Mémoire de licence

François, l’ami désenchanté La figure de Huysmans et l’altruisme dans Soumission de

Författare: Bettina Klingenheim Handledare: Nathalie Hauksson Tresch Examinator: André Leblanc Ämne/huvudområde: Franska Kurskod: GFR2AS Poäng: 15 hp Ventilerings-/examinationsdatum: 27 augusti 2020

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Résumé

Ce mémoire interroge la place qu’occupe le personnage historique, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) dans le roman Soumission (2015) de Michel Houellebecq. Située en France en 2022, l’histoire met en scène François, spécialiste de Huysmans. Afin de cerner le rôle de Huysmans dans l’histoire, nous nous sommes intéressée à l’amitié que François exprime pour lui, leurs affinités et leurs divergences. Les polémiques suscitées lors de la parution du roman nous ont poussé à également considérer la moralité de l’histoire. L’aspect temporel du roman, situé dans un futur proche, est important car il laisse supposer une comparaison. Ainsi, notamment la notion de politique-fiction - anticipation de faible amplitude -, ainsi que des concepts narratologiques empruntés à Genette - transtextualité, voix et mode -, ont fourni des outils d’analyse. De même, la recherche de Viard sur la vision politique de Houellebecq, et sa conception comtienne de la religion, a servi de guide. En premier lieu, nous avons ainsi montré que Houellebecq a créé l’illusion d’une réalité possible dans un cadre familier aux lecteurs, puis, en deuxième lieu, nous avons constaté que le narrateur est autodiégétique et la focalisation interne, ce qui nous a permis de faire le rapprochement entre le héros et la vie et l’œuvre de Huysmans. Plus loin, l’association des caractéristiques de la politique fiction avec les fonctions testimoniale et idéologique du narrateur ont fait apparaître la figure de Huysmans comme plus largement le représentant de la décadence de la modernité. La vision antilibérale et critique exprimée par François rappelle donc le désenchantement dans la littérature « fin de siècle » dont Huysmans était un grand représentant. De plus nous avons constaté que si François et Huysmans ne partagent pas la même vision de la religion, ils partagent le même idéal conservateur de la femme et du couple. Enfin, ces éléments réunis, nous en sommes arrivée à la conclusion que plutôt que nihiliste, la moralité exprimée serait altruiste.

Mots-clés : Houellebecq, Huysmans, Soumission, politique-fiction, Genette, transtextualité, autodiégétique, modernité, désenchantement, antilibéralisme, anticipation, Viard, Comte, altruisme.

Abstract

This essay interrogates the part played by the historical figure, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) in Michel Houellebecqs novel Submission (2015). The story, set in France in 2022, revolves around François, specialist in Huysmans. In order to establish Huysmans role, we have focalized on François’s friendship, expressed by him, their affinities and their differences. The polemics brought on when the novel was published has also made us consider the moral of the story. The temporal aspect is important since it underscores a comparison between a plot set in the future and a historical figure. Here especially one notion of political fiction – speculation in a nearby future – has proven useful. It was furthermore the case of concepts in the field of narratology developed by Genette, intertextuality and metatextuality, voice and mode. Moreover, we have been guided by Viards theory regarding Houellebecqs political view as well as his vision on religion, inspired by Auguste Comte. Considered all together, this shows that Houellebecq has created an illusion of reality taking place in a familiar environment to which readers can relate. Further on, the narrator being homo-diegetic with an internally focalized perspective, makes it possible for us to conciliate the life of the hero with the life and works of Huysmans. We have also seen that the notions of political fiction, combined with the testimonial and ideological functions of the narrator, relates to the character of Huysmans as a representant of the decadency of modernity. Moreover, François’s anti-liberal and critical vision of France has a clear affinity with the disenchantment expressed in the 19th century, fin de siècle literature, of which Huysmans was a principal figure. We argue that although François and Huysmans don’t share the same vision of religion, they share the same conservative ideal of femininity and the couple. This all together has led us to the conclusion that the moral of the story rather than nihilistic is altruistic.

Keywords: Houellebecq, Huysmans, Submission, Political fiction, Genette, Intertextuality, Metatextuality, Homo-diegetic, modernity, anti-liberal, speculation in nearby future, disenchantment, Viard, Comte, altruism.

Table des matières

1 Introduction 4 1.1 Problématique et méthode 4 1.2 Résumé du roman 6 1.3 Plan 6

2 Recherches antérieures 7

3 Cadre théorique 8 3.1 Politique-fiction ? 8 3.2 Transtextualité 10 3.3 Voix 11 3.4 Mode 12

4 Analyse 13 4.1 Je : François, spécialiste de Huysmans 13 4.2 La France en 2022 16 4.3 L’image de la religion 21 4.4 La femme, le couple et… 23

5 Conclusion 26

6 Bibliographie 28

1 Introduction

En janvier 2015, la parution du roman Soumission de Houellebecq soulève de vives réactions, la réception du roman est sujet à polémiques. D’après Édith Perry1, certains y voient une projection futuriste ou une satire du milieu universitaire, d’autres le perçoivent soit comme islamophobe, soit comme islamophile. Agathe Novac-Lechevalier, directrice de l’ouvrage collectif du Cahier de l’Herne consacré à l’auteur et à son œuvre, y lit plutôt une apologie de la littérature : « […] à la conversion religieuse, abandon de soi à l’autre, [il] oppose magnifiquement la conversion littéraire, construction de soi par l’autre » 2. Dans une interview, à la question de comment il qualifierait lui-même ce livre, Houellebecq répond que « Le mot de politique fiction [sic] est pas mal »3. Ce n’est pas la première fois que Houellebecq fait réagir critiques et lecteurs, depuis la publication en 1994 aux éditions de Maurice Nadeau de son premier roman, Extension du domaine de la lutte, sa poésie de même que ses romans et essais suscitent réactions et interrogations de la part du lectorat. Lauréat en 2010 du prestigieux pour La Carte et le territoire, il s’agit aujourd’hui d’un auteur bien établi dont les écrits ne passent pas inaperçus. Ce qui se vérifie dans la sphère littéraire se constate aussi dans la sphère purement médiatique comme en témoigne la vitesse avec laquelle a été relayée récemment la lecture sur France Inter4 d’une lettre dans laquelle il fait part de son opinion sur les effets à long terme du virus Covid 19.

Problématique et méthode

L’objet de cet essai n’est pas d’étudier la réception du roman Soumission, mais consiste à diriger le regard vers le récit, et plus particulièrement vers un personnage historique

1 Perry, Édith, « Huysmans, inch’ Allah… », in Roman 20-50. Revue d’étude du roman des XXe et XXIe siècles, p. 79. 2 Novac-Lechevalier, Agathe, « Soumission, la littérature comme résistance », in Houellebecq, l’Herne éd., Paris, p. 155. 3 Bourmeau, Sylvain. Un suicide littéraire français, Mediapart, [en ligne], 2 janvier 2015 [consulté le 28 février 2020], https://blogs.mediapart.fr/sylvain-bourmeau/blog/020115/un-suicide-litteraire-francais. 4 Lettres d’intérieur. 2020. « Je ne crois pas aux déclarations du genre « rien ne sera plus comme avant-Michel Houellebecq. Augustin Trapenard. Diffusée le 4 mai 2020. France Inter. https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-mai-2020.

4 qui y figure, Joris-Karl Huysmans (1848-1907). Nous interrogeons le rôle qu’occupe cet auteur du XIXème siècle dans un roman où l’intrigue est située en 2022.

Né à Paris en 1848, la même année que la IIe République, Huysmans connaît un pays empreint de modernité : l’essor de l’industrialisation sous le Second Empire et l’affirmation du capitalisme, la progression des idées libérales et socialistes, la rivalité politique entre républicains et monarchistes. Administrateur au Ministère de l’Intérieur, il écrit aussi de la poésie et de la prose, de même que des textes critiques dans le domaine de l’art et de la littérature. Un temps il se rend aux soirées de Médan organisées par Émile Zola, et son roman En ménage (1881) tout comme sa nouvelle À vau-l’eau (1882), naturalistes, ont été décrits comme « des peintures d’existences ternes et de vies dérisoires » 5. À Rebours, publié en 1884, marque une rupture. D’après Michel Décaudin et Daniel Leuwers, il y a dans ce roman « des marques certaines de la philosophie pessimiste de Schopenhauer : « […] L’inquiétude métaphysique prend le pas sur la peinture d’un milieu, et le décadentisme gagne ici ses lettres de noblesse »6. Cependant, Huysmans continue son chemin qui passe par une quête spirituelle avant de finalement aboutir à une conversion au catholicisme, ce dont témoigne le cycle de Durtal : Là-bas (1891), En route (1895), La Cathédrale (1898) et L’Oblat (1903). La présence de ce personnage historique dans Soumission mérite qu’on s’y intéresse. Nous voulons ici établir de quelle manière Houellebecq insère Huysmans dans sa fiction, et à quelle fin. Quel rôle joue-t-il dans l’histoire racontée ? Cela nous amène à questionner l’amitié que le narrateur éprouve pour lui. En effet, fil conducteur du roman, il est possible de poser la question de la nature de celle-ci : quelles affinités et quelles divergences exprime-t-elle ? Par ailleurs, eu égard à l’ambiguïté liée à la réception du roman, nous nous intéressons à la moralité de celui-ci, en pensant que Huysmans y offre une clé. Afin de répondre à ces questionnements, et en considérant l’important aspect temporel de Soumission, nous explorerons en premier lieu le genre de la politique-fiction. En effet, sans vouloir y enfermer le roman, ce genre présuppose des caractéristiques auxquelles il répond, notamment l’élément d’anticipation de faible amplitude, qui participe à créer l’effet de réalisme et de « réalités politiques ». Ensuite, dans le but d’analyser le texte et les nombreuses références à Huysmans, nous aurons recours à des concepts développés par le théoricien de littérature, Gérard Genette. Premièrement sera abordé celui de transtextualité, qui informe sur différentes manières d’inclure d’autres textes dans un texte nouveau, puis, seront présentés ceux de voix et de mode

