrand (4), Saint-Michel à Les historiens qui ont pris connaissance des Toulouse (3), la Centrale d’Eysses (2) et premiers témoignages distinguent le témoin- beaucoup d’autres encore. objet et le témoin sujet qui peut être aussi grand témoin. [67 tournages terminés] Le «témoin objet», d’après eux, n’a pas pro- fondément conscience d’être lui-même sujet Aujourd’hui 67 témoignages sont terminés. d’histoire. Il s’identifie fortement aux groupes Il est prévu d’en réaliser 13 supplémentaires dont il fait partie. Il en parle volontiers en en ‘98 et 20 en ‘99. s’effaçant derrière l’ensemble qu’il constitue. Le travail, en fait, est assez considérable : Il oscille entre le «on» qui l’intègre au grou- deux ou plutôt trois jours de tournage avec pe et le «ils» qui l’en détache. Il raconte plus une caméra TRICCD Bétacam pour enre- la vie de son groupe que la sienne précisé- gistrer chez le déporté son témoignage et ment. Tendance qui se confirmera souvent après, un travail de post-production extrê- en déportation quand il fait allusion à des épi- mement important. Il est indispensable en sodes vécus au camp qui l’ont marqués sans effet, pour rendre consultables ces témoi- le concerner directement. gnages filmés et tournés en longueur et dont la durée varie de 6 à 10 heures d’établir un Le «témoin-sujet» parle en son nom et de document écrit que nous appelons le son expérience personnelle. Il témoigne de «conducteur» qui répertorie une à une toutes sa résistance, de sa déportation et ne se place les deux ou trois minutes les étapes du récit. pas comme représentant de son groupe ou Ce qui rend aisée sa consultation et prépa- de son block. Sa tendance à ne pas générali- re son entrée dans une banque de données ser et sa volonté pédagogique s’expriment à grâce au time-code porté sur les masters en plusieurs niveaux. En cherchant à dégager un Beta S.P. et sur les cassettes de travail V.H.S. enseignement de son expérience il se place en tant que sujet d’histoire Document d’accompagnement nécessaire également : une fiche critique établie par les Il y a encore le «grand-témoin» qui a l’ha- historiens qui relèvent les points historiques bitude de s’exprimer et de retracer sa vie, en ou erronés du témoignage, fiche écrite particulier son rôle dans la résistance annexée au conducteur. (exemples : Claude Bourdet, Stéphane Hessel, entre autres). Souvent sollicité, il a La moyenne de chaque interview est de six déjà livré plusieurs témoignages, a souvent heures. L’une d’entre elles, celle d’une trop écrit un livre de souvenirs, il sait pourquoi on vieille dame s’est révélée inutilisable. La plus l’interroge et ne doute pas de l’intérêt de longue fait treize heures. La plus courte, son témoignage. Il a conscience d’être un celle d’une jeune lycéenne déportée à 13 acteur de l’Histoire. ans et qui n’a jamais parlé de sa déporta- tion à Auschwitz, ni à sa famille, ni à ses * * * amis, ni dans son travail, deux heures et Chaque témoin cède à titre exclusif et pour demi, d’une intensité rarement égalée. le monde entier, sans limitation de durée, Nos deux plus anciens témoins sont nés en le droit de reproduction et de représentation 1899, la plus jeune en 1932, déportée avec sa de son témoignage. Il cède également tous les mère et ses deux plus jeunes frères à droits d’utilisation secondaire pour tous Ravensbrück d’où elle a rapporté tout un modes d’exploitation et tous supports connus répertoire de complaintes allemandes que les ou inconnus au jour du témoignage. Mais kapos lui ont apprises. toutes ces cessions ne valent qu’à la seule

— 41 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL condition que l’exploitation de ces droits [Le danger] soit effectuée par la seule Fondation ou sous sa responsabilité et dans le respect de ses Reste l’importante et brutale question de statuts. l’avenir de l’image dans la société virtuelle qui est désormais la nôtre. La Fondation laisse évidemment au témoin toute latitude pour continuer à témoigner Aujourd’hui la réalité se virtualise de plus en dans toutes les circonstances qu’il accepte. plus facilement.

En ce qui concerne la conservation des ori- On peut cloner n’importe qui et les effets ginaux, la Fondation n’a pas encore déter- montrés au cinéma nous donnent l’idée miné l’organisme qui en sera chargé (La exacte de ce qui peut arriver. Il est possible Bibliothèque Nationale ou plutôt l’Institut de tromper les autres, de les désinformer, National de l’Audiovisuel) ni dans quelles de les leurrer. Images moitié vraies, moitié conditions et avec quelles garanties. fausses. Avec comme fin : la corruption du réel. Ces trucages sont aujourd’hui très coû- En revanche la Fondation est en train de teux encore mais pour combien de temps ? créer une banque de données qui sera opé- rationnelle en fin d’année 1998 et qui sera Le danger c’est que l’image qui jusqu’ici l’épine dorsale de tous les travaux réalisés ou délivrait un certificat d’authenticité risque très à venir car elle en permettra non seulement vite de ne plus faire foi. D’autant plus qu’el- l’archivage et le classement, mais surtout le sera facile à détourner, à dévoyer et que l’exploitation de tous les fonds de docu- dans l’histoire qui nous intéresse, nous ments et d’archives, de quelque support que connaissons bien ceux qui souhaiteraient ce soit, à des fins de pédagogie et de com- en raconter une autre... munication. Albert Einstein, dès les années cinquante, Le thesaurus que nous sommes en train de annonçait une deuxième bombe : après l’ato- tester avec les documents écrits est la clé de mique, l’informatique. tout. Par le jeu d’un ensemble hiérarchisé de mots clés, les personnes accréditées auront Il s’agirait pour que nos témoignages per- accès à la banque de données sur un ser- durent et continuent d’être crédibles de veur protégé, et le grand public pourra trouver une dissuasion... consulter un certain nombre d’informations dite de vulgarisation, sur notre site Internet. Laquelle ?

Le thesaurus permettra donc d’archiver et de classer, puis d’exploiter, l’ensemble des témoi- gnages recueillis, à l’aide de mots clés conte- nus dans chacun des conducteurs qui accompagne chaque témoignage recueilli.

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MICHEL ROSENFELDT Collaborateur scientifique Fondation Auschwitz - Belgique

Développement quantitatif et qualitatif de notre programme audiovisuel depuis 1996

1. Analyse quantitative du également les chiffres globaux : le nombre total de témoignages réalisés depuis le début développement de notre de notre programme audiovisuel est de 142, programme audiovisuel totalisant 705 heures d’enregistrement. Ce qui donne une durée moyenne globale de Depuis la Deuxième Rencontre Audio- 4H59’. visuelle Internationale de mai 1996, nous Si on compare le travail réalisé entre le pre- avons réalisé 38 interviews supplémentaires mier et le deuxième colloque avec celui réa- totalisant 235 heures d’enregistrement. La lisé depuis la Deuxième Rencontre durée moyenne de ces témoignages est de Internationale, je constate un ralentissement 6H30’. A titre de comparaison, le nombre dans la productivité de notre travail audio- d’interviews que nous avons réalisées entre visuel accompagné par un net rallongement la Première Rencontre Audiovisuelle de la durée moyenne de nos interviews. Internationale de septembre 1994 et la C’est cette évolution quantitative de notre deuxième de mai 1996 est de 60, totalisant travail audiovisuel que je veux maintenant 311 heures d’enregistrement. Ce qui donne, analyser. pour les vingt mois qui séparent ces deux colloques, une durée moyenne de 5H03’. Le fait que nous faisons moins d’interviews Pour compléter ces données, je vous donne mais dont la durée moyenne s’allonge, est dû

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à la méthode des récits de vie que nous se renforcent les uns les autres pour aboutir avons adoptée. Monsieur Thanassekos et à une impasse. Chaque interview réalisée moi-même avions déjà traité cet aspect de et terminée devient par conséquent une véri- l’allongement de la durée de nos interviews table prouesse pour le témoin comme pour lors de la Deuxième Rencontre Audiovisuelle nous-mêmes. Internationale1. Les témoins parlent de plus en plus de leur vie avant et après la guerre. La Ne pouvant plus continuer à nous heurter à diminution du nombre d’interviews est une tous ces blocages préjudiciables à la poursuite conséquence du vieillissement des témoins de notre travail, nous avons décidé de réagir sollicités. Ce vieillissement nous pose un en prenant les dispositions nécessaires afin de réel problème pour la poursuite de notre commencer dès ce mois-ci des interviews au programme. De moins en moins de rescapés domicile du témoin. Cette solution est idéa- sont capables de se déplacer par eux-mêmes le à plus d’un titre. On évite d’une part tous pour se rendre dans le studio de tournage. les problèmes de déplacement du témoin, et, L’expédient qui consiste à assurer nous- d’autre part, le rescapé étant plus à son aise mêmes les déplacements du témoin en voi- chez lui, sa fatigue et ses limites interfèrent ture ou de demander soit à un membre de sa moins rapidement sur la qualité de son famille, soit à un ami plus valide que lui, de témoignage. N’étant plus limité par le temps l’accompagner lors de son interview ne suf- et sachant mieux tenir compte de la fatigue fit plus à résoudre ce problème du déplace- et des limites du témoin, nos récits de vie ment des rescapés. En effet, en plus du pourront se développer sans entraves. (Et, facteur de vieillissement du témoin, il y a pour terminer l’analyse des conséquences aussi le facteur de sa santé qui en général positives que procurent la réalisation des n’est pas brillante, et également le fait que interviews au domicile du témoin, il est grâce au succès de notre programme audio- important d’ajouter que la fréquence de nos visuel, nous sollicitons de plus en plus de interviews ne sera plus tributaire unique- témoins qui vivent non plus en majorité à ment des disponibilités du studio du Centre Bruxelles, mais surtout dans les autres Audio-Visuel de l’Université Libre de grandes villes de Belgique. Obliger un Bruxelles, lequel a ses propres activités pro- témoin vieux et malade à se déplacer d’Arlon fessionnelles.) Dès lors, nous pourrons à ou de Liège, par exemple, pour se faire inter- partir de ce mois-ci, nous consacrer du lundi viewer toute une journée à Bruxelles, ce qui au vendredi et du matin au soir à nos enre- est déjà en soi fatiguant pour lui, et, en plus, gistrements audiovisuels. Les possibilités lui demander de revenir plusieurs fois pour qui s’ouvrent ainsi sont multiples et grâce à terminer son témoignage auquel on doit celles-ci nous pourrons enfin réaliser dans un consacrer en général plusieurs jours n’est délai rapproché les 45 interviews qui sont en plus possible. Un autre facteur renforce attente et dont les dossiers s’accumulent sur encore cette situation : la fatigue et les limites mon bureau. Cela me rassure d’autant plus du témoin. Il n’est plus possible d’intervie- que j’évalue le nombre total d’interviews wer pendant six ou sept heures d’affilé une potentielles qui resteraient encore à réali- personne âgée et souffrante. Tous ces facteurs ser - en tenant compte de toutes les catégories

1 Voir Yannis THANASSEKOS, «Du témoignage au récit de vie» in Du témoignage audiovisuel/From the audiovisual testimony, Actes de la Deuxième Rencontre Audiovisuelle Internationale sur le témoignage des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, Bruxelles, 1996, pp. 51-56 ; Michel ROSENFELDT, «Exposé des rapports quantitatifs et qualitatifs sur les interviews réalisées depuis la Première Rencontre Internationale», in ibid., pp. 55-56.

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de déportés - à approximativement 300, ce pour des raisons d’indisposition psycholo- qui représenterait, si je prends comme base gique du témoin, soit en raison de son absen- de calcul la durée moyenne totale de nos ce au moment de la réception de notre 142 interviews qui est de 4H59’, 1.500 heures courrier. J’en ai conclu qu’une relation de d’enregistrement. A ce nombre de 300, il confiance doit d’abord s’instaurer avec le faut encore ajouter les rescapés que nous témoin avant de lui demander de consacrer ne connaissons pas encore et dont nous du temps à remplir ce document dont plu- aurons au fur et à mesure les coordonnées sieurs rubriques sont assez délicates de par par l’intermédiaire des 45 témoins qu’il nous leur contenu émotionnel. Actuellement, je reste encore à interviewer. n’envoie notre proposition d’interview et la fiche biographique qu’après un contact téléphonique plus ou moins long ou même 2. Analyse qualitative après une visite. du développement de notre Ce sont surtout les objectifs pédagogiques programme audiovisuel qui sont à la base de tout notre projet audio- Depuis la Deuxième Rencontre visuel qui persuadent le témoin d’accepter de Audiovisuelle Internationale, un certain se faire interviewer. Je mets donc en avant le nombre de changements qualitatifs impor- succès de toutes les activités pédagogiques tants ont modifié fortement le déroulement dont la Fondation Auschwitz est l’initia- de nos interviews audiovisuelles et les rap- trice auprès des jeunes dans les écoles et qui ports intervieweurs-témoins. Je répertorie ci- visent à les mettre en garde contre toutes dessous l’ensemble de ces modifications. les formes de totalitarisme. Cette explication est très importante car souvent les témoins a) Changements relatifs à la prise ne comprennent pas pourquoi nous désirons du premier contact avec le les interviewer alors que nous avons déjà témoin réalisé plus d’une centaine d’interviews. Souvent ils pensent que tout a déjà été dit sur Auparavant la méthodologie que nous sui- ce sujet et que leur témoignage est superflu. vions lors du premier contact que nous éta- Il se rendent pourtant très vite à l’argument blissions avec le témoin sollicité à se faire qui consiste à leur dire que chaque témoi- interviewer consistait avant tout contact gnage est unique et que c’est cette unicité qui téléphonique à lui envoyer par courrier donne toute sa richesse à ces récits de vie. A notre proposition d’interview accompagnée quoi peut-on attribuer ce réflexe de leur de la fiche biographique que le rescapé - je l’ai part ? Résistance à témoigner ou besoin déjà rappelé ci-dessus - doit remplir et nous d’une reconnaissance quant à la spécificité de renvoyer. Or, j’ai constaté que cette métho- leur vécu ? de est inefficace. Seuls 30 % des témoins réagissaient positivement à notre proposition b) Changements relatifs au d’interview et remplissaient leur fiche bio- déroulement de nos interviews graphique. Dans un deuxième temps, me audiovisuelles rendant compte du nombre élevé d’absences de réactions, j’ai téléphoné à plusieurs parmi Le vieillissement des témoins que nous inter- celles et ceux qui ne nous avaient pas répon- viewons a induit beaucoup de changements du et suite à l’entretien que j’ai eu avec eux, aussi bien dans le déroulement de nos inter- je me suis rendu compte que souvent notre views audiovisuelles que dans les rapports lettre arrivait à un mauvais moment, soit intervieweurs-témoins. En effet, une

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personne très âgée dont la santé en général soutenir la veuve suite au décès de son mari. décline ne réagit pas psychologiquement de C’est comme si, en quelque sorte, la la même façon dans ses relations aux autres Fondation Auschwitz devenait pour eux et, a fortiori, dans le cadre d’une interview une deuxième famille avec laquelle ils dési- audiovisuelle. Ce facteur «vieillissement» rent partager leurs joies et leurs peines. Ces interfère de deux manières : d’une part au liens intenses sont un juste retour des choses niveau de la mémoire du rescapé qui, avec pour une Fondation qui a été créée grâce à l’âge, ne peut que s’estomper, et, d’autre l’initiative de rescapés membres de l’Amicale part, au niveau du soutien moral et psy- des Ex-Prisonniers Politiques d’Auschwitz- chologique que les intervieweurs sont ame- Birkenau, Camps et Prisons de Silésie. Ce nés à devoir fournir au témoin tout au long désir de garder des contacts se traduit aussi de son interview. En fait, c’est de la capaci- par l’intérêt que portent les témoins à toutes té d’élaboration du traumatisme du rescapé nos activités pédagogiques et leur volonté d’y dont il est question ici. Il est possible, en participer. effet, que cette capacité diminue avec l’âge du témoin. Ceci est éventuellement la cause de l’éparpillement des souvenirs et du manque 3. Présentation de la grille de cohérence et de structuration du témoi- d’indexation gnage que nous recueillons et a pour consé- quence d’augmenter le nombre de questions Je profite de cette occasion pour vous pré- et d’interventions des intervieweurs vis-à-vis senter quelques pages de notre nouvelle du témoin. grille d’indexation dont j’ai expliqué dans ma Le vieillissement des témoins interfère aussi communication parue dans le Cahier dans le contenu même de leur témoignage. International (n°1) les modifications que 2 J’ai remarqué en indexant les interviews que j’ai estimé nécessaire d’y apporter . Cette plus le rescapé est âgé, plus il désire intervenir illustration vous rendra certainement la lec- sur les sujets que nous développons avant la ture de ma contribution au Cahier plus faci- fin de l’interview, à savoir les raisons qui le. En effet, pour une raison de manque de expliquent pourquoi le rescapé à accepté place, la nouvelle grille qui compte 44 pages que son récit soit enregistré aujourd’hui et 89 sections relatives aux thèmes que nous alors qu’il a refusé de témoigner jusqu’à développons dans le cadre de nos inter- présent, et le message que le témoin veut views, n’a pas pu figurer dans le Cahier. léguer à ses enfants et aux générations L’objectif de cette grille d’indexation est de futures. C’est comme si l’avancement dans faciliter, grâce au time-code - que l’indexeur l’âge réactivait chez le témoin toutes ces doit inscrire dans des rectangles situés vis-à- questions et qu’il ressentait tout d’un coup vis des thèmes et rubriques concernés - l’ac- l’urgence qu’il y avait à y répondre avant cès de nos archives audiovisuelles aux qu’il ne soit trop tard. personnes qui réalisent un travail scienti- fique sur la vie concentrationnaire. c) L’après-interview Malheureusement, je ne peux pas vous faire un compte-rendu détaillé de l’utilisation Le vieillissement du témoin agit aussi sur pratique de cette nouvelle grille du fait que sa volonté de maintenir avec la Fondation je n’ai pas encore indexé suffisamment d’in- Auschwitz des contacts chaleureux. J’ai plu- terviews avec cette dernière. En ce qui sieurs fois été invité chez des témoins que concerne notre ancienne grille d’indexa- j’avais interviewé, et parfois même, j’ai dû tion, nous avons déjà indexé à l’aide de

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celle-ci 50 interviews correspondant à 187 des recherches informatiques transversales. heures d’enregistrement pour un total de C’est grâce à cette dernière étape informa- 705 heures. Pour les raisons de ce faible ren- tique que toutes les précieuses informations dement, je vous renvoie à ma communica- récoltées par l’indexation de nos interviews tion du Cahier international.Notre objectif seront facilement accessibles et exploitables dans l’immédiat est l’informatisation des auprès d’un public spécialisé. Comme vous données figurant dans les 89 sections de pouvez le constater, ce n’est pas le travail notre nouvelle grille d’indexation afin d’éla- qui manque à la Fondation Auschwitz. borer un thesaurus qui permettra de réaliser

2 Michel ROSENFELDT, «Indexation des interviews audiovisuelles. Compte-rendu du travail réalisé depuis la Deuxième Rencontre Audiovisuelle Internationale sur le témoignage des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis» in Cahier International. Etudes sur le témoignage audiovisuel des victimes des crimes et génocides nazis, n° 1, Bruxelles, 1998, pp. 65-75.

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ANITA TARSI Research Supervisor Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Israeli Project, Director of the Educational Center «Beit Theresienstadt» - Israel

On the Israeli Project The Eyewitness, the Interviewer and the Historian

I will refer to the Israeli Project between perated, the doctor helped him to get a job June 1996 and June 1998. We made a special in the laboratory that was situated in the effort to find eyewitnesses that stayed a cellar of block 10, the well known block long time in Auschwitz - Birkenau. We had were the Nazi doctors performed their med- partial success. I’d like to refer to one testi- ical experiments on men and women. Gonzi mony that we had made with Jndrich Gonzi, was seen by the doctors and the nurses born 1925. At home, before he was deport- working with the victims as part of the staff, ed, Gonzi studied to be an assistant at a and whose perception helped to collect a dental clinic. He was deported to Auschwitz I lot of information about what was done in from Slovakia with his father in the spring the different rooms and floors of the block. of 1942. They worked together at the same Gonzi spoke about the kind of medicine commando until his father was killed by performed at the camp infirmary. We have the Nazis. Gonzi became very sick and was learned from that interview that operations hospitalized in block 21 at Auschwitz I. were made without using sterile tools or One of the Jewish doctors that knew disinfectants materials. Those operations Gonzi’s family from home decided to help were made at the block 21 as first aid to him, got food for him, got medicines for prisoners of the camp. Those that had some him and kept him out of sight while the status got medicines like Ichtio, Pelidor, selections were on. After Gonzi had recu- Zinc, Prontosil that were kept for special

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people. The prominent prisoners got dental a Jewish prisoner doctor was Dr. Klauberg’s care, between them were Slovakian girls assistant. that were «altrheftlinge». A lot of Jewish girls from Slovakia worked He told us about experiments on medicines in block 10. The victims picked for the that were organized by drug producing experiments at that time, were 300 or 400 companies like Bayer. Those that were tak- young girls, 18 years old - sometimes less ing part in the experiments were saved from than 18 - not yet mothers, all of them phys- selections and they got better food. Block 28 ically fit to get pregnant. They were girls was the «emergency room» of the camp. from Greece, Belgium, France, Poland. At this block each sick person got a card After a while Gonzi was transferred to a were the name was written and some of the different laboratory out of the camp. This data about his sickness and treatment was laboratory is known by the name Raysco recorded. At this block was also a diet and was called Hygiene Institute. In this kitchen where it was possible to get white place the Germans made experiments with bread and porridge. All this was given only plants and the cultivation of microbes. After to the prominent. In this block they kept a a while Gonzi got an infection and was working x-ray. taken to block 20. He never came back to work in Raysco. Gonzi went through med- Block 20 was the one were the sick with ical experiments himself and was put in infectious diseases were kept and block 19 block 20, the Hospital block were the «want- where the recuperating were assembled. ed» Jews were treated. Immediately after It was also a psychiatric department and at he got better, the Jewish doctors took him as the same block was a room for the nurse. At a nurse to work with them. The staff of the block 21, the chirurgic department, they block 20 was the one that organized the performed castration operations on homo- call-roll, a fact that helped Gonzi to sur- sexual Jews. vive. In 1944 Polish and German were evac- uated from Auschwitz I. The Jews that were Block 24 was a brothel. This served the close to the staff had an opportunity to get kapos and the prominent. The women in it «better Jobs», a status of «a protected vic- were from Germany, Poland, Holland and tim». He entered into the corrupted world Slovakia, among them were also Jewish of the Nazis. In order to get food Gonzi girls. stole and brought drugs to a SS man addict- ed to morfium. At the block 10 was a Microbiology labo- ratory. Gonzi was asked to create breeding Towards the end of 1944, as a consequence cultures in order to make the microbes of the loss of the medical cards (they were develop in it. Gonzi had to learn how to burned), Gonzi decided to change his iden- do that from books. It was possible to get tity and to get a false non Jewish name. At the books through the German Hospital situ- time he was evacuated from Auschwitz I to ated outside the camp, but close to it. Gonzi Ebensee Camp he used the name Jndrich worked at block 10 but he continued to Kluka, student of Medical School. At live in block 21. A floor for gynecology Ebensee he worked at the hospital until his experiments was in block 10, where an x-ray liberation. machine was used for them. One Nazi doc- I can go on and tell about 97 other testi- tor (Prof. Clauberg) operated, the other one monies of survivors that were interviewed in (Dr. Schumann) used roentgen. Dr. Samuel, our project during the last two years, and

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from each of them we can learn a lot of new need to tell to their children about how it history and social facts. Lack of time requests was to live with their families before the to have a different analysis of the testimonies war and what kind of survival experiences and I’ll try to do it from three different they had. aspects. The first will deal with the eyewit- We interviewed a woman that was a small ness’s profile, the second from the point of girl during the war. She was born in Belzize, view of the interviewer, and the third from Poland in 1933. She was alone for two years the historian’s look. at the camps (Krasnick, Budzin, Budzin II and Majdanek) and she was liberated The Eyewitness Profile towards the end of 1944. She made aliah and was raised as a child in a kibbutz that got As a rule, we interview eyewitness’s that children from Aliat Hanoar. She had a clear were never interviewed before by any other memory of the events and it took her two Videotaped Oral History Project. It is well years to decide that she is ready to come. known that today many survivors were or Although she told her story or part of it to are going to be interviewed by Spielberg her sons and husband, she kept it from all the Project or by Yad Vashem Oral History others. During those years we were in touch Project. This fact leaves us with a very pecu- with her every two or three months until the liar profile of the ones that weren’t reached day she called and said I’m ready to do it. by those Projects or if they were reached 1 Others are survivors that felt as outsiders they refuse doing that for different reasons . from the main organizations that keep the Sometimes it is not enough for a survivor to memory of the holocaust. One of the rea- get an invitation to come and give testimo- sons for that disconnection is their former ny. Sometimes survivors need more time associations with left wing movements anti- to decide if they really want to do it. This is Zionist parties. In many ways they contin- a process that we are willing to go through ue keeping the ideology, they feel skeptic with the survivor if necessary. It happens towards the largest organizations and feel that only after two years from the day we better to agree and be interviewed by a made the first connection the survivor smaller and professional staff of a smaller decides to say yes. Oral History Project. Most of them never I’ll try now to draw a profile of the sur- tell their story (not in audio or writing), vivors of those two last years. A group of most of them shared their holocaust expe- them are men and women that for many riences with their families. years were hiding from others the fact that they were survivors. Most of them are The Interviewer young, were small children at the time of the war and they develop a strong ‘sabra’ iden- With time we develop to be better project. tity. They speak Hebrew without an accent, First, we are better interviewers than we they studied in Israeli schools, went to the were. We are a small team of no more than army and married partners that did not go 5 interviewers, we had developed our own through the holocaust experiences. Now, ways to work together, sometimes we inter- when they are getting to 65-70 they feel an view two together, sometimes only one, all urge to get in touch with their past and the according to the testimony, the needs of

1 In our project we get names of survivors out of research and by the ‘snow ball’ method.

— 51 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL having an expert on some historical issues or The Historian others. We became more sophisticated and mature Interviewing survivors leads to the awareness to go deeper into questions that we did not issues that appear only vaguely in other dare to ask. Those questions are related to kind of documentation. After many years of issues of identity changes during the holo- interviewing we got very interested in issues caust and its influence on the personal per- like «Changing identities process and its ception of the individual itself and others and influence on the perception of the survivor relationships between the victims them- himself and others», «Value system changes», selves and between the victims and the per- «The meaning of leaving the family house for petrators. the child and adolescent survivor». Or «The disintegration of the Jewish families as a We are less afraid on becoming embarrassed, result of the events» and «How families on being aware that it can happens that dur- dealt with those events according to the ing the testimonies an interviewer may dis- survivor’s point of view». cover new facts that are not written in a historical or social research. The need to We believe that we don’t put enough inter- understand and to clarify situations becomes est on the time immediately after liberation, stronger than the fear to fail with a non - and it’s necessary to go deeper into that in appropriate question. That makes the order to understand better the healing process of communication between the sur- process and the reconstruction of normal life. vivor and the interviewer more accurate and proper. Those are the issues that we found in every testimony in a vague way. It seems that the As interviewers we understand better the eyewitness’s bring them up and wait to see survivor’s body language and give to them if we are really ready to hear what they are more freedom to express it. Rarely, a sur- ready to tell. vivor sits on his chair in front of the camera and avoids looking at the interviewer. For If we’ll succeed to get from the oral history most of the time of his testimony he speaks testimonies more material about those issues, to himself, to the books or the plants around it will be possible to suggest them for new the room and tells a very sincere and touch- research. Researchers may use this docu- ing personal story, he gets to the interview- mentation in order to get a new insight into er only once in a while. Back in time, ten the holocaust events and its influence on years ago or so, it was possible - for the fact the Jewish identity and on the reconstruction that we videotaped the interview - that the of Jewish life after the war. eyewitness would be asked to talk to the interviewer as in a common conversation between two persons and while he tells his story he will look at the interviewer. Now, we’ll find in such strong expression of body language of avoiding a direct look an impor- tant component of the testimony.

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IZIDORO BLIKSTEIN Directeur de Recherches sémiotiques et linguistiques sur le témoignage audiovisuel Centro de Estudos Judaicos Associaçao Universitaria de Cultura Judaica, São Paulo - Brésil

Analyse sémiotique et linguistique des témoignages de survivants juifs non-allemands, résidents au Brésil.

Étude comparative entre les survivants allemands et non-allemands

Nous avions signalé, à l’occasion de la IIème soient faits à partir d’un point de vue Rencontre Audiovisuelle Internationale déterminé, autrement nous risquerions, tenue à Bruxelles en 1996, que : comme Monsieur Y. Thanassekos et «Parmi les plusieurs et excellents résul- Monsieur M. Cling nous en avaient déjà tats des fructueux débats sur les travaux averti, ‘[…] d’aboutir à la formation d’une présentés lors de la 1ère Rencontre masse impressionnante de données fugi- Internationale (septembre 1994), nous tives, dispersées, inorganisées, vulnérables avons tenu compte d’une question qui aux aléas des circonstances, cloisonnées nous a paru fondamentale, à savoir : le dans chaque équipe qui les produit et, par besoin d’un contrôle - basé sur des prin- conséquent, difficilement consultables cipes théoriques et méthodologiques - de […]’ (Préface à Ces Visages qui nous par- l’immensité et de la variété des données lent, Bulletin trimestriel de la Fondation qu’on peut extraire des témoignages. En Auschwitz, n° spécial 47-48, Avril- effet, nous savons bien qu’il ne suffit pas Septembre, 1995). Notre équipe de de placer une caméra devant le témoin et recherches sur la Shoah, au Centre d’É- de le laisser parler : tout en respectant le tudes Juives à l’Université de São Paulo, témoignage dans son intégralité, il nous a s’est dès lors proposée de développer des paru pertinent que les enregistrements projets thématiques, en prenant en

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considération quatre points de vue fon- et quatre sont des survivants damentaux pour l’analyse sémiotique : a) d’Auschwitz-Birkenau. le pays d’origine du survivant ; b) le réper- toire du survivant ; c) le contexte social, 1.2. Nombre d’interviewés par ville politique, économique et culturel qui envi- d’origine2 : ronnait le survivant ; d) comment le sur- vivant percevait les événements dans ce • Secureni (4.216 habitants) - 5 contexte. Ces découpages nous semblent • Britchevo (3.662 habitants) - 3 indispensables pour autant qu’il existe, • Britchon (5.354 habitants) - 2 évidemment, des différences profondes • Bravicea (413 habitants) - 1 de répertoire, de contexte et de perception • Liublin (274 habitants) - 1 entre un juif allemand, un juif polonais, un • Vertigen (1.834 habitants) - 1 juif hongrois, un juif roumain et ainsi de • Zgurita (2.541 habitants) - 1 suite»1. • Capresti (1.615 habitants) - 1 1.3. Distribution des interviewés par pro- 1. Rapport quantitatif fession, en Bessarabie et au Brésil : En Bessarabie : Dans la première partie du projet (de 1994 à 1996), nous avons interviewé quinze sur- • Sans profession - 4 vivants juifs allemands, résidents au Brésil. • Petit fermier - 4 Dans la seconde étape, de 1996 à 1998, nous • Commerçant - 3 avons interviewé quinze survivants juifs de • Tailleur - 2 Bessarabie (Roumanie), résidents au Brésil. • Cordonnier - 1 La grande majorité de ces survivants habi- • Employé 1 taient dans les petits villages (schtetl, en yid- Au Brésil : dish), typiques du décor social, politique, économique et culturel de la diaspora juive • Commerçant - 6 en Europe. Il est évident que les conditions • Industriel - 4 de citoyenneté des juifs bessarabiens étaient • Administrateur - 1 totalement différentes de celles des juifs alle- • Commis voyageur - 1 mands, comme nous le verrons d’ailleurs • Comptable - 1 dans l’évaluation qualitative. • Secrétaire - 1 • Sans profession - 1 Voici quelques données quantitatives : (voir le tableau ci-après) 1.1. Parmi les interviewés, onze sont des rescapés qui n’ont pas été dans les camps de concentration ou d’extermination

1 I. BLIKSTEIN, «Les témoignages des survivants juifs allemands résidents au Brésil», in Du Témoignage audiovisuel, Ed. Fondation Auschwitz et la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Bruxelles-Paris, 1996, pp. 93-94. 2 M. GILBERT, Atlas of the Holocaust, Steimatsky, Jerusalem, 1982.

— 54 — INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY Secureni Britchon Secureni Comptable Commerçant PROFESSION ailleur Commerçant ailleur Industriel T Cordonnier Commerçant ——————Petit fermier Administrateur Commerçant Commis voyageur Commerçant Petit fermier Commerçant Employé d’un magasin Industriel EN BESSARABIE AU BRÉSIL ——CommerçantT Industriel —- Petit fermier Commerçant —-CommerçantPetit fermier (agriculteur) Industriel Secrétaire AUJOURD’HUI Marié CélibataireCélibataireCélibataireMariéCélibataire Britchevo Britchevo Secureni Bravicea Secureni À L’ARRIVÉE Marié Fiancé MariéeCélibataireCélibataire Liublin Britchon Britchevo Célibataire Secureni MariéeCélibataireMarié Vertigen Zgurita Capresti AGE ACTUEL ANNÉE ARRIVÉE 30 193530 193629 93 193629 92 193627 91 193620 91 1936 89 82 28 1948 78 20 194028 194825 78 1939 78 84 19 1940 77 15 1939 74 35 194722 1941 86 79 22 1945 75 AU BRÉSIL AGE NOM DE FAMILLE SITUATION VILLE D’ORIGINE olodia KLEIMAN (resc.) Veuf Boris KILINSKY (resc.)Jankiel GEDANKEN (surv.)V (surv.)Frojman SCHWARCZ (surv.)Chaim PARNIS Srul KODRANSKY (resc.) Veuf Veuf Marié Veuf Veuf Hersch ZWEIMANN (resc.)Moche GELMAN (resc.) Marié Veuf Berta TENEMBOIM (resc.)Itchock ZUKEINIK (resc.)David SISTNIK (resc.) Veuve Marié Veuf Abram BLUVOL (resc.) Marié Anna COIFMAN (surv.) Veuve Schmiel BLAVES (resc.)Schmiel BLAVES Leib CHNAIDERMAN (surv.) Marié Marié

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2. Evaluation qualitative 2.2. Situation marginale et ambiguë : L’analyse linguistique et sémiotique des sur- • «Moi… je suis juif quoi ! Je ne suis ni vivants bessarabiens nous dévoile un univers russe ni roumain… moi… je parle trois bien différent du contexte où vivaient les juifs langues : le russe, le roumain et le yid- allemands. Il faut remarquer tout d’abord dish… je me considère citoyen rou- que la Bessarabie est l’icône même de l’insta- main… j’étais à l’armée roumaine… on bilité, de la précarité, de la fragilité des condi- parlait le yiddish et le roumain chez tions de vie des juifs. Cette province nous, parce que nous étions des rou- appartenait à la Russie dès 1812, mais à partir mains juifs…» (Moche Gelman). de 1918 elle est tombée sous la domination de la Roumanie. Dans les deux pays, la politique 2.3. Perception embrouillée ou manque de tolérance envers les juifs pouvait changer de perception de l’arrivée du nazisme : d’un moment à l’autre et l’antisémitisme - • «C’était comme un cauchemar… je ne voilé ou explicite - se traduisait par des savais plus où j’étais… les Allemands pogroms, des expulsions des territoires dans nous emmenaient hors du schtetl… je lesquels les juifs avaient été confinés, des actes pensais que ça serait bien pour nous… de violence, des persécutions, des discrimi- j’avais peur des russes… des roumains… nations géographiques, sociales et profes- des pogroms…» (David Sistnik). sionnelles. La Bessarabie a été une proie facile pour les 2.4. Barrières linguistiques et psychologiques nazis : le terrain était déjà fertilisé par l’anti- pour communiquer l’expérience sémitisme russe et roumain. A la différence concentrationnaire : donc des survivants allemands, les bessara- • «J’étais très malade, j’avais soif, j’avais biens nous révèlent un univers marqué par la peur… j’étais dans un couloir… ils gueu- pauvreté et la peur (qui nous font penser à cer- laient par ici ! par là !, ma tête tournait… tains tableaux de Chagall - comme La Guerre enfin c’était très dur… et pourquoi tout - ou aux contes de I. Bashevis Singer). Les cela ? Dites-moi pourquoi ? Nous étions témoignages des survivants bessarabiens nous très pauvres, on ne dérangeait person- indiquent : ne… d’abord les Russes, puis les Roumains et puis… je vous en prie, je ne 2.1. Discrimination sociale et professionnelle : veux plus parler de ça… un jour, vous Les juifs étaient confinés dans des territoires voyez, un jour j’étais en train de… non ! délimités et vivaient dans des villages (schtetl) Non ! Vous savez… toutes les nuits qui avaient entre 200 à 5.000 habitants environ. dans la baraque j’avais des douleurs, Ils devaient se restreindre aux petits métiers j’avais des cauchemars, je pensais que (petit fermier, cordonnier, tailleur, commerçant, j’allais mourir… oh, c’était très dur, vous etc.) et il leur était interdit de pratiquer le savez… oh, enfin, je ne veux plus parler commerce dans les villes chrétiennes, sans un de toute cette saleté…» (Volodia permis des autorités russes ou roumaines : Kleiman). • «Mon père vendait clandestinement de la farine de blé chez les chrétiens. Il a été 2.5. Absence de citoyenneté : arrêté et mis en prison par la police rou- • «… c’était terrible… dans le wagon, on maine. Il a été maltraité, ils l’ont humilié… ne pouvait pas s’asseoir, se coucher… c’était une honte pour nous…» (Anna j’avais soif, j’avais faim, j’avais mal à la Coifman). tête, mal à l’estomac, j’avais du mal par-

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tout dans le corps… dans le wagon ça nazis… je n’y reviendrais jamais… je sentait très mauvais… très mauvais… me rappelle une nuit… ma mère pleurait on ne valait rien, nous n’avions pas de beaucoup… mon père n’était pas rentré droits, nous étions très pauvres… je ne chez nous… je préfère oublier tout comprends rien… tout le monde a une cela… Je me considère brésilien, je suis maison, un pays, une religion… tandis brésilien… Britchon, oh, vous savez… !» que nous… on nous pousse, on nous (Itchock Zukeinik). bouscule, on nous frappe, on hurle avec nous… comme si nous n’étions per- 3. Remarques finales sonne…» (Anna Coifman). Les signes et les indices de ces témoignages nous indiquent des différences frappantes 2.6. Adaptation au Brésil et oubli : entre le discours des juifs bessarabiens et • «Au début c’était difficile… je ne parlais celui des juifs allemands. Une analyse sémio- pas la langue, le portugais… mais dès tique et linguistique nous permet alors de le début j’ai beaucoup aimé les constater les différences de répertoire du Brésiliens… je n’avais pas d’argent, mais point de vue socioculturel et économique et, mon cousin m’a aidé… c’était facile de particulièrement, les différences de percep- gagner de l’argent au Brésil… je me sen- tion du - apparemment - même événement : tais libre… je pouvais aller un peu par- le nazisme. tout, personne ne me demandait des Cette constatation nous mène à l’ébauche papiers… j’avais une carriole et je ven- d’une «thèse», d’après laquelle on pourrait dais des vêtements, des draps à crédit, peut-être dire qu’il n’y a pas un seul et même j’étais ‘clientèlitschky’ (nom yiddish- Holocauste (ou Shoah) : en fait, il y aurait brésilien pour designer le marchand plusieurs et différents holocaustes, selon les ambulant au Brésil)… j’ai gagné beau- différentes perceptions culturelles des com- coup d’argent, vous savez… grâce à munautés qui ont dû subir les atrocités pra- Dieu je peux dire que je suis riche… j’ai tiquées par le nazisme. Nous poursuivrons une industrie de vêtements… je ne crois donc nos analyses sémiotiques et linguis- pas que j’ai pu vivre à Britchon… c’était tiques des témoignages des survivants «bré- un cauchemar… ça n’a pas existé… je siliens» de plusieurs communautés juives crois que les Roumains était pire que en Europe, en essayant d’effacer le stéréotype les nazis… je ne veux plus savoir… Les d’un holocauste unique qui pourrait habiter Russes étaient plus antisémites que les l’imaginaire des gens à l’heure actuelle.

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CATHY GELBIN Dr. M.A. Moses Mendelssohn Zentrum für europäisch- jüdische Studien Universität Potsdam - Deutschland

Concluding Remarks on Potsdam’s «Archive of Memory»

The Project «Archive of Memory», carried tions that are to appear shortly. Two com- out at the Moses Mendelssohn Zentrum at plementary volumes including theoretical the University of Potsdam from 1995 to analysis of biographical interviews and their 1997, recorded altogether 79 testimonies by interpretation as well as the project cata- survivors of the Shoah. Most of these inter- logue form the major bulk of this work. views were taped during the first two years The first volume will appear under the title of our work, while the focus during the Archive of Memory - Interviews with third year (1997) lay mainly on the analysis Survivors of the Shoah. Videographic and pedagogical transmission of the video- Personal Narratives and their Interpretations graphic source materials. In 1996, 38 inter- and introduce 14 articles by authors from the views were carried out ; in 1997, however, academic fields of literary and biographi- due to the research focus during that year, cal studies, history, political science, psy- only four more interviews were recorded. chology/psychoanalysis and others. These The average length of these interviews was essays strive to contribute toward a deeper 210 minutes, i.e. 8820 minutes of videotap- understanding of German regional histo- ing were generated. ry, namely in the regions of Berlin and During the third and last year of the Brandenburg from which most of intervie- Potsdam project, researchers working for wees originated or live today, as a repre- this project prepared three major publica- sentative microcosm of the wider questions

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surrounding Jewish survival and continued contends, biographical interviews occur at existence in Germany. In the following, I will the juncture of biography and society, since expand on some important topics addressed they reflect the socially available patterns in this book. of understanding historical and personal experiences both while these events occur The first part of the volume points to the var- and while they are retrospectively narrated. ious interdisciplinary approaches to sur- Individual patterns of understanding bio- vivor testimonies, the second part then graphical experience, as well as the belated includes analysis of specific narratives by construction and reinterpretation of this considering the temporal gap between the experience in the testimony is thus socially experience of persecution and survival more based and therefore allows for wider con- than 50 years ago, and the present narra- clusions. tion of these events. Biographical survivor narratives combine the three levels of the The socially constructed nature of survivor events themselves, which objectively testimonies becomes apparent when com- occurred in the past, with survivors’ sub- paring narratives by survivors who lived in jective experience of these events at the time former East and West Germany after 1945 of their occurrence and their interpretation and continue to live in the respective regions. by survivors in the present narration in The participation of witnesses from East extremely complex ways. According to soci- and West Germany in our project allows ologist and biographical researcher Gabriele for an interesting analysis of the historical- Rosenthal, biographical narratives are divid- ly different understandings of the Shoah in ed into those actual experiences in the past both German states between 1945 and 1989 and their subjective perception by the indi- and their impact on narrative structures in vidual ; the narration itself represents a con- survivor testimonies. Those survivors living struction and reinterpretation of these in East Germany after 1945 formed approx- subjective experience from the present per- imately one third of our interviewees. The spective1. great majority of this particular group orig- inated from assimilated families and had Due to the complex relationship between the identified primarily as German, not Jewish, actual events, their individual perception even prior to the Shoah. Many of them and their narration, survivor testimonies returned from the concentration camps or cannot simply function as one-to-one mir- from emigration to the eastern part of rors of the unfolding of historical events as Germany for decidedly political reasons. it is commonly understood2. Biographical narratives rather point to individual modes As literary scholar Lawrence Langer has of understanding those historical events, remarked, each testimony is unique in its while at the same time transcending indi- variety of narrative and interpretative pat- vidual life stories. As Gabriele Rosenthal terns3. At the same time, many testimonies

1 Gabriele ROSENTHAL, Erlebte und erzählte Lebensgeschichte. Gestalt und Struktur biographischer Selbstbeschreibungen, Campus, Frankfurt a.M., 1995. 2 See also Shoshana FELMAN and Dori LAUB, Testimony. Crisis of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, Routledge, New York, 1992 ; James E. YOUNG, Writing and Rewriting the Holocaust. Narrative and the Consequences of Interpretation, Indiana University Press, Bloomington and Indianapolis, 1988. 3 See Lawrence LANGER, «Preliminary Reflections on the Videotaped Interviews at the Yale Archive for Holocaust Testimonies», quoted in James E. YOUNG, Writing and Rewriting the Holocaust. See also Lawrence LANGER, Holocaust Testimonies. The Ruins of Memory, Yale University Press, New Haven, 1991.

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by survivors living in East Germany after survivors, as well as those interviewees of 1945 display a number of striking similari- «mixed» Jewish and non-Jewish ancestry ties in comparison to the West German in our project. 50 years after the Shoah, counterparts, which most likely result from those who survived the Shoah as children the much stronger identifications of those now form the majority of survivors still East German survivors with their German alive and physically able to speak about (socialist) state. James E. Young, too, has their experiences. In recent years, the par- observed comparative narrative structures ticular issues of child survivors have become among witnesses partaking in similar polit- a major focus of investigation in the fields of ical beliefs ; according to Young, these affini- literary, historical and social studies, as well ties do necessarily result from a shared as psychology and psychoanalysis. For the experience of persecution, as for example purpose of this presentation, I will therefore a concentration-camp interment at the same turn to the question of survivors from time and place, but rather from the fact that «mixed» Jewish and non-Jewish families, those narrators drew on the same political whose specific plight was neglected fre- tradition and its patterns of interpretation. quently by researchers. The Nazis discrim- inated German citizens of Jewish and Many narratives by survivors living in East Christian lineage as «Jewish mongrels» Germany after 1945 seem prone to political [«Jüdische Mischlinge»]. This group was argumentation, thus tending to efface the collectively spared from annihilation, even personal experience of persecution and the while its forced sterilization was planned emotions connected with it. In other words, by the infamous Wannsee Conference in the emotional quality of these narratives 1942, and restricted socially, i.e. in terms of frequently seems different from interviews education, occupation and marriage oppor- with other survivors. At the same time, the tunities, by countless laws and regulations. narrative pattern of political argumentation, In late 1944, most «Mischlinge» were which lends from already established modes interned in forced-labor camps in Germany. of public discourse, may represent a struc- One striking feature of this group, howev- ture to even speak about the essentially er, is its lack of a collective experience as unspeakable events of persecution, loss and existed in the case of those defined as «Jews». survival. Such modes of narration may thus «Mischlinge», as the Nazis termed them, enable survivors to recontextualize their were separated by a number of aspects, such experience within a larger discourse of social as generation and gender. For many of those and historical meaning, and allow them to who were adults in 1933, the Nazis’ seizure reconnect with those rational modes of of power represented a radical disruption of understanding the world which tended to their hitherto complete social integration. collapse in the seemingly irrational and They had already grown up in assimilated unpredictable camp experience. This read- ing of the function of political modes of families, in accordance with sociologists’ narration is supported by the surprisingly contention that intermarriage already con- large number of interviewees from former stitutes a marker of assimilation ; they were East Germany, which by far exceeded their baptized in one of the Christian faiths and share in the general German-Jewish popu- often had no religious or cultural ties to lation. Judaism, and sometimes no longer even a knowledge of their Jewish descent. In con- Another important focus of our research trast, children from intermarriage families was the large participation of former child who experienced their formative years under

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National Socialism were faced with complete of «miscegenation» and with it the shame of ostracism. They were not able to achieve «racial» and sometimes political ambiva- the education and social status which older lence had not only shaped their lives during «Mischlinge» already had and, in the case of the Nazi period, but continued into the social status, were sometimes able to keep postwar period with its absolute binary throughout the Nazi period. In addition, constructions of German perpetrators and the more unstable personal identities of chil- Jewish victims. As one of the first oral-his- dren led them to accept a variety of partial- tory projects addressing the Shoah, we ly competing models of identity, such as explicitly included the histories of former racial, religious and nationalistic ones4 ; i.e. «Mischlinge» and were thus able to record children tended to internalize racist and a large number of respective narratives. thus self-destructive constructs of identity As a last point, I would like to mention an more than adults, and in addition were con- edition of videographic testimonies pre- fronted more severely with incoherent pared for educational purposes. The visual notions of identity. component of these narratives, as well as Narratives by former «Mischlinge» in part their chilling emotional impact, render them also differ strongly according to gender. I will especially beneficial for working with them return to the question of gender at another in a pedagogical context. In 1998, an edition point. In the case of «Mischlinge», gender- of six exemplary tapes addressing topics specific experiences can result from the con- such as internment at Auschwitz, as well scription of many men into the German as survival in hiding and in emigration, were Army until 1940, even though they were produced for use in schools, universities not allowed to rise through the ranks. As a etc. The video edition comes with a book- case study in our book demonstrates, the let containing suggestions for the employ- temporary and partial participation of male ment of the audio-visual materials in the «Mischlinge» in German warfare could classroom. We are certain that teachers will result in an identification with the perpe- include the videographic media into their trators, thus rendering the relationship of work with students, thus helping to transmit these witness to the Nazi state and their the voices of survivors to the Third victimization by it extremely ambivalent. Generation. However, these ambivalences, too, are part One of the questions that arose again and of the history of persecution. As one of the again during our analysis of videographic first oral-history projects dealing with the survivor testimonies pertained to the possi- Shoah, we explicitly included former victims ble existence of gender-specific memories of Jewish and non-Jewish lineage and were of the Shoah - a topic I would like to suggest therefore able to interview many individu- for further research. These questions were als belonging to this group which largely sparked, among other sources, by the 1986 had kept silent so far. For them, the stigma book by literary scholar Marlene Heineman,

4 Franklin A. OBERLAENDER, The Identity Problem of Christian Germans of Jewish Ancestry During and After the Nazi Period and the Developmental Consequences for their Children : An Empirical Social- Psychological Study Based on Reconstructed Case Studies, Universität Berlin, 1993. 5 Marlene E. HEINEMANN, Gender and Destiny. Women Writers and the Holocaust, Greenwood Press, New York, 1986. 6 See Joan RINGELHEIM, «Verschleppung, Tod und Überleben», in Theresa WOBBE (ed.), Nach Osten. Verdeckte Spuren nationalsozialistischer Verbrechen, Verlag Neue Kritik, Frankfurt a.M., 1992.

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Gender and Destiny. Women Writers and the Heineman finds that women tend to empha- Holocaust, which examined gender-specif- size the importance of friendship and soli- ic patterns in autobiographies by female darity among camp inmates more than and male survivors of Nazi concentration comparative autobiographical narratives by camps5. Objectively speaking, differences male survivors. According to the author, among the experiences women and men i.e. Heineman, these differences result from during the Shoah may result from the strict the traditional role of women as mothers separation of genders in the camps. More and mediators in familial relationships. specifically, women arriving at Auschwitz However, Heineman’s investigation of sur- pregnant or as guardians of young children vivor autobiographies does not clarify were immediately sent to their deaths in whether these differences among men and the gas chambers. Joan Ringelheim sees a women regarding social contacts in fact gender-specific aspect of persecution alto- existed in the camps, or whether they rep- gether in the reproductive function of resent idealized constructs of femininity in women, in this case Jewish women, since society which resurface in survivors’ retro- they potentially gave birth to the next gen- spective recounting of their experience. After eration and were thus particularly targeted all, solidarity among inmates also plays a for annihilation6. Ringelheim’s examination major role in narratives by politicized sur- of preserved lists of mass deportations and vivors, including both women and men. shootings, as well as of demographic data of Due to some gender-specific differences in men and women in Displaced-Persons’ the nature of persecution as outlined above, Camps after the war, further allows for the an examination of questions of gender in conclusion that less Jewish women than the narratives themselves certainly seems men were able to survive the Shoah. essential to me, yet to my knowledge there exists no in-depth and satisfying analysis According to literary scholar Marlene of this matter to date. I would therefore Heinemann, however, gender-specific dif- like to alert other researchers’ attention to ferences not only mark the actual experiences this topic for further consideration. of female and male survivors, but also the very narrative tropes employed by them.

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NATHAN BEYRAK Director Words & Images The Jerusalem Literary Project - Israel

The Holocaust as seen through the Eyes of Bystanders and Collaborators

Since the end of 1996 I’m involved in a new dered by Lithuanians before the arrival of the oral history project initiated by Dr. Joan Germans ; eye-witnesses to the murder of Ringelheim, the Director of the Department the Jews by the Germans aided by of Oral History at the U.S. Holocaust Lithuanians ; and, if possible, Lithuanians Memorial Museum in Washington. who took part in the mass murder of the Jews. Recently we have also started research This new project, performed in several in France, in order to locate collaborators European countries, is aimed at collecting and try to obtain their testimonies. testimonies from non-Jews who witnessed the Holocaust. In the Czech Republic we The Romany suffering in the Holocaust recorded testimonies of Romanies ; in has rarely gotten the attention it deserved ; Poland we are interested in interviewing in addition, from my acquaintance with Polish eye-witnesses, such as former pris- their situation while working on this project, oners of concentration and extermination I know that these people are still suffering camps, people who lived in close proximi- severe discrimination, even to this day, and ty to those camps, as well as Poles who col- it’s important that their condition be given laborated with the Germans, and, if possible, as much publicity as possible. Poles who murdered Jews during or after the war. In Lithuania, we are recording eye- The documentation of Romany survivors in witnesses to the pogroms during the first the Czech Republic, both in Bohemia and in days of the war, in which Jews were mur- Moravia, was conducted on two separate

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taping trips, in March and in June, 1997. 24 strangers and the understandable sensitivi- survivors were interviewed about their ty - for we were dealing with people who Holocaust experience in the concentration not only underwent a traumatic experience camps of Lety in Bohemia, Hodonin in 55 years ago, but whose subsequent lives Moravia and Auschwitz-Birkenau and other were and are traumatic - we had to have camps in Poland and in Germany. on our staff people of Romany origin, oth- erwise the chances of obtaining an inter- There were two main obstacles which made view would be very slim : for these people, this into probably the most difficult oral talking about their Holocaust experience history project I conducted. means actually to point a finger against The first obstacle was a sociological, or per- Czech society : what happened in Lety and haps a political one, stemming from the Hodonin during the war is still regarded as social condition of these people. taboo subject in Czech public opinion, as The second was a professional problem of these camps were run by Czech people, not interviewing methods, and it, too, stemmed by Germans. in part from the social problem, but also So, dealing with a community of survivors from the nature of the mainly non-literal altogether lacking in motivation to testify on culture of our interviewees. their fate in the Holocaust, I was advised not First, about the sociological aspect : From to establish prior contact with them. what I learned of the Romanies on my trips, Advance notice would lead them to con- they are mostly a community living on the sult their relatives and these later, particularly fringe of society, at the bottom of the coun- the survivors’ children, would talk them try’s economic ladder. Most are unemployed into refusing. For they are either scared to be and uneducated and some are illiterate (one identified as Romanies, if their neighbors of our interviewees was unable to sign her are unaware of the fact ; or they do not name). And, what is possibly gravest of all, want their parents to talk of crimes com- certainly from their own viewpoint - the mitted by Czechs during the war, lest they skinheads represent a genuine threat in a be accused of slander (as the quasi-official society where shrill nationalistic elements, line, all through the years, had been that «It bent on driving them away, are present even Were the Germans Who Did It»). The dan- in Parliament. Many of them try, therefore, ger is very real as reactions to such «slander» to conceal their Romany origins ; they make could range from abuse and physical vio- no secret of the fact that the atmosphere of lence, to dismissals from work, etc. «It’s a constant fear they live in is in many ways pity they didn’t finish you off with the gas reminiscent of the period immediately prior in Auschwitz» neighbors said to one of our to the Holocaust. «When you finish this witnesses. work, you will have the lists again», one of I can further illustrate this difficulty by the witnesses told us, referring to the lists of some of the things that happened on our names by which the Romanies were round- taping trip. Several witnesses, for instance, ed up for the camps almost sixty years ago. agreed to testify on condition that the inter- For all these reasons, they have negative view would not be shown on Czech televi- motivation for testifying or generally coop- sion. One of them said that she was terrified erating with strangers, and anyone who is of the skinheads. After about an hour of not a Romany is a stranger to most of them. taping, her daughter arrived and told the Because of this general suspicion towards witness she should not testify because it

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could harm her health and she was risking an living in Prague, Holocaust survivors as attack by the skinheads ; the witness asked well, who have been doing oral history doc- for the interview to be terminated. Another umentation in Czechoslovakia for many one agreed to testify posing an additional years with Jewish survivors. We still had to restriction : she could only be taped with have with us a Romany escort, and we kept her back to the camera, so that her face the Romany interviewer, who was knowl- would not be recognized. edgeable about Lety and Hodonin camps, specifically relevant to the Romany Now let me say something about the second Holocaust, which the Jewish Ladies knew problem, that of the talking culture of this very little about. community. As you know, Romany cul- ture has no writings, no books, no written Thus an unusual interviewing method was history, and this non-literal tendency, natu- developed, different from all previous pro- rally, also influences these witnesses’ way jects in which I took part : one of the two of speech, which is sketchy, jumpy, and Jewish interviewers opens the interview, there is a need to ask many clarifying ques- while the Romany one sits at her side, lis- tions, as they use only very general expres- tening and taking notes. When the first feels sions, give no details, and a very confused that she has exhausted the conversation and chronology. The problem was that, as we is no longer getting significant information used an interviewer of Romany origin, she from the witness, the Romany interviewer was used to this way of talking and accept- replaces her and asks some further ques- ed it. For instance, whenever the witness tions. In this way we attempted to over- summed up something important in a sin- come the reticence of the witnesses and their gle sentence, skipping all details («We stood tendency to tell only a curtailed story, almost in the Appeal for three days» or «We walked entirely lacking in detail, as well as to cover for a week», etc.) the interviewer accepted it properly all the camps the survivor passed and did not ask for details, as another inter- through during the war. This resulted in viewer might have done. interviews which generally tend to be on Yet another difficulty lay in the fact that the shorter side, and, as the interviewers when the issues were Lety or Hodonin, the were forced to ask many questions, they Romany interviewer had sufficient back- are also rather fragmentary and sometimes ground information to know what to ask sound more like an «interrogation» : long (although there was a tendency, precisely questions and brief answers. because of the familiarity with the sequence Another hard to resolve issue was that of of events in certain historical places, for witnesses’ reports which seemed to be biased telling the witness what had happened there on certain points. One Witness, for example, to him or her, rather than letting the story said that, in addition to the Czechs, there come from the witness him - or herself). were German guards in the camp. But all the But then, when other places, such as guards are known to have been Czech and Auschwitz, came up, the interviewer lacked it was they who tortured the prisoners. The the historical knowledge, and being inex- «addition» of German guards may have perienced with this type of interview hin- been meant to get the witness out of the dered her from helping witnesses to tell a difficulty of appearing to accuse Czech soci- more complete and significant story. ety of collaboration, or worse. By the same In order to improve the interviewing qual- token, another witness said he had not come ity I recruited two old Jewish ladies across any beatings in the camp. But Lety

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was apparently a small camp, with no more spent the entire last snowy winter unable to than two thousand prisoners at a time, and heat her apartment ? In the interviews the we know of many, very frequent, beatings ; witnesses’ current situations are addressed, it is hard to believe that he had been ignorant and it is not hard to understand why - apart of them. Maybe he, too, preferred not to from all the other difficulties I have described appear as an accuser. Life in the camp was - they have little interest in talking about «reasonable», according to his testimony ; the distant past. For them, the hard times are notwithstanding the fact that, according to still far from over. his own account, he lost both his father and his daughter there. Finally, I’d like to say a few words about a different kind of oral history project I’m In spite of all these difficulties, though, we involved in : «Words and Images - The achieved our main goal. We do have now an Jerusalem Literary Project». In it, we invite oral history documentation about the fate of leading Jewish writers from around the the Romanies of the Czech Republic during world, not necessarily Holocaust survivors, the Holocaust, first of all in the two con- to Jerusalem, for a whole day in-depth centration camps Lety, in Bohemia, and videotaped interview about their life and Hodonin in Moravia, and also in Birkenau work. and other camps where they were sent to later on. We gained information about the But, as it happens, many of best creative way those two camps were run, the brutal Jewish writers in the world today are sur- treatment and punishments, starvation, the vivors of the Holocaust. In those cases, the death of children, diseases of the prisoners, Words & Images Association cooperates the special way of life in camps mixed with with the Fortunoff Video Archive, headed man, women and children - a usual phe- by Prof. Geoffrey Hartman. The Words nomena in the German Nazi camp system, and Images team has recently recorded two except for one other case, the family camp of additional interviews with two great writers Jews from Terezin in Birkenau - and other who are also Holocaust survivors : Imre details such as the Romanies who were Kertesz from Hungary and Ivan Klima brought from Germany to serve as Kapos, from the Czech Republic. Mr. Kertesz, in and more. It is indeed eye-opening to learn my opinion, has succeeded more than any- that at the same time that the Czech state was one else in rendering the experience of being under German occupation, Czech people a Muselman in a concentration camp ; Mr. cooperated with the Germans to oppress Klima has told us in his fiction what it was the Romanies. like being a child in Teresienstadt. These On a personal note, this project was the two interviews, lasting more then seven most difficult of all those I carried out, also hours each, were added to our existing col- because of the feeling that here I am, enquir- lection of interviews with the late Julian ing about what happened to people more Stryjkowski, and with Aharon Appelfeld, than fifty years ago, while as far as most of Ida Fink, George Konrad, and I hope we them are concerned, it is their present cir- will soon tape an interview with Norman cumstances which should be the prime topic Manea. So I think that it is already becom- of interest and concern. What interest can ing an important collection which is unique there be in an old lady’s wartime testimony in its field. when she is now living in desolation and in constant fear of racist violence, and had

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ANNE VAN LANDSCHOOT Collaboratrice scientifique Fondation Auschwitz - Belgique

D’un témoignage à l’autre : quelles démarches pour quelles réalisations ?

Il y a tout juste deux ans, lors de notre pré- justement remarquer qu’alors que nos inter- cédente Rencontre, Yannis Thanassekos viewers semblaient se rapprocher du témoin formulait ici même cinq remarques quant à «comme pour mieux recueillir une parole qui l’évolution qualitative des interviews réali- se voulait intime», le dispositif technique sées par notre Fondation depuis la premiè- de nos enregistrements connaissait un chan- re Rencontre Internationale. Parmi ces gement significatif : l’opérateur caméra qui, remarques, on relevait : lors des premiers entretiens, occupait une • un allongement général de la durée de place centrale par son positionnement face nos enregistrements ; au témoin et sa mobilité, se voyait désormais réduit à un rôle d’observateur, inerte et dis- • une certaine «décrispation» des rela- tant, filmant le témoin «en profil perdu, le tions «témoins-interviewers» ; cadre fixe, comme s’il s’agissait d’une camé- • une évolution significative des témoi- ra de surveillance»2. gnages que nous enregistrons vers des Deux ans plus tard, ces remarques n’ont récits de vie ; rien perdu de leur perspicacité ni de leur • un allongement du questionnaire de actualité. Au contraire, alors qu’elles étaient nos interviewers1. formulées à l’époque comme autant d’ob- A ces remarques, s’ajoutait une observation servations nées de l’analyse après coup de de Frédéric Fichefet, monteur, collabora- notre méthodologie, on peut dire aujour- teur à notre Fondation, qui faisait très d’hui qu’elles constituent, en quelque sorte,

1 Yannis THANASSEKOS, «Du témoignage au récit de vie» in Du témoignage audiovisuel/From the audiovisual Testimony, Actes de la Deuxième Rencontre Audiovisuelle sur le témoignage des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, Bruxelles-Paris, 1996, pp. 52-54. 2 Frédéric FICHEFET in ibid., p. 58.

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l’axe central de notre façon de faire en matiè- de statut depuis le début de notre pro- re d’enregistrement des témoignages de gramme. rescapés. Voici, exposé brièvement, ce que, je pense, la captation de ces témoignages m’ont appris En effet, les enregistrements que nous réa- de l’évolution du rôle de ces actants, au lisons actuellement et qui, depuis 1996, sont niveau d’abord des relations entre les témoins d’une durée moyenne d’environ six heures et nos interviewers ; à celui ensuite des rap- trente (trois heures environ entre 1992, année ports qu’entretiennent ceux-ci avec le dis- de commencement de notre programme, positif technique de nos enregistrements et et 1994, année de notre première Rencontre ; avec le spectateur : cinq heures environ entre 1994 et notre deuxième Rencontre en 1996), sont repré- sentatifs d’une remarquable évolution, au 1. Locuteurs/enquêteurs- niveau d’abord des relations entre nos inter- auditeurs : vers une relation viewers et les témoins, qui semblent avoir pris l’orientation d’un véritable échange plu- d’interlocuteurs tôt que d’une distribution questionne- Nombre d’entre-nous ont souvent éprouvé, ment/récit (ou enquêteur-auditeur/locuteur) ; je crois, certaines difficultés à définir préci- du point de vue ensuite de la substance du sément la fonction de nos interviewers dans témoignage qui, outre le récit des atrocités de la création des témoignages que nous enre- la criminalité nazie par la déportation, l’in- gistrons. On parle tantôt d’«enquêteurs», carcération, l’extermination, ... - ce qui conti- d’«auditeurs», ou, pour faire simple, neutre, nue, certes, d’être le point central de nos et en quelque sorte contourner le problème, enregistrements - s’attache également à d’«interviewers». rendre compte de la vie quotidienne sous l’Occupation, des conditions de travail avant La grande difficulté d’une telle définition et après la guerre, des circonstances de l’im- réside, me semble-t-il, dans la variabilité migration juive, ... ; au niveau enfin de la même de la fonction d’«interviewer». Au technique de nos enregistrements dans la niveau d’abord de la méthodologie des dif- mesure où l’opérateur caméra semble désor- férentes institutions : chaque équipe fonc- mais agir uniquement sur le plan de la fixa- tionne selon des critères bien spécifiques et tion du témoignage, plutôt que de jouer un se fait son idée, aussi vague soit-elle parfois, rôle, comme auparavant, dans la mise en de ce que doit être un témoignage, donc relation de nos interviewers avec le témoin. aussi un «interviewer». Au niveau ensuite des mécanismes internes au témoignage : les relations entre les actants du témoignage, Cherchant à mieux saisir les critères de notre et donc aussi avec les «interviewers», se font méthodologie et à capter ce que nous avons et se défont en fonction - et c’est inévitable produit depuis six ans en réalisant des témoi- - de la personnalité de chacun, des divers gnages de la sorte, j’ai tenté de décrypter ce vécus et expériences, ... bref, d’une série de que nous apprenaient ces enregistrements de facteurs qui font la spontanéité des rapports l’évolution de notre travail en la matière. induits par le témoignage, mais nous empê- Mon attention s’est surtout portée sur les chent aussi de définir clairement le rôle à actants des différents témoignages, les donner au préalable à nos «interviewers». témoins bien sûr, mais aussi les intervie- wers, techniciens et spectateurs, qui tous Il n’empêche qu’il nous est tout à fait possible ont été confrontés à maints changements d’observer quelle est la place de ces

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«interviewers» dans le témoignage, com- vis de l’«interviewer») - mais aussi par rap- ment ils contribuent à le créer, comment port à sa propre place dans le témoignage. nos doutes et nos inhibitions peuvent aider L’attitude de nos «interviewers» est très à l’enrichir ou à le freiner dans sa réalisa- significative à cet égard : dans les premiers tion, comment les témoins ont donné (ou enregistrements, on paraît sans cesse oscil- n’ont pas donné) une fonction à ces «inter- ler entre une fonction d’enquêteur qui, par viewers». son questionnement, doit parvenir à faire Les premiers enregistrements que notre jaillir un témoignage aussi complet et com- Fondation a réalisés faisaient apparaître un préhensible que possible, et une fonction certain malaise quant aux relations entre d’auditeur qui, par son écoute, doit parvenir témoins et «interviewers». De part et d’autre, à faire jaillir du locuteur un témoignage on sentait le test, l’interrogation vis-à-vis aussi personnel que possible. Toujours dans de celui qui se trouvait en face. Dans le le témoignage de Paul R., par exemple, l’in- témoignage de Paul R., par exemple, qui terviewer adopte une position d’écoute jus- fut enregistré en juin 1992 (notre premier qu’à ce qu’il interrompe subitement cette enregistrement fut réalisé le 20 mars 1992), écoute et le récit pour revenir à ce qui a été le témoin, rescapé d’Auschwitz, ne cesse dit et le synthétiser par «donc...». Tout de d’interpeller la personne qui l’«interview» suite après, sans que le témoin ait pu pour savoir si celle-ci est satisfaite ou non de reprendre le fil de son récit, l’interviewer son récit : poursuit : «Et de cela, vous avez des souve- nirs ?», ce qui semble déconcerter forte- «C’est intéressant ce que je raconte ?» ment Paul R. «Est-ce que c’est assez ce que je raconte ?» «Est-ce que je dois raconter cela ?» Pourtant, au fil des enregistrements et par- «Vous voulez encore savoir quelque chose ticulièrement à partir des années 1995-1996, d’Auschwitz ?»3. on sent progressivement la mise en confian- ce. Du fait de facteurs, certes, très difficiles L’interviewer, quant à lui, sollicite constam- à cerner et parmi lesquels on doit certaine- ment Paul R. pour qu’il précise telle ou telle ment compter l’approfondissement de l’ex- chose, qu’il synthétise ses propos, comme s’il périence de nos «interviewers»4 (au 1er craignait que le témoin ne se livre pas assez. janvier 1996, notre Fondation avait réalisé 97 Si un tel malaise se ressent de façon plutôt témoignages), ceux-ci semblent abandon- constante à l’observation des enregistre- ner les tensions du début en même temps ments réalisés dans les premières années de qu’ils paraissent délaisser les obligations de notre travail, et particulièrement jusqu’aux leur fonction d’enquêteur et/ou d’auditeur années 1995-1996, il doit, je pense, être au profit d’un plus grand investissement recherché au niveau des doutes respectifs dans la relation qui les lie au témoin. Bien sûr, que chacun des témoins et des «intervie- on pose encore des questions mais le témoin wers» entretenait par rapport à l’autre - et en pose aussi. Samuel A., par exemple, dont plus précisément par rapport à la fonction le témoignage fut réalisé en juin et novembre que cet autre devait remplir (même si cela 1997 (au 1er juin 1997, notre Fondation vaut surtout, je pense, pour le témoin vis-à- comptabilisait 123 enregistrements) :

3 Archives de la Fondation Auschwitz - Fonds des Archives d’histoire orale, YA/FA/0012. 4 Pour une première mise en questions de ces facteurs, voir Yannis THANASSEKOS, Op. cit., pp. 52-53.