5 Décaudin, Michel et Leuwers, Daniel, De Zola à Apollinaire, p. 76. 6 Idem., p. 77.

5 où nous découvrons le narrateur autodiégétique, la focalisation interne et les fonctions testimoniale et idéologique. Enfin, grâce à ces outils, nous procéderons à l’analyse. D’abord le portrait du narrateur du roman, marqué par la vie et l’œuvre de Huysmans, sera dressé, puis nous considérerons le tableau politique de la France qu’il transmet, tout en appréhendant les reflets projetés de l’époque de Huysmans. En dernier lieu, afin de mieux cerner la moralité du roman, nous développerons des thèmes qui appellent particulièrement l’attention, l’image de la religion et la vision de la femme et du couple. Cependant avant de poursuivre, voici un résumé de Soumission.

Résumé du roman

Les événements, les paroles et les pensées de Soumission sont situés en France en 2022. Sous le regard de François, professeur d’université spécialiste de Huysmans, l’élection présidentielle est remportée par un nouveau parti politique, la Fraternité musulmane. Soudainement, Mohammed Ben Abbes, qui représente un islam modéré, devient président. L’opposition centre-gauche/centre-droite est renversée et leurs représentants, de leur plein gré, intègrent le nouveau gouvernement. Voici le point de départ des transformations observées et vécues par François. Au lendemain de l’élection, la situation instable le pousse à quitter la capitale et il entreprend une « road trip » vers le Sud-Ouest. Il s’arrête d’abord à Martel, avant de passer quelques jours à Rocamadour où il visite la statue de la Vierge noire et l’enfant Jésus à la chapelle Notre-Dame. De retour à Paris, il apprend d’abord le décès de sa mère puis celui de son père, séparés de longue date, et avec lesquels il n’avait aucun ou peu de contacts. De plus, sa maîtresse juive, Myriam, installée en Israël avec sa famille depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président, met un terme à leur relation. Submergé d’une envie de suicide, il se rend à l’abbaye de Ligugé où Huysmans avait reçu l’oblature en l’année 19007. Ce séjour monastique frustrant est rapidement interrompu. François retourne à Paris et commence à rédiger une préface sur Huysmans pour la collection de la Pléiade. Parallèlement, le nouveau président de l’université lui propose de revenir et de réintégrer son poste avec de meilleurs conditions qu’auparavant. Il pourra continuer d’enseigner, à condition de se convertir à l’islam.

Plan

Suite à l’introduction, comprenant le résumé du roman, seront présentées, tout d’abord, et brièvement, deux recherches antérieures, faites respectivement par Carine Roucan et Édith

7 Cogny, Pierre « Repères chronologiques », in Huysmans, l’Herne éd., Paris, p. 20.

6 Perry, portant sur la présence de Huysmans dans Soumission. Puis, dans la partie consacrée au cadre théorique, sera abordé premièrement le genre de la politique-fiction et l’une de ses principales caractéristiques : l’anticipation de faible amplitude. Ensuite sera expliquée la transtextualité qui comprend notamment l’intertextualité et la métatextualité. Et enfin, seront explicités les concepts de voix et de mode. Suivra la partie analytique comprenant quatre rubriques : Je : François, spécialiste de Huysmans ; La France en 2022 ; L’image de la religion, et finalement, La femme, le couple et... . Pour terminer, dans la conclusion, seront résumées les étapes successives de notre démarche, ainsi que les résultats obtenus.

2 Recherches antérieures

Parmi les recherches antérieures portant sur le roman Soumission, nous avons retenu deux articles qui éclairent la présence de Huysmans. Le premier, « J.-K. Huysmans, un personnage clé de Soumission » 8, de Carine Roucan, et le second, « Huysmans, inch’ Allah… » 9, écrit par Édith Perry. La lecture de Carine Roucan, tout d’abord, est littéraire. Elle veut lire dans François, le continuateur de Durtal, le personnage de la tétralogie huysmansienne qui devient oblat. Connaissant bien l’œuvre de Huysmans - sa thèse de doctorat porte le titre Le Roman de Durtal de Joris-Karl Huysmans, une autofiction -, elle fait remarquer que Houellebecq, à la différence de son personnage, François, n’est pas un spécialiste de Huysmans. À ce propos, elle pense que pour les éléments biographiques, il s’est probablement laissé inspirer par deux études portant sur l’auteur : Huysmans, le Diable, le célibataire et Dieu de Jean Borie, et Sur Huysmans de Léon Bloy10, et pour les éléments romanesques, particulièrement de la nouvelle À vau-l’eau. Construit autour du rôle du lecteur et de l’interprétation, l’article d’Édith Perry est également littéraire tout en relevant des éléments politiques. Se référant à Raymond Barthes, elle rappelle et résume sa définition du code herméneutique : « les énigmes que le lecteur doit résoudre en repérant, tel un détective, les indices disséminés dans le texte »11. D’après elle, le fait que le personnage principal du roman, François, soit spécialiste de Huysmans lui consignerait une valeur indicielle. En remontant les traces de celui-ci, elle fait observer que le roman serait construit autour « de la nostalgie d’un monde à jamais perdu » 12, dans le sens où

8 Roucan, Carine, « J.-K. J.-K. Huysmans, un personnage clé de Soumission », in Lectures croisées de l’œuvre de Michel Houellebecq, p. 137-150. 9 Perry, É., op. cit., p. 79-90. 10 Roucan, C., op. cit., p. 139. 11 Perry, É., op. cit. p. 80. 12 Idem., p. 88.

7 le sécularisme républicain, imposé par la loi de 1905, aurait participé à rendre caduc le catholicisme face à l’avancée de l’islam. Si les analyses de Roucan et Perry contribuent chacune de manière différente à élucider la présence de Huysmans dans le roman, elles convergent dans leurs conclusions sur un point, celui du nihilisme qui lui donnerait sa tonalité13. La définition du Petit Robert de ce terme renvoie vers une doctrine philosophique « d’après laquelle rien n’existe d’absolu. Doctrine qui nie la vérité morale, les valeurs et leur hiérarchie »14. Il pourrait être entendu dans le sens où aucune voix dans le récit ne s’élève pour contester la profonde mutation sociologique qui y est mise en œuvre. Nous comptons quant à nous dépasser cette vision que nous jugeons trop restrictive en mettant en lumière la profonde moralité du roman.

3 Cadre théorique

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, cet essai est consacré à la figure historique de Huysmans, à la manière dont sa présence joue un rôle dans le récit. Voici pourquoi nous mettrons en avant les références explicites dans le texte à sa personne et son œuvre. Aussi nous nous appuierons sur la terminologie et les concepts narratologiques développés par Genette, présentés dans deux de ses essais, Palimpsestes (1982) et Figures III (1972) : la transtextualité, la voix et le mode. Cependant, avant de les aborder, nous soulèverons la question du genre auquel appartient ou n’appartient pas Soumission, à savoir la politique-fiction. En effet, sujet périlleux et peut-être secondaire (catégoriser signifie aussi limiter), il permet cependant de rendre compte d’un certain nombre de caractéristiques du roman qui nous paraissent pertinentes.

Politique-fiction ?

Soumission, serait-il un roman de politique-fiction ? D’après la définition du Petit Robert, la politique-fiction est un « genre de récit imaginaire mettant en scène des problèmes politiques, souvent dans une situation future » 15. Trois éléments ressortent de cette courte définition : une

13 Roucan, Carine : « l’enchaînement contrarié des événements exprime un nihilisme encore plus poussé peut-être que dans les récits précédents : rien ne se passe, tout est inchangé, seule la fiction parvient à faire bouger les choses », op.cit., p. 150. Perry, Édith : « Ni islamophobe ni islamophile, le roman se contente d’enregistrer un mouvement irréversible. À l’instar d’En ménage, il est ‘le chant du nihilisme’, il ‘conclut à la résignation, au laisser faire’ », op cit., p. 90. 14 Dictionnaires Le Robert. 2017. Le Grand Robert de la langue française. 15 Dictionnaires Le Robert. 2017. Le Grand Robert de la langue française.

8 histoire fictive, une intrigue comportant des problèmes politiques et une temporalité future. Soumission y correspondrait : les événements qui y sont racontés sont fictifs, mais la France existe, et une place importante est accordée à l’élection présidentielle qui s’y déroule dans un futur imaginaire en 2022. Cependant, deux articles de Robert Merle, auteur et théoricien du genre16 : « Politique-fiction et angoisse planétaire » et « Les règles d’or de la politique-fiction », publiés dans en 1967, nous renseignent bien plus sur ce genre littéraire né pendant la guerre froide. D’après lui, la politique-fiction dériverait à la fois de l’utopie anglaise, et d’auteurs tels que Thomas More (1478-1535) et (1667-1745), que du roman d’anticipation. Il comporterait une critique des institutions en place. Inutile dans un monde imaginé, le décalage temporel serait au contraire nécessaire « dès que l'auteur développe une hypothèse politique qui intéresse un pays réel »17. Par souci à la fois de réalisme du roman et « [des] réalités politiques » 18, la politique-fiction utiliserait une « anticipation de faible amplitude »19, qui décrirait le monde

qui sera le nôtre dans quatre, cinq, dix ans : autant dire demain. L'effet de choc sur le lecteur est décuplé : c'est demain peut-être qu’un condensateur ayant claqué dans un cerveau électronique, les bombardiers américains fonceront par erreur sur Moscou 20.

D’après Merle, l’attrait de la politique-fiction pour le lecteur viendrait de ce qu’elle « apporte une réponse à ce que Jean Daniel appelle l'‘ angoisse planétaire’. On ne sait pas assez en Europe que le peuple américain est le premier effrayé par l'énorme puissance de destruction qu'il détient »21. Merle se targue de présenter un genre littéraire sérieux qui, d’après lui, renseigne avertit et met en garde, ce qui implique un important travail de documentation car il pense que « seules sont valables les œuvres de politique-fiction qui, reposant sur une analyse détaillée et précise de la réalité contemporaine, éclairent le présent par l'imagination de l'avenir »22.

16 Wattel, Anne. Robert Merle, théoricien et praticien de la politique-fiction. Pour que le « pas encore » devienne un « jamais ». ReS Futuare [en ligne], 7 | 2016, 30 juin 2016 [consulté le 27 juillet 2020], URL : http://journals.openedition.org/resf/795 ; DOI : https://doi.org/10.4000/resf.795. 17 Merle, Robert. Politique-fiction et angoisse planétaire. Le Monde [en ligne], 11 octobre 1967, [consulté le 28 juillet 2020], https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/10/11/politique-fiction-et-angoisse- planetaire_2633830_1819218.html. 18 Merle, Robert. Les règles d’or de la politique-fiction. Le Monde [en ligne], 11 octobre 1967, [consulté le 28 juillet 2020], https://www.lemonde.fr/archives/article/1967/10/11/les-regles-d-or-de-la-politique- fiction_2633127_1819218.html. 19Idem. 20 Merle, Robert, « Politique-fiction… », op.cit. 21 Idem. 22 Merle, Robert, « Les règles d’or … », op. cit.

9 Le roman de Houellebecq répond parfaitement au genre de la politique-fiction sur le point d’anticipation de faible amplitude relevé par Merle. En effet, sept ans seulement séparent la France réelle de la France fictive. Cela permet à Houellebecq de situer les événements racontés dans un cadre qui est familier aux lecteurs, notamment en faisant référence à des lieux ou à des personnes connus par le grand public. Par exemple, peu de temps après l’élection, lorsque François revient à Paris, le rayon cacher a disparu du supermarché Géant Casino et les magasins de vêtements pour femme, Jennyfer23, ont été remplacés par d’autres boutiques. De plus, l’homme politique, François Bayrou est devenu premier ministre pour avoir « accepté un ticket avec Mohammed Ben Abbes »24. Par ailleurs, fait non anodin, au cours de la période qui sépare la date de publication et l’année choisie pour mettre en scène les événements romanesques, ont lieu l’élection présidentielle de 2017. Cet élément est certes extérieur au récit, néanmoins il mérite d’être retenu. En effet, eu égard à la proximité temporelle et à l’enjeu politique qui constitue le nœud de l’intrigue du roman, il n’est pas impensable de le considérer comme un détail réel participant à la prolongation de l’illusion référentielle, l’illusion de « réalité »25, auquel chaque lecteur répond selon sa sensibilité, comme le fait remarquer Genette dans la partie de Figures III consacré au mode. En revanche, pour ce qui est de la documentation au préalable du roman, celle-ci laisse à désirer pour la partie concernant l’islam. Néanmoins, nous réservons nos observations à ce sujet à la partie consacrée à l’analyse. Nous nous contenterons ici de constater que d’après les sources consultées, le roman pourrait se classer dans le genre de la politique-fiction, sans toutefois répondre à l’exigence de faits réclamée par Merle.

Transtextualité

Dans son essai Palimpsestes, Genette s’intéresse à la manière dont les textes survivent à leurs auteurs en traversant époques et limites géographiques. En se référant de manière plus ou moins explicite à d’autres textes, en les intégrant dans de nouvelles fictions, dans de nouveaux contextes, tout auteur participe à leur réactualisation et assure leur pérennité. Sous le terme transtextualité, Genette range plusieurs notions dont deux nous intéressent particulièrement ici : l’intertextualité et la métatextualité. L’intertextualité tout d’abord, signifie la relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes. Elle peut prendre la

23 Houellebecq, Michel, Soumission, p. 176. 24 Idem., p. 150. 25 Genette, Gérard, Figures III, p. 255-256.

10 forme d’une citation ou d’une allusion. Dans le cas de notre étude elle est observable notamment par des citations tirées d’En ménage de Huysmans. La métatextualité ensuite, est un commentaire qui unit un texte à un autre. Soumission comprend des passages où Houellebecq, plus ou moins longuement, met son texte en relation avec des textes de Huysmans. Ainsi le narrateur fera part d’avis brefs d’appréciation au sujet de quelques romans comme À rebours et En rade26 mais développera d’avantage ses propos concernant En ménage27. En somme, la transtextualité signale la présence de Huysmans dans le roman, soit sous la forme textuelle, une citation, soit sous la forme du commentaire. Repérer la transtextualité revient à identifier les moments où Houellebecq se réfère explicitement à Huysmans, elle constitue donc un outil précieux afin d’identifier la nature de cette relation fictionnelle.

Voix

La voix du récit revient au narrateur. Genette précise d’ailleurs que, dans le cas du récit de fiction, celui-ci est un rôle fictif à ne pas confondre avec son auteur : le narrateur connaît les autres personnages, l’auteur les imagine28. Le narrateur peut avoir différentes relations à l’histoire. Il peut être soit présent, soit absent dans la diégèse, l’univers du roman. Dans le cas premier il s’agit d’un narrateur homodiégétique, dans le cas second d’un narrateur hétérodiégétique. Genette distingue les narrateurs homodiégétiques en deux groupes : celui des héros (tel que Marcel dans À la recherche du temps perdu) et celui des rôles secondaires (tel que Watson dans les aventures de Sherlock Holmes). Le narrateur héros a sa propre dénomination : autodiégétique29. Celle-ci retient particulièrement notre attention puisque Houellebecq a choisi ce type de narrateur pour son récit. En effet, d’après Genette, contrairement à l’omniscience objective du narrateur hétérodiégétique, il revient au narrateur autodiégétique « d’assumer personnellement, d’authentifier et d’éclairer de son propre commentaire l’expérience […] qui donne son sens final à tout le reste […] »30. De plus, Genette relève cinq fonctions au narrateur : narrative (raconter une histoire), de régie (faire référence à « l’organisation interne » du texte), de communication (s’adresser au lecteur, soit directement, soit par le biais du narrataire, son équivalent fictif dans le texte), testimoniale (s’exprimer par rapport à l’histoire de façon

26 Houellebecq, M., op. cit., p. 48-49. 27 Idem., p. 94-96. 28 Genette, G., op. cit., p. 311. 29 Idem., p. 348. 30 Idem., p. 256.