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«Vous connaissez cela ?» Notre «interviewer» : «Non, non. «Vous savez comprendre cela ?» Normalement [et l’interviewer reprend ici son rôle d’enquêteur] je dois aussi vous «Vous connaissez les [il cite un nom de poser des questions sur [...]». famille] ? C’est une famille très connue à Bruxelles. Vous les connaissez ? Non... Il semble que depuis six ans maintenant que vous ne les connaissez pas»5. nous réalisons des témoignages audiovi- suels, un véritable échange s’est construit On écoute toujours le récit du témoin, mais entre les témoins et nos «interviewers», une on n’hésite pas à lui faire part d’une incom- sorte de partage dans le récit qui fait penser préhension («Mais comment avez-vous fait à l’élaboration d’une conversation par deux cela ? Je ne comprends pas bien») ou d’une interlocuteurs qui sont, certes, mis en situa- appréciation («Cela a dû vous faire mal» ; «Je tion par l’enregistrement même du témoi- suppose que cela aussi, cela doit être dur»6. gnage, mais qui se livrent tous deux d’une Une des meilleures illustrations de l’appro- façon relativement «spontanée». fondissement des relations «témoins-inter- viewers» jusqu’à une relative intimité, réside, à mes yeux, dans cette phrase de Samuel A. 2. Redistribution à la personne qui l’«interviewe» : des rôles de l’opérateur «Je ne me sens jamais seul. Quand je suis caméra et du spectateur : avec vous, je ne me sens pas seul non plus, hein ?» un mouvement significatif Les pressions vis-à-vis de la réalisation, sur- du communicateur tout technique, du témoignage paraissent Depuis le début de notre programme d’en- s’estomper, elles aussi, de façon progressive registrement des témoignages de rescapés à partir des années 1995-1996, conjointe- en 1992, le dispositif technique de nos inter- ment bien sûr à la maîtrise de plus en plus views a connu quelques changements importante du dispositif technique de nos majeurs pour l’évolution de notre travail. enregistrements : les tensions qui pouvaient Parmi ces changements, le rôle de l’opérateur apparaître auparavant, par exemple, à la vue caméra, amené à fixer le témoignage, a fait, de la fin d’une cassette vidéo alors que le nous semble-t-il, l’objet d’une redistribu- témoignage devait impérativement se pour- tion remarquable : suivre sans qu’on ait à interrompre le témoin de façon trop brutale, laissent dorénavant «Durant les premières interviews, la camé- place à une sorte de dialogue entre le témoin ra et le cadreur étaient des personnages et l’«interviewer» : actants de l’entretien. Il y avait un souci de Samuel A. : «La cassette est finie ?» la chose filmée. Les cadres s’alternaient en fonction de l’intensité du discours, Notre «interviewer» : «Non, il reste enco- parfois de manière incohérente, sensible, re cinq minutes». accidentelle mais toujours présente. La Samuel A. : «Allez, oui... bon, c’est la fin ?» caméra était située en face du témoin,

5 Archives Fondation Auschwitz - Fonds des Archives d’histoire orale, YA/FA/0133. 6 Ibid. 7 Frédéric FICHEFET, Op. cit., p. 58. 8 Yannis THANASSEKOS, Op. cit., p. 53.

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entre les deux interviewers. Et puis dou- donc être en lien direct avec cette «sorte de cement le dispositif a glissé. Les intervie- décrispation des relations témoins-intervie- wers se sont rapprochés du témoin wers» dont parlait Yannis Thanassekos en comme pour mieux recueillir une parole 19968. qui se voulait intime. La caméra, par contre, s’est éloignée se voulant sans doute Sans revenir ici sur les facteurs d’une telle discrète. Elle filme désormais le témoin en «décrispation», je pense qu’au début de profil perdu, le cadre fixe, comme s’il notre travail, et plus particulièrement des s’agissait d’une caméra de surveillance. années 1992 à 1995-1996, l’opérateur camé- La méthodologie du dispositif s’est donc ra occupait un double statut : celui d’abord, considérablement rigidifiée. On a balayé comme aujourd’hui, de fixer le témoignage tout signifiant de l’image comme si le pro- pour le mettre en relation avec le specta- blème méthodologique se trouvait là»7. teur ; celui ensuite, qui paraît ne plus avoir cours actuellement, d’intervenir dans la rela- Plutôt que de traiter ici de «balayage des tion «témoins-interviewers» comme une signifiants de l’image», je parlerai de «redis- sorte de communicateur entre le locuteur tribution» de ceux-ci car si l’opérateur camé- et l’enquêteur-auditeur. ra, par sa mise en inertie et sa mise à distance, semble s’être éloigné des interlocuteurs En effet, si les rapports entre nos «intervie- «témoins-interviewers» ainsi que des rela- wers» et les témoins faisaient apparaître, tions qu’ils entretiennent, il occupe tou- comme je l’ai déjà dit, un certain malaise au jours une place centrale dans début de nos enregistrements, quant à la l’enregistrement, signifiant encore par sa réalisation du témoignage lui-même mais présence même la fixation du témoignage aussi quant à la définition des rôles «témoin» ainsi que la mise en relation avec le specta- et «interviewer», l’opérateur caméra, par sa teur (pas de caméra sans spectateur ; pas de mobilité et son positionnement face au spectateur sans caméra). témoin, sembla constituer une présence nécessaire pour instaurer des liens, mani- Comment cependant nier que l’action même festement trop fragiles par eux-mêmes, entre de l’opérateur caméra dans la création du le locuteur et l’enquêteur-auditeur. Dès lors témoignage s’est considérablement amoin- que ceux-ci posèrent les bases d’une relation drie, surtout depuis les années 1995-1996, plus sensible, que chacun parut trouver sa pour se confiner finalement dans la repré- place dans le témoignage et s’affirmer comme sentation du spectateur et de l’acte de la interlocuteur, dès que la relation «témoin- fixation du récit ? Et comment dès lors qua- interviewer» arriva, dans un certain sens, à lifier le statut qu’occupait précédemment maturation sous la forme du dialogue, le cet opérateur pour que l’on puisse parler communicateur-caméra sembla devenir ici de restriction et de redistribution de son superflu, voire gênant - j’y reviendrai - sans action et de sa fonction ? aucun autre apport à cette relation que celui Sans doute ce statut doit-il être cherché dans de représenter le lien avec la technique et la mise en relation de nos «interviewers» et le spectateur. Ainsi l’appel à la caméra à l’in- des témoins «interviewés», dans la mesure où térieur de la communication entre c’est précisément lorsque ceux-ci ont sem- l’«interviewer» et le témoin, via des plans blé se rapprocher davantage pour former rapprochés etc., se raréfia pour finalement une certaine intimité que la caméra s’est disparaître, au détriment d’ailleurs parfois de éloignée. La redéfinition de la place de la la bonne communication avec le spectateur : caméra dans la création du témoignage paraît au début de nos enregistrements, appel était

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fait, par exemple, systématiquement à la teur, on s’est en quelque sorte libéré du spec- caméra pour opérer un plan rapproché du tateur lui-même, comme si celui-ci ne pou- matricule tatoué sur le bras du témoin lors- vait finalement que tenir le rôle d’un qu’il s’agissait d’aborder la question de son communicateur via la caméra. D’où son arrivée à Auschwitz. Depuis 1996, la réali- incursion parfois gênante dans le témoigna- sation de ce plan ne semble plus être éprou- ge : lors de l’enregistrement, par exemple, vée comme une nécessité. Ceci peut être du témoignage de Samuel A. en 1997, celui- perçu comme révélateur de la libération des ci interpelle son interlocuteur à un moment rapports «témoins-interviewers», dans la du récit pour lui signifier que la présence de mesure où ceux-ci paraissent désormais ne la caméra (et donc le regard du spectateur) le plus avoir besoin d’un communicateur-camé- gêne dans la poursuite de son témoignage : ra pour aborder certaines questions qui pou- vaient peut-être leur sembler délicates «Cela, je vous le raconterai à part. Pas précédemment. Mais cela peut également besoin ... [il montre la caméra], je ne suis être représentatif de l’altération d’une telle pas un héros» libération sur notre travail, au sens où, dans ce cas-ci par exemple, la décrispation des «Cela, j’aimerais que vous coupiez. Cela rapports a pour conséquence de négliger la n’intéresse personne. Je ne suis pas un compréhension des événements par le héros». spectateur. Réponse de notre «interviewer» : «On ne On peut, en effet, s’interroger sur les consé- peut pas couper». quences de la décrispation des relations «témoins-interviewers» ainsi que de leur Samuel A. de répondre : «Alors ne parlons libération par rapport à l’enregistrement, à la pas de cela, je vous le raconterai plus tard». caméra et donc finalement au spectateur, sur le témoignage lui-même et sa compréhension. Cela revient à poser la question de la (re)défi- Sans doute assistons-nous ici, depuis 1996 nition du statut du spectateur et de ses rela- environ, à un nouveau tournant dans notre tions avec l’enregistrement : comment le travail : alors que nous avions préalable- regard du spectateur est-il perçu actuelle- ment dû faire face à une certaine rigidité ment (ou plutôt depuis le tournant qu’a des rapports «témoins-interviewers», la connu notre travail dans les années 1995- décrispation de ces rapports, qui s’est opé- 1996) par les interlocuteurs «témoins-inter- rée conjointement à l’éloignement de la viewers» ? Quels sont aujourd’hui les critères caméra, en aurait finalement créée une autre : de compréhension du témoignage ? celle des relations avec le spectateur. Aussi devrons-nous sans doute à l’avenir nous On a vu qu’en même temps que s’affirmait, atteler à mieux situer la place de ce spectateur par sa décrispation, la relation «témoin-inter- et son rôle dans la création du témoignage. viewer», l’opérateur caméra qui semblait Tâche difficile, certes, étant donné que l’évo- constituer auparavant un communicateur lution des rapports qu’induisent nos enre- indispensable à l’établissement de cette rela- gistrements nous échappe la plupart du tion, devint comme superflu à cette relation, temps : les relations s’y font et s’y défont le voire gênant. Il est, en effet, remarquable de plus souvent de façon «spontanée», en constater comment, plutôt que d’intégrer le dehors de la conscience que nous pouvons spectateur à la relation qui lie les interlocu- avoir de notre travail à l’instant même où teurs, en s’affranchissant du communica- nous le réalisons.

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DISCUSSION*

Note de l’éditeur : Il nous a été évidemment impossible de reproduire dans leur intégralité la totalité des interventions qui ont eu lieu lors des discussions générales. Cependant, toutes les pré- cautions ont été prises pour que les quelques découpes et remaniements formels que nous avons dû opérer pour des raisons pratiques (notamment pour la distribution des interventions selon les thèmes abordés) ne soient pas de nature à modifier fon- damentalement le sens des propos tenus. En tout état de cause, nous ne pouvons demander qu’indulgence. Il nous a fallu faire des choix et faire vite. Note of the Editor : It has been impossible to reproduce all the contributions to the general discussions in their integrity. Nevertheless, we attempted to realize some necessary cuts and modifications (especially the distribution of interventions according to the topics mentioned) without altering the sense of the remarks. We ask for your indulgence for the choices that had to be made in a very short time.

Méthodologie, dispositif Rencontre que les témoignages qu’il prati- quait se faisaient en audio et pas en audio- et accessibilité visuel. A-t-il maintenant changé son du témoignage audiovisuel système ? Izidoro Blikstein : Nous avons commencé à enregistrer sur support audiovisuel à par- Methodology, mechanism tir de 1992-1993. Nous faisons une retrans- and accessibility cription de l’interview sur laquelle nous of audiovisual testimonies essayons d’indiquer les pauses, les intona- tions, ... par un code que nous avons créé, en Baron Paul Halter, rescapé, Président de essayant de montrer les hésitations dans le la Fondation Auschwitz (Belgique) : Je vou- discours, les répétitions, etc. Nous avons drais poser une question générale, surtout à donc, à côté de l’enregistrement audiovi- Monsieur Blikstein. Je crois me souvenir suel, la transcription des paroles des qu’il avait dit lors d’une précédente survivants.

* La retranscription des interventions en anglais, leur mise en forme et leur correctrion ont été réalisées par S. Lewis et Stephan Sturm (Gedenkdienst, Autriche). Qu’ils en soient vivement remerciés / The retranscribing of the english accounts, their formatting and their correction has been carried out by S. Lewis and Stephan Sturm (Gedenkdienst, Austria).Our heartfelt thanks to them.

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Baron Paul Halter : Madame Tarsi et I’m glad we did that. So we have Betacam Madame Gelbin, vous basez-vous, vous originals. The actual originals go to a film aussi, sur des interviews audiovisuelles ou archive, the German National Film Archive, simplement audio ? La technique est, en where they are stored at a certain tempera- effet, tout à fait différente. ture and all the things Joanne talked about before. A Betacam copy of the original goes Par ailleurs, est-ce que lors de ces prises de to Yale and is stored there at the archive. A témoignages, il y a une transcription de ces Super VHS copy goes to the German témoignages qui complète soit le témoi- Memorial Museum at the Haus der gnage audiovisuel, soit le témoignage audio ? Wannsee-Konferenz, where the annihila- Anita Tarsi :We use videotape always, only tion of European Jewry was planned in videotape, no audio, and we try to inter- 1942, and a VHS copy stays at the Moses view with two people in front of the sur- Mendelssohn Zentrum for educational pur- vivor. It happens mostly that one of the poses. We are not a public museum. We interviewers is taking notes while the inter- cannot offer facilities to researchers who view is on. We send the tapes to the archives want to work with these tapes, which is and we, ourselves, don’t make any move why all the public work is done at the Haus on the interviews after we have completed der Wannsee-Konferenz, because they have them. It doesn’t matter how we get the an archive there and a library, and they have names of the people we decide to interview, facilities for researchers who want to work but we first have a phone conversation. We with these tapes. We don’t edit the tapes. send letters explaining the method of the The copies and the originals go unedited interview, and also an example of a contract with all the silences and everything. We find that we make with a survivor. Later on we that very important, not to edit the tapes. We have a second phone conversation with a do have some edited versions for educa- more in-depth discussion about the way tional reasons. We’ve taught several univer- we are going to do the interview, and if it’s sity courses on those testimonies, and since needed we meet the survivor. In most cases some of them are six or eight hours long, the meeting is not needed. We get from the you obviously have to edit them. We also survivor in the second call an explanation of produced a version, a video edition of six his fate. We know exactly the places he was, tapes, for educational purposes. They’re when he was born, where he was born, and each thirty minutes long. So those are edit- we prepare ourselves according to that for ed versions, but everyone can go to the the interview. If it is a special interview like memorial at Haus der Wannsee-Konferenz that we had with a witness who worked in and look at the unedited versions, they’re the medical environment, we invited a spe- publicly accessible. cial interviewer, who is a microbiologist, a professor, and he helped us to interview Baron Paul Halter : J’ai été fort surpris him in the right way. tout à l’heure par l’intervention de Madame Tarsi qui nous disait qu’elle devait s’y Cathy Gelbin : We also did video inter- reprendre à quatre ou cinq fois auprès d’une views. It was interesting for me to hear personne avant qu’elle ne se laisse intervie- Joanne Rudof talk about the transition to wer. Est-ce que c’est une règle générale ou ce Betacam taping, because we started inter- sont là des cas particuliers ? viewing in 1995, and we’re working very closely with Yale and started with Betacam Anita Tarsi : I’ll give you examples, then right away, so we started at the right point. it will be easier. We had one person, one

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lady, she was a child, a lonely child in they are expected to answer some expecta- Majdanek. She was seven years old, and she tions. If it is an association that deals with the was kept in Majdanek with others. For one underground or rebellion, some people feel year we were speaking with her. Once in a that they must answer the expectations of while we were coming back to her and those institutions. Sometimes institutions telling her «Come and make the interview». send historians who are making research She did not say no completely, but she said on special themes. They come to the sur- «no time». And we came back to her. It vivors and from the beginning they tell them happens to us now more than it happened «We are interested not in all your life, in all before, but it’s not with all the people, it’s the experience, but in some pieces of it»; mostly with a small amount of them. while our project says to the survivor «You come here to tell the story, your story. You Yannis Thanassekos : Je souhaiterais poser are the one to lead the interview, and you deux questions à Madame Tarsi. have all the time in the world to tell your Premièrement, vous avez dit avoir com- story. We are not going to stop you, we are mencé une série d’interviews qui portent not going to tell you not to tell. Everything sur des témoignages «hors institution», si je is important, every detail is important». puis dire, «hors monde associatif». Ce qui Actually, they don’t «buy» what we say. m’intéresse, c’est de savoir si vous avez fait They check. They always ask «Do you des études comparatives entre ces différentes think, do you believe this is really impor- interviews celles réalisées dans un cadre tant ? Who is going to hear what we say ? associatif ou institutionnel et les autres. Who will be wanting to hear all these Existe-t-il des différences au point de vue de details ?» And I think that we make sure l’organisation de la mémoire ? that they understand how important are Deuxièmement, profitant de ce type d’in- those details, how they make the history terviews «hors monde associatif», vous avez of the Holocaust - that it’s possible to get dit avoir mis l’accent sur les aspects identi- close to it until you almost understand it. taires, la formation de l’identité et la réflexion Then I think it’s worth making compar- de soi. Est-ce que vous pouvez nous dire isons between interviews that are made quelques mots sur les différences que vous through institutions with the interviews avez pu observer entre des interviews où that we do. c’est bien l’élément identitaire qui prédo- mine dans la structuration du témoignage et (...) Now about identity. I think identity des interviews où ce même élément identi- problems are always there in all our inter- taire serait présent dans la construction views, but it’s different if you bring it up. mémorielle ? (...) Also, the survivor and the interviewer are Anita Tarsi : (...) You asked questions about aware of it, and they want to make an issue people feeling better making their inter- of it. It’s important to bring it up and to views in our project than in any other insti- say «This is something that happened to tution. We did not make any research that you, and that is important, almost like the we can base that on. We only have the expe- events you went through». To give the sur- rience of meeting the survivors and them vivor the honour to have his inner life put at telling us that they feel better. I think they the same level as the historical events. And said things like «What do you expect from I believe it’s one of the main goals that we us ?» When you go to an institution, it’s can approach through the interviews. If we more clear, at least in their eyes, that maybe only want to know about events, we don’t

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need so much the interviews. What we need vivor to be someone that was very active in out of it is about the cultural life, the emo- surviving or passive in surviving, or that tional life, and also - this is maybe a little bit was nice to somebody or was bad to some- too psychological, but I believe that history body. But if I tell him «Whatever you were, today is much more inter-disciplinary than it’s OK with me ; only tell me your story» it was, and we have to use the tool to under- now there are expectations from his side. stand exactly what it was for a human being He wants a commemorative document. He to live through the Holocaust, and how wants to have it for his family, for his chil- much his identity and his perception of dren. Also in those things he has expectations himself changed, and how that influenced for himself, to do it the best way he can, him in making a new life after it - if there is and also to bring the best perception of a life at all. himself. I know that this is already very complicated, and if I said that there are not Yannis Thanassekos : (...) Je voudrais reve- expectations, I take it back. I’m sorry. It nir sur cette différence qui existerait entre les wasn’t true (...). témoignages des survivants qui se rendent dans les institutions pour livrer leur témoi- Maris Lipstadt, rescapée : Une petite ques- gnage - où il y a apparemment une attente tion à Anne Van Landschoot : dans ta com- qui organise la mémoire du témoin - et ceux mication, tu as parlé de spectateurs lors des qui témoignent dans des «lieux» où il n’y interviews. Qui sont-ils ? aurait apparemment pas une telle attente. Anne Van Landschoot : Dans les consta- Or, je vois mal un témoin qui se prêterait, à tations et les observations que j’ai livrées, un titre ou à un autre, à témoigner si il ne le je parlais d’un spectateur potentiel, celui qui faisait pas pour répondre à quelque attente demain visionnera le témoignage. J’ai situé que ce soit. Je ne pense pas qu’un témoignage les actants du témoignage, le niveau du puisse être accueilli, par n’importe qui témoin, celui de l’interviewer et celui de d’ailleurs, individu, institution ou association, l’opérateur caméra qui joue, lui aussi, un sans que le témoin qui pose cet acte n’espè- rôle dans l’interview et qui a aussi des inter- re répondre à une attente - diffuse ou insti- férences sur les relations témoin/intervie- tutionnalisée. Il n’y a de témoignage possible wer ainsi que sur le regard du spectateur. que lorsque qu’il y a, dans le chef du témoin, Parce qu’il me semble que si on enregistre ces un horizon d’attente et donc d’écoute. témoignages sur vidéo, c’est au moins pour qu’ils soient regardés ! Maintenant, par qui ? Anita Tarsi : I agree with you that when a C’est une question très importante. Jusqu’à person comes to tell his story he has expec- présent, à la Fondation Auschwitz, ce sont tations. Maybe it’s true that we too have des chercheurs qui sont venus visionner les expectations, but I believe we put less pres- interviews et qui, pour ce faire, ont du obte- sure on him, because it’s much wider. We do nir l’autorisation nécessaire selon des règles expect him to tell us the story, and this is habituelles pour la consultation de telles already a huge expectation - to tell us what archives. he went through, and to be clear, to be open, to tell, is a huge expectation. But we don’t Roger Simon : Mrs. Van Landschoot, I was have a value expectation. We don’t ask him quite interested to listen to your language to be a certain person or to relate to his and to hear you refer to the interviewer as story from the point of view of a special the «listener», and the camera as the «spec- theory. I don’t know if I am clear enough, tator», which interests me greatly because but there is a difference if I expect the sur- I’m interested in how the people who watch

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and see the videos will be positioned, what trer qu’apparemment et de nouveau, ce sont role they will play, whether they will be des constatations qui ne doivent pas rester au spectators or listeners. I think you identified stade de simples constatations mais doivent a very important and difficult problem. être travaillées. Il faut qu’on voit ce qu’on fait Given the fact that you have sets of tapes that vis-à-vis de cette évolution. J’ai juste voulu have been shot from different camera van- relever le fait qu’au fur et à mesure des tage points, I was wondering whether you’ve années, témoins et interviewers se sont véri- started any kind of work trying to under- tablement rapprochés alors que la caméra stand how different people who watch and s’est éloignée. Celle-ci peut représenter le see videos might view them differently regard du spectateur qui se trouve derrière depending on the camera angle that’s been et c’est gênant. Mais de nouveau je pose la shot, in relation to the whole problem of question du spectateur comme une poten- what does it mean to watch and see these tialité parce qu’on n’a pas encore eu d’écho interviews (...). de la part des spectateurs. Il faudrait d’abord fixer qui sont exactement ces spectateurs... Iris Berlazky : My previous colleagues C’est là une question qui, il me semble, doit already said two points that I wanted to être franchement posée lors de Rencontres say. First about the body language, about this comme celle-ci. Samuel A. that you, Anne, talked about. I think that the interview is first a creation between the interviewee and the interview- Jacques Walter : Moi, je voudrais revenir sur er, and the spectator is minor unless he does- la composante finalement iconique des n’t understand what they created. So they témoignages. Effectivement, des Rencontres should be aware that what they won’t comme celle-ci sont consacrées aux témoi- understand, he won’t understand. But anoth- gnages audiovisuels et on a quand même er thing - silence is part of the dialogue, and une articulation de ce qui est visible et de ce the body language is part of the dialogue. So qui est «dicible». Ce qui me semble inté- never under-estimate like this Samuel who ressant, ce sont les interrogations qu’on peut you said «I’m not a hero, I’m not important» avoir non pas tant sur le «dicible» que sur le you never know who’ll be interested in this visible. Je m’explique. Dans la communi- in the future. cation de Madame Martin-Chauffier, il était clair qu’il y avait une sorte de peur qui était Anne Van Landschoot : Pour répondre à manifestée à l’égard de la manipulation de Monsieur Simon qui a abordé justement la l’image, peur tout à fait justifiée. Et puis question des réactions des spectateurs vis-à- parallèlement, Monsieur Beyrak se faisait vis des témoignages. Actuellement on n’a l’écho de la peur que pouvaient avoir certains véritablement reçu aucun écho à ce niveau témoins de se trouver à la télévision et d’être car les chercheurs qui sont venus visionner victimes par exemple de skinheads. Il y a des témoignages à notre Fondation l’ont donc inquiétude. D’autre part, dans ce que fait dans le but d’analyser les événements dit Monsieur Blikstein, lorsqu’on établit du vécu des témoins plutôt que leur mise en des protocoles d’observations, une part récit via l’audiovisuel. importante de ces observations concerne Je suis tout à fait d’accord avec vous, plutôt ce qui est verbal. On va noter des Madame Berlatzky, lorsque vous dites que hésitations, des incohérences et l’image n’est les silences et même la remarque de Samuel guère présente. Troisième chose enfin et A. qui dit «Je ne vous en parlerai pas» fait c’est Anne Van Landschoot qui en a parlé : partie du dialogue. J’ai cité ce cas pour mon- il y a une sorte d’éviction du spectateur ins-

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titutionnel dont on prévoit qu’il sera un dans mon exposé. J’ai fait des commentaires jour face à un film dans les changements de indirects, par exemple au moment où la sur- dispositifs observés en l’espace de quelques vivante Coifman racontait que son père années. Ce sont ces flottements à l’égard de avait été arrêté et mis en prison. Elle pleurait l’image que j’ai envie d’interroger sans avoir naturellement et la caméra enregistrait ses d’ailleurs de solution. Cela se traduit au réactions corporelles. Mais je dois dire que moins par trois questions : est-ce qu’on peut nous avons dans notre groupe de recherches envisager l’image comme autre chose qu’une à São Paulo des chercheurs qui essayent preuve ? C’est-à-dire, est-ce que finalement d’étudier le témoignage du point de vue de filmer des témoignages de façon audiovi- la sémiotique non-verbale. Dans ces cas-là, suelle c’est se dire : «J’utilise l’image parce que encore une fois, la caméra joue un rôle fon- voyant le témoin, il y a là une garantie pour damental. Comment est-ce qu’on travaille moi qu’il dise la vérité» ? Il n’est pas sûr avec la caméra ? Il y a ce metteur en scène que l’image soit systématiquement syno- brésilien disparu qui a dit que la morale et nyme de vérité, on le sait bien. Deuxième l’éthique dans un film, c’est une question question à l’égard des institutions qui fil- de travelling et de close-up. Et je dois dire ment : y a-t-il des consignes ou des muta- que les mouvements de caméra sont tou- tions dans les consignes de filmage des jours des mouvements sémiotiques et signi- «corps» ? Car finalement, une interview, un ficatifs. Les deux ou trois opérateurs de la entretien, c’est bien entendu la parole mais caméra qui travaillent avec moi sont pré- aussi un corps filmé. Quel est donc le rapport parés à différents close-up, par exemple les au corps qu’on établit ? Et troisième ques- gestes des mains, l’expression du visage, etc. tion qui dérive des deux précédentes : est-ce En réalité, nous savons bien que l’acte et la qu’il y a dans certaines institutions un travail parole se divisent par le discours lui-même d’exploitation conscient et raisonné de la accompagné de l’expression non-verbale part iconique contenue dans les témoignages qui constitue deux chapitres très importants audiovisuels ? de la sémiotique : la cinétique et la proxé- mique qui traitent des mouvements corpo- Yannis Thanassekos : Effectivement, si l’on rels, gestes, expressions du visage, etc. Il considère l’image comme garantie d’une suffit de citer en exemple un survivant qui, vérité quelconque, je crois que nous faisons quand il a dit qu’il ne pouvait plus parler de fausse route. Il y a d’autres axes et notam- l’expérience concentrationnaire, n’avait pas ment celui de la véracité qui est un autre de contact visuel avec l’interviewer et se concept qui concerne à la fois le verbal et l’in- grattait beaucoup par exemple. Ce sont des tra-verbal, le récit et l’image. Pour ce qui manifestations du corps qui accompagnent est du comique, à ma connaissance, ce serait le discours. Et parfois, le non-verbal est une piste de recherche extraordinaire. Je ne beaucoup plus important que le verbal. Il sais pas si certaines personnes ont entrepris de telles recherches mais en tout cas, il est vrai suffit d’un geste. Parfois la caméra prend qu’il y a des situations extrêmement riches un close-up de la famille qui est près du en matière d’ironie et de comique à l’intérieur témoin. Je cite un cas ou l’épouse et le fils des témoignages. sont restés près du père parce qu’ils pré- tendaient qu’il avait la santé fragile. La camé- Izidoro Blikstein : Je pense, Monsieur ra prenait parfois des close-up de la famille Walter, que vous avez pleinement raison et on voyait par exemple que le fils avait un quand vous dites que «l’icône» ne fut pas tel- regard un peu indifférent vis-à-vis du témoi- lement l’objet de commentaires, du moins gnage de son père.

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D’autre part, il faut que je donne un éclair- Germany at this point. They have VHS cissement. Monsieur Szafran a très bien copies of the tapes. I have to say that some parlé de la durée des interviews. Il y a des cas of the people we interviewed said that they où le témoin veut parler un peu plus mais où did not want any copies of their interviews la famille l’en empêche parce qu’il a la santé to be available to a German audience. So fragile. C’est la famille qui dit cela, pas lui (...). these tapes are not publicly accessible at the Haus der Wannsee-Konferenz ; they’re only Yannis Thanassekos : J’ai une question publicly accessible in Yale. But these are pour Madame Gelbin : où sont conservés les only maybe two or three interviews that enregistrements bruts de vos interviews au we’ve done, particularly of younger peo- point de vue institutionnel ? Chez vous ou ple. We did some second generation inter- dans une autre institution fédérale ou éta- views, and I think two or three people we tique ? Qui détient le pouvoir de dérogation interviewed who were born after the war au point de vue de la consultation de ces and who are second generation, did not archives dans votre institution ? want their interview to be publicly accessi- Cathy Gelbin : The original Betacam ble. Also, one interview by a survivor who’s recording that was made during the inter- a psychotherapist and still works as a psy- view is stored at the German National Film chotherapist - she didn’t want that either, Archive. Nobody there has access to these because she didn’t want clients of hers, for tapes ; this is simply a measure for preser- example, to be able to see a tape. vation, because we don’t have the means to preserve tapes at the right kind of tempera- I should say something about the public ture and all the things that increase the life- accessibility of the tapes at the Haus der time of a tape like this. So the German Wannsee Konferenz. Everyone is able to National Film Archive keeps these origi- watch the tapes there, but we monitor who nals of our tapes, but does not give anyone watches them. Anyone who comes there access to them unless we give them permis- has to present an ID, and the library at Haus sion to do so. So anyone who wants to use der Wannsee-Konferenz fills out a card these originals for a film, for example, would which they keep. So we keep a record of have to ask the Moses Mendelssohn everyone who uses those tapes, just to make Zentrum for permission to do so. So the sure that there’s some public control over copy there, or the original, is not for public who uses them, just in case they get misused, use. It’s only for preservation. abused in some way, that we have a way of A Betacam copy of the original which is in tracing just who works with the tapes. It’s terms of quality very close to the original some means of public control, as much as we goes to Yale and is kept there. We also make can do at this point. The survivors we inter- copies for public use in Germany, because view know that there’s no absolute way to we feel that it is very important to have a protect their testimonies from abuse. People place in Germany, which is the land of the who want to make sure that this doesn’t perpetrators and bystanders as we all know. happen will not speak in public, will not People there need to be confronted with give a public testimony, a visual testimony this and need to have the possibility to look which is stored at an archive where there is at these videos. So the public use in Germany public accessibility. The people we inter- is granted through the museum Haus der view know that the purpose of this project Wannsee-Konferenz, which is probably as is to make testimonies publicly accessible, so close to a Holocaust museum as it gets in they also realise that there is a certain risk ;

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but we try to control the risk, as I said, by n’imagine pas que ces institutions seraient keeping records of who has access to these victimes d’un régime que je ne vois d’ailleurs testimonies. pas arriver réellement en France mainte- nant. Il n’en reste pas moins que je vous ai dit A VHS copy of the testimonies is also kept aussi que nous étions en train d’étudier les in our institution, but it’s not publicly acces- modalités et les contrats que nous passe- sible because we don’t have the means. We rions avec eux. L’INA a l’obligation du don’t have a library or someone who can dépôt légal, c’est-à-dire que l’INA ne sera always take care of this collection and take jamais propriétaire des documents que nous care of people who want to use it. The copies lui confions et il sera sûrement prévu une we keep at Mendelssohn Zentrum are for clause selon laquelle nous pourrons enle- educational purposes. Some of the people ver ces documents quand nous le voudrons. who work for the project, like myself or Je ne sais pas comment cette clause sera one of my colleagues, teach courses in the rédigée. Il est en tout cas évident que nous ne Jewish Studies Programme at Potsdam. confions pas à l’INA la propriété de ces Sometimes we teach courses particularly documents mais simplement leur entretien on testimonies and ways of approaching et le renouvellement éventuel des supports, them, and sometimes we also use testimonies etc. L’Etat a délégué à l’INA cette respon- for certain classes. For example, for a histo- sabilité et objectivement, je ne vois pas en ry class you could use some of the testi- France quelqu’un d’autre qui pourrait nous monies or parts of them. offrir de telles garanties. A. Willy Szafran, Président de séance : Madame Martin-Chauffier, si j’ai bien com- Sabine Zeitoun, Directrice du Centre pris votre communication de ce matin, vous d’Histoire de la Résistance et de la envisageriez de confier des archives à l’Etat. Déportation, (France) : N’êtes-vous Je dois avouer que j’ai des difficultés à com- pas tenus en France de faire aussi un dépôt prendre qu’une institution créée par la socié- légal auprès de la Bibliothèque Nationale ? té civile veuille s’en remettre à l’Etat, fût-il Manette Martin-Chauffier : Il y a une encore actuellement démocratique... Qui chose que je ne vous ai pas dite. C’est que le vous assure que dans cinq ans, en France, le système de la Fondation en France implique Front National ne fera pas partie d’un gou- une tutelle de l’Etat, c’est-à-dire que dans vernement de coalition et qui peut vous notre conseil d’administration sont repré- assurer que le Ministre de tutelle de votre ins- sentés : le Ministère de l’Intérieur, celui des titution ou des archives que vous avez Anciens Combattants et le Ministère de confiées à l’Etat, ne sera pas membre de ce l’Education Nationale. Donc, si vous vou- parti ? lez, il nous est reconnu une véritable indé- Manette Martin-Chauffier : Ce matin, j’ai pendance mais il n’en reste pas moins que pris soin de bien vous dire que la responsa- l’Etat est présent. D’ailleurs il me faut vous bilité des contrats que nous passons avec dire aussi que l’Etat nous a énormément chaque témoin était extrêmement précise aidé à constituer cette vidéothèque. Pour sur un point : seule la Fondation pour la répondre très précisément à la question de Mémoire de la Déportation a le droit d’uti- Madame Zeitoun : d’après la loi, si je l’in- lisation des documents auxquels ces témoi- terprète bien et j’ai été à l’INA durant des gnages aboutissent. Si nous envisageons de années, je pense que la vidéo relève plutôt du confier la conservation à l’INA ou aux dépôt légal de l’INA que du dépôt légal des Archives Nationales, objectivement, je Archives nationales. Cette question n’a pas

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encore été posée à notre conseil d’adminis- où justement des adolescents ont dû assumer, tration alors que je vous répète que l’on a en raison de la détresse des parents, des rôles cette tutelle qui est là, présente à chacune des et des fonctions incombant précisément aux réunions de notre conseil d’administration. parents ? C’est pour cela qu’il faut que nous étudiions la question avec des juristes pour ne pas Anita Tarsi : (...) One thing I may say is nous trouver dans une drôle de situation. about changing roles. From the interviews Mais les contrats que nous faisons nous and other documentation, I believe that protègent beaucoup. behind every child and every adolescent there is a grown-up that influences his steps. Hélène Wallenborn : Je voudrais vous Also, while we see the children and the ado- demander une précision, Madame Martin- lescents making great courageous moves, Chauffier. Vous avez dit ce matin, qu’après very hard ones for their age, they make les interviews, il y avait un historien qui fai- them because there is a grown-up behind sait une fiche critique pour déterminer ce qui them. It’s true for the smugglers in the était erroné. J’aurais voulu savoir sur quel- Warsaw Ghetto ; without the organisation le base on déterminait ce qui est erroné. of the family, all the family, it wouldn’t be Pourriez-vous me donner des exemples ? possible. It had to be a mother or a brother Manette Martin-Chauffier : Pour le or a father that was waiting for the children moment, ces fiches sont très très simples et inside the ghetto and taught them how to do ce n’est pas un vrai travail d’historien. Il things. Even when the child stayed alone s’agit simplement de repérer dans le témoi- already, no grown-ups around him, there is gnage les erreurs flagrantes car dans presque always that saying by a survivor that comes tous les témoignages, il y a des erreurs qui back to me «But my grandmother, or my sont évidentes : des erreurs de date, etc. father, said : ‘You are the only one that will Cette petite fiche est annexée au témoigna- survive from the family.’» And I’m sure ge pour que ceux qui en prennent connais- you all have this saying by survivors, and this sance rectifient tout de suite les erreurs is when there is nobody left, this is what évidentes. Parler de fiche critique, vous they said. And this is from my point of voyez c’est assez superficiel. view what makes me sometimes so moved. Yannis Thanassekos : (...) J’avais en vue une autre question par rapport à la famille : Quelques thématiques lors d’interviews que j’ai réalisées moi-même ou lors d’interviews réalisées par mes colla- de recherche borateurs, j’ai pu constater qu’il y avait eu un à partir des témoignages certain nombre de problèmes très importants pour des adolescents, et même pour des enfants en bas âge, qui, du fait de la des- Some topics of studies based truction de l’autorité paternelle pour de on audiovisual testimonies multiples raisons, soit avant la déportation, soit dans le camp, ont dû, brusquement, Yannis Thanassekos : (...) Je voudrais vous quitter l’adolescence et se comporter comme poser une question, Madame Tarsi, sur le des adultes, assurant souvent la protection de problème de la famille qui est un des pivots toute la famille. J’ai vu plusieurs interviews de vos recherches : est-ce que vous avez où lorsque le père a poussé la famille, pour observé dans ces problèmes de famille des cas diverses raisons compréhensibles, à s’ins-

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crire au registre des Juifs, plusieurs enfants victims of the Nazis, and all that happened ont été révoltés par rapport à cette situa- to them because of it. We don’t have the tion et cela a créé un conflit interne à la mandate to interview people who suffer for famille. J’aurais voulu savoir si dans les many other things. It’s for others to make interviews réalisées par Madame Tarsi, il y a those interviews. If we had the money, I des éléments précisément de cet ordre car je think it would be possible to make endless pense qu’on pourrait trouver traces de ces interviews about how people suffered in problèmes vécus dans la vie d’après, notam- different camps under different govern- ment du point de vue de l’organisation des ments (...). relations familiales ultérieures (...). Marie Lipstadt : Madame Tarsi, vous avez Anita Tarsi : (...) I believe that conflict is parlé du destin de quelques enfants nés entre the world. First of all, family life goes on, and 1927 et 1938, transportés de Dachau à motivations to fight or to be in conflict, Birkenau et qui n’ont pas été sélectionnés à teenagers with parents, are something nor- la rampe. Est-ce que vous connaissez la rai- mal. The Holocaust really did not stop that. son pour laquelle ces enfants n’ont pas été Teenagers had conflicts and for some, under sélectionnés ? D’après ma propre expérien- that situation, sometimes they were worse, ce, en dessous de 15-16 ans, on était envoyé sometimes they were less. It’s something tout de suite à la chambre à gaz. that we also have to research before we say Anita Tarsi : We also were astonished when much more than that, but we heard about we heard the story of the children coming to fathers having a very difficult time, and Birkenau in 1944 and getting into the camp teenagers having a difficult time with their without a selection. But we know that it parents. We know that there are many happened, and that’s it. We don’t know teenagers that actually fled from their hous- why. The explanations are not good enough ; es. They went to live with teenagers of their maybe it was completely a coincidence, that own age, or they went to the partisans, or there was nobody there waiting for them. they went whatever place they could so as They were special transports. They weren’t not to be so helpless in front of the deterio- big ones. They were maybe at the time the ration of their own families. people from Hungary came. It’s impossible Witold Muszynski, Bookseller : Mrs. Tarsi, to have a sharp answer about it, but we have you ever tried to interview Jewish peo- know that towards the end of July, the ple who were deported in Russian camps ? beginning of August, there were two groups They were not extermination camps, but that came that way, one from Majdanek the conditions were no better than the and the other one from Dachau. Both of German camps. them got into the camp, and part or both of them went to Camp A, if I remember well. Anita Tarsi : We did make some interviews They stayed there for two or three or four with people that were at the beginning in weeks, and then they were taken to selec- Poland who fled towards Russia at the tions and part of the children that came beginning of the war and, during the time were sent to the gas chambers. before the Germans came into the East were caught and taken inside Russia. They went Salomon Rubinstein, rescapé : Je voudrais through all the time of the war in those appuyer vos interventions, Madame Tarsi, camps. We did, I think, two or three inter- quand vous dites qu’il y a eu des enfants views. Our project is mainly about the Nazi juifs qui ont échappé aux sélections. C’est time and the people that suffered and were exact. J’ai connu à Monowitz, Auschwitz III,

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un kommando où il y avait 25-30 enfants de mot «nazi» : il parle toujours des Allemands moins de 12 ans. On appelait ce komman- comme s’ils étaient les bienfaiteurs qui do la Mauer-Schule. Il était dirigé par un l’avaient sorti du village pour trouver peut- détenu, prisonnier politique allemand, un être une meilleure situation. Dans ce témoi- communiste qui était le kapo de ce kom- gnage, il n’y a pas de perception claire du mando. Deuxième fait que j’ai connu : en nazisme. 1945 à mon retour de captivité, j’ai été mis ici Il est très dangereux de penser à en Belgique en présence de cinq enfants qui l’Holocauste, à la Shoah ou au génocide avaient survécu aux camps de concentra- d’une façon un peu stéréotypée comme cela tion. Je ne sais ce qu’ils sont devenus... Je ne arrive d’ailleurs souvent dans des films popu- sais pas si la Fondation Auschwitz est au laires avec une sorte de manichéisme. Il faut courant. J’ai été mis en présence de cinq vraiment éviter les stéréotypes et essayer de enfants revenus d’Auschwitz... comprendre dans chaque répertoire, chaque culture, chaque région, ... comment les évé- nements du génocide, de la persécution, ont été perçus. J’ai l’impression que cela est très La subjectivité important pour que l’on s’approche un peu du témoignage plus de la vérité concentrationnaire. et sa transmission L’interviewer doit «balayer» son imagination et laisser le témoin parler. Il y a toujours des stéréotypes qui peuvent camoufler sa Subjectivity perception ou son analyse. and transmission A. Willy Szafran : Quand vous dites que of testimonies chaque survivant a «son» Holocauste, au niveau du vécu, c’est la reconnaissance de Massimo Iannetta, cinéaste : Monsieur la subjectivité de chacun. Mais il en est de Blikstein, vous avez dit très brièvement dans même au niveau de la création artistique les conclusions de votre communication dans quelque domaine que ce soit. qu’il y avait un Holocauste par témoin, qu’il Actuellement, de plus en plus, on voit des ne fallait pas en rester à un Holocauste géné- ouvrages littéraires, des films, d’autres oeuvres ral. J’aimerais que vous nous en disiez un peu artistiques, réalisés par des créateurs qui plus sur ce sentiment et comment vous en n’ont pas connu la Shoah et qui la rendent êtes venu à cette conclusion. sous une forme esthétique dont il faut savoir si elle est réellement le résultat d’une création Izidoro Blikstein : Cette conclusion est originale ou pas. Finalement, ils ne font que polémique, je le reconnais, et elle provient de rendre ce qu’ils ont intégré dans leur imagi- cette étude comparative qui nous montre naire, à titre subjectif. Je suppose qu’il faut qu’il faut vraiment examiner avec attention également pouvoir accepter cet aspect-là de les différentes réactions des gens selon leur la création artistique parce que cette pro- culture, leur niveau social et économique, duction artistique, qui se fait de plus en plus leur région ou pays d’origine, parce qu’il y importante ces toutes dernières années, va a différentes perceptions des mêmes événe- devenir, à mon avis, prédominante (...). ments. On se souvient de l’expression anglaise : «La vérité est dans l’œil de l’observateur». Izidoro Blikstein : (...) Il me semble que Citons, par exemple, le cas d’un témoigna- nous nous trouvons là devant l’éternel dilem- ge dans lequel le témoin n’emploie pas le me de l’objectivité face à la subjectivité. En

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réalité, si on pense par exemple aux thèses vue de la sémiotique. Quand Primo Levi révisionnistes et négationnistes, il serait très raconte par exemple qu’en arrivant à important que le témoignage soit réaliste, Auschwitz, les fonctionnaires du camp ont vrai et objectif. Je dirais même qu’on aurait mélangé toutes les paires de chaussures et envie de faire un «déblayage» du témoi- qu’il était donc impossible de retrouver sa gnage pour laisser seulement les aspects les propre paire, je pense que, pour lui, cela plus objectifs. Mais il s’agit là d’une illusion représentait la violence et l’humiliation. Pour et ce, pour de multiples raisons : l’écart, la dis- d’autres, perdre une paire de chaussures tance dans le temps et dans l’espace entre le pouvait ne pas signifier grand chose. Je ne témoin et le cadre du camp de concentration, veux pas tomber dans une subjectivité rela- ... soit pour d’autres raisons d’ordre psy- tive. Je cherche cette vérité intérieure qui chologique ou psychanalytique, du fait réside dans chaque survivant. Il faut donc co- qu’on se trouve devant un témoignage qui vivre avec la subjectivité comme l’analyste n’est pas nécessairement linéaire et qui peut observe les discours de son patient. Il faut présenter des redondances, des lapsus ou regarder et écouter les survivants. d’autres problèmes liés particulièrement à la mémoire. D’autre part, le témoin se trouve Yannis Thanassekos : Il va de soi, bien sûr, aujourd’hui environné par toute une masse que la subjectivité constitue la voie essentielle d’informations par la littérature, le cinéma, pour restituer la complexité du vécu. la télévision et les médias d’une façon géné- Seulement je me pose la question suivan- rale, qui présentent justement une sorte de te : si en effet la captation de la subjectivité ne «stéréotypisation» de la Seconde Guerre parvient pas à se transformer en une connais- mondiale et même du génocide et des camps sance objectivable, alors la transmission de de concentration. Il me semble très difficile cette expérience me semble problématique. d’échapper à la subjectivité. C’est pour cela Si c’est uniquement à travers l’échange inter- que je pourrais faire référence à la commu- subjectif que s’effectue la transmission de nication de Madame Van Landschoot cette expérience - à la fois comme connais- concernant l’interférence de l’interviewer. sance et comme leçon - alors je crois que Il me semble que celui-ci doit se comporter nous arrivons aux limites propres à toute comme un auditeur et la caméra doit capter transmission à caractère initiatique. Or la le témoignage avec une certaine distance connaissance qui procède d’un acte initia- parce qu’il faut respecter cette intégralité et tique est toujours une connaissance exclusive. même cette subjectivité. Vous avez très bien Constituer la connaissance issue de l’expé- dit, Monsieur Szafran, qu’il y a un rappro- rience concentrationnaire dans un tel cadre chement avec la création artistique. Je suis initiatique équivaudrait à lui ôter son véri- tout à fait d’accord. Et c’est pour cela que je table sens en tant précisément que connais- crois que Primo Levi est aussi un mémo- sance partageable. Et une connaissance ne rialiste de l’Holocauste avec l’avantage de devient partageable que dans la mesure où pouvoir utiliser son style littéraire. J’ai écrit elle atteint certains degrés d’objectivation. un petit article sur la sémiotique de l’univers Puis il y a aussi le problème des artistes, des concentrationnaire dans l’œuvre de Primo peintres, des poètes, ... qui n’ont pas vécu Levi qui est publié dans le Cahier l’événement et qui effectivement, à travers International (n° 1). J’ai essayé de démontrer leur création, à travers leur propre imaginaire, que la vérité extérieure est fondamentale à travers la façon dont eux-mêmes ont perçu mais la vérité intérieure - pas toujours cette expérience, tentent de la recréer. logique - est celle qui m’intéresse du point de Incontestablement, cela fait partie aussi de la

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transmission. Seulement, il y a problème : les formes de l’imaginaire artistique consti- nous avons organisé en décembre 1997 un tuent l’une des voies à travers lesquelles se Colloque international où nous avons invi- réalise la transmission de cette expérience, je té toute une série d’artistes pour nous expo- pense qu’il nous faut dans le même temps ser à travers leurs oeuvres plastiques et rester attentif à la façon dont l’imaginaire picturales, la façon dont cette nouvelle géné- collectif décode, reprend et intègre le message ration d’artistes est imprégnée par ces évé- que véhicule l’esthétique subjectif du créa- nements et comment ils essayent de les teur. Je pense, par exemple, à certaines créa- restituer à travers leurs oeuvres*. La dis- tions dites conceptuelles ou à certains films cussion fut très intéressante, précisément de fiction. dans la mesure où notre époque pose pro- blème, un problème majeur, je pense, du point de vue de nos représentations en géné- ral, esthétiques en particulier. Je veux parler ici de l’esthétique que, faute de mieux, on appelle «post-moderne». Si effectivement

* N.d.E. : Voir Daniel WEYSSOW et Yannis THANASSEKOS (sous dir.), La mémoire d’Auschwitz dans l’Art contemporain, Actes du Colloque International, Bruxelles, 11-13 décembre 1997, Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n° spécial 60, Bruxelles, juillet-septembre 1998.

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Séances des Vendredi 12 juin et matinée du samedi 13 juin 1998 Sessions of Friday, June 12th, 1998 and Morning of Saturday, 13 th

Recherches scientifiques et pédagogiques en cours. Propositions sur les orientations à donner aux recherches à venir

Scientific and pedagogical research carried out at the moment. Propositions for the orientations of future research

Présidents : Vendredi matin - Friday Morning : Professeur Georges SYLIN, Directeur du Centre Audiovisuel de l’Université Libre de Bruxelles Vendredi après-midi - Friday Afternoon : Monsieur Hubert GALLE, Maître de Conférences à l’Université Libre de Bruxelles Samedi - Saturday : Professeur Jean-Jacques HEIRWEGH, Doyen de la Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Economiques de l’Université Libre de Bruxelles De gauche à droite/From the left to the right:Madame Anita Tarsi,Research Supervisor (Israeli Project), Madame Joan Ringelheim, Director of the Division of Education and Oral History (United States Holocaust Memorial Museum).

De gauche à droite/From the left to the right:Madame Anita Tarsi,Research Supervisor (Israeli Project), Monsieur Geoffrey Hartman,Adviser and Project Director (Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies). INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

JACQUES WALTER Professeur Centre de Recherche sur les Médias Université de Metz - France

Pour une périodisation des témoignages de survivants à la télévision

Les études des enregistrements audiovisuels le magnétoscope du chercheur est précieux de témoignages de survivants portent géné- pour capter des documents au fil des jours, ralement sur ceux réalisés par des institutions mais il présente des limites pour constituer spécialisées. Or, cette contribution concer- un corpus d’émissions anciennes. ne les témoignages produits par la télévi- Heureusement, l’accès aux archives est rendu sion française. Pourquoi ? C’est une banalité possible grâce à l’Institut national de l’au- de dire qu’en quelques décennies la télévision diovisuel (INA) et à la loi de juin 1992 ins- est devenue un moyen essentiel d’informa- taurant le dépôt légal de l’audiovisuel. Il tion et de culture de nos contemporains, n’en demeure pas moins que le traitement ainsi qu’un élément constitutif de la mémoi- télévisuel des camps de concentration et re sociale. Il suffit de se reporter à des chiffres d’extermination nazis, pas plus que celui sur le taux d’équipement des ménages : des témoignages de survivants, n’ont fait 1 % en 1954, 51,7 % en 1967, 94,5 % en l’objet d’études systématiques. En 19901. De plus, les chaînes se sont multi- conséquence, je tracerai les linéaments d’un pliées, les programmes se sont diversifiés, programme de recherche sur la base de mes les pratiques de consommation se sont modi- essais sur la médiatisation de la Shoah, étant fiées. Aussi le titre initial de la communica- entendu qu’ils bénéficient de travaux fon- tion, «Les témoignages de survivants à la damentaux sur la télévision, le témoignage et télévision. Questions de méthode», s’est-il l’extermination. avéré trop ambitieux, tant est délicate l’ex- Ce programme est sous-tendu par une ploration de sources télévisuelles. Certes, réflexion sur les constructions mémorielles. A

1 Jérôme BOURDON, Haute fidélité. Pouvoir et télévision, 1935-1994, Ed. du Seuil, Paris, 1994.

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cet égard, un bref détour par l’oeuvre de par exemple, sur les variables nationales ou Maurice Halbwachs2 s’avère précieux. Celle- transnationales5, sur les tensions entre passé ci permet notamment de souligner que sem- et futur dans les usages de la mémoire6, sur la blables constructions passent par une variété des formes langagières des témoi- «localisation sociale formant la remémoration gnages7. Au fond, tous insistent sur l’exis- des souvenirs» et par une «réciprocité des tence de ce que l’on pourrait appeler des perspectives constituant les interactions régimes mémoriels et testimoniaux, qui varient sociales», ce qui correspond à deux processus au cours des ans. C’est pour ces raisons qu’est en interrelation : la «mémoire de l’expérien- privilégiée l’entrée temporelle et que la com- munication s’intitule en définitive : «Pour ce» qui reconstruit le passé et la «mémoire une périodisation des régimes de témoignages dans l’expérience» qui présente un aspect de survivants à la télévision». opératoire dans l’ajustement des formes 3 mémorielles . Il est donc possible d’observer A la télévision, ces régimes se distribuent des phénomènes de continuité et de discon- sur une période de cinquante ans, en fonction tinuité, dont la description s’organise à partir d’une dynamique polymorphe. En repre- de «matérialités» que sont l’espace, le temps nant une distinction classique, sur un versant et le langage4. Voilà des paramètres à prendre quantitatif, on peut certainement repérer des en compte lorsque l’on veut analyser des périodes de pics, tout comme des périodes de témoignages. Plusieurs auteurs ont insisté, basses eaux. Sur un versant davantage qua-

12 Maurice HALBWACHS, Les cadres sociaux de la mémoire, Ed. Albin Michel, Paris, 1994 [1ère éd. : 1925]. 13 Paul SABOURIN, «Perspective sur la mémoire sociale de Maurice Halbwachs», Sociologie et société, n° XXIX-2, Montréal, 1997, aut., pp. 139-161. 14 Frédéric GRAO et Nicole RAMOGNINO, «Les matérialités sociales et leurs observations. Les leçons de méthode de M. Halbwachs», Sociologie et société, n° XXIX-2, Montréal, 1997, aut., pp. 103-119. 15 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, «La construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien», Les Cahiers de la Shoah, n° 1, 1994, pp. 163-191 ; Jacques WALTER, «Les Archives de l’histoire audiovisuelle des survivants de la Shoah. Entre institution et industrie, une mémoire mosaïque en devenir», in Jean-Pierre BERTIN-MAGHIT et Béatrice FLEURY- VILATTE (sous dir.), Cinéma, télévision et histoire, Ed. de l’EHESS, Paris (à paraître). 16 Tzvetan TODOROV, Les abus de la mémoire, Ed. Arléa, S.l., 1995. 17 Michael POLLAK et Nathalie HEINICH, «Le témoignage», Archives de la Recherche en Sciences Sociales, n° 62-63, Paris, 1986, pp. 3-29 ; Nathalie HEINICH, «Le témoignage, entre autobiographie et roman : la place de la fiction dans les récits de déportation», Mots. Les Langages du politique, n° 56, Paris. 18 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité, Ed. du Seuil, Paris, 1996. 19 Par exemple, des survivants étaient invités à Bas les masques («J’ai subi l’humiliation», 10/05/95, France 2) ou à plusieurs éditions de La Marche du siècle («Justice, histoire, mémoire», 08/09/93, France 3 ; «La libération des camps de concentration», 18/01/95, France 3). 10 Umberto ECO, La guerre du faux, Ed. Grasset, Paris, 1985 [1ère éd. italienne : 1983] ; Francesco CASETTI et Roger ODIN, «De la paléo- à la néo-télévision. Approche socio-pragmatique», Communications, n° 51, Paris, 1990, pp. 9-26. 11 Jean-François DIANA et Guillaume SOULEZ (dir.), Télévision, transformation, théorie. Retours possibles sur la néo-télévision, Ed. L’Harmattan, Paris, 1999, à paraître. 12 Noël NEL, «Pour une histoire multidimensionnelle de la télévision», in Jean-François DIANA et Guillaume SOULEZ (dir.), Op. cit.

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litatif, si différents régimes coexistent, des tant en scène une forme moderne de com- dominantes peuvent s’affirmer à certains passion9. On peut faire l’hypothèse que ce moments. Mais comment périodiser ? processus provient de ce que d’aucuns nom- Comment repérer ces dominantes ? Pour ment la «néo-télévision». En effet, chez les répondre à ces questions impliquant des spécialistes du média, la périodisation a choix théoriques et méthodologiques, plu- donné lieu à des débats théoriques mar- sieurs critères doivent être retenus : d’une quants, à partir du milieu des années quatre- part, l’évolution des émissions historiques vingt. Pour l’essentiel, la discussion, dont et des dispositifs à la télévision ; d’autre part, les bases ont d’abord été posées dans le l’évolution des mémoires et de l’historio- champ journalistique, s’est développée graphie du génocide. Ces éléments définissent autour des thèses d’Umberto Eco et de un contexte à prendre en compte pour l’ana- Francesco Casetti et Roger Odin10. lyse d’un corpus, dont la délimitation n’est Schématiquement, on serait passé d’un cependant pas sans poser des difficultés. modèle fondé sur le primat du contrat et de l’éducatif (paléo-télévision) à un autre fondé sur celui du contact et de la convivia- 1. L’histoire de la télévision, lité (néo-télévision). Cette distinction amène l’histoire à la télévision facilement à penser que les témoignages sont plus fréquents dans la seconde période Pour peu que l’on regarde la télévision et que (les années 1980 et suivantes), en raison de la l’on soit attentif à ce qui concerne la Shoah, multiplication des talk shows, des émissions on ne peut qu’être frappé par l’abondance de de conversation. Mais, dans la logique sup- ce thème, que ce soit dans des journaux télé- posée de la néo-télévision, est-ce que tous les visés, des émissions ou des soirées spéciales, survivants y témoignent de leur seule souf- auxquels souvent des témoins participent, france ? ou d’eux-mêmes, et non de ce qui est quand ils n’en sont pas les principaux pro- advenu à autrui ? L’examen de ces émis- tagonistes. Afin d’expliquer ce phénomè- sions montre que ce n’est pas la règle. Une ne, plusieurs options sont possibles : l’une telle perspective appelle alors des nuances. consiste à prendre en compte l’histoire du Comme l’a notamment mis en relief un col- média parce que, pour nombre d’observa- loque du Centre de Recherche sur les Médias teurs, la forte présence de témoins caracté- de l’Université de Metz11, de nombreuses riserait une forme moderne de télévision, études - tout en reconnaissant la portée heu- quelque soit le sujet. Une autre consiste à ristique de ces propositions - visent à signi- rechercher des explications dans l’engoue- fier que l’évolution du média est plus ment du média pour l’histoire, moins récent complexe qu’il y paraît. Ainsi, s’accorde-t- qu’il y paraît ; cette plongée dans le passé on volontiers à reconnaître que l’histoire révèle le poids de facteurs politiques dans la de la télévision serait multidimensionnelle programmation historique et testimoniale. (dimension institutionnelle, politique, pro- Néanmoins, les deux options rendent néces- grammatique, technique, économique, etc.) saire une histoire des dispositifs télévisuels. et qu’elle serait analysable en termes de mutations de strates12. Cependant, en l’état Abondance des témoignages et de nos connaissances et compte tenu de néo-télévision l’objet qui nous occupe, l’objectif n’est pas La profusion récente des témoignages est de livrer une généalogie de ces mutations. En donc importante, au point qu’elle autorise à revanche, sous un angle plus restreint - celui parler d’une «télévision de l’intimité»8 met- des études sur la place de l’histoire à la

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télévision - il est possible de mesurer l’impact l’histoire, propension à laquelle participent de ces différentes strates sur l’apparition des des responsables politiques gaullistes et des témoignages ; de plus, ces études ont le méri- réalisateurs proches du Parti communiste ; te d’aller au-delà des rationalisations pro- les uns et les autres pouvant se référer à un duites par notre mémoire limitée de passé résistant au détriment de l’évocation de téléspectateur ordinaire. la Shoah. Ensuite, une ambition consistant à privilégier ce qui fortifie la nation ; c’est-à- Rareté des témoignages et dire que, à l’instar des pratiques de la IIIème programmation historique République, on insiste sur les facteurs d’uni- fication et l’on écarte ceux qui favorisent la Situer la production des témoignages à la division du pays, comme le rôle de l’Etat lumière de la programmation historique français de Vichy dans la déportation. Enfin, oblige à prendre une certaine hauteur de les responsables de la télévision ont rapide- vue. Certes, on estime que, depuis une ving- ment pris conscience et tiré les leçons de taine d’années, l’histoire occupe une place l’existence d’un public important et fidèle aux plus grande à la télévision, ce qui explique- programmes à vocation historique ; mais la rait une plus grande mise en visibilité des rareté des témoignages serait-elle due à témoins. Pour autant, il ne faudrait pas se l’étroitesse du segment intéressé par l’ex- laisser abuser. Comme le remarque Jean- termination ? En fait, s’il y a une indéniable Noël Jeanneney13, «c’est affaire d’accen- appétence pour Clio, les témoignages de tuation, non de rupture.» Se faisant l’écho de survivants seraient donc rares, durant une recherches récentes, celui-ci démontre que assez longue période, pour des raisons la préoccupation historique est une constan- politiques (lato sensu), liées aussi au fait que te dans ce média, en raison de trois ressorts la télévision dépendait étroitement de l’Etat. principaux présents dès les origines. Mais Cette explication semble confirmée par surtout, de mon point de vue, leur mise en l’analyse des émissions relatives à la Seconde évidence permet de comprendre les raisons Guerre mondiale, dont, peu à peu, la mémoi- de la faible amplitude des témoignages à re de l’extermination va en quelque sorte l’écran jusqu’aux années soixante-dix. Quels s’autonomiser. sont donc ces ressorts ? D’abord, une volon- té de faire jouer au média une fonction cul- Ainsi, à partir d’un corpus duquel sont turelle ; ceci s’est traduit dans les années exclus les journaux télévisés (ce qui n’est soixante par une propension à enseigner pas indifférent, comme je l’expliquerai par la

13 Jean-Noël JEANNENEY, «Comment l’histoire a conquis la télévision», L’Histoire, n° 220, avr. 1998, Paris, p. 120. 14 Isabelle VEYRAT-MASSON, «Entre mémoire et histoire. La Seconde Guerre mondiale à la télévision», Hermès, n° 8-9, Paris, 1990, pp. 151-169. 15 Ibid. 16 Parmi les éditions consacrées au génocide et à la déportation : «Le Journal d’Anne Frank» (1969), «Les camps de concentration» (1970), «Le Ghetto se suicide» (1973), «Plus jamais ça : la déportation» (1975), «Les enfants juifs de la France occupée» (1975), «Vie et mort dans les camps nazis» (1979). 17 Jacques WALTER, «Dispositifs télévisuels et identités médiatiques des survivants. ‘Vie et mort dans les camps nazis’», Cahier International. Etudes sur le témoignage audiovisuel des victimes des crimes et génocides nazis, n° 1, Ed. du Centre d’Etudes et de Documentation - Fondation Auschwitz, Bruxelles, juin 1998, pp. 153-170 ; Isabelle VEYRAT-MASSON, «Le néo de la paléo-télévision. L’exemple des Dossiers de l’écran», in Jean- François DIANA et Guillaume SOULEZ (dir.), Op. cit. 18 Ibid.

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suite), Isabelle Veyrat-Masson14 relève-t- s’agit de mettre au point le dispositif d’une elle que, entre 1953 et 1978, 358 émissions émission, c’est-à-dire un agencement de ont été dédiées au conflit, ce qui représente personnes, d’objets (studio, caméras, ...), de 11 % des émissions historiques. Pour les techniques (débat, interviews, montage, ...), genres, les documentaires à base d’archives orienté par une volonté - plus ou moins sont bien représentés et, au tournant des explicitée - mais aussi par des interactions années soixante, les fictions, qui parfois peu- entre agents. Et ceci est d’autant plus impor- vent s’apparenter à une forme de témoi- tant que le dispositif contribue à orienter gnage, gagnent du terrain. Toutefois, dans la les témoignages, à modeler l’identité média- logique du deuxième ressort, les fictions tique des survivants. Je donnerai un exemple ont plutôt tendance à visibiliser la partici- à partir d’une étude de cas. Elle concerne pation des Français à la Résistance. Et Vichy l’une des éditions les plus fameuses des ou le génocide restent effectivement dans Dossiers de l’écran («Vie et mort dans les les coulisses. Sous réserve de vérifications camps nazis»), qui a eu lieu en 1979, à l’oc- avec les nouveaux outils offerts par l’INA, casion de la diffusion du dernier épisode de de 1953 à 1976, seulement six émissions la série Holocauste. auraient été consacrées explicitement à ce dernier15. Plus précisément, il apparaît que l’évocation du génocide et de la déporta- Dans une analyse de cette émission18, j’ai tion ait été favorisée par Les Dossiers de pu montrer que les identités médiatiques l’écran, dont la diffusion s’est étalée de 1967 des survivants dépendaient - entre autres à 199116. Cette émission à succès, s’intéres- facteurs - du rôle des journalistes-anima- sant à l’ensemble des problèmes sociaux, teurs (il n’y avait pas d’historien ès qualités repose sur le principe du recours à des sur le plateau). Plus globalement, l’étude du témoins et à des spécialistes débattant après dispositif a permis de comprendre com- un film ou un téléfilm, en tenant compte ment on arrivait à une configuration testi- de questions posées par le public. Non seu- moniale où s’enchevêtraient trois identités : lement, le rôle de celui-ci relativise le cliva- une identité experte quand les survivants ge entre paléo- et néo-télévision, mais des jugeaient de la représentation télévisuelle études menées sur l’émission17 invitent enco- de ce qu’ils ont été, une identité historienne re à s’interroger sur le statut des agents met- quand ils fournissaient des explications à tant en place des dispositifs singuliers. ceux qui n’ont pas vécu ce qu’ils ont vécu, une identité victimaire quand ils tentaient de Vers une histoire des dispositifs rapporter - non sans difficultés - leur propre Toujours à suivre Isabelle Veyrat-Masson, on expérience. Il conviendrait évidemment de peut distinguer plusieurs périodes : celle où confronter ces résultats à ceux provenant prédominent les réalisateurs (jusqu’en 1965), de l’analyse des autres éditions des Dossiers celle où les journalistes sont actifs (à partir de sur un thème voisin, ou à ceux de l’analyse 1965), celle où les historiens de métier inves- d’autres types d’émissions à la même pério- tissent plus massivement le média (fin des de, ce qui soulève des questions de métho- années 1970). Il ne faudrait donc pas négli- de (cf. troisième partie). Bref, que l’on soit ger que ces mondes professionnels engagés confronté à une période de rareté ou d’abon- dans la production historique et testimo- dance testimoniale, pour approfondir la niale sont hétérogènes, et que cette derniè- mise en visibilité et dicibilité des témoi- re peut s’inscrire dans des logiques différentes gnages, une histoire et une analyse des dis- les unes des autres. En particulier quand il positifs me semblent indispensables, sachant

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que ceux-ci sont tributaires d’autres fac- te du récit des survivants est problématique. teurs, comme je vais l’exposer ci-après. Il s’agit d’une raison supplémentaire à celles données supra pour expliquer la discrétion de la télévision, qui est de toute façon dans 2. Mémoires et son «enfance» ; une investigation du côté historiographie du génocide des émissions littéraires serait d’ailleurs utile20. Avec le procès Eichmann s’ouvre La présence et la nature des témoignages à une deuxième période qui donne la parole l’écran dépendent des fluctuations des formes aux témoins et favorise plus une identifica- de mémoire du génocide et de la déportation tion collective aux victimes qu’aux com- dans la sphère publique française et inter- battants des ghettos et aux résistants. En nationale, mais aussi de l’évolution de l’his- France, ce procès, dont l’étude précise de toriographie. Dans ces cas, il est question la médiatisation reste à faire, permet de com- de périodisation, et celle-ci n’est pas sans mencer à sortir le souvenir du génocide du problèmes. En effet, depuis quelques années, cercle des petits groupes de rescapés. Depuis, des chercheurs se sont penchés sur cette la Shoah a pris place de façon quasi perma- question, surtout par rapport à la Shoah ; ils nente dans l’espace public, notamment dans proposent des réponses qui ne sont pas néces- sa composante audiovisuelle (télévision, sairement convergentes, mais elles permettent films, vidéo). Bien entendu, des distinctions quand même de poser des balises pour saisir plus fines sont proposées. les variations des régimes testimoniaux, en lien avec les dispositifs télévisuels. Certaines fournissent des indications pour comprendre l’investissement testimonial Les formes de mémoire : sous la pression d’événements. Par exemple, logiques d’investissement la Guerre des Six-Jours (1967) réactive une et d’identification dimension génocidaire et mobilise la com- En ce qui concerne les formes de mémoire, munauté juive et des porte-parole sur ce pour Nicolas Weill et Annette Wieviorka19, point (certains survivants deviendront des une première période s’étend de la Seconde «habitués» des médias) ; à partir de 1978, les Guerre mondiale au procès Eichmann en thèses négationnistes s’affirment au grand 1961. Les auteurs remarquent que, durant ce jour et provoquent des témoignages mili- laps de temps, une part importante de la tants ; en outre, plusieurs «affaires» judi- mémoire est consignée par écrit, tant l’écou- ciaires conduisent les victimes à témoigner à

19 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, «La construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien», Les Cahiers de la Shoah, n° 1, 1994, pp. 163-191. 20 Une interrogation de la banque de données de l’INA, en croisant «camp de concentration», «témoin» et «interview», indique une édition de Lecture pour tous en 1954, que je n’ai cependant pas visionnée (Anna Langfus y est interviewée à propos de Le sel et le souffre); il s’agit d’ailleurs de la référence la plus ancienne du corpus. 21 Voir par exemple Portrait d’un homme simple (26/01/95, Arte), analysé par Anne CROLL, «Auschwitz à la télévision : stéréotypes ou métaphore ?», Mots. Les Langages du politique, n° 56, Paris, 1998 ; ou, pour un déporté non juif, Envoyé spécial «Matricule 186 140» (03/10/96, France 2). 22 Annette WIEVIORKA, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Ed. Plon, Paris, 1992. 23 Léon POLIAKOV, Le bréviaire de la haine. Le IIIème Reich et les juifs, Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1951. 24 François BEDARIDA, «Shoah : la singularité du mal», L’Histoire, n° 220, avr. 1998, Paris, p. 62. 25 Jacques WALTER, «La liste de Schindler au miroir de la presse», Mots. Les Langages du politique, n° 56, Paris, 1998.