11 affective, morale ou intellectuelle), idéologique (exprimer sa pensée sur le monde en dehors de l’histoire). Comme le fait remarquer Vincent Jouve31, les trois premières fonctions renvoient au fonctionnement interne du récit et les deux autres à l’interprétation de l’histoire. Ainsi, selon l’importance accordée soit à l’un, soit à l’autre, le but du narrateur sera plutôt esthétique ou idéologique. Dans la mesure où nous portons notre attention sur la moralité de ce roman, nous nous concentrerons surtout sur les fonctions testimoniale et idéologique.

Mode

La fonction première du récit est de raconter une histoire, réelle ou fictive. Cependant, tout n’est pas dit. L’univers inventé est une « représentation » 32 régulée par ce que Genette nomme le mode narratif. Puisqu’il est possible de « raconter plus ou moins ce que l’on raconte, et de le raconter selon tel et tel point de vue »33, il faut considérer deux notions clés, à savoir la distance et la focalisation. La distance, tout d’abord, implique que le récit peut sembler « se tenir à plus ou moins grande distance de ce qu’il raconte »34. Ici c’est l’illusion mimétique qui est en jeu car elle dépend du degré de médiation des récits d’événements et des récits de paroles. Le mimétisme sera grand si la distance est faible, comme dans le cas où le narrateur est hétérodiégétique et omniscient. Par contre, si la distance est grande, comme dans le cas d’un narrateur homodiégétique, le mimétisme sera faible au profit de la parole laissée au narrateur, qui transmet sa version, subjective, des événements. Soumission est un récit dont le narrateur est homodiégétique. La focalisation, quant à elle, permet de moduler l’information

selon les capacités de connaissance de telle ou telle partie prenante de l’histoire (personnage ou groupe de personnage), dont [le récit] adoptera ou feindra d’adopter ce que l’on nomme couramment la « vision ou le « point de vue », semblant alors prendre à l’égard de l’histoire […] telle ou telle perspective 35.

Genette, soulignant la différence capitale entre le personnage « qui voit » et le narrateur « qui parle »36, distingue trois types de focalisations : zéro, externe et interne. Ils correspondent au degré de savoir en commun entre le personnage et le narrateur. Dans le cas d’une focalisation

31 Jouve, Vincent, Poétique du roman, p. 40. 32 Genette, G., op. cit., p. 251. 33 Idem., p. 251. 34 Ibid., p. 251. 35 Ibid., p. 251. 36 Ibid., p. 279.

12 zéro, le narrateur sait plus que le personnage, dans le cas d’une focalisation externe il sait moins que lui, et enfin, dans le cas d’une focalisation interne il sait autant que lui. Bien entendu, la focalisation peut varier au cours de la narration, cependant, dans le cas de Soumission, il s’agit principalement d’une focalisation interne.

4 Analyse

Comme nous l’avons signalé dans la partie consacrée aux recherches antérieures, il est possible d’interpréter la totale absence d’opposition face aux événements décrits dans Soumission comme du nihilisme. Il est également possible d’envisager ce nihilisme comme un leurre, une stratégie employée par l’auteur afin de critiquer une société en perte de valeurs. En d’autres mots, nous dirions que le nihilisme observable n’est que l’expression d’une conscience anti-nihiliste à laquelle correspondrait la moralité de l’histoire racontée.

Pourtant celle-ci n’est pas sans ambiguïté. Autant les Fables de La Fontaine transmettent chacune des moralités limpides, autant ce roman résiste aux certitudes tranchantes. Cependant nous voudrions penser que la moralité exprimée serait d’ordre altruiste, rejoignant ici le professeur de littérature, Bruno Viard, qui trouve que l’altruisme résumerait d’un mot « la position politique et morale de Houellebecq » 37. En effet, l’altruisme, pensée et formulée en premier par Auguste Comte (1798-1857), « fait pencher la balance du côté holiste, celui des devoirs sociaux »38. À partir du texte et de recherches, notamment de Viard, nous tâcherons ainsi de montrer que le nihilisme dans Soumission n’est que l’expression d’un engagement. Effectivement, « Houellebecq est un écrivain largement antiphrastique, ironique, qui semble flatter ce qu’il honnit en réalité »39. Dans cette optique, le lien établi par Houellebecq entre François et Huysmans servirait, au-delà de l’hommage littéraire et du plaisir de retrouver un esprit et un ton proche du sien, à critiquer la modernité qui n’a cessé d’évoluer depuis le XIXe siècle.

Je : François, spécialiste de Huysmans

Houellebecq a fait de François le narrateur et personnage principal de son roman. Selon la terminologie de Genette présentée plus haut, il correspond au narrateur héros, autodiégétique

37 Viard, Bruno, « Dans les tiroirs de Michel Houellebecq », p. 75. 38 Idem., p. 75. 39 Viard, Bruno, « L’œuvre instable. Situation politique et historique de Houellebecq », in Houellebecq, l’Herne éd., Paris, p. 358.

13 qui à la fois voit et dit. Le récit provient de lui et ses expériences ne sont ni reprises, ni répétées par aucun autre personnage de l’histoire. La perspective est celle de la focalisation interne : le narrateur en sait autant que le personnage. Voyons maintenant de quelle manière ces choix narratologiques participent à créer la subjectivité du roman, de même que le lien entre le narrateur et un personnage historique. François a ceci de particulier qu’il est construit selon un modèle d’affinité avec l’auteur dont il est le spécialiste : Joris-Karl Huysmans. Déjà les premières lignes du roman révèlent l’attachement que François éprouve pour lui :

Pendant toutes les années de ma triste jeunesse, Huysmans demeura pour moi un compagnon, un ami fidèle ; jamais je n’éprouvai de doute, jamais je ne fus tenté d’abandonner, ni de m’orienter vers un autre sujet ; puis, une après-midi de juin 2007 […] je soutins devant le jury de l’université Paris IV – Sorbonne ma thèse de doctorat : Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel 40.

S’il a consacré sept ans de sa vie à rédiger les 788 pages qui constituent cette thèse, il a aussi écrit un livre, Vertiges de néologismes, consacré notamment à l’utilisation que Huysmans fait des mots : « Huysmans, c’était ma thèse, était resté jusqu’au bout un naturaliste, soucieux d’incorporer le parler réel du peuple à son œuvre […] » 41.

La première partie du roman (p. 11- 44) brosse les grands traits du portrait de François. Elle comprend trois types d’informations. Le premier consiste à lier les vies de François et Huysmans au travers des références biographiques et littéraires ; le deuxième est une réflexion sur la littérature et l’auteur, qui est « avant tout un être humain, présent dans ses livres »42 ; le troisième, enfin, concerne la relation de François aux femmes. Ensemble ils contribuent à créer François : célibataire, professeur de littérature, spécialiste de la vie et de l’œuvre de Huysmans. Quand débute l’histoire, il travaille à l’université Paris III – Sorbonne et bénéficie d’une situation professionnelle bien établi. Il enseigne la littérature du XIXe siècle et ses cours portent notamment sur les décadents et les symbolistes. Cependant, lorsqu’il était encore un jeune étudiant pauvre, il habitait, comme Huysmans, le 6ème arrondissement. C’est là que la vie de ce dernier « presque entière en somme s’est déroulée […] comme sa vie professionnelle, pendant plus de trente ans, s’est déroulée dans les bureaux du ministère de l’Intérieur et des cultes »43. De fait, Huysmans, né 11, rue du Suger dans le sixième arrondissement44 a travaillé au ministère de l’Intérieur de 1866 à 1898 avant de demander sa

40 Houellebecq, M., op.cit., p. 11. 41 Idem., p. 31. 42 Ibid., p. 13. 43 Ibid., p. 31. 44 Cogny, P., op. cit., p. 14.

14 retraite45. Aux temps de ses études, Huysmans était toujours de bonne compagnie pour François. Une scène remémorée du restaurant universitaire Bullier est ici un exemple d’une inter-et métatextualité. En effet, François, y songeant aux épithètes utilisées par son ami - un désolant fromage ou une redoutable sol – se sent moins malheureux46. L’épithète « désolant fromage » renvoie directement à une scène avec Monsieur Folantin dans À vau-l’eau, où celui-ci anticipe une déception, craignant de façon ironique mais justifiée de se faire servir un mauvais fromage47.