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des procès et à la télévision (e.g. procès Barbie, bilité était faible. Faut-il rappeler que le travail Touvier, Papon). Les témoignages télévisuels de collecte de données était déjà engagé durant sont donc fréquemment inscrits dans des la guerre22 ? ou que l’étude du génocide a polémiques sur le rôle de Vichy, et des asso- pénétré lentement le champ de la recherche ciations - mues par le devoir de mémoire - française et que, s’il existait des travaux remar- jouent un rôle de plus en plus déterminant quables de pionniers23, les contributions dans leur production. Le média est perçu anglo-saxonnes ont mis du temps à trouver comme un instrument de promotion et de droit de cité en France ? Ceci étant, à partir des défense d’une cause ; il convient alors de années soixante-dix, les recherches se sont prendre en compte les logiques d’investis- multipliées avec des options très contrastées, sement de celui-ci par des groupes d’intérêt au point que l’on est confronté, comme le (au sens où l’entendent les politistes), ce qui dit François Bédarida24, à une «tornade his- relativise le rôle d’initiative des professionnels toriographique». Il serait excessif d’affirmer de la télévision. que cette tornade souffle à la télévision ; en revanche, il n’est pas incongru d’estimer que Les auteurs signalent aussi que, progressi- ses composants peuvent influencer tant ceux vement, on passe d’une identification à un qui organisent la production de témoignages groupe (de résistants ou de victimes) à une que les survivants qui sont amenés à témoi- identification de plus en plus individualisée. gner. Et ce à des degrés divers. Ce mouvement concerne la médiation cul- turelle (e.g. visite d’un musée en suivant le Relativement aux producteurs, j’ai signalé parcours d’un enfant déporté), tout comme que des historiens de métier étaient à l’origine la médiatisation : des documentaires ou des ou servaient de conseillers pour certaines émissions sont centrés sur un personnage, qui émissions dans lesquelles des témoins étaient certes témoigne pour ceux qui ne sont plus présents ; par habitus disciplinaire, ils peuvent là, mais témoigne surtout de lui-même, en se référer implicitement ou explicitement à tel tant qu’ancien déporté et aussi en tant que ou tel courant pour bâtir leur projet (e.g. survivant21. Au passage, on remarquera que Contre l’oubli, 1995, auquel Annette c’est à la suite du téléfilm Holocauste que Wieviorka a participé). De leur côté, des l’Université de Yale s’est engagée dans la journalistes de télévision sont également sen- collecte de témoignages vidéo, ou que, lors de sibles à ces débats, d’autant que ceux-ci sont sa télédiffusion (27/04/97, TF 1), La liste de assez souvent médiatisés dans la presse écri- Schindler a été accompagnée d’un court te et qu’il y a une circulation de l’information métrage sur la fondation créée par Spielberg. entre les médias : il suffit de se reporter à Cette tendance à la personnalisation, excèdant des «événements» comme la sortie ou la dif- la néo-télévision, est peut-être à mettre en fusion télévisuelle de Shoah ou de La liste de rapport avec la renaissance de la biographie, Schindler qui ont occasionné, dans la presse, le développement de la «micro-histoire» et, des interviews d’historiens-experts25. Il peut en tout cas, elle invite à mesurer l’impact également y avoir collaboration entre médias : des évolutions historiographiques. Le Point et France 3 ont coproduit une Marche du siècle sur les Justes en 1994, émis- Les débats historiographiques : sion à laquelle Raul Hilberg était convié. l’affaire des professionnels, mais aussi des témoins En ce qui concerne les témoins, certains sont au fait de ces débats historiographiques L’interaction entre les activités testimoniales pour différentes raisons dépendant de leur et l’histoire s’est opérée très tôt, mais sa visi- place dans l’espace social de la survivance.

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Les uns cumulent les statuts et peuvent y témoignage est alors considéré sous l’angle intervenir directement en tant qu’historiens. d’un discours et d’une pratique à la frontiè- D’autres militent au sein d’associations re des mondes profanes et savants, avec des jouant un rôle dans la construction de la phénomènes de tension, de couture ou de mémoire, dont on sait qu’elle n’est pas coupure à l’égard de certaines propositions. monolithique, ce qui les amène à privilé- gier ou à réfuter des approches (e.g. unicité Le témoignage à la frontière ou non de la Shoah). Enfin, cet intérêt pour de plusieurs mondes l’histoire n’est pas absent chez ceux que l’on Je donnerai quelques exemples de thèmes - peut appeler, sans nuance péjorative, les en prise avec des travaux historiques - sur témoins «ordinaires» (i.e. ceux qui n’ont lesquels des témoins sont sollicités dans des pas un «nom» dans l’espace public) : un débats ou des entretiens durant les vingt intervieweur d’une institution recueillant dernières années. Fondé sur un échantillon des témoignages audiovisuels expliquait que restreint de documents, ce relevé n’a qu’une des survivants prêts à témoigner avaient valeur indicative. Néanmoins, sans prendre souvent des livres sur l’extermination, ou de grands risques, je distinguerai quatre thé- lisaient des articles sur le sujet. De fait, le matiques récurrentes pour lesquelles des survivant acceptant de passer à la télévision analyses «savantes» peuvent servir de «matri- - au moins dans les émissions de conversa- ce argumentative»26, thématiques qui cor- tion - ne serait-il pas souvent «équipé» d’un respondent à un «ordre de souvenir» à bagage «savant» qui oriente son témoigna- l’égard de l’extermination27. En premier ge ? Dans ces conditions, ce qui devient lieu, les témoins sont souvent conduits à intéressant pour comprendre l’évolution donner des explications au génocide : sché- des régimes testimoniaux, c’est moins le matiquement, les analyses se distribuent débat historique en tant que tel, que la façon entre deux modèles principaux, celui des dont il peut alimenter une «vulgate». Le intentionnalistes et celui des fonctionna-

26 Ibid. 27 Pierre SORLIN, «Une mémoire sans souvenir», Hors Cadre, n° 9, Paris, 1991, p. 35. 28 Raul HILBERG, La destruction des Juifs d’Europe, Ed. Fayard, Paris, 1988 [1ère éd. américaine : 1985]. 29 Walter LAQUEUR, Le terrifiant secret. La «solution finale» et l’information étouffée, Ed. Gallimard, Paris, 1981 [1ère éd. américaine : 1980]. 30 David S. WYMAN, L’abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, Ed. Flammarion, Paris, 1987 [1ère éd. américaine : 1984]. 31 Tom SEGEV, Le septième million. Les Israéliens et le génocide, Ed. Liana Levi, Paris, 1993 [1ère éd. israélienne : 1991]. 32 Yves TERNON, L’Etat criminel. Les génocides au XXème siècle, Ed. du Seuil, Paris, 1995. 33 Jean-Michel CHAUMONT, La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Ed. La Découverte, Paris, 1997. 34 Jacques WALTER, «Une réflexivité sans histoire ? A propos de l’interview de Maurice Papon dans ‘Le Monde de Léa’», Champs Visuels, n° 8, févr. 1998, Paris, pp. 110-122. 35 Bruno BETTELHEIM, Survivre, Ed. R. Laffont, Paris, 1979 [1ère éd. américaine : 1952]. 36 Michael POLLAK, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Ed. Métailié, Paris, 1990. 37 Annette WIEVIORKA, Déportation et génocide, op. cit. 38 Damien MANNARINO, «La mémoire déportée», Revue d’histoire de la Shoah. Le Monde juif, n° 162, janv.- avr. 1998, Paris, pp. 12-42.

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listes ; leurs partisans respectifs se sont affron- partir d’un corpus étendu, comme on l’a tés durant les années 1970 et 1980. En fait pour des témoignages écrits. deuxième lieu, les témoins peuvent rendre compte du processus d’extermination : sur ce point, par exemple, le travail de Raul Hilberg28 apparaît comme une référence et 3. La constitution et sert de point d’appui à des émissions. En l’analyse d’un corpus troisième lieu, les témoins ont parfois à se prononcer sur des attitudes ; ainsi, à partir des télévisuel années 1970, les Alliés sont-ils sur la sellet- Je ne veux certes pas m’engager dans un te : on découvre que ceux-ci ont tu un «ter- programme comparatif - intéressant du reste, rifiant secret»29 ou que les Juifs ont été comme il ressort de plusieurs communica- abandonnés30 ; on questionne aussi l’atti- tions à ce colloque -, mais je souhaite sim- tude des Juifs face à la déportation, que ce plement suggérer des pistes à partir de soit à propos de l’organisation de la quelques études sur la documentation tes- Résistance spécifiquement juive, de la par- timoniale écrite. En effet, la confrontation ticipation à d’autres mouvements, de l’action entre les deux types de supports permet de des conseils juifs ou du Yishuv31. En dernier prendre la mesure de certaines difficultés à lieu, se pose la question, très controversée, de se repérer dans le flot éditorial télévisuel, l’unicité du génocide : on connaît les mul- malgré les avancées technologiques de l’INA. tiples contributions à ce débat d’Elie Wiesel, Toutefois, ces avancées permettent d’inno- dans le cadre d’une approche «transcen- ver dans la mise au point de méthodes de tra- dentale», mais aussi les mises au point sur vail productives, en particulier pour les l’«Etat criminel»32 ou sur la «concurrence des journaux télévisés. Et ces méthodes sont victimes»33. transférables à l’analyse des séquences com- portant des témoignages. Tout bien considéré, les travaux de ce type contribuent à leur manière à façonner l’agen- Sources écrites et périodisation da médiatique, dont celui de la télévision, L’étude des témoignages écrits bénéficie selon des tempi variés. Ils permettent aussi d’une réelle antériorité et peut s’appuyer des rationalisations ex post aux agents du sur un corpus dont la constitution ne pose dispositif testimonial et entrent en ligne de plus guère de problèmes, si ce n’est ceux compte dans la formation de communautés inhérents à la construction de tout objet. interprétatives34. Toutefois, si je dis que ces Les sources sont répertoriées et il existe des travaux contribuent à façonner, c’est qu’il y centres de documentation spécialisés (e.g. en a d’autres dont l’impact est loin d’être le Centre de documentation juive contem- négligeable dans ce processus. Parmi les poraine). Ainsi, Annette Wieviorka37 a-t- sciences de l’homme, la psychanalyse a pu elle fourni un catalogue raisonné. amener à centrer l’attention sur l’expérien- Récemment, Damien Mannarino38 a pro- ce concentrationnaire telle qu’elle a été vécue longé ce travail en accentuant l’analyse quan- par les survivants35, tout comme la sociolo- titative des témoignages de déportés, publiés gie36. Du reste, sur ce point, les témoignages en langue française de 1944 à 1993. audiovisuels semblent plus le fait d’orga- L’exploitation de son corpus lui permet de nismes spécialisés que de la télévision. Aussi, dégager des tendances qualitatives qu’il serait l’ensemble des processus évoqués jusqu’ici peut-être judicieux de corréler avec un corpus nécessite-t-il des vérifications empiriques à télévisuel. A titre indicatif, voici des données

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qui pourraient servir de référence pour les des questions relatives à la constitution de confronter aux résultats d’une investigation son corpus et au recours aux archives. C’est menée à partir des archives de la télévision. pourquoi, je voudrais proposer quelques L’auteur isole une première période, celle réflexions sur la collecte et l’exploitation du retour (1944-1950) qui comporte 2/5 d’une série de documents. des ouvrages, dont ceux de Robert Antelme, David Rousset ou Eugen Kogon ; durant Accès aux sources télévisuelles et cette période, le camp-type est Buchenwald. prudence à l’égard de Puis une deuxième période, celle du refou- l’exhaustivité lement (1951-1980), soit 1/3 des titres, mar- quée par une dimension plus littéraire (avec Je l’ai indiqué d’entrée de jeu, l’étude de la les textes de Charlotte Delbo, Jorge Semprun télévision progresse grâce à l’INA et à la loi ou Elie Wiesel) et une plus grande visibilité du 20 juin 1992 qui attribue aux produc- tions de la radio et de la télévision le statut d’Auschwitz. Enfin, à partir de 1981, s’ouvre d’archives, au moins pour celles des chaînes la période du réveil avec une floraison de hertziennes. En outre, un décret d’applica- livres de souvenirs, période où il se confir- tion stipule que sont concernés non seule- me que Auschwitz fonctionne comme ment les supports, mais aussi les «documents «synecdoque» de la déportation et du géno- d’accompagnement» (conducteurs d’émis- cide39. Ce travail met donc en évidence un sion, dossiers de presse, matériel promo- glissement des représentations et de leurs tionnel, etc.). Ces dispositions du dépôt modalités (plus subtil que celui que je résu- légal ouvrent donc un territoire de recherche me ici) grâce à l’étude de la totalité (suppo- prometteur. De fait, l’exploitation des sée) des livres parus. Pareille entreprise archives est facilitée par des équipements est-elle possible pour la télévision ? Avant de informatiques permettant d’accéder à des répondre, on peut évidemment contester le bases de données. Ceci étant, demeure la bien-fondé de cette option à substrat quan- question des archives antérieures à la loi qui 40 tativiste : François Jost a présenté des rai- sont exploitables, mais avec des outils dont sons qui militent en ce sens et qui le le degré de précision est très variable d’une conduisent à privilégier l’énonciation comme période à l’autre. Quoi qu’il en soit, comme indicateur de période. Nonobstant cette dis- le remarquent justement Agnès Chauveau et cussion théorique, si l’on admet qu’un cher- Cécile Méadel41, ces bases sont davantage cheur veuille vérifier la validité d’une telle pensées dans la perspective d’un usage par les périodisation ou mener une investigation professionnels de l’audiovisuel que dans diachronique sur un aspect particulier des celle de la recherche scientifique. Ainsi les témoignages télévisés, il lui faudra résoudre mots clés ne sont-ils pas standardisés et le

39 Ibid., p. 39. 40 François JOST, «Enonciation et histoire de la télévision», in Jean-François DIANA et Guillaume SOULEZ (dir.), op. cit. 41 Agnès CHAUVEAU et Cécile MEADEL, «Nouvelles archives, nouvelles méthodes», Vingtième Siècle. Revue d’histoire, avr.-juin 1998, Paris, pp. 154-156. 42 Patrick CHARAUDEAU, Guy LOCHARD et Jean-Claude SOULAGES, «La construction thématique du conflit en Ex-Yougoslavie par les journaux télévisés français (1990-1994)», Mots. Les Langages du politique, n° 47, juin 1996, Paris, pp. 89-108. 43 Jacques WALTER, «Dispositifs télévisuels et identités médiatiques des survivants. ‘Vie et mort dans les camps nazis’», op. cit.

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recours à certains descripteurs n’est pas sans une thématique en tant que savoir à propos poser des problèmes : chercher à l’aide du d’événements, et comment ils contribuent mot «holocauste» génère un corpus différent par là même à la formation d’un espace de celui constitué en recourant au mot public sur une question. Toutefois, si pour «shoah» ; de même pour les mots «inter- l’ex-Yougoslavie le macro-thème est l’objet views» et «témoignages». D’où la nécessité d’étude, il n’en va pas de même avec les de croiser des mots clés, avec les aléas que témoignages de survivants : ils ne consti- cela comporte. Ces simples expériences tuent pas une rubrique journalistique en d’utilisateur des archives de l’INA mon- tant que telle, mais ils sont greffés à une trent qu’il faut se méfier de l’illusion tech- situation perçue comme un événement. Par nicienne et de celle de la prétendue ailleurs, les auteurs insistent sur l’existence exhaustivité d’un corpus. Cette limite et de sous-thèmes qu’ils nomment des quelques autres n’invalident cependant en «domaines scéniques». Cette notion est rien une démarche de nature quantitative : bien adaptée à l’étude des régimes d’appa- elles invitent à la prudence et à une réflexion rition des témoins dans les journaux. En sur les déterminants socio-historiques des effet, la délimitation de ces domaines se fait outils d’investigation produits par les docu- sans a priori et correspond à un rôle d’action mentalistes et sur leur mode d’utilisation ou de parole, tributaire de la «qualité» des par les chercheurs. Elles appellent aussi à la agents. C’est donc l’«actancialisation» qui création de méthodes de travail ad hoc, en s’avère déterminante. particulier lorsque l’on entend s’attaquer non seulement aux émissions spécialisées, Sous condition de la pertinence d’une pério- mais aussi aux grands rendez-vous de l’es- de de référence retenue sur la base des études pace public télévisuel que sont les journaux. menées par des historiens (cf. les difficultés Il s’agit là d’un changement important dans évoquées supra), il est certainement pos- la nature du corpus classiquement utilisé sible d’isoler les régimes d’apparition des dans les études sur l’histoire à la télévision. témoins dans des scènes spécifiques (ayant Sans préjuger des résultats de recherches néanmoins des rapports les unes avec les sur la réception, cette composante des pro- autres), telles les scènes judiciaires (procès grammes joue certainement un rôle décisif Eichmann, Barbie, Touvier, Papon, etc.), dans l’élaboration de la mémoire des camps. les scènes commémoratives (anniversaires de Et lorsque ceux-ci sont à l’ordre du jour, la «libération» des camps, journée de la des témoins peuvent apparaître à l’écran. déportation, etc.), les scènes politiques, qu’elles soient nationales (Le Pen et les Les domaines scéniques du chambres à gaz comme détail de la Seconde témoignage Guerre mondiale, déclaration du même sur A cet égard, le travail réalisé par des l’inégalité des races, etc.) ou internationales membres du Centre d’Analyse du (conflit au Proche-Orient, attentats, etc.), les Discours42 sur la construction thématique scènes médiatiques (diffusion de Shoah à la du conflit en ex-Yougoslavie par les jour- télévision, sortie de films ou de documen- naux télévisés français constitue une base taires sur l’extermination ou la déporta- méthodologique féconde. Ce travail, ancré tion). On pourrait ainsi arriver à cerner des dans une approche quantitative (le corpus configurations identitaires dominantes à comporte cinq années consécutives des certains moments43 et vérifier si les témoi- journaux de deux chaînes), vise notamment gnages (paroles et images) dans les infor- à analyser comment les médias produisent mations télévisées fonctionnent, ou non,

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en référence à des topoï sur les camps44, à un tar des CD-Rom qui autorisent des par- régime stéréotypique, érigeant par exemple cours individualisés, si ce n’est aléatoires, Auschwitz en symbole de tous les camps, dans des programmes47. C’est d’ailleurs qui s’opposerait à un régime métaphorique pour ces raisons que je me suis gardé de davantage prégnant dans des films docu- proposer une définition préalable du témoi- mentaires45. Il serait encore loisible de com- gnage télévisuel. Je préfère une démarche parer les positions spectatorielles à l’oeuvre de type constructiviste, attentive aussi bien dans les scènes judiciaires à celles d’émis- aux mutations multidimensionnelles du sions dédiées au même thème46. média qu’à celles du champ de la survivan- ce, de l’historiographie et de la mémoire sociale. Bref, il s’agit d’éviter l’écueil du Conclusion médiacentrisme. Si l’étude des témoignages à la télévision - considérés comme une terra L’articulation des approches diachroniques incognita - pose de nombreux problèmes, et synchroniques, quantitatives et qualitatives cette contribution ne prétend pas fournir devrait donc s’avérer fructueuse pour déga- le trousseau de clefs pour les résoudre. Du ger différents régimes de témoignages. reste, je rejoins volontiers François Manifestement, un tel travail nécessitera de Bédarida48, qui, à propos de la Shoah, esti- la patience et de multiples ajustements théo- me que «dans [la] quête de clefs d’intelligi- riques et méthodologiques. De fait, plu- bilité, la lumière doit provenir d’une sieurs facteurs sont présents simultanément confrontation entre toutes les sciences de dans les séquences testimoniales, et leur l’homme : l’histoire, mais aussi la sociologie, dynamique ne manquera pas d’être éclaircie la psychologie, la psychanalyse, la science par le résultat de recherches en cours. En politique, l’anthropologie, le droit, la méde- outre, l’exploration des archives remettra cine, sans oublier la philosophie et la théo- peut-être en cause des idées reçues sur la logie.» Autant de disciplines certainement télévision ou des a priori provenant de l’ex- nécessaires pour penser la construction périence du téléspectateur aux souvenirs médiatique du passé, le rôle des médias dans forcément sélectifs. Qui plus est, avec le l’avènement de l’Evénement, ou leur rétro- développement de ce qu’il est convenu d’ap- action sur notre futur. peler les nouvelles technologies de l’infor- mation et de la communication et l’interactivité, l’opérateur télévisuel condui- ra éventuellement à d’autres usages (à l’ins-

44 Eric PEDON et Jacques WALTER, «Les variations du regard sur les ‘camps de concentration’ en Bosnie. Analyse des usages de la photographie dans un échantillon de journaux français», Mots. Les Langages du politique, n° 47, juin 1996, Paris, pp. 23-45. 45 Anne CROLL, «Auschwitz à la télévision : stéréotypes ou métaphore ?», op. cit. 46 e.g. sur le procès Barbie, voir Jean-François DIANA, «Le procès télévisé : émergence d’un dispositif original. Le cas du procès Barbie», in Jacques WALTER (dir.), Télévision, justice et régulation, Ed. L’Harmattan, Paris, 1998. 47 voir Jacques WALTER, «Archives historiques, mise en mémoire et dispositifs virtuels. Les Histoires du Ghetto de Varsovie», in Noël NEL (dir.), Dispositifs, scènes et mondes virtuels, Ed. L’Harmattan, Paris, 1998. 48 François BEDARIDA, «La Shoah dans l’histoire : unicité, historicité, causalité», Esprit, n° 235 / 8-9, août-sept. 1997, p. 218.

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ROGER I. SIMON Professor Department of Curriculum Teaching and Learning Ontario Institute for Studies in Education University of Toronto - Canada

«What Happens When We Press Play ?» : Future Research on the Substance and Use of Holocaust Audiovisual Testimony

No doubt, we are in the last stages of a peri- industrial warehouse awaiting a future home. od during which survivors of Nazi crimes Whatever the technological, organizational, and genocides have provided recorded tes- financial and conceptual decisions that will timony regarding their varied experiences in set the terms for future access to survivor tes- camps, ghettos, forests, or in-hiding. As this timony, my task today - addressing possi- period draws to a close, the most immediate bilities for future research - assumes that challenge is to improve the archival docu- we will have in place, with fair and feasible mentation of and access to these record- access, an interlinked network of well-doc- ings. I state this from the outset because umented archives. any discussion of future research possibili- ties based on these recordings will require immediate attention to, and funds for, the The Multiple Modes of improvement of documentation and access. Reception of Audiovisual While there are some excellent research Testimony archives readily accessible if one has the time and funds for visits, in my own city of Possibilities for future research in regard to Toronto where taping of survivors has gone audio visual testimony of survivors cannot on since the early 1980’s, a large undocu- be thought independently of the concep- mented collection of videotapes lies in an tions of remembrance within which these

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recordings are embedded. Projects sup- bering, 3) the enactment of memorializa- porting the recording of testimony and the tion, and 4) the exposure of a viewer to a tes- creation of archives have been justified pri- timonial address that makes a moral and marily as fulfilling three purposes : the sup- pedagogical claim on that viewer. In briefly plementation of existing historical discussing each of these four practices, I understanding, the memorial rescue of mem- wish to emphasize that each practice calls for ory from the oblivion of forgetting, and the a very specific mode of attending to the compilation and production of education- recorded testimony, modes of attendance al material, not only for teaching the histo- organized within very different sets of norms ry of the Shoah, but as well, for supporting and discourses. Hence the questions one efforts to encourage and sustain contem- might seek to ask regarding future research porary practices of justice, compassion and will very much depend on what priorities are tolerance. There seems in this three-fold to be given to which modes of attending. justification a complementary alignment of history, memory and education within a The first of these practices - the provision of conception of remembrance as that prac- historical information - is the least contingent tice which brings or re-instantiates the infor- on the audiovisual qualities of recorded tes- mational and emotional importance of past timony. First and foremost in regard to this events/lives. practice is a concern with what is said, the story told and the details provided. One However, the potential significance of audio- might note how what is said, is said, but if so, visual testimony of survivors of the Shoah it is usually in regard to assessing the relia- cannot be easily contained within the taken- bility of an account. Thus, as the provision for-granted terms of this alignment. To clar- of historical information, audiovisual tes- ify this assertion, let us begin with a timony is viewed as a documentary sup- seemingly straightforward question : what plement to one’s prior historical practices are initiated when we push «play» understanding ; an addition to the record, on a video playback unit loaded with an subject (of course) to the appropriate degree audiovisual testimony of a person speak- of methodological caution regarding the ing of their experiences of oppression and reliability of oral accounts given years after persecution within Nazi occupied Europe ? an event has taken place. Attending to tes- Later on I will come back to the problems timony on these terms means to view it as a of just whom the «we» in this question form of «news». On the one hand, a testi- refers to, and the matter of other technolo- mony is welcome if it is judged as infor- gies of image and sound reproduction mation previously unknown or that which besides videotape, however at this moment further confirms what is already known. I want to begin by suggesting four major On the other hand, testimony is of little ways to conceptualize what occurs when interest if it tells us what is already well- an electronic recording of Holocaust testi- known or judged to be too unreliable to mony is presented to a viewer. All of these take into account. Professional historians practices are quite legitimate - all (in princi- or not, attending to audiovisual testimony as ple) simultaneous - however, not all neces- provision of historical information means sarily complementary. Pushing «play» responding within norms which organize potentially initiates the following : 1) the and determine the significance and truth provision of historical information, 2) the value of testimony in regard to an interest in observation of a specific instance of remem- making valid assertions about the past. These

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norms often include assumptions about the perspective on viewing testimony faces a internal coherence of a story, its conver- serious challenge. For an attendance to gence with previously accepted informa- audiovisual testimony to be more than sim- tion, and a judgment as to the authority ply voyeuristic, viewers must in some way and reliability of the witness. to ask themselves how and why the expo- A second practice initiated by playing video- sure to the immediate, lived process of the tapes of survivor testimony is the setting in remembrance of social suffering may be of motion of a diachronic document display- value and to whom it may be so. This is a ing an instance of the difficult process of questioning, not only of our own individual traumatic remembering. James Young1 illus- «viewing positions», but as well the insti- trates this mode of attention when he writes tutionalization of what counts as effective exposure to the Shoah given the evident «The aim of filmed testimony [...] is to alignment of Holocaust testimony with the document both the witness as he makes contemporary and ongoing spectacle of his testimony and the understanding and multitudes of images of suffering and vic- meaning of events generated in the activ- timization. ity of testimony itself [...]. The aim here becomes to document the witness, the A third practice initiated when a testimony witnesses’ memory of the events, and the is «screened» either on a home machine or transmission of this memory - not the in a public setting is an enactment of memo- events.» rialization. Every survivor testimony speaks The point here is that testimony is appre- not just of personal survival but also of hended, seen and heard, as a document of overwhelming loss. In testifying, the one memory being remembered. Specifically, who bears witness to her or his experience the audio visual features of testimony (what is attempting to articulate an absent presence, is seen and heard) become semiotic referents the life and loss of those who were family, which signify the character of this process of friends and community members. Playing a memory. Thus silences, vocal accentuation, tape of such testimony challenges viewers to tears, and facial expressions work as signi- recognize death while resisting the disso- fications that convey moments of emphasis, lution that is death. It initiates a way of investment, difficulty, repression, and at remembering that, while confronting loss, times, ruin. articulates an experience of continuity that is in itself an attempt to refuse the oblivion This mode of attending is spectatorial. One of genocide. In regard to the Shoah, this watches, emphatically - perhaps caught up continuity is most commonly articulated in the vividness of a story being told — at the level of ethno-national identity and/or critically — with a comparative and (although this need not be, and is not, the analytical eye on how memory is being only structure of identification mobilized in socially enacted. That is, one can be moved practices of memorialization). by watching a witness struggle with a diffi- cult remembrance, or one can attend with a I want to illustrate what is at stake in memo- more conceptual focus attempting to under- rialization in reference to several practices stand the construction of memory as a per- common within Jewish communities in sonal and social process. Either way, this North America. Consider the remembrance

1 James E. YOUNG, «Holocaust Video and Cinemagraphic Testimony», in Writing and Rewriting the Holocaust Narrative and the Consequences of Interpretation, Indiana University Press, Bloomington and Indianapolis, 1988, p. 159.

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practice of communally singing at his two accounts of his wartime experi- commemorative gatherings, «Zog Nit Keyn ences. Within an interest which structures Mol» - the anthem of the Jewish Partisans. attention to testimony on memorial terms, The collective singing of this song, with its attending to these differences would be dis- ringing, concluding refrain «Mir zayen do !» missed as a trivial and irrelevant concern («We are here !») functions not just as a which does nothing to alter the enormity of remembrance of the Partisan struggle against fact of loss and survival and the substance the Nazi’s and their collaborators but as an and reasons for such a collective loss. I men- illocutionary utterance substantiating the tion this only to point out that not all ways collective continuity of Jewish life. In a sim- of attending to Holocaust audiovisual tes- ilar vein, audio-visual testimonies when timony will be seen as complementary ; and played at memorial gatherings function as further that some might, at times, seem scan- both elegies and evocations of affiliation. dalous to others. Recently in Toronto, two survivors of the Warsaw Ghetto uprising were prominent- A fourth practice initiated by playing a ly advertised as speaking - on video tape - to video of survivor testimony is pragmatic those who would be attending an upcoming and performative in character. Testimony event marking the annual remembrance day is experienced as a communication addressed Yom Ha-Shoah v’ Gevurah. The virtual not just to the interviewer off camera but to taped presence of these two survivors at a viewer who - as an addressee - is sum- this gathering in 1998 (a presence assured moned to witness the testimony. If, as a beyond the death of either of these two viewer, I am summoned within this rela- men) went beyond the evocation of trau- tion, I experience myself as inheriting the matic memory and the heroism of their responsibility of opening my sensibilities struggle. As well, their stories of loss and sur- to an embodied singular experience not rec- vival functioned to personalize not only the ognizable as my own. Accepting this respon- experiences of history but the viewer’s sibility, I must accept a co-ownership of the investments in the importance of memory testimony-witness relation along with the and the substance of its obligations. Used in burden of being obligated to the testimony this way, audiovisual testimony becomes a beyond my a priori interests and concerns. form of memento mori whose presence This mode of engaging video testimony among us is intended to engender commu- requires an attentiveness that is tantamount nal obligations. to an allegiance Emmanuel Levinas express- es as : «Me voici», «Here I am». Here I am, It is important to emphasize that certain responsible to you, answerable to your modes of attending to audiovisual recordings demand that I listen and learn, and in so are inappropriate and unwelcome during learning attempt to exceed existing terms memorial enactments. Recently, I listened to on which I have come to know that which two different videotaped interviews with a is beyond the field of my immediate exis- survivor of the Lodz Ghetto. One was taped tence. In this most difficult sensibility, I in 1985, the other by a second interviewer in must find a way of attending to testimony in 1992. This survivor was a well-known mem- which I learn the limits of what I am able and ber of the Toronto Jewish community and need to say as a witness to an another’s a devoted activist in regard to protection of account, trying to respond beyond that the- human rights and the fight against intoler- matized by what I already know. This ance. There are fascinating differences in attending is a learning from testimony (not

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always about it2 which prevents a testimo- haps no surprise that I suggest here, that ny from being singularly grasped as a datum, any research program pertaining to an empirical referent to be assessed on the Holocaust audiovisual testimony should basis of existing knowledge. Alternatively, include an inquiry into questions regard- one might say that this mode of attendance ing one’s sensibility of reception. Much requires one to apprentice oneself to a tes- needs to be done to understand the sub- timony in a way that opens oneself to a stance and determinants of the different wounding - not a wound in anyway a sim- modes through which one may attend to ilar to that which references another’s trau- recorded testimony. This means re-consid- ma - but rather a wound coincident with ering basic questions such as what it means what Levinas3 calls the «traumatism of to view or listen to testimony. astonishment», a traumatism inflicted by Viewing and listening are not pre-given another’s story which, in my responsibility capacities. Always enacted from within as «summoned to witness», may call what I some set of time/space co-ordinates, view- know and how I know into question. ing and listening are indelibly historically and Keeping in mind these four different ways institutionally specific practices ingrained of attending to audiovisual testimony, I now in presumptions of what in means to live and wish to discuss several issues regarding learn in consort with others, to live and future research. What I have chosen to do learn as though the lives of other people today, is briefly lay out a few programmat- mattered. While not exhausted by their con- ic research agendas for your consideration text, it seems crucial that we know more and discussion. about how the conditions of an engage- ment with testimony might orient one’s mode of attending. This would include Four Research Agendas research attention to the institutionalized social forms in which viewing takes place - 1. Exploring How One Sees the normalized, regulated, taken-for-grant- and Listens ed semiotic, temporal and spatial frame- Geoffrey Hartman suggests that works which order the concrete practicalities within which one actually sees and hears «the survivor-story teller (of audio visual audiovisual testimony. Such forms include, testimony) delivers the message personally for example, school-based courses, archival and in a real-time [...] [that] each witness visits, memorial gatherings, broadcast tele- account arrives as a return of memory, in vision schedules, and even Internet web the presence of a sympathetic listener sites. This attention, at the very least, would who makes up for the indifferent or busy include an inquiry into : a) what technolo- non-listeners in the survivor’s life.» gies of sound and image reproduction each In what sense might this non-indifference be social form encourage and with what con- said to continue within the practice of view- sequences for how viewing and listening ing recordings of audiovisual testimony ? takes place ; b) what each social form pre- Given my introduction to this paper, it per- sumes regarding the prior knowledge and

2 Deborah BRITZMAN, Lost Subjects : Contested Objects : Towards a Psychoanalytic Inquiry of Learning, State University of New York Press, Albany, 1998. 3 Emmanuel LEVINAS, Totality and Infinity (translated by Alphonso Lingis), Duquesne University Press, Pittsburgh, 1969, p. 73.

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experience of viewers and how these are veyed to others, and what is it about one’s implicated in what one sees and hears ; and experience that is urgent that others under- c) how the continuous flow text and image stand. In this regard, we may then ask : are within each social form affect the reception there particular contemporary idioms which of testimony. In addition, it would be crucial seem to affect how a survivor’s story is told ? to consider if and how these social forms - What narrative themes do these idioms open these ordered contexts for engaging audio- and what themes do they foreclose ? Are visual testimony - influence the manner in there some regulating notions of what con- which testimonies elicit specific social and stitutes «one’s story» which systematically emotional identifications and associative seems to suppress the expression of certain discourses ; identifications and discourses details ? Many audiovisual testimonies are which, at times, not only evoke specific organized as a series of discrete stories gen- forms of attentiveness but also structure erally set within a linear time sequence (a what is missed and perhaps forgotten. time sequence often structured by the inter- viewer). Are there identifiable patterns as 2. Studies of the Practice of to what kinds of stories are told and what Remembrance with seems left unspoken ? Audiovisual Testimony In my own research on the reported expe- Obviously, there is now a large collection of riences of the Jews of the Vilna Ghetto, I recordings of people remembering their have noticed how little information is given experience during the Shoah. What dynam- in taped testimony regarding the details of ics of remembrance these recordings repre- certain events, locations and institutions sent might better be understood by despite evidence that those speaking did comparative studies of the terms of their have access to these particulars. Many tes- narrative construction. The kinds of stories timonies provide considerable detail regard- people tell about their lives (and the kind of ing brutalization on the one hand, and escape stories that interviewers consciously or and survival on the other, but little detail unconsciously elicit) are mediating points for (unless elicited by an interested interviewer) a variety of cultural discourses. While atten- as to how social activities such as the pro- tion should, of course, be paid to the way vision of food, health care, education, and interviewing practices and technical facilities other cultural activities were received and structure accounts, to more fully under- carried out. Does this manner of structuring stand the character of audiovisual testimo- the telling of one’s story reflect a normalized ny it will be important to consider the North American conception of what a cultural and historical discourses within video-taped version of «a survivor’s story» which the narration of one’s experiences should include ? Are there interviews record- within the Shoah is accomplished. All «life ed in other times and places that would stories» are constructions, in part ordered by emphasize incidents and events not often sets of assumptions as to what details/feel- included in North American recordings ? ings/viewpoints are important and appro- priate to transmit to others. Beyond an Another issue pertinent to understanding the interviewer’s questions, each person bearing constructed character of testimony is degree witness is, in some way, responding to to which the increased awareness of and assumptions as to what a «survivor’s story interest in Holocaust memory has influ- could and should incorporate» ; that is, what enced the way survivors are narrating their was and is important enough to be con- stories. In the two interviews, seven years

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apart that I referred to earlier, the interviewee, brance and learning such that in the work of in his 1992 testimony, makes several refer- remembrance, we encounter and make evi- ences to information provided via films, dent new - and perhaps radical - forms of books, and survivor gatherings that he did learning from testamentary material. It is not mention when first recorded in 1985. in this regard that my colleagues and I at the Perhaps what is at issue here is similar to the University of Toronto are exploring how the intermingling of the memory of actual events study of a small geographically focused with the memories of events portrayed in archive of audiovisual testimonies, ghetto photographs, films and television broad- diaries, poetry, photographs, art work and casts that Marie-Claude Taranger reports music - the testament of the Jews of the in regard to her large scale oral history pro- Vilna Ghetto - might evoke what Gershom ject of war memories given by residents of Sholem called an anagnorisis5, a learning the Marseille/Aix-en- Provence area4. No from «the past» that is a critical recogni- doubt, a study of this issue might find that tion or discovery that unsettles the very certain aspects of contemporary Holocaust terms on which our understanding of our- testimony have become inescapably inter- selves and our world is based. For us, «to twined with media inherited history. know about a past event» is not something fulfilled by the recall and understanding of 3. Learning, Remembrance and what one sees, reads or hears. Rather «know- Audiovisual Testimony ing» requires re-citing and re-siting what As a third research agenda, I wish to briefly one has learned - not only of what hap- mention my own current work which con- pened to others at/in a different space/time cerns the obligation to learn not just about but also (and this is key) what one has the past, but to learn from attempts to face learned of and within the disturbances and the traces of lives lived in other times and disruptions inherent in comprehending the places vastly different from our own. The substance and significance of these events. «lessons» of the Shoah cannot be confined Thus in this regard we are exploring the to the historical, sociological and psycho- possibilities of a «witness» within which logical understanding of that which was one not only learns from the testimony of done by others, nor to the vivid recitations Others, but also one teaches, teaches pre- of experience that inspire moral messages cisely how one learns. encouraging the civic courage needed to stand against injustice. If our purpose is to 4. Appropriation and understand the cultural and pedagogical Exploitation of AVT within import of engaging audiovisual testimony, Research and Education alone or in concert with other testamen- Finally, I want to raise some questions tary material, we need to explore a variety of regarding ethical concerns associated with creative forms of study such material may research and education employing support. What I have in mind here begins Holocaust audiovisual testimony. When with the need to open up a consideration of thinking about these issues I usually start by what it might mean to bind together remem- reminding myself of Alain Finkielkraut’s

4 In Victor BURGIN, In/Different Spaces : Place and Memory in Visual Culture, Routledge, New York, 1996. 5 Paul MENDES-FLOR, «History», in Arthur A. COHEN and Paul MENDES-FLOR (eds.), Contemporary Jewish Religious Thought : Original Essays on Critical Concepts, Movements and Beliefs, The Free Press, New York, 1987.

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admonition that «Memory does not consist portrayed survivors weeping and breaking in subordinating the past to the needs of down in interviews. Their view was that the present [...] he who looks to gather the this representation was inconsistent with materials of memory places himself at the the way survivors should be portrayed. service of the dead, and not the other way While one might dismiss this control of the around»6. use of video testimony as an inappropriate Should we add, in the service of dead - yes limit on and hence distortion of the evi- - but also at the service of those survivors still dentiary character of testimony, from anoth- living ? er point of view one might regard this as an attempt to address the concern that, in the Clearly, ever since documentation projects context of an educational video, one not began there has been the concern that testi- re-victimize those who were already once mony be prevented, if at all possible, from victimized. Some will argue of course, that falling into the hands of those who would much of the educational significance of deny or distort the events of the Shoah. audio-visual testimony is assumed to lie in This has lead to considerable caution on the fact that such testimony is often experi- the part of those who administer archives, enced as «compelling», personal stories well- resulting in a screening of who gets access to told or visual displays of traumatic material, and a limit on the forms and pro- remembrance that captivate the viewer. cedures through which material is made Indeed, this captivation is often assumed to available. However, the problems of dis- be the moment when «history comes alive», semination are compounded when educators personalized and hence meaningful. No and cultural workers want access to archival doubt there is a grain of truth to this. material in order to use portions of this However, much needs to be clarified regard- material for their own productions. Many of ing our obligation to present testimony in a you are already wrestling with the ques- way that guards against reducing survivors tion of what limits and safeguards should be to objects of spectacle and pity. imposed in such circumstances. This issue of survivor testimony as specta- As an example of how the ethics of dis- cle needs much more attention than it is semination and reproduction go well currently receiving. In contemporary beyond issues of malicious distortion con- Western culture, an element of spectacle is sider the following example. In the early often assumed essential for practices of pub- 1980’s I participated on an education advi- lic memory to be effective. In many respects, sory committee to a project whose intent the video playback machine might be said to was, not only to develop a Canadian archive encourage the spectacularization of sur- of survivor video testimony, but to use vivor testimony. As I suggested earlier, at the excerpts of this testimony for the production very least we ought to understand more of thematically organized educational mate- about the conditions of viewing that mitigate rial. There were several survivors who on the or enhance such effects. Board of this project who wanted control over the content of the educational videos For the most part, it is «we» who push play produced by the project ; specifically they when video testimony is presented, people were insistent that no shots be included that with the professional credentials provided

6 Alain FINKIELKRAUT, The Imaginary Jew (translated by Kevin O’Neill and David Suchoff), University of Nebraska Press, Lincoln, 1994, p.54.

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with access to archived tapes. While of «Holocaust Survivor Oral History Project» course, we stand implicated in the ethical at the University of Michigan - Dearborn relations and pedagogical limits of our own (http ://holocaust.umd.umich.edu/), pro- viewing practices, to conclude I want to vides the extensive testimony of survivors raise the question of the limitations of video through both sound and text files. These playback technology (whether in archives or examples represent the new technologies classrooms) for providing a transactive rela- of dissemination of sound and image that tion with recorded testimony. In my view an allow a viewer to respond to testimony in opening up of the question of how one way very different from what videotape learns from the past requires a consideration alone affords. Clearly we need research as to of various ways of breaking down the spec- how such forms of dissemination are being tacularization of testimony. This in turn and could be used. may well require new technologies which There is good reason to worry about this offer alternative modes of attending to tes- problem of spectacle, not only in regard to timony. There are two examples, I wish to what becoming part of spectacle culture briefly mention, that allow us to begin to does to those who have contributed their tes- consider the pedagogical possibilities inher- timonies, but as well in regard to how such ent in alternative modes of dissemination. a cultural formation may limit what it means The first of these has been available on the for us to live and learn from the testamentary Yale Fortunoff Archives web site legacies archived recordings provide. For (http ://www.library.yale.edu/testi- after all, it is how we bear this inheritance monies/homepage.html) where one can that will be the test of whether or not we «click» on a file in order to transmit to one’s meet the obligations engaging testimony own computer screen a brief excerpt of a invokes. video testimony presented together with a written transcript of that excerpt. The second example, available on the web site of the

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JOANNE RUDOF Archivist Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Yale University - U.S.A.

Present Research and Future Challenges

At the risk of repeating some of the infor- visits and research for July 1996 through mation I presented here two years ago, I June of 1997. think it is vital to point out the Fortunoff Ninety-two patrons who viewed tapes made Video Archive for Holocaust Testimonies is 215 visits to the Archive. Viewers saw a a part of the department of Manuscripts and total of 452 tapes, of which 374 were une- Archives in Yale University’s Sterling dited testimonies, sixty-four edited pro- Memorial Library, the main research division grams and fourteen miscellaneous films. of the Yale University Library system. Our There were forty-four Yale-affiliated vie- primary goal is providing physical and intel- wers : twenty undergraduates, fifteen gra- lectual access to the materials we collect, to duate students, four faculty members and facilitate research, not to conduct it our- five others. Among the non-Yale viewers selves. That, of course, does not preclude were faculty from Brandeis, Concordia, our own staff from personal research activi- Duke, Gallaudet, Marshall, Michigan State, ties, but it is their own work, rather than Mount Holyoke, New York University, that of the institution. Since we opened our the University of São Paulo, Saint Hyacinth, doors to the public in 1981, we have seen a Duke, Emory and the University of Virginia. steady increase in the number of patrons Graduate students were from Emory, the who visit the Video Archive each year. I will University of Groningen, Harvard, New share with you some information on patrons York University, the University of

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Osnabrück, San Francisco State University, Students from area high schools and midd- and the University of Toronto. le schools visited to prepare projects for a Undergraduates were from Boston College, History Day competition. A local private Mount Holyoke, Princeton, Syracuse high school student planned a senior project University, and Utica College. These sta- based on research visits to the Video Archive. tistics do not include patrons at Emory Before I discuss the specifics of some resear- University, San Francisco State University or ch topics presently being pursued at the St. Cloud State University, all of which have Video Archive, it is essential to understand testimonies in their libraries under a contrac- how and why this research is possible. tual agreement with us. Obviously, if the testimonies are not phy- Two groups visited the Fortunoff Video sically available, no research can occur. Archive. One was a National Endowment Likewise, if there is no intellectual access for the Humanities Summer Seminar for to the contents of the testimonies, little mea- university faculty based at Brandeis ningful research can occur. When we met University and taught by Alan Mintz, entit- together two years ago, I focused this section led «Cultural Responses to the Holocaust in of my talk on our cataloging work. I would America and Abroad». A full day visit to just like to review and update a bit of that Video Archive included a half day seminar, information. We catalog our testimonies a bibliographic instruction session in the into an international bibliographic databa- library’s Electronic Classroom, individual se which is available by subscription to most reference consultations, and viewing testi- research libraries in the world through a monies. Karen Remmler taught a course at user friendly interface, «Eureka». Mt. Holyoke on representation of the Access is also available through the Holocaust in film. She scheduled a full day Internet either on our own website visit to the Video Archive during which (www.library.yale.edu/testimonies) or students had individual reference appoint- through Yale’s online public access catalog ments and watched testimonies. Several of (ORBIS). Boolean searching using the ope- these students made subsequent visits to rators «and, or, not» can be used to either complete their research. broaden or narrow searches. One can use geographical or topical terms, limit searches Two graduate students from Emory have to particular languages, to particular collec- commenced their dissertation research here, tions, to gender, to nationality, or countless as has a student from a university in other variations. Each testimony’s biblio- Germany. Research for masters theses in graphic record has a 200-word summary the history of medicine and on whether which provides additional information to gender differences impact the perception assist the researcher in identifying those tes- of the experiences of concentration camp timonies relevant to their research. survivors was completed this year by stu- dents from foreign universities. Novelists, Once a researcher has identified the testi- playwrights, and documentary producers monies which relate to their interest, we did background research. Faculty from provide the additional tool of a finding aid. Gallaudet University completed research This is a printed, time-coded document on deaf survivors and we are exploring the which is a running summary of the testi- possibility of a joint project to produce cap- mony as it was recorded. Using the finding tioned versions of the testimonies in order to aid enables the researcher to locate the exact make them more accessible to the deaf. segments of the testimony which they wish

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to view. Most of the finding aids are full-text these should always be used in conjunction searchable as well which provides us with an with the testimonies. additional tool in identifying testimonies Part of our cataloging process involves anno- for researchers. The staff of the Video tating the finding aids when we do find his- Archive knows the collection well and has torical errors (usually exact dates or a great deal of experience searching the data- population statistics), or myths. I should bases. We are available to meet with resear- point out that there is value in viewing the chers to provide reference assistance to them testimonies which contain common myths as well as having long distance conversa- since one begins to understand the source tions - whether by phone or email - prior to and rationale for the persistence of some of their arrival at Yale in order to facilitate their these myths over the course of so many research and make the best use of their time years. However, this is not to say that one with us. Our knowledge of the collection cannot find historically valuable information also allows us to identify testimonies by in the testimonies. Particularly for small less rigorous, more subjective or esoteric camps for which there are few, if any writ- categories which may assist a researcher as ten records, or similarly small ghettos and well. towns, several testimonies which indepen- I would like to encourage as many other dently verify information are of great value. collections as possible to begin providing The Yale University Library, while a pri- this kind of intellectual access to their testi- vate institution, makes its special collec- monies. There is no reason for ours to be the tions, such as the Fortunoff Video Archive only collection useful to researchers and for Holocaust Testimonies, open to the we stand ready to provide information and public. There is a registration procedure assistance to others wishing to embark on and security measures involved in using the such a program. I should point out that testimonies, and, of course, individual tes- while all of the bibliographic information is timony releases are checked each time a tes- available, the collection itself is non-circu- timony is request and any restrictions lating ; that is, the testimonies can only be contained therein govern the use of each viewed at Yale. testimony. Part of the registration proce- dure is the patron signing a form which One of the most important aspects of our acknowledges they understand that per- work has been to acknowledge the limita- mission to view is NOT permission to publi- tions of collections such as ours. One can sh. Those who intend to use testimony learn a great deal about survivors from their excerpts in publications, whether written testimonies, but this knowledge can only or verbal, must obtain authorization to do so be intelligently used by those who already from the Yale University Library. We noti- have a solid background in the history of this fy the witnesses as a standard part of this period. One cannot «learn the history of procedure. We also provide the citation for- the Holocaust» through the use of the video mat to anyone who receives authorization to testimonies alone. There are many reasons publish, and, out of respect for their priva- for this, including the very personal nature cy, we do not allow use of the witnesses’ of most of the information they contain, as surnames under any circumstances. well as occasional myths and misinformation which also appear. There is a wealth of writ- The range of research issues has surprised us ten primary and secondary materials which from the outset. Two years ago I outlined are reliable and more easily verifiable, and some of these and I don’t want to repeat

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myself. I will, however, share with you a • Identity in a Holocaust survivor’s story. small sample of some of the research topics High school student paper : which viewers have indicated to us over just the past year. • SS St. Louis. Dissertation research : Health care professions : • Interviewer-interviewee negotiations • Inter-generational transmission of trau- during traumatic storytelling. matic events. • Representations of the uncanny in 20th Actor : Century literature and film. • Background for a role as an Eastern • How narrative unfolds in survivor tes- European rabbi. timonies. Undergraduate papers : There are many challenges for both pre- sent and future researchers who choose to • Jews in Shanghai during World War II. use these testimonies. As Geoffrey Hartman, • Personal responses of Christian bys- Lawrence Langer, and others who have tanders in Nazi occupied Europe. spent a great deal of time viewing and thin- • Jewish responses in Germany prior to king about these materials have said, this is the war. a new genre. I am not sure many know how to view these as yet. They require care- • Hidden Jewish children in France. ful viewing and reviewing. The analytical • Women in the resistance. skills required to truly understand the many • Jews in Denmark. layers and complex nature of the testimonies have not yet been developed. Extracting • Kielce pogrom. information is not always as easy as it initially • Postwar experience of emigration to may seem. Langer has pointed out many the United States. times the tension expressed by many of the • Jewish refugees in Shanghai. survivors between their admonitions, «You cannot understand !» and «You must High school teacher : understand». One must learn to «read» the • Art in ghettos. silences, and one must understand that what Senior scholars writing books and/or is not said can be as important as what is said. articles : And one should not make the mistake of thinking that generalizations can be drawn • Jews in Vilna ghetto. from these testimonies. I have cataloged • History and memory. some 1,400 testimonies and have yet to iden- • Witnesses at war crimes trials. tify «the survivor experience», «survival strategies», or other such commonly misun- • Survivors of Starocowice concentration derstood phenomena. And always we must camp. keep in mind the very obvious limitations of • Kovno ghetto. these collections : that we are hearing only • Chinese and Jewish memory. the testimonies of those who have chosen to speak, only what they have chosen to share • Holocaust witness - women’s voices. with us, and only the words of those who • «Fugitives of the Forest» - a book on the did survive, as David Boder so eloquently partisans in eastern Europe. reminded us with the title of his book based

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on immediate postwar interviews of survi- unique and differing perspectives, the mul- vors, I Did Not Interview the Dead. tiplicity of voices, the small and personal histories offer richness and diversity that I believe that the incredible wealth of our expand knowledge in ways few other materials has barely begun to be used. This resources can. Combined with these other is not to minimize the important work of resources, deeper insight and newly disco- pioneers like Lawrence Langer, Geoffrey vered information will result. I hope that Hartman, Robert Kraft, and many others. in the future, doctoral and post doctoral Yes, this material is much more difficult to study will be structured into Yale’s Video use than print sources. It «pulls you in» and Archive. I am confident that as more scho- engages emotion due to the very rawness of lars and researchers invest the required time the emotions expressed. It forces you, the and effort, new scholarship will result that reader to encounter pain that has no reso- we probably cannot even imagine. lution, or closure or redemptive message. The losses one confronts can cause a great deal of pain to the viewer. However, the

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LILIANA PICCIOTTO Département audiovisuel Fondazione Centro di Documentazione Ebraica Contemporanea, Milano - Italie

Expériences et réflexions sur le témoignage audiovisuel en Italie

Je représente ici le Centre de Documentation audiovisuel. Il n’y a, en effet, aucun doute Juive Contemporaine de Milan. Cet institut qu’à l’inverse des documents écrits que l’on se compose d’une bibliothèque, d’Archives recherche et que l’on interprète a posterio- sur le judaïsme contemporain en Italie, d’une ri, l’interview est un vrai document, créé à vidéothèque de plus de 5.000 pièces qui partir de rien, aussi bien par l’«interrogeant» regroupe aussi bien des films de fiction que que par l’«interrogé». des documentaires sur le judaïsme. Une sec- tion de cet institut s’occupe également d’ana- Le témoignage vidéo, par la nature même de lyser les signes d’antisémitisme ainsi que les son support, présente une répétabilité qui est préjugés depuis la guerre. Je suis collabora- théoriquement infinie. Les destinataires peu- trice scientifique et historienne dans ce vent donc être infinis, eux aussi, de même Centre. que les missions que le témoin peut se don- ner quand il parle, et les méthodes d’analy- Je ne m’exprimerai pas aujourd’hui du point se du discours-témoin. L’important est, je de vue de la sociologie, de l’anthropologie pense, de choisir et de faire connaître le but sociale, de la psychologie ou de la pédago- et les modalités de construction de ce dis- gie, qui sont les catégories scientifiques que cours-témoignage. l’on emploie habituellement pour aborder la question des témoignages audiovisuels, mais Le projet de notre Fondation, qui s’intitule d’un point de vue historique, du moins sur Interviews à l’histoire, a commencé en 1996 le plan de la construction du document et a pris fin en 1998. Ce projet avait pour but

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de retrouver les survivants d’Auschwitz par exemple : «J’étais là. La porte était là. déportés d’Italie et de ses ex-colonies, et de Elle était fermée de cette façon. Je me lavais les interroger sur leur sort pendant l’époque ici. Je ne voyais pas mes frères mais j’en- fasciste et l’occupation allemande. Les res- tendais leur voix». - «Comment cela se fai- capés pouvaient être de nationalité italienne sait-il que tu entendais leur voix ?». - «C’est ou non mais devaient avoir été arrêtés sur le parce qu’ils étaient dans une cellule au rez- territoire italien. de-chaussée. Moi, j’étais en haut et comme les voix montent du bas vers le haut, nous Au lendemain de la libération de l’Italie, les entendions leur voix». rescapés revenus d’Auschwitz étaient à peu près 300. En 1996, quand nous avons com- Nous sommes rentrés dans les cellules. Le mencé le programme, une centaine était en témoin nous montrait, par exemple, la vie. Jusqu’à présent, nous avons pu en inter- fenêtre dont la vitre avait été cassée à roger 97 pour un total de 300 heures d’en- l’époque, ce qui lui avait donné froid. registrement. Comme ces événements se passaient au Le support technique que nous avons mois de septembre 1944, nous lui avons employé se composait d’une caméra vidéo demandé : «Pourquoi avais-tu si froid au Betacam et de deux microphones girafes. mois de septembre ?» - cela était très impor- L’équipe était formée d’un cameraman, spé- tant pour nous car si en septembre 1944, cialiste également de la photographie, d’un les internés avaient froid dans la prison de assistant son et lumière, d’un metteur en Milan, cela signifiait que la saison avait été scène et de deux historiens interviewers, à particulièrement dure. On pouvait donc savoir moi-même et mon collègue Marcello déjà utiliser ces informations dans un cadre Pezzetti. historique émergeant du témoignage lui- même, de la personne et de son vécu. Notre programme a prioritairement consis- Ensuite, cette personne nous a dit : «Les té à tenter de ramener les personnes dans le camions sont venus nous prendre dans cette contexte où elles avaient vécu leur expé- cour» - Il nous montre la cour - «Il y avait rience pour chercher à évoquer les faits. cinq camions». Si l’on sait que chaque Avec les témoins, nous nous sommes rendus camion contenait au moins 50 personnes, on sur les lieux de leur enfance, dans les rues des peut dire que ce convoi est parti avec au villes où ils avaient habités, où ils étaient moins 250 personnes. «L’appel a été fait la allés à l’école, dans les synagogues où ils nuit précédente dans cette salle-là. J’étais avaient atteint leur majorité religieuse, sur les près de mon père qui m’a dit : ‘C’est la fin’». places devant les bâtiments des commu- En tant qu’historiens, nous replaçons cette nautés des petites villes italiennes, ... Ensuite, quantité d’informations dans un cadre qui grâce à des permis spéciaux, nous avons pu nous permet d’interpréter également d’autres rentrer dans les prisons à Rome, à Milan, à témoignages. Florence, à Trieste, et nous y avons tourné une partie des interviews. Notre méthode a, Du début à la fin de notre projet, nous avons depuis le commencement, consisté à nous suivi la même méthode : nous n’avons jamais rapprocher le plus possible du factuel. Nous posé de questions aux témoins en termes n’étions, en effet, pas intéressés par la seule de «Qu’est-ce que tu as pensé ?», «Qu’est- reconstruction de la mémoire, le simple ce que tu ressentais ?» etc. Nous n’avons recueil des histoires de vie, mais nous vou- jamais cherché à casser la «superficie» du lions réaliser une oeuvre d’historiographie fil- récit, à pousser le témoin à faire sortir ses sen- mée. Chacun des témoins nous a donc dit, timents. Cela ne nous a pas empêchés, je

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pense, d’être arrivés à atteindre l’âme des peur pour mes parents. La colonne était choses. celle-là. L’Allemand était tourné comme cela». Et le témoin m’a montré comment A la fin de chaque séance, nous étions tout effectivement il aurait pu se cacher derrière à fait épuisés, aussi bien nous, les historiens, la colonne. que les «interrogés». Beaucoup de ceux-ci m’ont confié que c’était trop dur pour eux, Dans ce processus historique factuel, la bien que certains avaient déjà donné leur caméra est tout à fait «transparente» et se témoignage avant de le faire pour nous. En fond presque avec la conscience du témoin. effet, nous nous sommes aperçus a posteriori Elle devient son oeil, elle «voit» ce que le que nous n’avons laissé au témoin aucune témoin voyait alors. Il n’y a jamais d’effet fil- liberté d’opérer des sélections dans sa mique. mémoire. Notre projet ne s’est pas du tout La troisième étape du projet a été les deux conformé à la logique selon laquelle le récit camps de transit italiens : le premier, Fossoli, des «interrogés» se fait de façon intention- qui se trouve près de Ferrara ; l’autre, la nelle, où le narrateur choisit de sélectionner fabrique de nettoyage du riz, appelée la ses souvenirs et choisit de dire ce qu’il veut Risiera de San Sabba à côté de Trieste. dire. Fossoli est resté presque intact. C’est un camp constitué de baraques en briques, L’étape suivante du projet était les gares des construites par l’administration italienne villes italiennes. Beaucoup de déportés ne pour emprisonner les Juifs. L’état du lieu savaient pas expliquer d’où ils étaient partis est actuellement lamentable : les toits sont en exactement parce que ce n’étaient presque train de s’écrouler et la végétation y est très jamais des gares centrales mais des gares abondante. Cependant, tout y est très recon- secondaires. A Milan, par exemple, nous naissable : les cuisines, la place de l’appel, avons découvert tout un réseau souterrain etc. Nos témoins ont pu y reconstruire la vie dans la gare centrale, une vraie ville souter- quotidienne minute par minute. Ils nous raine où les déportés étaient chargés dans les ont ensuite accompagnés à la gare pour nous wagons. Après quelques heures, les wagons, montrer comment se passait le chargement fermés de l’extérieur, étaient placés sur un élé- des trains. Nous avons ainsi découvert que vateur et mis à niveau sur la voie qui condui- certains convois avaient été chargés avec sait vers le Nord. Tout ce mouvement était violence et d’autres non. Cherchant à appro- tout à fait inconnu aux témoins qui se rap- fondir cette question en la posant à plu- pelaient seulement avoir été bousculés, dépla- sieurs témoins, nous avons compris que cés plusieurs fois quand ils étaient dans le pour les premiers convois, les Allemands wagon, plusieurs heures avant leur départ. avaient essayé de séparer les hommes des Dans ce lieu qui est encore abominable, femmes et de faire ainsi arriver les convois à obscur et plein de bruits métalliques aujour- Auschwitz déjà prêts pour la sélection. Cela d’hui, nous avons conduit plusieurs inter- avait provoqué beaucoup de troubles et views et de nouveau, les récits des témoins quelques soulèvements, ce qui avait poussé étaient constitués des termes de «ici», «là- les nazis à user de la violence, tandis que bas», «à telle heure», «je portais cela», «j’avais dans les derniers convois, toutes les familles froid», «j’avais chaud», «j’étais avec un tel». étaient réunies dans les wagons. Un témoin, par exemple, m’a dit : «J’étais debout, devant l’ouverture du train. Au fil des années, le camp de la Risiera de L’ouverture était très sombre. J’aurais pu San Sabba à Trieste a connu divers change- me cacher derrière une colonne mais j’ai eu ments et manipulations afin de le faire

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devenir une lieu de commémoration officiel. de l’extermination. Nous lui avons donc Les témoins que nous avons emmenés là-bas posé de nombreuses questions très précises. s’y sentaient dès lors perdus. Ils ne recon- Il s’est soumis à nos questions, nous a tout naissaient plus le lieu et beaucoup avaient les raconté. Après deux mois, il a accepté d’être larmes aux yeux. Cette étape fut la moins à nouveau interviewé par une autre insti- fructueuse de notre projet car la mémoire et tution, celle de Spielberg. Il est clair que ce les sentiments des témoins étaient complè- témoin a très bien perçu que nos buts étaient tement troublés, perturbés, et les gens n’ar- tout à fait différents de ceux de la Shoah rivaient plus à raconter calmement ce qui Foundation. Sa façon de se poser devant la s’était passé là-bas. caméra était tout à fait différente : lorsque nous l’avions interrogé pendant des heures, Ensuite, nous sommes partis vers Auschwitz il avait paru immobile, ne laissant pas trans- où nous sommes retournés trois fois avec des paraître ses émotions, tandis qu’avec la Shoah témoins différents : une fois en hiver avec la Foundation, il a pleuré pendant quatre heures neige, une fois en automne avec le vent et la d’affilée. Vous voyez donc que l’on peut pluie, une fois en été. Avant de partir, mon faire une analyse comparative des différentes collègue et moi-même avons passé des mois façons de rendre un même témoignage en à étudier la planimétrie d’Auschwitz et de l’espace de deux mois. Birkenau et à reconstruire les événements de Birkenau à l’aide du Hefte von Auschwitz : Ce témoin s’est donc soumis à toutes nos où étaient logées les femmes et les hommes, questions. Il nous a raconté comment les où se trouvaient les lieux de quarantaine, membres du Sonderkommando vivaient les latrines, les lieux de l’immatriculation, à séparés du reste de la population prison- quelle date fut instituée la Judenramp entre nière, comment il s’était habitué à ce tra- Auschwitz et Birkenau, à quelle date fut vail qu’il faisait machinalement, sans penser construit le chemin de fer dans Birkenau, ... à rien. Il a répondu avec une précision extrê- Nous avons étudié les conditions dans les me aux questions les plus minutieuses. Il a, infirmeries et les hôpitaux et nous avons par exemple, répondu à la question de savoir compris à partir de quelle date les méde- si les membres du Sonderkommando por- cins juifs ont pu commencer à y travailler car, taient un masque. dans un premier temps, les médecins juifs ne pouvaient pas rentrer dans les hôpitaux du camp. En fait, ils ont pu le faire à partir de la Une question très importante a été de savoir fin de 1942. si le Ziklon B était jeté simultanément par les quatre trous du plafond des crématoires II Nous avions besoin de toutes ces données et III ou si cela se faisait de façon séparée, historiques pour mieux enquêter. Nous c’est-à-dire si il y avait un seul SS de la sec- avons eu la chance d’avoir avec nous un tion hygiénique de Auschwitz qui faisait ce témoin, un grec qui vit actuellement à Rome travail ou s’ils étaient quatre. Cette ques- et qui, à Auschwitz, a fait partie du tion peut sembler tout à fait étrange mais du Sonderkommando, c’est-à-dire les prison- point de vue historique, c’est très impor- niers juifs obligés de travailler aux chambres tant, cela fait une grande différence car si le à gaz. Nous avons donc eu la possibilité de gaz n’était pas distribué uniformément et filmer l’extraordinaire interview de ce mon- simultanément dans les cellules, les victimes sieur sur les faits horribles qu’il avait vus. souffraient beaucoup plus car elles se bous- Nous lui avions préalablement expliqué que culaient pour échapper au lieu où le gaz nous voulions l’interroger sur la machinerie était le plus concentré. Nous savons donc

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qu’à une date donnée, la souffrance des gens je suis rentrée dans une église et je suis res- était majeure ou mineure avant leur mort. tée dans un coin pour comprendre pourquoi Une autre question importante : puisque nous, les Juifs, nous avons été si méchants nous savions que chaque membre du d’avoir tué Jésus Christ». Plus loin dans son Sonderkommando devait être éliminé, nous interview, cette femme nous a raconté avons demandé au témoin comment il avait quelque chose d’émouvant : au moment où, pu survivre, lui et les quelques dizaines en 1938, la loi a mis les enfants juifs à la d’autres survivants. Il nous a expliqué qu’au porte des écoles, le matin, alors qu’elle quit- dernier rappel, les autorités du camp avaient tait sa maison pour aller travailler et devenir appelé certains matricules, ceux du apprentie couturière, elle sortait avec des Sonderkommando, aux haut-parleurs afin livres sous le bras pour se donner une appa- qu’ils se présentent. Ceux du Sonder- rence et faire croire aux gens qu’elle allait à kommando ne se sont pas présentés et se l’école. sont cachés dans la foule de gens qui sortait Nous avons interviewé un autre personna- du camp. Une bonne quarantaine, je pense, ge extraordinaire, un homme très vif qui de Sonderkommando a ainsi pu échapper à nous a montré comment à Auschwitz il l’exécution avant l’évacuation de Birkenau. aidait ses camarades de Rome à survivre en Je pense qu’il y a une grande différence entre les faisant rire. Nous avons tourné à l’interview du témoin du Sonderkommando Auschwitz, dans le bloc ou il était, le premier que nous avons faite et les interviews que j’ai bloc de la quarantaine. Il nous a montré pu lire à ce sujet. comment il faisait quand il racontait des blagues - il s’est retourné et a nous dit : A la fin de notre travail de récolte de témoi- «‘Idiot’, je disais» - il parlait à un camarade gnages, nous avons monté un film docu- qui pleurait tout le temps - «Ta fiancée est mentaire de 1h30 qui s’intitule Memoria et restée à Rome et peut-être que maintenant que nous avons présenté en 1998 au Festival elle couche avec quelqu’un d’autre. Il faut International de Berlin. Le film est passé à la que tu survives, que tu retournes à Rome télévision italienne et a eu une écoute extra- pour mettre fin à cette chose». Ensuite il ordinaire de 5 millions de téléspectateurs. Il nous a montré comment il chantait pour s’agit d’extraits des témoignages les plus recevoir du pain de deux tziganes qui ado- significatifs, avec lesquels nous avons voulu raient les chansons italiennes. En fait, il donner le sens de la spécificité italienne de la inventait lui-même les paroles de ses Shoah. Nous avons souligné le fait que beau- chansons. coup de témoins ont parlé du soleil de l’Italie par opposition à l’atmosphère lugubre Un autre extrait de notre film montre un d’Auschwitz, beaucoup ont évoqué les cou- témoin qui est filmé du haut du mirador leurs, les sons, les odeurs italiennes, en oppo- central de Birkenau et qui avance dans la sition à l’absence de couleur, aux sons et neige, le long des voies ferrées. Il hurle dans aux odeurs d’Auschwitz. le vent. Le jour du tournage, il y avait le même vent que lors de son arrivée à Toutes les personnes du film sont des res- Birkenau. Dans le vent, il hurle les noms capés d’Auschwitz. Une dame, par exemple, des siens, douze victimes de sa famille. nous a raconté qu’à l’époque des lois anti- juives en Italie, elle avait douze ans. Un Le film se termine avec un témoin qui, à après-midi, elle avait disparu de la maison et l’âge de 14 ans, a été déporté avec son père. quand elle était rentrée chez elle, elle avait Il nous montre une pierre qu’il a emporté de répondu à sa maman préoccupée : «Maman, Rome - dans la tradition juive, on ne met pas

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de fleurs mais des petites pierres sur les We decided that the setting of our inter- tombes en hommage aux décédés. En pleu- views should be the same where the pro- rant, le témoin lance sa pierre en l’air : il n’y tagonists had had their sad experience. For a pas de tombe pour son père... one whole year, we went all over with them, up and down Italy, we visited old Jewish Summary : schools, abandoned - or still operating - pris- ons (did you notice how the noise, the clang about MEMORIA of doors, the echo resounding in jail is still the same today ?), the transit camp at Fossoli, a film by Liliana Picciotto Fargion nowadays in ruins, the Italian-Swiss bor- and Marcello Pezzetti, der. Then, with about twenty of them, we directed by Ruggero Gabbai went to Auschwitz, once it was covered with This film stems from a pure historiographic snow, another time in the summer, and again work, Il libro della memoria, a research on windy and rainy days. study on all the Jews arrested in Italy and deported to the extermination camp of After 18 months’ work we had 300 hours of Auschwitz in Poland during the years 1943- testimonial evidence. 1945. In the interviews we have followed the same Today we know the number of these people, method used by Claude Lanzmann in their names, their personal data, the cir- Shoah, a total immersion in the situation : cumstances of their arrest, whether the seiz- «Where were you when you’ve been arrest- ers were Italian or German, the dates of ed ? Who were you with ? What time was it ? deportation and of the arrival of the train at What did they tell you ? Where did they Auschwitz or, alternatively, at Bergen-Belsen, bring you ? What means of transportation their matriculation number if taken into the did they use ? Did anybody on the road camp, the date of their death if killed imme- notice you ? What were you wearing ?» and diately in the gas chambers. so on, all through the interview. Never a word on how they felt, what they were At the end of my research, funded by CDEC thinking, what they were expecting. No try- (Center of Contemporary Jewish ing to talk about their feelings which, after so Documentation), I established that out of many years, would be false. about 7000 people deported, 800 came back, out of whom 356 from Auschwitz-Birkenau. In 1995, at the time we started our project, I wished to complete the research, based on the method of interviewing was usually the written documentation, with the voice of opposite of the one we wanted to follow. the protagonists. The interviewer had to let people talk with- out urging them, he had to stay out of their In 1995, only about one hundred were still story, he didn’t have to influence them in alive. With great effort, my colleague Marcello any way. We reversed this principle : we Pezzetti and myself managed to obtain fund- immediately told the witnesses that we want- ing, and we set out to search for witnesses, in ed to share with them the pain of talking. order to create a file with their help. We Thus, complete agreement and same wave- called this project The archives of Memory. length was possible : we, as historians, lacked We had to learn the technique of oral story- neutrality. The significance of the past was the telling, to study and find the best way to same for them and for us. It was the perfect employ the method and the art of maieutics synthesis between the work of the historian (making the subjects participate actively). and the inner process of recollection.