Devenu maître de conférence, la vie de François a continué à ressembler à celle de Huysmans, fonctionnaire, « par son uniformité et sa platitude prévisibles »48. À présent, même s’il assure son enseignement, il ressent une lassitude intellectuelle49 et enchaine des relations instables, souvent avec de jeunes femmes. Parallèlement, visionner Youporn le rassure : ayant passé beaucoup de temps à étudier un auteur « souvent considéré comme une sorte de décadent, dont la sexualité n’était de ce fait pas un sujet très clair » 50, ce support audiovisuel confirme « dès les premières minutes » 51 que ses fantasmes répondent à ceux « des hommes normaux », comme il dit 52. Il voulait cependant reprendre une relation avec l’une de ses étudiantes, tentative qui s’est soldé par un échec. C’est d’ailleurs elle, Myriam, qui révélera son nom : « Je suis désolée, vraiment désolée que tu en sois là, François »53. Dans son analyse, Roucan lie la déception amoureuse de François à celle de Durtal, l’un des personnages de Huysmans. Mais si Durtal se convertit parce qu’il « est déçu par l’amour lui-même et la relation avec les femmes »54, François, quant à lui, verrait dans le mariage le résultat d’un « schéma progressiste des relations amoureuses »55 qui nuirait à son idéal d’amour. Huysmans et Houellebecq auraient là en commun le rejet du matérialisme et de la société de consommation. Ainsi, grâce à l’identification de la focalisation interne et à la présence d’un

45 http://www.huysmans.org/. Le sous-chef J.-K. Huysmans. [consulté le 15 août 2020], www.huysmans.org/profiles/lamase.htm. 46 Houellebecq, M., op.cit., p. 15. 47 Huysmans, J.-K., Nouvelles, p. 85. 48 Houellebecq, M., op.cit., p. 18. 49 « Les sommets intellectuels de ma vie avaient été la rédaction de ma thèse, la publication de mon livre ; tout cela remontait déjà à plus de dix ans. Sommets intellectuels ? Sommets tout court ? […] Mes articles étaient nets, incisifs, brillants […] Mais cela suffisait-il à justifier une vie ? Et en quoi une vie a-t-elle besoin d’être justifiée ? Idem, p. 47. 50 Ibid., p. 25. 51 Ibid., p. 25. 52 Ibid., p. 25. 53 Ibid p. 44. 54 Roucan, C., op. cit. p. 143-144. Roucan précise que si Huysmans serait déçu par les valeurs bourgeoises « de préservation de l’ordre moral est financier », Houellebecq rejetterait la valeur du mariage comme « signe de réussite personnelle ». 55 Idem., p. 143.

15 narrateur autodiégétique dont le lecteur connaît les actes et les pensées les plus intimes, nous avons pu faire le rapprochement avec ce qui est connu de la vie et une partie de l’œuvre de Huysmans.

La France en 2022

L’épigraphe de Soumission est empruntée à l’un des romans de Huysmans, En route. Dans le passage cité, Durtal, le héros, songe au catholicisme. À Saint-Sulpice, il se dit grisé par l’encens et la cire, touché par les prières. Hélas, ces sensations l’abandonnent dès qu’il ressort de l’église. Il redevient alors « inému et sec », et pense avoir « le cœur racorni et fumé par les noces ». Voici l’image d’un homme qui voudrait croire sans y parvenir, une souffrance mise en évidence par Houellebecq dans un roman qui conte une possible conversion, pas au catholicisme mais à l’islam. Dans la partie consacrée au Je du roman, nous avons montré que Houellebecq a créé un narrateur et personnage principal qui a de grandes affinités avec la vie de Huysmans, et qui connaît bien son œuvre. Outre ces références biographiques, il faudrait considérer Huysmans dans son contexte littéraire et socio-historique, car il est une voix de son temps. Régis-Pierre Fieu place à mi-chemin entre le naturalisme et le symbolisme, la littérature « fin de siècle » dont Huysmans, d’après lui, est le plus grand représentant. Elle est « caractérisée par le désenchantement […] cet état d’esprit, propre à une France rongée par une situation politique instable et qui a le sentiment de vivre un tournant de son histoire »56. Voici une ambiance qui rappelle celle de Soumission. Cependant, comme observe Roucan, tandis que Huysmans « ancre ses récits dans son époque qui le déçoit et qui le fait souhaiter un retour au Moyen Âge […] Houellebecq compose une dystopie qu’il situe en 2022 en faisant constamment référence à un auteur de la fin du XIXe siècle » 57. Dès lors, il est intéressant de considérer cette référence constante au regard de l’anticipation de faible amplitude relevée par Merle. En effet dans le contexte du roman, ces deux éléments réunis font penser que la figure de Huysmans représente plus largement une époque, celle de la modernité où sont nés le libéralisme, le capitalisme et la société séculaire, et avec laquelle Houellebecq voudrait entrer en résonnance pour montrer une évolution en pire. À propos du positionnement de son ami par rapport à ces vecteurs de valeurs profanes à la fin du XIXème siècle, Houellebecq laisse François s’exprimer ainsi :

56 Fieu, Régis-Pierre, « Michel Houellebecq, auteur fin de siècle », in Roman 20-50. Revue d’étude du roman des XXe et XXIe siècles, p. 56. 57 Roucan, C., op. cit. p. 145.

16

[Huysmans] était peut-être même dans un sens resté le socialiste qui participait dans sa jeunesse aux soirées de Médan chez Zola, son mépris croissant pour la gauche n’avait jamais effacé son aversion initiale pour le capitalisme, l’argent, et tout ce qui pouvait s’apparenter aux valeurs bourgeoises, il était en somme le type unique d’un naturaliste chrétien […] 58. En 2022 la modernité semble dominer l’Occident et malgré le fait que François soit aussi « politisé qu’un gant de toilette »59, il offre au lecteur un tableau détaillé de la France politique. À l’issue de l’élection présidentielle de 2017, qui a mené à « la réélection d’un président de gauche dans un pays de plus en plus ouvertement à droite »60, un nouveau parti politique a été créé sous l’égide de Mohammed Ben Abbes. La Fraternité musulmane est un parti d’islam politique modéré qui ne soutient « la cause palestinienne qu’avec modération et [maintient] des relations cordiales avec les autorités religieuses juives », « l’action politique proprement dite [est] relayée par un réseau dense de mouvements de jeunesse, d’établissements culturels et d’associations caritatives »61. Dans une France « où la misère de masse [continue] inéluctablement, année après année, à s’étendre »62, le parti gagne vite du terrain et obtient un meilleur score que le PS au soir du premier scrutin de l’élection présidentielle de 2022. Ainsi, au second tour doivent s’opposer la Fraternité musulmane et le Front national, « de loin le premier parti français »63. La France perçue par François est une société en déroute aux institutions politiques et médiatiques défaillantes. Il trouve curieux que les pays occidentaux soient fiers d’un système électoral qui n’est « pourtant guère plus que le partage du pouvoir entre deux gangs rivaux »64, une alternance démocratique 65entre des candidats de centre-gauche et de centre-droite. Lecteur du Figaro66, il observe que depuis des années, « Le Monde […] et tous les journaux de centre-gauche, c’est-à-dire en réalité tous les journaux, [ont] régulièrement dénoncé les « Cassandres » qui prévoyaient une guerre civile entre les immigrés musulmans et les populations autochtones de l’Europe » 67. D’ailleurs, il revient sur les « faits » du mythe pour démontrer que « ‘Cassandre’ offrait l’exemple de prédictions pessimistes constamment

58 Houellebecq, M., op. cit., p. 31-32. 59 Idem., p. 50. 60 Ibid., p. 51. 61 Ibid., p. 52. 62 Idem., p. 52. 63 Ibid., p. 52. 64 Ibid., p. 50. 65 Ibid., p. 50. 66 Ibid., p. 225. 67 Ibid., p. 55.

17 réalisées. »68. Il parle aussi de l’incompréhension existante entre les classes sociales et le danger que cela représente :

Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais eu rien à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière 69.

Cependant, depuis quelque temps, les médias ne parlent plus ni des « violences dans les banlieues [ou] des affrontements inter-ethniques » 70, ni ne dénoncent les Cassandres. Une lassitude s’est installée dans le pays et François se dit être « frappé par l’atonie de [ses] collègues »71 qui se sentent intouchables par l’évolution politique. Le résultat du premier scrutin électoral met le feu aux poudres et une guerre civile est sur le point d’éclater, les « Indigènes européens »72 voulant combattre la « colonisation musulmane » 73. Dans ces conditions, Ben Abbes, inspiré par nul autre que l’empereur Auguste et l’Empire romain74, fera en sorte que les autres partis politiques, qui en vue des circonstances ont formé un « front républicain élargi », se rallient à lui. En contrepartie de quoi leurs représentants sont assurés de places importantes au gouvernement. Pour décrire la stratégie de Ben Abbes, le narrateur laisse la parole à un autre personnage, Monsieur Tanneur, qui longtemps a fait partie de la DGSI, la police politique. Celui-ci explique entre autres que « les élections ne se [jouent] pas sur le terrain de l’économie, mais sur celui des valeurs »75 :

Concernant la restauration de la famille, de la morale traditionnelle et implicitement du patriarcat, un boulevard [s’ouvre devant Ben Abbes] que la droite ne [peut] pas emprunter, et le Front national pas d’avantage, sans se voir qualifiés de réactionnaires, voire de fascistes par les ultimes soixante- huitards, momies progressistes mourantes, sociologiquement exsangues mais réfugiés dans des citadelles médiatiques d’où ils [demeurent] capables de lancer des imprécations sur le malheur des temps, et l’ambiance nauséabonde qui se [répand] dans le pays ; lui seul [est] à l’abri de tout danger. Tétanisée par son antiracisme constitutif, la gauche [a] été depuis le début incapable de le combattre, et même de le mentionner 76. [Nous soulignons]

Ben Abbes a donc de fortes chances de remporter l’élection, non pas parce qu’il représente des valeurs uniques, au contraire celles-ci sont largement partagées par la droite et le Front national,

68 Ibid., p. 55. 69 Ibid., p. 56. 70 Ibid., p. 56. 71 Ibid., p. 78-79. 72 Ibid., p. 68. 73 Ibid., p. 68. 74 Ibid., p. 160. 75 Ibid., p. 153. 76 Ibid., p. 153-154.