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We also intentionally oriented the witnesses’ The film has a lot of beautiful Italian land- memories, we directed them within space- scape in the background contrasting with time coordinates. We wanted to do a work of the contents of the stories told. filmed historiography. Our Archives of mem- ory can be valued, in fact, as a history book. Many of the witnesses speak Italian region- al dialects, use jargon and a lot of body lan- Finally, the making of the movie. It’s not guage. by chance that I call it a movie, even though As for the theme of absence, the film does not it belongs to the documentary genre - and as show everyday life preceding persecution. such it has been presented at the It is precisely the lack of it that the protago- International Festival of Berlin in 1997. It nists underline. We wanted to point out the isn’t really a documentary : there are no doc- absence and the loss of everything, of every- uments, there is no stock footage - these are day life, of living a normal life, of being usually the parts that make up a documen- socially and culturally involved, the loss of tary. It isn’t, of course, a fiction either, in the work, of liberty, of dignity and, in the end, of sense that it is not a narrative composition life itself. with a plot, there’s no script by an author to give it a coherent subject. Nevertheless, it is Only the second part of the movie talks something like fiction. It might well be the about extermination. Then everything moves editing. There’s a rarefied, suspended atmos- from it. It becomes present and obsessive phere, as if we were waiting for something. until the end. The film does not show any pic- The audience loses the distance from the ture of dead people, but gives us a clear idea «film», and this does not usually happen and a thorough image of death and vio- watching documentaries. lence.

As soon as the editor got hold of the footage, he asked us what we wished to stand out. We The violence against these people has not answered we wanted three things : taken away their being deeply human and 1. to show that there had been the Shoah good until today, and we can’t help loving in Italy too ; them.

2. to show that it had specific Italian char- acteristics ;

3. to show the theme of absence.

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INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

ALBERTA STRAGE Founding Chairman British Video Archive for Holocaust Testimonies, London - UK

Opportunities Lost and Found a Review of the British Experience

In order to suggest propositions for the ori- ner as many survivors of the Holocaust as entation of future research, it is necessary to were prepared to give testimony. For our review briefly the British experience in order purposes we defined a survivor as one who to understand the changing roles and tasks during the years between 1939 and 1945 of the British Video Archive of Holocaust had been in a concentration camp, had been Testimonies (BVAHT). In this manner we in hiding, or had been a member of a resis- will then become aware of the opportunities tance group. In order to realise our objectives lost and found. we had to raise funds, identify survivors, train interviewers, engage the professional As is the case of many of the institutions par- services of an audio-visual studio complete ticipating in our gathering today, the with the most sophisticated equipment, BVAHT was initiated by the intervention of utilise scribes, organise the storage of the Geoffrey Hartman and the Fortunoff tapes in a temperature controlled perma- Archive of Yale University who gave nent library, transmit duplicate tapes to Yale unstintingly of their suggestions, co-opera- University with appropriate documenta- tion and encouragement for which we will tion, and retain relevant documentation in always be profoundly grateful. Joanne London. By 1996 we had accumulated Rudof and a colleague came to London to approximately 175 tapes containing over conduct an immensely successful seminar 500 hours of testimony. involving over 100 university students. Our basic concept was to interview audio- In order to ensure the permanency of the visually in an intelligent and sensitive man- BVAHT, it was decided to become an

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integral part of the Holocaust Educational mission will be available through the Trust whose chairman is Lord Janner, a resource depositories. prominent English politician. As the chair- man of BVAHT, I was invited to become a Although the opportunity for taping testi- member of the Board of Management of monies together with the Spielberg group the Holocaust Educational Trust with spe- seems to have been lost, this situation brings cial responsibility for the BVAHT. This has forth opportunities for a change in roles proved an auspicious arrangement. and tasks for the BVAHT in particular and perhaps for each of our groups represented Up to this point in our history, all was well. here today. We were successfully accomplishing our objectives. My first proposal concerns the Spielberg Shoah Foundation. It seems absolutely cru- However, the impact of the Spielberg Shoah cial that we here at this conference must Foundation caused serious problems. seek a strategic alliance in some manner Although we were delighted at the nobility with the Spielberg Shoah Foundation. If and comprehensiveness of the Spielberg we are truly to be the international group we project, we were extremely disappointed believe we are, how can we possibly exclude that we were unable to work together. We the group that has in a very short time accu- had hoped perhaps naïvely that Spielberg mulated more than 40,000 testimonies of would accept our tapes as part of their col- survivors of the Nazi Concentration and lection and would treat them ultimately in Extermination Camps ? If Spielberg has the same manner as they anticipate their enormous funds and resources, an interna- tapes will be used, i.e. digitalised and avail- tional public relations campaign, a large able electronically on a world wide base. corps of volunteers, an irresistible appeal Assuming problems involving copyright (i.e. Stephen Spielberg wants YOUR testi- could be resolved and that Spielberg would mony), why should we continue in our not approach survivors who had already quest for taping audio-visual testimonies ? given testimony, or when approached would Why should we with our very limited explain the need to record first those who resources not accept the fact of the unprece- had never given testimony, we had looked dented impact of the Spielberg Foundation ? forward to a happy, constructive relationship. Why should we not combine our forces However, to date this has not transpired. here today, contact Stephen Spielberg him- Negative responses to Spielberg have come self directly, and in some yet to be deter- forth from survivors, health care profes- mined fashion attempt to work sionals, and archivists. Some survivors have constructively together ? Whereas our rel- felt great distress at the manner in which atively small group in England has been the interviews were done. Some suffered unsuccessful in forging a relationship, per- unnecessary traumas after having to give haps all the groups represented here and testimony a second time and required the others not able to be present at this gather- services of health care professionals. Robert ing can join together to establish contact. Perks, the curator of the National Sound The impact of the totality of all our groups Archive, in which the BVAHT tapes are may have a greater impact than a single stored, was appalled by the fact that none of approach from the United Kingdom. If we the Spielberg tapes are being kept in the are not successful, I fear our archives United Kingdom even though he is aware although significant will remain peripheral that eventually in principle electronic trans- to the influence of those of the Shoah

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Foundation in general and in particular to we must begin to collect and document the testimonies that will be used for educa- effective teaching practices. tional purposes on a world wide basis. Recently the Holocaust Educational Trust My second proposal for future research is together with the Spiro Institute prepared dependent upon the success of the first pro- and distributed an educational pack for posal. I think we would all agree that we Teaching the Holocaust. It was received need to create a world wide data base. How with great acclaim. However, now research could we create a world wide data base is needed to determine in what ways this can which would include all the contributions of be improved. What areas need to be all of the institutions represented here today strengthened ? What areas were ineffective ? and exclude the contributions of the What is the reaction of the teachers ? What Spielberg group ? It would be folly to con- is the reaction of the students ? What ped- sider doing so. Only if we create a data base agogical aspects need we develop ? of the contributions of all the participating institutions at this conference and combine In addition to providing the educational it with that of the Spielberg group will our pack, the Spiro Institute in conjunction with data base become significant. the Holocaust Educational Trust often pro- vided survivors to visit classrooms which My third proposal may be unique to the made history come alive. However, as we all BVAHT or perhaps be relevant to other are aware, time is running out and soon groups here. We adamantly feel that because there will be no survivors left. Therefore, it of the enormous impact of the Spielberg is imperative that we conduct research to group in the UK, combined with the fact determine what types of specially prepared that we have no available funds for contin- films created from our archive of testimonies uing to record testimonies, we must relin- will be most effective. What time length is quish the role of recording and concentrate most suitable ? What subjects should be on the educational aspects of utilising testi- covered ? monies. As the study of the Holocaust is an essential segment of the National In England in order to create these special Curriculum in England and Wales, we must films we need first to access the informa- interact with educators on a national scale. tion we have stored on our tapes. Therefore We must anticipate coaching and develop- the Holocaust Educational Trust is attempt- ing human concerns and discussions of ing to have a Ph.D. student employed to humane and inhumane behaviours. We must access the information along the lines devel- reflect opportunities inherent in the study of oped by the Fortunoff Archive at Yale the Holocaust for self-definition and per- University. In order to create the specialised sonal growth. films it is imperative to have efficient acces- sibility. If we are to embark on an educational role, we must conduct research to determine In conclusion, a review of the British expe- what are the primary and secondary needs rience has pinpointed opportunities lost and of the teachers who teach the Holocaust. found. We will look forward to pursuing All educators are not created equal. Teacher future research in regard to the possibility of face different challenges from different class- a strategic alliance with the Spielberg group, es. Teachers come with different skills, ori- to creating a significant world wide data entations, background information and base, and to investigating various aspects of priorities. How can we best help ? Perhaps the educational use of the audio-visual tapes.

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INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

HÉLÈNE WALLENBORN Chercheur Université Libre de Bruxelles - Belgique

Le témoignage audiovisuel et le paradigme en histoire

Je prépare une thèse de doctorat, à questions qui seront évoquées l’ont déjà été l’Université Libre de Bruxelles, sur les pos- hier et ce matin, mais je voudrais les soule- sibilités d’utilisation, comme sources his- ver à nouveau, en prenant le point de vue toriques, des témoignages oraux ou d’une historienne de formation. audiovisuels des survivants des camps nazis. * * *

Je voudrais parler des problèmes que pose Il faut faire une remarque préliminaire : le l’utilisation des sources orales en général terme «histoire orale» embrasse un très large pour les présupposés épistémologiques de la éventail de pratiques auxquelles ne corres- méthode historique, que j’appelle paradig- pond aucune méthodologie commune. Cette me, et de la manière dont on utilise les variété ne se laisse enfermer que dans une sources orales en général dans la construction définition large qui peut être celle-ci : l’his- du récit historique. Je voudrais aussi rap- toire orale est la collecte et l’utilisation d’enregistrements de témoignages à propos peler où en sont les réflexions de l’«histoire 1 orale» à ce sujet, et les contextes dans lesquels d’événements passés . elles se sont développées. J’espère ainsi expli- C’est en 1948 que fut créé, par Allan Nevins quer pourquoi l’histoire brille par son absen- à l’Université Columbia de New York, le ce à ce colloque, comme l’a souligné hier premier centre d’histoire orale : son but était Monsieur Yannis Thanassekos. Certaines de combler les futures lacunes des archives

1 Pour un point de départ bibliographique sur l’histoire orale, voir La bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales. Cahiers de l’IHTP, 21, 1992, pp. 125-161 et R. PERKS et A. THOMSON, The Oral History Reader, London and New York, Routledge, 1998.

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que lui faisait redouter l’essor de nouveaux XVIIe siècle, l’érudition critique, elle mit à moyens de communication verbaux tels que l’avant-plan l’archive écrite, confinant pro- la radio ou le téléphone. Il entreprit alors gressivement l’utilisation de la source orale d’enregistrer des interviews d’hommes poli- aux sciences humaines qui ont pour objet tiques, d’élites économiques ou culturelles. l’étude des sociétés ou classes sociales sans C’est ce que j’appellerais la «tendance archi- écriture, telles l’ethnologie ou le folklore. vistique» de l’histoire orale, proche de l’his- En même temps, fut établie une suprématie toire politique et institutionnelle. Cette des sources écrites, des sciences et des tendance va jouer un rôle de repoussoir pour groupes sociaux qui l’utilisent sur les groupes donner naissance, à partir de 1960, à une sociaux sans écrits, et les sciences qui les autre tendance qui lui est opposée, et que étudient. j’appellerais celle des «oubliés de l’histoire» Cette tendance de l’histoire orale dévelop- - tout ceci étant bien sûr fort schématique. pe des objets de recherche tels que les En effet, la découverte dans les années 1960 femmes, les minorités ethniques ou les d’une «autre Amérique» - celle des exclus et groupes du bas de l’échelle sociale. Les his- des minorités ethniques - influence la toriens oraux, en traitant de tels objets, ont conduite de nouvelles enquêtes d’histoire bien souvent une intention militante, celle de orale : à l’histoire écrite des élites, on oppo- renforcer l’identité collective des groupes se une histoire orale vue d’en bas. Dans les dominés, et clament parfois que l’histoire, en années 1970, l’histoire orale déborde les leur donnant la parole, va trouver une nou- frontières américaines. En Europe, la crise velle place dans la Cité, hors des cénacles uni- structurelle et intellectuelle que connaissent versitaires. dans ces années les sciences humaines est L’histoire orale s’est développée de manière un bon terrain pour le développement de désordonnée et spontanée, souvent en- l’histoire orale. Au niveau structurel, le dehors des milieux académiques. Dans les manque de débouchés et de perspective de années 1970, des amateurs d’histoire locale, carrière conduisent à l’invention de nou- des sociétés historiques, des musées, des veaux champs de recherche. Tandis qu’au syndicats, des groupes religieux, des télévi- niveau intellectuel, les grands paradigmes sions ou des radios nationales ont aussi lancé théoriques sont remis en question, surtout leurs propres projets d’histoire orale. Depuis en sociologie où l’on recommence alors à 1980, l’histoire orale s’institutionnalise : des préférer le qualitatif au quantitatif et à colloques internationaux sont organisés, des remettre le récit de vie à l’honneur. revues publiées et des centres d’histoire orale créés dans de nombreux pays. Par le fait Dans un contexte de mouvements de contes- même de son institutionnalisation, l’histoi- tation radicale, les historiens oraux tentent de re orale est moins militante, et on l’oppose montrer la légitimité de leur pratique, en moins à l’histoire écrite. On cherche moins s’opposant à une histoire écrite, «dominan- à démontrer ses spécificités. On parle main- te» ou «académique», et en s’appuyant sur tenant plutôt d’histoire immédiate ou d’his- une généalogie, tout à fait mythique, qu’ils toire du temps présent. font remonter jusqu’à Hérodote, père de l’histoire orale. Leur argumentation est Pourtant, les problèmes liés à l’utilisation simple : longtemps, les historiens, de des sources orales n’ont cessé d’être posés, Hérodote à Voltaire en passant par les chro- avec infiniment de redondance. niqueurs médiévaux recueillirent des témoi- Cependant, la liste des remarques à propos gnages oraux. Lorsque s’édifia, à partir du de ces sources est très courte. Les interro-

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gations quant à la fiabilité de ce type de c’est là que réside toute la différence, ce sources portent sur leur contenu qui est médiateur n’est pas historien. affecté par trois biais. Les témoignages oraux * * * ne sont pas des récits des événements faits à chaud, mais du temps sépare les événements Il est vrai que le paradigme en histoire consi- de leur narration (quarante à cinquante ans dère que la réalité est comme suspendue et dans le cas des témoignages des survivants extérieure à l’historien. Même si tout histo- des camps). C’est la mémoire individuelle du rien sait qu’il est influencé par son époque, témoin qui est ici en jeu. C’est le premier le lieu d’où il parle, et ses préjugés, il cherche biais. à se défaire de sa propre subjectivité pour étudier la subjectivité de la source. Mais Le deuxième biais que l’on peut relever est cette manière de penser le rapport entre la le contexte, qu’il soit politique ou autre dans réalité passée et le récit historique a évolué au lequel le témoignage s’énonce : un témoin cours des siècles, et ce n’est que progressi- peut y intégrer par exemple des éléments vement que s’est constitué ce paradigme. de lectures qu’il a faites ou d’émissions qu’il Depuis l’Antiquité jusqu’aux XVII-XVIIIe a vues. Un même récit ne pourrait être énon- siècles a prévalu ce qu’on peut appeler la cé par le même témoin à différentes périodes métaphore du miroir : l’historien, semblable de son existence. En bref, pour résumer les à un miroir, doit réfléchir une image qui ne deux premières remarques, ou biais, le conte- doit être déformée en aucune manière2. nu dépend du moment où l’on enregistre Cette exigence oblige l’historien à être impar- l’interview, de l’époque où la source est pro- tial et au-dessus de tout parti. L’histoire duite. Mais ces remarques sont également porte sur le présent ou sur son passé récent. vraies pour les journaux, les chroniques, les L’authenticité est garantie par le témoigna- lettres, ou n’importe quelle source qui offre ge oculaire, si possible de ceux qui ont par- une information sur un événement. ticipé activement aux faits. Le témoin oculaire est le garant de l’actualisation de Le troisième biais est introduit par la relation l’histoire d’un événement. Selon cette entre l’interviewer et l’interviewé, entre l’his- conception, l’histoire se fait à partir du pré- torien et le témoin. L’idée que le témoin se sent. Les histoires passées, figées une fois fait de l’enjeu du témoignage, mais aussi les pour toutes, ne sont qu’un supplément à questions explicites et implicites de l’inter- l’expérience historique contemporaine. viewer définissent ce qui est effectivement dicible. Aux XVIIe-XVIIIe siècles, le statut d’une histoire passée une fois pour toutes et appar- La source orale est donc créée par un média- tenant au passé se transforme peu à peu : teur qui est l’interviewer. C’est le principal elle perd son caractère essentiel qui est de reproche qu’on lui fait et l’écueil contre devoir rester toujours identique à elle-même. lequel s’échouent les réflexions en histoire Il est évident que la Révolution Française y orale. Il existe bien d’autres sources, par a fortement contribué : la cassure de la conti- exemple les comptes-rendus de procès ou les nuité laissait tomber un passé, dont la natu- annales parlementaires, qui impliquent aussi re de plus en plus étrangère ne pouvait être dans leur élaboration un médiateur. Mais, et expliquée que par la recherche historique.

2 Voir R. KOSELLECK, Point de vue, perpective et temporalité. Contribution à l’appropriation historiographique de l’histoire in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1990, pp. 161-187.

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Peu à peu, l’écriture de l’histoire du temps pré- L’emploi de sources orales est dérangeant sent a perdu de sa dignité méthodologique et pour les historiens car ces sources, parce le témoin oculaire fut chassé de sa position pri- qu’elles sont créées par un historien, n’ont vilégiée. Le passé n’est plus conservé en pas le degré d’extériorité nécessaire à la mémoire grâce à la tradition orale ou écrite, démarche historique. De plus, elles ne sont mais reconstruit selon une démarche cri- pas des vestiges, comme les sources écrites, tique. Les chances de connaissance du passé et n’ont donc pas de droit de veto. augmentent avec la distance temporelle crois- sante car elle permet de démasquer la partia- Cet embarras se constate sur deux fronts. lité polémique des contemporains. Le recul D’abord sur le front des interviewers, qui permettrait de déceler la vérité que le pré- veulent maîtriser toutes les contingences de sent cache. On pourrait dire, d’une manière la situation d’entretien, pour faire du témoi- très générale, que le XVIIIe siècle voit la nais- gnage une sorte de vestige parfait. sance d’un nouveau paradigme historique, Ensuite, sur le front des historiens qui veu- basé sur une méthode critique, et une his- lent utiliser ces témoignages. L’idéal du para- toire faite de ruptures, qui est encore en digme historien serait de prendre chaque vigueur aujourd’hui. témoignage et d’en vérifier chacune de ses Les sources, dans ce paradigme, sont comme assertions pour retrouver une sorte de noyau des vestiges d’un autre monde (autre temps dur indépendant de sa mise en récit. La ou autre réalité sociale), qui préexistent à principale difficulté de cette opération serait l’historien et qui n’attendent que ses ques- que la subjectivité de l’historien qui interroge tions pour servir à la construction du récit est imbriquée dans celle du témoin, même si historique. Les sources ont alors un rôle certains classent la relation interviewer-inter- particulier à jouer : elles ont un droit de viewé parmi les conditions d’élaboration veto. Si elles ne dictent pas ce qu’il faut en de la source, soit au niveau de ce que déduire, elles interdisent d’énoncer des inter- Seignobos appelait la critique externe du prétations qu’elles révèlent comme totale- document. Les questions que l’on se pose ment fausses ou inacceptables. sont alors de cet ordre : comment savoir si le témoin était vraiment présent lors de l’évé- Si j’ai parlé de la mise en place de ce para- nement qu’il décrit ? A-t-il lu ou entendu ce digme, c’est pour montrer que le statut du qu’il est en train de dire, l’a-t-il réellement témoin oculaire est lié au paradigme, et que vécu ? Un silence est-il le résultat de la rela- lui-même implique un rapport particulier tion que le témoin a entretenu avec l’inter- entre l’expérience vécue et le récit histo- viewer, ou bien des caprices de la mémoire rique. On comprend alors que l’on ne peut du témoin, ou bien encore de l’absence du légitimer l’utilisation des témoignages oraux fait omis dans la mémoire collective ? Ou à de témoins oculaires en déterrant des his- la combinaison de plusieurs de ces facteurs ? toriens antérieurs au XVIIIe siècle, comme Hérodote par exemple. C’est pourtant un Répondre à ce type de questions est diffici- argument souvent employé encore aujour- le sinon impossible - l’on verra tout à l’heu- d’hui par les historiens qui utilisent des re pourquoi - et, je pense, insultant pour sources orales. On comprend aussi l’em- celui ou celle qui a engagé sa parole en barras des historiens face à l’utilisation des témoignant. Pourtant, c’est dans ce genre témoignages de leurs contemporains. de questions que s’embourbent les réflexions de l’histoire orale. On croit parfois voir ici la * * * faillite de la méthode historique.

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Cela donne lieu à toute une série d’études qui dans le processus d’interprétation de sa vie. se focalisent sur les biais qui s’interposent Les attitudes des interviewers sont souvent entre l’expérience vécue d’un témoin et sa proches de l’empathie participante que pra- mise en récit (perception, mémoire, réflexi- tiquent certains sociologues qui, par l’en- vité du témoin sur lui-même, ses capacités tretien, favorisent la construction de l’identité narratives, les paramètres de la situation du témoin. d’entretien, etc.). Mais, je me demande si se La présentation de ces récits relève de la concentrer sur ces biais ne peut pas mener même démarche. Les livres d’histoire orale qu’à la conclusion que tout témoignage n’est mettent à la portée du grand public des qu’une reconstruction subjective, n’ayant témoignages émanant de groupes sociaux à la limite plus rien à voir avec l’expérience normalement dépourvus de tout accès à la réellement vécue. parole publique. L’historien juxtapose des * * * transcriptions de témoignages, sans les mettre Cependant de nombreux ouvrages histo- en relation ce qui ressemble à la présentation riques utilisent des sources orales. d’une galerie de portraits. On se trouve alors devant un ensemble de matériaux dont l’ana- La première tendance de l’histoire orale que lyse reste à faire. Parfois, l’historien cherche j’ai appelée «archivistique» s’occupe d’en- à faire une synthèse des différents récits, par registrer les témoignages de décideurs : un montage chronologique ou thématique. hommes politiques, élites culturelles ou éco- Ces récits ont un grand potentiel d’authen- nomiques. Leurs récits viennent compléter ticité et une grande force expressive. des archives écrites, parfois les leurs, et peu- Reproduire des entretiens n’a pas de fonction vent être vérifiés ou stabilisés par le recou- de recherche, mais plutôt une fonction de pement avec ces archives ou d’autres sources communication, qui peut être bien évi- écrites. Leurs témoignages apportent un demment un outil pédagogique puissant si éclairage particulier sur ces sources. On les l’on veut sensibiliser à certaines situations. soumet à la critique historique comme les autres documents. Mais ils ne sont souvent * * * qu’un simple complément de l’écrit, une Les deux types d’utilisation de témoignages sorte d’illustration qui vient donner une dont j’ai parlé (l’utilisation illustrative, pour touche d’émotion ou de vécu à un récit, qui la tendance archivistique et l’utilisation res- lui, a été construit sur d’autres bases. titutive, pour la tendance des «oubliés de L’autre tendance de l’histoire orale est celle l’histoire») résultent de l’embarras de l’his- qui aborde, comme je l’ai dit tout à l’heure, torien face aux sources orales, causé par les les «oubliés de l’histoire». Les interviewés ont trois biais dont j’ai parlé : la distance tem- tendance à penser qu’ils ont subi l’histoire, porelle entre les événements et leur narration, qu’ils n’ont rien à raconter. L’interviewer le contexte dans lequel elle s’énonce, et enfin peut décider de l’aider à construire son l’implication de l’historien dans la création propre récit, et ainsi l’amener à s’approprier de sa source qui vient briser le rapport à la sa propre histoire. Si le témoignage oral peut réalité constitutif du paradigme en histoire. servir à recouvrir des pans de l’histoire qui Cependant, je pense que le problème est seraient inconnus si l’on n’y avait recours, et mal posé ou mal formulé. Le problème de cette manière, contribuer à écrire une majeur n’est pas de savoir comment ces trois histoire dans laquelle le témoin puisse se biais peuvent influencer le discours. Le pro- reconnaître, il peut aussi avoir un impact blème majeur, à mon sens, tient au caractè- plus direct lorsque le témoin est impliqué re éminemment subjectif du témoignage.

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Le témoignage est en effet une source sub- tiques en situation d’une part ; et d’autre jective parce qu’elle est une source indivi- part les réflexions subjectives sur cette expé- dualisée, qui rend compte du point de vue rience. Etant donné la suspicion à l’égard d’une et une seule personne qui parle en des informations sur l’expérience réellement son nom propre. Il rend compte de ce que le vécue, parce que la critique historique ne narrateur pense qu’il croyait ou cherchait à permet pas de déterminer ce qui peut être faire. Même lorsque le récit est factuelle- considéré comme véridique, est-on condam- ment erroné, il est «vrai» du point de vue du né à ne prendre en compte que les réflexions narrateur. La source orale offre souvent une subjectives, et donc à ne pouvoir tirer des chronologie aléatoire. Elle parle moins des témoignages que des sortes de représenta- événements que des significations que leur tions qui relèvent du système de valeur des donne le témoin. témoins ? Les informations sur l’expérien- La source orale est toujours incomplète : ce vécue ne peuvent-elles servir à la construc- un entretien peut continuer indéfiniment. Un tion du récit historique qu’à titre des problèmes de la source orale est sa clô- d’illustration ou d’exemple ? Est-on devant ture : clôture interne, d’une part (à quel l’impossibilité de leur conférer un poids moment les questions à poser à l’interviewé argumentatif, ou un droit de veto ? sont-elles épuisées ?) et clôture externe, * * * d’autre part (comment le récit de l’inter- Il est bon, je crois, de se tourner vers d’autres viewé est-il stabilisé ou vérifié par des élé- disciplines de sciences humaines - et notam- ments externes ?). C’est pour toutes ces ment la sociologie - qui sont confrontées à raisons qu’il est difficile d’en faire la cri- la question du statut du langage des gens. On tique, comme le voudrait la démarche his- y retrouve, en guise de réponse, l’attitude torique. Et c’est impossible pour les groupes illustrative qui consiste à faire un usage sélec- sociaux sans documents écrits, pour les- tif de la parole des gens pour la soumettre quels il n’existe qu’un seul type de sources, aux besoins de la démonstration - c’est le cas les sources orales. des enquêtes par questionnaire par exemple Etant donné que les témoignages oraux sont - et l’attitude restitutive, qui reproduit in des sources individualisées, même si l’on extenso des entretiens3. Toute la démarche du parvenait à déterminer ce qui est véridique, chercheur consiste, dans ce cas, à montrer en comment les mettre ensemble ? De quelle quoi les entretiens qu’il présente sont ceux manière totaliser les éléments de connais- de cas-types. sance apportés par un tel ensemble poly- Cependant, il existe une troisième voie. Je phonique ? On retrouve ici une autre pense notamment aux travaux de Daniel caractéristique du paradigme historien qui est Bertaux4. Ces travaux partent des postulats de vouloir construire un récit possédant suivants : l’histoire d’une personne possède une valeur générale. une réalité préalable à la façon dont elle est Dans tout discours autobiographique, il y a racontée et indépendante de sa mise en récit. deux niveaux de réalité : les informations Cette histoire est à considérer comme vraie événementielles, l’expérience vécue, les pra- et comme étant le noyau dur de toute mise

3 Sur les postures sociologiques face aux entretiens, voir D. DEMAZIERE et CL. DUBAR, Analyser les entretiens biographiques. L’exemple des récits d’insertion, Paris, Nathan, 1997. 4 Pour un exposé clair de la méthode de D. Bertaux et une bibliographie de ses travaux, voir D. BERTAUX, Les récits de vie, Paris, Nathan, 1997.

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en récit de l’expérience vécue. En confron- quelqu’un dont le récit de vie viendrait infir- tant les noyaux durs de différents récits, on mer le modèle. permet à la fois leur stabilisation et la tota- * * * lisation des éléments de connaissance qu’ils apportent. Si j’ai parlé de la méthode des récits de vie en sociologie, c’est pour montrer qu’à côté des Les objets sociaux qui se laissent saisir par attitudes illustrative ou restitutive face à la cette approche sont les mondes sociaux qui parole des gens, il peut au moins en exister se construisent autour d’un type d’activité une autre, qui permet la totalisation des spécifique (telles que les activités associa- connaissances apportées par les témoignages tives, professionnelles ou autres) ou les caté- oraux, tout en respectant la parole du témoin, gories de situation particulière (mères élevant même lorsqu’aucun élément externe ne vient seules leurs enfants, chômeurs de longue les valider ou les stabiliser. durée, etc.). Un tel type de phénomène de situation particulière n’implique pas néces- Je ne pense évidemment pas que l’on puis- sairement la formation d’un monde social. se appliquer cette méthode mécaniquement, Les mères élevant seules leurs enfants, pour comme une formule mathématique, aux reprendre cet exemple, n’ont pas nécessai- témoignages oraux qui n’ont pas été effectués rement des activités communes. C’est la dans ce but. Parce que, s’il n’y pas de défi- situation qui leur est commune, et cette nition préalable d’objets de recherche, on situation est sociale dans la mesure où elle risque de se retrouver face à des témoignages produit des contraintes et des logiques d’ac- qui ne parlent jamais de la même chose. tion qui offrent des points communs, où elle est perçue à travers des schèmes collec- En conclusion, la manière de penser le rôle tifs : comment s’efforcent-elles de gérer la des sources dans le paradigme en histoire situation, comment se sont-elles retrouvées empêche l’historien de définir un objet préa- là ? Si j’insiste là-dessus, c’est parce que l’on lable au recueil des témoignages oraux, car peut dire que l’expérience des camps est un ces sources n’auraient plus le degré d’exté- phénomène de situation particulière. riorité nécessaire à la démarche historique, parce que l’historien serait à la fois le créateur L’analyse est terminée lorsque les entretiens et l’utilisateur de sa source. Mais d’un autre n’apportent plus rien à la connaissance. côté, l’absence de toute définition de ce que L’analyse est donc concomitante à la col- l’on cherche risque de conduire à l’impos- lecte des entretiens, ce qui permet l’appari- sibilité de stabiliser et de totaliser les élé- tion du point de saturation, point au-delà ments de connaissance de ces témoignages, duquel le chercheur a l’impression de ne et de ne pouvoir leur donner qu’un rôle plus rien apprendre de nouveau. La illustratif ou d’exemple, sans aucune valeur construction de l’échantillon est donc pro- générale, et sans aucun poids, par consé- gressive : le recueil de récits de vie s’inter- quent, pour la démonstration de la validité rompt lorsqu’on constate une saturation du récit historique. C’est cette contradic- par répétitivité. L’analyse se termine lorsque tion qui explique, à mon sens, la frilosité l’objectif, qui est de construire un modèle de des historiens par rapport aux sources orales. la façon dont les choses se passent, est atteint. Cela nous oblige, nous historiens, à repen- Ce modèle ne peut être considéré comme ser le statut du témoin oculaire en histoire, stabilisé que si le chercheur a donné au réel et tout ce que ça implique mais on ne peut, toutes les chances d’être déstabilisé. C’est-à- comme on l’a vu, invoquer Hérodote pour dire, après avoir recherché, sans résultat, légitimer son utilisation : la manière de

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valider un récit historique a changé aux ne servent, pour l’historien, qu’à éclaircir XVIIe-XVIIIe siècles. ou à accentuer le sens du récit.

Je voudrais faire une remarque sur le carac- Les témoignages audiovisuels des survivants tère audiovisuel des témoignages qui embar- des camps nazis sont, bien sûr, bien plus ou rasse certains historiens, parce qu’il leur bien autre chose que des sources d’histoire. donnerait une touche trop émotionnelle, et Leur contenu est unique et individualisé. donc trop subjective. Leur traitement serait Mais si l’on veut qu’ils servent à la construc- difficile parce que ce sont des récits conver- tion d’un récit historique, quelles méthodes sationnels, qui comportent toute la redon- et quels objets permettront-ils à la fois leur dance de l’oralité et les sous-entendus du stabilisation et la totalisation des éléments de discours, qu’ils soient verbaux ou non. Je connaissance qu’ils apportent ? Comment pense que pour les historiens, c’est un faux leur donner un poids argumentatif ? C’est problème. Un témoignage est un récit, et l’objet de ma recherche. le son, dans le cas d’un témoignage audio, ou l’image, dans le cas d’un témoignage audio- visuel (c’est-à-dire les gestes, les expressions du visage, les intonations, les hésitations)

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IRIS BERLAZKY Historian in charge of the Holocaust Oral History Training Workshop Hebrew University, Jerusalem - Israel

Characteristic Features of Child-Survivor Testimonies as They appear in their Narration

In modern historiography, there is still insuf- that has passed. In an attempt to be as scien- ficiency in research dedicated to children tific as possible, the historians preferred to deal in the Holocaust, as it might also be felt with the subject indirectly, as a part of other before in research about women during the researches on education and schools during Holocaust period. the Holocaust, welfare, children rescued in orphanages or by organizations, children The reason is that scholars generally see who lived under false, non-Jewish identity society as a world of grown-ups. Children with the help of gentiles, etc. are treated as «citizens of tomorrow» and viewed as the «future generation» only1. During World War II more than 1,500,000 innocent Jewish children were exterminat- In my opinion, there is another reason for the ed, and, therefore, it is impossible to docu- relatively small amount of historic research ment the Holocaust and write its history about children - the psychological difficulty without dealing directly with the children of dealing with this subject. Indeed, it is quite and their part in it. a problem to deal with murder of small inno- cent children and the emotional burden that In the war, children were one of the most surrounds the subject within the short time vulnerable elements. They had to take fatal

1 Debórah DWORK, Children with a Star, Yale University, New Haven, 1991.

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«life and death» decisions, decisions that places in their testimonies children-sur- were difficult even for grown-ups. What vivors describe childhood games, dreams could children do to save themselves when about the past and hopes for the future, grown-ups did so little ? teenage love, and mutual help, etc. They As it will be shown later, using some exam- tried to live normal life as much as it was ples, in order to save themselves children possible. An interesting example are news- had to run away, sometimes instinctively, papers published by the children in the as hunted animals, sometimes encouraged by Theresienstadt ghetto. Among them the grown-ups and sometimes as their own ini- Kamarad that was written and edited by tiative. In the ghetto, children mostly chose young children. The editor was Ivan Polak, to escape to the Arian side. Using sophisti- born in 1929. The newspaper was published cated methods and taking huge risks, they during the deportations of 1943-44. smuggled food which often was the only life Very often, the memory about home and sustaining means for their families. family and the longing for what I call the In their attempts to cope with the situation «lost paradise» served as a source of conso- they did their best to concentrate on the lation and encouragement. Most of the chil- present. After being uprooted from their dren succeed to elaborate their stories families and their environment, they were partially and the parts they failed to repre- gathered with other Jewish people in new sent remain the hardest chapters, buried places (an area of concentration or ghetto, deep inside their souls. depending on the geographical region), they Contrary to documents and diaries created kept the link to their collective past, Jewish during the Holocaust (in «real time») and history, but were separated from their per- close to the events, the testimonies deal with sonal past. They were forced to deal with dif- the events a long time after their occurrence ficult decisions (especially in the camps). In and many years of silence. Therefore, the his research, Lawrence Langer calls these descriptions in them are given from a dif- decisions «choiceless choices». They made ferent perspective of time and place. the decisions as «autonomic human beings» Prof. Saul Friedländer, who as a child lived (according to Debórah Dwork). In the under a false identity as a non-Jew in France, camps, they were preoccupied with fear of writes in his memoirs, 35 years later : deportation, they lived in the present, did not plan for the future, but only for the next «What a wonderful mechanism of unbear- day, dangling between the anticipated exter- able memory is erased or, to be more pre- mination and the hope they might be lucky cise, is pushed inside, while the vague enough to escape being put on the transports raises onto the surface...». to the death camps. About the silence after the war he writes : Although the Nazi extermination machine «We, the Jews, create walls around our was known for its efficiency, a combina- most depressing memories, as well as tion of circumstances, chance and luck could around the most horrifying possibilities, determine whether a child would live or and even the most detailed story is some- die. times covered by mist... These necessary Many children revealed an amazing ability defense mechanisms are the results of our to adapt to life of fear and terror. In many deep anxiety»2.

2 Saul FRIEDLÄNDER, Quand vient le souvenir…, Ed. du Seuil, 1978, pp. 74, 77.

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In the way events are described in testi- all those features while describing his pierc- monies and memories, sometimes there is a ing will to live, his belief in survival, in hope combination between events in the story- for future normal life, though, from time teller’s present and events in his past. The to time, despair and bitter pessimism seep thread that connects the past and the present out. expresses the mystery of the Jewish fate 2. Within the description, one can trace that and its wonder. the children relied upon their vital senses, The testimonies given by the child-survivor using all but the basic instincts of a human after the Holocaust can be inspected using being, still pure and unspoiled by adults. the traditional way of verification and cross- Presence of mind and initiative in children referencing of details with other sources. stand out quite sharply when compared to But, when inspecting children testimonies, adults, who sometimes appeared to be fee- I had some doubts whether to inspect them ble and helpless. as any other historical text or in a way of 3. The children’s vision of the events, their «total history» that accepts every detail and understanding of the reality during the sees even in the way of thinking, food moments of discernment, their feelings and acquiring and patterns of behavior, an aspect intuition and activity nourished by the basic of history. In my inspections I used these cat- drives for life and existence. Food as a neces- egories, but, mainly, I chose the way of sity of life, means of human affiliation to looking at the testimonies as a narrative (as other human beings as mental necessity I think, Claud Lanzman’s film Shoah is (sometimes to animals), as shown in many worth of looking at). examples, provided them with the human The survivor is not a historian, but, with connections and warmth as well as materi- our help as interviewers, he produces a doc- al necessities. ument of significance for future genera- 4. Mostly, the children remember one of tions. Children’s testimonies succeed to their parents, especially the one who was render the events the children experienced in the last with them. A strong latest memory an extremely perceptible way of sensual of the parent combines with the last message, memory - (mainly by video), by means of as if it were his last will, engraved on their expressing the feelings they felt, the smells brains and follows them until the day it was they smelled, the sounds they heard, and passed over just before the farewell, the last the colors they saw. Thus, it is easier for a meeting with the parent. spectator to identify with the narration, to understand it much better than it could be 5. A major part of the testimonies I dealt perceived from reading «dry» researches or with belongs to the children who were born reports of facts and figures. after 1928. Within the frame of all the testimonies by Israel (Yoram) Friedman, born in 1934 in survivors, children’s testimonies interlace Blonie near Warsaw. Nowadays he is a with the principal subjects typical for every- mathematician in Israel. He descended from body. a poor Jewish family. His father was a baker, and his mother was busy selling beverages in Here are the main points I will try to outline : the market. In September 1939, he was 5 1. The child’s vision of the world ; his specific only. His testimony depicts a «surviving» looking at the environment, his hopes and child rushing about from place to place as an dreams, his shocking naïvety. He expresses animal at the end of his tether. After several

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attempts to escape in 1942, he was lucky to janitor said : ‘you must come out because get out from the Warsaw ghetto hidden in a they come’. She quickly went out, probably cart of rubbish. From here begins a march of to tell them to get upstairs. And Mom caught hardships and sufferings of a 7 years old me by the hand [I remember that awfully child, till the age of 11. Within this time, he well, and it’s crazy] and said in French, as if lost his hand in an accident while working she read my thoughts, and those were her at a peasant’s farm. At the beginning of his words : ‘Didi, you should always run away mishaps, he met his father who had escaped when you see that they try to catch you...’ I from the ghetto before him. He remem- tore myself from her embrace and rushed bers - word in word - the last words of his upstairs, on the fifth floor... Mom was father during their last meeting, as if they caught»4. were a «esson of survival», and they escort- In his story, David Bergman cuddles the ed him all the time. memory of his mother. On his way on, he «You never say you are Jewish, the escapes, blessed by his mother, as if he were Germans kill the Jews, the Poles help a chased animal. In 1943, being absolutely them. From today on, your name is desperate to find his mother, he found an Staniak Jurek. If you see Germans, just run asylum in Switzerland. to the woods. If the dogs are upon your Yoel Ben-Porat, born 1931 in Skalat, Poland, heels, just jump into the water». a son of a Zionist activist from «Gordonia» He summarizes his description, youth movement. In his testimony, he re- «A short while after, I saw the Germans collects his father’s last words that followed shot down my father»3. him till his immigration (aliyah - in Hebrew) in Israel : «You will be a soldier in the Jewish With David Bergman, born 1931 in Paris, army of the Jewish state». For many years, nowadays a stage manager of a theater in Yoel Ben-Porat was a senior officer of the Israel, the memory is linked with his moth- Israeli Defence Forces Intelligent Service. er. She has perished, his father survived. Today he is angry with him that he wasn’t This point may be illustrated with a lot of with him and his mother during that diffi- examples. cult time. David was a son of Jewish com- 6. Another significant aspect of many chil- munist emigrants who left Czestochowa dren-survivors testimonies is their relation for Paris. He describes the night of depor- to animals, from whom they derived the tation from Paris, on July 15, 1942, in the warmth and support that they were lacking tiniest details, extremely perceptible and so much. It was a kind of relief in their bur- with a dramatic talent. It was the French dening solitude, especially in the country, at janitor who informed about David and his peasants’ places where they were engaged in mother and their Jewish neighbors. As they hard physical labor. This was the case, for tried to escape from the French police who example, with Israel (Yoram) Friedman, arrived together with the Germans, «the after he lost his hand and escaped from hos-

3 Israel-Yoram FRIEDMAN, Yad Vashem Archives (further on - YVShA), testimony # VD-324, 03-6948, p. 8. 4 David BERGMAN, YVShA, testimony # VD-467, 03-7241, pp. 15,16. 5 See Israel-Yoram FRIEDMAN, op. cit., pp. 25, 26. 6 Ibid., p. 27. 7 Ibid.,VD-329. 8 Martin WEIL, YVShA, testimony # VD-1473, p.14.

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pital. The Germans were searching for a them up with a stick that they should Jewish kid, a «ginger» with no hand. It was creep in a line. I remember the game when quite difficult to mistake him. Yoram reached I was in a village, where I was given a a village where he worked as a shepherd lodging for the night and covered me with for cows. The farmer was often drunk and a sheep-skin. When morning came, the beat him. The only «human» relation that skin started to move because of the lice remained open for him was that with the that moved from my body into it, hence dog. I appeared absolutely clean...»7. «I had a nice friend, the watch-dog. I Martin Weil, born 1940 in Rotterdam, brought him up myself, and it was he Holland, experienced the Holocaust in who defended me. A cow broke his leg. Westerbork and in Theresienstadt. In Israel The Pole wanted to shoot him, and I hid he was nominated director of the Israel him in the cow-shed. I dressed his broken Museum in Jerusalem. In his testimony, one leg. I used to milk the cows and give some can find characteristic features of a child’s milk to the dog, and so I brought up a interpretation of the horrors to which he friend for myself. The dog watched me was exposed to during that time. His and followed me everywhere... That was descriptions - a macabre description of his nearly a single ‘human’ relation I remem- struggle for survival, a struggle of a child ber from that difficult period. Until now with the situation, that may seem horrible to I love animals, especially dogs»5. an adult person - turned to macabre descrip- In this description, one can see a striking tion of a kind of survival, a struggle of a likeness of the fate of a chased child and a child with the situation. He talks about his wounded animal sentenced to death. In life in the Westerbork camp at the age of other places there were stories of relations 3 or 4 only : with various other animals. «I used to loiter my time away mostly «In winter, when I was cold, I used to alone with friends, because my parents wrap up with a young calf, just to get were busy with all kinds of works and warmth, sometimes a dog or a cat»6. tasks, so the children walked around freely and we were playing like children. We 7. Children’s games used to get a lift on carts with disabled per- The children were able to devise and invent sons or carts loaded with corpses and games when there was a blank space. Quite would climb upon them. Like every child frequently, they saw the most horrible things we would climb and play hide-and-seek. as the game. Every child would do such things»8. Yoram Friedman plays with the lice on his Chana Jachimowicz, born 1933 in Warsaw, body. In his macabre description, squeezing today, a teacher in Israel. She was the only a smile on listeners’ faces, he draws an image survivor of the whole family. In the ghetto, of a kid, 8, who, lacking a real toy, plays she had to watch her younger brother, 5, with the lice. Sufferings from filth are depict- and feed him. Her mother prepared her to ed in the kid’s eyes as a game. Since he had live alone. She nearly forgot her father. Her no other choice, he found a way how to mother taught her to remember names of the overcome the lice. people who had left Poland - her younger «For example, lice and filth was a game of brother who lived in Palestine since 1939. ‘what’s what’. I played with the lice as if I When the mother felt that her end was close were a little boy. I would train them, set she taught her to do her hair in a plait alone.

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In her testimony, Chana all the time reiter- tle children who, due to the lack of pastime ates that sentence : «They probably knew and normal games, invent other kind of what was going to happen. But I was games available at the moment. Moreover, absolutely ignorant. I took it all for a game»9. those testimonies reveal how children cope with extreme situations by means of humor The children’s attitude to death is totally and lively imagination during the event in different as well. Being 5 or 7 years old, real time as well as many years later. Chana doesn’t catch the meaning of death. Together with her brother, 5, she loiters her 8. In Naomi Kalski’s stories in her numer- time in the streets of the ghetto. Together ous testimonies, intermingle several char- they try to reach the house of their aunt in acteristics concerning the fate of many order to eat some soup of beet leaves. Jewish children and their way of telling and «I remember us walking in the streets, it describing the events. was very close. On our way, there were Naomi was born 1929 in Lvov, Poland. people lying on the sidewalk, children, Now she lives in a kibbutz and works as a as if they were beggars, they looked teacher. She succeeded to escape from the strange, swollen [because of starvation], ghetto in 1943, after all her family had per- there were many children on the side- ished. When she was 13, she worked in a vil- walk, sometimes we stumbled on some- lage near Lublin under forged Polish identity body lying on the sidewalk, and I clenched as a maid-servant and nurse of Polish chil- my brother’s hand and we jumped over dren. In her story, the young girl of 13 somebody. In my memories this did not adopts partly the peasants’ superstitions impress us specially. We were quite and creeds concerning the Jews. Once, at the absorbed and happy to run to the aunt and end of 1944, the peasant came home and have some beet soup. Everything that said, as she quoted : was en route was somewhat minor. I saw people agonizing in the streets, and as a «‘Today I saw the last Jews driven to their child never took it into consideration... death... As they looked, they wouldn’t That wasn’t [my] story...»10. live much longer. They wear striped over- alls and can hardly drag their legs along...’ Children concentrated mostly on the pre- Then the peasant’s wife said : ‘Sure, there sent, on the basic existence, and didn’t inter- are no more Jews. You don’t pay attention nalized - according to Chana’s description - to the absence of partridges in the neigh- the sense of horrible death and danger borhood. Every Jew in the world has par- expecting them nor were they impressed tridges, and they disappeared from here, by death, corpses or hungry children in the that is, there are no more Jews.’ And I streets because that was everyday life. hear and pretend that it doesn’t bother The two mentioned examples (Weil and me at all, because it seems to me that they Jachimowicz) reflect the extent of humor in would come every moment in order to the children’s testimonies. The games chil- seize me. No more Jews, so the end is dren invent point to the imagination of lit- close...»

9 Chana JACHIMOWICZ, YVShA, testimony # VD-852, pp. 8,9. 10 Ibid., pp. 4, 5. 11 Naomi KALSKI, YVShA, testimony # VD-192, 03-6644, p. 47. 12 Mordechai KFIR, YVShA, testimony # VD-1378, p.10.

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Naomi went out to check up the peasant’s from German soldiers alcoholic drinks and wife story. cigarettes and in exchange supplied them with girls. All this took place in certain «I offered to go to the brook in the valley. streets in Cracow, where Polish boys and I come up there and I see on the snow the Jewish ones with forged Polish documents tracks of partridges. I am looking at the did their business with German soldiers. tree over the brook, and on the branches Mark-Mordechai, a young boy, helped to and I can see partridges sitting on them. sustain the family - his mother and sister. He When I saw them I felt as if I saw my used to take those alcoholic beverages and family... There are partridges, there are sell them to Poles for money. As a football Jews, I have a right to live... I came back fan, being only 11 years old, he would con- with some water, and every day, till the ceal some money and go to football match- water in the well melted, I went out to es. Mark also adopted another custom meet the partridges and the ‘Jews’...» 11. typical to children only - to go to the streets Thus, a young and naive girl found hope and with 2 or 3 boys on Christmas, knock at encouragement in a Polish peasant super- each door and sing Christmas carols in stition that every Jew in the world has a exchange for food, sweets or money that partridge. he would bring home, to his mother. 9. An outstanding story is that of Mordechai 10. There is another characteristic worth of Kfir, born 1932 in Cracow as Mark Kupfer. paying attention to, typical to a child-sur- As the war broke out, he remained with vivor, which I intend to study in my his mother and sister, 5 years old. His father research : the correlation between personal succeeded in escaping to the Russians, and experience as a child in the Holocaust and for some time corresponded with them. the survivors’ choice after immigration to Then, when the mother had heard no longer Eretz-Israel - where to live and what to about him, she sent Mark to the Polish mes- study and what to do for a living. Most of sengers in order to renew the contact with the young survivors chose to stay in a kib- his father. They told him : «Your father was butz or join the army, that became their killed by the Germans, you have no home. They needed to belong to a certain father»12. At the age of 10, Mark was frame, to ensure themselves personally and informed that his father had been killed by economically. Life in a kibbutz or army ser- the Germans. For more than 3 years he vice filled a gap of perished family mem- kept that secret with him and did not reveal bers. The choice of occupation was bidden it to his mother, for fear that she could com- by the Holocaust experience. mit suicide (since she had already tried to do Mordechai Kfir, who during the Holocaust that). By the end of the war, when the willy-nilly lived in the streets of Cracow Russian liberated them, the mother said : together with waifs and strays, chose to «For sure, Dad comes together with the study criminology and worked in the Russians». Only later on she understood penitentiary system of Israel as the leading that he had been killed. Mark took upon criminologist. himself the role of the man in the family at the age of 10. Against his will he turns into Yoram Friedman, who at the time of an adult man, while there is not a single Holocaust was compelled to live in loneli- soul to share the secret of his father’s death ness, with no friends, except for animals, with. Later on, he gadded about in the streets made up his mind to teach mathematics. of Cracow with a company of boys taking Because of lack of communication in the

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past with people of his age, as shown in his examples, Yoram Friedman and Chana testimony, he chose teaching and being in Jachimowicz came to Israel in 1957, after steady contact with youngsters. they lived for years in a Christian environ- ment as non-Jews. Summing up : There are various characteristics unique to the The theme of double identity and the dilem- history of children in the Holocaust as well mas of a child rescued by a gentile «Righteous as to their way of describing their experiences among the Nations» deserves a separate in their memoirs and testimonies. I cannot very detailed research. help mentioning the problem of Jewish chil- dren who lived as non-Jews. It is quite com- One more stitch. Audio and video testimo- plicated, since it represents the dilemma of nies of children-survivors are a unique sour- double identity, the question of their belon- ce. There is a special way of telling the story ging to the Jewish people individually and when the interviewee, an adult, is returning ethnically, and their fear that they might to his childhood, adopting a childish style of forget their Jewish roots and become totally talking, uttering from his throat the voice of assimilated. a child ‘from there’, from the place where the After the war, they had to face a poignant whole cruel world stood against him and conflict : whether they betray or don’t betray he had to fight it, yet he remained a kid. their rescuers by returning to their Jewishness. Which world is better, safer ? To live as Jewish is still uncertain. Many of the children who survived continued to wear a cross on the neck and kept praying Christian prayers during nearly ten years after the war as a sort of «life insurance». From the aforementioned

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JOSETTE ZARKA Professeur Emérite de Psychologie Université de Paris X, Nanterre - France

Analyse comparative des réactions à la «pollution mortifère»

La mort dans l’âme

Préalable J’entends par «pollution» la dégradation de l’atmosphère des camps souillée par l’om- J’ai donné ce sous-titre à mon travail pour niprésence de la mort et des morts. bien marquer son caractère délicat et sûre- La dégradation du milieu naturel a des effets ment dérangeant. sur l’organisme dont les sujets ne se ren- La pollution a été tellement dure à vivre dent pas compte immédiatement. J’ai rete- que je tiens à remercier les témoins qui nu l’image d’une invasion sensorielle des m’ont répondu et à leur rendre hommage. éléments toxiques sur l’organisme pour la transposer à l’appareil psychique. Comme Je garde au verbe «polluer» son acception de pour l’organisme, les effets de la pollution «souiller» et au substantif «pollution» la seraient de l’ordre de l’inaperçu, de l’ar- signification de «dégradation du milieu natu- chaïque et donc de l’indicible. S’il en persis- rel et de l’environnement humain» tait des traces, elles se révéleraient (Larousse). essentiellement dans le témoignage à tra- vers la forme du discours. Je vais garder ces deux versants pour chacun de mes exposés. Pollution de l’environne- La «pollution humaine» ne se situe pas tout ment naturel pour le premier, et du milieu à fait au même niveau. Elle renvoie à l’in- humain pour le second. fluence des rapports avec les autres sur

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l’image de soi. Ses effets (au cas où ils per- gible et intangible, inépuisable et irrémé- sisteraient) se manifesteraient surtout à tra- diablement inscrite au quotidien. Le dépor- vers les contenus. té astreint à côtoyer des cadavres, à les transporter parfois, était assailli de toutes parts : odeurs épouvantables, air irrespi- POLLUTION SENSORIELLE rable, fumées âcres et grasses qui collaient à INTRUSION ET RESISTANCE la peau, vacarme assourdissant ou silence lugubre, tout concourait à la dégradation A L’INTRUSION d’un climat déjà apparemment chaotique. A travers ces agressions continuelles de tous Introduction ses organes des sens (vision, ouïe, odorat, Cet exposé s’inscrit dans le cadre de mes toucher), le déporté, déjà dépossédé de tout recherches sur l’identité du survivant et les ce qui lui appartenait, risquait de se sentir manifestations de l’indicible. J’ai analysé dépossédé de son propre corps pénétré par soixante témoignages sur les cent cinquan- tous les pores. te que je connais bien. La fouille des parties intimes quelquefois Pour le travail que je présente aujourd’hui je pratiquée à l’arrivée représentait un autre n’en ai retenu que vingt que j’ai analysés de genre d’effraction de l’intérieur du corps. manière particulièrement fouillée selon la Par ailleurs, l’arrachage des couronnes en méthode des cas (c’est-à-dire un par un). or (que nul n’ignorait) notifiait un irrespect Dès son arrivée, le déporté est plongé dans absolu des corps vivants ou morts. Une fan- une folie meurtrière sans borne, où toutes les tasmatique d’intrusion psychique pouvait se limites sont franchies. Le camp figure un greffer sur la réalité de ces invasions cor- «no man’s land», un territoire entouré de porelles, comme si l’agencement du camp barbelés qui délimitent l’absence de limite tout entier visait à inscrire la mort à l’intérieur dans l’horreur et dans la destruction. des gens avant de les massacrer physique- ment. Dans cet environnement mortifère, le La vie au camp s’apparente à un cauchemar déporté, déjà considérablement affaibli, avait incessant et diffus. Les brutalités physiques de quoi perdre ses repères. et les humiliations ne sont pas seules en cause. La proximité des chambres à gaz et les Il arrivait à certains de connaître parfois un fours crématoires ; le caractère sinistre de «état limite». Les états limites se rencon- ces lieux jonchés de cadavres et peuplés de trent quand on ne distingue plus très bien ce «musulmans» à l’allure de morts vivants, qui est à l’intérieur de soi et ce qui est au créent une atmosphère irréelle et morbide. dehors. Quand ses frontières cèdent, le moi Les termes «autre planète», «monde de fou», littéralement débordé ne fait plus la part du «enfer», etc. qui reviennent souvent, ten- réel et de l’irréel, ce qui naturellement s’as- dent à signifier l’irréalité de ce cauchemar sortit d’une angoisse catastrophique. Il n’est pourtant ancré sur des perceptions bien pas étonnant dès lors que l’on puisse se sen- concrètes. tir étranger à soi-même. 1) Invasion sensorielle 2) Fantasmes d’intrusion mortifère et fantasmes d’intrusions et sentiments d’inquiétante En dehors des violences localisées et locali- étrangeté sables, une violence insidieuse sévit partout Un sentiment d’inquiétante étrangeté sur- et tout le temps ; visible et invisible, tan- vient dans la rencontre entre le familier et

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l’inconnu, quand ces deux pôles se mêlent et Dès lors, selon la nature de son expérience coexistent dans l’effroi. concentrationnaire, l’implication aurait un Freud utilise cette formule à propos des caractère plus ou moins (dés)organisateur. Je impressions bizarres éprouvées face à des ne vais pas présenter l’ensemble de ma typo- pantins ou des automates qui imitent à s’y logie mais seulement ses trois axes princi- méprendre des mouvements humains et paux. inversement face à des «mimes» que l’on Mon présupposé est qu’il existe des rap- prend pour des poupées mécaniques. Le ports entre la nature de l’implication et la pré- familier devient étrange et l’étrange rejoint le sence (ou non) de fantasmes d’intrusion familier quand on ne discerne plus l’animé morbide. de l’inanimé, l’humain de l’objet. Freud cite • L’implication s’avère désorganisatrice ces situations apparemment anodines pour dans les cas où une infiltration fantas- illustrer l’angoisse foudroyante qu’elles peu- matique s’est produite. vent recouvrir si l’on en arrive à ne plus dis- tinguer les contraires et surtout le mort du • Elle sera organisatrice en l’absence de vivant. tout fantasme destructeur. Au camp, la présence des «musulmans», la • Elle se révèle (ré)organisatrice quand proximité des morts, créent de toute éviden- on est parvenu à surmonter l’invasion. ce un espace étrange de terreur familière. La structure des textes fournit des indi- cations à cet égard. 3) L’inquiétante étrangeté dans les récits Ière partie : Des manifestations d’inquiétante étrangeté L’implication désorganisatrice peuvent se produire dans la vie courante Elle se rencontre principalement dans les chez tout un chacun et de manière très fuga- quatre récits que j’ai intitulés «submergés» ce, sous forme d’une gêne, d’un malaise (et qui sont fort heureusement assez rares quasi physique à l’évocation de scènes jus- dans l’ensemble des témoignages). qu’alors oubliées car trop éprouvantes. Le témoignage est ressenti par leurs auteurs De telles résurgences peuvent parfois appa- comme inachevé, inachevable. Empêtrés raître dans les récits des survivants sous dans des visions morbides ou macabres, ils forme de sentiment d’irréalité, de malaise, se ont l’impression qu’ils ne pourront jamais en traduisant par une agitation, des gestes sortir. incoordonnés ou des postures presque figées, Les références à la mort occupent un bon et par un appesantissement sur des scènes tiers du récit. morbides. Tous ces signes d’anxiété révéleraient peut- 1) Rapports à son propre corps : être des traces mnésiques1 d’intrusion relâchement et régression 2 archaïque . La diminution ou la perte de ses forces (phy- Le vécu actuel reproduit parfois un vécu siques) est une atteinte d’autant plus forte antérieur. Plus on s’implique dans le récit que l’on était initialement «très costaud». plus on se rapproche du vécu passé. On a du mal à se reconnaître. L’impression

1 Freud utilise ce terme pour désigner la façon dont les événements s’inscrivent dans la mémoire. 2 Ces traces ne sont liées à aucune pathologie, d’ailleurs sur vingt récits que j’ai étudiés à fond, il n’y a aucun signe de trouble pathologique.

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de déchéance physique apparaît lors de cer- Dans ces lieux où la réalité dépasse la fiction, tains troubles (dysenterie par exemple) les fantasmes sont presque aussi traumati- quand le sujet n’est plus en mesure de se sants que les scènes qui les déclenchent. retenir. Il n’éprouve pas seulement une honte Un témoin relate ce qu’il appelle une «bizar- considérable ; il est surtout envahi de rerie» qui le remplit de malaise. Il se revoit confusion. au milieu d’une foule d’individus entièrement En dehors de la douleur, il souffre du dégoût dévêtus. qu’on lui témoigne et qui aggrave sa confu- Cette nudité de chacun et de l’ensemble sion et son rejet de lui-même. Il va alors avait éveillé en lui une peur colossale d’être connaître une régression entretenue par l’in- fondu dans cette masse et d’y perdre son tolérance d’autrui. identité. Cette vision cauchemardesque s’ac- Quelqu’un se souvient d’avoir été insulté compagne d’un vif sentiment d’irréalité. durant tout un appel (près de trois heures) Une telle agglutination provoquait l’effroi par ses propres camarades, puis battu et lais- d’être contaminé, pas seulement dans son sé sur le carreau à demi mort parce qu’il corps mais dans tout son être. Le fantasme souffrait d’une dysenterie malodorante. que cette hydre à mille corps puisse à la fois De telles brutalités entraînent un désespoir l’engloutir et le transpercer traduit une crain- dont on ne peut se délivrer que par une te archaïque d’être envahi par des forces rage, une agressivité incommensurable, où obscures et maléfiques. l’on en vient à se confondre avec les agresseurs Sur un registre assez voisin, quelqu’un décla- et la régression devient destructrice, en re qu’on lui avait arraché un peu de lui- retournant cette agressivité contre soi-même. même quand on l’avait tondu et rasé. Il s’était senti dépouillé et démuni comme un 2) Les rapports aux autres déportés oiseau sans plumes et avait l’impression que Ils sont d’une extrême cruauté. Chacun lutte l’intérieur de son corps était exposé à tous les pour sa propre vie et devient, nous dit-on, regards, à toutes les infections, à tous les pire qu’un loup pour son voisin. Les agres- maléfices. sions venant d’inconnus affectent beaucoup moins que l’indifférence ou les trahisons de 4) Promiscuité avec la mort, ceux en qui on avait confiance. Un sujet qui transgression et sacrilège avait conservé quelques camarades fut tel- Les camps de la mort portent bien leur nom. lement blessé par leur rejet qu’il avait failli se Ils représentent un espace de transgression jeter sur les barbelés. Ceux qui perdent leurs absolue. L’omniprésence des morts donne à amis n’ont plus personne, plus rien à quoi se ces sujets l’impression de participer à cette raccrocher et donc rien ne s’interpose plus transgression. Ne fût-ce que par l’astreinte de entre soi et ce monde infernal. les voir, de les déplacer. Incroyablement isolés parmi les bêtes féroces Ils s’étonnent maintenant de leurs réactions et les «musulmans», il ne leur reste qu’une à cet égard. «En rentrant du travail, on me seule alternative : devenir un mort vivant mettait presque chaque jour un cadavre sur ou un monstre. l’épaule. Pendant 8 jours, j’ai transporté des morts, je les traînais par les pieds, je me 3) Les fantasmes d’intrusion demande comment j’ai pu faire ça». On Ils sont étroitement associés à l’invasion peut supposer qu’ils étaient obligés de s’anes- sensorielle mais transitent par autrui. thésier sur le plan physique (pour ne plus

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rien sentir) et sur le plan psychique (pour ne qui portent encore quelque chose de mort en pas succomber à la détresse). eux.

Compte tenu de cette insensibilisation, il 5) Forme et déroulement pouvait leur arriver de confondre les morts et les vivants3. Mais malgré cette apparente Ces récits ne sont pas bien construits. Leur insensibilité, il pouvait aussi arriver que cer- caractéristique majeure est l’utilisation de taines scènes les pétrifient comme si leur mots crus, souvent scatologiques avec l’ap- carapace était trouée. parition d’images chocs (proches du sen- soriel). Le langage est fruste, il ne s’agit pas Un sujet raconte qu’une nuit où il voulait se d’une absence de maîtrise de la langue fran- cacher, il avait découvert dans une baraque çaise (chez ces sujets d’origine étrangère) éloignée, un amoncellement de cadavres. Il mais d’une très grande difficulté à traduire ce avait, immédiatement après, uriné sur ses qu’ils ressentent, comme s’ils se trouvaient mains pour se purifier de ce choc. Cette face à l’incommunicable. image le poursuit et entrave la suite du récit. Ils s’enlisent dans des scènes fort impres- Après coup, ces sujets ont du mal à se déga- sionnantes et macabres. Ils remâchent leur ger de la violence de cette concrétude, d’au- indignité et les trahisons des autres. Leur tant qu’ils ne comprennent toujours pas visage exprime l’angoisse, ils plissent le front, leur indifférence à l’égard de la disparition de détournent le regard. A mesure que le récit leurs parents ou d’autres proches... «Jamais se déroule, leur tonus diminue et le corps se je n’ai pensé à mon père», dit l’un, «[...] On tasse. m’a dit qu’il était mort [mon frère] [...]. Je n’ai Tout se passe comme si l’être ne pouvait se pas bougé, j’ai continué à manger», déclare débarrasser de ce qui était entré en lui par un autre sujet. Un autre enfin s’étonne... effraction et, faute de pouvoir l’expulser «J’avais tellement mal que j’ai passé la nuit à physiquement, il jette en hurlant ses mots maudire mes parents.» Rétrospectivement déchets. Le vocabulaire primaire encrasse ces sujets se ressentent doublement sacri- la pensée. lèges. Ils se reprochent leur irrévérence à l’égard des dépouilles journellement côtoyées Les mots détritus agissent comme des déclics et bien davantage encore à l’égard de leurs facilitant la remémoration d’incidents, d’épi- proches qu’ils n’ont pas pu pleurer. Ces sodes effroyables. Le texte alors se désarti- sujets auraient, leur semble-t-il, transgressé cule dans une suite de flashs plus désespérant les lois de la nature. Ils ne se pardonneront les uns que les autres, et qui envahissent le jamais ce sacrilège irréparable. champ de la conscience et de la relation comme des métastases. Le fait de croire que l’on avait pu soi-même transgresser favorisait peut-être l’éclosion, On peut supposer que le sujet en proie à le développement de ces fantasmes d’intru- une certaine régression lutte contre l’in- sion. A la fin de son témoignage, un sujet quiétante étrangeté à l’aide de ces images s’exclame «je ne suis pas un survivant, je suis chocs comme si ce qui était entré en lui par un zombie, je suis mort là-bas». Il exprime, effraction ne pouvait en sortir que de la je pense, la position des sujets de ce groupe même manière.

3 Un sujet relate que lors d’un transport à Buchenwald après une marche épuisante, il s’était assis sur un corps. Il ignore s’il était déjà mort ou si c’est lui qui l’a achevé. Avec cette indistinction, on devient soi-même redoutable.

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Mais ces souvenirs dont il ne parvient pas à L’un d’entre eux convient : «je n’ai rien fait se débarrasser se retournent en force contre pour survivre ; c’est mon corps qui a tenu», lui. Il a beau hurler, il s’engouffre dans un et pourtant la résistance à la douleur phy- auto-dénigrement sans limite avec l’im- sique dépend peut-être moins du corps que pression qu’il ne pourra jamais vraiment de la détermination de ne pas faillir. Le sujet transmettre tout ce qu’il a vu et vécu. souffre comme une bête mais dans ses rap- ports aux tortionnaires, il fait la bête, il fait La violence du verbe témoigne d’un besoin comme s’il ne savait rien, il simule la surdi- de se désimprégner et l’effet de boomerang té et l’ignorance. La volonté de ne rien dévoi- traduit l’impuissance à le faire. ler le pousse à dépasser le seuil de l’intolérable. IIème partie : L’implication organisatrice Sans être cynique, on pourrait penser que ces situations extrêmes où l’on franchit ce seuil Elle se rencontre dans les récits que j’ai inti- pourraient faire fonction d’apprentissage de tulés (à juste titre) «organisés»4 puisqu’ils ses propres limites et ce faisant on parvient à se distinguent par leur déroulement bien faire reculer ces limites. De toute façon, des structuré, à la fois contrôlé et souple. Sur les sévices subis, leur corps avait pu garder une neuf récits, j’ai retenu ici les seuls récits des possibilité de se détacher de lui-même. D’un Résistants (trois hommes et une femme) autre côté, ils avaient très mal supporté d’être qui me sont apparus particulièrement illus- tatoués comme des bêtes. Et depuis ce mar- tratifs de certains processus d’organisation. quage, ils n’avaient de cesse de lutter contre les humiliations en montrant cette fois-ci 1) Les rapports à son propre corps : qu’ils n’étaient pas des bêtes. Je suppose Contrôle et dédoublement que l’expérience de la simulation (faire la Ils ne s’attardent pas sur leurs souffrances bête) avait pu permettre ultérieurement de physiques mais ils en parlent à propos des mieux résister à l’abêtissement coups ou des tortures que tous les quatre ont 2) Résistance à l’intrusion subis lors des interrogatoires. Ils les évo- quent de manière discrète mais précise. L’un Durant l’interview, ils montrent volontiers d’eux avait, dit-il, servi de «punching ball» en leurs cicatrices. Ces marques laissées par les guise de passage à tabac. Son visage garde les brutalités faisaient office d’ultimes repères traces de ces blessures. Un autre sujet racon- quand tous les autres tendaient à disparaître. te comment il avait échappé de justesse à On peut considérer que ces empreintes sur l’hydrocution lors de séances de bains glacés, leur corps devenues un symbole de leur un autre enfin avait subi les attaques répétées résistance passée pouvaient jouer un rôle d’un molosse (il montre les cicatrices de ces protecteur contre toute infiltration fantas- morsures). Quelqu’un enfin confesse qu’il matique. On se défend peut-être mieux avait rongé ses ongles jusqu’au sang de peur contre le morbide quand le corps garde des qu’on ne les lui arrache. Lors de ces inter- traces de blessures désormais fermées (ou en rogatoires, ils mobilisaient toute leur éner- voie de se fermer) même si la peau reste gie pour ne pas flancher jusqu’à encore sensible, et peut être parce qu’elle le l’évanouissement. reste. Paradoxalement ces marques leur rap-

4 Dans les autres récits organisés, les sujets étaient tellement absorbés par leurs souffrances morales (perte d’êtres très chers), qu’ils étaient comme anesthésiés et ne voyaient plus rien autour d’eux.

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pellent qu’ils peuvent garder une emprise sur ceux qui sont agressés. Ils vont donc tenter de eux-mêmes. Ainsi faisaient-elles peut-être se distancier. Durant leur déportation, ils symboliquement office d’enveloppe avaient gardé un très fort sentiment d’ap- protectrice. partenance à la Résistance. Quand ils étaient On ne peut pas se prononcer sur l’absence séparés des camarades de leur réseau, ils d’intrusion comme on le peut sur l’intrusion. recherchaient des contacts avec des résis- L’absence de signe n’est pas forcément indi- tants d’autres groupes et se rendaient mutuel- cative de l’absence du phénomène, mais il y lement service. Ceux qui ne faisaient pas de a tout lieu de supposer qu’il ne s’est pas résistance active à l’intérieur des camps produit. Ces sujets ne s’attardent pas sur avaient toujours «un esprit de résistant» qui des visions macabres. Ils ont bien perçu l’ir- leur épargnait tout isolement et les enjoi- réalité des camps mais n’ont pas de sentiment gnait à rester actifs, disponibles pour les d’irréalité dans le témoignage. autres, et à résister à l’intérieur d’eux-mêmes L’environnement mortifère les affecte contre le désespoir. comme une honte pour le genre humain. Je me demande également si la possibilité pour 4) Forme et déroulement leur corps martyrisé de se détacher de lui- Ces récits sont bien construits, on ne relève même n’avait pas pu jouer un certain rôle. aucun dérapage et pourtant ils sont émaillés L’un d’eux déclare qu’en se regardant pour d’images très fortes. Au delà du style propre la première fois dans un miroir, il ne s’était à chacun, l’aspect commun de ces textes est pas reconnu «ça n’était pas moi mais quel- la fermeté, la clarté, la cohérence et la consis- qu’un d’autre». Il ajoute : «j’ai vécu le cau- tance de leur déroulement. Ils respectent chemar de quelqu’un d’autre». une chronologie qui ne les corsète pas. Leur Enfin la présence d’amis, la solidarité à toutes indignation parfaitement maîtrisée se mani- épreuves, leur disponibilité, le souci de méri- feste tantôt par un humour noir, une ironie ter la confiance des autres, avaient peut-être cinglante, tantôt à travers une analyse impla- aussi fait barrage aux fantasmes destructeurs. cable et/ou des interrogations dérangeantes. Ces sujets sont toujours à la recherche du 3) Les rapports aux autres déportés mot juste, du mot le plus pertinent possible Ils ne sont pas d’une seule pièce mais tout à pour ne pas trahir la réalité. Leur farouche fait différenciés selon les interlocuteurs. volonté de ne pas céder à la torture se trans- Après avoir connu la fraternité de combat pose au camp où il s’agit peut être moins de (même s’ils n’étaient pas dans la lutte armée), résister à la douleur physique qu’à l’abêtis- ils sont absolument sidérés par les compor- sement. Ils ont, je le redis, à coeur de ne pas tements de certains. se laisser ABETIR, le verbe étant pris dans son sens littéral : ne pas être réduit à l’état de Depuis Drancy, ils ont à coeur de se démar- bête qui ne pense plus. Le récit s’organise quer d’une foule assujettie et aveugle où autour de cet impératif catégorique qui chacun régresse à un individualisme forcené enjoint à «garder toute sa raison» et aussi à pour préserver sa vie au détriment du voisin. rester fidèle à ses engagements. Ces récits Ces sujets avaient été outrés, par exemple, de tranchent avec les précédents. L’implication voir qu’on volait des gens et que de sur- ne tient pas à l’émotion mais au fait qu’on croît on les battait pour avoir été volés. Ils puisse la gérer (c’est-à-dire la contenir sans consacreront toute leur énergie à rester hors la brider). La souplesse de ce contrôle consti- de ces deux catégories, ceux qui agressent et tue le principal organisateur du discours.

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De tout temps, il leur avait fallu garder leur 1) La désorganisation sang froid. Plus ils étaient impliqués dans Elle présente des analogies avec les récits de la une action et mieux ils devaient maîtriser première rubrique. On retrouve à peu près le leurs comportements, leurs jugements et même tableau : malaise physique, visions leurs affects. Il en va de même dans le récit où quasi hallucinatoires qui s’accompagnent de l’absence de contrôle serait une source d’al- manifestations d’angoisses, mimiques, regards, tération de la réalité. Donc une trahison des gestes. Le ton s’élève, les sujets HURLENT autres et de soi. La narration de scènes terri- et semblent fort agités. Tout laisse supposer fiantes est toujours accompagnée de leur des sentiments d’irréalité quand des souvenirs contraire et parfois associée au ridicule des insoutenables remontent à la surface. Devant kapos et des S.S. dont on pouvait se moquer. l’inimaginable, il y a sidération puis sursaut de La possibilité de tourner l’adversaire en déri- révolte. sion à l’intérieur de soi-même ou entre soi constituait une réelle sauvegarde pour l’esprit. 2) Emballement et cris Dans le témoignage, l’expression du mépris, L’emballement correspond à un (des) du rejet envers les monstres a la même fonc- moment(s) de pointe(s) du récit, à une crise tion de revitalisation. où il se produit un entrechoc de forces dif- Ces sujets conviennent qu’ils n’étaient pas des férentes. enfants de choeur. Cependant leurs exigences a) La stupéfaction d’avoir connu et vécu vis-à-vis d’eux-mêmes n’avaient jamais failli tant d’horreurs. ni en prison ni dans les camps. Il ne saurait en b) La colère que de tels massacres aient être autrement dans le témoignage où ces pu être commis. sujets fidèles à leur système de valeur s’ef- forcent, malgré l’apparition parfois d’images c) Une indignation sans borne que l’on très fortes, de rester assez sobres mais sans puisse les mettre en doute. rien omettre. Une élégante sobriété est peut- Le récit connaît alors un tournant. Les cris être la caractéristique majeure de ce groupe. de colère et de désespoir alimentent chez Ils cherchent à donner calmement la mesu- ces sujets leur profond besoin d’être enten- re de la démesure et à décrire/montrer la dus, et accentuent leur souci d’être crédible violence dans un langage non violent. et fiable. Ils se ressaisissent et opèrent un retour à la réalité présente c’est-à-dire à un ème III partie : devoir de vérité qui apaise la violence. Le L’implication ré-organisatrice désir de se désimprégner laisse la place à la J’ai retenu le terme «emballement» pour nécessité de transmettre. désigner ces récits - au nombre de cinq (trois L’emballement du texte, du langage et du hommes et deux femmes) - car à certains corps, n’altère pas l’intelligibilité des pro- moments, le sujet est littéralement «empor- pos mais en accentue le sens. té» par son texte. L’implication comporte deux phases : de 3) La réorganisation désorganisation et de ré-organisation entre Les sujets s’efforcent de traduire fidèlement lesquelles s’intercale un moment ce qui se passait au camp : décrire son fonc- d’emballement5. tionnement, démonter les rouages, définir les

5 Ces phénomènes peuvent se reproduire à différents passages du récit. 6 Dans le langage du camp, l’organisation est exclusivement matérielle. Elle représentait tous les moyens pour se procurer de la nourriture, des vêtements, chaussures ou autres, ou un travail abrité, etc.

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hiérarchies, bref donner des éclairages aussi • La présence des copains bien vivants puissants que possible afin de mieux rendre les aidait à distinguer les morts des compte de l’atmosphère qui y régnait. Dans vivants et à mieux supporter la vue des cette phase, leur récit s’apparente à ceux des musulmans (certains étaient effective- Résistants. La réorganisation s’opère autour ment devenus musulmans). du positif, à savoir les «copains» et l’«orga- Et enfin, nisation». Ces deux axes sont mêlés. Grâce aux copains auxquels on vouait un véri- • La seule présence de certains amis qui table «culte» l’organisation prenait tout son avaient connu leurs parents ou des sens. proches leur permettait de pleurer (à l’intérieur d’eux-mêmes) leurs disparus. Les sujets jubilent littéralement aux souve- Donc leur évitait de se sentir sacrilège. nirs d’anecdotes «croustillantes» où l’on avait réussi à rouler des kapos et parfois des Ils savaient qu’ils avaient irrémédiable- S.S. Grâce à ces subterfuges, on défiait les ment perdu tout un pan de leur existence. règles du camp6. Ainsi répondait-on à la Le seul fait de pouvoir l’admettre freinait transgression par la transgression. Face à la loi peut-être la déstructuration. de la destruction, l’organisation ré-intro- duisait un certain ORDRE et défendait les 5) Déroulement et forme lois de la vie. Le récit est construit, il suit un axe chro- nologique, le ton change selon les moments. De tels comportements représentaient une L’emballement dénote une phase aiguë dans juste réparation et leur évocation assure dans le déroulement du récit et non une rupture le témoignage un nouveau souffle. de la suite des idées. 4) L’intrusion Un vocabulaire inoffensif et plutôt gentil résistance à l’intrusion (on nous appelait les «mouflets») succède à On peut déceler des traces de fantasmes un langage vert et offensif. Cette alternance mortifères à travers les signes précités (agi- de l’explosif et de son apaisement permet de tation, mots crus, images terrifiantes et sen- repartir sur une nouvelle lancée. sorielles, désorganisation momentanée du L’emballement qui, j’insiste, débouche sur un discours - mais pas de la pensée). REFUS RADICAL de toute dénégation, contestation, ou incrédulité ne va pas sans cri. Cependant, à la différence de la première rubrique, on peut supposer que Le cri atteste de la vérité des propos tenus et a) Ces invasions se seraient produites à en même temps il marque un seuil, une certains moments (au début notamment) limite. Il intime : ça suffit «HALTE aux et pas sur une longue durée. mensonges, halte aux déformations». Comme le STOP en circulation routière, il b) La présence des copains faisait barrage trace une limite à ne pas franchir. Il témoigne sur plusieurs niveaux. aussi du désir d’alléger le poids du passé, • La honte physique était moindre. Ils se de sortir enfin de cette funeste expérience. sentaient peut-être moins percés et trans- A travers cette limite posée, le cri devient un percés dans la mesure où ils rencontraient exutoire et sert paradoxalement à prendre davantage de compassion que de rejet. de la distance en permettant d’évacuer des • Ces copains leur rappelaient l’existence images morbides qui ne manquent pas d’as- d’une réalité au delà des barbelés dont saillir les sujets. Ainsi il assure le passage de on réintroduisait des limites. l’indicible au dicible.

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A la différence du piétinement précédemment pouvoir continuer à honorer la mémoire constaté, l’explosion manifestée par des cris des disparus. Ici le témoignage aurait le carac- fait office de PONCTUATION. tère d’un acte quasi sacré au service de la L’emballement que l’on peut considérer mémoire. comme une explosion-ponctuation corres- pondrait à un organisateur du témoignage. Conclusions L’implication s’accroît à mesure que le récit Je suis partie de l’idée que la structure du récit se déroule. Elle ne se manifeste pas que par est directement liée à la manière dont on a des emballements ponctuels mais aussi par le vécu certaines situations. relief de certaines séquences. Un vécu qui n’a pas pu être élaboré7 donnera Malgré les douleurs et les angoisses endurées, lieu à des séquences désarticulées (récits le récit, à certains moments, pétille de vie. submergés). Il revêt parfois la tonalité d’un roman ou d’un film d’aventures qui laisse l’interlocuteur Un vécu qui a pu l’être offrira des témoi- en suspens. gnages «organisés» et enfin, un vécu qui a été On trouve des onomatopées (caca-mama déjà partiellement élaboré ou qui peut l’être pour désigner les lâches), des métaphores dans certaines conditions donnera lieu à des (la «chronique des gâteaux cassés» pour par- moments d’effervescence dans le témoi- ler de la vie après la libération), l’utilisation de gnage (récit avec emballement). L’élaboration mots ou de phrases en Allemand, et enfin ce au cours d’un témoignage requiert parfois ce que l’on ne rencontre nulle part ailleurs genre de passages. l’émission de sonorités. La difficulté à élaborer ou l’inélaborable On cherche à reproduire des bruits (le pas des tient principalement à deux facteurs : bottes, l’halètement des chiens, l’aboiement a) La transposition dans l’appareil psy- des S.S., l’essoufflement de la peur, etc.). Tout chique de la représentation de son corps concourt à montrer que la parole ne suffit pas ressenti à un moment donné dépouillé pour approcher la réalité de la vie au camp. de son enveloppe (comme s’il était En résumé, l’emballement assorti de cris cor- percé). respond à une explosion/ponctuation signi- b) Un sentiment de transgression/sacrilège fiant que le témoignage doit avoir une fin qui alimente l’idée inconsciente d’avoir dans les deux sens du terme. Un arrêt traçant violé un tabou. des limites là où peut-être on les avait momentanément perdues, et une finalité, Inversement la possibilité d’élaboration tient une raison d’être. Il faut faire quelque chose essentiellement au fait de ne pas s’être soumis de cette expérience concentrationnaire et (intérieurement) aux exigences du système pour y parvenir, se défaire des scories et des concentrationnaire. parasites inhérents à tout ce que l’on avait vu et à ce à quoi on avait été contraint. En un mot se délivrer des souillures ingérées afin de

7 L’élaboration de son vécu tient à la possibilité de se distancier des affects mais pas trop afin de pouvoir le penser. Cela stipule qu’on puisse les neutraliser sans les refouler et le cas échéant que l’on puisse les utiliser pour mieux le penser.

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ANITA TARSI Research Supervisor Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Israeli Project, Director of the Educational Center «Beit Theresienstadt» - Israel

Integration of Oral Testimony in a Planned Curricula

Two examples

I would like to speak about two educational Survivors of the Shoah Visual History programs that were developed at the Foundation and many others, have con- Educational Center of Beit Theresienstadt in ducted thousands of fascinating interviews Israel based on Oral history and on new with Holocaust survivors. These interviews computer technologies. have not yet drawn the attention they deserve as a tool for developing a curriculum The first program named «Until the Storm on the subject of the Holocaust. A direct Passes : Ghetto Terezin [Theresienstadt] encounter of young people with a survivor 1941-1945» deals with the way the Jewish who tells them his story in person is a sig- Leadership and the individuals coped with nificant experience, by far stronger than life in the Ghetto. any other activity in the field of Holocaust The second educational program brings up education. the issue of hunger. Before I get into the Nevertheless, the survivor’s presence does description of the curricula I’ll make a short not exempt us, the educators, from the oblig- general introduction. ation to approach the oral testimony as a his- Various institutions around the world, such torical source, to verify it and to combine it as Yale University with its various partners, with other sources. The oral testimony (both Yad Vashem, The United States Holocaust live and on tape) constitutes a stock of Memorial Museum, Steven Spielberg’s knowledge not found in any other sources.

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Oral testimonies clarify, elaborate and illu- known from the point of view of the sur- minate the same points to which the written vivor. At the time of the «virtual» con- historical document merely alludes but does frontation between the historians and the not develop. The curricula I would like to witness, the student is the one that holds propose are an attempt to create a meeting in his hands the tools he needs to ask the in the classroom, from the point of view of questions. the witness, the written document and the Example : the making of the lists, or eating historian’s analysis. The integration of all better food, or drawing in front of suffering of these gives depth to the discussion and people, what does it tell you about Jewish thus renders it enriching and educational. society in the ghetto ? Or we need to find the The first example I will present here is a answers about what happened in what the workshop : «Until the Storm Passes : Ghetto witness tell us. What’s he telling us about Terezin [Theresienstadt] 1941 - 1945». This himself and about others in the ghetto, what workshop tackles selected topics in con- was his own point of view ? nection with the activity of the Jewish lead- ership and the struggle of the individual in The second educational program named Terezin between 1941 and 1945. The core of «Hunger» is about growing up in the ghet- the workshop consists of current, docu- to under the conditions of deprivation. We ments from the ghetto, statistical data and use new computer technologies in order to videotaped interviews with survivors who help youngsters to get closer to the reality of were prisoners in the Terezin ghetto. The ghetto life. Multimedia, a computer game, a taped interviews are a project of the trip to the past like. With the help of three Fortunoff Video Archives for Holocaust dimensional graphics, a spoken story that Testimonies at Yale University, with the tells about how young people live together department for oral testimony at the United under starvation and pieces of oral testi- States Holocaust Memorial Museum in monies give the students a picture of what it Washington DC. The encounter with such was to grow up in the ghetto under such a variety of sources familiarizes the students conditions. with the complexity of the prisoners’ lives, The designers of the program based their the choices - large and small - to make, the writings on historical research, on oral his- dilemmas daily life in the ghetto presented tory, on diaries, and stories adolescents and the richness of the creative expression to wrote at the time of the war, while being in the affliction of their existence. the ghetto and after it. The program opens The issues that will be taken care of during with the presentation of the issue of hunger the workshop are from the most compli- during the holocaust. A piece of oral testi- cated dilemmas that Jews during the mony (3 min app. watching the survivor Holocaust had to cope with : The prepara- on screen) by a survivor named Michal Efrat tion of the lists of names of Jews from Terezin that tells what was hunger for her then and to be deported to the east, interview of Hary now, the physical and the psychological Tarsi ; The distribution of food, interview meaning of it. Then four images of young- of Mordechay Livni ; The motivation for sters, two boys and two girls, around 15 to making art in the ghetto, interview of Wili 19 years old deported to ghetto Terezin, Groag. separated from her parents, are living at the Youth houses (HEIME) and who became Those dilemmas are very well known from the central actors of the story. Telling about the point of view of the historian and less how to get food, how to distribute it and to

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whom, and the different options to make the 3) While you happen to have extra food situation better. how to distribute it ?, to whom (broth- ers, parents, grandparents, friends of The story develops and brings up questions the HEIM) ?, and dilemmas to be dealt with the help of oral testimonies. In each central point of 4) The issue of punishment and others. the story there is a possibility for the students to hear the witness’ point of view on the All the dilemmas presented in the educa- matter, not a solution of the question posed tional program are deepened and clarified by by a clarification of the situation described. the confrontation of documentation and oral history. By definition, the nature of a The following are the issues brought up by dilemma is that there is not a ready answer the survivors in those pieces of testimonies : to solve it, but at least the essence of it 1) The relationship of the teenagers with become meaningful and possible to under- their parents, stand for young people whose reality is far from that of the ghetto. 2) The Moral problem around the mean- ing of «stealing food»,

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JOANNE RUDOF Archivist Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Yale University - U.S.A.

Beyond Research : Education and Popular Culture

There is an increasingly disturbing trend Nazis on television for an awfully long which I and many others are seeing in the time’. It may not be great for the ratings, United States today. I am, I hope, not naive but it salves the souls of the crass and in suspecting that it is unique to our coun- money-grubbing in Hollywood. try, that Europeans and others have avoid- Over the next two Sundays, there should ed some of these pitfalls. However, these be a good cache of souls salved in are phenomena which will impact us all, Hollywood as three fictionalized tales of due to the ubiquity of American culture. derring-do by European non-Jews who What I am going to discuss is the current saved Jews from Nazi hands during World popularization of and fascination with the War II are shown»2. Holocaust in the United States. The headlines generated by the controver- I recently visited relatives who live near sy over Daniel Goldhagen’s Hitler’s Willing Philadelphia and in the local newspaper the Executioners and the popularity of the book television section headlined a review «Tales 1 itself is further evidence of this phenomenon. of heroism during the Holocaust» . The However, I found it very interesting that reviewer, wrote : outside of universities, most of the people «A friend once cynically told me that who discussed the book, had not actually ‘they ‘re going to be saving Jews from even read it. Samuel Totten in a review of the

1 Robert STRAUSS, «Tales of heroism during the Holocaust», The Philadelphia Inquirer, May 7, 1998, p. E19. 2 Ibid.

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book, New Perspectives on the Holocaust : whose readership is American college and A Guide for Teachers and Scholars noted : university faculty and staff, Warren «Over the past decade and a half there Goldstein, a historian at the University of has been an immense surge of interest Hartford discusses the use of inaccurate among U.S.-based educators in teaching history in popular American films. about the Holocaust. [...] there has been «We historians are in a bind these days. If also been a proliferation in the develop- we do our jobs - digging up and inter- ment and publication of Holocaust-relat- preting evidence, reinterpreting what oth- ed materials and resources [...]. Not all ers have found - we are frequently accused the resources, though, have been valu- of high ideological crimes. When our able or helpful [...]. work challenges self-congratulatory While some of the recently-developed mythology, critics from Rush Limbaugh Holocaust resources are outstanding, to Lynne Cheney (the distance between many are substandard, reflecting unclear them is less than you’d like to think) call rationales for teaching this history, the us ‘revisionists’, hell-bent on defacing inclusion of incorrect information, facile American democracy and Western civi- explanations of complex history, simplis- lization. If, on the other hand, we object tic analogies between the Holocaust and to inaccuracies in historical novels and other human rights infractions, prob- films, we’re pedantic, humorless ‘scholar- lematic pedagogical strategies for teaching squirrels’, as the author Gore Vidal put it about the Holocaust, and other prob- once, collecting and banking obscure facts lems. Such concerns demand serious atten- until the day we can rain them down on tion by scholars and educators»3. somebody’s artistic parade. Holocaust education has been mandated in [...] Attacking what scholars have to say New Jersey and Florida in the United States. about the past works because most I attended a national meeting of directors of Americans get their history from jour- Holocaust organization at which a five-day, nalists, writers of memoirs, novelists, film five-hour unit for teaching the Holocaust makers and politicians. was presented. I was appalled by the [...] the popularity of several ‘historical’ approach, the simplification and falsifica- films has raised anew the question of tion of history the «bring a survivor to class whether scholars have an obligation to for an hour» strategy, the simulation activ- try to corrections distortions. ity with the goal of making students «stand [...] I didn’t always think so. I was moved up to bigotry», and most of all by the enthu- by Schindler’s List, even with its corni- siasm with which this was all presented. ness and the just-in-time heroics that saved In a recent issue of the Chronicle for Higher some Jews from the slaughter. After all, I Education, a weekly American publication reasoned, the mere fact that the Holocaust

3 Samuel TOTTEN, «Review of New Perspectives on the Holocaust : A Guide for Teachers and Scholars», Holocaust and Genocide Studies, Col. 11, No. 3, Winter 1997, p. 448. 4 Warren GOLDSTEIN, «Bad History is Bad for a Culture», Chronicle of Higher Education, Vol. XLIV, No. 31, April 10, 1998, p. A64. 5 Ibid. 6 Pearl M. and Samuel P. OLINER, «Righteous People in the Holocaust», in Israel CHARNY (ed.), Genocide : A Critical Bibliographic Review, Mansell Publishing and Facts on File, New York, 1991, p. 363.

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was on the big screen, shaped by He continues the challenge that the acade- Spielberg’s talent, seen by millions of non- my not simply object to dramatic license, but Jews, made the film worthwhile. But I support what is correct and criticize what is don’t know much about the Holocaust. wrong or misleading. More important, we [...] I recently asked a colleague who teach- need to make our scholarship accessible and es about the Holocaust what he thought interesting to those beyond the confines of [...]. As a historian, he knew much more our own profession. than what appeared on the screen. He These issues are all related and beg us to knew how the Nazi movement grew, address them. We must move the testimonies about concentration camp life and death, beyond the walls of our institutions and about the bureaucratic structures and into school curricula, while making sure moral compromises of millions of ordinary they are being used wisely and well, and people that helped produce Hitler’s ‘final accurate history is being conveyed. We must solution’. Loveable rogues such as Oskar make sure we do not hold ourselves above Schindler were a sideshow. criticism and address issues of historical My friend wasn’t gloating about knowing accuracy and mythology in the testimonies. these things : Knowing them - and teach- I am angry and feel helpless when thinking ing about them - is part of his job. But about the usurpation of this topic for tele- when he saw the manic-depressive, sexu- vision entertainment. Our obligation is to ally frustrated commandant Amon Goth continue to emphasize accurate history, to [sic] pick up his rifle during breakfast and continue to focus whatever attention we casually shoot an inmate, his heart sank. A can upon the fact that, while rescue did gifted film maker had recast camp admin- occur, it was truly rare (at best, less than istration into the sexual pathology of a one half of one per cent of the total popu- moody individual. Similarly, the slaughter lation under Nazi occupation helped to res- 6 of millions - and the complicity of millions cue Jews . We must encourage the use of more - had been forever transformed into multiple sources, diaries, documents, mem- the triumph of Oskar Schindler and ‘his’ oirs, maps, and many more in conjunction 1,100 Jews. Tellingly, my colleague said with the testimonies. We must resist our these things to me in my office, in a private own need for «closure», whatever that means, conversation - not in public, where he and stop falling into the trap of using stereo- would have had to confront a tidal wave of typical words like «martyrdom» and «resis- positive publicity for the film»4. tance» which obscure the too terrible reality of the destruction of European Jewry during The author goes on to analyze historical the Holocaust. We know that Hitler won inaccuracies in other films, and the important «the war against the Jews», and we must social consequences of them. I focus upon start with that premise in spite of the popu- Schindler’s List because of its enormous pop- lar media’s need for happy endings and ularity and influence and because we are redemptive messages. I know I am preach- here concerned with the Holocaust. The ing to the converted, but it is too easy to author concludes that... isolate ourselves from these popular trends «bad history is bad for a culture. because we feel impotent to combat them. Americans need to know how change has That is our challenge and our obligation. occurred throughout our history [...] to understand the importance of institutions and organizations and movements»5.

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CARLA GIACOMOZZI Stadtarchivarin der Stadtgemeinde Bozen - Italie GIUSEPPE PALEARI Responsabile della Biblioteca Civica Popolare del Comune di Nova Milanese - Italie

Un sujet d’éducation : les camps

Les expériences de deux municipalités italiennes

Salutations précisément à Bolzano en ce qui me concer- Bonjour à tout le monde et merci à la ne et à Nova Milanese pour M. Paleari. Fondation Auschwitz qui nous a permis Je souligne qu’il s’agit de municipalités, et d’être ici aujourd’hui. non pas d’institutions de recherche ; en par- Le fait est très important parce que nous ticulier, M. Paleari est responsable d’une avons ainsi la possibilité de faire connais- bibliothèque et moi je travaille aux Archives sance directement avec beaucoup de col- historiques de ma ville de Bolzano. lègues et de leur communiquer notre expérience. Dans la ville de Bolzano, il y avait un camp nazi de passage, actif à partir de l’été 1944 jus- Une salutation affectueuse aux déportés ici qu’à fin avril 1945 ; plus de 11.000 personnes présents et à tous les déportés avec lesquels ont transité par ce camp, dont la plupart nous travaillons. Merci à eux et à leur volon- ont été emprisonnées pour des raisons té de ne pas oublier et de témoignager. politiques.

Qui sommes-nous ? Nova Milanese est une petite région près de Milan. Comme beaucoup de régions Mon collègue et moi, nous travaillons dans d’Italie, elle fut un lieu de résistance pen- deux municipalités de l’Italie du Nord, plus dant la seconde guerre mondiale dont des

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habitants furent déportés et dont trois mou- L’école et les élèves/étudiants sont pour rurent dans les camps nazis. nous les destinataires privilégiés de tout notre travail. Mais l’histoire récente de nos villes n’est pas une raison suffisante pour justifier l’in- Vous connaissez certainement les lacunes térêt constant et pas du tout commémoratif en histoire contemporaine qui marquent de nos administrations publiques à l’égard du les programmes scolaires italiens. sujet de la déportation. C’est seulement à partir de novembre 1996 que le Ministre italien de l’Education natio- L’attention est supportée par la volonté poli- nale a établi, avec le décret numéro 682, que tique des administrateurs et, surtout, par les enseignants des dernières années de l’éco- l’engagement idéal et personnel de ceux qui le du premier et du second cycles doivent y travaillent. développer et améliorer la connaissance de Les deux municipalités de Nova Milanese et l’histoire de notre siècle. de Bolzano ont élaboré deux projets pour La déportation et les camps font bien partie l’étude de la résistance, la déportation et la de cette période. Mais les moyens d’ap- libération : le projet «Pour ne pas oublier» prentissage sont insuffisants. pour Nova Milanese, réalisé à partir de 1993, et «Histoire et Mémoire : le camp de De l’autre côté, les jeunes sont intéressés Bolzano» pour Bolzano, réalisé à partir par la connaissance de notre passé récent de 1995. auquel ont participé leurs grands-parents, les membres de leur famille et leurs proches. Il s’agit de deux programmes semblables C’est pourquoi depuis 1993, M. Paleari a pour la récolte, la production et la divulga- élaboré une proposition didactique pour la tion des vidéo-témoignages des survivants diffusion de la connaissance de la déportation italiens des camps nazis, qui ont été empri- politique, qui a été expérimentée pendant sonnés et déportés pour des raisons poli- plusieurs années à Nova Milanese et dans tiques, ainsi que pour la diffusion de d’autres régions d’Italie. connaissances sur la déportation politique italienne. De 1996 jusqu’à aujourd’hui, ce projet a intéressé environ 5.000 élèves/étudiants. La partie du projet qui concerne la récolte et Ce projet didactique «Conoscere e comu- la production des vidéo-témoignages a déjà nicare i Lager» («Connaître et communiquer été décrite dans l’article que nous avons pré- les camps») s’est développé progressive- paré pour le Cahier de la Fondation ment pendant des années jusqu’à la forme Auschwitz. actuelle qui a été adoptée pour la première Maintenant nous parlerons de la partie qui fois cette année et adaptée par la municipa- concerne la divulgation des connaissances sur lité de Bolzano. la déportation, en particulier politique, et La ville de Bolzano a proposé le projet aux sur les camps. écoles du premier et du second cycles de Bolzano et du reste du département, en Il est très important pour nous de diffuser la langue italienne, allemande et rhéto-romane. connaissance de la déportation politique parmi les gens, ou plutôt dans le territoire, Depuis le début, l’initiative avait le caractè- comme nous préférons le dire parce que re d’une activité constante, complexe et non cette définition comprend aussi l’école. épisodique. Elle a vu la participation active

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de plusieurs classes de collèges et lycées qui 1) une série d’expositions itinérantes, pho- ont pris part aux différentes phases du projet. tographiques et documentaires, sur le Le projet a intéressé presque 1.300 thème de la déportation ; élèves/étudiants et plusieurs enseignants de 2) une série de rencontres avec des diverses disciplines. hommes et des femmes qui ont été déportés dans les camps nazis ; Les camps comme sujet 3) les vidéo-témoignages que nous avons réalisés nous-mêmes ; d’éducation 4) des conférences scientifiques sur le Le projet «Connaître et communiquer les thème de la déportation ; camps» comprend différents moments d’in- 5) la visite guidée des lieux locaux liés à la formation et de contact entre les élèves/étu- résistance et à la déportation ; diants et l’extérieur. 6) la visite guidée d’un ou de plusieurs Le projet se développe autour de trois points camps nazis, en Italie et à l’étranger. principaux : Après la première phase du projet, la secon- 1) les témoins qui ont survécu aux camps de consiste à l’élaboration des données et (source orale) ; des renseignements recueillis ; ce travail est 2) les lieux ou bien les camps en Italie et à fait dans les établissements scolaires et dans l’étranger (source matérielle et docu- les heures de cours. ments) ; Suit la troisième phase, le moment de la 3) le territoire local (source matérielle et communication des résultats du travail de documents). recherche des écoles. Dans cette phase le Les objectifs du projet sont : projet propose : 1) une exposition du matériel élaboré par • la reprise de la mémoire historico-socia- les élèves/étudiants dans les formes qu’ils le ; ont eux-mêmes choisies (récits, textes • l’approfondissement de la connaissance récités, dessins, photos, musique, affiches, historique des années 1943-1945 ; vidéos, pièces, hypertextes, ...) ; • la connaissance et la valorisation des 2) la diffusion de tout ce matériel, sous forme vestiges du temps présent sur le terri- écrite (livre, fascicule) ou par images toire ; (exposition itinérante). • la reconstruction d’une partie de l’his- toire locale à travers la recherche ; Notre intervention • la création de matériels communicatifs ; Nous intervenons dans le développement du • l’engagement des jeunes pour ne pas projet sous forme indirecte et directe. oublier. Chaque proposition de la première phase Le but à atteindre se développe en trois suppose notre intervention indirecte. moments, à savoir l’acquisition, l’élaboration Pour les enseignants et pour les élèves/étu- et la communication des connaissances sur diants nous avons préparé des feuilles d’in- la déportation politique. formation et d’orientation, comme par Dans sa première phase (acquisition des exemple une liste de livres et de vidéos sur la connaissances) le projet propose : déportation, des fiches pour la connaissance

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du territoire local, des notices biographiques Une situation bien semblable de rapport des déportés qui parlent aux jeunes ou des informel et productif avec les élèves/étu- itinéraires pour les visites autoguidées dans diants se développe aussi pendant les visites les camps. Nous tenons à disposition des aux camps nazis. intéressés une copie de ces papiers. L’intervention directe se développe dans les rencontres, les visites aux camps et pour la Pour finir documentation photo et vidéo de chaque phase du projet. Nous interviewons aussi les La semaine passée nous avons organisé la élèves/étudiants pendant leur travail d’éla- dernière rencontre avec les enseignants qui boration, ainsi que les enseignants à la fin du ont pris part au projet didactique pour une projet. évaluation finale des propos et des travaux. Pendant toute la durée du projet, nous avons Tous les enseignants ont souligné la validi- aussi des contacts constants avec la presse et té du projet qui a vivement intéressé les la télévision de la région qui donnent un élèves/étudiants et les classes qui ont suivi espace aux différentes phases du projet. toutes les initiatives du projet ou seulement Les rencontres avec ceux qui ont survécu aux une partie. camps que nous organisons dans les éta- blissements scolaires sont gérées directe- En plus, nous pouvons mesurer le succès du ment par M. Paleari. projet en considérant la quantité et la quali- té des oeuvres présentées par les élèves/étu- Au début il demande ou bien il donne aux diants à l’exposition finale. élèves/étudiants des renseignements géo- graphiques et historiques ; cela est néces- Et pour finir, une réflexion. saire parce que presque tous les jeunes italiens ne connaissent ni les chiffres ni les Diffuser la connaissance des camps nazis dates concernant la déportation, ainsi que parmi les jeunes n’est pas uniquement une pour établir un dialogue immédiat avec eux. question de connaissance historique parce Ensuite, il commence l’interview avec un que les camps et les témoignages des survi- ou plusieurs déportés en même temps, sui- vants nous transmettent également une série vant l’ordre des événements propres à cha- de messages et de valeurs. cun, à partir de l’arrestation jusqu’à la Le projet «Connaître et communiquer les libération. camps» est une partie d’un itinéraire plus Les élèves/étudiants participent aux récits vaste d’éducation à la tolérance, à la coopé- avec une attention intense parce que les his- ration, à la solidarité et à la paix. toires que livrent les protagonistes sont très intéressantes et parce que M. Paleari est Nous sommes désolés de ne pas avoir pu capable de percevoir les éventuels moments vous montrer quelques images du projet d’incompréhension de la part des jeunes, décrit ici. moments qu’il éclaircit toujours avec des mots simples et avec une grande et sympa- Merci a tous pour votre attention et à thique compétence. bientôt. A la fin de la rencontre, la place est laissée aux questions des élèves/étudiants et des enseignants.

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GEOFFREY H. HARTMAN Faculty Adviser and Project Director Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies Yale University - U.S.A.

Survivor Videotestimony : Challenges and Limits

The cautions I will express in this report are enough ; but it is true that two arguments not meant to detract from the remarkable, can be made to modify this proposition. world-wide effort to collect videotestimonies The first is based on a principle Yale adopt- of individuals persecuted by the Nazi regime. ed from the beginning, that every survivor I have previously estimated that when our or witness should be given the opportunity ever-more closely coordinated work is com- to speak, and especially those who are not lit- pleted, the various organizations involved erate or motivated enough to put their expe- will have gathered over 120,000 hours of riences in written form. We did not seek witness accounts. But it is time, surely, for a out an elite but welcomed everyone ready to critical assessment of our experience in talk. The second principle is that from the recording and gathering stories that bring interviewing process we learn that the most the survivors and those they remember into important element is the witness, and that the present - an act that both augments while the interviewer can miss opportunities human memory and defeats the tendency and weaken the interview, the personality of to refuse to learn from terrifying and inhu- the survivor is what stands out. So that, sta- man experiences by letting them pass into an tistically, even if some of the 50,000 inter- inert stage, into history as mere storage. views planned by Spielberg should be less My caution, then, is that quantity does not careful and probing than they might have mean quality. This should be obvious been (and the same, doubtless, could be said

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of some of the 4000 interviews gathered by witness events to the psychic, transgenera- Yale and its affiliates), they will collectively tional resonances of those traumatic yield important data and, above all, present experiences. portraits of remarkable people. Whether we should also try, in these last Urgency prevails in the area of documen- few years of taping, to find perpetrators tation ; haste should not. The most impor- who may be ready to be honest, in addition tant single step taken by Yale, beyond not to bystanders whose corroborative evidence limiting the duration of the interview, was to has always been important, I am less clear diversify the milieu of the testimonies. Even about. Nevertheless, how they portray what their range over time - starting in 1979 and happened and their thoughts after the fact continuing at least to the year 2000 - is sig- may add a dimension we should have. More nificant. I have argued elsewhere that testi- promising, I think, are the interviews of monies differ according to the Dan Bar-On and Gabriele Rosenthal with memory-milieu ; that the same experience is certain sons and daughters of the persecutors. affected by the time and place in which it is Videotapes of that generation’s effort to find recorded. But this is a hunch, a strong first truths occulted by their families and to ded- impression, and needs study. It might even icate themselves to testify in a public way can be advisable to do a number of reinterviews contribute to programs of «Politische to estimate more accurately what difference Bildung» in Germany’s schools. is made by the memory-milieu. A correlative of the above is that the third Over time, the interview itself has not been phase of each testimony, in the basic for- standardized, and probably could not be, mat set up by Yale, the phase which covers given our criterion of listening supportive- the return from the camps or hiding places ly, and in an open, non-interventionist way. and the task of resocialization, provides an Yet Josette Zarka has studied the differences immense and valuable field for research. between interviewing techniques in France No doubt much of what we know will sim- and America, to see if distinguishing con- ply be confirmed : in addition to examples stants appear. If there are real differences of warmth and generosity, there was also between interviewers in America, France, at times ambivalence in those who wel- Belgium, Slovakia, Israel and Germany, comed the returnees, and a failure to really what cultural presuppositions do these look after their psychic needs. Many were reveal ? I am not sure that this research can asked, as if they possessed some inner magic, be done with scientific precision, because to fit back in as if nothing had happened. the interviewers come from so many kinds Post-war exhaustion explains some but not of social and professional strata. Historians, all of that. But we certainly have the mate- moreover, have been generally reluctant to rials to study differences of reception in cooperate with an oral documentation pro- various countries - the United States, France, ject, so that, despite the informational train- Israel, Germany, Poland - and to follow up ing given the interviewers, some important on the long-range effects of the Shoah on the opportunities were lost. In compensation, by survivors and their families. In my opin- our not intervening too much, the intervie- ion, a limited new project may be appro- wees were often able to enter and follow priate : interviewing the sons and daughters their deeper memories, and the agenda of the of the survivors, in which the emphasis interviewers did not foreclose future kinds would shift from the historical and eye- of questions. But the frame of the inter-

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views, in any case, should be made as «trans- sis should gradually shift back from videotes- parent» as possible. timony to the genre of testimony as a whole. The number of themes for research, more- Diversification was also crucial to gain a over, published in the back pages of the new less partial, less prejudiced, picture of the Cahier International, suggests that we may persecution as a whole. It is difficult to find be at a turning point : in addition to indi- witnesses, at this point in time, for the ear- vidually initiated and sustained research - liest years. But filming in America alone, which should remain the core - here might where most who came were racially perse- be more ambitious projects involving inter- cuted immigrants, would not have yielded disciplinary groups, as is already effectively a satisfactory picture of the political action the case, when documentaries are made. that took place in Germany in the 1930s or in France, Belgium and Continental Europe What concerns me most at this point, how- generally in the 1940s. I realize «resistance» ever, is that with the immense number of is a concept that needs differentiation, and it recently recorded video-testimonies, and has recently expanded from armed inter- the growing dominance of a société du spec- vention to spiritual and interior «resistenz». tacle, there will be a drive to market these But leaving that important issue aside, we video accounts, and that they will become should not be so exclusively immersed in the commodities for TV or even collector items. importance of videotaping at this relatively Except for certain exemplary extracts, they late date, to forget other, written documen- should not be put on the internet - I have tation, or the people, if still alive, behind it : argued previously that the Hollywood French and sometimes Yiddish récits de assumption that the audiovisual product déportations from 1944 on, or the attestations has its own standing and can make its way assembled by the VVN, the Verein der without critical or explanatory comment, Verfolgten des Nazi-Regimes, between 1945 while healthy as a general principle, should and 1953, especially in the Soviet Occupation be modified in this case. Holocaust educa- Zone and then the DDR, and available since tion must not be reduced to videos or doc- the reunification of Germany in the umentaries made from them, even when Bundesarchiv at Berlin. Their original aim accompanied by teachers’ guides. The wit- was mainly as Vorlagen for juristic proce- ness accounts are not only stark enough to dures ; but they remind us today how soon possibly induce secondary trauma in social democrats and communists were tar- younger people, so that pedagogical cau- geted by the Nazi state, and the immediate tion is needed ; they may have errors (often setting up of camps and detention centers quite innocent), and, in any case, they need after the transfer of power in 1933. There are to be contextualized, treated as texts that detailed narratives to be found about the require and benefit from interpretation. murderous persecutions of political oppo- Guidance for them should come, however, nents and «Bibelforscher», the constant less in the form of preemptive commentary harassment of «Mischlinge» and those in than through the help of informed people, mixed marriages, and reports on institu- some professionals, some not, who would tional arrangements, such as the Revier at discuss the videos, or montages made from Ravensbrueck. The detail and immediacy them, in the community or as part of a cur- of these witness accounts - and I am sure riculum. In short, the teacherly frame and with the opening of Russian archives there communal possibility of discussion should will be many more - suggest that our empha- not be removed.

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From its beginning the Yale project had a active reception ; in effect, how to curate communitarian purpose. We favor, there- these precious documents. fore, finding a secure and curated deposito- ry in each country of provenance, with Yale Along with this long-range perspective or the originating organization acting as comes the crucial matter of how to pre- central and supporting archive. I hope, more- serve the time-sensitive medium of video. If over, that in the near future educational or digitization develops into an entirely reliable philanthropic institutions will provide funds technique for preservation, then the problem for scholars to work in these video archives is solved. But technological experience in and to research not only specific Holocaust this area indicates that new solutions con- issues but also the best use to which the tinue to make older ones obsolete, so that videotestimonies might be put in various approximately every decade brings an pedagogical contexts. It is essential that these advance which makes outdated equipment récits de vie - et de mort be integrated effec- harder to purchase and may restrict access. tively into museum exhibits and school programs. Finally, it is important to remind ourselves that whatever advances in methods of tech- What remains to be said refers to technical nical reproduction there are, the original matters. In the future, cataloguing of the testimony must be preserved as the guar- testimonies should be standardized enough antor of authenticity of all sequent genera- to allow a joining of all collections through tions of copies. With digitization in electronic means. Mr. Spielberg is to be particular, changes can be effected in the thanked for encouraging the development of original that can barely be traced. The issue interactive formats. At the same time, a con- of the original tape’s authenticity has there- sortium should be established so that no fore to be safeguarded without compromise. single private or public corporation can dic- tate the conditions of reception or trans- mission. Each depository institution must have a choice of how to design its own inter-

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DENISE VERNAY Membre du Bureau de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Paris - France

«Mémoires de la déportation»

Un Cédérom sur la déportation partie de France

La Fondation pour la Mémoire de la [...] Il ne s’agit pas de théoriser ni de faire Déportation (FMD) a décidé à l’automne un cours d’histoire sur la Seconde guerre 1995 de réaliser un Cédérom sur tous les mondiale, mais de partir d’éléments réels : déportés partis de France, ceux de la lieux, personnes, événements, afin de Résistance, ceux de la Shoah et les autres. mieux faire comprendre ce qui s’est passé.» Notre camarade Yvonne Cossu a fort bien «Les composantes de notre CD ROM, résumé son but, en octobre 1997, dans le qui est une oeuvre collective, sont donc : bulletin de l’Amicale du camp de Neuengamme, où son père est décédé : • des témoignages de déportés, enregistrés en vidéo ou en audio, «C’est principalement de sensibiliser le public, et particulièrement les jeunes, le • des photos et des dessins, public scolaire, au monde de la déporta- tion, de les inciter à se poser des ques- • des cartes et plans, tions et de les informer. Son rôle est de • des textes et des chiffres, textes lus par de transmettre et de perpétuer une mémoire grands acteurs motivés : Catherine qui s’affaiblit de jour en jour, tant par Deneuve et Richard Berry ont géné- l’éloignement dans le temps que par la reusement donné leur voix , disparition progressive des témoins de cette période. • enfin de la musique.»

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Ainsi notre Cédérom comporte environ Déportation d’avril 1997... Il ne sera dis- mille images, cinq mille pages de textes, ponible qu’à la fin juin prochain. glossaires et bibliographie. 3 - Arriver à faire travailler ensemble avec Avant d’aborder leurs thèmes de plus près, il efficacité d’une part l’équipe technique, me faut évoquer trois des principales diffi- composée de jeunes gens rompus aux cultés auxquelles nous avons eu à faire face : problèmes des technologies de l’infor- matique mais ignorant presque tout de 1 - Trouver un maître d’oeuvre : après la déportation comme d’ailleurs les jeunes appel d’offres, notre choix s’est porté, en volontaires faisant leur service militaire avril 1996, sur la SGIP-Publicis. Cette au sein de la FMD, et d’autre part les sur- société a renoncé à faire des bénéfices sur vivants âgés qui apportent la matière même le traitement d’un tel sujet. Par ailleurs, à pour le contenu, mais sans connaître la juste titre, nous comptions profiter de ses technique du numérique. Les uns et les compétences aussi bien que de sa vaste autres travailleront ensemble assidûment. notoriété. Restait à définir les tâches de L’enrichissement réciproque qui en est chacun. Le cabinet d’avocats spécialisé résulté n’est pas une des moindres réussites d’Alain Bensoussan nous a bénévolement de cette aventure. Car ce fut bien une apporté concours et conseils tout au long aventure. Par optimisme ou par incons- de ces deux années. cience nous ne mesurions pas la com- 2 - Trouver les fonds nécessaires : la plexité, la pénibilité et la rudesse de la Fondation pour la Mémoire de la tâche. Déportation se met en quête de parte- A la fin de 1995, la FMD constitue une naires : les ministères de l’Intérieur, de la commission où sont représentés toutes les Défense, des Anciens combattants, de déportations, les centres d’archives et de l’Education nationale, et maintenant de recherche, à savoir le CDJC à Paris, les la Culture, acceptent de soutenir cette musées de Besançon et de Champigny prin- entreprise par différentes procédures, ainsi cipalement, qui nous apporteront une aide que la Communauté européenne. Je ne incomparable, les Archives nationales, celles peux passer sous silence l’acharnement de la délégation à la Mémoire et à dont a dû faire preuve le colonel Mercier, l’Information historique du Ministère des notre directeur, pour rassembler tous les Anciens Combattants, celles de la Défense moyens nécessaires, pour couvrir sans par son Etablissement Cinématographique faille le vaste domaine des cessions de et Photographie des Armées (ECPA), de droits d’auteurs des livres cités, des pho- l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) tos et films utilisés, de la musique sélec- ont répondu à nos demandes ; des histo- tionnée. J’insisterai aussi sur les efforts riens spécialisés acceptent de nous apporter permanents de la SGIP-Publicis, maître leurs compétences. d’oeuvre, qui a fait face à des dépenses largement supérieures au budget prévu La Fondation me demande de prendre la en raison de la prolongation de plus d’un responsabilité de ce nouveau projet alors an qui s’est révélée indispensable à l’équi- que j’achevais de faire diffuser Le guide des pe technique, pourtant plusieurs fois ren- sources documentaires sur la déportation forcée comme aux anciens déportés, conservées en France. Peut-être parce soucieux avant tout de ne laisser passer qu’étant déportée de la Résistance et juive aucune inexactitude : nous pensions lan- étais-je plus apte qu’un autre à ressentir et cer le Cédérom pour la Journée de la comprendre les différences essentielles de

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leur vécu ; quant aux conditions de ces à établir et à rendre lisibles. Pointez sur le déportations, vous savez quel hiatus les nom du camp et vous arrivez sur une fiche sépare. Audacieusement, j’ai accepté. du camp, une photo aérienne si elle existe, puis le plan du camp. A partir de ce plan on David Znaty, directeur général de la Publicis a accès au Revier, à la place d’appel, à la cui- Technology (ex SGPI), présente alors à la sine, aux blocs, etc. Tout le travail de collecte commission le responsable technique du par mots-clés qui avait été entrepris par les projet, Jean-Luc Rodriguez, et nous choi- différentes Amicales et fédérations est à sissons le directeur artistique en retenant revoir et à reclasser par lieux. parmi trois propositions celle de Francis Bouny. Pour ces deux personnes aux postes- Les récits existants se révèlent insuffisants, les clés, David Znaty organise deux visites ini- informations dans les divers ouvrages n’étant tiatiques auxquelles il se joindra : l’une, fin pas ciblées. Contrairement à ce que nous juillet 96, de 36 heures d’immersion à avions décidé au début nous sommes donc l’Holocaust Memorial Museum de amenés à écrire des textes sur des thèmes Washington à laquelle je suis conviée, puis à précis. Ceux-ci ont été soumis à l’approba- l’automne au Memorial de Yad Vashem en tion de la commission, en prévoyant qu’ils Israël et du «Ghetto Fighters House» qui seront lus en voix off et non déchiffrés sur comprend un musée spécialement conçu l’écran. Trouver les illustrations variées et pour informer les enfants de la Shoah. A convenables dont la localisation et la datation ces deux institutions, nous avons remis le sont certaines se révèle excessivement diffi- schéma synoptique du Cédérom, pour cile. La bonne volonté des jeunes chargés de recueillir leur avis. Voyages intenses qui cette quête auprès des centres d’archives et créent des liens entre les participants des de documentation qui nous sont généreu- deux générations. Ces relations seront appro- sement ouverts ne peut suppléer à cette fondies à la faveur de réunions mensuelles, absence d’images et de preuves car il ne peut près d’une année durant, des jeunes équipes être question d’avoir recours à une fiction. avec la trentaine de déportés de la Le choix des témoignages vidéo doit être commission. très strict car tout ce qui est film est très Une arborescence est adoptée. Les modules lourd en mémoire et nous devons les comp- déterminés. La parité entre les deux dépor- ter en minutes, voire en secondes. Manette tations reconnue nécessaire par tous. Il serait Martin-Chauffier, responsable de la vidéo- répétitif de présenter exhaustivement - thèque pour la FMD, elle vous en a déjà d’ailleurs le peut-on ? - tous les camps et entretenus, a pu nous éclairer dans nos choix. tous leurs Kommandos. Nous retenons huit Nous avons voulu intégrer tant et tant d’in- camps et leurs spécificités : Auschwitz- formations que nous devrons probable- Birkenau, Buchenwald, Dachau, Dora, ment, tout en fin de parcours, réduire Majdanek, Mauthausen, Neuengamme, quelques modules nous forçant ainsi à des Ravensbrück. Il est dur de faire admettre choix cruels. aux anciens d’Aurigny, de Bergen-Belsen, de Le Cédérom doit faire comprendre aux Flossenbürg, de Struthof, d’Oranienburg, et récepteurs ce que fut le nazisme, le contex- j’en passe, que «leur camp» n’apparaîtra te français avant et après l’invasion de mai qu’à travers une fiche historique et trois ou 1940, Vichy, la persécution des juifs, des quatre écrans. communistes, des francs-maçons, les camps Comment procéder ? Partez des cartes du d’internement et de transit, la Résistance et Reich variant suivant les années, très difficiles la répression qu’elle entraîne, les rafles, les

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arrestations, le train, les camps et le système phie sont incorporés. Malgré toutes ces pré- concentrationnaire, l’extermination des juifs, cautions, nous restons modestes et ne pou- les prisons en Allemagne et les vons qu’espérer n’avoir laissé passer qu’un Einsatzgruppen, les marches de la mort, la minimum d’erreurs. Etant responsable de ce libération des camps, le retour et l’accueil en Cédérom dont j’ai eu à contresigner de bout France, enfin la mémoire. en bout chaque morceau, je voudrais me permettre un commentaire personnel et tout Je vous énumère cela pêle-mêle puisqu’un d’abord remercier Grégory Chatonsky qui, Cédérom permet une navigation au gré du au sein de la Fondation où il effectuait son manipulateur qui peut privilégier à sa guise service militaire, nous a aidés au delà de son un chapitre ou un autre, mais en aucun cas temps et tout au long, à mettre en valeur ce interrompre un témoin. Il existe aussi certains que nous voulions, nous déportés, trans- passages obligés, tels les écrans montrant le mettre, à coordonner les deux générations, nombre de déportés partis, le nombre de et s’est révélé talentueux dans tous les déportés revenus selon l’état actuel des domaines. Ce qui me touche, en outre, c’est connaissances. Rappelons que Catherine que ce Cédérom «Mémoires de la déporta- Deneuve et Richard Berry ont eu la géné- tion» soit la création totale de déportés de rosité de donner leur voix et ont enregistré la toute tendance et de toute expérience, sans plupart des textes thématiques et, vous en exclusion aucune. jugerez vous-mêmes de façon bouleversante. La musique d’accompagnement, retenue Ce qui a été réalisé est, je crois, oui je crois parmi des compositions de créateurs dépor- vraiment, un très beau et bon produit dont tés, sont en cours de montage. il faut maintenant assurer la diffusion. Disponible probablement à la fin juin, son lancement public interviendra cet autom- Conclusion ne, au début de l’année scolaire.

Réaliser un Cédérom pour maintenir la Souhaitez-lui, je vous prie, grand succès. Je mémoire et informer les jeunes, implique vous remercie de votre attention et suis prête une rigueur extrême et les vérifications sont à répondre à vos questions si elles ne portent nombreuses. Avec l’aide de nos amis his- pas sur le plan technique. Après trois ans de toriens, le pilote qui a été désigné pour ava- compagnonnage, je suis de plus en plus dans liser le module revoit le montage écran après l’admiration du travail des spécialistes, mais écran, après lecture par un correcteur pro- toujours incapable de comprendre les méca- fessionnel de tout ce qui est écrit et de la nismes mis en oeuvre. bibliothèque très importante afférente à chaque thème. Un glossaire, une bibliogra-

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JOSETTE ZARKA Professeur Emérite de Psychologie Université de Paris X, Nanterre - France

Pollution humaine : promiscuité et proximité

Cet exposé s’inscrit dans le cadre d’une de «pollution humaine» n’est pas une méta- mes interrogations permanentes. Comment phore, c’est une réalité concentrationnaire a-t-on pu survivre aux camps d’extermina- difficile à saisir. tion à la fois physiquement, moralement et psychiquement ? J’entends par pollution humaine : a) un cli- mat de violence permanente entretenu par les Cette pollution se définit par «la dégrada- excès de certains déportés ; b) Comme la tion de l’environnement humain». pollution de l’air, la pollution humaine est Cependant cette dégradation, à la diffé- indifférenciée, pas toujours bien localisable, rence de la pollution sensorielle, est à la elle s’étend un peu partout dans les camps et fois une cause et un effet. relève d’un effet de masse ; c) Elle se répand par «contagion/contamination». La dégradation humaine concerne avant tout les promoteurs et l’encadrement du Le terme «mortifère» peut paraître exagéré camp. Cependant je limite mon analyse aux pour désigner cette influence. Je l’utilise rapports entre déportés, étant entendu qu’ils néanmoins en me référant à la finalité de sont régis par les instances du camp qui l’instauration de ces camps. C’est-à-dire la visent à les anéantir sur tous les plans. La destruction totale d’un peuple et de sa cul-

— 177 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL ture ; au delà du massacre des individus. Le 1) Effet de masse camp sera agencé en vue de la désagrégation Un effet de masse se révèle quand on ne de tout tissu social. parvient plus à distinguer dans une foule les individus les uns des autres, et quand A travers le pourrissement des relations entre chacun risque de se confondre avec les autres. les gens, on cherche à supprimer le lien En se confondant avec les autres, on abdique social et son noyau en chacun. Tout dans le un peu de sa singularité. La violence des quotidien tend à monter les déportés les uns interpelle parfois celle des autres. uns contre les autres. Comment dans un tel climat ne pas succomber à la violence et au Les effets de masse se réalisent dans la désespoir, à la violence du désespoir et au «concentration», chacun empiète sur le ter- désespoir de la violence ? En termes plus ritoire de l’autre. Ils se produisent donc à tra- directs et plus clairs, comment ne pas deve- vers l’exclusion de toute intimité. nir à son tour fou ou pervers ? Cette ques- Dans un monde régi par la destruction et la tion est extrêmement dérangeante. violence, la promiscuité est une source sup- plémentaire de violence. La «concentration» Je ne prétends pas avoir de réponse mais s’inscrit dans la logique interne de l’exter- j’ai des exemples et aussi quelques hypo- mination. «Animaliser» des humains pour les thèses à partir de ces exemples. massacrer sur tous les plans.

2) La promiscuité Je tiens à revenir de manière peut-être sim- Ière partie : pliste sur cette notion qui m’est apparue à la base de la détérioration des rapports entre les Effet de masse, promiscuité gens. Dans les espèces animales, la désinté- et dégradation gration du lien social s’opère quand cha- cun peut empiéter sur le territoire de La pollution humaine est, je le redis, la résul- l’autre/des autres. La horde alors se disper- tante des interactions entre les gens. La se et se disloque. dégradation de l’un est fonction de celle de Il ne s’agit pas ici d’une intrusion fantas- l’autre (ou des autres). Elle est donc abso- matique (même si cela s’en rapproche) mais lument insaisissable et on baigne dedans. d’une violation réelle du territoire personnel L’avantage de se fondre dans une masse est de de l’espace (physique et psychique) de passer inaperçu. A un moment ou a un autre chacun. on peut s’y sentir à l’abri. Dans le même La promiscuité «obligée» suscite et aggrave ordre d’idées, certains ont déclaré que leur la promiscuité «consentie». Un témoin dit petit gabarit leur avait parfois permis d’évi- que depuis sa déportation toute promiscui- ter des coups auxquels les grands était plus té lui fait horreur. Il livre l’image frappante exposés. En dehors de ces aspects d’invisi- de gens qui s’agglutinent les uns sur les bilité, l’immersion dans une telle foule ne va autres pour se tenir chaud. Une vision du pas sans risques. L’invisibilité est certes fort même ordre est donnée par quelqu’un qui commode et souvent salvatrice. Mais en s’était mis en sandwich entre deux personnes poussant la métaphore jusqu’à l’extrême, brûlantes de fièvre. Ces scènes suscitent un elle peut porter atteinte à l’identité et à la limi- grand malaise chez les sujets qui ajoutent te conférer un sentiment d’inexistence. qu’un tel collage physique relève de l’ani-

— 178 — INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY malité. L’imprégnation à ce niveau très 4) Contamination et désespoir concret est à la fois confortable et intolé- rable. La propagation de la chaleur des uns Tous les témoins conviennent que la vie aux autres mobilise des instances pulsion- concentrationnaire transforme les gens. Les nelles antagonistes. La conservation et l’ex- exemples de «dégringolades» observées sont clusion de soi qui produisent simultanément légion. Ils concernent principalement les une fusion entre les gens et une mobilisation trahisons entre proches, et la détérioration de leur charges agressives. Ainsi dans la pro- des rapports entre parents et enfants, à la miscuité, le lien social tend à se désagréger au limite de l’infanticide ou du parricide (en profit d’un archaïsme contagieux et collectif. volant la part de l’autre). En revanche, j’ai relevé très peu de faits objectivement dégra- Pour illustrer la désintégration du lien social, dants pour les sujets eux-mêmes. Freud cite l’exemple des HERISSONS qui, pour lutter contre le froid, doivent se rap- Ils expriment souvent des sentiments de procher mais jusqu’à une certaine limite à ne culpabilité ou d’indignité d’avoir subi tant de pas franchir sous peine de mettre le groupe souffrances et d’humiliations. Certains s’at- et chacun en péril. tardent à se noircir. Cependant de l’exté- rieur on ne décèle guère de traces de violence 3) L’absence d’intimité sauf à de rares exceptions (du moins dans les Au camp, l’agencement des lieux proscrit récits des déportés de France). toute intimité. L’intimité renvoie à un coin de soi (ou d’une relation) réel ou symbolique La contamination quand elle est consciente que l’on ne veut pas montrer. Elle requiert provoque du désespoir plutôt que de la vio- un coin à soi, c’est-à-dire un (des) lieu(x) lence. Elle s’opère par le biais de visions destiné(s) à la respecter, la violation de son traumatisantes. intimité est une tentative de dépossession d’un aspect de la personne qu’elle répugne Les occasions de voir la déchéance des autres à livrer. sont si fréquentes que beaucoup ne s’en aperçoivent même plus. Cependant il arrive Dans ce contexte, l’image que les monstres à des sujets d’être tellement horrifiés qu’ils donnent à voir serait d’autant plus dévasta- ne peuvent pas se départir de ces visions trice et angoissante que l’on assiste à la dégra- atroces. Un sujet revoit de manière quasi dation d’autres humains aussi exposés que hallucinatoire une scène où des gens se pré- soi-même. Dès lors on se sent fragilisé par cipitaient sur un moribond pour lui arracher l’observation des influences délétères qui se son dernier bout de pain et le dépouiller de produisent chez le voisin. Mais la présence ses oripeaux. du danger occulte momentanément l’an- goisse de contamination qui néanmoins peut Depuis cette scène il est HANTE à l’idée de persister à l’insu de chacun. mourir au travail dans la gadoue. Tous les L’entassement dans les châlits où la place soirs avant de s’endormir il implorait le ciel manque cruellement (à la fois en hauteur de mourir dans son sommeil. Il avait peur de et en largeur) et que beaucoup comparent à tomber aussi bas que les charognards autant des cages à lapins révélerait à lui seul la que de subir le sort du malheureux dépouillé volonté de désindividualiser les gens. Cet avant son dernier souffle. Pour sortir de entassement génère la peur et la haine a son désespoir il avait tenté de se jeter sur moins de se trouver auprès de proches ou les barbelés. Il avait retenu son élan sans d’amis. pouvoir chasser cette vision.