18 mais parce que la gauche antiraciste, qui bénéficie d’une grande influence dans les médias, ne veut pas le critiquer. La tension ou la menace monte (selon la sensibilité du lecteur) et la manière dont Houellebecq utilise le temps y contribue. Si le roman dans son ensemble se compose de cinq parties aux chapitres sans titre, ceux allant de la première soirée électorale à l’annonce de la création d’un « front républicain élargi », sont datés du 15 au 29 mai. La datation cesse le jour où la victoire de Ben Abbes est annoncée. La veille, François songe aux attentats anarchistes du temps de Huysmans et à la violence de la politique anticléricale « menée par le gouvernement « du petit père Combes » »77 et il pense qu’à l’époque Huysmans avait lui-même dû quitter l’abbaye de Ligugé quand les congrégations ont été dispersées. Il est intéressant de considérer cette façon de manier le temps en parallèle avec l’anticipation de faible amplitude. En effet, que visent-elles ? Dans un entretien avec Agathe Novac- Lechevalier, le journaliste Sylvain Bourmeau soulève la question de l’anticipation en ces termes :

[…] il aurait pu placer son intrigue en 2060, et alors personne n’aurait rien pu lui dire. Mais là il y a quelque chose de beaucoup plus tordu, de pervers, qui me gêne : un texte qu’on peut lire comme un texte islamophile (l’islam dans le texte ne fait pas peur) inséré dans un dispositif destiné à susciter la peur (l’hypothèse qui installe le lecteur dans un contexte de menace) et donc de produire de l’islamophobie78.

Le doute sur les intentions de l’auteur peut être mis en relation avec la documentation sérieuse préconisée par Merle. En effet, Viard qualifie la religion musulmane décrite dans Soumission comme un islam de « carton-pâte »79 qui aurait été convoqué seulement pour « la réhabilitation de la famille »80. De son côté, Bourmeau pense que Houellebecq s’est « trouvé submergé par le ressenti de son époque […] alors qu’il avait l’habitude de mener des enquêtes » 81 . Leurs observations participent ainsi à souligner l’ambigüité du roman. La description des failles institutionnelles et de leurs conséquences relève de la fonction testimoniale du narrateur. Nous relierons celle-ci avec une autre, qui répond à la fonction idéologique. En effet, il s’agit de celle qui succède à l’incipit (présentant le lien amical avec Huysmans), et qui introduit la vision du monde de François, qui pense que la fin des études met aussi fin à l’une des meilleures parties de sa vie :

77 Ibid., p. 138. 78 Bourmeau, Sylvain, Entretien avec Agathe Novac-Lechevalier, « De l’art (et des risques) des dispositifs », in Houellebecq, l’Herne éd., Paris, p. 190. 79 Viard, B., « L’œuvre instable… », op. cit. p. 358. 80 Idem., p. 358. 81 Bourmeau, S., Entretien avec Agathe Novac-Lechevalier, op.cit., p. 190.

19

Tel est le cas, dans nos sociétés encore occidentales et social-démocrates, pour tous ceux qui terminent leurs études, mais la plupart n’en prennent pas, ou pas immédiatement conscience, hypnotisés qu’ils sont par le désir d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus primitifs, ceux qui ont développé l’addiction la plus violente à certains produits (ils sont une minorité, la plupart, plus réfléchis et plus posés, développant une fascination simple pour l’argent, ce « Protée infatigable »), hypnotisés plus encore par le désir de faire leurs preuves, de se tailler une place sociale enviable dans un monde qu’ils imaginent et espèrent compétitif, galvanisés qu’ils sont par l’adoration d’icônes variables : sportifs, créateurs de mode ou de portails Internet, acteurs et modèles 82. [Nous soulignons]

Voici des conditions de l’homme moderne : l’argent, la consommation, la compétition. Autant d’éléments pouvant conduire à sa fragmentation, son individualisation, sa solitude. Cette description correspond à l’observation que Viard a faite sur la vision de la société moderne de Houellebecq et que l’on peut trouver notamment dans Poésie83, Extension du domaine de la lutte84 et Plateforme. Au final, elle ne serait plus une « société, mais un douloureux assemblage de particules ! » 85, vision qui serait « la cause fondamentale de son antilibéralisme »86. Le sens du mot libéralisme a évolué depuis le temps de Huysmans et touche autant à l’économie qu’à la morale. Viard identifie l’opinion politique de Houellebecq comme antilibérale sur tous les plans et précise qu’aujourd’hui

il s’agit moins d’opposer l’égalité à l’exploitation, que la liberté à la domination. Si bien que le libéralisme qui était l’ennemi en économie est devenu le but en morale. Autant dire que le mot même de morale devenait caduc. On est arrivé à ce paradoxe que la gauche antilibérale en économie depuis 1830 est devenue libérale en morale tandis que la droite libérale en économie s’est retrouvée antilibérale en morale87.

Cela fait que sur la question qui intéresserait le plus l’auteur, à savoir « la filiation, la paternité, la maternité, la famille », il serait réactionnaire88. La moralité de Soumission apparaît plus clairement lorsque cet antilibéralisme est relié avec la conception de la religion de l’auteur. Mais avant d’aborder celle-ci récapitulons rapidement les possibilités qui s’offrent lorsque les notions du genre de la politique-fiction - anticipation de faible amplitude, enjeu politique et critique des institutions en place -, peuvent être reliées avec les fonctions testimoniale et

82 Houellebecq, M., op. cit., p. 11-12. 83 « Nous refusons l’idéologie libérale parce qu’elle est incapable de fournir un sens, une voie à la réconciliation de l’individu avec son semblable dans une communauté qu’on pourrait qualifier d’humaine […] », in Houellebecq, M., Poésie, p. 78. 84 « De tous les systèmes économiques et sociaux, le capitalisme est sans conteste le plus naturel », in Houellebecq, M., Extension du domaine de la lutte, p. 124. 85 Viard, B., « Dans les tiroirs de … », op. cit., p. 69. 86 Ibid., p. 69. 87 Ibid., p. 46. 88 Viard, B., « L’œuvre instable… », op. cit. p. 358.

20 idéologique du narrateur relevées par Genette. En effet, nous venons de voir que réunis elles font apparaître une figure plus élargie de Huysmans qui devient le représentant de la décadence de la modernité.

L’image de la religion

Dans Soumission, Houellebecq renverse l’ordre en place. Face aux faibles institutions démocratiques, au mal de vivre occidental, il oppose l’islam. À quel dessein ? Afin de critiquer les politiques existantes ? Afin de rendre compte de la faute républicaine en ce qui concerne la perte de valeurs essentielles ? Dans le but de souligner les dérives résultant de la sécularisation ? Nous répondons par l’affirmatif à ces trois questions. Cependant, si la politique est un véritable enjeu, il est aussi possible de lire la présence du religieux dans ce roman au sens sociologique, comme volonté de relier les particules, les individus, entre eux. Voici pourquoi nous nous sommes intéressée à l’idée houellebecquienne de religion. Dans son article « Dans les tiroirs de Michel Houellebecq », Viard revient sur les influences philosophique et sociologique de l’auteur, ainsi que sur sa conception comtienne de la religion89. Celle-ci, « loin d’être un opium » serait « l’infrastructure de toute société » 90 ou, comme l’écrit Houellebecq lui-même, « [Auguste] Comte avait bien compris que la religion, sans cesser de s’intégrer à un système du monde acceptable par la raison, avait pour mission de relier les hommes et de régler leurs actes »91. Comme nous l’avons dit plus haut, Soumission conte l’histoire d’une possible conversion. Mais dans la politique-fiction de Houellebecq, la France décrite n’est plus celle de Huysmans. Si celui-ci a pu se convertir au catholicisme au début du XXème siècle, la sécularisation imposée sous la IIIème République a changé la face du pays et a renforcé l’individualisation initiée par l’industrialisation et le développement du capitalisme au XIXe siècle. Si le représentant d’un parti musulman peut devenir président en 2022, c’est parce que le cadre sociétal et les valeurs traditionnelles ont été modifiés. Que nous dit le texte à ce propos ? Au sujet de la religion, les vies de François et Huysmans divergent nettement. François a beau fêter son quarante-quatrième anniversaire, l’âge où « Huysmans

89 « Héritier de Saint Simon, Comte fixe à la religion dans l’état positif le but de relier les hommes ici et maintenant au lieu de les égarer dans la stratosphère. […] La religion de l’humanité sera donc une religion sans Dieu qui traite le problème social en commençant par la question morale », p. 355. « Comte a imaginé une société holiste, absolument altruiste (c’est son mot), fondée sur les devoirs, jamais sur les droits […] », p. 359., in Viard, B., « L’œuvre instable … » op. cit. 90 Viard, B., « Dans les tiroirs de … », op.cit. p. 69. 91 Houellebecq, Michel, « Préliminaires au positivisme », cité in Viard, B, Idem., p. 68-69.