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Il s’était senti et se sent encore littéralement témoignages dont les contenus sont à cet abîmé par cette scène qu’il perçoit comme égard assez voisins. une grande déchéance des autres. La formation et le maintien d’un collectif implique un minimum d’attractions IIème partie : mutuelles (affinités), des objectifs (ou raisons Le Nous d’être) semblables et des normes communes. Les exemples les plus typiques que j’ai rete- et La formation du Nous nus sont ceux de groupes de jeunes déjà Tous s’accordent, je le répète, pour dire que constitués depuis Drancy. Lors du départ de la vie concentrationnaire les avait transfor- plusieurs convois, certains sujets qui n’étaient més. On insiste sur les dommages et ravages pas inscrits sur les listes s’étaient arrangés mais très peu sur les changements positifs. pour partir avec leurs copains. Le mot Les déportés ont trop souffert, ils ont trop d’ordre était de «rester toujours ensemble». payé de leur personne, et on a tellement Ils se sont débrouillés pour le suivre sur bafoué et nié leur humanité que très peu tous les plans. peuvent convenir qu’ils sont revenus plus Ce qui parfois relevait de l’exploit. Ils ne se humains. Ce gain en humanité, ils le doivent sont pas quittés (à l’exception de trois) jus- dans la plupart des cas1 à d’autres personnes qu’à l’évacuation des camps. avec qui ils ont vécu leur déportation. Une anecdote apparaît significative à cet Les effets de masse dont j’ai parlé précé- égard. Durant l’évacuation, deux amis demment se produisent dès l’ouverture des s’étaient évadés chacun de leur côté lors du portes des wagons où une multitude d’êtres bombardement de leur train. en pyjama rayé, nous dit-on, se précipitent Une fois dans la nature, ils s’étaient ravisés pour les vider sans ménagement. et étaient revenus vers leur convoi car ils ne A leur arrivée, donc, les déportés bousculés, supportaient pas l’idée d’être séparés. quasiment happés dans cet univers étran- Les amitiés nées ou développées dans les ge, n’ont d’autre recours pour échapper à camps sont indéfectibles. Primo Levi ne l’engloutissement que d’essayer de rejoindre trouve pas de mot pour la faim qui tenaillait leurs proches où des gens qu’ils connais- les déportés. Je ne crois pas qu’il y ait des sent un peu pour se rassurer et garder des mots appropriés à l’amitié entre déportés. repères quand tout s’effondre. Une de mes hypothèses centrales est que 1) Solidarité, partage l’existence ou la formation d’un collectif La solidarité ne se limite pas au partage des (plusieurs personnes ou petit groupe) va biens matériels même s’il en constitue le faire barrage aux effets de masse et contri- fondement. Quoi de plus précieux au camp buer à les neutraliser. Autrement dit l’insti- qu’un bout de pain ? Quelqu’un déclare «le tution de ces collectifs va assurer à chacun le pain c’est la vie». Partager son pain c’est respect de son territoire personnel. donner un peu de sa vie. On ne saurait La présente analyse complète celle qui figu- mieux définir les relations à la vie à la mort re sous l’intitulé «récit avec emballement» entre ces copains. Chacun sait qu’il peut mais à laquelle j’ajoute une vingtaine de trouver les autres en cas de besoin (si les

1 Je ne cite que cette situation. Elle n’exclut pas les gains en humanité chez d’autres personnes malgré leur isolement.

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circonstances le permettent) mais l’idée que et pourtant on ne se ménage pas, jamais de les autres peuvent compter sur lui est enco- faux semblant non plus. re plus tonifiante. Rester digne de la confian- Il ne s’agit pas de s’appesantir sur ses sou- ce que les autres vous accordent évite dans venirs personnels mais de communiquer sur bien des cas de sombrer dans le désespoir. un fond commun. Au delà du récréatif, la D’ailleurs la solidarité est telle que l’on ne sait multiculture à laquelle ces jeunes appar- pas toujours qui a aidé qui. Par exemple, tiennent (France, région, pays d’origine, dans les coups de mains que l’on se donne au culture Yiddish) ne les empêche pas d’ac- travail où chacun est tellement épuisé. cueillir d’autres jeunes de milieux différents. 2) Nature et modalités Tout se passe comme si le groupe s’était des échanges constitué autour de racines communes et se maintenait en adoptant un nouveau langa- En dehors des situations tout à fait drama- ge et des normes nouvelles (non dénués tiques où des sujets ont pu en sauver d’autres, d’humour, de spontanéité et parfois de ludis- les soigner, les apaiser, les protéger, etc., les me). Le groupe correspond à une famille échanges les plus féconds (c’est-à-dire qui de substitution sans les contraintes ni pres- permettent de se détendre et de se recréer) sions des systèmes familiaux. La cohésion du portent sur ce qui de loin pourrait être consi- groupe ne tient pas aux seules relations posi- déré comme des «vétilles», par exemple plats tives de personne à personne même si les préférés, films, chansons, blagues, proverbes amitiés sont extrêmement fortes. La raison yiddish, etc. qui rappellent le passé sans trop d’être de ces collectifs se trouve au confluent faire souffrir. d’une multiculture commune et d’une nou- D’autres types de conversations traitent de velle culture du camp où ils se sont défendus certains aspects de la vie au camp : critique ensemble et ont agi de concert. Ainsi ils ont de tel ou tel individu, ragots sur ce qui se une histoire passée et présente grâce à laquel- passe dans certaines baraques, bruits ou le ils ont noué des liens affectifs puissants, pré- rumeurs sur des changements (transports, servant et renforçant un lien social inaltéré, changement de gardiens etc.). ce qui représentait la meilleure manière de Mais les informations concernant le monde lutter contre le diktat des bourreaux. extérieur (progrès de la guerre), obtenues par des morceaux de journaux ou des civils 3) Proximité et différenciation polonais, rassemblent les esprits dans un Le groupe ou collectif joue un rôle «régu- espoir commun. lateur» sur deux plans. Il se différencie de la masse mais permet aussi la différenciation des Plusieurs sujets se plaisent à raconter com- sujets qui le composent. ment ils fêtaient le 14 juillet et avaient célé- bré à leur manière la libération de Paris (ils Nous avons déjà vu que le groupe constitue avaient économisé quelques bouts de pain et un «enclos» protégeant ses membres des «organisé» d’autres nourritures pour l’oc- agressions externes en même temps qu’il casion). La légèreté de certains échanges reste ouvert sur ce qui se passe dans l’envi- purifie l’atmosphère et fait fonction d’un ronnement immédiat et autant que possible dérivatif indispensable. au delà du camp. Malgré la force de leurs attaches, une extrê- Nous avons également observé que les me pudeur est de mise. Pas de débordement, modalités des échanges (pudeur, discrétion, pas de confidence mais une grande discrétion, tact), en parfaite harmonie avec la solidari-

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té/ partage, assurent à chacun le respect de ses La formation d’un «nous» implique une différences, de sa singularité. diversité. L’une des caractéristiques langa- gières de ces personnes ayant fait l’expé- Dans tout groupe chacun occupe une place rience (même passagère) d’un collectif dans reconnue par les autres. Cette place stipule les camps, est leur utilisation du pronom pour l’ensemble et pour chacun, une accep- Nous ; elles l’emploient davantage que le Je. tation, une tolérance aux particularités de Visiblement au camp, le Nous passait bien ses membres. souvent avant le Je. La solidarité entraîne de la gratitude (même si l’aide apparaît tout à fait naturelle). Cette 4) La judaïté gratitude comprend un double mouvement de rapprochement et de différenciation. Ces jeunes qui ne manquent pas une occa- sion de voler, de trafiquer, de faire, disent-ils La reconnaissance envers quelqu’un est un plein de magouilles gardaient un interdit facteur de proximité en même temps qu’el- puissant et tacite. le requiert une certaine distance. Elle s’adres- se à un autre, bien distinct, auquel on peut Ne jamais s’en prendre à quelqu’un comme éventuellement s’identifier partiellement eux. Ils entendaient par là : un Juif qui n’a mais avec qui on ne peut pas fusionner. La jamais fait de mal à un autre Juif. Ils n’ont gratitude est l’envers de l’avidité. En ce sens ni volé, ni molesté, ni rejeté un coreligion- elle est éminemment (re)constituante pour naire inoffensif. En revanche ils méprisent, celui (celle) qui l’éprouve. vilipendent, volent et agressent au besoin un Juif malfaisant. Même s’ils ne lui font La proximité affective qui requiert une cer- rien, ils ont honte pour lui. Par exemple, ils taine distance entre les personnes permet supportent extrêmement mal les kapos juifs de canaliser/catalyser la promiscuité ou (sauf rares exceptions). Ils les honnissent proximité topologique (dans l’espace). Même encore davantage que les autres kapos. si l’on se resserre pour se tenir chaud ou Compte tenu de leur norme implicite de pour se soutenir durant les appels, on main- discrétion/distance, on parle très peu de tient une distance symbolique (pudeur, etc.). judaïsme ou de religion (alors que les réfé- Par exemple, dans un esprit de partage éga- rences yiddish sont légions), comme si cela litaire des personnes avaient institué une faisait partie de la vie intime. rotation pour les places du milieu et des Parmi ces sujets, les uns sont très religieux, bords dans les châlits. Ce rite pouvait méta- d’autres pratiquants, d’autres athées et phoriquement indiquer un respect du ter- d’autres enfin férocement antireligieux. On ritoire de chacun même si l’on était obligé de a beau se moquer des gens très religieux, on l’empiéter. ne les en estime pas moins. De leur côté, les La proximité affective ne se borne pas à se religieux ne font pas de prosélytisme. Là regarder dans les yeux, elle requiert un encore, on note une tolérance réciproque. échange au delà de l’affect et qui gère l’affect. Même les plus antireligieux sont convain- A la différence de la promiscuité prêtant à cus qu’un Juif qui devient un monstre, à toutes les dépossessions, la proximité entre l’instar des bourreaux, non seulement renon- les gens implique une (des) médiation(s). ce à sa judaïté mais abdique l’essence même de son être. Les sujets ne s’y sont pas trompés. Leur consensus implicite était «la proximité, certes, En bref, la formation d’un Nous autour de mais pas la promiscuité». cultures communes représente la création

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d’un espace groupal garantissant l’espace Les groupes de femmes vont contribuer à re- psychique de chacun. féminiser ces personnes gravement blessées La raison d’être du groupe au delà de la dans leur féminité. survie individuelle de ses membres, est peut- La dé-féminisation (rasage, exposition être la défense tout au fond de soi de la digni- publique de leur nudité, déguisement en té du Juif que l’on veut broyer. guenille, etc.) les avaient déstabilisées et leur Quoiqu’il en soit, parmi les nombreux avaient donné l’impression d’être désindi- témoignages que j’ai recueillis et visionnés vidualisées. L’absence de règles bien com- (cent soixante), aucun des survivants (même mode dans ce contexte comptait aussi tout ceux qui ont changé de nom) n’a abdiqué de même parmi les atteintes à leur féminité. une judaïté qui leur a coûté si cher. Dans les groupes, le contre-exemple des monstres facilite les identifications partielles 5) Comparaison entre les hommes entre ces personnes. Chacune représente et les femmes pour l’autre une soeur, une mère, un enfant L’analyse précédente s’applique également et l’ensemble du groupe, le Nous peut figu- aux femmes à quelques nuances près. rer une image maternelle protectrice, ce qui Notamment à propos a) de la violence b) de apparaît plus délicat pour les hommes où les certains processus de groupe. identifications des uns aux autres sont moins aisées. a) La violence Chez ces femmes, à défaut de partager ce que • Les effets de masse sont peut-être moins l’on n’a pas, on partage ce que l’on est, c’est- puissants chez les femmes. Le à-dire une personne dépouillée momenta- désir/crainte de se fondre dans la foule nément de ses attributs féminins. Cette apparaît moins. condition commune les rapproche et, dans • La violence déclenche la peur, certes, une certaine mesure, leur permet de se refé- mais elle interpelle moins l’agressivité miniser en profondeur, alors que la norme de celles auprès de qui elle s’exerce. «proximité/distance» empêche les hommes Elle provoque une répulsion physique. Les de se rapprocher à partir de ce qu’ils étaient femmes éprouvent un dégoût quasi exis- devenus. tentiel face à celles qui se déchaînent. • Les rapports à la maternité • Le contraste entre la «déportée de base» Les mères ne parlent pas de leurs enfants, les et les monstres qui les entourent est plus jeunes célibataires ne parlent pas de leur visible, plus «frappant». Les monstres mère. La douleur et l’inquiétude à leur égard sont bien «repérables» (on les affuble sont trop fortes. de surnom «la tigresse» par exemple). Les cas de personnes qui changent du Mais cette question de la filiation mère- tout au tout et deviennent féroces sont enfant est omniprésente et les réunit. moins angoissants. Elles s’avèrent très Chacune peut grâce aux autres se réfugier vite des contre-exemples. Dès lors les imaginairement dans le giron maternel ou différences s’accusent et se radicalisent. bien le représenter pour les autres. b) Les processus de groupe A ce propos, j’ai analysé plus spécifique- ment des témoignages de résistantes vivant Ils sont voisins à quelques différences près. dans un bloc proche de celui des • La re-féminisation expérimentations.

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Ces femmes s’activaient autant qu’elles le Limites et réserves pouvaient auprès de jeunes filles opérées. Je n’ai traité qu’un seul aspect de la question. D’un commun accord, elles les avaient adop- L’influence des groupes dans la résistance à tées (soignées et cachées le cas échéant). la pollution humaine, c’est, convenons-en, Elles se dévouaient corps et âme à ces l’aspect le plus facile à saisir et à analyser. pauvres enfants. Elles dépensaient une On peut supposer pour les personnes isolées énergie folle à essayer de les sauver, comme que les composantes individuelles (expé- s’il s’agissait de préserver une source de vie. rience passée et dispositions personnelles) ont Au delà du lien social, c’est bien le lien ori- joué un rôle éminent. ginaire qui rassemblait ces femmes. A cet égard, il faudrait accorder une attention Résumé particulière aux réactions des déportés résis- Dans ces petits groupes, les liens interper- tants dont les valeurs, les modèles et parfois sonnels dépassent les simples liens affectifs. les idéologies se sont conservés intacts sinon Ils se tissent autour d’un lien social (cul- raffermis et/ou assouplis. tures et valeurs) qu’ils contribuent à conso- D’un autre côté, je n’ai pas pu évaluer lider. La sauvegarde du lien social passe ici concrètement l’impact délétère de cette pol- par la judaïté qui fonctionne comme un lution. Il est très difficile sinon impossible «garde-fou» en rappelant à chacun ses ori- d’en juger extérieurement. Les témoignages gines. permettent d’analyser les résistances à ce Ainsi le Nous réintègre chacun dans sa sin- phénomène plutôt que ses effets. gularité. Dans cet espace groupal, on n’est plus un numéro mais un sujet à part entière. Le petit groupe assure à chacun le droit à son territoire.

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IZIDORO BLIKSTEIN Directeur de Recherches sémiotiques et linguistiques sur le témoignage audiovisuel Centro de Estudos Judaicos Associaçao Universitaria de Cultura Judaica, São Paulo - Brésil

La crédibilité des témoignages des survivants et le négationnisme au Brésil : le cas des publications de la «Revisão Editoria»

Dans un livre publié en 1989 au Brésil, on Ce passage - que l’on croirait être un extrait peut lire le commentaire suivant : d’une pièce de Jarry ou de Ionesco - est, en réalité, la conclusion «scientifique» de Fred «En ce qui concerne les autres préten- A. Leuchter - un expert dans les projets et la dues installations d’exécution à Chelmno fabrication d’équipements d’extermination (des camions à gaz), Belzec, Sobibor, utilisés dans les prisons américaines - qui, Treblinka et toutes les autres, nous devons remarquer que le gaz de monoxyde de pour prouver l’«inexistence» des chambres carbone n’est pas un gaz d’exécution et à gaz destinées à l’exécution des prisonniers l’auteur croit qu’avant que le gaz n’aie pu à Auschwitz-Birkenau, Majdanek, etc. a causer des effets, tous auraient suffoqué. élaboré en 1988 le Rapport Leuchter Ainsi la meilleure opinion de l’auteur, en (Samisdat Publishers Toronto, Canada) à tant qu’ingénieur, est que personne n’est la demande de... Robert Faurisson ( !) et de mort par exécution au CO. [...] Opérant Ernst Zündel, un Allemand-Canadien qui à capacité maximale, les prétendues était en jugement à Toronto, accusé d’avoir chambres à gaz n’auraient pu exécuter publié de faux renseignements sur les camps que 105.688 personnes (sic !!!!) à de concentration dans une brochure où il Birkenau et cela durant une période beau- niait l’assassinat de millions de Juifs en coup plus longue [...]». chambre à gaz. Pour absurde et incident

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qu’il puisse être, ce Rapport - paru en France un peu de Castan et surtout de son idéo- et en Allemagne - a été traduit et publié en logie révisionniste. 1989, à Porto Alegre, capitale de la province • Malgré les efforts de la presse et du du Rio Grande do Sul, au Brésil, par S. E. MOPAR (Mouvement Populaire Castan, propriétaire d’une maison d’édi- Antiraciste) pour obtenir des rensei- tion qui se nomme - et pour cause ! - Revisão gnements plus précis, l’histoire de Editora. Le titre de l’édition brésilienne - Sigfried Castan Ellwanger (son vrai avec une préface élogieuse de Faurisson - est nom) reste encore obscure et contra- un symptôme très clair de la portée du néga- dictoire. On sait qu’il est d’ascendance tionnisme pratiqué par Castan : Le gaz est allemande et qu’il doit aujourd’hui être fini !... La fin d’un mythe - Le Rapport âgé de 69 ans. Dans les rares interviews Leuchter sur les prétendues chambres à gaz données à la presse de Porta Alegre, à Auschwitz, Birkenau et Majdanek. Castan a fait savoir que a) il est ingé- L’objet de mon exposé est de montrer com- nieur retraité ; b) il était propriétaire ment la Revisão Editora peut illustrer, d’une d’une industrie métallurgique qui a été façon exemplaire, les mécanismes de création achetée par une grande entreprise d’as- et de développement, non seulement du censeurs ; c) il vivait de la rente obte- négationnisme mais surtout de l’idéologie nue avec le brevet d’invention d’une raciste. sorte d’attelage pour les wagons de train ; d) pour se protéger en tant qu’éditeur et auteur de la Revisão, il a créé un pseu- 1. Naissance de la Revisão donyme en changeant l’ordre des noms Editora (Sigfried Ellwanger Castan) et en utili- sant l’abréviation S. E. Castan ; e) d’après Pour comprendre le contexte dans lequel a lui, Castan (nom de son grand-père été créée la Revisão, nous devons faire maternel qui était français) serait un quelques remarques préliminaires : nom plus acceptable pour les pays latins. • Située à l’extrême Sud du Brésil, la pro- • Il est important de signaler ici que tous vince de Rio Grande do Sul, où se trou- ces renseignements manquent de préci- ve justement la Revisão, a des frontières sion et de crédibilité. Le MOPAR a avec l’Argentine et l’Uruguay et est très constaté, par exemple, que Castan n’est proche aussi du Paraguay. Il s’agit d’une pas ingénieur et qu’il n’est pas sûr que ses région au climat sous-tropical (et même rentes proviennent du brevet froid) qui a reçu beaucoup d’immigrants d’invention. européens, particulièrement des Italiens, des Allemands, des Russes, des Polonais Le fait est que Castan est devenu le leader des et, comme nous le savons bien, des... révisionnistes brésiliens avec la parution, le anciens nazis aussi. Cela explique un 13 février 1987, de Holocauste - Juif ou peu pourquoi la région sud du Brésil Allemand ? - Dans les coulisses du menson- (constituée par les provinces de Rio ge du siècle. Dans son livre, Castan nie l’in- Grande do Sul, Santa Catarina et dustrie de la mort à Auschwitz et il justifie Paraná) a souvent été le décor de mani- sa position après avoir lu Le mythe festations séparatistes, racistes, crypto- d’Auschwitz du juriste allemand Wilhem nazies, néo-nazies, etc. Et c’est dans ce Stäglich, et surtout après avoir constaté que, décor que S. E. Castan a fondé, en 1987, lors de sa visite à Auschwitz et Dachau, les la Revisão Editora Limitada. Parlons chambres à gaz et l’assassinat de millions

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de Juifs étaient «un mensonge inventé par la quant, la Revisão naît et commence à croître propagande américaine». Lancé aux propres grâce aux polémiques, à la publicité et... aux frais de Castan dans une librairie de banlieue sympathisants de la cause révisionniste. de Porto Alegre, l’Holocauste - Juif ou Allemand ? a eu un début difficile dans l’in- différence des médias, de la critique et du 2. Le projet révisionniste de public (surtout du public juif). Mais la car- Castan rière de ce livre prend un tournant à partir d’une polémique qui a déclenché une publi- Stimulé par le succès inespéré de son livre, cité surprenante pour Castan. Tout com- Castan a mis en oeuvre son projet de publi- mence par un article publié dans la presse, le cations révisionnistes qui, comme nous le 26 avril 1987 (exactement le jour de la com- verrons, va un peu au-delà de la soi-disant mémoration de l’Holocauste), par un «révision» de l’histoire. Il suffit d’examiner conseiller municipal de Porto Alegre, Isaac le genre de textes choisis et les caractéristiques Ainhorn ; en exprimant les intérêts de la des publications pour que l’on perçoive clai- communauté juive, Ainhorn a réitéré la rement le but spécifique de Castan : montrer mémoire du génocide et a dénoncé une nou- l’influence délétère des Juifs dans le monde velle vague d’antisémitisme en critiquant et détruire ce qu’il considère le grand mythe indirectement la publication révisionniste. du XXème siècle, le génocide de six mil- C’était la grande chance à saisir pour Castan ! lions de Juifs. Le projet nous dévoile alors sa Le 29 mai, il fit publier dans la presse une connotation nettement raciste et antisémite, longue réponse à un article de Ainhorn, en dans la mesure où il reproduit les signes et contestant avec véhémence «[...] ce nombre l’intertextualité typiques du discours nazi, à magique de six millions de victimes [...]». savoir : La publicité créée autour de cette polémique a transformé l’Holocauste - Juif ou a) Choix des textes Allemand ? en un véritable best-seller durant Après son best-seller de 1987, Castan com- plusieurs semaines à Porto Alegre et dans mence à publier régulièrement des livres d’autres villes au Sud du Brésil ; d’après les qui «dénoncent» - exactement comme le informations de Castan , il aurait vendu faisait la propagande nazie - les mensonges 50.000 exemplaires (ou 100.000 ?) de son et le caractère nuisible des Juifs : Holocauste qui en serait maintenant à sa - 1989 - Le Juif International, par Henry 29ème édition. Bouleversé par le succès du Ford. livre et par l’augmentation presque incon- trôlable des ventes et des demandes, Sigfried - 1989 - Le gaz est fini !... La fin d’un Ellwanger Castan s’est décidé à lancer à mythe - le Rapport Leuchter sur les Porto Alegre, en mai 1987, la Revisão prétendues chambres à gaz à Auschwitz, Editora Limitada, dont le but serait de Birkenau et Majdanek. publier des travaux, des essais, des docu- - 1989 - Brésil, Colonie de Banquiers, par ments et des thèses qui s’occuperaient d’une Gustave Barroso (écrivain brésilien adep- révision de l’histoire et de la destruction des te de l’integralismo (intégrisme), version mythes de la Deuxième Guerre mondiale. brésilienne du fascisme italien). Malgré la mauvaise qualité scientifique et littéraire de l’Holocauste de Castan, écrit - 1989 - Le plan juif pour la domination dans un style pamphlétaire, maladroit et mondiale - Les Protocoles des Sages de redondant, sans aucun fondement convain- Sion, commenté par Gustavo Barroso.

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- 1990 - Qui a écrit le Journal d’Anne des actions plus dures qui pourraient être Frank ?, par Robert Faurisson. interprétées comme censure et répression. - 1992 - Les conquérants du monde - Mais en 1987, le MOPAR (Mouvement Les véritables criminels de guerre, par Populaire Antiraciste) - formé par le Louis Marschalko. Mouvement de la Justice et des Droits Humains, par le Mouvement Noir Brésilien - 1993 - A propos des Juifs et de leurs et par le Mouvement Juif de Porto Alegre - mensonges, par Martin Luther. a dénoncé le contenu raciste des oeuvres de b) Style pamphlétaire et la Revisão au Tribunal de Justice du Rio «superlatif» des commentaires Grande do Sul et ce n’est qu’en 1996 que Sigfried Ellwanger Castan a été condamné à Dans les dépliants publicitaires, on peut une peine de prison de deux ans avec sursis ; trouver des expressions telles que : le Tribunal a appliqué la loi n°8081, de 1990, - «l’oeuvre révisionniste la plus complète qui prévoit une peine de deux à cinq ans de du monde» prison pour celui qui édite et distribue des - «le mensonge du siècle» ouvrages ayant pour objectif d’inciter ou - «le dernier acte de la farce de l’holo- d’induire à la discrimination raciale. Des causte» livres comme L’Holocauste - Juif ou Allemand ? ; A propos des Juifs et de leurs - «précieux documentaire» mensonges ; Le gaz est fini ! ; Le Juif inter- - «Faurisson démonte une farce qui a sen- national ; Les Protocoles des Sages de Sion ; sibilisé le monde» Qui a écrit le Journal d’Anne Frank ? ; Brésil, - «des révélations sensationnelles dans les Colonie de Banquiers, etc. ont été appré- coulisses...» hendés et leur publication a été interdite. La Revisão continue a fonctionner norma- - «rareté écrite en 1543» (à propos de l’oeuvre de Luther). lement et Castan, qui est en liberté du fait du sursis qui lui a été accordé, habite maintenant c) Les couvertures des dans la ville de Barra Velha, à Santa Catarina, publications province voisine de Rio Grande do Sul. Il La disposition graphique («lay-out»), les continue ses activités révisionnistes : a) il a dessins et les symboles utilisés sur les cou- fondé à Barra Velha la Librairie vertures rappellent beaucoup la propagan- Internationale où il continue de vendre des de visuelle du nazisme. livres de la Revisão ; b) il a créé un départe- ment audiovisuel où il vend et loue des films classiques du cinéma nazi comme Triumph 3. Les réactions de la société des Willens (de Leni Riefenstahl) et Tout en étant le but principal des attaques de Hitlerjunge Quex (de Hans Steinhoff), tou- la Revisão, la communauté juive n’est pas jours annoncés par des dépliants au style arrivée à un consensus en ce qui concerne les sensationnaliste ; c) Castan est président mesures à prendre contre Castan. Il y avait, d’un Centre National de Recherches d’une part, des gens qui ne prenaient pas Historiques et il paraît qu’il maintient des au sérieux les livres de la Revisão ; d’autre rapports permanents avec des révisionnistes part, la Fédération israélite de Porto Alegre au Brésil et à l’étranger tels que David Irving voulait éviter non seulement toute publici- et Lyndon LaRouche ; d) les oeuvres de la té qui pourrait favoriser Castan mais aussi Revisão sont une référence obligatoire pour

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les groupes et les mouvements nationalistes, Pour conclure, je dirai que l’étude du cas séparatistes et néo-nazis au Brésil. de la Revisão Editora suggère une réflexion approfondie non seulement sur les méca- Nous voyons donc que, comme l’oeuf du nismes de création du négationnisme mais serpent, la Revisão est née, a grandi «dou- surtout sur la stratégie et les instruments cement» et assure maintenant, pour beau- éthiques pour lutter contre le racisme et la coup de gens au Sud du Brésil, toute discrimination. l’intertextualité des idées nucléaires du nazis- me ; comme dit Alteir Reinehr, Professeur à l’Université de Chapecó à Santa Catarina et lecteur assidu des livres de la Revisão, «[...] si le Brésil adoptait [...] le national- socialisme d’Hitler, nous serions aujour- d’hui au paradis [...]».

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RÉGINE WAINTRATER* Psychothérapeute Maître de conférences Université de Poitiers - France

Enjeux et dangers de l’entreprise testimoniale

L’idéologie de la mémoire, qui préside à la chique, dans ce qu’il implique de transfor- rencontre testimoniale, peut fonctionner de mation des «objets bruts». deux façons opposées. Comme le rappelle Nous posons donc comme hypothèse que : Kaës1, l’idéologie est une nécessité, formation Le pacte testimonial, alliance entre le témoi- intermédiaire destinée à gérer l’articulation gnaire et le témoin, peut servir un authen- entre les différents niveaux de fonctionne- tique processus de recouvrement de soi, ou au ment du psychique et du social. Elle est à la contraire, devenir un pacte dénégatif, qui fois ce qui assure l’identité et la continuité du vient figer le lien faussement recouvré entre lien entre l’individu et son groupe, mais le corps social et le sujet2. aussi ce qui peut fonctionner comme une suture, et empêcher la différenciation, géné- Dans une précédente Rencontre, nous avions ratrice d’échanges. Quand témoin et témoi- montré comment le processus testimonial gnaire restent prisonniers de la délégation et impliquait un pacte conclu sur un accord de l’idéologie mandataire, le témoignage idéologique préalable, dans l’idée du docu- fonctionne uniquement sur un pacte déné- ment à instruire et d’une mission à remplir. gatif, alliance inconsciente qui fétichise le Pour éclairer les aspects conscients et incons- processus, aux dépens d’un réel travail psy- cients de l’idéologie qui sous-tend le

* Pour des raisons de santé, Madame Régine Waintrater n’a pu assister à cette Troisième Rencontre Internationale. Elle nous a toutefois fait parvenir le texte de sa contribution que nous reproduisons ici. 1 R. KAËS, L’idéologie. Etudes psychanalytiques, Dunod, Paris, 1980. 2 R. KAËS, «Le pacte dénégatif dans les ensembles transsubjectifs», in A. MISSENARD (e.a.), Le négatif. Figures et modalités, Dunod, Paris, 1989, p. 126.

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témoignage, nous aurons recours aux timonial à l’origine de leur rencontre est concepts de délégation, et de loyautés, telles toujours l’effet conjugué d’une délégation qu’elles ont été définies par Stierlin3 et explicite et consciente, ainsi que des phé- Boszormenyi-Nagy4. Dans le Dictionnaire nomènes de loyauté et de délégation impli- des thérapies familiales, on peut lire au mot cites, souvent inconscients. Qu’ils soient ou délégation : non issus du même groupe ethnique, tous «La délégation est un processus relation- sont pris dans un réseau de loyautés grou- nel et légitime, qui donne à notre vie une pales : loyautés de réparation, de fidélité à un direction et constitue le point d’ancrage des héritage, loyauté aux morts de la famille ou obligations transmises à travers les géné- du groupe. rations. A ce titre, nous sommes les délé- C’est alors que ce qui les a fait se rencontrer gués de nos parents»5. peut devenir un obstacle d’autant plus lourd qu’il opère souvent, comme nous l’avons A l’origine, le mot délégation vient du latin dit, à l’insu du sujet. Comme l’écrit Richard «delegare», qui signifie à la fois «envoyer» et Marienstras, tous deux sont pris dans une «confier une mission». «allégeance fondamentale», qu’ils ne peuvent La délégation est l’opération par laquelle «ni modifier ni déplacer» parce qu’elle est une personne, le délégué, fait une presta- allégeance à ce qui ne «peut plus exister que tion pour un autre, le délégataire, qui l’ac- dans un souvenir obsédant et terrifié»6. cepte sur l’ordre d’un troisième. La La plupart du temps, le témoignaire est pris délégation implique toujours un tiers, pré- dans une situation de loyauté dont ses aînés sent ou imaginaire, au nom duquel la pres- ne savent rien, et dont ils ne tirent aucun tation s’accomplit. bénéfice, ni apaisement. Il est dans la position Dans le processus testimonial, c’est la socié- de Momik, le héros du roman de l’écrivain té qui est le tiers mandataire : c’est elle que israélien David Grossmann, Voir ci-dessous : représente le témoignaire, et c’est à elle que amour. Ce livre décrit très bien le phéno- s’adresse le témoin en délivrant son récit. mène de délégation transgénérationnelle, et Comme nous le voyons dans la définition, la quête obsessionnelle de son héros, fils de la délégation est à l’origine un processus rescapés, pour acquérir un savoir sur «Là- normal et indispensable de notre vie. Elle bas» : peut cependant devenir pathogène, en opé- «C’est une lutte qu’il mène pour ses rant à l’insu du sujet, qui devient alors pri- parents et pour les autres aussi. Bien enten- sonnier de délégations ou de loyautés du, ils n’en savent rien. Devraient-ils le inconscientes. savoir ?»7 Témoin et témoignaire n’échappent pas à ces Tout au long de ce travail, nous avons pu mécanismes de délégation. Le mandat tes- mesurer les effets de cette délégation et des

3 H. STIERLIN, Psychoanalysis and family Therapy, Jason Aronson, New York, 1977. 4 I. BOSZORMENYI-NAGY et G. SPARK, Invisible Loyalties : reciprocity in intergenerational family therapy, Harper and Row, New York, 1973. 5 M. POLLAK, L’expérience concentrationnaire, Métailié, Paris, 1991, p. 16. 6 R. MARIENSTRAS, Etre un peuple en diaspora, Maspero, Paris, 1975, p. 10. 7 D. GROSSMANN, Voir ci-dessous : amour, Le Seuil, Paris, 1986, p. 1991. 8 N. FRESCO, «La diaspora des cendres», N.R.P., XXIV, 1981, pp. 205-220.

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loyautés multiples, qui ont continué d’agir Au niveau rationnel et conscient, le témoin tout le temps du recueil des témoignages, et légitime ses hésitations par l’extrême diffi- par la suite, lors de l’élaboration théorique. culté de l’entreprise, la souffrance qu’elle génère pour les deux parties et l’insatisfaction inévitable qui en découle. Le témoignaire, Sa demande à l’égard du témoignaire sera figure de l’impossible donc multiple et paradoxale. Celui qui accepte de devenir le témoin du Etre les enfants du témoin témoin doit savoir qu’il s’engage sur une voie étroite, entre les besoins contradictoires Le témoignaire occupe ici la place des enfants du témoin et l’impossibilité partielle dans de la seconde génération, à qui le survivant laquelle il sera d’y répondre. a souvent demandé de remplacer l’environ- nement empathique dont il a été privé. Cette Pour le témoin, il s’agit toujours d’un position est d’une grande importance pour moment important ; qu’il ait déjà témoigné la prise de parole du témoin, qui, la plupart ou qu’il le fasse pour la première fois, il se du temps, n’a pu parler à ses propres enfants, trouve confronté à une mission à la fois dans sa crainte de les traumatiser ou d’ap- crainte et désirée. Il a ancrées en lui à la fois paraître comme une figure trop destituée. une immense défiance à l’égard d’autrui, en même temps qu’une soif objectale infinie, qui Au silence des parents, a fait pendant celui lui font à la fois rechercher et craindre le des enfants, pris dans «l’emprise du silence» rapprochement testimonial. évoquée par Nadine Fresco dans son article au nom évocateur, La diaspora des cendres. C’est pourquoi sa prise de parole est toujours «Trop près pour pouvoir avoir un regard», empreinte d’une ambivalence quasi consti- ils restaient sidérés, «éblouis par le noir tutionnelle ; dans le même temps qu’il mystère d’avant leur naissance»8. témoigne, le témoin regrette déjà de l’avoir fait. En représentant la génération d’après, le témoignaire peut occuper une place inter- Tout en se proposant comme une structure médiaire, suffisamment proche pour qu’on de dialogue, le témoignage doit se construi- puisse l’identifier aux enfants, suffisamment re à partir des ruines du concept de mutua- loin pour qu’on tente, en sa présence, de lité et d’empathie. «desceller l’emprise de la mort». Le survivant, tel qu’il apparaît dans les témoi- gnages oraux, est un témoin qui a demandé Restaurer la confiance lui-même à témoigner ; nous avons vu qu’au- A plusieurs titres, la demande du témoin cune collecte ne sollicite directement les est une demande de fiabilité : fiabilité mora- témoins. Ce qui n’empêche pas chez lui la le, bien sûr, fiabilité relationnelle, mais aussi coexistence d’attitudes antinomiques, dont fiabilité des connaissances. certaines s’apparentent à la double contrain- C’est ainsi que le témoignaire est souvent te, comme sommé de fournir des lettres de créance : il • l’idée d’un risque vital, doit accepter de répondre aux questions posées par le témoin, sans trop se mettre • une situation d’interdépendance, en avant, mais sans rester trop sibyllin, ce qui • des messages antinomiques contrai- mettrait le témoin dans une position d’in- gnants. connu, qu’il n’a que trop vécue. Il s’agit là

— 193 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL d’un équilibre subtil entre le dévoilement Entre l’extorsion pieuse et un silence qui pourrait être vécu comme et le respect pétrifiant une offense supplémentaire, le dosage restant Pour le témoin, l’acte testimonial n’est jamais à la seule appréciation du témoignaire, qui anodin. doit savoir comment rompre un anonymat angoissant sans que ses paroles ne viennent Le témoin craint donc autant les retrou- empiéter sur celles du témoin. vailles avec lui-même, que l’échec de ces retrouvailles. Il en va de même pour sa connaissance du sujet : pour délivrer son récit, le témoin a Il sait qu’il s’engage ici dans un voyage plein besoin à la fois d’un interlocuteur innocent, de découvertes ; or le témoin n’aime pas les le «tam» de la tradition juive, mais aussi découvertes, trop liées aux découvertes de la d’un interlocuteur fiable, qui s’est donné la persécution, dans un temps où l’inconnu peine de se documenter. ne pouvait signifier que le pire. Sous nos yeux, le témoin va donc s’organiser en se On retrouve ici le problème délicat de l’équi- «blindant» souvent contre l’irruption d’élé- libre entre le «trop» et le «trop peu» de ments incontrôlés du récit. connaissances, et la double contrainte inhé- rente au processus testimonial. On touche ici à la violence inévitable du témoignage, violence multiple, mais néces- En effet, si le témoignaire doit faire preuve saire pour que se fasse le travail testimonial, d’un minimum de connaissances, il doit et que le témoignage ne soit pas seulement aussi savoir les oublier, pour permettre au un monument commémoratif figé dans témoin d’expliquer sa vision des événe- l’éternité de la pierre. ments. Sinon, les connaissances qu’il aura acquises pour écouter plus librement, vien- La violence du dire dront encombrer son écoute. Ce sont les nazis qui les premiers, ont cher- En cédant aux pièges de l’érudition et à la ché à masquer la réalité de leur entreprise, par tentation narcissique de se montrer comme l’intermédiaire des mots. L’anéantissement un expert, le témoignaire risque d’encombrer ne figure dans aucun document, l’événe- le récit du témoin. ment est non seulement sans témoins, mais aussi sans acteurs, sans lieux, sans mots, Cependant, pour donner son témoignage, le «vernichtet», anéanti dans son existence témoin a besoin de sentir chez son interlo- même. cuteur une volonté authentique de savoir et des connaissances préalables, acquises à la Comment, par exemple reconnaître le cré- suite d’un effort réel de documentation. matoire sous son nom officiel de «centre

9 M. DEGUY, «Une oeuvre après Auschwitz», in Au sujet de Shoah. le film de Claude Lanzmann, Belin, Paris, 1990, pp. 42-43. 10 J. LAPLANCHE et J.-B. PONTALIS, Vocabulaire de la Psychanalyse, P.U.F., Paris, 1967, art. déni, p. 1973. 11 P. FEDIDA, Le site de l’étranger. La situation psychanalytique, P.U.F., Paris, 1995, p. 82. 12 J. ZARKA, «Témoignages et écrans» et «Mémoire et témoignages : dénormalisation, normalisation, normativité», in Du témoignage audiovisuel, Actes de la 2ème rencontre internationale sur le témoignage des survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, Bruxelles, 1996, p. 149. 13 P. FEDIDA, «L’oubli du rêve» in Furor, 1983, pp. 5-12. 14 N. ABRAHAM et M. TOROK, L’écorce, op. cit., p. 31

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international d’information», comme cela Comme l’écrit Josette Zarka, en laissant nous est rappelé par un témoin de Shoah ? «croire qu’il est possible de tout dire sur Auschwitz», on réduit l’objet de la mémoi- C’est contre cette euphémisation de la Shoah re à un «produit possiblement fini». que le témoignage se dresse, dans sa tentative de dire les choses qui ont été, et de dire Celle-ci risque alors de comment elles ont eu lieu. «s’instituer en une mémoire normative, qui Le Robert définit l’euphémisme comme peut affecter la manière dont les sujets rendent compte de leurs épreuves»12. «l’expression atténuée d’une notion dont l’expression directe aurait quelque chose Cet idéal a pour effet de banaliser la parole, de déplaisant.» dans un forçage du dire et de l’écoute qui enlève au récit sa dimension irréductible- Or, nous rappelle Michel Deguy, l’euphé- ment scandaleuse. misme fut inventé par les Grecs pour passer Comme le dit Fédida, la tentation de tout la mort sous silence9. dire est la menace que le langage fait peser sur Cinquante ans après la Shoah, cet effet d’eu- la parole, en lui ôtant toute résonance13. phémisation peut paralyser les témoins et leurs interlocuteurs, dans une tentative de La Résonance contourner la nomination de l’innommable. L’euphémisme est alors la figure de style Le témoignaire doit donc être à la fois le du déni, témoin du témoin et le témoin du témoi- gnage en train de se faire, dans un processus «ce mode de défense consistant en un parallèle qui lui permet de rester au plus refus de reconnaître la réalité d’une per- près de ce qu’il éprouve. ception traumatisante»10. Bien que le témoignage ne fasse pas délibé- L’euphémisme perpétue le déni, qui lui- rément usage du transfert, on y repère l’exis- même s’appuie sur l’euphémisme, dans un tence de mouvements qui peuvent mouvement continuel d’effacement de toute s’apparenter à des manifestations transfé- trace langagière. Le dernier vestige d’une ro-contre-transférentielles, que nous pré- preuve sans cesse mise en cause vient alors à férons appeler résonance. On trouve chez manquer. Abraham et Torok une définition de la réso- La violence du témoignage, c’est justement nance, qui la différencie aussi bien de l’em- pour le témoin et le témoignaire, d’être pathie que de l’écoute objective14. La ensemble dans cette «véritable intimité du résonance, qui courage des mots» selon la belle expression «opère par une mise en branle de l’in- 11 de Fédida . conscient à partir des contenus conscients En quoi consiste précisément ce courage ? reçus à l’écoute». Ces dernières années, on assiste à l’éclosion Or les normes implicites qui envahissent le de normes testimoniales, et notamment d’un champ testimonial risquent précisément de idéal du tout dire, héritier direct d’une idéo- parasiter ce champ fragile d’échanges inédits logie cathartique mal comprise, couram- qui reste toujours à recréer. ment exprimée par la phrase «il a craqué», Le témoin, pour sa part, hésitera alors à par laquelle certains témoignaires montrent conter des épisodes qu’il juge insignifiants ou ainsi leur ignorance parfois dangereuse des indignes au regard d’un idéal de récit qu’il processus psychiques. s’est forgé à partir du corpus existant, et qui

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obéit à des normes sociales implicites psychisme, privés de la sépulture pieuse que introjectées. constitue la nomination individuelle. Quant au témoignaire, il risque de se priver «Compter et conter. La langue allemande du seul repère dont il dispose, cette boussole maintient la racine commune - Zählen et que constitue la résonance. Erzählen»16. Or c’est elle qui lui indique à la fois ses Témoigner, c’est donc compter et nommer limites et celles de son interlocuteur, sur les morts, raconter les circonstances de leur lequel il s’est engagé à veiller dans le contrat mort, jour après jour, en les sortant de la initial qu’ils ont établi dès l’abord. fosse commune où les a jetés le meurtre de Outre le danger psychique que représente ce masse. forçage des limites pour les deux parties, Violence du «deuil entre parenthèses»17, nous avons constaté qu’il fonctionnait à deuil infini, et qui n’a jamais pu vraiment l’encontre exact du processus testimonial. commencer. Deuil maintenu hors du temps Pour se faire entendre et résonner, la paro- et d’une possible historicisation. le doit parfois «respecter l’oubli de la chose», et «se cacher», faute de quoi elle risque de La violence de la réunification rester sans écho, parole privée du silence nécessaire à sa résonance. Mais cet effort pour trouver les mots ne va pas sans une nécessaire violence, celle qui A l’instar du veilleur de l’Agamemnon s’installe, quand le témoin se trouve à nou- d’Eschyle, qui déclare, veau confronté à des scènes qu’il voudrait «[...] Je parle volontiers si l’on sait ; si l’on gommer de sa mémoire, ou des aspects de ne sait pas, je veux bien ne rien savoir»15. lui-même qu’il a tenté et parfois presque Le témoignaire doit savoir ne pas entendre réussi à oublier. pour mieux écouter, et mieux faire résonner Tout le monde a en mémoire la scène de «la lamentation intime» du témoin. Shoah où Claude Lanzmann contraint le En cela et seulement en cela, il pourra assu- coiffeur Bomba à mimer et décrire par le mer le paradoxe inhérent à la position menu les gestes qu’il accomplissait dans son testimoniale. «travail» à l’entrée de la chambre à gaz. Pour le témoin, le courage ne réside pas Cette scène nous semble paradigmatique dans le tout dire, mais plutôt dans cet effort du style de Lanzmann, mais aussi de la vio- douloureux pour trouver les mots qui vont, lence inhérente au processus testimonial, avant tout, permettre de compter et nommer violence infligée pour que la parole advien- les morts, faute de quoi ils erreront dans le ne en place de l’horreur mutilante.

15 P. FEDIDA, «L’oubli du rêve», op. cit. 16 P. FEDIDA, Le site de l’étranger, op. cit. 17 W. SZAFRAN et Y. THANASSEKOS (e.a.), «Le deuil chez des rescapés d’Auschwitz : un processus interminable» in J. GILLIBERT et P. WILGOWICZ (éd.), L’ange exterminateur, Université Libre de Bruxelles, 1993, pp. 105-118. 18 Voir ch. 3. et 4. 19 P. LEVI, Les naufragés et les rescapés, Gallimard, Paris, 1986, pp. 73-74. 20 A. ORENSTEIN, conférence inédite sur le témoignage, 1994. 21 S. TOMKIEWICZ, communication personnelle.

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Dans l’extrait auquel il est ici fait référence, l’avoir étudié plus en détail dans un autre la violence de la réunification, tient avant forum. tout aux retrouvailles avec le moi concen- Il s’agit de l’âge moyen du survivant au trationnaire. moment du témoignage. Nous avons vu que, pendant les persécu- Quand il témoigne, le survivant est une per- tions, le survivant avait été contraint de sonne vieillissante, confrontée au travail du développer une personnalité différente, adap- vieillir, qui constitue en soi un traumatis- tée aux conditions d’alors, et notamment me considérable. une morale d’urgence, issue directement de l’absence de choix à laquelle il était constam- La vieillesse impossible ment confronté18. Pour réussir sa vieillesse, le sujet doit opérer La prise de parole consiste donc à évoquer des remaniements : de l’action à la réflexion, à nouveau ce changement de «mètre du regard vers l’avenir à un retour vers le moral»19, et la honte qui en découle. passé, en revoyant et en repensant toute sa vie. Risquer une nouvelle version de son his- Le survivant âgé se trouve face à un paradoxe toire, dans un agencement qui concurrence douloureux : ce dont il a le plus besoin - l’agencement traumatique, peut être vécu dresser un bilan de sa vie - est précisément ce par le témoin comme un acte violent. Le qu’il n’est pas en mesure de faire. risque consiste ici pour le témoin à se faire Pour parvenir à dresser un bilan de sa vie, le renseigner par lui-même, et à redécouvrir survivant doit tout d’abord accepter de se ce qu’il aura tenté et souvent réussi à refou- souvenir, ce qui représente pour lui une ler dans un coin de sa mémoire, où person- tâche effrayante, dans ce qu’elle ramène des ne, pas même lui, n’a jamais pénétré. La affects refoulés. Pour le survivant, ressentir violence de la réunification réside dans cette est un danger, car tous ses affects sont enta- opération de liaison, et dans le danger qu’en- chés des expériences de la Shoah. Tenter la court le témoin de se condamner, en se mon- réaffectation, c’est courir le risque grave trant incapable d’avoir pour lui-même le d’éprouver à nouveau la honte, la culpabilité, regard plein de «chagrin» et de «pitié» que et l’effroi, dans des proportions insoute- revendique la psychanalyste Anna nables. La plupart des survivants ont passé Orenstein, elle-même survivante20. leur vie à «combattre leurs souvenirs», dans Comme le dit avec lucidité Stanislaw la crainte de l’irruption d’émotions insup- Tomkiewicz : portables, en développant une stratégie par- ticulière faite de déni et de répression des «Il y a des choses que je ne dirai jamais, il affects. y a des choses que je ne peux pas encore dire»21. Le survivant ne peut pas davantage «faire la paix» avec sa vie passée : en effet, admettre L’indicible du témoignage, si souvent évoqué, que les péripéties de sa vie ont été des épi- qui consiste non seulement dans l’horreur sodes nécessaires équivaudrait pour lui à des persécutions subies, mais aussi, et peut- justifier Hitler et les persécutions. C’est être essentiellement, dans celles dont on a été aussi accepter de renoncer à la haine et à la le témoin impuissant, et dont il faut se sou- rage, qui constituent pour le survivant un venir, à l’heure du témoignage. contrepoids au traumatisme de la soumission Il est à ce propos un point rarement évoqué, absolue d’alors. Notons à ce propos qu’il que je me contenterai de mentionner, après existe chez certains survivants des formes

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d’addiction à la haine ou à la souffrance, va parler, de sa famille, et de tout ce qui a été qui sont autant de tentatives tragiques de anéanti dans la catastrophe. maîtriser le traumatisme. Ensuite, sur l’axe interpersonnel : la Shoah Quant à accepter ses choix, le survivant ne est une catastrophe psychique, mais aussi le peut pas non plus, dans la mesure où c’est une catastrophe sociale au sens où elle a ce dont il a été totalement privé. La persé- détruit l’individu et tout son environne- cution nazie se caractérise en effet par une ment humain. Outre sa tâche d’accompa- absence totale de choix, et une perversion de gnateur, le témoignaire a pour fonction de toutes les valeurs qui rendent celui-ci possible représenter le groupe, celui auquel le témoin pour le sujet. adresse son témoignage, et celui de tous les Il semble qu’il n’existe pas d’expérience cor- autres témoins ; la référence constante au rectrice en cas de traumatisme massif ; pour- groupe imaginaire est l’expression de la tant, les survivants témoignent et continuent recherche du semblable dont le survivant a de le faire. A quoi peut alors se résumer la été entièrement privé, isolé qu’il était par valeur psychique du processus testimonial ? son expérience. Tout d’abord, sur l’axe intrapsychique, en Tous les totalitarismes s’en sont pris au grou- une tentative de liaison qu’opère le témoin pement et au groupe qui menaçaient leur qui construit son récit de vie : la narration hégémonie : les nazis n’ont pas manqué à la constitue pour lui un essai de rétablir une règle ; dans les camps, on risquait sa vie à continuité entre sa vie d’avant, le traumatisme vouloir communiquer. et sa vie d’après. On mesure bien ici le côté C’est pourquoi on peut voir dans l’entête- périlleux d’une telle entreprise où le sujet ment testimonial une victoire ultime sur va retrouver des aspects inacceptables de cette volonté de déliaison totale, victoire lui-même, ceux de l’homme humilié et privé qui, même si elle semble parfois dérisoire ou de choix. En se confrontant, dans la limite de amère, constitue cependant le seul garant ses forces, à des pans de sa vie qu’il a main- d’une continuité transgénérationnelle, qui a tenu sous bonne garde, le témoin peut par- bien failli être interrompue à jamais. fois, en présence d’un autre, tenter des retrouvailles avec ces aspects de lui-même, et avec les objets infantiles qui subsistent en lui. Car c’est aussi de son enfance que le témoin

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DISCUSSION

Georges Sylin, Président de séance : Je vou- Utilisations et explorations drais intervenir à titre tout à fait personnel sur des témoignages un problème qui n’est pas seulement le mien dans cette assemblée. Ce problème concer- ne le décret Suyckerbuyck qui a été décidé Utilisation and exploration of par la Communauté flamande* et je voudrais the testimonies à titre personnel, comme individu, comme citoyen de ce pays, dire ma très profonde Izidoro Blikstein : Madame Zarka, dans tristesse, ma très grande colère, mon désar- votre exposé, vous avez parlé de la perte de repères du prisonnier. En lisant l’œuvre de roi devant cette décision d’une partie de ce Primo Levi, je voulais vous demander : est- pays. Je crois qu’il s’est passé quelque chose ce que ce n’est pas cela l’«originalité» du de très grave. Je veux dire que ce sont des nazisme, c’est-à-dire d’anéantir l’identité partis non-démocratiques qui ont apporté des prisonniers avant même qu’ils entrent leur voix pour faire passer cette proposi- dans la chambre à gaz ? Ils étaient donc déjà tion. Je voudrais que tous les démocrates un peu mort et leur identité était anéantie. de ce pays s’unissent pour faire en sorte que J’en profite pour vous demander également ce décret ne soit jamais d’application. si par exemple dans Si c’est un homme,

* N.d.E. : le 2 juin 1998, la Communauté flamande de Belgique prenait un décret octroyant une aide complémentaire aux personnes vivant dans une situation de précarité par suite de circonstances dues à la guerre, à la répression et à l’épuration. Désormais appelé «Suyckerbuyck», ce décret s’adresse non seulement aux victimes de la guerre mais aussi à ceux qui furent l’objet d’une répression pour acte d’incivisme commis pendant la période de guerre et qui, par la suite, ont été réhabilités d’une manière ou d’une autre, ces deux catégories de personnes étant traitées de la même façon.

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Primo Levi n’arrive pas à décrire du point de pas pleurer nos morts. Nous l’avons fait vue littéraire ce que vous nous avez exposé après la libération et nous les pleurons enco- ici quand vous nous avez parlé de cette pol- re aujourd’hui. On fait tout pour qu’on ne les lution mortifère. oublie pas. Je remercie Madame Zarka pour son remarquable exposé. C’est la vérité vraie Josette Zarka : Ce que j’ai pu relever dans (...). les témoignages commence dès l’entrée du wagon, aussitôt qu’on ouvre les portes. Il y Josette Zarka : Je vous remercie vraiment a une précipitation qui se fait très très bru- beaucoup, Maryla. Je voudrais confesser talement. Il y a une perte de repères. Ils sont que c’est Maryla Michalowski qui m’a vrai- épuisés, «exhausted». Il y a là un phéno- ment orientée vers les entretiens auprès des mène vraiment physique de stupeur. Il n’y survivants. Elle est un symbole pour moi, a plus de repères. Tout est fait par la suite c’est la première personne que j’ai inter- pour que justement tout ce qui relève des viewée et je l’en remercie du fond du cœur. normes, des règles perceptives, tout ce qui Par ailleurs, je voudrais continuer à répondre appartient aux normes relationnelles puisse à la question qui m’était posée sur Primo être anéanti. L’idée de perte de repères néces- Levi. Il est possible que n’ayant pas été moi- site un travail beaucoup plus approfondi même dans les camps, je sois peut-être plus que ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je n’ai fait extérieure et plus sensible à certains phé- que répondre d’une manière panoramique. nomènes. Il y a peut-être une certaine fami- Il faudrait prendre les interviews et les clas- liarisation mais de cela, on ne se souvient ser selon la manière dont les gens com- plus. Je pense que ma position d’extériorité mencent à perdre leurs repères. Cela me permet de toucher ou d’être sensible à commence cognitivement, dans la confu- certains points. sion, comme quand vous avez un choc. Et Izidoro Blikstein : Je vous ai parlé de Primo c’est physique. Levi parce que j’ai publié un article dans le En ce qui concerne Primo Levi, je n’ai pas Cahier International (n° 1) sur la sémio- trouvé ce dont vous parlez. C’est proba- tique de l’univers concentrationnaire de blement parce qu’il est chimiste et que je Primo Levi. J’ai trouvé qu’avec une remar- suis psychologue. Il est évident que je suis quable distance critique, il a su décrire beaucoup plus focalisée et sensible à tout l’anéantissement graduel, la déportation, le ce qui est du registre de la fantasmatique. Ce voyage, l’arrivée au camp, l’internement qui m’intéresse, c’est surtout la résistance à dans le camp. Il décrit en montrant les petits la fantasmatique. J’y suis quand même très détails. Il montre la perte des repères mais très sensible parce qu’il y a une réalité qui est aussi la création de nouveaux repères, de tellement choquante. C’est un scandale pour nouveaux codes. Par exemple, il dit que la l’esprit qui va toucher l’inconscient. Je pense mort dans le camp commence par les bottes, que c’est nécessaire d’avoir une familiarisa- les sabots, les chaussures qui acquièrent une tion avec ce qui est de l’inconscient pour autre valeur pour les prisonniers. J’ai l’im- pouvoir le saisir. C’est une réponse un peu pression qu’au point de vue pédagogique, on superficielle. peut se servir de ce document littéraire pour Maryla Michalowski, rescapée : Vous avez montrer ce que vous avez brillamment expli- dit, Madame Zarka, qu’au début nous qué du point de vue psychologique. n’avons pas pleuré nos morts. C’est vrai. Roger Simon : I have a specific question Mais pourquoi ? C’est parce que nous for Liliana. Liliana described the making of n’avons pensé qu’à manger. On ne pouvait the film in Italy this morning, and it struck

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me that certain parts of what she described of la métaphysique de la Shoah. Je crois qu’il the process were very similar to certain ele- faut éviter toute simplification mais surtout ments of Claude Lanzmann’s Shoah. Given toute «mythification». Nous devons tous the controversy that surrounds the film faire un effort pour faire sortir la Shoah de Shoah and some of its techniques, I won- ce mystère métaphysique qui lui donne dered if she could talk specifically about the aussi un air de spectacle. C’est d’ailleurs ce making of the film, and whether there was a qu’ont tendance à lui conférer les cérémonies self-conscious orientation to make the film officielles ces derniers temps. Il est très in the shadow of Lanzmann’s film, and how important de discuter et de s’attarder à ce did she perhaps borrow from Lanzmann, problème parce que chaque jour le phéno- and maybe some decisions she made in mak- mène devient de plus en plus macrosco- ing the film that were different from what she pique. La Shoah, le génocide, sont devenus was Lanzmann doing in that film. le fondement de la construction de la conscience juive. Il n’y a rien de mal s’il Liliana Picciotto : Je crois, Monsieur Simon, s’agit d’un fondement parmi d’autres, mais que vous me demandez de faire une com- cela ne va pas s’il devient le fondement de la paraison avec Shoah de Lanzmann. Nous question juive. Pour beaucoup de Juifs, le nous sommes beaucoup référés au film de génocide est quelque chose d’exclusif, son Lanzmann au niveau de la méthodologie culte est devenu obligatoire et la mémoire pratique, factuelle, des questions plus minu- juive d’après la Shoah est complètement tieuses, ... C’est ce qui nous a guidés avant effacée. La richesse de la conscience juive, sa tout pour arriver au film. Nous avons cher- loi, sa langue, la tradition, ... sont tout à fait ché à éviter de faire un film à thèse. Je pense dégagées de la conscience juive contempo- que de toute façon le film de Lanzmann est raine et on se réduit à la mémoire de la quelque chose de fantastique. Quelqu’un Shoah. Le pire est que nous constatons que l’a décrit comme un livre d’histoire. Je ne même l’histoire de la Shoah avec ses tra- pense pas. Je pense que c’est un très bon vaux scientifiques et son historiographie film à thèse. On pose que pendant le géno- exceptionnelle, est d’une certaine façon écar- cide, les Polonais étaient tous antisémites. Les tée par la conscience collective juive qui questions posées au paysan polonais sont des continue de penser le génocide en termes questions qui ne demandent pas de répon- de mémoire, de blessures et de cicatrices se, c’est-à-dire que Lanzmann a déjà répon- que cette mémoire nous laisse en héritage, à du avant de poser la question. nous et après nous. Vécue de cette façon Deuxièmement, je pense que le film de par la majorité des Juifs contemporains, Lanzmann est une forme de «chantage», l’histoire de l’extermination perd son cadre c’est-à-dire que toute cette énorme expé- disciplinaire spécifique qui est celui de l’his- rience de la douleur juive est présentée toire des cultures sociales, des histoires comme quelque chose de métaphysique, locales, de l’histoire des idées, ... L’histoire se qu’il n’y avait rien à faire face à cela. A aucun perd alors et se résout dans un mécanisme de moment, il n’y avait quelque chose à faire. la mémoire qui est contesté, divisé, nié, qui On entre un peu dans le royaume méta- est «révisionné» et qui sort tout à fait de physique de la Shoah. Cela, nous l’avons son contexte. Je pense donc que l’événe- évité de toute façon. A propos de la méta- ment, le factuel, doit absolument être récu- physique de la Shoah, je voudrais dire péré dans le futur parce que la peine signifie quelques mots sur le problème de la sim- la perte de tout, de l’histoire et de la mémoi- plification qui d’après moi est le problème de re. La mémoire aussi est en train de subir, du

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moins en Italie, des attaques de la part de point de vue interprétatif et du point de vue certains intellectuels non Juifs qui n’ont plus de la transmission. Je donnerai un exemple envie de partager avec les Juifs les blessures de cette décontextualisation : en France et du nazisme. progressivement en Belgique, on parle de Cathy Kovarel, étudiante : Vous avez parlé, plus en plus de la déportation de «victimes Madame Picciotto, de trois expériences à innocentes». Ce qui signifie qu’il y a quelque Auschwitz : une en été, une en automne et part des «victimes coupables» ! Je pense que une en hiver. Est-ce que les expériences ont c’est une logique qui est induite par la décon- été différentes selon les saisons ? Cela a-t-il textualisation qui, à mon sens, est très dan- eu des influences ? gereuse quant à l’interprétation du processus historique. Les termes de «victimes inno- Liliana Picciotto : Evidemment les diverses centes» m’irritent beaucoup parce qu’ils saisons ont influencé les possibilités de sur- impliquent énormément de choses, y com- vie de chacun. On a simplement cherché à pris pour le reste de la société. emmener à Auschwitz ceux qui y avaient été en hiver ou en automne. Nous avons tou- jours essayé de retourner aux faits, au factuel, Le problème ensuite du film lui-même. à l’événementiel. J’insiste sur ce point. C’est Avant la réalisation du film, quand les col- un peu ce qui nous a guidés soit pour les laborateurs de Liliana m’ont entretenu de la interviews, soit pour la conception du film. méthode qu’ils allaient suivre - que j’ai per- çue alors comme une sorte d’hypercriticis- Je voulais dire aussi que les questions posées me historique - je me suis demandé ce que à chaque témoin étaient très simples, très cela allait donner comme résultat. Je ne par- terre-à-terre, presque mécaniques. venais pas à voir le résultat filmique, ciné- Quelquefois nous nous demandions si nous matographique, à travers leur optique avions le droit de demander des choses tel- historiographique d’une factualité à toute lement banales, du style : «De quel côté des- épreuve. Lorsque j’ai vu le film après sa réa- cendais-tu du train, à droite ou à gauche ?», lisation, je me suis trouvé devant une chose «Quelle hauteur pouvait avoir la chemi- à laquelle je ne m’attendais pas du tout : le née ?», ... mille questions de ce genre que film était d’une grande densité affective et nous avions parfois honte de poser. Mais à émotionnelle. Il y a là une mutation extra- la fin, une richesse extraordinaire s’est révé- ordinaire. Partant d’un point de vue métho- lée : quand nous avons fait le montage, nous dologique quasi positiviste, on en arrive à avons réalisé que le film était extrêmement produire une narration filmique pleine émouvant et extraordinairement drama- d’émotions et de nuances. C’est sans doute tique. Les experts du cinéma en Italie qui le langage filmique en tant que tel qui contri- l’ont vu, ont estimé qu’il était presque impos- bue à donner un tel relief à la pure factuali- sible que les témoins ne soient pas des té. Liliana, pourrais-tu nous expliquer acteurs. Mais ils n’en étaient pas, c’étaient comment vous êtes parvenus à obtenir un simplement des gens qui répondaient aux résultat si remarquable ? Ma question n’est questions les plus simples possibles. pas d’ordre oratoire. Je crois en effet qu’en Yannis Thanassekos : (...) Le problème que l’absence d’un talent et d’une maîtrise du Liliana a posé est extrêmement important. langage filmique, la méthode hypercritique En fait, elle a posé un double problème. risquerait de réduire la démarche à la fois D’abord la question de la décontextualisation historique et filmique à la solution de pro- du génocide, de la Shoah. Elle a mis le doigt blèmes pour ainsi dire «techniques». C’est sur un problème excessivement grave du comme si la compréhension de cette expé-

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rience - qui est aussi un processus historique tous les matins pendant un mois mais on - se limitait à chercher des réponses à une série s’est rendu compte que nous n’avancions de questions purement factuelles du genre absolument pas. Chaque témoin tenait à «Où étais-tu à une telle date ?», «De quel dire quelque chose, on n’arrivait pas à avan- côté es-tu descendu du train ?», ... On peut cer et à clôturer le travail. Nous avons alors multiplier à l’infini ce type de questions renoncé à cette méthode et nous nous visant le factuel... (...). sommes mis au travail, nous, les deux auteurs, le monteur et le metteur en scène. Liliana Picciotto : Je reviens à ta question, On a travaillé en coupant le plus possible. De Yannis, de savoir comment il est possible 250 heures, nous sommes passés à 100 heures d’obtenir un produit si émouvant et de gran- et puis à 50, à 40, à 30, à 20... et chaque fois de humanité à partir d’un discours-témoin que nous coupions un morceau, c’était construit d’une façon tout à fait positiviste et comme si on me coupait un morceau de la sur le plan de l’histoire critique. main. Nous avons fait des réunions pour Pour tous les moyens visuels, audiovisuels définir vraiment quelle était la thèse du film, et audio, il y a des échanges entre les deux parce qu’il fallait le faire. La première chose créateurs d’un même produit. La production était de montrer qu’il y avait eu un génoci- du discours-témoin est une production de de, la Shoah, en Italie, même si tout le monde deux personnes. Ensuite, il y a encore une ne le sait pas. Il fallait montrer qu’il y avait autre «manipulation», celle qui consiste à eu quelque chose de terrible en Italie aussi. choisir les extraits à agencer dans un film La deuxième était de montrer que les dépor- documentaire. Lorsqu’on choisit les extraits, tés italiens avaient emporté avec eux à on fonctionne comme pour une œuvre Auschwitz toute leur intériorité, leurs d’histoire : on se trouve devant un tas de moyens de communication, leur façon de documents et on décide quel sera le meilleur vivre et de survivre. pour appuyer la thèse que l’on a en tête. La Maintenant nous allons massacrer le film chose la plus importante est d’avoir une en vous montrant quelques passages mais, en thèse en tête et de la dévoiler absolument de réalité, le film fait 1h30 (...). telle sorte qu’elle ne soit pas sous-enten- Je voulais aussi préciser que nous n’avons due. C’est un peu cela la caractéristique des réalisé aucune dramatisation, c’est-à-dire oeuvres scientifiques. La «manipulation» que nous n’avons jamais dit au témoin : du choix des extraits à agencer et du montage «Mettez-vous là, on va filmer comme cela». est grande. Le montage est la partie la plus importante d’un film : comment couper et Daniel Wildmann, Historian (Switzerland) : comment remonter les passages pour que le My questions go to Cathy Gelbin, and they discours sorte du film ? C’est quelque chose only complete other issues. You stress the de tout à fait différent par rapport au premier importance of the gender category for our travail d’interview du témoin. C’est un task. Actually, you were speaking about deuxième travail dans lequel le témoin ne sait two categories, the gender category and the plus intervenir. Je vous avoue qu’il y a eu race category, and how those two categories beaucoup de problèmes à ce niveau parce interfere, especially in the case of the Mis- que les témoins voulaient intervenir en chling. The so-called male Mischlinge who disant : «Je veux ce morceau-là ou celui-là». went to the Wehrmacht until 1940. So my Au début, nous avons essayé de faire des first question is - had this period of their réunions tous ensemble pour voir quelle time in the Wehrmacht any influence on était la meilleure méthode. On s’est réuni their conception of their own male identity,

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which I guess is based also on concepts of already on why so few men participated nation or Volk, which for males are very and what kinds of men participated. There’s much connected with serving in an army ? someone I met at Yale who I think is now at And the second question focuses more on Harvard or in England - his name is Brian body language. While they were talking on Rigg, he’s a historian and he has interviewed this, on their period in the Wehrmacht, what several hundreds or thousands of people kind of body language did they use, and who had Jewish backgrounds and were in what is the difference between this and the the Wehrmacht. He’s going to bring out a other kinds of body language they were book about this at some point, so I think he using during the interviews ? can draw more general conclusions.