21 avait retrouvé la foi »92, il ne croit pas en Dieu. Son athéisme est souligné dans deux scènes, la première à Rocamadour et la seconde à l’abbaye de Ligugé. À Rocamadour tout d’abord, François visite plusieurs fois la chapelle Notre- Dame où se trouvent la vierge noire et l’enfant Jésus. Il est impressionné par la sérénité qui se dégage « du roi du monde »93 et de l’art roman. Cela lui rappelle les débuts du Moyen Âge, un temps où « le jugement moral, le jugement individuel, l’individualité en elle-même »94 n’existaient presque pas. Lors de la dernière de ses visites, touché par la lecture qu’un acteur fait d’un poème de Péguy, il se retrouve dans « un état étrange » face à la vierge, état rapidement mis sur le compte « d’une crise hypoglycémie mystique ». Il songe alors à Huysmans, « aux souffrances et aux doutes de sa conversion, à son désir désespéré de s’incorporer à un rite »95. À l’abbaye de Ligugé, où il s’est rendu à la suite d’une crise de larmes, il se mettra en colère à la lecture d’un texte supposant le guider dans son voyage intérieur vers la « source où s’exprime la force du désir »96. Privé de cigarettes (il y est interdit de fumer), il rappelle et commente (voici encore de la transtextualité) la citation en épigraphe de Soumission. Il ne se sent « contrairement à Huysmans, le cœur “ racorni et fumé par les noces ” ; mais les poumons racornis et fumés par le tabac […]97. Qu’est-ce qui pousserait cet athée à se convertir ? Comme nous l’avons repéré plus haut, les valeurs proposées par Ben Abbes, centrées sur la famille, ne se distinguent pas vraiment de celles des partis traditionnels de droite. Elles ne se distinguent pas non plus des valeurs catholiques. Tout comme le catholicisme, l’islam relierait les hommes autour de la famille. Le changement majeur consisterait plutôt en la polygamie et au nouveau modèle économique, le distributivisme dont l’idée de base « [est] la suppression de la séparation entre le capital et le travail. »98. Pourtant, ce sont surtout les intérêts individuels et égoïstes qui motivent les conversions dans Soumission. Ainsi, si la famille est revalorisée par l’islam, les atouts mis en avant, l’argent et la femme, sont matérialistes. Cela est illustré notamment dans le passage où un ancien collègue de François, « un enseignant médiocre qui ne pouvait produire aucune publication digne de ce nom », dit gagner maintenant un salaire trois fois plus important qu’auparavant et qui de plus songe à prendre une deuxième femme. Des propos qui, tout compte fait, laissent François « interdit »99. L’image donnée de l’islam est ainsi équivoque car entre

92 Houellebecq, M., Soumission, p. 97. En effet, en 1892, Huysmans fait sa première retraite à la Trappe d’Igny et s’y confesse. Voir, Cogny, P., op. cit, p. 18. 93 Houellebecq, M., op. cit, p. 166. 94 Idem., p. 168. 95 Ibid., p. 169. 96 Ibid., p. 219. 97 Ibid., p. 219. 98 Ibid., p. 202. 99 Ibid., p. 181-182.

22 tradition familiale et modernité matérialiste, elle est, selon la vision politique de François et de Houellebecq, à la fois louable et critiquable. Toutefois, comme nous l’avons vu, Viard nous rappelle la conception sociologique, comtienne, que Houellebecq a de la religion, il se fait alors le chantre ni du catholicisme de Huysmans, ni, de l’islam de Ben Abbes, mais d’une religion humaniste sans Dieu telle que l’envisage Auguste Comte. Et cela confirme notre idée de la moralité altruiste du roman.

La femme, le couple et…

Dans son article « Soumission et mauvaise foi. Un islam ‘en carton-pâte’ »100, Pierre Blanchard s’attarde sur « la pensée soixante-huitarde » 101 que l’auteur « semble abhorrer » 102 :

Parce qu’elle a mis à mal le socle idéologique qui garantissait à la nation une certaine stabilité, elle est responsable du sentiment de déréliction qui est lui-même à l’origine de l’égoïsme, de l’individualisme et de l’amoralité. Houellebecq veut représenter cette amoralité pour en dénoncer l’étiologie : mai 68, et peut-être indirectement, son ancêtre historique qu’est la loi de séparation des Églises et de l’État d’Aristide Briand 103.

Le libéralisme, la sécularisation et la conséquence de ceux-ci sur le long terme, la libéralisation des mœurs, concernent donc non seulement les valeurs familiales mais aussi le rôle de la femme et du couple. Dans Soumission cela se traduit premièrement par la place importante accordée à la famille au travers de l’islam, et deuxièmement par les idées et fantasmes de François sur la femme et la relation d’amour. Revenons au lien amical de François et Huysmans. Si la foi en Dieu les départage, ils sembleraient, d’après le narrateur, avoir en commun le même idéal baudelairien de la femme, celui de la « femme pot-au-feu » et de « la fille »104. Dans un passage transtextuel, François fait observer que si Huysmans l’avait décrite dans son premier roman, Marthe105, il ne l’a jamais trouvé en réalité :

[l]ui-même, dans sa propre vie, ne s’était nullement mis en ménage avec l’une de ces femmes « pot- au-feu », les seules qui puissent selon Baudelaire, avec les « filles », convenir au littérateur – observation d’autant plus juste que la fille peut parfaitement, avec les années, se transformer en femme pot-au-feu, que c’est même son désir secret et sa pente naturelle »106. [Nous soulignons]

100 Blanchard, Pierre, « Soumission et mauvaise foi », in Roman 20-50. Revue d’étude du roman des XXe et XXIe siècles, p. 65-78. 101 Idem., p. 77. 102 Ibid., p. 78. 103 Ibid., p. 76-77. 104 Houellebecq, M., op.cit., 95. 105 Idem., 97. 106 Ibid., p. 95.

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Si Huysmans a fini par choisir la vie monastique et tourner le dos aux débauches passées107, François constate que les monastères existent toujours mais se demande où trouver les femmes pot-au-feu108. L’idée que François se fait du bonheur conjugal se concrétise lorsqu’il cite le « chef d’œuvre »109 En ménage qui décrit « le bonheur tiède des vieux couples » :

André et Jeanne n’eurent bientôt plus que de béates tendresses, de maternelles satisfactions à coucher quelquefois ensemble, à s’allonger simplement pour être l’un près de l’autre, pour causer avant de se camper dos à dos et de dormir 110.

Pour les personnages fictifs de Huysmans, André et Jeanne, il n’est plus question de vie sexuelle mais de tendresse et de gourmandise :

La gourmandise s’était introduite chez eux comme un nouvel intérêt, amené par l’incuriosité grandissante de leurs sens, comme une passion de prêtres qui, privés de joies charnelles, hennissent devant des mets délicats et de vieux vins111.

À ce propos, François commente qu’une « relation tendre et nourricière » 112 pouvait se développer à l’époque où la femme faisait les achats et faisait la cuisine. Le rôle traditionnel de la femme, s’occupant de son homme, est encore souligné dans la scène où François, invité chez M. et Mme Tanneur (son collègue à la Sorbonne qui a fait une pause en attendant le résultat du second tour de scrutin), avec délectation, se fait servir un somptueux dîner préparé par la maîtresse de maison tout en parlant politique avec son mari.113Sa propre expérience des femmes se limite à des relations qui généralement ne durent que le temps d’une année universitaire. Le changement majeur intervenu depuis sa jeunesse est que maintenant c’est lui qui y met fin : « je ne me sentais plus tellement en état d’entretenir une relation amoureuse, et je souhaitais éviter toute déception, toute désillusion »114. Il explique les ruptures de sa jeunesse par « un modèle de comportement amoureux » 115 : « les jeunes gens, après une brève période de vagabondage sexuel, correspondant à la préadolescence, étaient supposés s’engager dans des relations amoureuses exclusives, assorties d’une monogamie

107 Ibid., p. 100. 108 Ibid., p. 95-96. 109 Ibid., p. 97. 110 Ibid., p. 94. 111 Ibid., p. 95. 112 Ibid., p. 95. 113 Ibid., p. 151-159. 114 Ibid., p. 24. 115 Ibid., p. 20.