Cathy Gelbin : Well, these are two very From the two interviews that we made with large questions which you could write a men who were in the Wehrmacht, both of 30-page essay about. It’s hard to respond them exhibit a pride of having been in the quickly, but I’ll try. It’s very hard to gener- army. They identified with having been a sol- alise, of course, because people responded to dier, were proud of having been a soldier, this situation in very different ways. which was very strange for us because - Interestingly enough, most of the so-called well, it was unexpected for us in that situa- Mischlinge whom we interviewed were tion. I don’t know if the body language was women. One of the reasons why that hap- so different while they were talking, but I pened, I think, was that for women it was analysed one of those interviews and it’s easier - this was the project that interviewed going to be one chapter in the book, where people who were persecuted, so I think I look at the ways in which one of these people who didn’t identify as victims two men - I only did one case study because wouldn’t have participated in this project. there was so much in this one interview - My theory is that for men who served in the talks about his body during the time when Wehrmacht, it was harder to identify as vic- he was in the Wehrmacht. That was very tims because their story is more ambiva- interesting, because his father was Jewish lent and doesn’t fit into how a victim is and was doing forced labour at the time, commonly perceived in Germany - I’m and he apparently had a very problematic talking about the German discourse, that’s relationship with his father. At least, he talks what I know best. The men we interviewed very negatively about him. He says - this were deported to Auschwitz. One of them occurs during the sequence when he talks had tried to defect to Switzerland, was about the Wehrmacht «My father was a caught at the border and imprisoned, and weakling», which is a very negative word in was deported to Auschwitz. So for them it German, and he describes how physically was clear that they were victims. Two of weak his father was, so much that he was the men we interviewed who weren’t in unable to do the forced labour which, by the concentration camps had served in the way, was at a train station in Germany, and Wehrmacht. Their narratives are very sim- he had to carry suitcases. It’s not clear if ilar, but I think it’s very hard to draw general that had to do with the deportations, but that conclusions from these two narratives. If was one of my suspicions ; that maybe the you look at the distribution of gender, how suitcases belonged to Jews who were being many women and how many men we inter- deported. And he describes himself «If you’d viewed and what their narratives are, I think seen me, you never would have thought you can draw maybe some conclusions that I was my father’s son, because I was tall

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and when I was in the army I was always c’est la très haute, très forte et très inquiétante first. We had to do these 70 kilometre march- peut-être, spécificité de l’objet audiovisuel ou es per night, and I was always in the first de l’objet filmé. Il y a là une logique de row. And I loved my boots, I had these fonctionnement, il y a là des mécanismes great military boots.» So he contrasts him- de perception qui affectent, qui sont autant self physically with his father, and I think de biais par rapport à l’objet étudié et ces that’s very interesting, the way he becomes biais sont d’autant plus préoccupants qu’ils a man while he’s in the army. He was an renvoient à des principes de communica- adolescent before, and that’s his initiation tion qui aujourd’hui posent les problèmes into becoming a man - it happens in the que nous savons. Alors à cet égard, je me suis army. His whole relationship to sexuality, souvenu de la règle de trois, pas celle de nos which also plays into gender, is very com- cours d’arithmétique, mais celle qui nous plicated, because so-called Mischlinge weren’t permet d’interpréter tout objet ou tout pro- allowed to marry. They were only allowed duit audiovisuel : un film, un documentaire, to marry other Mischlinge, and it was very un objet quel qu’il soit, un produit élaboré hard for them to find other Mischlinge, so avec les moyens de la production audiovi- actually they weren’t allowed to marry or be suelle, fait entrer en tension trois éléments : sexually active in any way, and this is also a le récit, la dramaturgie et un projet formel. very strange taboo in this interview. Women L’objet filmé transforme une histoire en are taboo for him, and so of course becom- récit, un propos en récité. La dramaturgie ing a man is a taboo until he enters the army c’est l’expression par les êtres filmés soit de - that’s my interpretation of the interview. It’s leur propre histoire, soit de l’histoire de one way to become a man, which is social- quelqu’un d’autre qu’ils interprètent, c’est un ly impossible for him in other ways. acteur de fiction. Le projet formel c’est la réa- lisation par un réalisateur ou par le disposi- tif lui-même des matériaux de la dramaturgie. Quel statut pour le Ces trois éléments entretiennent une ten- témoignage audiovisuel ? sion compliquée, réciproque, et le plus sou- vent - comme nous l’enseignent les théoriciens du cinéma - deux de ces élé- Wich status for audiovisual ments entrent en conflit majeur. Il en résul- testimony ? te la domination d’un des deux éléments sur l’ensemble du film, le troisième élément Hubert Galle, Président de séance : (...) Je me étant minorisé mais permettant à l’élément sens - avec Hélène Wallenborn - un peu dominant d’affirmer le projet filmique sans l’historien de service. Alors comme j’aime les qu’il déséquilibre trop le propos. Je sais paradoxes, j’ai envie de développer une toute qu’en ce qui nous concerne dans le cas des petite réflexion à partir d’une plate-forme qui témoignages filmés, le projet formel a ten- précisément n’est pas celle de l’histoire, dance à s’effacer - c’est un problème du quoique... Ce que je voulais signaler, c’est le point de vue de la critique historienne - et cet caractère étonnamment absent de la critique effacement est parfois revendiqué. Cela est historique dans ce qui nous réunit aujour- bien mais il en résulte sur le plan théorique d’hui. Il y a là un champ qui est laissé en un déséquilibre qui pose, je pense, problème friche par le fondement de notre discipline entre le récit et la dramaturgie. Ces deux historienne, peut-être parce que ce champ est éléments entrent en tension, cela est bien, et miné... Ce qui est laissé en friche assurément, le document est capable de transmettre de

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l’information et de la connaissance. Mais un documentaire, une fiction, un spectacle, cette tension n’est plus relayée par le troi- ... mais au delà de cela, je me dis que l’autre sième pôle, en ce qui nous concerne le pro- difficulté peut-être, c’est que nous sommes jet formel. Il subsiste donc un double foyer : confrontés finalement à devoir faire la cri- celui du récit et celui de la dramaturgie, le tique de quelque chose que nous sommes en récit exprimant le temps de la vie, l’attention train de faire. Finalement, les historiens se que l’on porte aux sens des choses, au des- trouvent confrontés à la critique d’un docu- tin individuel, ... et, confrontée à ce récit, ment qu’ils sont en train parfois d’élaborer subsiste une dramaturgie : l’humanité mise eux-mêmes. Donc il y a une difficulté sup- au centre, le caractère infini des émotions, des plémentaire. Quand on fait un film pour la sentiments, ... La dramaturgie exprime en télévision ou pour le cinéma, on fait gros- quelque sorte l’oppression de la société ou les sièrement un making-off du film qui est ravages de l’histoire. parfois plus spectaculaire que le film lui- Il y a donc deux éléments en tension mais pas même et souvent de mauvais goût... J’ai de résolution, pas de solution possible, sauf entendu que les différentes associations ici nier le problème. Nous voilà donc confron- faisaient preuve de beaucoup de rigueur et tés à un élément de critique historique non exposaient leurs méthodes de travail, leur enseigné. Il s’agit de la lumière qui éclaire, des méthodologie, qui sont souvent très rigou- gestes du témoin, de sa parole ou de ses reuses mais je me pose une question : à par- silences, de ses lapsus, ... Bref, la présence au tir du moment où ce document est diffusé, sens filmique, télévisuel du terme, la pré- qu’on y donne accès à des chercheurs, à des sence du témoin, c’est-à-dire quelque chose étudiants, etc., d’une part, et, d’autre part, à que seul la dramaturgie du film peut expri- des fins éducationnelles, que met-on à la mer. Méthodologiquement, il y a là un pro- disposition des personnes qui ont accès au blème, celui de se laisser piéger au point de document qui permette de lire ce document vue de l’analyse. La discussion est donc autrement que comme un simple docu- ouverte... Mais c’est une dramaturgie piège ment ? Qu’est-ce qui permet de voir com- parce qu’il y a mieux qu’un témoin, c’est ment ce document a été réalisé, c’est-à-dire Marlon Brando, qui est un excellent témoin ce que j’appellerais la «transparence du docu- du point de vue des sentiments, de l’ex- ment», parce que nous sommes en train de pression des sentiments. Et c’est cela le pro- faire ce document ? Donc, est-ce que nous blème. Et si l’objet renvoie à un sentiment de ne pourrions pas penser aussi à un disposi- présence qui est non transmissible par l’écrit, tif qui dans la diffusion elle-même du docu- alors il y a méthodologiquement un petit ment puisse permettre aux personnes qui problème, c’est que les critères de vérité ne le consultent de voir comment ce document sont plus en œuvre alors qu’en revanche, a été réalisé, parce que le dispositif, la façon des risques de falsifications sont, eux, en dont ce document est produit a autant d’im- œuvre (...). portance que le document lui-même ? C’est Massimo Iannetta : Pour enchaîner sur quand même une garantie que nous pouvons votre intervention, Monsieur Galle, je me essayer d’élaborer et de mettre en œuvre et demandais si finalement le problème que surtout de mettre à disposition. Qu’on ne se pose l’«objectivité» de tout document audio- retrouve pas avec ces documents qui sont en visuel n’était pas lié à sa nature même. En cours d’élaboration comme si on se retrou- cinéma, on se pose toujours la question de vait face à un document du Moyen-âge fina- savoir si on est en train de faire un document, lement. On a l’occasion de donner une

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transparence au document. Peut-être qu’il que l’usage que nous pouvons faire de ces faudrait penser à cela. documents audiovisuels est : 1) soit de l’ordre supplétif, c’est-à-dire que Marie Lipstadt : (...) Mademoiselle le document audiovisuel peut suppléer aux Wallenborn, si tant de questions se posent lacunes de la documentation convention- quant à la véracité des témoignages des sur- nelle (fonds d’archives) ; vivants, autant ne plus interviewer et se baser uniquement sur des documents his- 2) soit de l’ordre d’un complément visant à toriques ! ... Ce n’est pas mon sentiment confirmer les informations obtenues via les mais c’est un peu le sentiment que vous archives existantes ; m’avez laissé à travers votre communication. 3) soit d’ordre restitutif, c’est-à-dire le récit de vie, comme restitution du vécu. Hélène Wallenborn : Je ne pense évidem- ment pas que cela soit inutile. Je pense qu’il C’est là évidemment une très vieille question y a un énorme intérêt évidemment à enre- méthodologique qui a déjà fait couler beau- gistrer les témoignages des survivants des coup d’encre, notamment ces dernières camps. Je voulais juste faire une sorte d’état années autour des rapports entre histoire de la question pour montrer où cela bloque et mémoire. Je pense que cette façon de du point du vue de la méthode historique. poser les «usages historiques» de la mémoi- Quand on a eu une formation d’historien, en re - ici des témoignages audiovisuels - est tri- quoi cela est-il dérangeant d’utiliser des butaire d’une conception assez témoignages oraux et comment penser le conventionnelle des «sources historiques». statut du témoignage oral en histoire ? C’est Il y a longtemps déjà que la croyance en la un problème méthodologique et épistémo- possibilité d’extraire de la carrière des logique énorme. J’espère bien arriver à trou- archives, les «faits bruts» et ce dans le but ver des solutions à cette question. Je voulais louable de montrer enfin comment les choses uniquement faire un état de la question et «se sont réellement passées», il y a long- montrer où étaient les problèmes. temps que cette croyance s’est montrée pour ce qu’elle était, une simple et naïve croyan- Yannis Thanassekos : La question du statut ce précisément. Pour autant que je sache, des témoignages audiovisuels est incontes- tout objet historique, même sévèrement tablement un problème qui nous travaille délimité en tant que factualité, résulte d’un depuis des années et des années - avant certain découpage, d’un certain travail inves- même de commencer le programme audio- ti en lui, par l’historien. Je présume en effet visuel. Les premières observations qui ont été qu’une «trace» quelconque du passé - trace faites consistent à dire que finalement, il comptable, administrative, juridique ou que serait impossible de séparer à l’intérieur du sais-je encore - n’accède au statut de «docu- témoignage audiovisuel ce qui relève de ment» pertinent que par cette intervention l’événementiel, du factuel, de ce qui relève avisée de l’historien, intervention plus ou d’une multitude d’autres «informations» moins codifiée sous la forme de certaines contenues dans le «travail de mémoire», opérations heuristiques et herméneutiques c’est-à-dire dans le récit de vie. Donc, cette «légalisées» par la communauté scientifique. impossibilité de séparer l’«objectif» du «sub- Toutefois, cette double opération n’est, dans jectif» nous oblige à regarder le document l’ordre de la pensée, qu’une opération secon- audiovisuel comme une véritable unité de de. La première et la plus importante consis- signification. Le deuxième argument, avan- te en la formulation de certains «problèmes» cé par Madame Wallenborn, consiste à dire que l’historien pose au passé, procédure qui

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contribue à créer, au sens propre du terme, pléter les archives que nous a laissées, en ce que nous appelons communément les gros, l’Institution criminelle. Ces archives «faits» et les «documents»; ce qui signifie à comportent, nous le savons, d’énormes son tour que c’est à partir de ce conglomé- lacunes qui risqueraient de ne jamais se com- rat de «problèmes/documents» que nous bler si on ne faisait pas appel à ce type de essayons de construire un savoir possible matériaux. Evoquons quelques problèmes de sur le passé, c’est-à-dire d’élaborer des cet ordre : la structure et le fonctionnement réponses satisfaisantes aux problèmes que de l’appareil d’auto-administration des nous nous sommes posés. On l’a déjà dit, camps, des sous-camps et des commandos, l’historien «invente» ses sources, il les les relations entre les détenus, les diverses fabrique. La question de savoir comment formes de lutte pour la survie, les condi- on peut formuler ces «problèmes» et sur tions de travail, les formes quotidiennes de quoi se fonde leur légitimité, renvoie à un résistance d’une main-d’oeuvre réduite au autre débat. Disons pour faire bref, que travail forcé, sans parler de la structure inter- cette formulation dépend des expériences ne des camps que certains témoins privilégiés et des connaissances antérieures, des tradi- connaissaient tout autant sinon mieux que tions, des interrogations du présent, des l’Administration nazie. Dans cette premiè- contextes institutionnels, mais aussi de l’ima- re typologie de problèmes, la méthodologie gination et de la mentalité du chercheur. générale est celle que nous enseigne la dis- Sous ce double rapport - formulation de cipline historique - c’est-à-dire la critique problèmes et discussion rationnelle des solu- historique - par quoi précisément ces maté- tions proposées - je ne vois aucun argument riaux bruts deviennent des documents. Avec valable qui puisse contester la possibilité une réserve toutefois. Parce qu’il s’agit ici de d’élever les récits et les témoignages des res- souvenirs d’humains et non pas de docu- capés à la dignité des matériaux empiriques ments inertes, on ne peut se permettre de les susceptibles de nous documenter sur le «traiter» de la même façon, je dirais froide, passé, en l’occurrence sur les crimes et géno- qu’on le fait d’ordinaire avec les papiers cides nazis. Cette possibilité sera fonction qu’on extrait des archives. Nous pouvons d’une part de la fécondité des problèmes que fort bien appliquer avec rigueur la règle bien nous formulerons à leur sujet et d’autre part connue selon laquelle l’historien doit livrer du niveau de la critique rationnelle à laquel- une «lutte permanente contre l’optique impo- le nous soumettrons les solutions propo- sée par les sources» (Paul Veyne) sans pour sées. Pour illustrer cette possibilité, autant adopter une stratégie de soupçon j’examinerai brièvement l’ordre des pro- généralisée qui ferait du témoin un accusé. blèmes que nous pouvons poser aux maté- Or, c’est là une pente sur laquelle glisse très riaux recueillis par récits, témoignages et souvent non seulement la justice mais aussi entretiens, dans le but explicite de les un certain hyper-criticisme en histoire. «confronter» comme documents. Je divise- Passons maintenant au deuxième type de rai ces problèmes en deux types : ceux qui problèmes que nous devons poser aux récits appartiennent à la sphère événementielle et et aux témoignages, ceux précisément qui se ceux qui renvoient à ce que nous pouvons rapportent à la sphère du non-événementiel. appeler, pour faire bref, la sphère non-évé- J’entends par «non-événementiel» tout ce qui nementielle de l’événement. J’y reviendrai. renvoie au contenu d’une expérience, à son Sur le premier plan - sphère événementiel- vécu, aux perceptions qu’en ont les acteurs, le - les récits et les témoignages peuvent aux schémas interprétatifs, aux images, aux s’avérer particulièrement utiles pour com- gestes et aux paroles qui accompagnent cette

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expérience de son origine au présent et qui guages, and that perhaps one of the functions connaissent une diffusion dans les repré- of the Cahier International could be to sentations collectives. Sphère non-événe- make a certain limited number - you don’t mentielle certes, mais littéralement incrustée want to devote a whole issue of Cahier to dans l’événement au point que si on le translations - but to choose important arti- dépouillait de sa présence, l’événement se cles that raise these issues to translate from figerait en une simple série de dates et de English, or from German, whatever ; and to chiffres. Si l’on prend en considération le bring them to a wider readership, so that we fait qu’il s’agit bien ici non pas d’une expé- can disseminate this information and so that rience ordinaire mais d’une expérience his- we do not feel that none of these issues has torique limite, on mesurera mieux la portée been thought about or already discussed - I et la signification de cette sphère. Je crois am not saying they have been resolved. que cette sphère peut être parfaitement docu- mentée par les récits et les témoignages Now, we are in the midst of a société médi- pourvu évidemment qu’on leur pose des atique, a société du spectacle, and we all suf- bonnes questions et des problèmes féconds. fer from that, even historians. If you talk L’intervention de Josette Zarka était, sous ce to your historian colleagues, they will com- rapport, exemplaire (...). plain about the same thing. Nobody knows Geoffrey Hartman : I can only underline anything about the First World War or the certain lines of thought that our colleage Second World War, for that matter. So in Yannis Thanassekos has just elaborated. In some sense we are all in the same boat. At the first place, there’s just no doubt that the same time, it might seem ironic that we there is a historical value to the testimonies. are therefore collaborating with the société But that’s not the only value they have, and du spectacle by using video as a medium. they don’t always have that value. It is a But surely we can make it clear that our mistake to think of the testimonies as hav- medium - and I don’t want to go into this, ing one kind of value, as being a limited but simply use this phrase to put it out - object in a particular field. One has to add that our medium is counter-cinematic. It that we don’t yet quite know what we have has almost no value for technology or for the here, it is so multi-dimensional, and that technique of representation. If you look for we are still developing a, call it a method the technique of representation, it shouldn’t of interpretation or hermeneutics, and that be there. It’s not only not there, it shouldn’t we are doing it collectively. So I welcome, on be there. It is counter-cinematic because to the other hand, Madame Wallenborn’s com- some extent it is simply talking heads, or ments, because they lead us into the mind of what the industry at least calls, somewhat the strictly thinking historian trained up in disparagingly, talking heads. And I think a certain way, who unfortunately on the we have to keep in mind this counter-cine- whole has not collaborated with us, and we matic aspects. Now, we can’t control it ; we must, in the self-critical spirit about which mustn’t be under the illusion that even our Thanassekos has been talking, keep that efforts cannot be co-opted. Obviously, to always in mind. some extent they are co-opted. But we will keep on doing what we are doing, and we At the same time, it struck me with Madame will not, I think, contribute to what Joanne Wallenborn’s remarks that some of the issues Rudof was talking about, that is, to enter- she raised have been discussed, but perhaps tainment. I think that is clear at least in are not available in French or in other lan- intent - as Yannis and others know who

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have studied these things more than I, his- houses that we’ve been to are full of memen- tory has a way of taking over from our tos of people who have at a certain stage in intentions. I just hope there are also some life started to make miniatures of the camp good things in the future that the testi- and of the barracks, and the whole house is monies will bring to light. full of them. I think that is so impressive that it really belongs to it. So I think that one Maika Leffers, Translator and Researcher, has to move along, and the camera will have Gedenkstätte Sachsenhausen (Germany) : to walk along as well, I think. I work at Sachsenhausen Memorial Centre as a translator and a researcher ; and it’s a quite nice coincidence, I think, that I wanted to talk also on this subject of what’s being talked about now, how people should be Divergences entre les projets shown giving witness. In that sense it con- audiovisuels : tinues a little from what Geoffrey Hartman un dialogue possible ? just said, and I wanted to say very specifi- cally, with a concrete example, that for instance what has impressed me on quite a Divergences between few occasions is how people receive us. So I think a video camera for my taste, for peo- audiovisual projects : ple to see afterwards when somebody comes is a dialogue possible ? to the door already, the way people have sometimes been expecting us, whether they Baron Paul Halter : (...) Je voudrais tout really want to talk. For instance, one time it d’abord dire que ce qui m’a toujours gêné was very strong. The man and the wife - dans nos réunions c’est cette terminologie the man had been a prisoner at religieuse qu’on emploie. Pour moi, ce n’est Sachsenhausen - greeted us, said «Hello, pas un «Holocauste» qui s’est passé. Je n’ai very happy you’re here», something like pas été volontairement me faire «incinérer» that. Then they flew off in a different direc- à Auschwitz. On m’a enlevé et on a failli me tion, to the bedroom as it turned out, and brûler. On a brûlé mes parents. Je ne consi- they each came back with one item, which dère pas cela comme un Holocauste mais was the pants and the jacket of the camp comme un génocide. Je crois que c’est uniform, and they were in plastic covers, important que cela se sache. Il en est de they looked as if they came straight from the même pour le terme de «Shoah» qu’on dry cleaners. And I think that things like emploie à tout escient et qui me gêne de la that really belong to this giving witness as même manière. Je trouve qu’on emploie well. beaucoup trop de terminologies religieuses et je crois que c’est un défaut des Anglo- So I think this only talking heads - I agree saxons d’avoir instauré cela. Je crois qu’en with people warning that it must not become majorité, ce sont des gens qui n’ont pas a circus or a spectacle, I think it is this very connu le drame européen et ils ne peuvent fine balance again - but I think these other pas comprendre. Je crois qu’aux Etats-Unis, things of where people go and also when encore à l’heure actuelle, on ne conçoit pas they show later - sometimes they have pre- que l’on puisse vivre sans religion. Or je pared them - all the original documents crois que beaucoup de Juifs et d’antifas- from this, that and the other phase ; or some- cistes qui ont été tués par les nazis étaient times they have to rummage about. Some athées ou du moins agnostiques et je crois

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donc que toute cette terminologie n’a pas sa trouve un peu utopique. Sait-elle qu’à ce place (...). moment-là, elle se trouvera en présence de doubles et de triples cassettes provenant Je suis très content que Madame Rudof ait d’un même témoignage ? (...). parlé de la Liste de Schindler comme elle l’a fait dans sa communication parce que Alberta Strage : I think perhaps I did not c’est un film qui m’a fort gêné. Il a, en effet, make myself clear in what I was proposing. un double sens : on voit des bons nazis qui Baron Halter I think has suggested some- ont sauvé 1.000 Juifs et qui, grâce à cela, thing that I was not suggesting. I am not sauvent toute la culture allemande et peut- suggesting that everyone here turn over all être même le nazisme dans les dix ou les testimonies to Spielberg to do with as he cinquante ans comme on a sauvé l’épopée de wishes. I am concerned, as Joanne Rudof Napoléon en en faisant un héros cent ans mentioned today, in the educational uses après. J’ai bien peur que ce genre de choses of these testimonials. I think that if we conti- ne fasse plus de tort que de bien. nue to be an organisation that is concerned Je voulais aussi intervenir au sujet de la com- only with the groups represented here munication de Madame Strage, de son expé- among professional scholars and historians, rience britannique et de la «Liste de and the professional scholars and historians Spielberg» - puisque c’est grâce à l’argent do not make some kind of approach to use récolté par la Liste de Schindler qu’il a créé the audiotapes for educational purposes, sa Fondation... C’est une chose que je vou- then we are going to allow this Mr. Spielberg lais mettre au point. En Amérique, l’argent and others like him to flood the educational dépensé de cette manière-là n’est pas impo- market, if you like, and create an impression sable ce qui fait qu’être bienfaiteur de l’hu- that is quite different from what we would manité... je le serais aussi si je pouvais like. It is a distortion of historical truth. But bénéficier de ce genre d’avantages et inves- the scholars and historians are here, within tir mes millions... the Fondation Auschwitz. They are not within the Spielberg group, as we know. Hubert Galle : C’est en somme une bonne What I was suggesting is some yet to be œuvre qui est aussi d’ailleurs une bonne determined way that scholars and histo- affaire... rians could work together with the Spielberg Baron Paul Halter : Exactement. Spielberg Foundation in order to create educational constitue aussi une banque de données qui programmes that would have the quality servira vraisemblablement à alimenter toute that the historians and scholars here I think la production cinématographique dans les would demand. années à venir. Je pense que c’est là un grand Yannis Thanassekos : (...) Madame Strage, danger car on ne sait pas du tout ce qu’il dans votre communication, vous avez signa- fera des témoignages qu’il a recueilli. Il en a lé, avec raison, que nous nous situons à l’in- récolté plus ou moins 40.000 mais com- terface de deux périodes. La première ment peut-on en recueillir autant convena- période était celle de la récolte des témoi- blement, en le faisant sérieusement et aussi gnages audiovisuels. Nous nous achemi- rapidement ? Je ne crois pas que cela soit nons irrémédiablement vers la fin de cette possible (...). période riche et instructive pour nous tous. Marie Lipstadt : Madame Strage voudrait La seconde période, celle qui s’ouvre devant rassembler tous les témoignages y compris nous, et celle de la mise en oeuvre scientifique ceux de Spielberg. C’est un projet que je et pédagogique de tous ces documents

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audiovisuels patiemment recueillis. C’est là est exclusive et cela, compte tenu de la mas- une responsabilité énorme, plus grande sivité de son entreprise et des moyens - encore que celle que nous avons assurée symboliques et réels - dont il dispose, peut dans la première phase car ce qui est en jeu avoir des conséquences néfastes sur l’avenir dans l’immédiat, c’est désormais la postéri- du témoignage. Le risque consiste à l’édifi- té même de cette documentation. Le pro- cation d’une sorte de monopole sur le témoi- blème de Spielberg n’est pas nouveau. Nous gnage audiovisuel, une situation qui peut en avons déjà discuté lors de nos deux pré- s’avérer catastrophique, surtout du point cédentes Rencontres à Paris et à Bruxelles et de vue pédagogique et didactique. Si toute- nous en rediscuterons aujourd’hui encore. Je fois je me trompe et que Spielberg et ses pense d’ailleurs qu’il faut ouvrir une dis- collaborateurs sont prêts à participer à un tel cussion à ce sujet dans les colonnes de notre débat ouvert et sans complaisance, alors des Cahier International *. Je crois que la ques- malentendus pourraient être levés. Je vous tion se ramène à ceci : la Fondation Spielberg informe par ailleurs que la Fondation serait-elle prête à discuter et débattre avec Spielberg était invitée à la présente Rencontre d’autres partenaires sur le fond des pro- mais nous n’avons reçu aucune réaction de blèmes que soulèvent aussi bien la métho- sa part. dologie du recueil des témoignages que les Iris Berlazky : (...) The Spielberg project is orientations à adopter du point de vue de being attacked here, and I think that also leur mise en oeuvre pédagogique et scienti- in Israel, in Yad Vashem, we were very angry fique ? Toutes les informations dont je dis- that they duplicated our interviews. Mainly, pose à cet égard me font penser que la what I did years before, they did again. I Fondation Spielberg n’est nullement dis- think we should not look on the Spielberg posée à s’insérer dans de tels discussions et project as a scientific project, but as quanti- débats ouverts. Je pense plutôt que Spielberg ty. You know, it’s like an industrial project, et son équipe veulent tout tenir en main, and nobody can compare Yale and Spielberg. contrôler toutes les opérations et imprimer One is quality, and the other is quantity, so leur logique propre d’un bout à l’autre du it should be treated as such. What Spielberg processus testimonial. Il y a là à mon sens does nobody can do, because he has money, problème. Je prends comme exemple, a and if all the projects here take 20 years contrario, notre initiative commune avec from now, they will never cover all the sur- les Rencontres que nous organisons et sur- vivors there are in the world. I think that we tout avec la publication du Cahier should let everyone do whatever he pleases ; International. Notre souci premier est pré- I don’t think we can control things like this. cisément la création d’un espace ouvert de And another point that I want to mention discussion où nous échangeons nos expé- about Spielberg - they want to record, like riences et où nous débattons de l’ensemble in Israel, 100 testimonies a week. That’s des problèmes que pose du point de vue what they did in Israel. But what I suggest, méthodologique et pédagogique la docu- to be constructive, is we should be con- mentation que nous récoltons. D’après les cerned that they will give us copies, like informations dont je dispose, Spielberg n’est you say, for education and things like that. pas disposé à participer à ce type de confron- That’s how you can control it, if you have tation et de critiques mutuelles. Son optique copies ; and when you teach and when you

* N.d.E. : Cette discussion a été effectivement ouverte dans le Cahier International, n°2, Bruxelles, décembre 1998, pp. 73-89.

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do programmes, if you have copies you can conferences like this - could be, Alberta, it compare, you can show that yours is dif- could be a strength. ferent. But if they are isolated and they don’t give copies, this is the problem, not because We’ve talked about history, we’ve talked they are doing what you did already. The about pedagogy, and I agree pedagogy is survivors in Israel approached them and moving forward in our sphere of attention. wanted to be interviewed, because of There’s also the question of language, and Spielberg’s name, like you said, and nobody Baron Halter has made his comment on can control the media (...). I want to react to the terms «Shoah» and «genocide». I solved him, because the media problem with the that, not to his satisfaction, by using every survivors is a very psychologically big prob- possible term, so that I get «critiqued» from lem, because some of the survivors want to all sides. But I don’t fix on one term. I don’t be in the media, they want it to help them, say «genocide» only, or I don’t say and you can’t control it. «Holocaust» only, because I just don’t know whether there is a single term that can be used. But this question of language extends beyond, of course, the main noun. And I Geoffrey Hartman : (...) One important think we heard one exposition today, that of subject that was raised by Alberta Strage in Josette Zarka, which shows that it is possi- her talk was that of pedagogy, and in a way ble to combine not only professional insight, that question can be divorced from the but a highly trained and professional lan- Spielberg question because I think, Alberta, guage, with the subject matter which is so if I understand you, you felt that if we could sensitive, and it did not desensitise that sub- form a strategic alliance with Spielberg, then ject matter. And I think this is also where, the very important aim of the pedagogical not necessarily, but where literary training use and dissemination of the testimonies cannot hurt. In other words, I don’t want to would be advanced. I am not sure that is talk only about historians. I think we should the case, because so far what we have seen also bring in the literary people, and under- come out of the Spielberg Foundation, other stand that they have a contribution to make. than the testimonies, which very few have seen, are a couple of films which are not Izidoro Blikstein : Je ne sais pas si mes col- distinguished. They are not pedagogically lègues ici ont pu voir certains extraits des distinguished. One might even say they are témoignages réalisés par Spielberg. Pour ma counter-distinguished, or something like part, j’ai pu voir trois ou quatre témoignages that. Anyway, given Spielberg’s expertise parce que son équipe est également allée au in this area, one would have expected some- Brésil, en Argentine, où elle a enregistré à une thing else. I think we must put the empha- échelle industrielle plus ou moins 500 témoi- sis - in other words, Spielberg is not a deus gnages pendant à peu près un mois. La télé- ex machina for us. I think in a sense, even, I vision brésilienne a diffusé une sorte would say that we might put more value d’échantillon du projet Spielberg. Deux on our pluralism ; that is - and I think that is choses ont attiré mon attention parmi part of the spirit of what Alberta Strage was d’autres. Il s’agit d’abord de l’encadrement, saying - we should not allow one private la position : le témoin était encadré d’une cooperation to determine the educational façon cinématographique, c’est-à-dire qu’on use of what we are doing. And that we are l’avait maquillé pour être devant la caméra, many, even if we are not one - but in a sense il portait un vêtement élégant et une cravate. we are one, because we come together in Le décor, c’était son foyer et la famille était

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présente. Mais ce qui a encore plus retenu Schindler car s’il y en avait eu plus, il y aurait mon attention, c’est la structure du récit qui eu plus de survivants... rappelle un peu la morphologie du compte russe, selon une étude de Vladimir Propp Alberta Strage : I would like to reply to dans laquelle il explique les fonctions du Yannis. I’d like to thank you for taking the récit. (…) Dans le cas du récit du témoin et time and effort to formulate your very ana- la manière dont Spielberg dirige cette struc- lytical and perceptive responses to the chal- ture, je suis arrivé à la conclusion - peut- lenge I proposed in regard to the Spielberg être un peu prématurée - que d’après ce Shoah Foundation, and for the opportuni- récit, la souffrance était dans le passé et le ty you’ve given me to respond briefly to bonheur était le temps présent. Le récit se your request for ideas for a strategic alliance. termine par un happy end de même que May I say at the outset that your request to dans la Liste de Schindler au moment où me to formulate a design for a strategic Schindler se met à pleurer - c’est une forme alliance with Spielberg cannot be taken light- de rédemption de Schindler. C’est cela qui ly and could not be developed overnight. me préoccupe beaucoup. L’usage éducatif However, I would like to express my con- d’un film qui a justement ce message : «Nous cerns (...). I think we all believe we are at a vivons à présent le bonheur et toutes les crossroads in our work. As we noted, the souffrances sont restées dans le passé». issue must not be avoided. We all believe we must discuss possible collaboration and certain areas of convergence. We all believe Je voulais encore vous raconter une anecdote the use of documents is a huge responsi- à propos de Spielberg. Je ne sais pas si vous bility. We all believe we must add certain le savez mais un cinéaste brésilien a été primé pre-conditions, and we all believe Spielberg au Festival de Berlin avec un film qui s’ap- is not ready now to accept an alliance. In pelle Station centrale du Brésil. Le thème addition, as Geoffrey Hartman so eloquently de ce film est la misère de l’enfance au Brésil. expounded, it’s time to reflect. We agree Ce film a reçu l’Ours d’Or et Walter Salis, le quantity does not and never will mean qual- metteur en scène, a rencontré Spielberg. ity ; that every witness should be able to Spielberg lui a dit : «C’est formidable, vous talk, and Spielberg, for better or worse, has avez été primé. C’est une leçon pour nous. given that opportunity to more than 40,000 Il faudrait que nous pensions à faire des witnesses ; that pedagogic problems are films avec des budgets plus réduits. Je pense enormous ; and that we must continue to faire des films avec un budget de 40 mil- seek the best use of these testimonies. lions de dollars. Combien votre film a-t-il However, you, Geoffrey, have commented coûté ?» Salis a répondu : «3 millions de that you are not sure that pedagogy will be dollars». Vous voyez que l’échelle de advanced by the Spielberg connection. I Spielberg est un peu différente de l’échelle agree, but I am also not sure that pedagogy brésilienne ! On pourrait dire que le Brésil will be advanced by its exclusion. est peut-être encore en voie de développe- ment mais j’ai l’impression que cette échel- Perhaps we should seek clarification on le pour la production de films nous dépasse issues regarding why Spielberg, although un peu tous. having been invited - which I did not know until yesterday - has not chosen to partici- Maryla Michalowski : (...) Je voudrais dire, pate in a conference dedicated to the moi aussi, quelques mots sur la Liste de exchange of information and experiences Schindler : je regrette qu’il n’y ait eu qu’un and discussions of plans and prospects for

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work in audiovisual testimony, of which Geoffrey Hartman and, if you might con- he has recorded 120,000 hours. We should sider I could possibly of some modest ser- seek to know what is the present position vice, myself, consider the various options we regarding the preservation of tapes in general have, learn to ask the right questions, com- and in particular, regarding the state of the art municate among ourselves and report back of digitalisation. We should know what is the at our international gathering in the year possibility of joining all collections through 2000. The issues are too complex, too unclear electronic means, and how significant will and much too significant to be decided that be in regard to accessibility and copy- today. right protection. We should know what will be the best use for which all testimonies, Yannis Thanassekos : (...) Je constate, Spielberg’s and ours, can be used. Madame Strage, que, dans ce domaine, nous partageons les mêmes peurs et le même In addition, I am concerned about the scepticisme. Je ne crois pas qu’on puisse impression that the public will have if the résoudre ces questions en commission et designated, most prestigious and exceed- sous-commission. Nous avons informé ingly well-regarded repositories such as Spielberg de cette Rencontre comme des Yale, Yad Vashem, the US Holocaust précédentes et pas seulement aux Etats-Unis Museum and the New York Jewish mais aussi auprès de ses équipes en France, Museum in the future agree to accept the en Belgique et ailleurs. Donc, j’aurais été Spielberg collection. Will this not also seem ravi de pouvoir les accueillir durant ces trois to be a validation, an approval, a positive journées mais ils ne sont pas venus. Vous imprimatur if you like, of the Spielberg col- avez parfaitement compris que nous ne lection itself ? How can the repositories sommes nullement opposés à discuter avec mentioned, which are considered by all the les équipes de Spielberg mais, comme je l’ai world to be centres of excellence for dit tout à l’heure, il faut qu’il y ait de leur part Holocaust study, possibly accept the une volonté égale de débattre sur le fond Spielberg collection and believe that, by du projet audiovisuel. Vous pouvez lui en accepting, they are not also giving Spielberg parler, il peut s’exprimer dans notre Cahier the academic approval he seems to be seek- International. Rien ne l’empêche de faire ing but today has not been granted, and des propositions dans le Cahier auxquelles certainly not by the participants ? In fact, the bien sûr nous répondrons, chacun selon sa reverse seems to be true. The participants perspective. Moi, je suis parfaitement d’ac- here, some of whom are representatives of cord que vous soyez la courroie de trans- the designated repositories, seem to be mission des différents points de vue exprimés extremely critical, with justification, of the ici auprès de la Fondation Spielberg. work of the Spielberg Foundation. Joan Ringelheim, Director, Division of What therefore is the best approach to the Education and Oral History - Research Spielberg group ? I always believe cooper- Institute of the United States Holocaust ation is better than confrontation, that col- Memorial Museum (U.S.A.) : (...) With laboration is better than exclusion. I simply respect to Spielberg, it’s not the «Spielberg respectfully propose that in order to pre- collection» ; it’s the Survivors of the Shoah determine the manner in which an alliance Visual History Collection. Let me tell you, with Spielberg is being considered, a small Alberta, what I’ve said to them - the group, perhaps consisting of you, Yannis Holocaust Museum accepts all kinds of Thanassekos and Baron Paul Halter and interviews ; bad interviews, good interviews,

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excellent interviews, brilliant interviews. We number. I fall back on the principle that in produce bad ones, good ones, excellent ones, the end we should join electronically all the superior ones. Bad interviews can be evalu- collections, that there shouldn’t be any ter- ated. Bad interviews give you a lot of inter- ritoriality in this are whatsoever, and I see this esting information. So there is no way in as a step of joining electronically important the world that the acceptance by the collections. I hope this trend would con- Holocaust Museum - I don’t know what tinue, just as a trend should continue and is Geoffrey Hartman would say or Joanne not yet sufficiently in place, that cataloguing Rudof would say - is giving any approval ; procedures should be standardised so that and if I don’t have the money to duplicate the work of researchers in the future be some collection, I’m not saying «I don’t made easier. It is an enormous pressure that like what you have». I want everything. I the researcher has, who must confront - would like to have there be some central and how can he or she be guided ? - who location, in some way, whether it’s on com- must confront thousands of testimonies. puter or whatever, so that we can study Now, anyone who has seen only a few tes- everything. There’s no way in which the timonies knows the pressure, the burden, the collection that the Survivors of the Shoah are pain, as well as the interest which these tes- doing is being said to be a great collection timonies exert. We will have altogether - because we’re accepting it. And believe me, Spielberg doesn’t have 120,000 hours, my if I were a member of that organisation and figure was meant to include all the efforts - I heard some of the things that were said if we have 120,000 hours, how are we going here, I wouldn’t come here either, because to deal with these ? So a good cataloguing there seems to be some sort of obsessive procedure is obviously important, even if criticism of them. You haven’t seen a lot of finally all of us will only become acquainted our interviews, I haven’t seen a lot of your with 50 or 100, which may be all we can interviews. If we’d sit together, I’m sure really manage. we’d have a lot of problems with each other, and that would be very interesting (...). Yannis Thanassekos : (...) Le problème majeur concernant Spielberg, c’est l’opacité Education et médias : devant laquelle nous nous trouvons, la place du témoignage l’«absence de transparence», une opacité audiovisuel qu’on aimerait pouvoir percer. Si vous pou- vez nous aider à cela, je crois que plusieurs choses sont éventuellement possibles (...). Education and media : Geoffrey Hartman : (...) Maybe I should the place of audiovisual add just one thing about Spielberg. I agree, testimony Alberta, with Joan Ringelheim this much, that to accept the electronic transmission - Yannis Thanassekos : (...) Madame Rudof and it’s not yet clear, because everything a évoqué dans son intervention les dangers has to be negotiated, that we will be in a de simplifications en pédagogie. Je crois position to do this - I don’t think is in itself qu’il s’agit là d’un problème fondamental qui an imprimatur of what Spielberg is doing. It doit retenir toute notre attention. Nous couldn’t be. We do not know what is on avons réalisé récemment une enquête auprès those tapes. We have seen only a very limited d’un grand nombre d’enseignants pour tester

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leur niveau de formation relativement à la établir avec eux, par la suite, des «modules» Seconde Guerre mondiale et plus particu- didactiques simplifiés. lièrement concernant les crimes et géno- Roger Simon : I just want to make a com- cides nazis*. Nous avons été stupéfaits de ment on education, and try to complicate l’ampleur, parfois criante, des lacunes. Nous matters a bit more in relationship to the avons l’impression que dans leur grande issue of spectacle and cinematography. I majorité, les enseignants, y compris les jeunes think that there’s, at least in North America, enseignants, ne lisent plus d’ouvrages de another form of entertainment other than the fond relevant de leur discipline. Ils se nour- movies that we have to worry about a lot in relationship to how audiovisual testimonies rissent presque exclusivement d’émissions are received, and that’s talk-show television, télévisées et des produits médiatiques en which is a huge entertainment industry, général : films, journaux, expositions, ... Or, highly organised around the giving of testi- en matière de simplifications, les médias se mony in a very emotional way for the enjoy- sont fait orfèvres et c’est par ce biais que ment of the viewers, and many millions of les simplifications transitent à l’école. Certes, viewers watch this material. What’s going to toute pédagogie oblige à des simplifications differentiate the receipt of audiovisual tes- mais celles-ci, pour qu’elles soient perti- timony from the receipt of testimony that’s nentes, exigent comme préalable une maîtrise being given on daytime television constantly de la complexité de la part de l’enseignant. Je every day ? There’s another dimension of crois qu’il faut prendre appui sur les education other than cinematography that we have to worry about and think through. témoignages audiovisuels pour initier les enseignants, avec des séminaires appropriés, à la complexité de cette matière, quitte à

* N.d.E. : voir Une enquête pédagogique, Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, n° 58, Bruxelles, janvier- mars 1998.

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Séance du Samedi 13 juin 1998 après-midi Session of Saturday Afternoon, June 13th, 1998

Coordination des travaux et discussions sur le Cahier International. Propositions rédactionnelles et diffusion

Coordination of the work and discussions about the International Journal. Propositions concerning the edition and the distribution

Président : Professeur Jean-Jacques HEIRWEGH, Doyen de la Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Economiques de l’Université Libre de Bruxelles De gauche à droite/From the left to the right:Monsieur Daniel Weyssow, Collaborateur scientifique à la Fondation Auschwitz, Monsieur Martin Schimrick, Collaborateur volontaire ASF à la Fondation Auschwitz, Monsieur Jacques Rozenberg, rescapé d’Auschwitz.

De gauche à droite/From the left to the right: Mesdames Kim Davies et Marian Reed, Interprètes, Monsieur Yannis Thanassekos, Directeur de la Fondation Auschwitz. INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

YANNIS THANASSEKOS Directeur Fondation Auschwitz, Bruxelles - Belgique

Historisation et rapport existentiel à l’événement

Le Cahier international comme «milieu de mémoire»

Je tiens en tout premier lieu à remercier commencerai par me poser une première vivement mes collaboratrices, Anne Van question d’ordre général : les recherches sur Landschoot, historienne attachée à la les crimes et génocides nazis ont-elles le Fondation, Carine Bracke et Nadine Praet, même statut que celui que l’on attribue Assistantes administratives, qui assurent généralement aux recherches en sciences avec beaucoup de compétence et d’ardeur la humaines ? Oui, bien sûr, dans la mesure coordination et la réalisation de cette nou- où l’étude de ce domaine partage les mêmes velle publication qu’est notre Cahier inter- soucis conceptuels et méthodologiques que national. Je tiens à préciser qu’elles assument l’on observe dans la plupart de ces disci- cette fonction particulière - dont vous mesu- plines (choix de sources, délimitation du rez tous l’importance - à côté, et pour ainsi corpus à étudier, analyse et critique des dire en dehors de leurs autres obligations documents, construction d’hypothèses, professionnelles dans le cadre des activités de modes d’administration de la preuve, etc.). la Fondation Auschwitz. Sans leur apport, Des spécificités surgissent toutefois dès lors cette publication serait condamnée à rester que l’on accepte de saisir cette thématique à une chimère. la fois comme «événement» et comme «acte Afin de mieux asseoir mes réflexions sur le mémoriel» - acte de témoignage. Ces spéci- rôle de notre Cahier international consa- ficités se situent sur le plan de l’histoire et sur cré à l’étude du témoignage audiovisuel, je celui, plus général dans le champ des sciences

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humaines, de la dialectique du sujet et de existentiel à l’événement. C’est, finalement, l’objet de connaissance. Je ne pourrai évi- le seul obstacle majeur à une historisation demment aborder cette double question accélérée du national-socialisme qui, à terme, que très brièvement afin d’introduire l’es- pourrait déboucher sur une «normalisa- sentiel de mon propos qui porte sur le tion» de son histoire et à une relativisation de Cahier international comme lieu et milieu de ses crimes. Pour le moment ce rapport exis- mémoire. tentiel à l’événement se nourrit par la pré- sence de la mémoire vivante des survivants, Sur le premier axe, celui de l’historiogra- mémoire vivante qui résiste à la réduction de phie à proprement parler, la spécificité de nos l’expérience vécue à une simple factualité. Ce recherches s’enracine, me semble-t-il, sur même rapport existentiel a largement condi- une aporie majeure qu’aucune discussion tionné aussi le point de vue des chercheurs n’a pu lever jusqu’ici. Je me permettrai de la qui se sont occupés jusqu’ici de cette pro- formuler, pour faire bref, par une double blématique puisqu’ils étaient, dans leur gran- question inclusive : existe-t-il des limites - au de majorité, de près ou de loin, les «héritiers» sens méthodologique du terme - dans le directs de cette époque. Sous ce rapport mouvement d’historisation du IIIe Reich nous vivons une période charnière et en et si tel est le cas, à quel degré de narrativité cela cruciale. Nous nous situons d’une part historique peut accéder la sphère événe- au seuil de la disparition des derniers témoins mentielle des crimes et génocides nazis ? - et, de l’autre, au moment précis où une autre sans qu’une telle narration ne se limite évi- génération de chercheurs, fort éloignés de demment à produire de la documentation ou l’«innommable», est appelée à assurer la à réduire le processus historique à une simple relève et à se pencher sur cette période. succession de dates et de chiffres. J’ai rappelé dans mon intervention de jeudi la contro- verse à ce sujet entre Martin Broszat et Saul La disparition inévitable des témoins enta- Friedländer. Je crois que ce débat reste tou- mera sérieusement cette résistance à l’his- jours ouvert et que cette aporie persiste et torisation et ouvrira une brèche nouvelle persistera aussi longtemps que cette histoi- dans les rapports déjà tendus entre histoire re demeurera la nôtre. Sur le deuxième plan, et mémoire. Certes, les témoins ont pris celui de la dialectique du sujet et de l’objet de soin - c’est là d’ailleurs le sens du coura- connaissance, la spécificité de notre théma- geux combat qu’ils mènent, pour beaucoup tique est fonction des contextes interpréta- d’entre eux, depuis la Libération - de laisser tifs d’une part, des perspectives des groupes derrière eux de quoi alimenter une réflexion impliqués dans la recherche de l’autre. Ces rigoureuse sur l’apport du témoignage dans contextes sont, nous le savons, évolutifs, de la compréhension de l’événement, mais leur même que les perspectives de groupes sont absence en tant qu’absence locutrice de ce tributaires des positions générationnelles. qui a été vécu, créera un vide, le vide de cette parole qui nous faisait face. Dès lors A bien observer les débats historiogra- qu’ils sont là et qu’ils nous font face, leur his- phiques des deux dernières décennies, les toire peut devenir, d’une certaine façon, limites à l’historisation ne tiennent pas tant notre histoire. A travers eux, nous avons au caractère intrinsèquement singulier de établi une relation existentielle avec l’évé- l’événement lui-même - cette singularité nement lui-même. Leur présence, leur visa- n’interdit en rien l’historisation de pans ge, leur parole nous rendent en quelque entiers de l’histoire du IIIe Reich - qu’à la sorte contemporains d’une expérience que présence, encore marquante, d’un rapport nous n’avons pas vécue. Alors qu’ils sont

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toujours là, à nos côtés, nous habitons bref, essayer de rendre à ces matériaux la ensemble, bien que chacun avec son histo- dignité d’une documentation indispen- ricité propre, le même monde. Cette situa- sable pour comprendre l’événement dans tion existentielle interdit aussi - c’est un ses multiples aspects. Ici, nous le savons, problème fondamental me semble-t-il - le concours de plusieurs disciplines - cha- d’instituer la parole du survivant et le sur- cune avec ses traditions et méthodes - vivant lui-même, en «objet» d’étude, pro- s’avère vraiment indispensable ; pension propre à la dialectique du sujet et de l’objet de connaissance dans les standards 2°) d’autre part, assurer la continuité de la scientifiques et académiques des sciences mémoire dont la fonction consiste pré- humaines. Dès lors qu’ils ne seront plus là, cisément à inverser la ligne irréversible physiquement parlant, peu à peu leur histoire du temps. En effet, contrairement à l’his- cessera d’être la nôtre pour devenir, préci- toire qui «passe» l’événement et le quitte, sément, histoire. Ils nous auront quittés. Le la mémoire reste, elle, toujours au-dedans, présent de la réflexion, de notre réflexion, ne elle ne le quitte jamais, elle l’habite et lui sera plus nourri par cette présence qui assu- donne vie au présent. La fameuse «his- rait la contemporanéité de l’expérience vécue toire qui ne passe pas», c’est de la mémoi- et son possible partage. Certes, les maté- re. La mémoire ré-injecte en quelque sorte riaux audiovisuels que nous avons récoltés de l’histoire dans le présent. Mais pour constituent sous ce rapport la source docu- que la mémoire puisse accomplir ce travail, mentaire la plus appropriée pour suppléer à il faut qu’elle soit portée par des individus cette absence mais ils ne pourront en aucun et des groupes qui l’élaborent, qui la font cas la combler. Seul restera possible, grâce à vivre et lui assurent sa permanence. ces matériaux, le partage de leur mémoire. Cela signifie que notre Cahier ne peut se Dans ce contexte nouveau toutefois, de sujet limiter à n’être qu’une simple publication actif, la mémoire risque de devenir plus faci- académique, scientifique ou même didac- lement «objet», objet d’étude avec son his- tique. Certes, il doit être cela aussi - j’y toricité propre. Cette réification ne sera pas reviendrai - mais, par la nature même de sans conséquence sur notre rapport à l’évé- son domaine, il ne pourra assurer ces fonc- nement. Les inhibitions heuristiques et inter- tions qu’à la condition d’être en même temps prétatives que la présence du trauma un lieu et un milieu de mémoire : lieu d’ana- induisait, diminueront sans doute, mais, du lyse rigoureuse du témoignage d’une part, même coup, les risques d’une appropria- milieu d’élaboration et de transmission de la tion spécialisée et donc mutilée de l’événe- mémoire de l’autre. C’est ainsi et seulement ment croîtront. Aussi, nos efforts, ainsi que nous parviendrons à pérenniser, à notamment à travers le Cahier international, travers les générations, la relation existentielle doivent-ils tendre vers un double objectif : qui doit nous lier à l’événement.

1°) d’une part, démontrer concrètement L’articulation de ces deux tâches ne va pas que les sources orales et audiovisuelles sans difficultés. La première relève de la que nous récoltons représentent précisé- rigueur scientifique et donc de ses critères ment ce type de documentation suscep- méthodologiques et déontologiques qui lui tible de couvrir, dès lors qu’elle est sont propres. La seconde en revanche relè- rigoureusement traitée et analysée, les ve de notre rapport au monde et au présent, zones de l’événement qui résistent à l’his- rapport dont les critères ne sont pas du torisation et à la narration historique - domaine de la science mais de la conscience.

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Si la première tâche peut bénéficier, contre portunité même d’une pédagogie visant à l’insensé même de l’événement, de l’appui de transmettre la mémoire de la Shoah à travers nos capacités d’intellection et des traditions l’école. Les arguments avancés ne manquent scientifiques dans lesquelles elles s’exercent, pas de poids. Ils se rapportent précisément la seconde tâche, celle qui relève de notre rap- aux conséquences traumatiques que pourrait port au monde, est, en revanche, comme avoir une telle transmission auprès des jeunes suspendu dans le vide. La perte de confian- en voie de socialisation et de formation. ce au monde que nous a signifié l’événe- Peut-on éduquer en transmettant une ment Auschwitz, a mutilé notre conscience connaissance-mémoire dont la signification dans sa double dimension, politique et profonde est précisément cette perte totale éthique. Que signifient la politique et de confiance au monde ? Et si oui, qu’elles l’éthique «après Auschwitz» ? Comment en seraient les conséquences probables (re)construire un rapport au monde, tourné auprès des jeunes qui doivent intégrer non vers l’avenir, sur les ruines des certitudes, seulement les connaissances disponibles - des valeurs et des critères qui prévalaient dont nous connaissons l’accélération - mais jusqu’ici ? Ces questions ne peuvent qu’af- aussi la normativité qu’exige la vie en fecter nos tâches pédagogiques, notamment société ? quant à l’usage des documents audiovisuels que nous récoltons. Comment les utiliser Sur ce double terrain, de la connaissance et pour redonner sens à la vie et confiance au de la conscience, les enjeux sont donc monde ? énormes et les difficultés multiples. Notre Cahier doit devenir le lieu et le milieu où ces Nous savons que sur ce double axe, de la questions capitales pourront être affron- connaissance d’une part et de la conscience tées, confrontées et discutées. Les articula- (politique et éthique) de l’autre, les crimes et tions entre rigueur scientifique, fidélité à la génocides représentent un véritable défi. Si, mémoire et exigences éthiques, notamment depuis longtemps, l’on a mis l’accent sur au niveau pédagogique, ne sont pas don- l’irréductibilité de l’événement à toute expli- nées d’emblée. Elles doivent faire l’objet cation rationnelle - et par conséquent sur d’une discussion ouverte et sans a priori. son caractère incompréhensible à l’aide des Les matériaux sur lesquels nous sommes normes de pensée qui sont les nôtres au appelés à travailler sont exceptionnels non point, selon certains, de devoir s’abstenir seulement en raison de leur contenu mais de se poser la question du «pourquoi», toute aussi parce qu’ils se situent à la croisée de ces explication risquant de se muer en justifi- trois problématiques. cation -, ce n’est que tout récemment que l’on commence à s’interroger aussi sur l’op-

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ALBERTA STRAGE Founding Chairman British Video Archive for Holocaust Testimonies, London - UK

Future Possibilities for the International Journal

Without having seen the first issue of the secondary school departments who might journal, it is somewhat difficult to com- have an interest ? ment*. Perhaps it might prove useful to Another concern may be that some of the examine possible negative aspects and then material may be already available in other counteract the difficulty with possibilities to sources. We therefore may be accused of eliminate the problem. publishing a journal that is not adding any- One serious problem may be the thing new to the state of the art. We could International Journal may be of limited counteract this by insisting that the jour- interest to those of us and our institutions nal contain material that has neither been who are present at this gathering. Therefore published or presented before at any other a positive aspect of this problem may be to venue. We could also create a special area of broaden the scope of the contributions. interest for each issue, e.g., testimonies of sur- Perhaps a survey of the recipients of the vivors from a particular camp, or of those first issue could be made to determine other who were in hiding, etc. possible recipients. For example, have we We may be accused of simply adding yet sent copies to all the relevant university and another Holocaust journal to the myriad

*Editor’s note : The first number of the International Journal was printed in June 1998. The members of the Conference have not been able to receive it before Thursday, June 11 th, the first day of the Meeting.

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of those that already exist. Having never their children, grandchildren and friends undertaken a survey of those already exist- who have not undergone such experiences, ing, I am unaware of what already exists. and perhaps of interest to secondary schools However, if this criticism is valid, perhaps we who are attempting to teach the Holocaust. could print occasional papers on particular Stephen Smith, the Director of Beth Shalom subjects as opposed to a traditional jour- in Nottingham, England has successfully nal. We could also perhaps commission published several monographs and might monographs from well respected journalists be consulted if this would be considered as on particular subjects when the occasion to desirable. do so arrives. Are we confident that we will have access to Have we made a survey of the journals that sufficient general material to ensure the con- are already published by the various tinual publication at least in the near future Holocaust Museums, i.e. Yad Vashem, the of the International Journal ? If not, from U.S. Holocaust Museum and the various what sources do we anticipate contribu- universities that might have Holocaust study tions ? departments, i.e. Brandeis University in the United States, the University of London Although I have yet to see the first and Yarnton Manor in England to deter- International Journal, I congratulate all who mine what might be a missing niche which conceived, developed, collected and dis- we might fill ? tributed the inaugural edition, wish it well and best wishes for its continued success Have we considered publishing monographs in whatever form that may be. It is a privi- of the testimonies of the survivors we have lege and honour to have contributed to the already interviewed ? It seems to me this first edition. would be a welcome addition to Holocaust literature in general, of great interest to Holocaust survivors who would like to see their testimonies in print to distribute to

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MANETTE MARTIN-CHAUFFIER Présidente de la Commission Audiovisuelle Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Paris - France

Quelques thèmes de recherche ouverts par la juxtaposition des divers témoignages de rescapés

Plus de 500 heures de témoignages ont déjà Imaginez les «Grognards» rescapés racon- été accumulées pour la vidéothèque tant en vidéo la Bérézina. «Mémoire Vivante» de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Mais en attendant ? Pour quelle exploitation ? Denise Vernay nous a dit ce matin qu’un cer- tain nombre d’éléments de notre vidéo- Je vous l’ai dit au dernier colloque en 1996, thèque avait été utilisé pour le CD-Rom de cet immense matériel est une mine qui inté- la Fondation. De cet usage précis je tire ressera forcément les historiens, les cher- deux observations : cheurs, les romanciers même, qui seront amenés à travailler sur elle. Aujourd’hui • La première est que l’utilisation de films peut-être pas, mais dans vingt ans, dans cin- ou de vidéos ne peut être, dans un CD- quante ans sûrement pour des travaux dont Rom, qu’extrêmement limitée : c’est un nous n’avons sans doute pas idée. C’est la matériel qui pèse trop lourd dans la première fois dans l’histoire du monde qu’un mémoire du CD-Rom et qui ne peut matériel sur un événement historique de servir pour le moment - en attendant première importance réunira des témoi- d’autres techniques connues mais pas gnages multiples par des hommes et des encore courantes en Europe - qu’à doses femmes qui l’ont vécu eux-mêmes. homéopathiques.

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• La seconde est que le matériel de la Les sujets tombent sous le sens : vidéothèque doit obligatoirement être • L’arrestation. Celle d’un jeune juif arrê- pris tel quel. Je m’explique. Ces témoi- té lors de la rafle du Vel d’Hiv n’a pas gnages peuvent difficilement appuyer grand chose à voir avec celle du jeune une thèse préconçue. Si l’on veut expri- militant communiste abattu un 6-35 à mer une notion précise sur la déporta- barillet à la main parce qu’il s’apprête à tion mieux vaut le dire comme on voler, dans le bois de Boulogne, la l’entend plutôt que d’utiliser des témoi- sacoche d’un officier allemand. gnages tournés en toute liberté, selon Gravement blessé aux jambes, il n’a plus le principe de la non-directivité, témoi- qu’une obsession en tête : la police va lui gnages qui ne viennent pas forcément «piquer» la tablette de chocolat qu’il y a comporter la théorie que l’on souhaite dans sa poche... exposer. • Le grand voyage raconté par différents Essayons d’être très pragmatique. témoins et dont certains récits sortent En fait il paraît que ce matériel dense et tout à fait de l’ordinaire : exemple : Gisèle extrêmement varié sera idéal pour réaliser des Guillemot, jeune N.N. condamnée à montages didactiques destinés aux écoles. Un mort pour terrorisme, est transférée jour les déportés ne seront plus là pour avec une camarade de son âge à la prison témoigner. Des films pourront les relayer. de Lubeck en wagon de 1ère classe par Mais c’est un travail important qui exige de deux officiers S.S. au cours d’un voyage vrais moyens financiers et une réflexion de plusieurs jours qui passe par Cracovie, approfondie que la Fondation, aujourd’hui, Dantzig, avec le soir de Noël, une pause n’est pas encore en mesure d’aborder. surréaliste sur une plage nordique en compagnie de deux anges gardiens, très Mais il semble que le Cahier International «gentlemen»... pourrait être le support et l’occasion d’une mise en chantier économique de cet objec- • L’arrivée, la découverte des camps, les tif là. Un travail d’approfondissement peut blocks, la faim, le tatouage, la solidarité très bien être réalisé sur le papier seulement. ou non-solidarité, les appels, le froid, la Cela permettrait de mûrir, sans dépenses faim, la saleté, les marches de la mort, le réelles, le projet ultérieur. Lutétia, la culpabilité du retour : cent thèmes peuvent être efficacement traités Avec le matériel déjà en notre possession dans la diversité la plus complète. tous les thèmes de la déportation peuvent être non seulement abordés mais traités au * * * fond et avec une diversité réelle. Car c’est ce qui apparaît d’évidence quand on prend Après cette première proposition pour le connaissance des témoignages rassemblés : Cahier International, une seconde propo- chaque déporté a son expérience propre et la sition viserait à utiliser les 4.500 question- juxtaposition de ces expériences aboutit à une naires reçus par la Fondation grâce aux variété et une richesse étonnantes. Fédérations, aux Associations et aux Le plus simple est donc d’imaginer des mon- Amicales et remplis par les déportés volon- tages transversaux qui rapprocheraient les taires pour témoigner. expériences et qui permettraient d’aborder Les questionnaires passent en revue les lieux sous de nombreux aspects la déportation et dates de naissance, les professions exercées et de passer en revue sa diversité. par le déporté ou ses parents au moment

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des arrestations, les professions actuelles, récit de sa vie après-guerre continue d’être les circonstances de l’arrestation, les orga- conditionné par cette expérience. Elle tente nisations d’appartenance des résistants (par- d’expliquer son silence. Elle n’a jamais rien tis, mouvements politiques, réseaux, etc.), les raconté ni à sa famille, ni à ses amis, ni à ses conditions d’internement (jugement, collègues de travail. Son témoignage est condamnation, lieux de détention), les dif- court (2 heures) et alors qu’elle a toujours férents paramètres de la déportation (caté- souhaité occulter cette partie de sa vie, tout gorie, matricule, convoi avec lieu et date de son récit montre à quel point elle a été déter- départ), l’itinéraire de captivité hors de minante, définitivement obsédante. France (camps, kommandos, prisons, dates de début, date de la fin), les circonstances de * * * la libération, du retour, les conditions par- ticulières de toutes ces déportations, etc. Troisième proposition pour le Cahier International : le récit et l’étude approfon- Autrement dit 4.500 fiches qui sont une die des expériences extraordinaires que cer- mine de renseignements et pourraient don- tains déportés ont vécues. Sur 67 ner lieu à des études statistiques ou socio- témoignages, dix à douze sont tout à fait logiques extrêmement diversifiées. exceptionnelles. J’en citerai rapidement Les récits eux-mêmes faits par les déportés quatre : pourraient également permettre certaines études scientifiques. • Edith Davidovici Ainsi l’observation des temps consacrés aux Déportée de Lyon à Auschwitz. Le 24 différentes étapes de la vie du témoin telles décembre 1943 elle se rend au Revier. La que celui-ci les rapporte sont assez révéla- gynécologue lui dit «si tu n’as pas cet enfant, trices. tu en auras d’autres, je te le garantis». Un témoin comme Claude Bourdet par Le 25 décembre à 6 heures du matin, elle exemple ne privilégie aucune période parti- accouche d’un garçon de 4 kilos. La gyné- culière de sa vie et accorde une place quasi cologue lui répète «tu en auras d’autres». égale aux différents temps de sa vie : sur 142 Elle s’endort. A son réveil, elle demande minutes de récit, 54 minutes sont consacrées «où est mon enfant ?». Il est mort. La gyné- à la déportation soit 40% du total. Dans cologue l’a tué. Elle lui dit «sors tout de l’ensemble, une narration équilibrée : 33 suite. Il va y avoir une énorme sélection». minutes pour rapporter sa vie avant son Edith revient au block et recommence à entrée dans la Résistance, 31 minutes à la travailler... Résistance elle-même, 54 minutes à la Déportation et 26 minutes consacrées à ses • Stéphane Hessel activités après ‘45, c’est pourquoi les histo- Navigateur dans la RAF, appartient au riens voient en lui un «grand témoin» qui a B.C.R.A, reçoit comme mission d’être para- l’habitude de s’exprimer et de retracer sa vie. chuté en France pour réorganiser le réseau A l’inverse Jacqueline B., déportée à 13 ans, des opérateurs radio en vue de préparer le parle peu de sa vie après son retour. Mais la débarquement. déportation influence l’ensemble du récit Est arrêté au cours d’un rendez-vous avec un depuis l’enfance jusqu’à nos jours. De son opérateur radio qui a trahi - Avenue Foch -. enfance, il ne subsiste que les signes avant- Est transféré avec 18 parachutistes anglais à coureurs de ce qui va se produire. Et son Buchenwald où ils arrivent le 12 août 1944.

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Les Allemands décident de prendre tous la forêt et file dans la montagne. Après de les nouveaux arrivés. Lui est sauvé grâce à multiples aventures, il rejoint les partisans de l’initiative d’un chercheur de l’Institut Tito et se bat avec eux jusqu’à la fin de la Pasteur qui fait à Buchenwald des recherches guerre. sur le typhus et grâce à la complicité d’un L’appel de la montagne... Kapo à qui on a promis la vie sauve après la libération : il entre au block des typhiques et • Marie-José Chombart de Lauwe prend l’identité d’un mort de la nuit, Michel Boitel, le jour même de son 27ème Embauchée au Revier de Ravensbrück, où anniversaire. elle s’occupe des bébés qui viennent de naître. Elle a la responsabilité de 40 enfants. • Jean-Baptiste Chevallier Les accouchements ont lieu à la lueur d’une «Savoyard, montagnard», déporté à 21 ans bougie. Les langes sont des chiffons. Les d’abord à Dachau, puis à Mauthausen, enfin biberons, des petites bouteilles. Les tétines, à Loibl-Pass, le célèbre tunnel tout proche de des doigts coupés de gants de caoutchouc. Le la Yougoslavie. matin, on emmène les bébés morts. Marie- José adopte une petite Polonaise Barbara Quand il arrive là : bonheur. Il retrouve qui meurt aussi. Une expérience horrible «sa» montagne et décide immédiatement qu’elle raconte avec une incroyable ten- de s’évader. C’est, dit-il l’appel de la mon- dresse. tagne auquel il ne peut résister. Il essaye d’abord de soulever et de passer à l’aide * * * d’une planche sous les barbelés et se rend compte qu’il ne réussira pas ainsi. Alors un Voilà. Ce ne sont là que quelques galeries soir où la nuit tombe, où il pleut, où les S.S. ouvertes dans cette grande mine que repré- ont leurs pèlerines et leurs fusils bouchés, il sente le recueil des témoignages que réalise part. Pas vers la forêt mais vers le camp, les la Fondation pour la Mémoire de la Allemands lui tirent dessus et le blessent au Déportation. cou. Il se jette à plat ventre. Les S.S. ne lui courent pas après, le croient sans doute mort. Quand la nuit est là, très vite, il rejoint

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IZIDORO BLIKSTEIN Directeur de Recherches sémiotiques et linguistiques sur le témoignage audiovisuel Centro de Estudos Judaicos Associaçao Universitaria de Cultura Judaica, São Paulo - Brésil

The thematic Prospectives and the Role of Cahier International for the Development of interdisciplinary Studies of the Testimonies of Nazi concentration and extermination Camps Survivors

Auschwitz Foundation can (or should) have before they entered the gas chambers. This two voices. The first voice is that one of the role of Cahier International seems very survivors, a tough and emotion-filled voice, pertinent to me, even indispensable, given the forever recorded in the audio-visual docu- resumption of Nazi ideology in certain ments produced by the Foundation. The places throughout the world. Nazism, as second voice, apparently more distant, would we all know, has survived the defeat of be the one of study and reflection on not Germany and is more alive than ever. The only the survivors’ testimonies, but also the power and influence of Revisionist mes- interdisciplinary context which surrounds sage is not at all negligible. To fight it, we can the concentration universe : history, geog- make use of several means : application of raphy, art, sociology, ethics, psychology etc. repressive laws, repression itself - which In my view, Cahier International should always arises ethic problems - or use an assume this second voice in order to try educational approach : clarification, debate, and explain the almost inexplicable, the reflection on citizenship rights, demonstra- almost inexpressible : the pain, the suffering, tion of racist speech and utilization of dis- the «industrial» death and most of all - criminatory stereotypes in society and work. which was the biggest originality in Nazism Cahier International can have this educa- - the policy of prisoner annihilation even tional role.

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Therefore, I would like to propose a project 6. Medicine (The Eugenics issue) of an interdisciplinary thematic organization : 7. Industrial and mechanical engineering «The testimonies of concentration and exter- (construction of gas chambers and cre- mination camps survivors and... matory ovens) 1. History 8. Ethics 2. Geography (Demography) 9. Psychology and Psychiatry 3. Sociology 10. Linguistics and Semiotics. 4. Anthropology (study of different cul- tures of the Diaspora) 5. Art (Literature, cinema, theatre, paint- ing, music etc.)