24 stricte » 116, des stages menant à « la relation ultime » : la constitution d’une famille via le fait d’avoir des enfants 117. Ses tentatives de combler le vide passe par le recours aux services de prostitués mais ces rencontres sexuelles ne lui suffisent pas, au final ils le laissent « comme l’aurait dit Huysmans ‘inému et sec’ »118. François et Huysmans partageraient donc la même vision de la femme tout en refusant, comme nous l’avons vu dans la partie 4.1, consacrée au Je, la norme sociale du mariage. Que fera donc François de la possibilité polygame qui s’offre à lui dans la France musulmane ? Dans une scène où il est reçu avec faste dans la belle demeure du président de l’université, M. Rediger, et ses deux jeunes femmes, il contemple ce que la conversion pourrait lui donner. Plus tard, lorsqu’il feuillette le petit livre offert en cadeau, Dix questions sur l’islam, il omet « les chapitres consacrés aux devoirs religieux, aux piliers de l’islam et au jeûne pour en arriver directement au chapitre VII : ‘Pourquoi la polygamie’119». Cependant il se contentera de qualifier l’argumentation du texte « d’originale » 120 et les considérations de « curieuses »121. Si l’islam de « carton-pâte »122 décrit dans Soumission signifie d’une part « la réhabilitation de la famille » 123, il signifie d’autre part « un capitalisme sexuel » 124. D’après Blanchard, il retrouve sur ce point Mai 68 « avec ses vainqueurs et ses vaincus. La religion apparaît seulement comme un moyen nouveau qu’ont les médiocres de faire enfin partie de la caste des vainqueurs »125. À la lumière de la vision politique antilibérale exprimée par François, de même que par sa déception amoureuse, il nous paraît peu probable qu’au final il se laisse séduire par le mariage polygame, tel que présenté dans le roman, où la femme n’est traitée que comme un objet de consommation. Un parallèle s’offre ici avec un autre roman de Houellebecq, Plateforme paru en 2001, construit autour du thème de tourisme sexuel. En effet, Michel, vivant une histoire d’amour avec Valérie, initiatrice des clubs Aphrodite qui promeuvent ce type de tourisme en Thaïlande, sera le témoin de son assassinat lors d’un attentat

116 Ibid., p. 20. 117 Ibid., p. 24. 118 Ibid., p. 205. Voici un nouvel exemple de transtextualité qui renvoie à la citation en épigraphe du roman. 119 Ibid., p. 268. 120 Ibid., p. 269. 121 Ibid., p. 269. 122 Viard, B., « L’œuvre instable… », op. cit., p. 358. 123 Idem, p. 358. 124 Blanchard, P., op. cit., p. 77. 125 Idem., p. 77. Notons ici qu’en utilisant les termes « vainqueurs » et « vaincus », Blanchard fait allusion directe au passage suivant de l’Extension du domaine de la lutte de Houellebecq : « Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. Sur le plan économique, Raphaël Tisserand appartient au camp des vainqueurs ; sur le plan sexuel, à celui des vaincus. Certains gagnent sur les deux tableaux ; d’autres perdent sur les deux », op. cit., p. 100-101.

25 terroriste. Dans cette fin tragique, il est également possible de lire une moralité altruiste mais ambivalente. En effet, si le roman critique les dérives du capitalisme et encense l’amour, Houellebecq y expose tout autant le corps de la femme que sa consommation. Ainsi, dans cette dernière partie de l’analyse, grâce aux lectures politiques de Viard et de Blanchard qui dirigent les projecteurs vers Mai 68, et grâce à la transtextualité décrivant l’idéal féminin que partage François et Huysmans, se dévoile une traditionnelle vision de la femme, du couple et de la famille qui accompagne la moralité altruiste houellebecquienne perçue par nous dans Soumission.

5 Conclusion

Nous nous sommes ici interrogée sur la présence du personnage historique Joris-Karl Huysmans dans le roman de Michel Houellebecq, Soumission. Nous avons voulu questionner la relation amicale exprimée entre lui et le narrateur, identifier leurs affinités et leurs divergences. De même, eu égard aux polémiques suscitées par le roman lors de sa parution en 2015, nous avons voulu cerner la moralité de l’histoire, pensant que la figure de Huysmans contribuerait à fournir une réponse. Dans la mesure où l’intrigue du roman est située en France en 2022, il nous a paru important de prendre en considération son aspect temporel. En effet, un roman qui anticipe un avenir proche tout en se référant à un personnage historique, laisse supposer une comparaison. Afin d’apporter des réponses à cette problématique, nous nous sommes appuyée à la fois sur des spécificités du genre de la politique-fiction, définies par Merle, et des concepts narratologiques développés par Genette. Ainsi nous avons pris en compte, d’une part, les éléments d’anticipation de faible amplitude, d’enjeu politique et de critique des institutions en place, et d’autre part, les concepts de transtextualité, de voix et de mode. Procédant de cette façon, nous avons pu établir qu’en laissant l’histoire se dérouler dans un futur immédiat, Houellebecq a créé l’illusion d’une réalité possible dans un cadre familier aux lecteurs. De même nous avons pu observer que le narrateur du roman est autodiégétique et la focalisation interne, observation qui nous a permis de faire le rapprochement entre le héros, François, spécialiste de Huysmans, et la vie et l’œuvre de ce dernier. De plus, l’association des caractéristiques de la politique-fiction avec les fonctions testimoniale et idéologique du narrateur ont fait apparaître la figure de Huysmans comme plus largement le représentant de la décadence de la modernité à l’intérieur du roman. En effet, dans le récit, François affiche une vision antilibérale et critique des institutions en place, vision que nous avons mise en relation

26 avec le désenchantement exprimé dans la littérature « fin de siècle » dont Huysmans était l’un des plus grands représentants. La recherche de Viard et un article de Blanchard, nous ont permis de relier la vision politique de François, avec les considérations politiques exprimées dans d’autres romans de Houellebecq. S’est ainsi cristallisé une critique de l’individualisation de la société qui résulterait du capitalisme, du libéralisme et de la sécularisation. L’amitié qu’éprouve François pour Huysmans a donc un arrière-fond politique qui amplifie ce qui les lie et les désunit. Contrairement à Huysmans, François, n’est pas croyant. Le choix ne se pose d’ailleurs plus de se convertir au catholicisme. Dans la France fictive mise en scène, il faut être musulman afin de pouvoir garder sa position. L’islam en « carton-pâte » - l’expression vient de Viard -, présentée dans le roman est à la fois traditionnelle et moderne. Elle valorise la famille patriarcale et la polygamie. Si les fonctions testimoniale et idéologique font douter que François se convertirait pour des raisons matérielles (la polygamie est aussi une forme de capitalisme qui instrumentalise le corps de la femme), la transtextualité laisse paraître une ouverture. En effet, elle met en évidence l’idéal féminin baudelairien que partagerait Huysmans et François, de la « femme pot-au-feu » et de « la fille », et aussi une façon commune de considérer le couple. Cependant, au-delà de la question de la conversion, les fonctions testimoniale et idéologique reliées à l’élément d’anticipation à faible amplitude, font apparaître une modernité en déroute. Il est donc possible de penser que, si ni François, ni aucun autre personnage dans l’histoire ne s’expriment contre la transformation mise en œuvre, ce n’est pas en raison de nihilisme, mais au contraire, pour montrer les effets négatifs de la modernité qui ont conduit vers la fragmentation et l’individualisme. En effet, quel moyen serait meilleur pour prôner le changement que de montrer les failles du système ? Voici pourquoi nous nous joignons à Viard lorsqu’il fait observer que la moralité houellebecquienne serait altruiste. En effet, l’auteur aurait dans le fond une conception comtienne, sociologique, de la religion qui d’après lui « avait pour mission de relier les hommes et de régler leurs actes » 126. Et peut-être est-ce cela que Huysmans cherchait aussi, de l’unité dans un monde considéré en déperdition.

126 Houellebecq, M., « Préliminaires … », cité in Viard, B, « Dans les tiroirs de … », op. cit., p. 68-69.

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Texte étudié

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Ouvrages et articles consultés

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Ressources électroniques

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WATTEL, Anne. Robert Merle, théoricien et praticien de la politique-fiction. Pour que le « pas encore » devienne un « jamais ». ReS Futuare [en ligne], 7 | 2016, 30 juin 2016 [consulté le 27 juillet 2020]. URL : http://journals.openedition.org/resf/795 ; DOI : https:/ https://doi.org/10.4000/resf.795.

Ressource radiophonique

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