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DISCUSSION

Josette Zarka : J’ai l’impression de trahir ne parlent pas de leur mère. La douleur et mes interviewés si j’ai un manque par rap- l’inquiétude à leur égard sont trop fortes. port à mon discours. Lors de ma commu- Mais cette question de la filiation mère/enfant nication, je n’ai pas suffisamment insisté sur est omniprésente et les réunit. Chacune peut la proximité topologique et la proximité grâce aux autres se réfugier imaginairement psychologique. Je vais relire un passage : dans le giron maternel ou bien le représenter «La proximité affective qui requiert une pour les autres. Chacune dans le groupe est certaine distance entre les personnes per- l’amie, la sœur, la mère et l’enfant de l’en- met de catalyser même si l’on se ressert pour semble et le groupe est le groupe en entier. Le se tenir chaud, pour se soutenir durant les groupe est un imago-parental maternel. Et ce appels. On maintient toujours une distance qui est très important, c’est que les gens uti- symbolique». J’ai un exemple : des femmes lisent le «nous» avant le «je». C’est une carac- m’ont fait part d’un esprit de partage égali- téristique linguistique de ce groupe. Ils disent taire entre des personnes qui avaient institué «nous» avant «je» (...). une rotation pour les places du milieu et * celles des extrémités dans les châlits. Cela me paraît être un exemple où le rite pouvait Gervais Munyankindi, Consultant : Je métaphoriquement indiquer un respect du représente l’association IBUKA - Mémoire territoire de chacun même si on était obligé et Justice. C’est une association qui s’occupe de l’empiéter. du génocide des Tutsis au Rwanda. J’ai pris le micro malgré le fait que je m’étais pro- Maintenant je voudrais revenir à ma conclu- mis que je sortirais d’ici sans parler... sion sur les femmes et la maternité. Les mères C’est la première fois que je trouve un lieu, ne parlent pas de leurs enfants. Les célibataires un endroit qui me permette de remettre de

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l’ordre dans mes idées sur la question du Vous avez accordé de l’attention aux néga- génocide juif que je suivais passivement par tionnistes. C’est une arme à double tran- la lecture. Pour la première fois, j’ai suivi chant. Chacun sait que la punition du cette question activement et avec des per- menteur est qu’il finit par se retrouver seul, sonnalités qui ont un talent remarquable. plus personne ne le croit. Tout ce que méri- J’éprouve aussi pour la première fois un te le négationniste, c’est d’être combattu certain sentiment envers les rescapés. On par tous les moyens. éprouve un sentiment de victoire contre l’idée même de l’extermination. C’est une entreprise qui est vouée à l’échec parce que survivre c’est possible. Coordination des différents Je voudrais aussi remercier la Fondation programmes audiovisuels : Auschwitz. Vous avez tellement le souci de la perfection ! Mais peut-être avez-vous l’évolution du aussi besoin d’entendre le commentaire d’un Cahier International et des témoin qui vous a visité occasionnellement. Rencontres sur le Le travail que vous faites est remarquable et nous le considérons comme un patrimoine témoignage audiovisuel d’acquisition pour l’humanité. Il faudrait peut-être trouver les moyens de rendre ce travail plus accessible pour éviter, par The coordination of the exemple, le phénomène Goldhagen qui a audiovisual projects : écrit pour sa génération, pour les jeunes, ceux qui n’ont pas nécessairement accès à des the development of spécialistes. Les critiques ont montré qu’il y the International Journal avait un besoin de diffusion, d’actualiser ce and of the Meetings besoin de faire connaître. on the audiovisual testimony Je termine par un souhait. Toutes les ques- tions que j’avais ont trouvé leur réponse Yannis Thanassekos : (...) Je voudrais faire mais il en reste, bien entendu... Par exemple, une première remarque par rapport au une question très très dure vu le pays d’où Cahier International. Au début de mon je viens... Quelqu’un disait : «Tromper cela intervention de ce samedi, j’ai parlé du dan- passe encore mais se tromper, c’est très ger d’une distanciation réificatrice par rap- grave». Je fais allusion ici à un conflit de port au témoignage des rescapés, mémoire, la mémoire de ce qu’on nous avait distanciation qui dès lors que les témoins enseigné : «Plus jamais cela» et cela se passe ne seront plus là, ferait des témoignages un encore... On s’est donc trompé, c’est un pur objet d’étude. Je pense que nous avons grand mensonge et cela constitue une ques- eu lors de cette Rencontre des exemples tion très difficile. En guise de conclusion, je donnés par des collègues qui ont démontré comparerai l’entreprise du génocide au précisément qu’il est tout à fait possible cafard : quand vous l’écrasez, les oeufs s’épar- d’éviter cette «réification». Je pense notam- pillent partout et ils résistent aux insecti- ment à Mesdames Zarka et Tarsi qui ont cides... Je pense qu’ouvrir le travail que vous touché des problèmes fondamentaux et faites permettrait aussi d’attaquer ces «spin- essentiels avec une rigueur absolument offs», ces génocides... remarquable, sans pour autant opérer cette

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réification qui, je pense, est, tout de même, cussion ? La réponse ne peut être, bien le propre des recherches en sciences sociales. entendu, que positive. S’il y a d’autres ins- titutions, d’autres personnalités ou per- Je voudrais par la suite répondre à Madame sonnes, chercheurs isolés ou non, qui Strage concernant sa communication et ses souhaitent contribuer à ce Cahier, soit au commentaires sur le Cahier. A ce propos, je comité de rédaction, soit comme corres- souhaiterais ouvrir ici une petite parenthè- pondant, soit par des contributions, cela me se : Monsieur Paleari a parlé hier dans sa semble aller de soi. communication du «Cahier de la Fondation Auschwitz». Je tiens à préciser en présence (...) J’aimerais par ailleurs revenir très briè- de toutes les équipes qui sont ici, que ce vement sur le problème de Spielberg : si des n’est pas un «Cahier de la Fondation collaborateurs de Spielberg sont prêts à col- Auschwitz». C’est un Cahier qui est publié laborer au Cahier International - avec évi- par les éditions de la Fondation Auschwitz demment le fait de s’exposer à une critique mais qui appartient - ainsi que l’a précisé le mutuelle comme nous le faisons tous - je n’y Président dans la préface du premier numé- vois absolument aucun inconvénient... ro - au réseau en tant que tel : il y a un comi- Roger Simon : (...) My comment has to do té de rédaction international entièrement with what Yannis said in his presentation to autonome, il y a aussi des correspondants à us about the Cahier, because I think his l’étranger qui alimentent ce Cahier. C’est remarks lead us in a very interesting and une publication qui appartient à nous tous potentially polemical - in a good sense - et se place sous notre responsabilité direction, in distinguishing between the commune. Cahier as a milieu d’histoire and as a milieu Concernant maintenant l’intervention de de mémoire. They’re two very different Madame Strage, je crois qu’il ne faut pas purposes, and if we try to make a distinction, confondre deux choses : il existe des publi- I think it would be a very useful source of cations soit d’ordre général, soit spéciali- conversation. I would very much favour a sées. Notre Fondation a son propre bulletin journal that was a milieu de mémoire, very trimestriel où nous publions une multitude different from, say, Holocaust and Genocide d’études sur des problèmes qui nous pré- Studies, which I view as a milieu d’histoire. occupent. Ici, il s’agit d’une revue entière- The topic of the memory and the fact that ment consacrée aux témoignages the problem of memory is not over when audiovisuels et, à ma connaissance, je ne there are no survivors left will continue and pense pas qu’il existe une autre publication be the main focus and topic of the ques- qui soit spécialement et entièrement consa- tion of what is going to be done with the crée à ce domaine. Il y a certes des revues testimonies that are collected. This would incluant des articles concernant l’audiovisuel, give a unique definition to the Journal that comme notre bulletin où nous avons traité would make a very important contribution du problème, mais, à ma connaissance, le internationally. Cahier International est jusqu’à présent Yannis Thanassekos : (...) Je crois que la l’unique publication où l’ensemble des formule du Cahier International que nous contributions traite exclusivement de l’étu- avons adoptée, c’est-à-dire des contribu- de du témoignage audiovisuel. tions parfois très spécialisées sur les témoi- Faut-il élargir le comité de rédaction à gnages audiovisuels et tout ce qui peut être d’autres personnes ou d’autres institutions connexe comme, par exemple, la commu- qui seraient prêtes à collaborer à cette dis- nication de notre ami Jacques Walter de

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l’Université de Metz sur les témoignages quels Auschwitz nous oblige - je parle audiovisuels à la télévision, est la bonne d’Auschwitz au sens emblématique du formule. terme. Comment peut-on construire un autre rapport au savoir, un nouveau rap- Je crois aussi, et c’est important me semble- port auquel l’événement en lui-même nous t-il, que les colonnes du Cahier deviennent oblige ? Si on sépare radicalement la le lieu d’une véritable discussion, c’est-à- démarche scientifique du rapport existentiel dire que des articles et des contributions se qui nous lie à l’événement, nous risquons jus- répondent. Il faut que les thèmes ou les tement de verser, d’une part, vers une super- pistes de recherches qui se dégagent de notre spécialisation toutes disciplines confondues travail sur le terrain se reflètent dans cette et, d’autre part, vers une mémoire qui se publication spécialisée. Du point de vue de tétanise, qui se ritualise de plus en plus, qui la diffusion, chaque équipe nationale doit en se sacralise (...). devenir le véhicule auprès des personnes qui travaillent dans ce domaine et avec les- Baron Paul Halter : (...) Notre Directeur a quelles nous ne sommes pas en contact et très justement déjà dit qu’en tant que seraient prêtes à rentrer dans le réseau que Président de la Fondation Auschwitz, j’avais nous avons constitué depuis notre premiè- assumé le premier numéro du Cahier re Rencontre en 1994. Les représentants qui International. Toutefois, pour rejoindre un se trouvent ici devraient donc diffuser le peu ce que disait Madame Strage, je crois que Cahier autour d’eux non seulement pour ce Cahier ne doit pas être le «Cahier de la le faire connaître mais pour solliciter des Fondation Auschwitz» mais de toutes les contributions. organisations qui, depuis la première Rencontre, participent à nos activités. Je J’ai parlé dans mon intervention de ce same- crois qu’il faudrait que les autres parties di de la séparation entre histoire et mémoi- participent à la constitution et au finance- re. Je crois qu’effectivement il y a une ment de ce Cahier. Je ne crois pas pour différence, mais je ne crois pas qu’il faille autant qu’il faille que ce soit l’or de Moscou les séparer. Toute mon intervention consis- ni l’argent d’Israël, ni les US dollars qui tait à dire quel type d’articulation il faut financent ce genre d’activité. Moi, en tant que assurer entre les deux. Je crois que la réifi- Président de la Fondation Auschwitz, je cation ou l’objectivation ne concerne pas suis responsable de ce que je fais. C’est très que le savoir historique. Cela concerne toutes agréable de se rencontrer tous les deux ans. les disciplines des sciences humaines. La J’ai beaucoup de plaisir à retrouver Monsieur réification du témoin et de sa parole ne passe Hartman mais j’aurais voulu et espéré que ce pas seulement à travers l’histoire en tant soit l’Université de Yale qui nous invite à que discipline ; elle peut passer aussi à travers venir assister à la prochaine réunion de nos la sociologie, la psychiatrie, la psychologie, équipes. Je me rendrais également avec beau- l’analyse littéraire. Je crois qu’il faut que les coup de plaisir à Cambridge ou à Oxford sciences humaines trouvent une autre moda- rejoindre Madame Strage... lité pour approcher cette expérience humai- ne, un autre type de rapport interdisciplinaire Geoffrey Hartman : First, I want to say que celui que nous connaissons et qui n’est that my feeling towards Paul Halter is souvent qu’une juxtaposition des différentes reciprocal ; I am always pleased to see him. disciplines. Je crois que le Cahier doit jus- I am also pleased that the Belgian franc is as tement devenir le lieu où l’on discute ces strong as it is, and I would not want to have nouveaux rapports à la connaissance aux- that fact changed. I cannot plead that the

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US dollar is not strong, but unfortunately, by that we could learn even more if we improve the time it reaches Yale University it seems the method by which the conference takes to have weakened, so there is always a prob- place. I want to say something quite similar lem of financement. But I want to assure to a comment which was said, I think, at the him personally, as well as Yannis, if there is end of the last conference. Three days is a a chance of inviting le Baron and Yannis to very long time. Sitting three days and hear- Yale, we will host them as well as they host- ing presentations is sometimes difficult. I’m ed us - and I guess this is the time for me to not sure everything we heard should have thank all of you personally for your hospi- been presented in this way. We are asked tality. to submit our papers beforehand. Sometimes, if a paper is a report about an I really have very little to say. I too was activity, then we could have had this report moved by many of the presentations, espe- before we came to the conference, and then cially those already mentioned, that managed we could devote the time here to further to describe the survivor’s or deportee’s expe- analysis, to in-depth elaboration. I’m not rience without distancing it, in which what sure that hearing reports is the right thing to we sometimes call the meta-language or the do in this conference. On the other hand, scientific language did not interfere with what we miss here is the opportunity to go the experience. I think this is extremely in depth in workshops. We heard at this important. I also would like to say to Yannis, conference about, let’s say, the family issue. and perhaps to everyone - while I agree that The family issue could have been a very the focus of the new Cahier International - interesting workshop, where many of the and there is no other journal like it at the participants at this conference could have moment - should be audiovisual, I don’t contributed to this issue. But the way this see how it can exclude témoignages in gen- conference is organised makes it impossible. eral. That is, if there does come to us a con- So I’m sure Anita, who raised this issue, ceptual article on testimony, even if it is not and all of us, would be very happy if we focused on audiovisual testimony, I would could get more from the participants, but it’s hope that the editorial board would con- impossible. So, if any other conference takes sider it very seriously. Now, in general, obvi- place - and I hope it will - in Newhaven ously the category of «testimony» is still and in Brussels, then I think at least some of stronger than «audiovisual», but we hap- the conference should be devoted to pen to be mainly interested in the audiovi- workshops. sual aspect. But I just wanted to add that the idea of testimony and what happens in tes- timony should not really be secondary to the And about showing films - we saw excerpts audiovisual medium. from two films at this conference, and we saw them only because one of the lecturers Nathan Beyrak : (...) One thing is, I think, was missing. We saw them in a way which missing in the Cahier, and that’s transla- made it impossible really to get the feeling of tion. I know it’s costly, and I know it’s not the film. I think a film is a unit which should simple, but more consideration should be be presented in its full length, and not a put on the question of translation (...). piece here and a piece there, which doesn’t A short comment on this conference, if you do justice to the film and to the audience. I will allow me. Like the last two times, I’m think that as we are dealing with audiovisual sure that like everybody I feel that sitting material, some of the time at such a con- here and listening I learned a lot. But I think ference should be devoted to viewing mate-

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rial, and then we should be able to view it possible aux organisateurs techniques - properly, fully and translated. For the time environ un ou deux mois avant la being, I will stop here - but not before Rencontre - pour qu’ils puissent être tra- thanking all the people who were involved duits, envoyés aux participants avant la in enabling this conference for doing it ! Rencontre de sorte que l’on puisse direc- tement, soit sous forme d’ateliers, soit en Jean-Jacques Heirwegh, Président de séance plénière, discuter des différentes séance : Je pense que vos suggestions seront contributions et expériences. Cela signifie bien entendues par les nombreux bénévoles une certaine discipline de la part des parti- ici présents... cipants pour respecter les délais convenus. Yannis Thanassekos : (...) La question de la J’ai l’impression que dans ce sens, le Cahier traduction des textes dans le Cahier serait en International peut être un outil, c’est-à- effet formidable si on avait les moyens de dire, que rien n’empêche que des résultats pouvoir traduire toutes les contributions partiels d’une enquête - par exemple celle de en anglais et en français mais c’est quelque Madame Tarsi sur le problème des familles chose d’absolument exorbitant du point de et du dilemme - puissent être publiés dans vue financier. Nous allons peut-être essayer le Cahier avant la Rencontre, de même de constituer autour de nous une équipe de que pour les autres recherches en cours. traducteurs bénévoles qui pourraient jus- Ces textes alimenteraient alors directement tement nous aider. Je crois que cette possi- les discussions (...). bilité existe effectivement grâce au capital de sympathie dont dispose notre Fondation. Joan Ringelheim : One thinks that the- Seulement il faut que les textes nous arrivent re’ll be time for discussion and there often plus tôt que d’habitude étant donné que les isn’t. I think among the things to think traductions nécessitent un certain temps. about, whatever other methodologies or (...) En ce qui concerne les propositions structural changes one would make, two de changement de notre mode de fonc- might be considered easy and simple to tionnement, je ne crois pas qu’on a fait des identify. One is - do not have that many mauvais choix jusqu’ici et si de nouveaux people speaking per day, because you can- choix s’imposent, c’est parce qu’il y a eu un not have conversation. Two - you cannot certain nombre de maturations grâce à nos have conversation if you face each other’s deux Rencontres précédentes. Lors de la backs. We said this the last time. We must Première Rencontre, nous avons surtout be able to look at each other. We cannot montré des extraits de nos travaux. Lors de have interchange this way. So I would think la Deuxième Rencontre, nous avons davan- - I don’t know what it means for translation tage parlé de méthodologie parce qu’il était services, because many of the rooms with aussi nécessaire de le faire. Je pense qu’avec that do not do something like this - but cette Troisième Rencontre, nous sommes maybe one can find some place to trans- arrivés en quelque sorte à achever un travail form the space, because the space changes qui était dans ses formes absolument néces- how we can communicate with each other. saire pour se reconnaître mutuellement I also think it might be helpful if we have a dans un grand nombre de domaines. Il va set of problems that are more specifically de soi qu’il faudra essayer d’organiser la identified, so that we can have either work- Quatrième Rencontre tout autrement. shops or a plenary - we are not a huge Premièrement, il faudrait que les textes des group - where we can discuss specific issues communications soient envoyés le plus tôt in depth for a longer period of time and not

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wait for the entire day before we try to Une autre question : A l’heure actuelle, vu remember our questions (...). l’âge des interviewés et considérant les 50 années post-concentrationnaires, ne ris- Yannis Thanassekos : Je voudrais revenir sur quez-vous pas de rencontrer une mémoire une proposition faite par Monsieur Hartman figée soit par le silence, soit par la répéti- sur un projet auquel j’avais réfléchi également tion sans remise en question de cette répé- et que j’espère pouvoir réaliser durant l’an- tition ? Et même, d’une certaine façon, née prochaine : faire retémoigner certains devant une mémoire devenue décorative témoins, reprendre les mêmes interviews dans l’embellissement de soi-même ? (...) que nous avons faites mais à rebours. Je crois que c’est très important sous plusieurs Geoffrey Hartman : Peut-être, Monsieur rapports, notamment du point de vue de Rozenberg, pourriez-vous un peu déve- l’évolution de la mémoire de notre propre lopper cette question de l’incompatibilité évolution en tant qu’interviewers. Une autre entre l’interviewer et l’interviewé ? proposition que j’ai à vous soumettre et qui pourrait prendre corps à l’intérieur du Jacques Rozenberg : J’ai assisté à des séances Cahier, c’est de prendre une thématique ou où il n’y avait pas de communication entre une piste de recherche et d’essayer de la ces deux personnes, c’est-à-dire que les ques- faire travailler par plusieurs équipes à partir tions de l’un et les réponses de l’autre ne de leurs matériaux propres qui diffèrent coincidaient pas. Il y avait cette sensation de selon leur localisation, leur histoire, leur tra- «il ne me comprend pas», l’autre ne sen- dition, et de confronter les résultats de ces tant pas ce qui se disait. C’est arrivé sou- enquêtes. Je crois qu’une telle recherche vent. J’ai même subi de nombreuses collective pourrait engendrer des résultats interviews avec différents interviewers qui remarquables, notamment du point de vue n’étaient pas préparés. Je crois qu’il ne faut des traditions nationales et locales qui déter- pas que n’importe qui interviewe mais des minent en grande partie le processus testi- gens préparés. monial (...). Joanne Rudof : I really am disturbed when I hear about cases like that, because it sim- ply shows that the interviewer preparation has been inadequate. If the interviewer is Des relations not trained to listen to what’s happening, entre témoin et interviewer then it’s not even a question of personality ; it’s a question of inadequate preparation. I cannot tell you that every Yale interviewer is adequately prepared and every Yale inter- The relationship between view goes swimmingly well. But we work in survivor and the interviewer teams of two, and that helps ameliorate the possibility of a personality conflict, becau- Jacques Rozenberg, rescapé : Que peut se you may not have one good match in faire le témoin lorsqu’il y a incompatibilité terms of personality, but it certainly won’t entre un interviewer et un interviewé ? Ayant happen with two. But I really believe, if the été moi-même souvent interviewé et assis- interviewer is trained to listen, then that tant parfois à des interviews d’autres témoins, won’t be a problem. And if there’s inade- je sais que cela arrive fréquemment et beau- quate training, it doesn’t matter at all what coup plus qu’on ne le croit. kind of personality anyone has. If they’re not

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adequately prepared, it won’t work ; it’s all Denise Vernay : Je ne suis pas du tout d’ac- in the preparation. cord avec vous, Monsieur Thanassekos. Je pense que les étudiants qui viennent nous Denise Vernay : J’ai été interviewée et sou- interroger - et qui n’y sont pas préparés - vent sollicitée mais je refuse maintenant sont quand même des gens de bonne volon- depuis que j’ai été interviewée par une té pour apprendre notre histoire. S’ils sont personne avec laquelle cela n’a pas du tout mal préparés, on peut être plus indulgents fonctionné. Je ne suis d’ailleurs pas du tout envers eux qu’envers des gens qui travaillent contente du résultat, je ne veux pas le voir. d’une façon systématique sur ces questions Moi, en tant qu’interviewée, autant je peux et sont sensés y être préparés. Je reçois chez parler facilement avec mes camarades de mois des élèves de troisième qui sont pleins déportation, autant maintenant je refuse de de bonne volonté, qui comprennent quelque témoigner quelle que soit la personne qui me fois de travers mais pas toujours... C’est le demande. assez touchant. Je ne leur demande pas d’être Yannis Thanassekos : Notre Fondation a, de bons interviewers. Ils veulent des contacts jusqu’à présent, réalisé 148 interviews. et je ne les refuse pas. Quant à des étudiants Personnellement, je n’ai eu connaissance qui font des mémoires et qui sont en début que d’une seule et unique rupture du «pacte d’études, on peut au contraire leur apprendre testamentaire» au sens où la personne, à interroger et leur faire sentir les rapports lorsque nous l’avons sollicitée pour parler de que peut avoir un témoin avec non pas un la période avant son arrestation, a refusé, historien formé mais avec un futur historien s’est levée et est partie. Cette personne a qui se prépare à étudier des événements qui non seulement refusé de parler de cette vous sont très proches. période - ce que je j’aurais parfaitement compris - mais elle s’est levée et a quitté le Iris Berlazky : (...) I feel, like my colleague studio. Durant toutes nos interviews, je n’ai Anita Tarsi, that there is a huge need for jamais assisté à des incompatibilités de l’ordre workshops. I think that most of the projects que vous avez évoqué. Lorsque des cher- are handled by amateurs, not professional cheurs ou des étudiants - qui commencent interviewers. I think you must have courses eux-mêmes à faire ce travail sans avoir par- or something, and that you should not have ticipé au préalable à ce qui est notre expé- cases like Jacques Rozenberg. I don’t know rience - font des interviews, non pas dans le about specific projects - I know that all over cadre des interviews audiovisuelles que nous the world there are people who got up in the réalisons mais dans le cadre de leur travail morning and said «I can be an interviewer of personnel, pour la préparation de leur thèse, Holocaust survivors». I think people should de leur mémoire, etc., il est possible que des be prepared, should be taught. From our incompatibilités apparaissent entre l’en- experience, and all the people here have quêteur et le témoin. J’en ai eu connaissan- experience, connected with the Cahier pro- ce et je me sens d’autant plus mal à l’aise blem, maybe we could publish a manual, que c’est la Fondation Auschwitz qui a guide lines, of whatever everyone could donné les adresses des rescapés à ces étu- donate from his experience. There are seve- diants qui n’avaient malheureusement aucu- ral methods that you can show, and I think ne expérience dans ce domaine. Je crois qu’il you must teach these things. Another issue faut être très prudents et très vigilants à about the interviewers - this workshop l’avenir lorsque des étudiants inexpérimen- could also be a stage, a floor if you wish, for tés nous sollicitent (...). feedback. People complain all the time that

— 240 — INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY they’re interviewing and they don’t have a Objectifs, limites et éthique chance to get feedback from their inter- views - I mean the interviewers, not the des témoignages interviewees. I think it’s a very good chan- audiovisuels ce in a conference like this - and I heard it in the corridors, in the evening, everywhere, but not here. I think we mixed here the acade- Purposes, limits and ethics of mic and the research together with the tech- audiovisual testimony nique. I think we should divide these two things and do maybe one day a workshop Nathan Beyrak : (...) Geoffrey Hartman about technique and one day about results was talking this morning about challenges and use. That is connected, but sometimes and limits, and in the light of his motto I it’s another issue. would like to give you a few comments. The issue of children in the Holocaust was Baron Paul Halter : Je remercie Madame raised here twice, by my colleague Anita Vernay et Monsieur Rozenberg de m’avoir Tarsi, describing one of the focuses of our un peu soulagé en parlant de la manière dont activity in Israel during the last two years, les interviews étaient réalisées. Je crois que ces and by Iris Berlazky of Yad Vashem, who is interviews doivent être remises en cause, doing research about it. I think it’s very retravaillées, repensées et perfectionnées. important, but I would like all of us to be Elles doivent être adaptées à l’auditoire auquel cautious, and I’ll tell you a very short story. on s’adresse et à l’auditeur qu’on interroge. A few years ago I was under severe pressure Je crois que c’est très important et que cela from an Israeli institution dealing with doit être prioritaire. Le second problème Holocaust research to interview someone qui m’a particulièrement touché sont les who is a child survivor. This child survivor interventions de Madame Zarka qui est tel- was three years at the time of the Holocaust. lement enthousiasmante qu’on croirait vrai- I refused to interview him, and I think I ment qu’elle parle mieux que les déportés. Je made the right choice. Before we interview ne saurais même pas m’exprimer de la façon child survivors, I suggest we think twice. dont elle l’a fait sur la déportation alors que Is it our job to do this, or, in cases where j’ai passé deux ans en camp de concentration. these persons want to be interviewed, is it the Madame Tarsi m’a fait un peu le même effet job of a psychologist or social worker, some- mais dans un autre domaine, ainsi que one from the field of mental care or the Madame Rudof. Celle-ci m’a prouvé que la like ? It’s going to be more and more easy to relève était toute prête et que nous pouvions interview child survivors, because the oth- au fond nous éteindre tout doucement et ers are leaving us and we will be left in a tranquillement (...). short time with almost only child survivors, and I think we should take care. I’m a bit afraid to talk about the gender study, because I’m sitting between Cathy Gelbin and Joan Ringelheim (she said «I’m going to castrate you !»). But still, I would like to make a comment. Of course, I’m not against gender studies ; I’m not against any specific study of the Holocaust. By the way, it suddenly came to me - why are only

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women dealing with gender studies ? what we have is not enough, and we may Anyway, I would like to make a correla- not have a lot of this kind of interviews, tion with the video testimonies we have - I but the few we have are worthwhile efforts think that when Geoffrey was talking about (...). limits, maybe he didn’t mention it specifi- cally, but I think this is one of the limits of Marie Lipstadt : Je voudrais vous répondre, our video testimonies. There are several Monsieur Beyrak, au sujet des viols. Vous issues we almost do not have in the video tes- n’en avez pas entendu parler. Je crois que des timonies. How many cases of rape have viols, il n’y en a pas eu beaucoup dans les been reported in video testimonies ? I’m camps parce que comment un homme nor- working in this field of oral history mal pourrait-il vouloir violer une femme documentation since 1982, and I think that tout à fait délabrée, rasée, qui sent mauvais, I encountered only two cases in which qui est maigre, ... ? Certainement pas un women reported being raped. Never, not détenu qui est dans le même état. Alors one time, have I encountered a case when a peut-être un kapo, bien nourri, bien gras, woman reported about using her body to mais qui, lui, se tournera plutôt vers une survive. We must remember, when talking kapo qui est, elle aussi, encore en bon état. about sexual abuse in the Holocaust, we Ce ne sera alors peut-être pas un viol mais un don’t have it for men either - very very rare consentement mutuel (...). cases of men reporting about this. This is, I Joan Ringelheim : (...) With respect to gen- think, one of the issues that we should der, one of the problems, I think, in inter- remember, that our video testimonies usu- viewing is preparation. If one doesn’t think ally do not cover. How many people about gender, one doesn’t hear gender being reported they stole bread ? Or how many spoken about. Gender is not only about people reported they survived by using their sex, it is not only about rape and abuse. friends, etc. ? So, to come back to the gender Gender, whether it’s male or it’s female, is an question - yes, it should be studied, there’s extremely complicated set of human rela- no question, but we should remember that tionships, and if one does not think about it, usually in our testimonies there are several you can’t hear what someone’s saying. I fields which people did not report about, or have heard interviews where women do almost did not report about, and using only talk about rape, and the interviewer is so our testimonies may give an unbalanced terrified they can’t ask one question about it. picture. We should take care. Maybe in all his years he has heard very few cases. In the beginning, when I started Geoffrey Hartman also raised the question interviewing, out of 20 women, 10 women of whether it’s worthwhile to try to get tes- talked about fearing rape, and two talked timony from perpetrators. Will they be about rape. I don’t know what that means, willing to testify honestly about what they but it’s complicated ; maybe you have to have done ? A year ago I would have joined read a little more. I’m not trying to be patro- Geoffrey in asking this question. Now I nising, and I think it’s very serious. It’s not can answer using the past tense - yes, they automatic to be able to hear. It’s like asking did already. We have several testimonies someone who’s never read anything about from perpetrators describing in technical the structure of Auschwitz to understand terms what they have done, elaborating and what someone is saying about a camp. Not giving us the point of view of the perpetra- all camps are the same ; it’s not generic - tor of the mass murder of the Jews. I know you know what I mean (...).

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Jacques Rozenberg : A propos de l’homo- drons à transgresser nombre de ces limites et sexualité et c’est du vécu. Dans mon camp, que cela sera accepté. Il serait très intéressant, Jaworzno, l’homosexualité existait, c’est-à- à travers les témoignages audiovisuels, de dire que les kapos et les chefs de blocs avaient faire une comparaison avec la situation qui dans le bloc une partie séparée du restant des prévalait il y a quinze ou vingt ans et de concentrationnaires où ils vivaient avec un voir comment ces limites ont évolué juste- coursier - un jeune de 15-16 ans - tous bien ment dans ce qu’on a appelé, souvent abu- nourris d’ailleurs puisque les kapos avaient sivement, de l’indicible. En ce qui concerne des pulsions sexuelles, ce que, nous, nous les viols et l’homosexualité, nous avons des n’avions plus... Comment puis-je en témoi- témoignages sur cette question. Si nous gner ? Parce que en tant que violoniste, avec avions essayé de les obtenir il y a dix ans, un guitariste et un accordéoniste, je les fai- voire même cinq ans, cela eût été quasiment sais danser et «vodkaïser» deux ou trois fois impossible (...). par semaine. Donc je peux témoigner de cette homosexualité répandue dans mon Geoffrey Hartman : (...) I don’t want this camp en tout cas. audience to go away thinking that there is an incompatibility, since that word has been mentioned, between Nathan Beyrak and Yannis Thanassekos : (...) La question des myself. We are in most cases compatible, limites qui a été soulevée par Monsieur and we will test this out on this subject. Beyrak est une question très importante. Je What I was trying to do is to test the chal- l’ai affrontée lors de plusieurs expériences lenges and limits, not only to raise the ques- audiovisuelles avec des rescapés. Jacques tion of what within the historical witnesses Rozenberg vient d’intervenir sur le problè- of the Holocaust may not have been told. I me de l’homosexualité. Tout à l’heure, j’ai agree with Yannis on the fact that these are parlé des limites de la narration historique, mobile limits, and sometimes not only are y compris dans ce domaine, mais ce que je they mobile, but ethical questions come up. constate, c’est que ces limites sont mobiles, We have had at least one case that I know in elles évoluent. J’ai l’impression qu’un certain our effort to videotape where someone nombre de questions qui ont été soulevées wanted to talk about cannibalism, and the aujourd’hui par certains intervenants - question was «Do you then listen to that notamment par Mesdames Zarka et Tarsi - person, or do you stop» and, say, hold up a n’auraient pu être abordées il y a 15 ans warning sign «Do you really want to talk dans une assemblée en présence de rescapés. about this». Sometimes that warning sig- Je crois que la notion d’«indicible» que nous nal, of course, can be given, as Joan utilisons si souvent, risque d’obscurcir l’ho- Ringelheim suggested, by certain behav- rizon de nos interrogations. Des parties de iour of the interviewers themselves, who ce qui était un peu abusivement qualifié give signs of reluctance to hear about certain d’indicible il y a 20 ans, sont devenues, things, or are not prepared to hear about aujourd’hui, parfaitement dicibles. C’est certain things (...). que, entre-temps, certaines évolutions ont marqué le pas : des processus de reconnais- Josette Zarka : Depuis un moment je bous, sance, une écoute plus appropriée, des chan- depuis que j’ai entendu Monsieur Beyrak... gements de mentalité et de contextes, etc. Je Je voudrais vraiment réintroduire le mot crois qu’il y a des limites dans le dicible «éthique» dans la conduite de l’interview. Je mais qu’elles sont mobiles. Sans doute que pense que la moindre des choses pour l’in- demain, avec des rescapés, nous parvien- terviewer - et cela n’est pas lié à une for-

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mation - c’est d’avoir des principes : l’in- he or she will share with us the full account terviewer doit avoir une éthique, c’est-à- - facts, and emotions, and thoughts and dire ne jamais faire dire à quelqu’un ce qu’il dilemmas of what happened to him or to her n’a pas envie de dire ou ce qu’il ne veut pas in the Holocaust. If somebody does not dire. Je m’adresse à Nathan Beyrak : je me want to, we don’t push him, and we do demande vraiment quel est l’intérêt de comp- nothing to force him to give us any infor- tabiliser les viols. Si une femme ou un jeune mation. But you must remember that every homme n’a pas envie de dire ce qui lui est information that is not given to us in the arrivé, je ne vois pas pourquoi on pourrait interviews is missing in the accounts, and we l’inciter à le faire. Je pense que nous ne have only partial accounts, only partial sommes pas à la recherche d’une «mémoire truths, only partial stories. Now, I think de l’abject». Nous sommes à la recherche de you are mistaken about the question of if la «mémoire de l’événement», c’est-à-dire ce rape or sexual abuse at large was an impor- qui a été infligé par un système. Je pense tant issue or not in the Holocaust. I can tell qu’il faut vraiment être très vigilant sur ce qui you it was a very important issue in the a été infligé par le système. Si c’est comme en Holocaust, and regretfully we do not have Bosnie et que le viol est une institution, à ce it enough. moment-là, on a à le relever mais en dehors des faits, je ne vois pas pourquoi on irait Denise Vernay : Je rencontre beaucoup de demander à quelqu’un ce qu’il ne veut pas déportés et je n’ai jamais entendu parler de dire. J’ai énormément apprécié la commu- viols sauf, quelques fois, à la Libération par nication de Liliana Picciotto hier parce qu’el- les Russes (…). Si les SS avaient voulu... le pose des questions sur les faits. A partir des mais nous n’étions pas assez appétissantes et faits, si les gens ont envie de parler de ce puis si les SS se faisaient prendre, ils ris- qui leur est arrivé, ils ont le droit de parler et quaient la mort. Ils avaient, je pense, d’autres le droit de ne pas dire. A ce moment-là, la moyens de se satisfaire. technique passe tout à fait à l’arrière-plan. Ma soeur - nous étions trois soeurs dépor- tées - a été choquée à son retour par certains Nathan Beyrak : Madame Zarka, sorry I sous-entendus de la part d’amis ou de made you boil ! Let me assure you we have connaissances... C’étaient des questions insi- no interest whatsoever in making someone dieuses. Souvent ma sœur m’a dit qu’elle talk about something he or she does not ne connaissait pas de cas de viols autour want to talk about. This is out of the ques- d’elle. tion. I gave the example of rapes, and it’s only an example, in talking about things Marie Lipstadt : Quel est le sentiment de that our interviews do not have, about issues Madame Zarka quand elle dit qu’un inter- - about limits, that’s what Geoffrey Hartman viewé ne doit pas répondre à une question à was talking about - limits of interviews we laquelle il ne désire pas répondre ? Je me do not have. We do not have interviews souviens d’une scène du film Shoah dans with Jewish policemen. We do not have laquelle justement Lanzmann interroge un interviews with Judenrat members. Also, Sonderkommando qui est à bout de forces, on another level, on the personal level, there qui ne peut plus continuer à parler. are things that people didn’t share with us, Lanzmann lui dit : «Tu dois continuer, tu or shared with us very little, and that are dois répondre» et je crois qu’il le fait surtout missing in our interviews. Now, usually pour l’histoire, pour qu’on sache exacte- when we interview a person, we hope that ment ce qui s’est passé.

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Josette Zarka : Effectivement, je crois que always feel comfortable before the camera, la position n’est pas la même lorsqu’on fait and it helps to make them feel comfortable. un film «grand public» ou lorsqu’on deman- Second, I wonder (...) what we all think de un témoignage. Je crois que, comme about Nathan’s report on what’s going on in Geoffrey l’a dit, l’interviewer ne doit avoir the Czech Republic, given the interviews aucune censure, c’est-à-dire que quelque that the Museum did with Nathan as project soit le thème qui est abordé, on essaye de director in the Czech Republic dealing, not l’entendre, même si cela nous embarrasse. with a population that’s being genocided, but Mais en ce qui concerne le film de that’s being severely oppressed. We had a cir- Lanzmann, les gens savaient que cela allait cumstance where people were frightened être un film «grand public». Donc, si vous to be interviewed and we had never had voulez, il y avait une autre finalité, un autre that circumstance before. I’m wondering if objectif qui peut, dans une certaine mesure, we feel we have any place to say things pub- autoriser Lanzmann à pousser les choses à licly, given what our past is or our study is. bout pour mieux faire ressortir l’«événe- ment», c’est-à-dire le système. Par contre, The third thing is with respect to collabo- lorsqu’on est en tête-à-tête avec quelqu’un rators, perpetrators, bystanders and wit- en présence d’une caméra, si on essaye d’en- nesses. The United States Holocaust trer dans ce qu’il ne veut pas dire, on est Museum received a rather large grant in «voyeur», on est «inquisiteur», on le sonde, 1996, and we’re doing interviews in Poland, ... on ne fait plus office de recueillir un témoi- Lithuania, Germany and France, trying to gnage pour la mémoire. find perpetrators, collaborators, witnesses and bystanders where appropriate. Nathan Rosa Goldstein, rescapée : Je vous livre ici happens to be leading three of these projects tout simplement mon sentiment personnel at the moment. If we could get more money, en tant que survivante d’Auschwitz et de we would go farther, and I think it’s terribly Bergen-Belsen. Il me semble qu’une for- important that we try to interview people mation psychologique, historique et socia- who saw things, did things, were not victims, le serait nécessaire chez les interviewers ainsi if we can. So we are trying to be somewhat qu’infiniment de doigté car nous sommes systematic about it. tous et toutes terriblement et profondément sensibles et peut-être davantage encore après Yannis Thanassekos : (...) Est-ce qu’on peut 50 ans (...). tout partager avec le vécu du témoin ? Je me pose des questions. Je parlerai de mon Joan Ringelheim : I’d like to just make expérience dans ce domaine. Dès la three short points. One is, I absolutely agree Rencontre précédente mais davantage dans that one should never force anyone to talk. celle-ci, nous avons fait part d’un allonge- We’re not some investigative journalist. But ment de la durée de nos interviews. Le Dr. I think there’s a difference between forcing Szafran s’est posé la question de savoir s’il y and pushing, and encouraging someone. avait un rapport entre l’allongement de nos I’ve watched people off camera tell me X, interviews et l’allongement typique des pro- and on camera tell me - not X. So I some- cessus thérapeutiques en psychanalyse. Je times say «Could you please tell me on constate que cet allongement de nos inter- camera what you were telling me off». If views procède, d’une part, d’un allonge- they refuse, I would never embarrass some- ment de notre questionnaire et, d’autre part, one, I don’t think that’s appropriate. But I d’un accroissement du capital de confiance think people say things in private and don’t que le rescapé nous attribue, ce qui effecti-

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vement tend à nous faire croire qu’on peut would like to know what is the reason you agrandir le territoire du partage, l’espace du decided to make a CD Rom. partage. Néanmoins, à deux reprises en tout cas, j’ai senti le besoin de dire «je ne veux pas Denise Vernay : Je vais essayer de répondre. partager» parce que je m’en sentais inca- La Fondation pour la Mémoire de la pable. J’ai demandé qu’on interrompe parce Déportation a initié ce CD-Rom à la deman- que n’étant ni psychothérapeute ni psycha- de d’ailleurs de quelqu’un de l’Amicale nalyste, n’ayant donc pas la formation néces- d’Auschwitz qui voulait faire un CD-Rom saire pour pouvoir assumer cela, j’ai dû sur Auschwitz et tout ce qui s’y était passé. refuser le partage qui m’était proposé. Je ne En France, pendant des années, on n’a parlé sais pas si j’ai bien fait mais je crois que que des déportés résistants ; on n’a pas parlé «déontologiquement» j’ai bien fait parce des déportés juifs et surtout pas de ceux qui que je n’avais ni la connaissance ni la capa- n’étaient pas rentrés - ceux qui étaient ren- cité d’assumer les conséquences d’un tel trés n’en parlaient pas parce qu’ils étaient partage et, pour moi et pour le témoin, j’ai dans un tel état... La Communauté juive donc dû proposer l’interruption de l’inter- française n’a pas compris ou n’a pas voulu view. Sans être spécialiste, je sens qu’il y a des comprendre le drame qui s’était passé. Tout processus de transfert et contre-transfert a été passé quasiment sous silence. Preuve en qui se «pointent» dans certaines occurrences, est que lors des procès retentissants qui ont des processus dont je me sens incapable eu lieu, on n’a jamais mentionné le fait que d’assumer les conséquences. des responsables ont signé les Statuts des Juifs. L’état d’esprit a complètement évo- Personnellement, je m’impose donc des lué depuis. Peut-être depuis la parution des limites dans certains cas qui ne sont heu- films Holocaust et Shoah puis des livres, reusement pas fréquents. Je crois donc que des témoignages, ... On a alors beaucoup tout cela fait partie d’une discussion que parlé de la déportation juive et presque plus nous devons avoir mais je ne crois pas que des résistants qui se sont sentis brimés (…). cela puisse se poser en des termes du genre Nous, on a trouvé intéressant de rassem- «Il faut tout pouvoir partager» parce que bler sur un CD-Rom l’ensemble des dépor- je crois que cette volonté de «tout pouvoir tations avec non pas l’intention de faire une partager» comporte de nombreux dangers. encyclopédie mais d’équilibrer et de montrer Je crois qu’il faut envisager le processus tes- à la fois ce que fut la déportation des résis- timonial comme quelque chose qui est à tants et celle des Juifs. Il a fallu agencer tout géométrie variable (...). cela sur un plan pédagogique et expliquer les * choses historiquement avec des témoignages personnels. Ce n’est malheureusement pas Anita Tarsi : I would like to ask Ms. Vernay possible de tout mettre sur un CD-Rom. a question. Ms. Vernay spoke about the CD Rom today, and I would like to know Le principal est vraiment que ce soit une what kind of special reason you had to put production des déportés, c’est-à-dire que together all the knowledge you put in the les techniciens se sont mis à notre disposition CD Rom. Maybe I did not understand you, totale. On était un peu incompétents et aussi but I would like to know what is preferable un peu en concurrence, je dois dire... Chacun in that CD Rom to any other book or ency- avec son histoire personnelle voulait appa- clopedia about the issue. I ask you because raître... Chacun trouve que son camp a été le I also was busy with that question, and I plus saboté, a été le pire, ... Chacun vou-

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drait que tout y soit mais c’est absolument the second, and the third, and who knows impossible. where it ends ? On an experimental basis it may be interesting. As documentalists devot- ing our efforts to the documentation of the La question Holocaust, I would leave this to the de la seconde génération psychologists (...). Joan Ringelheim : (...) I am concerned The second generation about second generation also, but I’m a lit- tle bit bewildered. In the United States Nathan Beyrak : (...) This morning, there’s probably even more of an accumu- Geoffrey Hartman mentioned the sugges- lation of second and third generation. It’s tion about the second generation, and when now called 2G, 3G. Those of you who are he was talking about it I thought «You too, Americans will know this. Many years ago Geoffrey !» The second generation may be I attended a Holocaust conference, and in the an issue I will raise at another opportunity, hotel were the Daughters of the American because what I have to say about it is longer Revolution. Now, those of you who are than I can do here. But in Israel, in my hum- Europeans don’t have to know who they ble view, the phenomenon of the second are, but if you know the American generation has become a sick mutation, if I Revolution you can imagine. They’re the may say, something really far beyond under- sons and daughters of those who partici- standing as a social phenomenon. I can give pated. They all wore medals. And - this was you an example. The AMCHA organisa- 20 years ago - I thought «One day we’re tion, which is supposed to give mental and going to get into a circumstance where we social help to Holocaust survivors, organised have the Sons and Daughters of Auschwitz, two years ago a conference called some- of Mauthausen ; we’re going to have medals thing like «Mental help for Holocaust sur- as to who the real children of survivors are». vivors through the generations». Not only It’s very problematic - I wouldn’t say the the second generation, but who knows only ones they should talk to are therapists, where it will end ? As I reported to you but it’s a very interesting problem. shortly we interview Jewish writers from all Marie Lipstadt : (...) Vous nous avez parlé, over the world. Once we invited George Monsieur Beyrak, d’une association en Israël, Konrad from Budapest to an interview, and AMCHA. En ce qui concerne la deuxiè- the interviewer we chose was a very well- me génération en Belgique, je ne crois pas known psychiatrist and psychologist in qu’il existe des associations mais je sais par Budapest who is himself a Holocaust sur- expérience, malheureusement, que les enfants vivor. We had a talk about the phenomenon de déportés traumatisés par l’expérience de of the second generation, and he told me leurs parents, vont consulter eux-mêmes something. I will put it the way he said it. We des psychologues et il y en a beaucoup à were talking about the question of why Bruxelles. psychologists encourage the phenomenon of the second generation. He told me : «You Yannis Thanassekos : (...) Concernant la must remember the psychologists must question des enfants de la seconde généra- make a living as well». I know it’s unfair to tion, les enfants cachés, etc. Nous avons say this and not go into details, but I think exclusivement axé notre projet sur les témoi- that if we start interviewing the second gen- gnages des rescapés des camps de concen- eration, we will not finish anywhere. There’s tration et d’extermination nazis. Cette

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conjonction de la déportation politique et de Beyrak, not I, who raised the question of the la déportation dite «raciale» - cette qualifi- therapeutic effect. I did say that the empha- cation appartient vraiment au langage des sis would shift from historical witness to bourreaux - nous rapproche sûrement de the more psychological aspects, but these la démarche adoptée par la Fondation pour exist, these are partly an effect of the la Mémoire de la Déportation à Paris. Si Holocaust, and I would simply say that a nous avons travaillé exclusivement avec des limited project of videotaping, not a total pri- survivants des camps - et pas avec les enfants ority, of course, of children of the survivors cachés ni avec ceux de la deuxième généra- is perfectly thinkable. In a sense I even feel tion - c’est uniquement en raison de la prio- that we have some responsibility in that rité évidente de notre objectif et en raison des direction. Now, I realise that this could go on moyens matériels et techniques qui nous and on, but that was not, certainly, my inten- sont impartis. Toute notre énergie a été tion, to then go from second to third gen- investie en direction des rescapés. Sur un eration and so on. Simply, just as I suggested plan plus général, je dirais à ce sujet que that we might do a certain amount of revis- nous assistons depuis une bonne vingtaine iting of the testimonies we’ve already done d’années maintenant à une sorte de mou- after a certain number of years by asking the vement tout azimut de «patrimonialisation» witnesses if they want to be heard again, de l’histoire. Une sorte de fureur «archivis- that this is, as it seems to me, a feasible pro- tique». En l’absence de critères permettant cedure. So I was trying to say, here’s anoth- de faire des choix, on se précipite pour tout er area that we have not really thought conserver parce qu’on ne sait jamais... Cette about. We have shied away from it partly «dilatation» du patrimoine n’est pas sans because it is so problematic. But I think I risque. Elle peut même produire des effets should return and finish with saying that pervers notamment dans le cadre d’un post- never would we budge from our priority, the modernisme qui récuse tout critère et qui fait priority being the historical witnesses of l’impasse à tout choix. Je me demande dans the Holocaust (...). quelle mesure cette «hystérie» patrimonia- le n’affecte pas aussi notre façon d’accumu- S. Lewis, Office worker : I’d like to back ler une masse impressionnante de documents to something else Mr. Beyrak said in con- tout azimut, en incluant aussi la deuxième nection with interviews with second gen- voire la troisième génération. Cela ne signi- eration people. I always feel, as somebody fie pas qu’il n’y ait pas un travail à faire dans who is completely amateur in this field, cette direction, sûrement pas, mais il faut who reads, that there is so much I don’t savoir ce qu’on fait. Accumuler des témoi- know, notably about what went on in gnages, en soi, cela ne signifie rien (...). Eastern Europe. A great deal of what went Geoffrey Hartman : Concerning the second on in Eastern Europe - Einsatzgruppen generation, our priority is the historical wit- actions, the strict extermination camps - nesses of the Holocaust, and that will not there is very little documentation on this, and change (...). while I agree that second generation inter- views are important, I also hope that there But to get back to this question, just because will be time and money to interview people it is problematic to do so, we have never now in Eastern Europe who have never shied away, I think, in this audience, from been interviewed by anyone and come from problems and explorations, and I did want places on which we have no documenta- to raise the issue. It was, I think, Nathan tion at all. I am also very interested in the idea

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that Mr. Beyrak is prepared to work with d’impact et je crois que cet impact-là est collaborators and with bystanders. I recent- d’autant plus important qu’il a lui-même ly saw a film - this is in Belgium, I don’t un impact sur tous les autres génocides qui remember the television service - it dealt se passent à travers la planète. Parce que with Latvia, and two or three Latvian col- l’on n’arrête pas de tuer des gens... Depuis la laborators were interviewed. Obviously fin de la guerre, on n’a pas cessé de faire la they were translated ; but they were old, guerre et croyez bien que je suis le premier they were willing to talk - to put it frankly, à le regretter : je trouve que c’est terrible... they didn’t give a damn ; they were never Vraiment, on ne cesse pas. going to be prosecuted - and they had inter- esting and historically important things to Je crois que depuis trois jours, nous vivons say. I believe that it’s very important to do intensément. Nous sommes vraisemblable- this work, to talk to people who lived round ment - et je pense que vous l’êtes sûrement the extermination camps and in Russia autant que moi - très fatigués. Il est temps round the areas where the Einsatzgruppen que nous passions un petit peu à autre chose operated, before it’s too late. Otherwise that qu’à ce débat qui est terriblement enrichis- testimony is going to be lost forever. sant et nous engage à réfléchir à un tas de problématiques auxquelles nous n’avions Rosa Goldstein : (...) A propos de la secon- vraisemblablement pas pensé. Je voulais ter- de génération, mes deux enfants sont issus de miner et clôturer sur le fait que nous avons deux déportés, rescapés d’Auschwitz. Ils eu l’occasion - vous avez pu le constater ont été terriblement affectés par leurs deux vous-mêmes - de voir défiler ici un grand parents déportés et ce n’est peut-être pas nombre de personnes durant ces trois jour- un hasard si ma fille à choisi d’étudier la nées de travail. Enormément de monde a psychologie... participé à ce colloque et je m’en réjouis personnellement. Je crois qu’il était utile de Baron Paul Halter : (...) Je voudrais sim- réunir ce colloque pour refaire le point et je plement vous dire une toute petite chose à trouve qu’une distance de deux ans, ce n’est propos de la seconde génération : je crois pas mauvais pour reprendre le contact. Je qu’il ne faut pas se faire trop d’illusion sur voulais aussi remercier spécialement les gens cette génération. La seconde génération, qui sont venus de très loin, d’Israël, du moi, je constate en général qu’elle s’intéres- Brésil, des Etats-Unis, du Canada, ... de se au fond beaucoup moins à nos problèmes nous avoir rejoints pour nous apporter leurs que nous ne l’imaginons ; elle cherche sur- lumières et nous aider à réfléchir à tous les tout à s’en débarrasser parce que ce sont problèmes sur lesquels nous nous sommes des problèmes qui l’assomment et la font penchés. Je les remercie pour leurs com- vivre différemment des autres enfants - je munications. Je remercie les auditeurs de vous donne mon opinion personnelle. Cela les avoir écoutés avec autant d’attention et lui est très dur de vivre ça. Ce que je consta- d’avoir participé aussi intensément à tous te aussi, c’est que c’est plutôt la troisième ces débats. Merci encore. génération qui, à l’heure actuelle, prend le relais. Je le constate avec mes petits-enfants qui, eux, viennent m’interroger maintenant et me demandent : «Tiens, est-ce que tu ne veux pas me dire ce qui s’est passé en réali- té ? Est-ce que ... ?» (...) Je crois que c’est sur cette génération-là que nous aurons le plus

— 249 — De gauche à droite/From the left to the right : Mesdames Nadine Praet,Anne Van Landschoot et Carine Bracke, Collaboratrices à la Fondation Auschwitz. INTERNATIONAL JOURNAL ON THE AUDIO-VISUAL TESTIMONY

LISTE DES THÈMES PROPOSÉS POUR EXPLORATION PAR LES MEMBRES DU COMITÉ DE RÉDACTION DU CAHIER

(SUIVIS DES NOMS DES PERSONNES LES AYANT SUGGÉRÉS)

THEMES PROPOSES POUR UNE EXPLOITATION SCIENTIFIQUE DU TEMOIGNAGE AUDIOVISUEL

La façon dont l’Allemagne - et peut-être aussi d’autres pays - se situe par rapport à l’histoire (Nathan BEYRAK) ; Le reflet de l’Holocauste dans les médias, dans les arts, dans la société israélienne (Nathan BEYRAK) ; Les témoignages des survivants et la perception de l’insertion du nazisme dans la vie quotidienne (Izidoro BLIKSTEIN) ; Etudes comparatives sur la vie des survivants dans leur pays d’adoption (Izidoro BLIKSTEIN) ; Le discours nazi et l’intertextualité du racisme et l’antisémitisme d’après les rescapés interviewés (Izidoro BLIKSTEIN) ; Analyse sémiotique et linguistique des témoignages des survivants de la Shoah (Izidoro BLIKSTEIN) ; Les Juifs en Suisse (Cathy GELBIN et Eva LEZZI) ; Les enfants cachés (Cathy GELBIN et Eva LEZZI) ; Les différentes formes de perception des événements chez les rescapés (Cathy GELBIN et Eva LEZZI) ; Etude comparative du rescapé en ex-Allemagne de l’Est et en ex-Allemagne de l’Ouest (Cathy GELBIN et Eva LEZZI) ; Les rescapés qui ont été sauvés par leurs convictions (Manette MARTIN-CHAUFFIER) ; La Shoah au regard de la Bible : influence des conceptions philosophiques de la Tora et du Talmud sur le comportement des Juifs face au nazisme (Michel ROSENFELDT) ; Les personnes âgées dans le ghetto de Theresienstadt d’après les témoignages oraux et écrits (Anita TARSI) ; La signification de la «faim» selon les différentes situations et circonstances : dans les ghettos, les camps, les lieux de caches, les forêts, selon l’âge, le sexe, etc. (Anita TARSI) ; Les changements intervenant dans les valeurs sociales et familiales durant la vie dans les ghettos, les camps, les lieux de caches et les forêts (Anita TARSI) ; L’impact des connaissances générales et de la mémoire collective sur les perceptions des rescapés et leurs propres expériences (Anita TARSI) ; Le rôle de l’activité créatrice et artistique sous la domination nazie d’après les rescapés (Anita TARSI) ; Analyse du «non- événementiel» à travers les témoignages audiovisuels (Yannis THANASSEKOS) ; Problèmes et tensions identitaires dans les témoignages audiovisuels (Yannis THANASSEKOS) ;Temps historique et temps du récit à travers le témoignage audiovisuel (Yannis THANASSEKOS) ; Identité politique et identité communautaire chez les rescapés interviewés (Anne VAN LANDSCHOOT) ; Les représentations de la famille et de la fratrie à travers les témoignages audiovisuels des rescapés (Régine WAINTRATER et Josette ZARKA) ; Les femmes et l’univers concentrationnaire : les expérimentations médicales, le travail forcé dans les usines ou complexes industriels SS et les enfants, les naissances, etc. (Loretta WALZ) ; La réaction des enfants séparés de leurs parents et cachés dans divers milieux et institutions (Josette ZARKA)

— 251 — CAHIER INTERNATIONAL SUR LE TÉMOIGNAGE AUDIOVISUEL

THEMES LIES A LA FORME ET A LA METHODE DU TEMOIGNAGE AUDIOVISUEL

Méthodologie en histoire orale (Nathan BEYRAK) ; Etudes comparatives sur la méthodologie d’enregistrement des témoignages des survivants (Izidoro BLIKSTEIN) ; Les temps consacrés aux différentes étapes de la vie du témoin par le témoin lui-même (Manette MARTIN-CHAUFFIER) ; Méthodologie et contenu des histoires orales (Joan RINGELHEIM) ; Comparaisons et contrastes avec les autres sortes de projets d’histoire orale (Joan RINGELHEIM) ; Les interviews audiovisuelles qui se déroulent au domicile du témoin : les règles méthodologiques à respecter et les aspects relationnels intervieweur/interviewé particuliers à ce type d’interviews (Michel ROSENFELDT) ; La forme du témoignage oral et audiovisuel (Joanne RUDOF) ; Evaluation critique du matériel, comparaison en profondeur des différentes méthodes d’interview et de leurs paramètres médiatiques (l’écrit, l’audio, la vidéo), leur durée, leur localisation (à la maison, dans un studio, à l’extérieur), le rôle donné à l’interviewer,... (Anita TARSI) ; Le support audiovisuel : des matériaux pour l’historien ? (Anne VAN LANDSCHOOT) ; Le témoin-sujet et son rapport à l’interviewer. L’interviewer-sujet et son rapport au témoin (Anne VAN LANDSCHOOT) ; Le rapport du témoin à son image (Régine WAINTRATER) ; Les entretiens post-témoignage (Régine WAINTRATER) ; Le problème de la limitation de l’entretien. Est-il souhaitable d’établir une limite (limite ou contenant) ? (Régine WAINTRATER) ; Le langage non-verbal et son rapport au texte (Régine WAINTRATER) ; L’apport de l’image au témoignage (Régine WAINTRATER) ; Le témoignage audiovisuel : un texte comme les autres ? (Régine WAINTRATER) ;Analyse transversale des témoignages : comparaison suivant les pays d’origine (Régine WAINTRATER et Josette ZARKA) ; La place du langage verbal et du langage non-verbal dans le témoignage (Régine WAINTRATER et Josette ZARKA) ; Comparaison entre les enregistrements vidéo et les enregistrements audio (Régine WAINTRATER et Josette ZARKA) ; Les effets du témoignage sur le témoin et sur celui qui recueille son témoignage (Régine WAINTRATER et Josette ZARKA)

THEMES LIES AUX PROBLEMES DE CONSERVATION ET DE DIFFUSION DU TEMOIGNAGE

La création d’une base de données mondiale relative à tous les survivants de l’Holocauste qui ont donné leur témoignage sur support audiovisuel : Combien de témoignages nos équipes ont-elles enregistrés ? Combien de témoignages ont-ils été enregistrés par l’équipe de Spielberg ? Combien de témoignages récoltés par une équipe ont-ils été copiés par une autre équipe ? Combien de survivants doivent encore donner leur témoignage ? Combien de survivants n’ont-ils témoigné que sous la forme orale ? Combien de survivants n’ont-ils témoigné que sous la forme écrite (témoignage partiel ou complet) ? Quels sont les éléments essentiels au témoignage ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; L’impact des nouvelles technologies sur l’enregistrement, la conservation, la récupération et l’utilisation des témoignages audiovisuels (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; La survie des collections (Joan RINGELHEIM) ; Méthodes de catalogage des interviews des rescapés de l’Holocauste pour leurs usage et traitement futurs (Anita TARSI)

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THEMES LIES A L’UTILISATION ET A LA TRANSMISSION DU TEMOIGNAGE

Les témoignages littéraires et artistiques (cinéma, télévision, théâtre, peinture etc.) sur l’univers concentrationnaire (Izidoro BLIKSTEIN) ; L’enjeu du témoignage dans la transmission (Cathy GELBIN et Eva LEZZI) ; L’utilisation des témoignages des survivants de l’Holocauste dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur : Quels sont les sujets utilisés pour enseigner l’Holocauste ? Quelles sont les questions les plus souvent posées par les étudiants ? Quels sont les matériels de base essentiels pour les enseignants ? Quels sont les cours préparatoires destinés aux enseignants qui sont actuellement à leur disposition ? Quelles ont été les réactions des étudiants ? Comment introduire des éléments relatifs aux témoignages en dehors des cours d’histoire, par exemple au cours de musique, d’art, de littérature, de religion, de philosophie, etc. ? Comment déterminer au mieux les effets, l’importance et le succès des diverses utilisations du témoignage ? De quelle manière les événements futurs interféreront-ils sur l’enseignement de l’Holocauste en général et sur la façon de considérer les témoignages audiovisuels en particulier ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; L’intégration des témoignages audiovisuels dans les musées du monde entier : Dans quelle mesure les musées ont-ils introduit les témoignages dans leurs collections permanentes ? A quels problèmes ont-ils été confronté et comment les ont-ils résolus ? Dans quels pays peut-on trouver les exemples les plus intéressants d’intégration du témoignage dans les musées ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; Les effets des témoignages audiovisuels sur les deuxième et troisième générations (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; L’usage et l’abus des intérêts personnels relatifs à l’Holocauste dans la mémoire publique et la documentation (Joanne RUDOF) ; L’usage scientifique de l’histoire orale et des témoignages audiovisuels (Joanne RUDOF)

AUTRES

Résumés de témoignages présentant un intérêt significatif (Nathan BEYRAK)

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LIST OF THE RESEARCH THEMES PROPOSED BY THE MEMBERS OF THE EDITORIAL BOARD FOR TREATMENT IN THE INTERNATIONAL JOURNAL (WITH NAMES OF PROPOSERS)

RESEARCH THEMES The way Germany is coping with history, and perhaps also other countries (Nathan BEYRAK) ;The Holocaust as reflected in the media, in the arts, in Israeli society (Nathan BEYRAK) ;The testimonies of survivors and the perception of the insertion of nazism in the daily life (Izidoro BLIKSTEIN) ; Comparative studies on the life of survivors in their host countries (Izidoro BLIKSTEIN) ;The language of the nazis and the intertextuality of racism and antisemitism according to the interviewed survivors (Izidoro BLIKSTEIN) ; Semiotic and linguistic analysis of the testimonies of survivors of the Shoah (Izidoro BLIKSTEIN) ;The Jews in Switzerland (Cathy GELBIN and Eva LEZZI) ;The persecuted children (Cathy GELBIN and Eva LEZZI) ;The different forms of the perception of collective events (Cathy GELBIN and Eva LEZZI) ; Survivors in the former German Democratic Republic (G.D.R) and in the Federal Republic of Germany (F.R.G).A comparative study (Cathy GELBIN and Eva LEZZI) ;The survivors saved by their convictions (Manette MARTIN-CHAUFFIER) ; Shoah from the biblical viewpoint : philosophical conceptions’ influence of Tora and Talmud on jewish attitude towards nazism (Michel ROSENFELDT) ; Old People in Ghetto Theresienstadt, based on written memories and related oral testimonies (Anita TARSI) ; The meaning of «hunger» in various situations and circumstances (ghettos, camps, hiding places, forests, age, gender,etc.) (Anita TARSI) ; The changes in social and family values during life in ghettos, camps, hiding places and forests (Anita TARSI) ;The reflection of general knowledge and collective memory in the survivor’s perceptions of his own experiences (Anita TARSI) ; The role of creative and artistic activity under Nazi domination as it is reflected in survivors’ testimonies (Anita TARSI) ;Analysis of the «non-factual» in the audio-visual testimonies (Yannis THANASSEKOS) ; Identity problems and tensions in the audio- visual testimonies (Yannis THANASSEKOS) ; Historical time and time of report in the audio- visual testimony (Yannis THANASSEKOS) ; Political identity and common identity of the interviewed survivors (Anne VAN LANDSCHOOT) ;The representations of the family and of the fratrie in the audio visual testimonies of survivors (Régine WAINTRATER and Josette ZARKA) ; Women in concentration camps : medical experiments, hard labour in SS-enterprises, children, births, etc. (Loretta WALZ) ;The reaction of children separated from their parents and hidden in several milieus and institutions (Josette ZARKA)

THEMES CONCERNING THE FORM AND METHOD OF THE AUDIOVISUAL TESTIMONY Oral History Methodology (Nathan BEYRAK) ; Comparative studies on the methodology of recording the testimonies of survivors (Izidoro BLIKSTEIN) ;The time dedicated to the different stages of the life of the survivor (dedicated by himself) (Manette MARTIN-CHAUFFIER) ; Methodology, content of oral histories (Joan RINGELHEIM) ; Comparisons and contrasts to other

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kinds of oral history projects (Joan RINGELHEIM) ;Audiovisual interviews at the witness’ home : methodological rules wich have to be respected and particular relational aspects between interviewer/interviewee (Michel ROSENFELDT) ;The shaping of oral/video Testimonies (Joanne RUDOF) ; Comprehensive evaluation of the material, an in-depth comparison of the different interviewing methods and their many parameters such as media (writing, audio, video), duration, location (home, studio, outdoor), the role of the interviewer, ... (Anita TARSI) ;The audio visual support : materials for the historians (Anne VAN LANDSCHOOT) ;The subject of the testimony and its impact on the interviewer.The interviewer’s subject and its impact on the interviewee (Anne VAN LANDSCHOOT) ; The connection between the witness and his picture (Régine WAINTRATER) ;The effects of the testimony on the survivor and on the person who records his testimony (Josette ZARKA and Régine WAINTRATER) ;The conversation after the testimony (Régine WAINTRATER) ; The problem of the limitation of the conversation. Is it desirable to make a limit ? (Régine WAINTRATER) ; The importance of the picture for the testimony (Régine WAINTRATER) ;The non-verbal language and its impact on the text (Régine WAINTRATER) ;The audio-visual testimony : a text like another ? (Régine WAINTRATER) ;Transversal analysis of the testimonies : Comparison according to origin countries (Régine WAINTRATER and Josette ZARKA) ;The importance of verbal and non-verbal language in the testimony (Régine WAINTRATER and Josette ZARKA) ; Comparison between the video recordings and the audio recordings (Régine WAINTRATER and Josette ZARKA)

THEMES CONCERNING THE PROBLEM OF CONSERVATION AND PRESENTATION OF THE TESTIMONIES

The impact of technological innovation on the recording, preservation, retrieval and utilization of the audio-visual testimonies (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ;The creation of a world wide data base to include the total number of survivors of the Holocaust who have already given their audio- visual testimony :A. How many have been recorded by our member groups ? B. How many have been recorded by the Spielberg group ? C. How many of A have been duplicated by B ? D. How many remain to give testimony ? E. How many have given only an aural testimony ? F.How many have given only an incomplete or partial written testimony ? G.What elements are essential and/or desirable for inclusion ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ;The survey of collections (Joan RINGELHEIM) ; Methods of cataloging Holocaust survivors interviews for future use and processing (Anita TARSI)

THEMES CONCERNING THE UTILIZATION AND THE TRANSMISSION OF THE TESTIMONIES

Literary and and artistic testimonies (cinema, television, theatre, paintings etc.) about concentration camps (Izidoro BLIKSTEIN) ; The using of video testimonies for educational purposes (Cathy GELBIN and Eva LEZZI) ;The utilization of testimonies by Holocaust survivors for educational purposes at primary, secondary and tertiary level : What issues are involved in teaching the Holocaust ? What questions are most often raised by the students ? What background materials are essential for teachers ? What teacher training courses are currently available ? What have been the students’ reactions ? How can subject areas in addition to History, i.e. music, art, literature, religion, philosophy, etc., introduce elements of testimonies ? How can one best determine the effect, significance or success of the various utilization’s of the testimonies ? How will the events of the future affect the teaching of the Holocaust in general and in particular with

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regard to the audio visual testimonies ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ;The integration of audio- visual testimonies in museums throughout the world : To what extent have museums included testimonies in their permanent collections ? What problems have been encountered and how have they been resolved ? Where are the most notable examples located ? (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ; The effect of the audio visual testimonies on the 2nd and 3rd generations (Alberta GOTTHARDT STRAGE) ;The use and misuse of personal accounts of the Holocaust in shaping public memory and in the documentaries (Joanne RUDOF) ;The research use of oral history and video testimonies (Joanne RUDOF)

OTHER To summarise specific testimonies of special interest (Nathan BEYRAK)

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